Section II – Elaboration des actes administratifs unilatéraux
L’acte administratif unilatéral doit émaner d’une autorité compétente. Il doit également respecter des règles de procédure et des règles de forme.
§I – Autorité compétente
Une autorité administrative ne peut intervenir que si une règle de droit l’y autorise. Généralement, cette règle de droit désigne précisément l’autorité compétente pour prendre la mesure. Celle-ci doit donc, pour être valable, être signée par l’autorité désignée.
La violation des règles de compétence est sévèrement sanctionnée par le juge administratif. En effet, il s’agit de règles d’ordre public, ce qui signifie que l’incompétence de l’auteur de l’acte contesté est un moyen d’annulation qui doit être soulevé d’office par le juge, et cela même si les parties ne l’ont pas invoqué.
La compétence peut être appréciée de différents points de vue : en fonction de la matière traitée (compétence ratione materiae), en fonction du lieu du siège de l’auteur de l’acte (compétence ratione loci), en fonction de la date d’intervention de l’acte (compétence ratione temporis). Ces règles connaissent une dérogation commune lorsque à vocation à s’appliquer la jurisprudence des fonctionnaires de fait.
I – Compétence ratione materiae
A – Principes
Seule l’autorité habilitée à intervenir dans un domaine particulier peut prendre un acte administratif relatif à ce domaine, cette habilitation émanant en général de normes écrites constitutionnelles ou législatives.
Exemples :
– Le pouvoir règlementaire de droit commun est confié au Premier ministre par les articles 21 et 37 de la Constitution du 4 octobre 1958.
– Le pouvoir règlementaire du Président de la République est défini par l’article 13 de la Constitution du 4 octobre 1958.
– L’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales prévoit que « le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ».
Notons également que lorsqu’une compétence est reconnue conjointement à plusieurs autorités, il ne suffit pas que chacune de ces autorités consulte l’autre lorsqu’elle prend une décision au titre de cette compétence. Ces autorités doivent prendre conjointement la décision, cette compétence conjointe étant attestée par leur signature personnelle (CAA Nancy, 12 novembre 2009, requête numéro 09NC00398, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c. Wiesser).
Cependant, il arrive que certaines compétences dont l’exercice s’avère indispensable ne soient attribuées à aucune autorité, ce qui donne lieu à l’application de règles supplétives d’origine jurisprudentielle.
Ainsi, à l’occasion de l’arrêt de Section Jamart du 7 février 1936, le Conseil d’Etat a reconnu que les chefs de service et notamment les ministres disposent d’un pouvoir règlementaire de droit commun pour l’organisation de leurs services (préc.).
Exemples :
– Dans l’affaire Jamart, le ministre de la Santé avait interdit à un médecin l’accès à ses services dont il troublait le fonctionnement. Le Conseil d’Etat annule la mesure prise mais il juge, pour des raisons pratiques, que « même dans le cas où les ministres ne tiennent d’aucune disposition législative un pouvoir réglementaire, il leur appartient, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité ».
– CE Sect., 29 décembre 1995, requête numéro 143017, Syndicat national des personnels de préfecture CGT-FO (Dr. adm. 1996, 57 ; Cah. fonct. publ. 1996, n° 147, p. 19, concl. Maugüé) : en l’absence d’habilitation textuelle, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique est néanmoins compétent pour instituer des organes départementaux chargés de participer à la définition et à la gestion de l’action sociale au profit des agents du ministère.
–CE, 21 septembre 2015, requête numéro 382119, Uguen (Rec. p. 311 ; AJDA 2015, p. 1935, concl. Dumortier) : un décret s’était borné à déterminer le plafond d’une indemnité et les possibilités d’en moduler le montant en fonction de l’ancienneté de l’agent, sans fixer ce montant. Il revient ainsi à chaque ministre, dans l’exercice de ses prérogatives d’organisation des services placés sous son autorité, d’établir, dans le respect des règles générales fixées par le décret, la réglementation applicable au versement de cette indemnité au sein de son administration.
–CE, 24 septembre 2014, requête numéro 362472, Association Ban Public (Rec. p. 493) : le ministre de la Justice est compétent pour édicter des règles relatives aux mesures de bon ordre à l’égard de détenues mineures au titre de son pouvoir réglementaire d’organisation des services placés sous son autorité.
Ce pouvoir règlementaire, qui s’exprime fréquemment par des circulaires, est également reconnu aux autres chefs de service, par exemple les maires (CE, 25 juin 1975, requête numéro 90273, Biscarrat et Rouquairol : Rec. p.898), les organes dirigeants des établissements publics (CE, 7 janvier 1976, requête numéro 92162, Centre hospitalier régional d’Orléans : Rec. p. 10 ; AJDA 1976, p. 57) ou encore les directeurs de services de l’Etat (CE, 13 novembre 1992, requête numéro 83177, requête numéro 83702, Syndicat national des ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile et Union syndicale de l’aviation civile CGT, p. 966).
Il peut même être reconnu aux dirigeants d’un organisme privé responsable d’un service public (CE Ass., 12 avril 2013, requête numéro 329570, requête numéro 329683, requête numéro 330539, requête numéro 330847, Fédération FO énergie et mines et a. : Rec. p. 94 ; AJDA 2013, p. 1052, chron. Bretonneau et Domino ; Dr. adm. 2013, 59, note Eveillard ; Dr. Soc. 2013, p. 608, note Gadoun ; JCP A 2013, act. 373, obs. Dubreuil et 2308, note Pauliat ; RFDA 2013, p. 637, concl. Aladjidi et p. 663, chron. Roblot-Troizier).
Enfin, le Conseil d’Etat a reconnu, concernant le Premier ministre, qu’il « lui est toujours loisible, sur le fondement des dispositions de l’article 21 de la Constitution en vertu desquelles il dirige l’action du gouvernement, d’adresser aux membres du gouvernement et aux administrations des instructions par voie de circulaire, leur prescrivant d’agir dans un sens déterminé ou d’adopter telle interprétation des lois et règlements en vigueur (CE, 26 décembre 2012, requête numéro 358226, Association « Libérez les Mademoiselles », préc.).
Par ailleurs, la jurisprudence a reconnu que lorsqu’une autorité est compétente en vertu d’un texte pour prendre une décision, elle est également compétente pour prendre la décision contraire. C’est ce qu’on appelle la règle du parallélisme des compétences.
Exemple :
– CE, 3 février 1995, requête numéro 148127, Ministre de la Défense c. Delprat (Rec. p.61) : en l’absence de toute disposition contraire, le pouvoir de mettre fin au report d’incorporation de l’article L. 9 du Code du service national appartient au ministre compétent pour accorder le report.
B – Hypothèses les plus courantes d’incompétence ratione materiae
Comme l’a exposé le président Odent, « toute autorité administrative qui sort de ses attributions légales est… incompétente, que l’autorité à la compétence de laquelle elle porte atteinte lui soit hiérarchiquement supérieure ou inférieure ou lui soit étrangère » (Contentieux administratif : Les cours de droit 1972, p. 1796). Il existe donc deux grands types d’incompétence ratione materiae : l’empiètement d’une autorité supérieure sur les compétences d’un subordonné et l’empiètement d’un subordonné sur les compétences de son supérieur hiérarchique.
1° Empiètement d’une autorité supérieure sur les compétences d’un subordonné
Le supérieur hiérarchique peut donner à son subordonné des instructions, le sanctionner, et réformer ses actes. En revanche, le pouvoir hiérarchique n’implique pas la possibilité, pour le supérieur hiérarchique, de se substituer à son subordonné pour prendre un acte relevant de la compétence de celui-ci. Pour que cette substitution puisse être réalisée, il faut en effet qu’elle soit organisée par un texte.
Exemple :
– Le préfet est compétent, après une mise en demeure restée sans résultat, pour se substituer au maire en cas de carence de celui-ci dans l’utilisation de ses pouvoirs de police en application des dispositions de l’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales.
2° Empiètement d’un subordonné sur les compétences de son supérieur hiérarchique
Il s’agit d’un cas manifeste d’incompétence ratione materiae. Toutefois, si la solution est aisément compréhensible lorsque les compétences sont clairement fixées par les textes, un problème particulier se pose dans le cadre de l’application de la jurisprudence Jamart et du pouvoir réglementaire des chefs de service.
L’étude de la jurisprudence permet d’observer que le pouvoir des chefs de service connaît trois types de limites.
Tout d’abord, la mesure prise par le chef de service doit réellement concerner l’organisation ou le fonctionnement du service.
Exemple :
– CE Sect., 23 mai 1969, Société distillerie Brabant et cie (Rec. p. 264, concl. Questiaux ; AJDA 1969, p. 64, concl. Questiaux, note Tournié ; D. 1970, p. 762, note Fromont ; RDP 1969, p. 1127, concl. Questiaux) : le ministre des Finances est incompétent pour fixer les critères d’octroi d’agréments fiscaux.
Ensuite, ce pouvoir ne peut s’exercer que dans la mesure où les nécessités du service l’exigent.
Exemples :
– CE Sect., 6 janvier 1995, requête numéro 91224, Syndicat national des personnels de l’équipement CGT (Rec. p. 5 ; JCP G 1995, IV, 769, obs. Rouault ; Dr. adm. 1995, 260) : le président du conseil général est compétent pour prendre les mesures relatives à l’organisation interne des services dont il est le chef et à la gestion de leurs agents. En revanche, il appartient à la seule assemblée délibérante de décider de créer ou de supprimer des services publics, d’en fixer les règles générales d’organisation et, de façon générale, de prendre toutes les mesures portant sur la définition des missions remplies par les services du département. Ainsi, la décision de confier les missions assumées par un service du département à une entreprise privée relève de la seule compétence du conseil général.
– CE, 27 novembre 2013, requête numéro 359801, Syndicat Sud (JCP A 2014, 2198, concl. Lallet) : s’il était loisible au ministre, en sa qualité de chef de service, de fixer un délai raisonnable d’information préalable, il a, en retenant un délai de 48 heures pour informer de la venue d’un représentant syndical dans les services du ministère, fixé une condition excessive au regard des nécessités d’un bon fonctionnement du service et, par suite, excédé sa compétence.
Enfin, l’exercice de ce pouvoir ne peut en aucun cas aller à l’encontre de dispositions législatives ou règlementaires.
Exemples :
– CE Ass., 30 juin 2000, requête numéro 216130, Association Choisir la vie et a. (JCP G 2000, II, 10423, note Peigné ; AJDA 2000, p. 729, concl. Boissard ; Dr. adm. 2000, 183) : le Conseil d’Etat relève que s’il appartient au ministre de l’Education nationale de promouvoir la santé des élèves, « il ne peut faire usage de ce pouvoir que sous réserve des compétences attribuées à d’autres autorités par des textes législatifs et règlementaires et dans le respect des lois et règlements qui régissent les activités qu’il entend confier à ces agents ». Or, en l’espèce, le ministre a violé un texte de loi en confiant le rôle de prescription et de délivrance d’un médicament aux infirmières scolaires, alors que la loi prévoyait que ce médicament devait être délivré en pharmacie.
