RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juillet et 28 octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Jinlian A, demeurant … ; Mme A demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 27 mai 2008 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement du 6 juillet 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l’arrêté du 26 mars 2007 du préfet de police lui retirant sa carte de résident et lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête d’appel du préfet de police ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mme A,
– les conclusions de M. Luc Derepas, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mme A ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : » La carte de résident peut être retirée à tout employeur, titulaire de cette carte, ayant occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6 du code du travail. / En outre, l’employeur qui a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français en raison du retrait, prononcé en application des dispositions du présent article, de sa carte de résident peut, dans les trois années qui suivent cette obligation, se voir refuser le droit d’exercer une activité professionnelle en France » ; que selon l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : » 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui » ;
Considérant que la sanction prévue à l’article L. 314-6 du code l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a pour effet, sauf lorsqu’elle n’est pas assortie d’une obligation de quitter le territoire français et s’accompagne de la délivrance d’un autre titre de séjour, de mettre fin au droit au séjour de l’étranger concerné ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales peut être utilement invoqué à l’appui d’un recours dirigé contre une telle sanction ;
Considérant que, pour annuler le jugement du 6 juillet 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l’arrêté du 26 mars 2007 du préfet de police retirant à Mme A sa carte de résident, la cour administrative d’appel de Paris a estimé notamment, alors qu’aucun autre titre de séjour n’avait été délivré à la requérante et que ce retrait était assorti d’une obligation de quitter le territoire français, que cette mesure n’avait pas eu pour effet de la priver de tout droit au séjour et que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales était, dès lors, inopérant ; que, ce faisant, elle a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant que si Mme A, qui, à la suite d’un contrôle de l’atelier de confection qu’elle dirigeait, a fait l’objet d’une condamnation pénale pour travail dissimulé et emploi d’étrangers en situation irrégulière, pouvait faire l’objet de la sanction de retrait de la carte de résident prévue à l’article L. 314-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il résulte de l’instruction que l’intéressée vit en France avec son époux depuis 1989, que leurs deux enfants les y ont rejoint en 2000 au bénéfice d’un regroupement familial et que deux de ses frères résident également régulièrement en France ; que son mari et son fils, lequel est le père de deux enfants nés en France, sont titulaires d’une carte de résident expirant en 2013, tandis que sa fille a acquis en 2005 la nationalité française ; que, dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour de Mme A en France, la mesure de retrait de sa carte de résident, assortie d’une obligation de quitter le territoire qui l’a privée de tout droit au séjour en France, a porté au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée à la gravité des faits qui lui étaient reprochés ; que, dès lors, le préfet de police n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 26 mars 2007 ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat le versement à Mme A de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 27 mai 2008 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par le préfet de police devant la cour administrative d’appel de Paris sont rejetées.
Article 3 : L’Etat versera à Mme A la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761- 1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Jinlian A et au ministre de l’immigration, de l’identité nationale et du développement solidaire.