Section II – Régime juridique des contrats administratifs
1238.- Consensualisme et déséquilibre contractuel.- Même si le régime juridique des contrats administratifs est marqué par un déséquilibre entre les parties au profit de l’administration, le contrat administratif est formé par un échange de consentements. Les règles relatives à la formation de ces contrats sont assez strictement encadrées par les textes, notamment pour ce qui concerne la conclusion des marchés publics, alors que les règles relatives à leur exécution sont essentiellement d’origine jurisprudentielle.
§I – Formation du contrat
1239.- Compétence, forme et procédure.- La question de la formation du contrat administratif suppose que l’on s’interroge sur l’autorité compétente pour contracter, sur la forme des contrats, sur les procédures à respecter et sur le contenu du contrat.
I – Autorité compétente
1240.- Distinction entre les différentes catégories de personnes morales de droit public.- La décision administrative de contracter doit être prise par l’autorité compétente, telle qu’elle est déterminée par les règles générales de compétence applicables à l’Etat, aux collectivités territoriales et aux différents établissements publics.
A – Etat
1241.- Autorité étatique compétente.- Les contrats de l’Etat sont en général signés par le ministre compétent ou par la personne désignée par lui. A l’échelon déconcentré, cette compétence est en principe exercée par le préfet.
Dans certaines hypothèses, le contrat devra faire l’objet d’une approbation par une loi ou par un décret. Ainsi, par exemple, l’article L. 122-4 du Code de la voirie routière prévoit que les contrats de concessions d’autoroutes doivent être approuvés par décret en Conseil d’Etat.
B – Collectivités territoriales
1242.- Rôles de l’exécutif et de l’assemblée délibérante locale.- Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, le contrat est signé par l’exécutif de l’autorité, dûment habilité par l’assemblée délibérante. Ce principe, dont la mise en œuvre est assez lourde, connaît néanmoins un certain nombre d’aménagements.
1243.- Délégations en matière de marchés publics.- Ainsi, l’article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales permet au conseil municipal de déléguer au maire la compétence de « prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l’exécution et le règlement des marchés de travaux, de fournitures et de services qui peuvent être passés sans formalités préalables en raison de leur montant, lorsque les crédits sont inscrits au budget » (des dispositions équivalentes sont prévues pour le conseil départemental et le conseil régional, V. respectivement Code général des collectivités territoriales, art. L. 3221-11 et L. 4231-8).
1244.- Anticipation de l’autorisation de conclure un marché public.- De même, l’article L. 2122-21-1 du Code général des collectivités territoriales prévoit qu’en l’absence de délégation « la délibération du conseil municipal chargeant le maire de souscrire un marché déterminé peut être prise avant l’engagement de la procédure de passation de ce marché. Elle comporte alors obligatoirement la définition de l’étendue du besoin à satisfaire et le montant prévisionnel du marché ». Cette possibilité, instituée par l’ordonnance nº2005-645 du 6 juin 2005 relative aux procédures de passation des marchés publics des collectivités territoriales, permet de faire échec à la jurisprudence Commune de Montélimar qui avait posé pour principe que le maire ne pouvait signer un marché public au nom de la commune que s’il avait été habilité par une délibération du conseil municipal se prononçant sur les éléments essentiels du contrat (CE, 13 octobre 2004, requête numéro 254007, Commune de Montélimar : Rec., p. 369 ; Contrats-Marchés publ. 2004, étude 10, concl. Casas ; AJDA 2004, p. 2107, note Dreyfus ; Dr. adm. 2004, comm. 172, note Ménéménis ; RD imm. 2004, p. 564, note Dreyfus). La règle définie par l’article L 2122-21-1 est toutefois limitée aux seuls marchés publics, ce qui implique notamment leur exclusion pour les délégations de service public (CE, 10 janvier 2007, requête numéro 284063, Société des Pompes funèbres et conseillers funéraires du Roussillon : AJDA 2007, p. 636, note Dreyfus).
1245.- Transmission de la délibération autorisant la signature du contrat.- Conformément aux dispositions du Code général des collectivités territoriales, la délibération doit être transmise au préfet avant la signature, à défaut de quoi le Conseil d’Etat a longtemps considéré que « l’absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa conclusion entraîne l’illégalité dudit contrat, ou s’agissant d’un contrat privé, de la décision de signer le contrat » (CE, avis, 10 juin 1996, requête numéro 176873, requête numéro 176874, requête numéro 178875, Préfet de la Côte d’Or, préc.). Notons toutefois que jusqu’au 31 décembre 2023, le seuil de transmission des marchés publics au titre du contrôle de légalité est fixé à 215 000 € HT.