– CE, 22 octobre 2003, requête numéro 243332, Ecole nationale supérieure des arts et industries textiles : l’école nationale supérieure des arts et industries textiles n’entre pas dans le champ du décret du 21 mars 1959 qui fixe la durée de l’année universitaire à 39 semaines. En l’absence de texte règlementaire fixant la durée de l’année dans cet établissement, avant l’intervention du décret du 4 janvier 2000 qui la fixe désormais à 35 semaines, il appartenait à l’établissement de fixer ce nombre de semaines compte tenu d’une part des obligations hebdomadaires de service fixées par le décret du 27 mars 1973 relatif à cette école et d’autre part de la durée des études dans l’année.
– CE, 11 avril 2008, requête numéro 298059, Union générale des syndicats pénitentiaires CGT (AJDA 2008, p.1142, concl. Landais) : le garde des Sceaux pouvait, sans méconnaître ni sa compétence ni les dispositions de l’article L. 232-2 du Code du travail et celles de l’article D. 220 du Code de procédure pénale, proscrire la détention et la consommation d’alcool dans l’ensemble du périmètre des établissements pénitentiaires, aux fins d’assurer le bon fonctionnement du service et de prévenir les risques liés à la consommation d’alcool pour la sécurité des personnels et des détenus. Il pouvait également déterminer des modalités d’entrée en vigueur progressive de ces mesures.
– CE, 8 février 2010, requête numéro 306558, Ministre de la Défense : le ministre de la Défense ne tient d’aucune disposition législative ou règlementaire compétence pour fixer par instruction les conditions d’accès au cycle de formation des aspirants, lesquelles relèvent, en application de l’article 5 de la loi n°72-662 du 13 juillet 1972, d’un décret en Conseil d’Etat.
Il est à noter, cependant, concernant cette dernière condition, la particularité des pouvoirs reconnus au ministre de la Défense en tant que « responsable de l’emploi des militaires placés sous son autorité et du maintien de l’aptitude de ces derniers aux missions qui peuvent à tout moment leur être confiées ». Dans ce cadre précis, en effet, le ministre peut empiéter sur le domaine de la loi, et plus précisément sur celles qui régissent les libertés, notamment en imposant des vaccinations aux militaires appelés à servir outre-mer ou en opérations extérieures (Conseil d´Etat, Ass, 3 mars 2004, Association “Liberté, information, santé”, requête numéro 222918, rec. p.112 ; AJDA 2004, p. 971, chron. Donnat et Casas ; RDSS 2004, p. 608, note Deguergue ; RFDA 2004, p. 581, concl. Le Chatelier).
C- Exceptions aux règles normales de compétence ratione materiae
Il existe deux catégories d’exceptions aux règles de compétence ratione materiae : les délégations d’une part, l’intérim et la suppléance d’autre part.
1° Délégation
En principe, les compétences ne se délèguent pas. Toutefois, ce principe connaît un certain nombre d’atténuations pour une raison pratique évidente : il est matériellement impossible pour certaines autorités de signer l’ensemble des décisions qui relèvent de leur compétence. Certaines compétences pourront donc être déléguées, voire subdéléguées.
a- Conditions de la délégation
Quatre conditions doivent être réunies pour que la délégation soit possible.
Elle doit d’abord être établie par un texte législatif ou règlementaire.
Exemple :
– Le décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 définit le régime de la délégation de signature des membres du gouvernement aux agents des administrations centrales.
Elle doit être suffisamment précise quant au contenu des matières déléguées et quant à l’identité du déléguant et du délégataire.
Exemple :
– CE, 27 mai 1991, requête numéro 104723,requête numéro 105548,requête numéro 105572,requête numéro 105768,requête numéro 106176,requête numéro 106671,requête numéro 106711,requête numéro 111211,Ville de Genève (AJDA 1991, p.690, chron. Maugüé et Schwartz ; CJEG 1991, p. 317, concl. Legal et note Cardon) : il résulte de l’article 3 du décret du 11 décembre 1963 relatif aux installations nucléaires qu’en cas de modification d’une installation, les conditions auxquelles est soumise la mise en exploitation de l’installation ainsi modifiée doivent être déterminées par décret. Plus précisément, l’article 3 du décret du 10 janvier 1989 pris en application de ce texte renvoie à des décisions ministérielles le pouvoir de mettre en exploitation la centrale sans y apporter d’autres restrictions que la durée de la mise en exploitation et son point de départ. En omettant ainsi de fixer les autres conditions auxquelles une décision de mise en exploitation est subordonnée et de définir, avec une précision suffisante, les modalités suivant lesquelles ces conditions doivent être mises en œuvre, le gouvernement a illégalement subdélégué les pouvoirs qu’il tient des dispositions précitées du décret du 11 décembre 1963. Par suite, est illégal l’article 3 du décret du 10 janvier 1989.
La délégation doit faire l’objet de mesures de publicité suffisantes. Il pourra s’agir d’une publication au journal officiel ou, pour les actes des autorités locales, dans un recueil des actes administratifs des collectivités territoriales. A défaut, les actes pris en vertu de la délégation ne seront pas opposables aux administrés.
Exemples :
– CE, 21 mai 2008, requête numéro 294711, Groupe hospitalier SUD Réunion : la décision par laquelle le directeur d’un établissement public hospitalier délègue sa signature n’entre en vigueur que si elle a fait l’objet d’une publicité suffisante. Les juges estiment que l’affichage constitue une mesure de publicité suffisante dès lors qu’il est fait sur des panneaux spécialement aménagés à cet effet et aisément consultables par les personnels et les usagers.
– CAA Nancy, 15 novembre 2007, requête numéro 06NC01331,Ville de Metz : l’arrêté de délégation est exécutoire à compter de la date de son affichage, sans qu’il soit besoin d’attendre qu’il soit publié dans le recueil des actes administratifs de la commune. Par suite, c’est à tort que le tribunal administratif a annulé le refus de titularisation d’un agent municipal au motif qu’il aurait été signé par une autorité incompétente qui ne détenait pas une délégation de signature régulière.
La preuve de la publication doit être rapportée par l’autorité qui a pris l’acte attaqué.
Exemple :
– CAA Douai, 13 novembre 2007, requête numéro 06DA01520, B. c. Université Lille II (JCPA 2008, 2114, obs. Mesmin) : il ressort des pièces du dossier que le président de l’Université de Lille II a, par arrêté du 1er mars 2004, donné à M. Y délégation pour signer « tous documents administratifs ou comptables en cas d’absence ou d’empêchement du président », comme l’y autorisait l’article L. 712-2 du Code de l’éducation. Mais si l’université soutient que cet arrêté a fait l’objet d’une publicité par voie d’affichage dans les locaux de l’université comme l’est « traditionnellement » ce type d’actes, cette affirmation est sérieusement contestée par la requérante. En s’abstenant notamment de préciser la date, la durée et le lieu exact de cet affichage et de produire toute pièce de nature à établir l’effectivité de celui-ci, l’Université de Lille II ne peut être regardée comme justifiant de la régularité de la publicité de l’arrêté de délégation du 1er mars 2004.
Enfin, la délégation doit être partielle. Dans le cas contraire, les actes pris en vertu d’une délégation de compétence ou de signature seront annulés pour incompétence. Cette règle est reprise par différents textes et notamment par l’article 21 alinéa 2 de la Constitution qui prévoit que le Premier ministre peut déléguer « certains » de ses pouvoirs.
Une condition supplémentaire est exigée lorsqu’est en cause une subdélégation : en toute logique, seul le titulaire d’une délégation de compétence peut subdéléguer, et seulement sous la forme d’une délégation de signature. En effet, comme l’a précisé à plusieurs reprises le Conseil d’Etat « le bénéficiaire d’une délégation de signature … s’il est habilité à exercer les pouvoirs du délégant, n’est pas autorisé à en disposer » (V. par ex. CE, 28 juin 1996, requête numéro 167824,Groupement français de l’hélicoptère). Quant au titulaire d’une délégation de signature, il n’a pas la possibilité de subdéléguer sa signature, sauf si un texte le prévoit expressément. Ainsi, par exemple, l’article L. 2122-23 du Code général des collectivités territoriales prévoit que « sauf disposition contraire dans la délibération portant délégation, les décisions prises en application de celle-ci peuvent être signées par un adjoint ou un conseiller municipal agissant par délégation du maire ».
b- Effets de la délégation
Il existe deux types de délégations : les délégations de compétence (ou de pouvoir), et les délégations de signature.
Dans la première hypothèse, il y a transfert de compétence d’une autorité vers une autre. Le déléguant est privé de la compétence ainsi transférée au délégataire. Pour reprendre cette compétence, il devra, en vertu de la règle du parallélisme des procédures, prendre un acte de la même nature que celui qui a réalisé le transfert. A défaut, l’acte pris par le déléguant dans l’une des matières transférées sera illégal pour incompétence de son auteur.
Dans la seconde hypothèse, le déléguant conserve sa compétence, mais il allège sa tâche en confiant au délégataire la mission de prendre certains actes. Il peut donc à tout moment décider en lieu et place du délégataire.
Il existe une autre différence majeure entre délégation de compétence et délégation de signature. Dans le premier cas, on estime que la délégation se fait d’autorité à autorité, alors qu’elle se fait de personne à personne dans le second. Par conséquent, le changement d’identité du bénéficiaire de la délégation ou du déléguant n’a pas de conséquences dans la première hypothèse, alors que cet événement met fin à la délégation de signature.
Cette distinction n’est toutefois pas valable concernant la délégation de signature des membres du gouvernement aux agents des administrations centrales telle qu’elle est organisée par le décret n°2005-850 du 27 juillet 2005. En effet, selon l’article 1er du décret « le changement de ministre ou de secrétaire d’Etat ne met pas fin … » à la délégation de signature , ce qui permet d’assurer la continuité des activités de l’exécutif . En revanche, la subdélégation consentie en application de ce décret relève du régime traditionnel des délégations de signature.
Par ailleurs, il convient de mentionner l’hypothèse particulière de la « délégation de fonctions » visée par le Code général des collectivités territoriales. Cette technique permet au maire, au président du conseil départemental ou du conseil régional de déléguer « sous sa surveillance et sa responsabilité … une partie de ses fonctions » à un ou plusieurs adjoints ou vice-présidents, voire à de simples conseillers ( CGCT , art. L. 2122-18, art. L. 3221-3 et art. L. 4231-3). Elle présente des traits communs à la fois avec la délégation de compétence et avec la délégation de signature. Comme la délégation de compétence elle permet de transférer un certain nombre de compétences à l’autorité déléguée. Elle a également pour effet de dessaisir l’autorité délégante de ses compétences pour les matières déléguées. Mais d’un autre côté, la délégation de fonctions se fait de personne à personne. Elle va donc tomber en cas de changement de la personne du déléguant ou du délégataire, ce qui rapproche cette technique de la délégation de signature.
