Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2013 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1516 du 4 décembre 2013), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par MM. Audrain et Pascal L., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 3222-3 du code de la santé publique.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012 ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ;
Vu la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour l’Association Cercle de Réflexion et de Proposition d’Action sur la psychiatrie, par la SELARL Mayet et Perrault, avocat au barreau de Versailles, enregistrées le 23 décembre 2013 ;
Vu les observations produites pour les requérants par Me Pierre Ricard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 26 décembre 2013 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 26 décembre 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Ricard, pour les requérants, Me Raphaël Mayet pour l’association intervenante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 4 février 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 3222-3 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 juillet 2011 susvisée : « Les personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sous la forme d’une hospitalisation complète en application des chapitres III ou IV du titre Ier du présent livre ou de l’article 706-135 du code de procédure pénale peuvent être prises en charge dans une unité pour malades difficiles lorsqu’elles présentent pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance et les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mis en oeuvre que dans une unité spécifique.
« Les modalités d’admission dans une unité pour malades difficiles sont prévues par décret en Conseil d’État » ;
2. Considérant que, selon les requérants, ni l’article L. 3222-3 du code de la santé publique ni aucune autre disposition législative n’encadrent les formes ni ne précisent les conditions dans lesquelles une décision de placement en unité pour malades difficiles est prise par l’autorité administrative ; que les dispositions contestées feraient ainsi découler d’une hospitalisation en unité pour malades difficiles, laquelle serait imposée sans garanties légales suffisantes, des règles plus rigoureuses que celles applicables aux autres personnes admises en hospitalisation complète, notamment en ce qui concerne la levée de ces soins ; qu’en cela, la disposition contestée serait contraire au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, à l’article 34 de la Constitution, à la liberté d’aller et de venir et au droit au respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi qu’à la liberté individuelle dont l’article 66 de la Constitution confie la protection à l’autorité judiciaire ;
3. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;
4. Considérant que l’article 66 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. – L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que, dans l’exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d’intervention de l’autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu’il entend édicter ;
5. Considérant qu’en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation garantit à tous le droit à la protection de la santé ; que l’article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles, dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité, et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
6. Considérant que l’hospitalisation sans son consentement d’une personne atteinte de troubles mentaux doit respecter le principe, résultant de l’article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit pas nécessaire ; qu’il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l’ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu’au nombre de celles-ci figurent la liberté d’aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont l’article 66 de la Constitution confie la protection à l’autorité judiciaire ; que les atteintes portées à l’exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ;
7. Considérant qu’il résulte des dispositions contestées qu’une personne soumise par une décision administrative ou judiciaire à des soins psychiatriques sous forme d’une hospitalisation complète peut être prise en charge dans une unité pour malades difficiles si elle présente pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance ou les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mis en oeuvre que dans une telle unité ; que les modalités d’admission dans cette unité sont prévues par décret en Conseil d’État ;
8. Considérant que, dans leur rédaction résultant de la loi du 5 juillet 2011 susvisée, le paragraphe II de l’article L. 3211-12 et l’article L. 3213-8 du code de la santé publique prévoyaient, pour les personnes ayant été prises en charge en unité pour malades difficiles, des règles exorbitantes du droit commun relatives aux conditions dans lesquelles l’autorité administrative ou l’autorité judiciaire peuvent mettre fin à une mesure de soins psychiatriques ; que, dans sa décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012 susvisée, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution ; qu’il a jugé qu’elles faisaient « découler d’une hospitalisation en unité pour malades difficiles, laquelle est imposée sans garanties légales suffisantes, des règles plus rigoureuses que celles applicables aux autres personnes admises en hospitalisation complète, notamment en ce qui concerne la levée de ces soins » ; qu’il a reporté au 1er octobre 2013 la date de l’abrogation de ces dispositions en précisant que « les décisions prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité » ;
9. Considérant que l’article 4 de la loi du 27 septembre 2013 susvisée et le 6° de son article 10 ont donné une nouvelle rédaction du paragraphe II de l’article L. 3211-12 et de l’article L. 3213-8 du code de la santé publique ; que l’article 11 de cette même loi a abrogé l’article L. 3222-3 du même code ; que ces dispositions sont entrées en vigueur le 30 septembre 2013 ;
10. Considérant qu’à l’exception des règles que le Conseil constitutionnel a déclarées contraires à la Constitution dans sa décision du 20 avril 2012 précitée, le régime juridique de privation de liberté auquel sont soumises les personnes prises en charge dans une unité pour malades difficiles n’est pas différent de celui applicable aux autres personnes faisant l’objet de soins sans leur consentement sous la forme d’une hospitalisation complète ; qu’en particulier, leur sont applicables les dispositions de l’article L. 3211-3 du code de la santé publique, qui fixent les droits dont ces personnes disposent en tout état de cause, et les dispositions de l’article L. 3211-12, qui leur reconnaissent le droit de saisir à tout moment le juge des libertés et de la détention aux fins d’ordonner, à bref délai, la mainlevée de la mesure quelle qu’en soit la forme ; qu’en renvoyant au décret le soin de fixer les modalités de prise en charge en unité pour malades difficiles des personnes faisant l’objet d’une mesure de soins psychiatriques sans leur consentement en hospitalisation complète et qui présentent pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance et les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mis en oeuvre que dans une unité spécifique, le législateur n’a privé de garanties légales ni la protection constitutionnelle de la liberté individuelle ni les libertés qui découlent des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 ; que les dispositions contestées n’affectent par elles-mêmes aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, par suite, le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence doit être écarté ;
11. Considérant que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L’article L. 3222-3 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 février 2014, où siégeaient : M. Jacques BARROT exerçant les fonctions de Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 14 février 2014.