La jurisprudence est longtemps demeurée très ferme sur ce point, les juges estimant en particulier qu’une transmission ultérieure de la décision ne pouvait régulariser la situation (CE, 20 octobre 2000, requête numéro 196553, Citécâble-Est : RFDA 2009, p. 359, concl. Savoie). Cette solution a toutefois évolué à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Ville de Béziers du 28 décembre 2009, dit arrêt « Béziers I » (requête numéro 304802, Rec., p. 509, concl. Glaser ; AJDA 2010, p. 142, chron. Liéber et Botteghi ; AJDA 2011, p. 665, chron. Lallet et Domino ; Contrats Marchés publ. 2010, comm. 123, note Rees ; D. 2011, p. 472, obs. Amrani-Mekki et Fauvarque-Cosson ; Gaz. Pal. 16 mars 2010, p. 13, note Seiller ; JCP A 2010, comm. 2072, note Linditch ; RD imm. 2010, p. 265, note Noguellou ; RDP 2010, p. 553, note Pauliat ; RFDA 2010, p. 506, concl. Glaser et p. 519, note Pouyaud). Le Conseil d’Etat estime désormais, en se fondant sur l’exigence de la loyauté contractuelle, que l’absence de transmission de la délibération n’entraîne pas nécessairement la nullité du contrat.
Une solution comparable, mais qui n’a rien avoir avec l’exigence susvisée est retenue lorsque le préfet défère au juge administratif un contrat qui ne lui a pas été transmis, et qu’il accompagne son recours d’une demande de suspension au titre de l’article L. 554-1 du Code de justice administrative. Le Conseil d’Etat a en effet considéré qu’un tel vice n’entraîne pas nécessairement l’illégalité du contrat si les conditions de la transmission n’ont pas privé le préfet de sa capacité à exercer le contrôle de légalité et dès lors que cette délibération a été prise avant la signature du contrat (CE, 9 mai 2012, requête numéro 355665, Syndicat départemental des ordures ménagères de l’Aude : Rec., p. 192 ; AJDA 2012, p. 1688, note Martin ; JCP A 2012, comm. 2291, note Pontier).
C – Etablissements publics
1246.- Autorité compétente.- Pour ce qui concerne les établissements publics, l’autorité compétente est déterminée par les textes qui les instituent. Selon le cas, l’exécutif peut être seul désigné, mais il est plus fréquent que cette compétence s’exerce après autorisation de l’assemblée délibérante. L’approbation du contrat par une autre autorité est parfois exigée.
II – Formes du contrat
1247.- Forme orale ou forme écrite.- Un contrat administratif peut, le cas échéant, être conclu verbalement, mais cela demeure une hypothèse exceptionnelle (v. pour un exemple classique de contrat verbal : CE Sect., 20 avril 1956, requête numéro 49837, Époux Bertin, préc.). Qui plus est, l’obligation de l’écrit est fréquemment mentionnée par les textes applicables aux différentes catégories de contrats.
Exemples :
– L’article R. 2112-1 du Code de la commande publique précise que « le seuil à compter duquel les marchés sont conclus par écrit est fixé à 25 000 euros hors taxes. ».
– Les contrats ou engagements d’agents non titulaires de la fonction publique d’Etat, territoriale et hospitalière doivent être obligatoirement écrits (V. respectivement D. n°86-83 du 17 janvier 1986, art. 4 ; D. n°88-145 du 15 février 1988, art. 3 ; D. n°91-155 du 6 février 1991, art. 4 .- V. cependant, sur les conséquences de l’absence d’écrit et la possibilité de reconnaître l’existence d’un contrat verbal : CE, 17 janvier 1996, requête numéro 152713, Thoury : Rec. p. 995 ; AJFP 1/1996, p. 47, note Mathieu.- CAA Marseille, 22 février 2005, requête numéro 03MA00640, Angélique X. c. Commune de Rogliano : JCPA 2005, comm. 1230, note Jean-Pierre).
III – Choix du cocontractant
1248.- Encadrement des procédures.- Sous la pression du droit de l’Union européenne, une règlementation récente a renforcé les mécanismes de publicité et de mise en concurrence sur certains types de contrats conclus par les collectivités publiques. Ces règles sont aujourd’hui regroupées dans le Code de la commande publique qui est entré en vigueur le 1er avril 2019. L’article L 2 de ce code précise que les « contrats de la commande publique sont les contrats conclus à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, avec un ou plusieurs opérateurs économiques ». Ces contrats se répartissent en deux grandes catégories : les marchés publics et les contrats de concession.
A – Règles applicables aux marchés publics
1249.- Définition des marchés publics.- Selon l’article L. 1111-1 du Code de la commande publique « un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent ».
1250.- Procédures.- Les procédures de marché public ont pour objectif, comme le précise l’article L. 2152-7 du même code, de permettre aux collectivités publiques de choisir « l’offre économiquement la plus avantageuse ».