2° Suppléance et intérim
La suppléance et l’intérim constituent deux mécanismes qui permettent de pallier l’absence ou la cessation de fonctions du titulaire normal d’une compétence.
C’est la suppléance qui entraîne les effets les plus complets : le suppléant assure de plein droit les mêmes fonctions que la personne qu’il supplée (CE, 29 janvier 1955, Mollaret : Rec. p.61). Cependant, cette solution ne peut être mise en œuvre que lorsqu’elle a été prévue par un texte.
Exemples :
– L’article L. 2122-17 CGTT du Code général des collectivités territorialesprévoit qu’en cas d’absence, de révocation ou d’empêchement du maire, celui ci est suppléé par un adjoint.
– L’article 65 de la Constitution précise que le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République. Le ministre de la Justice en est le vice-président de droit et il peut suppléer le Président de la République.
La mise en œuvre d’une suppléance est susceptible de poser un certain nombre de problèmes au contentieux.
Exemple :
– CE Sect., 30 décembre 2010, requête numéro 329513, Robert (AJDA 2011, p.4) : le ministre de la Justice, qui assurait la présidence de la séance du Conseil supérieur de la magistrature et qui, en sa qualité de suppléant, exerçait la plénitude des attributions relevant du Président de la République et pouvait notamment décider de surseoir à l’examen d’un point inscrit à l’ordre du jour, a différé l’examen du projet de nomination du requérant en qualité d’avocat général à la Cour de cassation. En conséquence est irrégulière la nomination par le président de la République qui n’a pas été précédée de l’avis du Conseil supérieur de la magistrature.
En l’absence de texte législatif ou règlementaire organisant la suppléance c’est la solution de l’intérim qui est appliquée. L’intérim résulte soit d’une décision spéciale de l’autorité supérieure qui organise ainsi son remplacement, soit d’une adaptation ponctuelle à un empêchement de l’autorité normalement compétente. Il peut également être prévu par un texte.
Exemple :
– L’article R. 222-19-2 du Code de l’éducation prévoit que « en cas de vacance momentanée du poste de recteur, le secrétaire général d’ académie assure l’intérim ».
L’interim doit nécessairement être de brève durée (CE, 6 février 1970, Association des administrateurs civils du ministère du Travail : AJDA 1970, p. 506, note V. S.) prend fin dès que le titulaire d’une fonction est en mesure d’occuper effectivement son emploi.
Exemple :
– CE Ass., 31 octobre 1980, requête numéro 11629, requête numéro 11692, requête numéro 11733, requête numéro 11739, Fédération de l’éducation nationale et a. (Rec. p. 394 ; RDP 1981, p. 499, concl. Franc ; JCP G 1983, II, 20003, note Auby) : en conférant au garde des Sceaux, par un décret du 18 janvier 1978, les pouvoirs du Premier ministre que « celui-ci n’exercera pas en raison de son absence », le Président de la République a pris les dispositions nécessaires pour assurer la continuité de l’action gouvernementale. Ce texte n’est contraire à aucune disposition de la Constitution. Par suite, le garde des Sceaux est compétent, en application de ce décret du 18 janvier 1978, pour signer un décret.
II- Compétence ratione loci
Une décision administrative doit être prise par l’autorité localement compétente, ce qui peut soulever ponctuellement un certain nombre de difficultés.
Exemple :
– CE Sect., 9 mai 1980, requête numéro 15533,Commune de Champagne-de-Blanzac (Rec. p. 221 ; Dr. adm. 1980, 208 ; AJDA 1981, p. 103, note Bélanger.- V. également CAA Douai, 25 mai 2004, requête numéro 01DA00413, Marin : JCPA 2004, 1474, note Moreau) : la police de la circulation sur une voie communale dont l’axe délimite les territoires de deux communes doit être exercée en commun par les maires de ces communes, et la règlementation doit être édictée sous forme, soit d’arrêtés concordants signés par chacun d’eux, soit d’un arrêté unique signé par les deux maires.
En principe, l’autorité administrative ne peut intervenir que dans le cadre de sa circonscription, mais il existe des exceptions. Ainsi, une commune peut agir sur le territoire d’une autre commune sur le territoire de laquelle elle possède un bien. Cette hypothèse concerne essentiellement les cimetières (CE, 15 mai 1914, Commune de Livry : Rec. p. 514.- CE Sect., 18 février 1972, requête numéro 77277, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de Haute-Garonne : JCP G 1973, II, 17446, note Bouyssou). Il a également été reconnu qu’une commune peut décider de recourir à la procédure d’expropriation en vue d’implanter un ouvrage public sur le territoire d’une autre commune, si elle ne dispose pas sur son territoire des terrains nécessaires à cette implantation (CE Sect., 6 mars 1981, requête numéro 00120, Association de défense des habitants du quartier de Chèvre-Morte et a. Rec. p.125 : AJDA 1981, p. 250, chron. Feffer et PinaultRev. adm. 1981, p. 600, concl. Labetoulle ; RDP 1981, p. 600, concl. Labetoulle et p. 1695, note Auby ; D. 1981, inf. rap. p. 281, obs. Delvolvé).
III- Compétence ratione temporis
L’auteur de l’acte doit être compétent à la fois au jour de la signature de l’acte et au jour de l’entrée en vigueur de cet acte et ces deux dates doivent être séparées par un délai raisonnable. Dans la pratique, l’application de ces principes pose trois problèmes majeurs.
A- Décisions prises par des autorités non encore investies ou qui ont cessé d’être investies
Une autorité ne peut jamais exercer sa compétence avant son investiture officielle. L’effet de l’investiture part, dès lors qu’est en cause un acte individuel favorable à son destinataire, à compter de la signature de l’acte de nomination, et non pas à compter de la publication de cet acte (CE Sect., 10 janvier 1958, Deville : Rec. p. 27).
Pour ce qui concerne les autorités qui ont cessé d’être investies, la règle est moins rigoureuse ce qui s’explique par la nécessité d’assurer la continuité du service public, jusqu’à la prise de fonction par le successeur de l’autorité concernée.
Dans certains cas, la compétence de l’autorité anciennement investie est expressément prévue par un texte.
Exemple :
-L’article L. 2122-15 du Code général des collectivités territoriales prévoit que « le maire et les adjoints continuent l’exercice de leurs fonctions jusqu’à l’installation de leurs successeurs ».
Dans tous les cas qui ne sont pas réglés par un texte, il résulte de la jurisprudence que l’autorité qui n’est plus investie peut procéder à la gestion des affaires courantes. C’est notamment le cas dans l’hypothèse d’un changement de gouvernement ou d’un remaniement ministériel.
Exemples :
– Des précisions sur la notion d’affaires courantes ont été apportées par le Conseil d’Etat dans un arrêt d’Assemblée du 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie pour l’hypothèse précise d’un gouvernement démissionnaire (Rec. p.210 ; S. 1952, III, p.49, concl. Delvolvé ; RDP 1952, p.1029, note Waline; JCP 1952, II, 7138, note Vedel; Gaz. Pal. 1952, I, p.261, concl. Delvolvé). Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement Delvolvé a ainsi distingué trois types d’affaires : les affaires courantes par nature qui ne présentent aucune particularité par rapport à la masse des affaires traitées et qui peuvent être réglées par un gouvernement démissionnaire ; les affaires importantes qui ne peuvent être réglées qu’en cas d’urgence par un gouvernement démissionnaire ; « les grands règlements statutaires et les règlements modifiant les dispositions légales ou les droits reconnus par la loi » qui ne peuvent jamais être pris par un gouvernement démissionnaire. En l’espèce était contesté un décret d’application d’une loi, celle-ci prévoyant qu’un tel décret d’application pouvait étendre ses dispositions à l’Algérie et éventuellement en adapter le contenu. Cet acte relevant de la troisième catégorie, son auteur était donc incompétent.
– CE, 23 décembre 2011, requête numéro 348647, requête numéro 348678, Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration (préc.) : l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale, à la suite du renouvellement général des conseils municipaux des communes membres de cet établissement, ne peut que gérer les affaires courantes jusqu’à l’installation du nouvel organe délibérant. Cependant, les circonstances que la procédure de passation d’un marché avait été engagée antérieurement aux élections municipales et que la commission d’appel d’offres avait émis un avis favorable, ne permettaient à elles seules de regarder la conclusion du marché litigieux comme relevant de la gestion des affaires courantes.
B- Décisions anticipées et décisions tardives
L’auteur d’une décision ne peut prévoir une date d’entrée en vigueur trop lointaine. En effet, dans un tel cas, l’autorité anticipe sur sa compétence future. Le juge administratif estime donc qu’il s’agit d’un cas d’incompétence ratione temporis.
Exemple :
–CE, 24 décembre 1926, Sylvain (Rec., p. 1138) : est illégale une décision de mise en retraite qui ne doit entrer en vigueur qu’un an après son édiction.
– CE, 31 janvier 1986, requête numéro 56445, Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation : un arrêté d’expulsion pris à l’égard d’un étranger incarcéré en France et qui doit encore y subir deux ans d’emprisonnement n’est pas entaché d’illégalité pour erreur de droit du fait de sa précocité, dès lors que la décision est suffisamment motivée au regard de la loi du 11 juillet 1979 et qu’elle n’est pas fondée sur le seul fait de la condamnation pénale, mais résulte de l’examen complet du cas de l’intéressé.
De même, une circulaire qui fait connaître aux préfets, avant l’adoption de textes législatifs ou réglementaires, les modifications que le gouvernement entend apporter aux textes en vigueur « doit être regardée comme ayant elle-même édicté, à la date où elle a été signée, des dispositions relevant du domaine de la loi ou du décret qui (n’ont) pas encore été adoptées et se trouve donc entachée d’incompétence » (CE, 9 juillet 1997, requête numéro 183880, Office public d’HLM de Saint-Priest).
En revanche, sauf disposition expresse dans ce sens, les délais impartis par un texte à une autorité administrative pour prendre ses mesures d’application ne sont pas prescrits à peine de nullité.
Exemple :
-CE ; 23 octobre 1992, requête numéro 138187, Diemert (Rec. p. 374, concl. Legal ; AJDA 1992, p.785, chron. Maugüé et Schwartz) : si le législateur a manifesté sa volonté que le gouvernement prenne, avant la date fixée par la loi, les mesures nécessaires pour que le permis à points puisse être effectivement appliqué à l’échéance qu’il a fixée, il n’a pas entendu décider que la loi ne sera pas appliquée, au cas où le gouvernement ne prendrait pas de décret dans le délai prévu. Il en résulte que le gouvernement n’était pas incompétent pour prendre le décret litigieux au-delà de ce délai.
