Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 8 août 1986, par MM.
Robert Schwint, Noël Berrier, Germain Authié, Albert Ramassamy, André Méric, Mme Cécile Goldet, MM. Louis Perrein, Gérard Delfau, Bernard Desbrière, Bernard Parmantier, Charles Bonifay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jacques Bialski, René Régnault, Jules Faigt, Jean-Pierre Masseret, Jean Peyrafitte, Léon Eeckhoutte, Marcel Costes, Pierre Bastié, Philippe Madrelle, Michel Darras, Jean Geoffroy, Franck Sérusclat, Mme Geneviève Le Bellegou-Béguin, MM. Jean-Pierre Bayle, Guy Allouche, Tony Larue, Pierre Matraja, Michel Charasse, Mme Irma Rapuzzi, MM. Jacques Carat, André Delelis, Gérard Roujas, Roland Grimaldi, Maurice Pic, Gérard Gaud, Félix Ciccolini, Louis Longequeue, Marc Bœuf, Edouard Soldani, Marcel Bony, Robert Pontillon, Henri Duffaut, Pierre Noé, Bastien Leccia, Roger Rinchet, Claude Fuzier, William Chervy, Roland Courteau, Marcel Vidal, Lucien Delmas, André Rouvière, Michel Moreigne, Robert Guillaume, François Autain, Robert Laucournet, Georges Dagonia, Marc Plantegenest, Michel Manet, Marcel Debarge, Georges Benedetti, sénateurs, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine invitent le Conseil constitutionnel à s’assurer que la loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance ne contient aucune disposition qui serait contraire d’une part, au principe selon lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, d’autre part, au principe du respect des droits de la défense ;
– SUR LE PREMIER MOYEN :
2. Considérant que l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires » ;
3. Considérant que le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s’étend à la période de sûreté qui, bien que relative à l’exécution de la peine, n’en relève pas moins de la décision de la juridiction de jugement qui, dans les conditions déterminées par la loi, peut en faire varier la durée en même temps qu’elle se prononce sur la culpabilité du prévenu ou de l’accusé ;
4. Considérant, dans ces conditions, qu’il appartient au Conseil constitutionnel de rechercher si le principe invoqué par les auteurs de la saisine a été méconnu, non seulement par les dispositions du titre Ier de la loi relatives à la répression de l’association de malfaiteurs et de certaines formes de violence, mais aussi par celles des dispositions du titre II qui concernent la période de sûreté ;
En ce qui concerne le titre Ier :
5. Considérant que l’article 1er de la loi rétablit l’article 266 du code pénal et par là même l’incrimination de participation à une association de malfaiteurs au cas où une telle association tend à la réalisation de délits limitativement énumérés ; que cette infraction est passible d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 5 000 F à 100 000 F ; que les articles 2 et 3 de la loi modifient les articles 267 et 268 du code pénal à l’effet d’étendre à l’association de malfaiteurs en matière délictuelle les dispositions législatives applicables en matière criminelle et qui ont respectivement pour objet d’incriminer les complices de l’infraction et d’exempter de peine ceux qui, avant toute poursuite, ont révélé l’association de malfaiteurs et permis l’identification des coupables ;
6. Considérant que l’article 4 de la loi complète l’article 311 du code pénal afin de renforcer la répression des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, lorsqu’on se trouve en présence des circonstances aggravantes énumérées par l’article 309 du code pénal, ou lorsque les violences ont été commises sur la personne d’un magistrat ou d’un juré dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ; que de tels agissements sont passibles d’une peine de cinq à vingt ans de réclusion criminelle ;
7. Considérant qu’en l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre appréciation à celle du législateur en ce qui concerne la nécessité des peines attachées aux infractions définies par celui-ci ; qu’aucune disposition du titre premier de la loi n’est manifestement contraire au principe posé par l’article 8 de la Déclaration de 1789 ;
En ce qui concerne les dispositions du titre II relatives à la période de sûreté :