La procédure formalisée de droit commun – même si elle n’est plus expressément qualifiée comme telle par les textes en vigueur – est celle de l’appel d’offres, mais il peut être fréquemment recouru à une procédure adaptée moins formaliste, en fonction essentiellement du montant du marché. Il existe également des procédures spéciales qui s’appliquent dans différentes hypothèses, et notamment celles où la collectivité acheteuse éprouve des difficultés à définir ses besoins. Tel est le cas, notamment, des accords-cadres à bons de commande, de la procédure de dialogue compétitif, des marchés négociés ou encore de la procédure de concours.
1251.- Problèmes de qualification de certains contrats.- Il faut ajouter que certains contrats qui ne sont pas définis comme des marchés publics, pourront néanmoins être considérés comme tels, et donc soumis aux règles de publicité préalable et de mise en concurrence applicables aux marchés publics, lorsqu’ils répondent à la définition de cette notion donnée par le même code.
Tel est le cas, en particulier, des contrats de mobilier urbain, ainsi que l’a précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée du 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux (requête numéro 247299, requête numéro 247299 : Rec., p. 476, concl. Casas ; AJDA 2006, p. 120, note Ménéménis ; Dr. adm. 2006, comm. 25, note Auby ; RFDA 2005, p. 1083, concl. Casas). Les juges ont en effet estimé que ces contrats, qui portent sur la fourniture, l’installation et l’entretien sur le domaine public d’éléments de mobilier urbain entrent dans le champ d’application du Code des marchés publics alors en vigueur.
Une décision plus récente nuance cette solution, le Conseil d’Etat considérant désormais que dans certains cas, au regard de leur contenu, ces contrats peuvent être qualifiés de conventions d’occupation domaniale à l’origine non soumises à une obligation de mise en concurrence (CE, 15 mai 2013, requête numéro 364593, Ville de Paris : AJDA 2013, p. 1271, chron. Domino et Bretonneau ; BJCP 2013, p. 359, concl. Dacosta ; Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 199, note Eckert ; Dr. adm. 2013, comm. 63, note Brenet ; JCP A 2013, act. 453, obs. Dubreuil et comm. 2180, note Giacuzzo ; RD imm. 2013, p. 1023, obs. Braconnier ; RJEP 2013, comm. 39, concl. Dacosta.- V. également CE, 3 décembre 2014, requête numéro 384170, Etablissement public Tisséo : BJCP 2015, n°99, p. 128 ; JCP A 2014, act. 983 ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 48, concl. Pellissier). C’est le cas dans l’arrêt Ville de Paris où les juges prennent en compte « l’affectation culturelle des mobiliers » dans un litige concernant l’installation et l’exploitation à Paris des célèbres « colonnes Morris ». En effet, si la promotion d’activités culturelles sur son territoire répond à un intérêt général pour la ville « elle ne concerne pas des activités menées par les services municipaux ni exercées pour leur compte ». Il s’agit donc bien ici seulement d’autoriser une personne privée à utiliser le domaine public. En effet, « aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ».
Cette solution était toutefois douteuse au regard de la définition des contrats de concession, notion issue du droit de l’Union européenne et introduite en droit français par l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 (V. infra). Elle est clairement condamnée par l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 qui impose la mise en oeuvre, à compter du 1er janvier 2017, d’une procédure de sélection préalable lorsqu’il s’agit de permettre au titulaire du contrat d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique (V. Code général des collectivités territoriales, art. L. 2122-1-1 s.).
Si un tel contrat, au regard de ses stipulations, peut faire partie des concessions de service, il ne s’agit pas, en revanche, d’une délégation de service public, dès lors que le service concédé n’est pas un service public (CE, 25 mai 2018, requête numéro 416825, Société Philippe Védiaud Publicité et a. : AJDA 2018, p. 1725, note Haulbert ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 165, note Eckert ; JCP A 2018, act. 495, obs. Erstein ; JCP A 2018, comm. 2260, note Vila ; RTD com. 2018, p. 626, note Lombard), les prestations n’étant pas définies par la personne publique partie au contrat.
1252.- Cas des partenariats public-privé.- Enfin, des contrats qui ne sont pas des marchés publics au regard des critères de définition fixés par les textes seront néanmoins considérés comme tels, au regard des directives européennes, lorsque celles-ci ont vocation à s’appliquer en raison du montant du marché. C’était le cas, à l’origine, des contrats de partenariat public privé « qui ont vocation à être passés avec un ou plusieurs opérateurs économiques et en vertu desquels la rémunération du cocontractant fait l’objet d’un paiement par la personne publique » (CE Sect., 29 octobre 2004, requête numéro 269814, requête numéro 271357, requête numéro 271362, Sueur et a. : Rec., p. 393 ; Contrats-Marchés publ. 2004, comm. 249, note. Eckert ; RFDS 2004, p. 1103, concl. Casas). Plus précisément, les contrats de partenariat public privé étaient considérés comme des marchés publics dès lors qu’ils dépassaient les seuils financiers définis par la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. Désormais, en application de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015, les contrats de partenariat public privé ont été expressément qualifiés des marchés de partenariat. Il s’agit donc bien de marchés publics comme le précise l’article 4 de l’ordonnance et désormais l’article L. 1112-1 du Code de la commande publique.