C- Décisions rétroactives
Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que « sauf en matière pénale, la loi peut comporter des dispositions rétroactives » (CC, 22 juillet 1980, DC numéro 80-119, Loi portant validation d’actes administratifs, préc.). Elle peut également valider implicitement la rétroactivité des décisions administratives (CE, 30 janvier 1952, Syndicat de la boulangerie d’ Indre-et-Loire : Rec. p. 72).
Cette hypothèse mise à part, le Conseil d’Etat a estimé, dans son arrêt d’Assemblée du 25 juin 1948 Société du journal l’Aurore, qu’il existe un principe général du droit « en vertu duquel les règlements ne disposent que pour l’avenir » (requête numéro 94511: Rec. p. 289 ; S. 1948, III, p. 69, concl. Letourneur ; D. 1948, jurispr. p. 437, note Waline ; JCP G 1948, II, 4427, note Mestre). Puisqu’il s’agit d’un principe général du droit, que l’on peut aujourd’hui rattacher au principe plus large de sécurité juridique, cette règle s’impose à l’administration sauf dans l’hypothèse où un texte de loi l’habilite à y déroger.
Exemple :
–CE, 23 mars 2005, requête numéro 261252, requête numéro 261253, requête numéro 261940, requête numéro 261941, requête numéro 261942, requête numéro 261943, Smart (AJDA 2005, p. 1309) : est entachée de rétroactivité illégale une circulaire définissant de nouvelles règles de calcul d’exonérations partielles de frais de scolarité prise postérieurement au début de l’année scolaire à laquelle elle s’applique. L’irrégularité de la circulaire est invocable à l’encontre des décisions individuelles qui l’ont appliquée.
Toutefois, l’existence de dispositions rétroactives n’entraîne pas nécessairement l’annulation de tout l’acte administratif incriminé, mais seulement des dispositions qui lui confèrent un effet rétroactif.
Exemple :
–CE, 10 février 1995, requête numéro 78545,Royer et Magnat (Rec. p. 642) : un arrêté recrutant un agent contractuel, qui fixe son entrée en vigueur à une date antérieure à celle de son édiction, comporte un effet rétroactif illégal. Il est annulé mais seulement en tant qu’il s’applique rétroactivement.
Par ailleurs, le principe de rétroactivité ne s’oppose pas à une application immédiate des règlements. Comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans l’arrêt de Section Angeli du 11 décembre 1998 « si la situation présente a été définitivement constituée dans le passé, l’application de mesures nouvelles relatives à la constitution même de cette activité ne constituerait pas une application immédiate, mais comporterait rétroactivité » (requête numéro 170717 : Rec. p. 46, concl. Lamy ; CJEG 1999, p. 134, concl. Lamy). Si une règlementation nouvelle peut s’appliquer aux prolongements actuels d’une situation constituée sous l’empire d’une règlementation ancienne, elle ne peut donc s’appliquer à la constitution de cette situation.
Exemple :
–CE, 28 juillet 1989, requête numéro 93722, Biscay : un décret est applicable aux demandes formées avant son entrée en vigueur dès lors que la décision qui en résulte est née postérieurement à cette date.
En outre, comme l’a précisé le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt Lacroix du 13 décembre 2006« l’exercice du pouvoir règlementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu’il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes, puissent invoquer un droit au maintien de la règlementation existante …. en principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s’appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs » (requête numéro 287845 , préc. ) Cependant, pour préserver les intérêts publics ou privés d’une atteinte excessive, il appartient à « l’autorité investie du pouvoir règlementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s’imposent à elle, d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, cette règlementation nouvelle … il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ». Il s’agit ici d’une application du principe de sécurité juridique (CE Ass., 24 mars 2006, requête numéro 288460, requête numéro 288465, requête numéro 288474, requête numéro 288485, Société KPMG, préc.).
Il existe enfin un certain nombre d’exceptions au principe de non rétroactivité prévues par la jurisprudence. En particulier, le Conseil d’Etat admet aujourd’hui la possibilité de régulariser les décisions administratives entachées d’un vice de forme ou de procédure (CE Sect., requête numéro 363047, Commune d’Emerainville, préc.). Il peut également admettre la rétroactivité d’actes administratifs dans des cas où ne pas l’admettre conduirait à des difficultés inextricables (V. ainsi admettant la rétroactivité de nouveaux tarifs applicables aux usagers d’un service de distribution d’eau auxquels les tarifs initiaux n’avaient pu être appliqués suite à une décision juridictionnelle les déclarant illégaux CE, 28 avril 2014, Anschling, requête numéro 357090).
IV- Dérogations exceptionnelles aux règles de compétence : la jurisprudence des fonctionnaires de fait
Lorsqu’un acte est pris par une personne extérieure à l’administration, cet acte est en principe considéré comme illégal en raison de l’incompétence de son auteur.
Cependant, une position trop stricte sur ce point pourrait présenter de graves inconvénients, puisqu’elle peut aboutir à la remise en cause de situations qui paraissaient acquises, pour les bénéficiaires de la décision comme pour les tiers.
Pour éviter de tels inconvénients, la jurisprudence a prévu deux types d’aménagements.
Le premier aménagement concerne le cas de l’annulation par le juge administratif de l’acte désignant une autorité administrative. L’annulation d’un acte administratif ayant un effet rétroactif, tous les actes pris par l’autorité concernée devraient être anéantis. Le Conseil d’Etat, pour des raisons évidentes d’opportunité, a toutefois adopté une règle contraire en vertu de laquelle les actes pris par l’autorité dont l’acte de désignation a été annulé subsistent, lorsqu’ils sont intervenus avant la date du jugement devenu définitif (CE, 2 novembre 1923, Association des fonctionnaires de l’administration centre des postes et télégraphes : Rec. p.699).
Exemple :
– CE, 16 mai 2001, requête numéro 231717,Préfet de police c. Mtimet (AJDA 2001, chron. Guyomar et Collin, p. 643 et p.672, note Legrand ; Dr. adm. 2001, 178, note Laurent ; JCP G 2001, 344, obs. Aubin ; RDP 2001, p. 645, note Prétot ; AJFP janvier 2002, p. 27, étude Traoré ; Droit et Défense 2001, n° 3, p. 29, note de la Burgade) : un arrêté de reconduite à la frontière n’est pas illégal du seul fait que le préfet de police qui en est l’auteur avait été maintenu en fonctions au-delà de la limite d’âge.
Dans de telles hypothèses, les juges plutôt que de se référer à la théorie des fonctionnaires de fait, peuvent choisir de moduler dans le temps les effets de décision annulant une nomination ou une élection, conformément à la jurisprudence Association AC ! (CE Ass., 11 mai 2004, requête numéro 255886, préc.). Dans un arrêt Sire du 12 décembre 2007, le Conseil d’Etat a ainsi considéré que si « l’irrégularité de la nomination d’un magistrat est de nature à entraîner la nullité des jugements et procédures auxquels il a concouru … compte tenu de la nature du motif d’annulation retenu et alors qu’aucun autre moyen n’est de nature à justifier l’annulation prononcée par la présente décision, l’annulation rétroactive de la nomination de M. Sire porterait, eu égard à la nature et à la durée des fonctions qu’il a exercées en qualité de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Narbonne, une atteinte manifestement excessive au fonctionnement du service public de la justice » (requête numéro 296072 : Rec. p. 471 ; AJDA 2008, p. 368, concl. Guyomar; AJFP 2008, p. 172, note Gueguen).
Le second aménagement concerne l’hypothèse d’une personne totalement étrangère à l’administration. Dans des circonstances exceptionnelles, le juge considèrent que les actes pris par ces personnes sont des actes administratifs et qu’ils permettent notamment d’engager la responsabilité de l’administration.
Exemple :
– CE Ass., 7 janvier 1944, Lecocq (Rec. p.5 ; JCP 1944, II, 2663, note Charlier ; RDP 1944, p.331, concl. Léonard, note Jèze.- V. également CE, 5 mars 1948, Marion : Rec. 1948, p. 113 ; D. 1949, p. 147 ; S. 1948, 3, p. 53, note Calon) : pendant la débâcle, des habitants de la ville de Fécamp ont constitué un comité local d’administration de la ville. Ce comité a décidé de la réouverture de commerces, désigné des gérants pour ces commerces et créé une taxe sur les ventes. Ces actes sont considérés comme légaux par le Conseil d’Etat, compte tenu des circonstances exceptionnelles durant lesquelles ils ont été élaborés.
§II- Procédure d’adoption des actes administratifs unilatéraux
La procédure d’adoption des actes administratifs unilatéraux peut être fixée par des textes. A défaut, l’administration devra respecter un certain nombre de règles qui ont été fixées par la jurisprudence.
Longtemps dispersées dans différents textes, de nombreuses règles applicables à la procédure d’adoption des actes administratifs ont été regroupées dans le Code des relations entre le public et les administrations créé par l’ordonnance n°2015-1341 du 23 octobre 2015.
La procédure d’élaboration de l’acte peut donner lieu, le cas échéant, à des consultations et à des enquêtes préalables. Qui plus est, pour ce qui concerne certains types de décisions, l’autorité compétente sera tenue de respecter le principe du contradictoire.
I- Consultations préalables
Il existe deux types de consultations préalables : celles qui présentent un caractère facultatif et celles qui sont obligatoires.
A- Consultations facultatives
Une autorité peut toujours s’assurer de tous les avis qu’elle juge opportuns, et cela même si ces avis ne sont pas prévus par des textes. A partir du moment où elle s’est elle-même astreinte à cette formalité elle est tenue de respecter une procédure régulière. Si tel n’est pas le cas, et si l’avis a influencé le sens de la décision, celle-ci sera annulée pour vice de procédure.
Exemples :
– CE, 25 février 1998, requête numéro 150708, requête numéro 150819, Commune d’Evreux (Rec. p.696) : dès lors que le maire d’une commune, alors même qu’aucune disposition législative ou règlementaire ne lui en fait obligation, a constitué, en vue de l’élaboration d’un projet de plan d’occupation des sols révisé, un groupe de travail, ce groupe ne peut siéger valablement que si le quorum de ses membres est atteint. Or, lors de l’unique réunion du groupe, moins de la moitié des personnes convoquées étaient présentes et des personnes qui n’étaient pas membres de ce groupe ont participé à la réunion. Ces irrégularités sont susceptibles d’avoir exercé une influence sur la délibération du conseil municipal et entachent donc d’illégalité la décision arrêtant le projet de révision du plan d’occupation des sols de la commune.
– CE, 5 septembre 2008, requête numéro 301506, requête numéro 301668, Société Seroba, ministre du Travail : en l’absence de changement dans les circonstances de fait ou de droit, un inspecteur du travail peut prendre une nouvelle décision relative à l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé sans procéder à nouveau à l’enquête contradictoire prévue par l’ancien article R. 463-4 du Code du travail. Cependant, dès lors qu’il procède à une nouvelle enquête, celle-ci doit être conduite dans des conditions régulières.
