Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 03/03/2017, 398901
Conseil d’État – 7ème – 2ème chambres réunies
N° 398901
ECLI:FR:CECHR:2017:398901.20170303
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du vendredi 03 mars 2017
Rapporteur
Mme Sophie Roussel
Rapporteur public
M. Gilles Pellissier
Avocat(s)
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société dhuysienne de chaleur (SDC) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la commune de Clichy-sous-Bois à lui verser la somme de 1 557 105 euros HT, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2012 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi à raison de l’obligation qui lui a été faite, par une mise en demeure du maire du 16 octobre 2009, de poursuivre, pour la période du 17 octobre 2009 au 15 octobre 2010, la fourniture en chauffage et eau chaude sanitaire des copropriétés du Chêne Pointu et de l’Etoile du Chêne Pointu, malgré l’absence de souscription de nouvelles polices d’abonnement. Par un jugement avant dire droit n° 1201223 du 17 septembre 2013, le tribunal administratif de Montreuil a, d’une part, déclaré la commune de Clichy-sous-Bois responsable du préjudice subi par la SDC au titre des prestations fournies aux résidences du Chêne Pointu et de l’Etoile du Chêne Pointu pour la période courant d’octobre 2009 à octobre 2010, d’autre part, avant de statuer sur la demande indemnitaire de la société, décidé de procéder à une expertise en vue de l’évaluation de ce préjudice.
Par un arrêt n° 13VE03427 du 18 février 2016, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la commune de Clichy-sous-Bois contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 19 avril et 20 juillet 2016, la commune de Clichy-sous-Bois demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la SDC une somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Sophie Roussel, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Clichy-sous-Bois et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société dhuysienne de chaleur.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 février 2017, présentée par la commune de Clichy-sous-Bois.
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un contrat du 14 février 1997, la commune de Clichy-sous-Bois a concédé à la société dhuysienne de chaleur (SDC) son réseau public de distribution de chauffage urbain et d’eau chaude sanitaire ; que la société coopérative immobilière pour le chauffage urbain (SCICU) a souscrit, auprès de la SDC, une police d’abonnement afin d’alimenter en chauffage et eau chaude sanitaire plusieurs copropriétés situées sur le territoire de la commune, dont celles du Chêne Pointu et de l’Etoile du Chêne Pointu, chacun des copropriétaires concernés étant sociétaire de la SCICU et cette dernière ayant pour objet d’appeler et de recouvrer les charges de chauffage et d’eau chaude sanitaire auprès des différents copropriétaires ; qu’à la suite de la liquidation judiciaire de la SCICU, la SDC n’a pas pu signer de nouvelles polices d’abonnement avec les copropriétés du Chêne Pointu et de l’Etoile du Chêne Pointu, dont les règlements ne conféraient pas aux syndicats de copropriétaires une compétence en matière de gestion du service collectif du chauffage et de l’eau chaude ; que la SDC ayant fait part à la commune de son intention de ne plus fournir ses prestations aux résidents des deux copropriétés, le maire de la commune de Clichy-sous-Bois l’a mise en demeure, par un courrier du 16 octobre 2009, de poursuivre ses services malgré l’absence de police d’abonnement, sous peine de mise en régie en application de l’article 78 du contrat de concession ; qu’estimant que la commune de Clichy-sous-Bois avait fait un usage irrégulier de ses pouvoirs de coercition, la SDC a recherché la responsabilité pour faute contractuelle de la commune pour l’avoir obligée, par la mise en demeure du 16 octobre 2009, à poursuivre ses prestations pendant la saison de chauffe 2009-2010 ; que, par un jugement du 17 septembre 2013, le tribunal administratif de Montreuil a, d’une part, déclaré la commune de Clichy-sous-Bois responsable du préjudice subi par la SDC, d’autre part, avant de statuer sur la demande indemnitaire de la société, décidé de procéder à une expertise en vue de l’évaluation de ce préjudice ; que, par un arrêt du 18 février 2016, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel de la commune de Clichy-sous-Bois contre ce jugement ; que cette dernière se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
2. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt en n’indiquant pas en quoi la conclusion de polices d’abonnement individuelles aurait soulevé des difficultés pratiques est dirigé contre un motif surabondant de l’arrêt et ne peut, par suite, qu’être écarté ; que si la commune soutenait en appel que le concessionnaire pouvait, en l’absence de police d’abonnement, saisir les tribunaux de l’ordre judiciaire pour réclamer le versement des impayés, il s’agissait d’une simple argumentation au soutien d’un moyen et non d’un moyen distinct auquel la cour aurait omis de répondre ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 7 des stipulations du traité de concession : » Le présent contrat a pour objet (…) la distribution de chaleur jusqu’aux postes d’abonnés, pour les besoins de chauffage et de préparation de l’eau chaude sanitaire » ; qu’aux termes de l’article 46 du traité : » La chaleur est fournie dans les locaux mis à la disposition du concessionnaire par les abonnés. Ces locaux sont appelés postes de livraison » ; que la cour, par une appréciation souveraine des stipulations de ce traité et notamment de cet article 7, exempte de dénaturation, a estimé que la concession porte sur la gestion du réseau primaire de distribution de chauffage urbain et d’eau chaude sanitaire jusqu’aux postes de livraison mais, qu’en revanche, le réseau secondaire, qui raccorde les postes de livraison aux usagers finaux, est géré par les abonnés et ne fait pas partie du périmètre de la concession ; qu’elle a également estimé, par une appréciation souveraine des pièces qui lui étaient