B – Règles applicables aux contrats de concession
1253.- Notion de contrat de concession.- Il faut entendre ici la notion de concession au sens européen du terme, et non pas au sens restreint qui désigne un type de contrat en particulier relevant de la sous-catégorie des concessions de service et plus précisément de la sous-sous-catégorie des délégations de service public (V. infra Cinquième partie, Chapitre deux, Section quatre). La catégorie des contrats de concession est apparue en droit français lors de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. Elle a ensuite été reprise par le Code de la commande publique.
Selon l’article L. 1121-1 de ce code, il s’agit d’un contrat par lequel « une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».
Comme on l’a dit, traditionnellement en droit français, le contrat de concession – tel qu’il est apparu dans le courant du XIX ° siècle – désigne non pas un ensemble de contrats mais un contrat en particulier, relevant de la catégorie des contrats de délégation de service public. La terminologie utilisée par l’ordonnance du 29 janvier 2016 est donc pour le moins ambiguë : un contrat de concession au sens de l’ordonnance de 2016 peut être un contrat de concession relevant de la catégorie des délégations de service public, mais il peut s’agir tout aussi bien d’un contrat d’affermage, lequel se définit habituellement par opposition au contrat de concession parmi les contrats de délégation de service public.
1254.- Encadrement procédural.- Les délégations de service public étaient considérées à l’origine comme des contrats intuitu personae pour lesquels l’administration, pour des raisons tenant à l’intérêt général, disposait d’une grande latitude pour fixer les obligations imposées au délégataire.
La transposition en France de directives communautaires favorisant la libre concurrence a abouti à l’adoption de lois visant à lutter contre la corruption dont le champ d’application a été étendu à l’ensemble des contrats de délégation de service public. C’est le cas en particulier de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi « Sapin »).
La loi Sapin avait abouti à nuancer l’opposition existant entre les contrats de délégation de service public et les marchés publics. Elle avait notamment conduit à exiger, pour les contrats de délégation de service public, le respect de mesures de publicité préalable.
1255.- Code de la commande publique.- Suite à la directive concession n°2014/23 du 26 février 2014, la loi Sapin a été partiellement abrogée par l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 et les dispositions nationales relèvent désormais du Code de la commande publique.
Il ne s’est pas agit seulement de transposer la directive du 26 février 2014. L’idée, était de simplifier et de rationaliser le droit des concessions en rassemblant dans un même texte notamment deux catégories de contrats qui relevaient jusqu’alors de règles distinctes : les délégations de service public régies par la loi Sapin et les concessions de travaux qui relevaient jusqu’alors de l’ordonnance n°2009-864 du 15 juillet 2009.
Ces nouvelles dispositions font référence non seulement aux concessions de travaux mais également aux concessions de services dont les délégations de service public constituent une sous-catégorie toujours régie par les articles L. 1411-1 et suivant du Code général des collectivités territoriales. Sont concernés, en application de cet article, les contrats de concession qui confient « la gestion d’un service public dont elles ont la responsabilité à un ou plusieurs opérateurs économiques (…) ». L’article L. 1121-3 du Code de la commande publique précise quant à lui qu’une délégation de service public « est une concession de services ayant pour objet un service public et conclue par une collectivité territoriale, un établissement public local, un de leurs groupements, ou plusieurs de ces personnes morales ».
Au final, le droit de la commande publique se retrouve organisé, dans son ensemble, autour de la summa divisio européenne marchés publics-concession.
L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, et l’ordonnance du 29 janvier 2016 avaient poursuivi le mouvement initié par la loi Sapin en rapprochant encore les règles procédurales afférentes aux marchés publics et aux concessions. En particulier, l’article 1er de l’ordonnance du 29 janvier 2016 précisait que, comme pour les marchés publics, les contrats de concession respectent « les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ». La rédaction de l’article L3 du Code de la commande publique est presque identique puisque cet article précise que « les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d’accès et de transparence des procédures ».
Comme pour les marchés publics, les formalités de publicité et les règles de mise en concurrence dépendent essentiellement du montant du contrat de concession.
Dans l’hypothèse où le contrat est passé par une collectivité territoriale, il est également nécessaire, après que l’assemblée délibérante s’est prononcée sur le principe même de la délégation (Code général des collectivités territoriales, art. L. 1411-4), qu’une commission dresse la liste des candidats admis à présenter une offre, en fonction de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à L. 5212-4 du Code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public (Code général des collectivités territoriales, art. L. 1411-5).