8. Considérant que les articles 10, 11 et 12 de la loi modifient et complètent les articles 720-2 et 720-4 du code de procédure pénale relatifs à la période de sûreté durant laquelle certains condamnés ne peuvent bénéficier des dispositions concernant la suppression ou le fractionnement de la peine, le placement à l’extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle ;
9. Considérant que l’article 10 de la loi pose en principe que pour les infractions criminelles ou correctionnelles graves énumérées au premier alinéa de l’article 720-2 du code de procédure pénale, la durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine, ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de quinze ans ; qu’il prévoit, toutefois, que la cour d’assises ou le tribunal peut, par décision spéciale, soit réduire la durée ainsi prévue, soit la majorer ; que, dans cette hypothèse, la période de sûreté peut être portée suivant les cas, jusqu’à trente ans à l’égard des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité à la suite d’atteintes à la vie humaine ou à l’intégrité corporelle particulièrement graves, jusqu’à dix-huit ans, s’il s’agit d’une réclusion criminelle à perpétuité prononcée pour celles des infractions mentionnées au premier alinéa de l’article 720-2 du code précité qui n’entrent pas dans la catégorie précédente ou jusqu’aux deux-tiers de la peine, s’il s’agit d’une condamnation à une peine privative de liberté à temps ;
10. Considérant que l’article 11 de la loi modifie les conséquences, pour la période de sûreté, de l’intervention d’une commutation ou d’une remise de peine par voie gracieuse, en prévoyant que, dans ces hypothèses, la durée de la période de sûreté sera égale, sauf s’il en est disposé autrement par le décret de grâce, à la moitié de la peine résultant de la grâce, sans pouvoir toutefois excéder celle de la période de sûreté attachée à la peine prononcée ;
11. Considérant que l’article 12 de la loi a pour effet de subordonner la possibilité pour le juge de l’application des peines de demander à la chambre d’accusation de mettre fin à l’application de tout ou partie du régime de la période de sûreté, lorsqu’il s’agit de personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité à la suite d’atteintes à la vie humaine ou à l’intégrité corporelle particulièrement graves et que l’intéressé présente des gages sérieux de réadaptation sociale, à la condition qu’il ait subi une incarcération d’une durée au moins égale aux deux-tiers de la période de sûreté ;
12. Considérant que ces dispositions ne sont pas manifestement contraires au principe énoncé par l’article 8 de la Déclaration de 1789 ;
– SUR LE SECOND MOYEN TIRE DE LA VIOLATION DU PRINCIPE DES DROITS DE LA DEFENSE :
En ce qui concerne la procédure de comparution immédiate :
13. Considérant que les articles 5, 7, 8 et 9 de la loi modifient les dispositions du code de procédure pénale consacrées à la procédure de comparution immédiate du prévenu devant le tribunal correctionnel et qui ont été introduites dans ce code par la loi n° 83-466 du 10 juin 1983 sous la forme d’articles 394 à 397-6 ;
14. Considérant que l’article 5 de la loi complète l’article 395 du code de procédure pénale afin de permettre le recours à la procédure de comparution immédiate, non plus aux délits flagrants passibles d’une peine d’emprisonnement au moins égale à un an et n’excédant pas cinq ans, mais de façon plus générale, et dès lors que le maximum de l’emprisonnement prévu par la loi est au moins égal à deux ans sans excéder cinq ans, aux cas où il apparaît au procureur de la République que, tout à la fois, les charges réunies sont suffisantes, l’affaire est en état et les éléments de l’espèce justifient une comparution immédiate ;
15. Considérant que l’article 7 de la loi modifie le troisième alinéa de l’article 396 du code de procédure pénale afin de permettre, dans l’hypothèse où, faute pour le tribunal d’avoir pu être réuni le jour même et le prévenu ayant été placé en détention provisoire, la comparution de l’intéressé devant le tribunal devienne obligatoire, non le premier jour ouvrable suivant l’ordonnance prescrivant la détention, mais au plus tard le deuxième jour ouvrable suivant ;