Cette solution a été consacrée par l’article 70 de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit selon lequel « lorsque l’autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d’un organisme, seules les irrégularités susceptibles d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l’avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l’encontre de la décision ». La loi ne distingue plus, comme le faisait auparavant la jurisprudence, les vices non substantiels, qui ne pouvaient jamais entraîner l’annulation de la décision contestée, des vices substantiels qui entraînaient l’annulation de la décision, dès lors que les irrégularités soulevées avaient eu une influence sur la décision prise.
On rappellera que le dans son arrêt d’Assemblée Danthony du 23 décembre 2011 (requête numéro 335033, préc. – V. par ailleurs supra p. 202 ) le Conseil d´Etat a considéré qu’il existe un principe dont s’inspire la règle énoncée par l’article 70 selon lequel : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ».
Une solution identique à celle susvisée s’applique dans les cas où il apparaît que le manquement à une règle de procédure n’a pas privé les personnes intéressées des garanties auxquelles elles avaient le droit.
Exemple :
– CE, 18 mai 2005, requête numéro 256017, M. Mourad X. : il ressort du 2° de l’article 24 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 que le directeur des affaires sanitaires et sociales n’est pas au nombre des personnes qui composent la commission d’expulsion. Dès lors, l’absence du directeur départemental des affaires sanitaires et sociales lors de la réunion de la commission, à laquelle il n’est pas contesté qu’il avait été dûment convoqué, n’entache pas l’avis de la commission d’expulsion d’un vice de procédure substantiel.
De même, le non respect d’une règle de procédure n’est pas sanctionné, dès lors que le respect de cette règle s’est avéré impossible au cas d’espèce.
Exemple :
– CE, 29 juillet 1994, requête numéro 135097, Commune de Grand-Bourg-de-Marie-Galante : si le délai de deux mois imparti au conseil de discipline pour donner son avis n’est pas prescrit à peine de nullité, la carence de ce conseil ne saurait avoir pour effet de priver le maire du pouvoir d’exercer ses attributions en matière disciplinaire.
Sur le fond, lorsque l’administration se conforme à une procédure consultative alors qu’elle n’y était pas obligée, elle reste libre d’apporter au projet de texte qu’elle avait soumis volontairement pour avis toutes les modifications, même substantielles, qu’elle souhaite, sans être contrainte de soumettre de nouveau le projet à l’instance sollicitée (CE Sect., 15 mars 1974, requête numéro 85703, Syndicat national CGT-FO des fonctionnaires et agents du commerce intérieur et des prix : Rec. p. 188 ; AJDA 1974, p. 432, chron. Boyon et Franc.- CE, 4 juin 2012, requête numéro 351976, Société BT France : AJDA 2013. 1733, chron. Domino et Bretonneau).
Enfin, il faut relever qu’une autorité administrative peut renoncer à la consultation en prenant sa décision sans attendre que l’avis ait été formulé (CE Sect., 28 avril 1967, Fédération nationale des syndicats pharmaceutiques: Rec. p. 180 ; AJDA 1967, p. 401, concl. Galabert).
B- Consultations obligatoires
Dans l’hypothèse où la consultation est rendue obligatoire par un texte, deux cas de figure doivent être envisagés : l’avis rendu peut être facultatif ou bien l’autorité qui le sollicite doit s’y conformer. Par ailleurs, l’article 16 de la loi du 17 mai 2011, dont les dispositions sont désormais reproduites dans le Code des relations entre le public et l’administration, permet de substituer, dans certains cas, un mécanisme de consultation ouverte aux consultations obligatoires.
1° Avis facultatif
Lorsque l’avis rendu a un caractère facultatif, l’accomplissement régulier de la formalité de consultation est suffisant.Les modalités de fonctionnement des commissions facultatives sont désormais visées par les articles R. 133-3 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration. Toutefois, elles peuvent également résulter de règles particulières applicables à des organes consultatifs en particulier.
Dans les cas où la consultation est régulière, un problème est toutefois susceptible d’intervenir concernant le délai entre la date à laquelle l’avis a été rendu et celle de la décision.
Exemple :
– CE, 2 octobre 1996, requête numéro 91296, Ministre de l’intérieur c. Consorts Hottinguer (Rec. p. 950 ; Dr. adm. 1996, 533, obs. L.T.- comp. CE, 3 février 2016, requête numéro 387140, Bordeaux Métropole) : le service des domaines doit être obligatoirement consulté dans le cadre d’une procédure d’expropriation avant que l’opération ne soit déclarée d’utilité publique. Cependant, l’avis rendu, qui concerne la valeur des biens à exproprier, a une portée facultative. Dans cette affaire, il s’est écoulé onze ans entre la date de l’avis et l’acte portant déclaration d’utilité publique. Le Conseil d’Etat décide que le changement de circonstances de droit et de fait nécessitait que soit requis un nouvel avis. En effet, la règlementation en matière d’urbanisme avait changé ainsi que la valeur des terrains. Par conséquent, l’acte portant déclaration d’utilité publique est annulé.
La principale hypothèse de consultation obligatoire débouchant sur un avis consultatif concerne les décrets en Conseil d’Etat, qui s’opposent à la catégorie des décrets simples. Ces décrets sont facilement identifiables par la mention « le Conseil d’Etat entendu » et ils se rencontrent dans quatre hypothèses :
– En application de l’article 37 alinéa 2 de la Constitution les textes de forme législative antérieurs à 1958, et qui relèvent désormais du domaine du règlement, peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d’Etat ;
– En application d’une loi qui précise que ses décrets d’application doivent être pris sur avis du Conseil d’Etat ;
– En application d’un décret qui renvoie lui-même à de futurs décrets en Conseil d’Etat ;
– En raison de la volonté du gouvernement lorsqu’il souhaite donner une certaine solennité à un texte qui lui paraît particulièrement important. Mais il s’agit ici d’une hypothèse de consultation facultative qui obéit, par conséquent, aux règles susvisées.
Lorsque la consultation du Conseil d’Etat, ou d’une autre autorité, est obligatoire en vertu d’une disposition formelle, le défaut de consultation rend le décret illégal (CE Ass., 3 juillet 1998, requête numéro 177248, requête numéro 177320, requête numéro 177387, Syndicat national de l’environnement CFDT : Rec. p. 272 ; AJDA 1998, p. 780, chron. Raynaud et Fombeur ; JCP G 1999, I, 128, chron. Petit ; RFDA 1998, p. 1059 ; LPA 12 janvier 1999, n° 8, note Moniolle. – CE, 24 mai 2000, requête numéro 204657, Conseil supérieur de l’administration de biens : Dr. fisc. 2000, 40, 742 ; RJF 2000, 976).
Si l’autorité compétente peut retenir un texte qui diverge de l’avis rendu, il ne peut s’agir d’un texte différent de celui dont l’autorité qui doit émettre l’avis a été saisie. La consultation sera considérée comme régulière lorsqu’elle a porté sur l’ensemble des questions traitées par le texte définitif (CE, 26 janvier 2007, requête numéro 276928, Syndicat professionnel de la géomatique préc. : Contrats – marchés publics, 2007, 67, note Zimmer ; Droit adm. 2007, 67, note Marson ; AJDA 2007, p.244, note Nicinski ; LPA 16 mars 2007, 55, note Glatt.- V. également à propos de la consultation d’un comité technique paritaire : CE, 12 mars 2007, requête numéro 277979, Syndicat national de l’environnement). Dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l’autorité compétente pour prendre le texte envisage d’apporter à son projet des modifications qui posent des nouvelles questions, elle doit procéder à une nouvelle consultation de cet organisme Conseil d´Etat, Ass, 23 octobre 1998, Union des fédérations CFDT, requête numéro 169797: rec. p.360– Conseil d´Etat, Sect., 5 novembre 2014, Ceccaldi, requête numéro 378140, rec. p.324 concl. Bretonneau ; AJDA 2014, p. 2419, chron. Lessi et Dutheillet de Lamothe). mais seulement si ces modifications posent des questions nouvelles (CE Ass., 23 octobre 1998, requête numéro 169797, Union des fédérations CFDT : Rec. p. 360). Par ailleurs, l’autorité compétente peut retenir, sur certains points, le texte initial de son projet et faire siennes, sur d’autres points, les modifications souhaitées par l’autorité consultée (CE, 16 octobre 1968, Union nationale des grandes pharmacies de France et a. : Rec. p. 488).
2° Avis conforme
Dans certains cas, l’autorité qui sollicite l’avis a l’obligation de s’y conformer. Dans ces hypothèses on peut pratiquement considérer que l’institution qui rend l’avis possède en réalité un véritable pouvoir de codécision, celle-ci ne pouvant intervenir sans son aval.
Exemple :
– Les articles L. 521-1 et L. 522-1 du Code de l’expropriation précisent que la procédure d’expropriation d’extrême urgence, qui limite les garanties des personnes expropriées, doit faire l’objet d’un décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat.
3° Consultations ouvertes
Selon l’article L. 132-1 du Code des relations entre le public et l’administration, qui reprend l’essentiel des dispositions de l’article 16 de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 « lorsque l’administration est tenue de procéder à la consultation d’une commission consultative préalablement à l’édiction d’un acte réglementaire, elle peut décider d’organiser une consultation ouverte permettant de recueillir, sur un site internet, les observations des personnes concernées ». Dans ce cadre, les commissions administratives qui auraient dû normalement être saisies peuvent toutefois formuler un avis dans le cadre de la procédure de consultation ouverte.
L’autorité qui organise la consultation ouverte est tenue d’assurer l’information des personnes concernées ainsi que la publication des résultats de la consultation sous la forme d’une synthèse des observations formulées.
En principe, cette consultation ouverte se substitue à la consultation obligatoire. Plusieurs interdictions du recours aux consultations ouvertes sont toutefois prévues : pour les consultations d’autorités administratives indépendantes prévues par les textes législatifs et réglementaires ; pour les procédures d’avis conforme ; pour celles qui concernent l’exercice d’une liberté publique, constituent la garantie d’une exigence constitutionnelle, traduisent un pouvoir de proposition ou mettent en œuvre le principe de participation.
Enfin, il est également possible d’organiser une consultation ouverte sur internet sans que celle-ci ne se substitue à la consultation d’une commission, ce qui peut être utile en vue d’une meilleure association du public au processus de décision.