A l’issue de la procédure (V. Code de la commande publique, L.3120-1 à L.3126-3 et R.3121-1 à R.3126-14 et plus spécialement pour les délégations de service public, Code général des collectivités territoriales, art. L. 1411-4 s.), le principe de l’intuitu personae reparaît, même si le choix du cocontractant est de plus en plus encadré. Ainsi, le titulaire du contrat est en principe choisi à l’issue d’une phase de négociation qui ne peut porter sur l’objet de la concession, les critères d’attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation (Code de la commande publique, art. L. 3124-1). Toutefois, la liberté de négociation doit respecter l’égalité entre les candidats (V. par exemple CE, 9 août 2006, requête numéro 286107, Compagnie générale des eaux : AJDA 2006, p. 2064, note Morel ; BJCP 2006, p. 448, concl. Casas, obs. C.M. ; Contrats – Marchés publ. 2006, comm. 267, obs. Delacour). En outre, l’article L. 3124-5 du Code de la commande publique précise que « le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du contrat de concession ou à ses conditions d’exécution ». Cet article a été complété par la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 qui a jouté que « pour les contrats de concession qui ne sont pas des contrats de concession de défense ou de sécurité, au moins un de ces critères prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre ». Lorsque c’est la gestion d’un service public qui est concédée « l’autorité concédante se fonde également sur la qualité du service rendu aux usagers ». En tout état de cause, le même article précise que « les critères d’attribution n’ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l’autorité concédante et garantissent une concurrence effective ».
C – Sanctions du non-respect des règles de publicité et de mise en concurrence
1256.- Référés.– La violation des règles de publicité et de mise en concurrence peut donner lieu à la mise en œuvre de la procédure de référé précontractuel qui permet au juge administratif des référés d’interdire la signature du contrat (Code de justice administrative, art. L. 551-1 et L. 551-5). Cette procédure s’applique pour les contrats administratifs « ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique ». Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et cela jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle (Code de justice administrative, art. L. 551-4 et L. 551-9).
Il existe également une procédure de référé contractuel qui peut être exercée après que le contrat a été conclu et qui a également pour objet de sanctionner les manquements aux obligations des règles de publicité et de mise en concurrence préalable (Code de justice administrative, art. L. 551-13 s.). Peuvent agir les personnes qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par ces manquements, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local. Ce recours n’est toutefois pas ouvert au demandeur qui a fait usage de la procédure de référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue à l’article L. 551-4 et à l’article L. 551-9 et qu’il s’est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours (Code de justice administrative, art. L. 551-14).
1257.- Sanctions pénales.- Enfin, des sanctions pénales sont prévues en cas d’atteintes à l’égalité entre les candidats. Sont plus précisément concernés les délits de prise illégale d’intérêt (Code pénal, art. 432-12) et de favoritisme (Code pénal, art. 432-14).
IV – Contenu du contrat
1258.- Liberté contractuelle et contraintes imposées par les textes.- La liberté contractuelle conduit à considérer que le contenu des contrats administratifs peut être extrêmement variable. Toutefois, ici encore, des textes peuvent imposer un contenu plus ou moins précis, en fonction du type de contrats qu’ils visent, ainsi que la présence de documents annexes.
Exemple :
– Les conditions d’exécution des marchés publics sont définies par des cahiers des charges. Les règles générales sont définies par les cahiers des clauses administratives générales et les cahiers des clauses techniques générales qui sont des documents types établis par arrêté du ministre de l’Economie et des Finances. Les conditions particulières à chaque marché considéré, qui dérogent à ces documents, sont mentionnées, quant à elles, par le cahier des clauses administratives particulières et le cahier des clauses techniques particulières.
§II – Exécution des contrats
1259.- Déséquilibre entre les parties et droits du cocontractant de l’administration.- Les conditions dans lesquelles sont exécutés les contrats administratifs dénotent un fort déséquilibre entre les parties, au profit de l’administration. Toutefois, ce déséquilibre est en partie compensé par la reconnaissance de garanties reconnues aux cocontractants privés de l’administration.
I – Pouvoirs de l’administration
1260.- Prérogatives de l’administration. L’administration contractante dispose d’un certain nombre de prérogatives qu’elle peut exercer sur son cocontractant : pouvoir d’exiger l’exécution personnelle du contrat, pouvoir de contrôle et de direction, pouvoir de sanction et pouvoir de modification et de résiliation unilatérale.
A – Pouvoir d’exiger l’exécution personnelle du contrat
1261.- Principe et exception de la sous-traitance.- Le titulaire d’un contrat administratif, et notamment d’un marché public, est tenu d’exécuter personnellement ses obligations. Ce principe connaît néanmoins une exception dont l’importance pratique est réelle : au titre de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, le cocontractant de l’administration est en effet autorisé à sous-traiter certaines parties d’un marché public. Cependant, la sous-traitance, qui concerne les marchés de travaux et de service, n’est possible – si elle intervient après le dépôt de l’offre – que lorsqu’elle est autorisée explicitement par l’administration. Plus précisément, l’administration doit agréer la personne du sous-traitant ainsi que ses conditions de paiement. Dans cette hypothèse, un rapport direct est établi entre l’administration et le sous-traitant. Ce dernier peut notamment être directement payé par l’administration pour la partie du marché dont il a assuré l’exécution (Code de la commande publique, art. L. 2193-11).
