Conseil d’État
N° 362472
ECLI:FR:CESSR:2014:362472.20140924
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
10ème / 9ème SSR
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
Mme Delphine Hedary, rapporteur public
SCP FABIANI, LUC-THALER, avocats
lecture du mercredi 24 septembre 2014
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 septembre 2012 et 9 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Ban Public demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la note du garde des sceaux, ministre de la justice, du 19 mars 2012 relative aux mesures de bon ordre (MBO) appliquées aux personnes détenues mineures ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991,
Vu :
– les autres pièces du dossier ;
– la Constitution ;
– le code de procédure pénale ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
– la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
– le décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010 ;
– le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Isabelle Lemesle, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de l’association Ban Public.
1. Considérant que le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a adressé aux directeurs interrégionaux des services pénitentiaires et aux directeurs interrégionaux de la protection judiciaire de la jeunesse une note, en date du 19 mars 2012, relative aux » mesures de bon ordre » appliquées aux personnes détenues mineures, dont l’objet est d’apporter des réponses immédiates aux actes transgressifs de faible gravité pour lesquels le seul entretien visant au rappel au bon ordre apparaît insuffisant ; que cette note énumère les comportements transgressifs dont il s’agit, établit la liste des mesures de bon ordre susceptibles d’être décidées conjointement par le personnel de surveillance et le personnel de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que les principes directeurs qui les sous-tendent, leurs modalités de mise en oeuvre, leur traçabilité et leur articulation avec le parcours de détention ; que l’association Ban Public en demande l’annulation pour excès de pouvoir ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article 726 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l’article 91 de la loi du 24 novembre 2009 : » Le régime disciplinaire des personnes détenues placées en détention provisoire ou exécutant une peine privative de liberté est déterminé par un décret en Conseil d’État. / Ce décret précise notamment : / 1° le contenu des fautes disciplinaires qui sont classées selon leur nature et leur gravité ; / 2° les différentes sanctions disciplinaires encourues selon le degré de gravité des fautes commises. (…) » ; que le décret du 23 décembre 2010, pris pour l’application de ces dispositions, a notamment classé en trois degrés, aux articles R. 57-7 et suivants du code de procédure pénale, selon leur gravité, les faits commis par les personnes détenues de nature à constituer des fautes disciplinaires et fixé la liste des sanctions susceptibles d’être prononcées lorsque la personne détenue est mineure ;
3. Considérant que la note attaquée énumère, au titre des comportements susceptibles de donner lieu à une mesure de bon ordre, des faits dont l’énonciation est proche de celle de certaines fautes disciplinaires mentionnées aux articles R. 57-7-1 à R. 57-7-3 du code de procédure pénale et, au titre des mesures de bon ordre susceptibles d’être appliquées immédiatement en réponse à ces faits, des mesures qui, pour certaines d’entre elles, sont similaires aux sanctions prévues par les articles R. 57-7-35 et R. 57-7-37 du code de procédure pénale ;
4. Considérant, toutefois, que la note attaquée n’a entendu faire relever des mesures de bon ordre que les agissements qui, bien que d’une durée trop brève, d’une gravité insuffisante ou d’une fréquence trop rare pour fonder une sanction disciplinaire, appellent néanmoins une réaction du personnel en charge de l’éducation et de la surveillance des personnes mineures détenues, afin d’apporter une réponse rapide et proportionnée, avant toute sanction, aux comportements transgressifs, contribuant, par là-même, à l’éducation de ces dernières et permettant le rétablissement immédiat du bon ordre dans les établissements pénitentiaires ; que si certains des faits pouvant conduire à la prise d’une mesure de bon ordre sont voisins de ceux pouvant fonder une sanction, ils s’en distinguent notamment par leur intensité, leur gravité, leur durée ou les conditions de leur occurrence ; que d’autre part, si le libellé de certaines mesures de bon ordre peut être très proche, voire identique à celui de certaines sanctions, ces mesures – qui ne peuvent jamais consister en une privation de promenade ni d’activité éducative et sont d’une durée très courte – ne peuvent, au regard de ce qui les motive et des conditions de leur mise en oeuvre, être regardées comme des sanctions ;
5. Considérant que, par suite, le ministre, qui était compétent pour édicter de telles règles au titre de son pouvoir réglementaire d’organisation des services placés sous son autorité, n’a pas méconnu les dispositions de l’article 726 du code de procédure pénale renvoyant à un décret en Conseil d’Etat la détermination du régime disciplinaire des personnes détenues ;
6. Considérant, enfin, qu’il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu’eu égard à leur nature, les mesures de bon ordre en cause ne sont pas soumises au respect du principe des droits de la défense et ne sauraient davantage être regardées comme étant au nombre des décisions dont la motivation est imposée par les articles 1er et 2 de la loi du 11 juillet 1979 ni, par suite, comme ne pouvant être prises qu’au terme de la procédure contradictoire prévue par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les modalités prévues par la note attaquée pour l’intervention de ces mesures méconnaîtraient ce principe ou ces dispositions ne peut qu’être écarté ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’association Ban Public n’est pas fondée à demander l’annulation de la note attaquée ; que, dès lors, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par son avocat sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l’association Ban Public est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association Ban Public et à la garde des sceaux, ministre de la justice.