Le régime juridique applicable aux consultations ouvertes a été précisé par le Conseil d’Etat dans un arrêt d’Assemblée du 11 juillet 2016, Association citoyenne « Pour Occitanie Pays Catalan » et a. (requête numéro 403928 : AJDA 2017, p. 1662, chron. Odinet et Roussel ; Dr. adm. 2017, 49, note Eveillard ; JCP A 2017, act. 515 ; JCP A 2017, 2228, concl. Daumas JCP G 2017, 942, note Testard ; Procédures 2017, 253, note Chifflot). Les juges ont d’abord considéré que cette procédure pouvait être utilisée pour demander aux personnes consultées d’exprimer un choix parmi plusieurs propositions qui leur sont formulées, alors même qu’il existe dans les textes ses procédures de référendum local (CGCT, art. LO. 1112-1) et consultation locale (CGCT, art. L. 1112-15) qui sont susceptibles de remplir la même fonction. D’un point de vue procédural, aux garanties prévues par le Code des relations entre le public et l’administration, dont la portée est précisée, le Conseil d’Etat ajoute une exigence de respect des principes d’égalité et d’impartialité, dont il découle que la consultation doit être sincère. Enfin, dans l’hypothèse où la consultation ouverte serait entachée d’un vice de procédure, dans la droite ligne de la jurisprudence Danthony (V. supra p.202), « il appartient au juge administratif, avant d’en tirer les conséquences sur la légalité de l’acte pris à l’issue de la procédure comportant cette consultation, d’apprécier si elle a privé les intéressés d’une garantie ou a été susceptible d’exercer une influence sur l’acte attaqué ».
II- Enquêtes préalables
Ce sont des opérations destinées à compléter les informations de l’administration avant la prise de décision. Elles vont lui permettre de réaliser une consultation la plus large possible de toutes les personnes intéressées par cette décision.
Exemple :
– L’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique permet d’informer les intéressés sur la nature du projet qui nécessite des expropriations. Le Code de l’expropriation et le Code de l’environnement prévoient une procédure très complexe et très formaliste en la matière dont le non respect permet de faire annuler les actes subséquents pris par l’autorité administrative compétente.
III- Principe du contradictoire
Longtemps, le caractère contradictoire de la procédure d’élaboration de certaines décisions administratives était garanti à la fois par un principe général du droit et par une disposition législative issue de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000, dont le champ d’application et les modalités de mise en œuvre se recoupaient en partie. Le Code des relations entre le public et l’administration, tout en reprenant l’essentiel des acquis du droit positif a voulu clarifier et homogénéiser les règles applicables en les regroupant dans un texte unique. Il conviendra également de mentionner que pour l’élaboration de certaines sanctions administratives, les règles du procès équitable doivent être respectées, ce qui renforce encore les exigences.
A- Droit de présenter des observations avant l’intervention de certaines décisions
On évoquera le champ d’application du principe du contradictoire avant d’aborder la question de la mise en œuvre de ce principe.
1° Champ d’application du principe du contradictoire
A la différence de la procédure juridictionnelle, la procédure administrative non – contentieuse ne présente pas, en principe, un caractère contradictoire. Ceci signifie que les personnes intéressées n’ont pas la possibilité d’imposer à l’auteur d’un acte administratif de les entendre avant l’adoption de cet acte.
Cependant, cette règle connaît une exception importante, dans le cas où il est reconnu aux administrés le droit de présenter des observations avant l´intervention de la décision.
C’est d’abord dans la jurisprudence du Conseil d’Etat qu’est apparu ce droit sous la forme d’un principe général du droit. Ce principe résulte d’une extrapolation par le Conseil d’Etat des obligations imposées à l’administration par la loi du 22 avril 1905. Cette loi – qui avait été adoptée suite à “l’affaire des fiches” qui avait consisté à répertorier les opinions politiques et religieuses dans l’armée française en vue de favoriser la promotion d’officiers républicains. Elle prévoit que « tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d’être l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’un déplacement d’office, soit avant d’être retardé dans leur avancement à l’ancienneté. Il s’agit de lui permettre de connaître les griefs qui lui sont reprochés et d’organiser sa défense devant l’administration puis, en cas de sanction, devant le juge.
Comme on le voit, le champ d’application de ce texte était doublement limité : il ne bénéficie qu’aux seuls fonctionnaires et il ne concerne que des hypothèses de sanction.
Le Conseil d’Etat s’est pourtant inspiré de ce texte était pour dégager un principe général du droit qui est susceptible de s’appliquer, même sans texte, à l’ensemble des administrés, à l’occasion de son arrêt de Section du 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier (préc.).
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat était saisi d’un recours dirigé contre une décision du préfet de la Seine retirant une autorisation d’exploiter un kiosque à journaux au motif que sa titulaire aurait voulu extorquer des fonds à son gérant. Le Conseil d’Etat annule cette décision au motif que le préfet a commis une violation des droits de la défense. En effet, « eu égard à la gravité de cette sanction, une telle mesure ne pouvait légalement intervenir sans que la dame veuve Trompier-Gravier eût été mise à même de discuter les griefs formulés contre elle ».
Cette solution a ensuite été confirmée par l’arrêt d’Assemblée Aramu du 26 octobre 1945 lequel, à la différence de l’arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier, se réfère expressément à la notion de principe général du droit (préc.). Elle a reçu une consécration constitutionnelle avec la décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 1990, Loi de finances pour 1991 (numéro 90-285 DC : JO, 30 décembre 1990, p. 1609 ; AJDA 1991, p. 475, note Prétot ; RDP 1991, p.136, note Philip et p.145, note Favoreu).
A l’époque des arrêts Dame Veuve Trompier-Gravier et Aramu, le principe du respect des droits de la défense ne concerne que les décisions de sanction.
La jurisprudence a ensuite étendu ce principe à l’ensemble des mesures prises en considération de la personne ou pour des motifs relatifs à la personne, qu’il s’agisse ou non d’une sanction.
Exemples :
– CE Sect., 9 décembre 1955, Garysas (Rec. p.585 ; AJDA 1956, p.46 ; RDP 1956, p.330, note Waline) : le principe du respect des droits de la défense a vocation à s’appliquer à une décision de licenciement pour cause d’insuffisance professionnelle.
– CE, 6 avril 1992, requête numéro 119653, Procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Aix-en -Provence c. Pirozzelli (Rec. p. 150 ; RFDA 1992, p. 609) : la décision par laquelle le procureur de la République retire l’agrément donné à un agent de police municipale est prise en considération de la personne de l’intéressé. Elle ne peut donc intervenir sans que l’intéressé ait pu présenter ses observations.
Plus généralement le principe du respect des droits de la défense a vocation s’appliquer à des décisions individuelles qui ne constituent pas des sanctions, mais qui ont des conséquences négatives sur leurs destinataires. En somme, comme l’avait indiqué le président Genevois « le principe des droits de la défense implique qu’une mesure individuelle d’une certaine gravité, reposant sur l’appréciation d’une situation personnelle, ne peut être prise par l’administration sans entendre au préalable la personne qui est susceptible d’être lésée dans ses intérêts moraux ou matériels par cette mesure » (conclusions sur Conseil d´Etat, Sect, 9 mai 1980, Société des établissements Cruse fils et frères, requête numéro 10404, rec. p.127).
Exemples:
–CE, 5 juin 2002, requête numéro 219840, Simoens (JCP E 2002,1768, note D.F.) : lorsqu’une imposition est, telle la taxe professionnelle, assise sur la base d’éléments qui doivent être déclarés par le redevable, l’administration ne peut établir, à la charge de celui-ci, des droits excédant le montant de ceux qui résulteraient des éléments qu’il a déclarés qu’après l’avoir, conformément au principe général des droits de la défense, mis à même de présenter ses observations.
– CE, 20 décembre 2006, requête numéro 259019, Matringhem (JCP G 2007, IV, 122) : l’article L. 411-32 du Code rural prévoit qu’une autorisation préfectorale est nécessaire, dans certains cas, pour permettre à un propriétaire de résilier le bail sur des parcelles dont la destination agricole peut être changée. Cette autorisation ayant pour effet de priver le preneur du droit d’utiliser et d’exploiter les parcelles dont le bailleur entend changer la destination, elle ne peut légalement intervenir sans que le preneur ait été mis en mesure de présenter ses observations, en application du principe général de respect des droits de la défense.
En revanche, d’autres mesures étaient clairement exclues du champ d’application du principe jurisprudentiel de respect des droits de la défense.
C’est le cas, tout d’abord, des mesures par lesquelles l’administration se borne à tirer les conséquences d’une situation objective, sans porter d’appréciation sur le comportement du destinataire de la mesure.
Exemples :
– CE, 26 mars 1982, requête numéro 20155, Dlle Sarrabay (Rec. p.720 ; Rev. adm. 1982, p. 389, obs. Pacteau) : le principe du respect des droits de la défense n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure de licenciement d’un stagiaire résultant de son échec à un examen.
Sont ensuite concernées, sauf teste contraire, les mesures de police. Toutefois, comme on le verra plus loin, l’élaboration des mesures, sauf dans les cas visées par l’article 24 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 que l’on évoquera plus loin, qui peuvent être des mesures de police, devaient également respecter une procédure contradictoire en application de ces dispositions.
L’article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l’administration permet de simplifier les principes applicables en supprimant cette distorsion entre les règles jurisprudentielles et les règles législatives relatives au principe du contradictoire. Désormais, en effet « exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l’article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable ». Ces dispositions s’appliquent à « l’administration », c’est-à-dire à l’ensemble des organes visés par l’article L. 100-3, 1° du code, ainsi qu’à tous les organismes et personnes chargés d’une mission de service public industriel et commercial pour les décisions prises dans le cadre de cette mission.
Le renvoi à l’article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration remplace celui qui était fait par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 aux articles 1 et 2 de la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs.
Les décisions visées par la loi de 1979, dont l’adoption devait donc respecter le principe du contradictoire, étaient : les décisions administratives individuelles défavorables (et donc notamment certaines mesures de police) et les décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement.
Il faut toutefois relever deux points de différences entre les règles résultant de l’article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l’administration et celles qui étaient issues de la loi du 12 avril 2000.
D’une part, l’article L. 121-1 intègre la notion de décisions « prises en considération de la personne », lesquelles ne relevaient pas à l’origine du champ d’application de la loi du 12 avril 2000.
D’autre part, le même article renvoie aux seules dispositions de l’article L. 211-2 du même code qui vise exclusivement les décisions individuelles défavorables. Il ne renvoie pas, en revanche, à l’article L. 211-3 relatif aux décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement, lesquelles se retrouvent donc soustraites à l’application du principe du contradictoire.
Enfin, l’article L. 121-2 du Code des relations entre le public et l’administration, confirmant l’état du droit antérieur, prévoit plusieurs exceptions au respect du principe du contradictoire, en dehors de l’hypothèse susvisée où il est statué sur une demande, notamment en cas d’urgence, de circonstances exceptionnelles, lorsqu’il existe une loi instituant une procédure législative particulière (par ex. en matière d’extradition V. CE Ass., 8 mars 1985, requête numéro 64106, Garcia Henriquez : Rec. p. 70) et lorsque la mise en œuvre de ce principe serait de nature à compromettre l’ordre public ou la conduite des relations internationales. Le même article précise, toujours dans le même esprit de continuité, que les agents publics ne bénéficient pas des dispositions de l’article L. 121-1 dès lors qu’ils se voient principalement appliquer les règles résultant de leur statut.