La sous-traitance doit être distinguée de l’hypothèse de la cession qui correspond à l’hypothèse où un contractant est substitué à un autre, avec l’agrément de la collectivité publique, sans qu’un contrat ne soit conclu entre le cédé et le cessionnaire (V. CE, avis, 8 juin 2000, requête numéro 141654 : EDCE, p. 230; AJDA 2000, p. 758, note Richer).
Enfin, précisons que la sous-traitance est possible dans le cadre d’une délégation de service public. Cette hypothèse est aujourd’hui expressément prévue par l’article L. 3134-1 du Code de la commande publique. Il faut alors parler, plutôt que de sous-traitance, de sous-délégation de service public (V. par exemple CE, avis, 16 mai 2002, requête numéro 366305 : EDCE 2003, n°54, p. 201 EDCE 2003, p. 201 ; BJCP 2003, p. 235, note Glaser et Mauguë.- V. également Rép. min. n°12577 : JO Sénat, 2 juin 2011, p. 1470).
B – Pouvoir de contrôle et de direction
1262.- Pouvoir de contrôle.- L’administration peut vérifier à tout moment que son cocontractant privé se comporte conformément aux clauses du contrat. Ce pouvoir lui est expressément reconnu par l’article L. 6 du Code de la commande publique dont il résulte que « l’autorité contractante exerce un pouvoir de contrôle sur l’exécution du contrat, selon les modalités fixées par le présent code, des dispositions particulières ou le contrat ». Elle peut ainsi exiger que celui lui fournisse tous les renseignements qui lui permettent d’effectuer ces vérifications.
1263.- Pouvoir de direction.- En outre, l’administration exerce un véritable pouvoir de direction. Notamment, elle peut exiger de son cocontractant qu’il emploie certains procédés d’exécution de ses prestations, où encore lui imposer l’ordre dans lequel il devra les réaliser. Elle peut également adresser un ordre de service écrit à son cocontractant, par exemple pour l’enjoindre de débuter ses prestations dans le cadre d’un marché de travaux.
C – Pouvoir de sanction
1264.- Règles générales.- L’administration peut infliger des sanctions à son cocontractant privé en cas d’inobservation, par celui-ci, des clauses du contrat ou des instructions reçues.
Dans un premier temps, si le Conseil d’Etat avait admis qu’un cocontractant défaillant pouvait être sanctionné même en l’absence de sanction prévue par le contrat (CE, 31 mai 1907, requête numéro 16324, Deplanque : Rec., p. 513, concl. Romieu ; D. 1907, III, p. 81, concl. Romieu ; RDP 1907, p. 678, note Jèze ; S. 1907, III. p. 113, note Hauriou), seul le juge pouvait allouer une indemnité à l’administration ou prononcer la résiliation du contrat. Mais ensuite, les juges ont admis que l’administration, en vertu du privilège du préalable, pouvait elle-même infliger une sanction au cocontractant défaillant.
Ces sanctions ne peuvent toutefois pas être prononcées d’office, ce qui signifie qu’elles devront en principe donner lieu à une mise en demeure préalable du cocontractant privé réalisée par l’administration. Plus précisément, l’administration sera tenue de respecter les droits de la défense de son cocontractant et de lui notifier précisément les manquements qu’elle lui reproche. Il n’en va toutefois pas ainsi pour la première catégorie de sanctions, les sanctions pécuniaires, qui sont en principe dispensées de mise en demeure (CE, 15 novembre 2012, requête numéro 350867, Hôpital de l’Isle-sur-la-Sorgue : Rec. tables, p. 849 ; AJDA 2012, p. 2303 ; JCP Adm. 2012, act. 832, obs. Erstein ; CP-ACCP 128/2013, p. 12, chron. Jouguelet). On évoquera ensuite les sanctions coercitives et la sanction de résiliation du contrat.