soumises exempte de dénaturation, sans commettre d’erreur de droit, que le concessionnaire, responsable du seul réseau primaire, n’était pas tenu d’assurer ses prestations à destination des copropriétaires des résidences du Chêne Pointu et de l’Etoile du Chêne Pointu pendant la période courant d’octobre 2009 à octobre 2010 au cours de laquelle ils n’étaient titulaires, du fait de la liquidation judiciaire de la SCICU, abonnée du concessionnaire, d’aucune police d’abonnement au service public de distribution du chauffage urbain et d’eau chaude sanitaire et, qu’ainsi, la SDC n’avait pas manqué à ses obligations contractuelles ; que, de même, la cour a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la SDC n’était pas non plus tenue de rechercher la conclusion de polices d’abonnement individuelles avec chacun des copropriétaires des deux résidences, les stipulations du contrat, en particulier de ses articles 12 et 40, ne donnant l’obligation au concessionnaire de rechercher la conclusion de nouvelles polices d’abonnement que dans l’hypothèse d’une extension du réseau ou, s’agissant des abonnés existants, pour que soient pris en compte les changements consécutifs à la conclusion du nouveau contrat de concession ; qu’enfin, la cour n’a pas plus dénaturé les pièces du dossier en relevant que la commune n’établissait pas que tout ou partie des copropriétaires des deux résidences aurait demandé à bénéficier de polices d’abonnement individuelles ; qu’il suit de là que la cour n’a pas inexactement qualifié les faits ainsi relevés en jugeant que la commune de Clichy-sous-Bois n’était pas fondée à soutenir qu’en refusant, dans un premier temps, d’alimenter en chauffage et eau chaude sanitaire, en l’absence de toute police d’abonnement, les résidents des deux copropriétés, la SDC aurait manqué à ses obligations contractuelles et ainsi commis une faute grave de nature à justifier la mise en demeure qui lui a été faite le 16 octobre 2009 ;
4. Considérant, en troisième lieu, que dans le cadre d’une concession, les principes de continuité du service public et d’égalité des usagers devant le service public ne s’imposent au concessionnaire que dans les limites de l’objet du contrat et selon les modalités définies par ses stipulations ; qu’ainsi, dans l’hypothèse où le bénéfice de la prestation est subordonné à l’existence d’une relation contractuelle avec le concessionnaire et au versement d’une rémunération, le concessionnaire n’est pas tenu, sauf stipulations contractuelles contraires, d’assurer sa mission au profit des usagers qui cessent de remplir les conditions pour en bénéficier ; que, par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la continuité du service public et l’égalité des usagers, si elles pouvaient constituer un motif d’intérêt général justifiant une modification unilatérale du contrat par la commune, dans le respect de son équilibre financier, ne pouvaient, en revanche, justifier qu’il soit fait usage des stipulations du traité de concession relatives aux sanctions coercitives applicables au concessionnaire en cas de méconnaissance de ses obligations contractuelles et que, sur ce fondement, celui-ci soit mis en demeure de poursuivre une prestation non prévue par le contrat ; que, par ailleurs, la cour ne s’est pas méprise sur les écritures de la requérante et n’a pas insuffisamment motivé son arrêt en relevant que l’utilisation par l’autorité délégante de son pouvoir de sanction avait eu pour conséquence de priver la société de toute indemnisation à raison de l’injonction d’assurer la prestation malgré l’absence de paiement des redevances ;
5. Considérant, en dernier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le règlement du service concédé, modifié par une délibération du conseil municipal de Clichy-sous-Bois le 20 octobre 2009, faisait obligation au concessionnaire, dans l’hypothèse exceptionnelle telle que la liquidation judiciaire d’un abonné, de soumettre à l’approbation du concédant » le cadre juridique qui lui permettra d’assurer provisoirement la fourniture de chaleur aux usagers concernés et notamment de facturer et recouvrer ses prestations jusqu’à la signature d’une nouvelle police d’abonnement avec ces derniers » ; que la cour, qui a souverainement apprécié les pièces du dossier sans les dénaturer, notamment des courriers des 6 octobre 2009, 16 octobre 2009 et 18 février 2010, n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que la SDC n’avait pas méconnu cette obligation réglementaire ; qu’en relevant que la solution consistant à déléguer à l’administrateur judiciaire de la société la gestion des appels de charges concernant le chauffage et l’eau chaude sanitaire aurait soulevé des difficultés juridiques en matière de recouvrement des créances, la cour n’a pas, davantage, entaché son arrêt de dénaturation, d’insuffisance de motivation, de contradiction de motifs ou d’inexacte qualification juridique des faits ; qu’elle a suffisamment répondu au moyen tiré de ce que le droit à indemnité réclamé par la SDC en réparation des prestations effectuées et non prévues par le contrat était injustifié ; que si la commune a évoqué devant la cour l’incompatibilité d’une telle indemnité avec le principe de la gestion aux risques et périls du concessionnaire du service résultant de l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, il s’agissait d’une simple argumentation au soutien de ce moyen et non d’un moyen distinct auquel la cour aurait omis de répondre ;
6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune de Clichy-sous-Bois n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ;
7. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Clichy-sous-Bois une somme de 3 000 euros à verser à la SDC en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de cette société qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Clichy-sous-Bois est rejeté.
Article 2 : La commune de Clichy-sous-Bois versera une somme de 3 000 euros à la SDC en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Clichy-sous-Bois et à la société dhuysienne de chaleur.
ECLI:FR:CECHR:2017:398901.20170303