2° Mise en œuvre du principe du contradictoire
Le Code des relations entre le public et l’administration a également voulu corriger les distorsions qui résultaient de la dualité des sources – jurisprudentielle et législative – du principe du contradictoire. En particulier, les obligations mises à la charge de l’administration étaient plus lourdes en application de la loi du 12 avril 2000 qui mentionnait non seulement des observations écrites, mais également des observations orales. Ainsi, sauf en cas de demande abusive, le refus opposé à l’intéressé de présenter des observations orales en complément d’observations écrites entachait la procédure d’irrégularité.
Exemple :
– Conseil d´Etat, 1ère et 2ème SSR, 3 avril 2002, Société Labo´Life Espana, requête numéro 232628, rec. p.120: la suspension par le directeur de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de l’importation de médicaments homéopathiques pour défaut d’autorisation constitue une mesure de police. A ce titre, elle entre dans le champ d’application de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000. Il en résulte que le refus de faire droit à la présentation d’observations orales en complément d’observations écrites justifie l’annulation de la procédure.
Désormais, l’article L. 122-1 du code impose que les décisions concernées n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Si le texte ne le mentionne pas expressément, il est utile de préciser que pour que l’intéressé puisse efficacement faire connaître ses observations, il doit bénéficier d’un délai raisonnable qui le mette en mesure de présenter utilement sa défense (V. par ex. CE, 12 juin 1995, requête numéro 117244, Ministre de la protection sociale). L’administration doit respecter le délai qu’elle a fixé et elle ne peut s’y soustraire que dans les cas d’urgence (CE, 4 avril 2005, requête numéro 266665, BASF-AGRO).
En outre, la personne concernée peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. Toutefois, le même article précise que l’administration n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique.
L’article L. 122-2 précise quant à lui des règles spécifiques concernant les mesures de sanction qui ne peuvent intervenir qu’après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant (CE, 29 juin 2016, requête numéro 398398, Eurl DLM Sécurité) . Sur ce point, il résulte de la jurisprudence que ce principe n’impose pas de communiquer à l’intéressé préalablement tous les éléments de preuve dont dispose l’administration (Conseil d´Etat, 2ème et 7ème SSR, 25 juillet 2008, Association nouvelle Boulogne Boys, requête numéro 315723 : JCPA 2008, act. 730). Surtout, en matière de sanctions, l’administration est soumise à d’autres obligations.
B- Règles applicables à certaines sanctions administratives
En matière répressive, les autorités compétentes pour édicter des sanctions administratives devront se conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et à des règles qui ont été initialement conçues pour les sanctions pénales.
Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que le législateur avait la possibilité de conférer un pouvoir répressif à des autorités administratives. En effet « le principe de séparation des pouvoirs non plus qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dès lors, d’une part, que la sanction susceptible d’être infligée est exclusive de toute privation de liberté, d’autre part, que l’exercice du pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis » (CC, 28 juillet 1989, décision numéro 89-260 DC, préc.). En application de ces principes, le Conseil constitutionnel a pu considérer que dès lors qu’une mesure d’interdiction d’accès à l’internet est une mesure privative de liberté, et plus spécialement parce qu’elle porte atteinte à la liberté de communication et d’expression, elle ne peut être prononcée que par une juridiction (CC, 10 juin 2009, numéro 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi sur la protection de la création sur internet : D. 2009, p. 1770, note Bruguière ; JCP 2009, II,101, note Feldman).
Il faut aussi préciser que l’exercice du pouvoir de sanction doit être assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis ». En particulier « doivent être respectés les principes de la nécessité et de la légalité des peines, ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle » (CC, 27 juillet 2000, numéro 2000-433 DC, Loi modifiant la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, préc.). Il en résulte que dans le cadre de la procédure d’élaboration des sanctions administratives, les autorités compétentes sont tenues de respecter les principes de la répression pénale.
Exemple :
–Conseil d´Etat, Sect, 6 juin 2008, Société Tradition Securities and Futures, requête numéro 299203 (AJDA 2008, p. 1321, chron. Bourgeois-Machureau et Geffray ; JCP A 2008, I, 191, chron. Plessix.- V. également Conseil d´Etat, Sect., 6 juin 2008 Société CM CIC Securities, requête numéro 300619 : principe du caractère personnel des sanctions.
-CE, 23 avril 2009, requête numéro 31284, Société Air France (Rec. tables, p. 850) : principe de proportionnalité des sanctions.
–Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 21 juin 2013, B., requête numéro 345500 (Dr. adm. 2014, 3, note Eveillard) : principe selon lequel nul ne peut être condamné deux fois pour les mêmes faits (ou principe non bis in idem).
–Conseil d´Etat, Sect., 17 novembre 2006, Société CNP assurances, requête numéro 276926(Rec. p.473 : JCP 2007, I, 120, obs. Plessix; LPA 2007, no 133, p. 14, note Dubrulle, RGDA 2007, p. 379, note Bigot): principe non-rétroactivité de la loi pénale.
– CE Sect., avis, 5 avril 1996, requête numéro 17661, Houdmond (Rec. p. 116 ; RFDA 1997, p. 843, note Petit) : exception au principe de non-rétroactivité de la loi pénale pour la pénale plus douce.
Le statut des sanctions administratives ne trouve toutefois pas sa source unique dans la Constitution. En effet, l’obligation de motivation de ces actes ainsi que leur procédure d’élaboration sont également régis , on l’a vu, par le Code des relations entre le public et l’administration. De même, le principe d’impartialité et le principe d’égalité des armes ont été expressément qualifiés de principe général du droit par le Conseil d’Etat à l’occasion de son arrêt Karsenty et fondation d’Aguessau du 28 avril 2006 (requête numéro 261706, requête numéro 261712, préc.).
En revanche, le Conseil d’Etat a longtemps considéré que les règles du procès équitable définies par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme n’étaient pas applicables à la procédure d’élaboration des actes administratifs.
Exemple :
– CE, 4 mai 1998, requête numéro 164294, Société de Bourse Patrice Wargny (préc.) : l’ancien Conseil du marché à terme, même lorsqu’il statue en matière disciplinaire, n’est pas une juridiction. Ainsi, le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant lui ne respecterait pas les stipulations de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme est inopérant.
L’arrêt d’Assemblée Didier du 3 novembre 1999 marque un important revirement de jurisprudence, le Conseil d’Etat décidant que les règles du procès équitable peuvent s’appliquer à certaines procédures non juridictionnelles (CE Sect., 3 novembre 1999, requête numéro 207434, Didier, préc.). Désormais « eu égard à sa nature, à sa composition et à ses attributions » un organisme administratif peut être qualifié de « tribunal » au sens de l’article 6§1 de la convention. Cette évolution concerne un certain nombre d’autorités collégiales non juridictionnelles, notamment les autorités administratives indépendantes, lorsqu’elles exercent un pouvoir de sanction puisque, même s’il s’agit d’actes administratifs, sont en cause des « accusations en matière pénale » au sens de l’article 6§1.
Ainsi, notamment, doivent respecter les règles du procès équitable lorsqu’ils prennent des décisions de sanction :
– Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CE, 6 janvier 2006, requête numéro 279596, Société Lebanese communication group, préc.).
– La Commission de contrôle des assurances (CE, 28 octobre 2002, requête numéro 244643, Laurent : Rec. p.361 ; AJDA 2002, p.1492, note Costa ; RDP 2002, p.1607, note Prétot ; RFDA 2002, p.1176).
-La formation restreinte de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 12 mars 2014, Société pages jaunes, requête numéro 353193 AJDA 2014, p. 590).
-L’autorité de la concurrence, lorsqu’elle retire une autorisation de concentration en raison du non-respect de leurs engagements par les parties à cette opération (CE, 21 décembre 2012, requête numéro 353856, Société Groupe Canal Plus).
En revanche ne doivent pas être considérés comme un tribunal au sens de l’article 6§1 de la Convention européenne et ne sont pas astreints au respect des règles du procès équitable :
– Le Conseil supérieur de la magistrature lorsqu’il émet des avis (CE, 18 octobre 2000, requête numéro 208168, Terrail, préc.).
– Le Conseil national de l’ordre des médecins lorsqu’il se prononce en matière d’inscription au tableau (CE, 6 novembre 2000, requête numéro 196407, Lefebvre : Rec. p.486).
De même, le droit au procès équitable n’est pas applicable à la procédure d’élaboration des mesures de police. En effet, ces mesures ne sont pas des sanctions, et par conséquent elles ne relèvent pas du champ de l’article 6§I (CE, Ass., 21 décembre 2012, requête numéro 362347, Société Groupe Canal Plus : AJDA 2013, p. 215, chron. Domino et Bretonneau ; Dr. adm. 2013, 18 et 27, note Bazex ; RFDA 2013, p. 55, concl. Daumas.- CE, avis, 6 février 2013, requête numéro 363532, A.).Ceci s’explique par le fait que la mesure de police doit intervenir en vue de la préservation de l’ordre public, et en conséquence son existence ne dépend pas de l’existence d’une faute. Ceci étant, la distinction entre mesures de police et sanctions administratives n’est pas toujours aisée à établir.
Exemples :
-La suspension administrative du permis de conduire d’un automobiliste menaçant la sécurité routière est une mesure de police administrative, alors pourtant qu’il s’agit bien de réprimer un automobiliste fautif (Conseil d´état, 5ème et 7ème SSR, 19 mars 2003, Leclerc, requête numéro 191271). En revanche, une mesure de retrait de points est qualifiée de punition dès lors qu’elle tend à empêcher la réitération des agissements qu’elle vise (Conseil d´Etat, Avis, 5ème et 3ème SSR, 27 septembre 1999, Rouxel, requête numéro 208242 : RFDA 1999, p. 1290)
–Conseil d´Etat, 10ème et 9ème SSR, 16 mars 2001, Ministere de l´Intérieur c/ Provensal, requête numéro 207646CE, 16 mars 2001, requête numéro 207646, Ministre de l’Intérieur c/ Provensal (Dr. adm. 2002, 151) : le retrait de l’agrément délivré à un employé de casino est une mesure de police s’il est destiné à préserver le bon ordre de l’établissement. En revanche, il s’agit d’une sanction dès lors qu’il punit un comportement.
Pour ce qui concerne les mesures de police, seul le respect des dispositions issues du Code des relations entre le public et l’administration vont s’imposer.
Exemple :
– Conseil d´Etat, 6ème et 4ème SSR, 22 juin 2001, Société Athis, requête numéro 193392(AJDA 2012, p. 634, chron. Guyomar et Collin) : les stipulations de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoquées à l’encontre d’une décision de retrait de l’agrément d’une société de gestion de portefeuille prononcée par la commission des opérations de bourse au titre de ses pouvoirs de police.