1° Sanctions pécuniaires
1265.- Sanction des obligations contractuelles.- En matière de marchés publics, les sanctions pécuniaires ont pour objet « de réparer forfaitairement le préjudice qu’est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d’exécution contractuellement prévus » (CE, 19 juillet 2017, requête numéro 392707, Centre hospitalier interdépartemental de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : AJDA 2017, p. 116, note Souche ; BJCP 2017, p. 388, concl. Pellissier ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 229, note Ubaud-Bergeron). Plus généralement, ces sanctions permettent de sanctionner tout manquement du cocontractant de l’administration à ses obligations. Elles se distinguent des dommages-intérêts que peut prononcer le juge dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle. De nature contractuelle, elles sont applicables de droit, sans qu’il soit nécessaire de saisir le juge. L’administration peut également diminuer la sanction ou y renoncer. Les sanctions pécuniaires ont un caractère forfaitaire et automatique et elles s’appliquent donc quel que soit le montant du préjudice effectivement subi par l’administration. Elles ont aussi un caractère libératoire, ce qui interdit à l’administration de demander au juge l’indemnisation d’autres préjudices causés par le manquement déjà sanctionné par la pénalité (CE, 14 avril 1995, requête numéro 75330, Société d’aménagement de la région de Rouen : RD imm. 1995, p. 744, obs. Llorens et Ternevre). Enfin, lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, le juge administratif a la possibilité de modérer ou d’augmenter des pénalités de retard si leur montant est manifestement excessif ou au contraire dérisoire (CE, 29 décembre 2008, requête numéro 296930, OPHLM de Puteaux : AJDA 2009, p. 270, note Dreyfus ; BJCP 2009, p. 123, concl. B. Dacosta Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 40, note Eckert.- CAA Nancy, 25 février 2020, requête numéro 18NC02081 : Contrats-Marchés publ. 2020, comm. 146, note Hoepffner).
2° Sanctions coercitives
1266.- Substitution de l’administration ou d’un tiers au cocontractant.- Dans ce cas, le cocontractant privé est pénalisé plus fortement, mais sans que cela aboutisse à la rupture du contrat, l’administration se substituant au cocontractant ou lui substituant un tiers.
Dans les deux hypothèses, l’exécution des prestations se poursuit aux frais et risques du cocontractant sanctionné. On parle ainsi, notamment, de « mise sous séquestre » d’un contrat de concession ou encore de « mise en régie » d’un marché de travaux publics.
Dans un arrêt de Section Office public d’HLM d’Avignon du 6 mai 1985 (requête numéro 44130 : RDP 1985 p. 1706) le Conseil d’Etat a précisé qu’il s’agit de « pouvoirs de coercition inhérents à tout contrat passé pour l’exécution du service public ». Il a récemment rappelé que la mise en régie d’un contrat en cas de manquement du cocontractant initial « résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs » (CE, 14 février 2017, requête numéro 405157, Société de manutention portuaire d’Aquitaine et Grand port maritime de Bordeaux : AJ contrat 2017, p. 184, obs. Dreyfus ; RTD com. 2017, p. 295, obs. Lombard ; JCP A 2017, comm. 911, obs. Eveillard ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 100, note Eckert.– V. aussi CE, 18 décembre 2020, requête numéro 433386, Société Treuils et Grues Labor : Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 74, note Hoepffner).
Notons enfin que les prérogatives reconnues à l’administration ne vont pas jusqu’à lui permettre d’obtenir la réalisation de prestations supplémentaires, non prévues par le contrat, y compris pour des motifs liés aux principes de continuité du service public et d’égalité des usagers devant le service public n (CE, 3 mars 2017, requête numéro 398901, Commune de Clichy- sous- bois : AJDA 2017. 1286, comm. Hoepffner ; BJCP 2017, p. 238, concl. Pellissier, obs. S. N. ; CMP 2017, comm. 140, note Eckert).
3° Résiliation sanction
1267.- Une sanction réservée aux fautes les plus graves.- L’administration peut également résilier le contrat à titre de sanction et dans ce cas aucune indemnité ne sera en principe due au cocontractant privé. Toutefois, l’administration ne peut utiliser cette possibilité qu’en cas de faute d’une particulière gravité commise par son cocontractant.
Exemples :
– CE, 12 mars 1999, requête numéro 176694, SA Méribel 92 (Rec., p. 61 ; BJCP 1999, p. 444, concl. Bergeal ; RD imm. 1999, p. 244 ; Dr. adm. 1999, comm. 190) : un retard dans la réalisation de travaux, si elle apparaît constitutive d’une faute en l’espèce, n’est pas d’une gravité suffisante pour justifier la déchéance du concessionnaire.
– CE, 26 février 2014, requête numéro 365546, Société Environnement service (AJDA 2014, p. 1561, note Lombard) : en n’étant pas en mesure d’exécuter les prestations objet du marché à compter du délai stipulé pour la réalisation des installations indispensables au conditionnement des déchets ménagers et assimilés la société requérante a commis une faute de nature à justifier la résiliation à ses torts exclusifs sans qu’y fasse obstacle l’absence de bons de commande, ni l’omission, dans la mise en demeure qui lui a été adressée, d’un délai de réalisation de ces installations.
