Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 mai 2010 par la Cour de cassation (arrêts n° 12006 et n° 12007 du 7 mai 2010), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée, respectivement, par MM. Stéphane A. et Marc P. et par M. Francis H., relative à la conformité de l’article L. 7 du code électoral aux droits et libertés que la Constitution garantit.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code électoral, notamment son article L. 30 ;
Vu le code pénal ;
Vu la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour M. H. par la SCP Ortscheidt, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 14 mai 2010 ;
Vu les observations produites pour M. P. par Me Patrick Tabet, avocat au Barreau de Paris et près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon, enregistrées le 19 mai 2010 ;
Vu les observations produites pour M. A. par la SELARL Flécheux et Associés, avocat au Barreau de Paris, enregistrées le 20 mai 2010 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 20 mai 2010 ;
Vu les nouvelles observations produites pour M. P. par Me Patrick Tabet, enregistrées le 26 mai 2010 ;
Vu les pièces produites et jointes aux dossiers ;
Me Xavier Flécheux, pour M. A., Me Virginie Colin, pour M. P., Me Jérôme Ortscheidt, pour M. H., et Mme Sophie Rimeu, désignée par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 2 juin 2010 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les deux questions transmises par la Cour de cassation portent sur la même disposition législative ; qu’il y a donc lieu de les joindre pour y répondre par une seule décision ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 7 du code électoral : « Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale, pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour l’une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433 3 et 433-4 du code pénal ou pour le délit de recel de l’une de ces infractions, défini par les articles 321 1 et 321-2 du code pénal » ;
3. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions portent atteinte aux principes de la nécessité et de l’individualisation des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
4. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que le principe d’individualisation des peines qui découle de cet article implique que la peine emportant l’interdiction d’être inscrit sur une liste électorale et l’incapacité d’exercer une fonction publique élective qui en résulte ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ;
5. Considérant que l’interdiction d’inscription sur la liste électorale imposée par l’article L. 7 du code électoral vise notamment à réprimer plus sévèrement certains faits lorsqu’ils sont commis par des personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public ; qu’elle emporte une incapacité d’exercer une fonction publique élective d’une durée égale à cinq ans ; qu’elle constitue une sanction ayant le caractère d’une punition ; que cette peine privative de l’exercice du droit de suffrage est attachée de plein droit à diverses condamnations pénales sans que le juge qui décide de ces mesures ait à la prononcer expressément ; qu’il ne peut davantage en faire varier la durée ; que, même si l’intéressé peut être, en tout ou partie, y compris immédiatement, relevé de cette incapacité dans les conditions définies au second alinéa de l’article 132-21 du code pénal, cette possibilité ne saurait, à elle seule, assurer le respect des exigences qui découlent du principe d’individualisation des peines ; que, par suite, l’article L. 7 du code électoral méconnaît ce principe et doit être déclaré contraire à la Constitution ;
6. Considérant que l’abrogation de l’article L. 7 du code électoral permet aux intéressés de demander, à compter du jour de publication de la présente décision, leur inscription immédiate sur la liste électorale dans les conditions déterminées par la loi,
D É C I D E :
Article 1er.- L’article L. 7 du code électoral est déclaré contraire à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juin 2010, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, MM. Jacques BARROT, Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Jacques CHIRAC, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 11 juin 2010