En revanche, lorsqu’elles s’appliquent aux sanctions administratives, les règles du procès équitable sont plus contraignantes que celles résultant de l’application du principe du contradictoire. Elles impliquent le respect de l’ensemble des principes visés par l’article 6§1, mais également des principes de la répression pénale mentionnés par l’article 6§2 et 3 de la Convention.
Exemples :
–Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 13 novembre 2013, SAS Novartis pharma, requête numéro 344490 (RDSS 2013, p. 1134, obs. Peigné) : principe d’impartialité.
–Conseil d´Etat, 9ème et 10ème SSR, 13 novembre 2013, SA Martell § Co, requête numéro 257330 : principe de présomption d’innocence.
Toutefois, la procédure que doivent suivre les organismes concernés, si elle est très proche de celle que suivent les juridictions, n’a pas à être totalement identique à partir du moment où leurs décisions sont susceptibles d’un recours de pleine juridiction devant une juridiction dotée d’un régime procédural conforme aux exigences de l’article 6§1 (ce qui est généralement le cas). De cette façon les éventuels manquements constatés durant la phase d’élaboration de l’acte pourront être corrigés par le juge compétent.
§III – Formes de l’acte administratif unilatéral
Ce qui est pris ici en considération, ce n’est pas le processus d’élaboration de l’acte mais sa présentation extérieure, dans la mesure toutefois où cet acte est exprès. Même si le droit administratif est peu formaliste, l’acte devra dans certains cas être motivé.
I- Actes à caractère exprès et actes à caractère implicite
L’acte administratif unilatéral peut se présenter sous une forme écrite. Toutefois, il peut également se présenter sous deux autres formes différentes : il peut être verbal et il peut être implicite.
L’acte implicite résulte en principe du silence gardé par l’administration et de l’expiration d’un délai. La règle originelle avait été introduite par un décret du 2 novembre 1864, qui concernait l’hypothèse du silence en cas de recours hiérarchique formé devant les ministres contre les décisions de leurs subordonnés. Cette solution avait été ensuite étendue à toutes les autorités administratives par une loi du 17 juillet 1900.
En dépit de sa rigueur apparente, elle était bénéfique aux administrés, puisqu’elle permettait de considérer que l’inertie de l’administration n’empêchait pas la naissance d’une décision attaquable devant les juridictions administratives. La loi du 17 juillet 1900 avait en effet créé un véritable droit au juge, en définissant une règle permettant de susciter une décision attaquable devant lui.
L’article 21 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 a modifié la règle applicable en la matière en faisant passer le délai au terme duquel une demande faite à l’administration est réputée rejetée de quatre mois à deux mois.
La règle en vertu de laquelle le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet était donc fermement ancrée dans la tradition juridique française, à tel point d’ailleurs qu’elle a été qualifiée à deux reprises de principe général du droit par le Conseil constitutionnel (CC, 26 juin 1069, décision numéro 69-55 DC, Protection des sites : Rec. CC, p. 27.- CC, 18 janvier 1995, décision numéro 94-352 DC, Vidéosurveillance : Rec. CC, p. 170).Ces dispositions ont pourtant été modifiées par la loi n°2013-1005 du 12 novembre 2013 qui renverse, en apparence, le principe jusqu’alors en vigueur. L´actuel article L. 231-1 du Code des relations entre le public et l´administration prévoit en effet désormais que « le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation ».
Toutefois, cette évolution est moins significative qu’il n’y paraît de prime abord, en raison des nombreuses exceptions prévues par l’article L. 231-4 du Code des relations entre le public et l’administration. En particulier, cette solution ne s’applique pas, et c’est l’ancienne règle qui prévaut, « lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’ une décision présentant le caractère d’une décision individuelle » ou encore lorsqu’elle concerne « les relations entre les autorités administratives et leurs agents ».
Plus généralement encore, des décrets en Conseil d’Etat et en conseil des ministres peuvent écarter le principe selon lequel le silence de l’administration vaut décision implicite de rejet « eu égard à l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration » (CRPA, art. L. 235-5) . En outre, des décrets en Conseil d’Etat peuvent fixer un délai plus long que le délai de deux mois, « lorsque l’urgence ou la complexité de la procédure le justifie » (CRPA, L. 235-6) . La loi a donc été complétée dans un premier temps par quarante-deux décrets intervenus le 23 octobre 2014, énumérant pas moins de 1686 nouvelles dérogations à la règle qu’elle définit. D’autres textes sont ensuite intervenus. On peut citer, à titre d’exemples, trois décrets en date du 10 novembre 2015 introduisant de nouvelles dérogations pour les actes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.
En dépit de l’apparente révolution réalisée par la loi du 12 novembre 2013, l’équilibre entre le régime de décision implicite de rejet et le régime de décision implicite d’acceptation, qui concernait tout de même plusieurs centaines d’hypothèses (la plus célèbre étant celle de l’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme qui prévoit que le silence de l’administration sur une demande de permis de construire vaut permis de construire tacite), n´a donc pas être modifié de façon significative.
En dépit de l’apparente révolution réalisée par la loi du 12 novembre 2013, l’équilibre entre le régime de décision implicite de rejet et le régime de décision implicite d’acceptation, qui concernait tout de même plusieurs centaines d’hypothèses (la plus célèbre étant celle de l’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme qui prévoit que le silence de l’administration sur une demande de permis de construire vaut permis de construire tacite), n´a donc pas être modifié de façon significative. On comprend bien, eu égard à la complexité des règles en vigueur, que les articles D. 231-2 et D. 231-3 du Code des relations entre le public et l’administration contraint les pouvoirs publics à publier sur legifrance la liste des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut décision d’acceptation, en mentionnant pour chaque procédure l’autorité à laquelle doit être adressée la demande ainsi que le délai au terme duquel l’acceptation est acquise. En réalité ce ne sont pas moins de quatre listes qui ont été établies dont la principale – qui concerne les services de l’Etat – fait pas moins de 114 pages au 1er mai 2018 ! On peut douter dans ses conditions que l’ambition de simplification du droit qui a présidé à l’élaboration de la loi du 12 novembre 2013 ait été réalisée.
II – Signature des actes administratifs
L’article 4 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration avait eu pour effet de lever l’anonymat de l’administration dans ses rapports avec le public. Cet article précisait dans son alinéa 2 que toute décision prise par une administration comporte « outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ». Cette règle a été reprise à l’article L. 212-1 du Code des relations entre le public et l’administration. Elle est toutefois appréciée de façon assez souple par les juges.
Exemple :
–CE, 7 mai 2012, requête numéro 337077, Commune de Lapalud : si les arrêtés attaqués ne mentionnent pas, en méconnaissance des dispositions de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000, le nom et le prénom du maire, ils comportaient sa qualité et sa signature et il n’en résultait, en l’espèce, pour l’intéressé aucune ambiguïté quant à l’identité du signataire.
Notons enfin que la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité intérieure a introduit une exception à l’obligation de signature des actes administratifs. Cette exception concerne les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d’actes de terrorisme qui « sont prises dans des conditions qui préservent l’anonymat de leur signataire ». Concrètement seule une ampliation de la décision peut être notifiée à la personne concernée ou communiquée à des tiers. L’original signé, qui seul fait apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, est conservé par l’administration.
III- Motivation des actes administratifs
Un acte administratif ne saurait être arbitraire. Il est en effet réputé avoir des motifs qui le justifient, ces motifs résultant d’une combinaison d’éléments de droit et de fait. La motivation d’un acte administratif consiste, par conséquent, à exposer dans l’acte lui-même ces différents motifs.
A- Champ d’application de l’obligation de motivation
Avant l’entrée en vigueur de la loi n°79-587 du 11 juillet 1979, la règle était que l’administration n’avait pas à motiver ses décisions, à l’exception des hypothèses où la loi en disposait autrement (comme par exemple l’actuel article L. 2121-6 du Code général des collectivités territoriales qui impose la motivation des décrets portant dissolution des conseils municipaux), et dans le cas des décisions prises par des organismes collégiaux composés de représentants des professions intéressées (CE Ass., 27 novembre 1970, Agence maritime Marseille-frêt : Rec. p. 704 ; D. 1971, juripr. p. 344, note Pacteau ; JCP G 1971, III, 16757, note Moderne ; RDP 1971, p. 987, concl. Gentot).
Si elle ne remet pas en cause ces solutions ponctuelles, la loi du 11 juillet 1979 posait désormais comme principe, comme on l’a vu, que doivent être motivées les décisions individuelles défavorables ainsi que les décisions individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement.Ces dispositions ont été reprises par les articles L. 211-2 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration.
Toutefois, l’obligation de motivation, s’agissant de ces deux catégories d’actes, comporte deux exceptions majeures.
La première concerne les cas d’urgence absolue. Toutefois, si l’intéressé en fait la demande, dans le délai du recours contentieux, l’autorité qui a pris la décision devra, dans un délai d’un mois, lui en communiquer les motifs ( CRPA, art L. 211-6).
La seconde exception concerne le cas où la communication des motifs de la décision porterait atteinte au secret médical, ainsi qu’à d’autres secrets tels ceux des délibérations du gouvernement et de la défense nationale. L’article L. 232-4 du code précise également qu’une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Cependant, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre cette décision est prorogé jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant le jour où les motifs auront été communiqués (V. CAA Nancy, 10 décembre 2007, requête numéro 06NC00839, Société Royal kebab).
B- Contenu de l’obligation de motivation
L’article L. 211-5 du Code des relations entre le public et l´administration exige une motivation écrite comportant l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision.
Ces dispositions impliquent que la motivation des actes administratifs ne saurait être stéréotypée, l’application de la règle de droit qui constitue le fondement de la décision devant être justifiée en fonction des faits à l’origine de cette décision.
Exemple :
– CE, 18 mai 1990, requête numéro 91858, Association arménienne d’aide sociale (Rec. p.128 ; AJDA 1990, p.722, concl. Stirn) : une lettre-type de refus, adressée à plusieurs demandeurs, ne permet pas de déterminer le critère retenu par la Commission nationale de la communication et des libertés pour fonder son refus d’une demande relative à l’usage d’une fréquence pour la diffusion d’un service de radiodiffusion sonore
Toutefois, l’interprétation du texte par les juges demeure assez libérale. En particulier, il ressort de la jurisprudence que l’obligation de motiver est satisfaite dès lors que les motifs sont exposés, non pas dans la décision elle-même, mais dans un document qui lui est joint.
Exemple :
– CE, 9 novembre 1984, requête numéro 44983, Comité dauphinois d’hygiène industrielle (Rec. p. 355 ; RFDA 1985, p. 439, concl. Lasserre ; AJDA 1985, p. 287, chron. Hubac et Schoettl) : une décision du directeur régional du travail et de l’emploi comportant refus partiel d’approbation de décisions du comité définissant la compétence géographique et professionnelle du service doit être motivée. En l’espèce, la lettre d’accompagnement de la décision précisant à l’association requérante les éléments de fait et de droit qui en constituent le fondement, l’obligation de motivation a été respectée.
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