16. Considérant que l’article 8 de la loi modifie l’article 397-1 du code de procédure pénale à l’effet de permettre que, dans les hypothèses où soit le prévenu ne consent pas à être jugé séance tenante, soit l’affaire ne paraît pas en état d’être jugée, le tribunal, après avoir recueilli les observations des parties et de leur conseil, renvoie l’affaire à une prochaine audience qui, au lieu de devoir se tenir au plus tôt le cinquième et au plus tard le trentième jour suivant, devra avoir lieu dans un délai qui ne pourra être inférieur à deux semaines, sauf renonciation expresse du prévenu, ni supérieur à six semaines ; que cette modification est destinée à permettre au prévenu de préparer sa défense dans de meilleures conditions ;
17. Considérant que l’article 9 de la loi complète l’article 397-1 du code de procédure pénale à l’effet de permettre au tribunal, s’il lui semble que la complexité de l’affaire nécessite des investigations complémentaires qui ne peuvent être menées à bien que par un supplément d’information, de rendre une décision qui implique un abandon de la procédure de comparution immédiate, obligation lui étant faite de statuer au préalable sur le maintien en détention provisoire du prévenu jusqu’à sa comparution devant le juge d’instruction ;
18. Considérant qu’il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l’article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ;
19. Considérant qu’il est satisfait à ces exigences par les dispositions susmentionnées du titre II de la loi déférée au Conseil constitutionnel, conjuguées avec celles de la loi n° 83-466 du 10 juin 1983 qui demeurent en vigueur, sous les conditions de fond et de forme énoncées par ces deux lois ;
En ce qui concerne la présentation des demandes de mise en liberté en cas de détention provisoire :
20. Considérant que les articles 16 et 17 de la loi, qui modifient les articles 148 et 148-2 du code de procédure pénale relatifs aux demandes de mise en liberté en cas de détention provisoire, ont pour objet, en cas de demandes réitérées, de reporter le point de départ du délai imparti pour se prononcer sur une nouvelle demande à la date à laquelle il a été statué sur la précédente demande ; que ces dispositions, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires, ne font pas obstacle à ce que le juge d’instruction, saisi d’un fait nouveau à l’appui de toute demande, statue immédiatement ; que, dès lors, ces articles ne méconnaissent pas le principe du respect des droits de la défense ;
– SUR L’ARTICLE 19 :
21. Considérant que l’article 19 de la loi dispose : « Sous réserve des articles 5, 6, 7, 8 et 9 qui entreront en vigueur le 1er octobre 1986, la présente loi est d’application immédiate. -Toutefois, les dispositions des articles 10 et 12 ne seront applicables qu’aux condamnations prononcées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. » ;
22. Considérant que selon l’article 8 de la Déclaration de 1789 : « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée. » ;
23. Considérant que le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s’étend à la période de sûreté qui, bien que relative à l’exécution de la peine, n’en relève pas moins de la décision de la juridiction de jugement qui, dans les conditions déterminées par la loi, peut en faire varier la durée en même temps qu’elle se prononce sur la culpabilité du prévenu ou de l’accusé ; que l’appréciation de cette culpabilité ne peut, conformément au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, être effectuée qu’au regard de la législation en vigueur à la date des faits ;
24. Considérant que, en vertu des principes ainsi énoncés, la référence faite par le législateur, dans le deuxième alinéa de l’article 19, aux condamnations prononcées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi doit s’entendre des condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à cette date ; que toute autre interprétation serait contraire à la Constitution ;
– SUR LES AUTRES DISPOSITIONS DE LA LOI :
25. Considérant qu’en l’espèce il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’office aucune autre question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les dispositions de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
La loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance n’est pas contraire à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.