1268.- Conséquences d’une sanction disproportionnée.- S’il apparaît que la sanction était disproportionnée, l’administration peut être condamnée au versement de dommages-intérêts (V. par exemple CE, 10 février 2016, requête numéro 387769, Société Signacité : Contrats – Marchés publ. 2016, comm. 98, note Ubaud-Bergeron). De même, l’indemnité peut être minorée s’il apparaît que la défaillance du cocontractant privé s’explique en partie par des faits imputables à l’administration (V. par exemple CE, 17 mars 2004, requête numéro 24341, Ville d’Aix-en-Provence : Contrats-Marchés publ. 2004, comm. 150 ; Collectivités-Intercommunalité 2004, comm. 167).
Enfin, il a été jugé que les fautes commises par le cocontractant de la personne publique dans l’exécution du contrat sont susceptibles, alors même qu’elles ne seraient pas d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat aux torts du titulaire, de limiter en partie son droit à l’indemnisation du préjudice qu’il subit du fait de cette résiliation irrégulière (CE, 18 mai 2021, requête numéro 442530, Régie des transports métropolitains : Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 257, note Rees ; JCP A 2021, act. 345).
1269.- Indemnisation en cas de résiliation d’un contrat de délégation de service public.- En outre, même si la sanction est fondée, lorsqu’est en cause un contrat de délégation de service public, le délégataire de service public a le droit d’être indemnisé des investissements réalisés au profit de la collectivité délégante qui n’ont pas été amortis à la date à laquelle cette rupture est prononcée (CE, 20 mars 1957, requête numéro 33114, Société des Etablissements thermaux d’Ussat-les-Bains : Rec., p. 182). Le Conseil d’Etat a précisé que la circonstance que l’exploitation de la délégation aurait été déficitaire si elle avait été poursuivie jusqu’au terme fixé est indifférente (CE, 4 mai 2015, requête numéro 383208, Société Domaine Porte des neiges : Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 182, note Devillers ; JCP A 2015, comm. 2296, note Martin). Les conditions de l’indemnisation du concessionnaire ont ensuite été précisées par l’article L. 3136-10 du Code de la commande publique.
1270.- Possibilité de résiliation d’un contrat de concession par l’administration.- Il faut aussi noter que le pouvoir de résiliation ne pouvait, à l’origine, en principe, être exercé par l’administration elle-même en matière de contrats de concession. Notons que dans ce domaine on parle plutôt de déchéance que de résiliation. Ce principe pouvait cependant être contourné lorsque le cahier des charges du contrat prévoyait que l’administration pouvait résilier elle-même le contrat (CE, 20 janvier 1905, requête numéro 8248, Compagnie départementale des eaux et services municipaux : Rec., p. 57, concl. Romieu.- V. également CE, 25 mars 1991, requête numéro 90747, Copel : Rec. tables, p. 1045), ou lorsque le pouvoir de résiliation était conféré par le contrat à une autre autorité (CE, 22 novembre 1967, Société générale technique : CJEG 1969, p. 263, note A.P).
En outre, le pouvoir de résiliation peut toujours être prévu par un texte de loi.
Exemple :
– L’article L. 1321-6 du Code de la santé publique dans son ancienne version, qui concerne le service public de l’alimentation en eau potable et de l’assainissement prévoyait que « en cas de condamnation du délégataire par application des dispositions de l’article L. 1324-3, le ministre chargé de la Santé peut, après avoir entendu le délégataire et demandé l’avis de la collectivité territoriale intéressée, et après avis du Haut Conseil de la santé publique, prononcer la déchéance de la délégation, sauf recours devant la juridiction administrative ».
Ces exceptions mises à part, seul le juge pouvait prononcer la résiliation du contrat de concession, ce qui s’expliquait par le fait que dans le cadre d’un tel contrat, le concessionnaire doit à la fois exploiter un service public, mais également en principe construire les ouvrages nécessaires à son fonctionnement. Conférer un pouvoir unilatéral de résiliation sanction à l’administration pouvait donc entraîner des conséquences très graves, ce qui justifiait la compétence de principe du juge en la matière. Ceci explique que cette solution se soit ensuite étendue à l’ensemble des contrats de longue durée exigeant, de la part du cocontractant de l’administration, des investissements importants (CE, 30 septembre 1983, requête numéro 26611, SARL Comexp : Rec., p. 393).
Toutefois, l’évolution des règles du contentieux contractuel, dans un sens plus favorable à la préservation des droits des cocontractants de l’administration, avait conduit à relativiser l’intérêt de ce principe du recours au juge. Dans son arrêt du 21 mars 2011, Ville de Béziers, dit « Béziers II » (requête numéro 304806, préc.) le Conseil d’Etat a ainsi admis la possibilité pour le cocontractant de l’administration de contester une décision de résiliation devant le juge du contrat, lequel pourra décider la reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, le cas échéant en ajoutant une indemnité. De même, le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour le juge des référés de suspendre, en application de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, une décision de résiliation d’une délégation de service public (CE, 17 juin 2015, requête numéro 388433, Commune d’Aix-en-Provence : AJDA 2015, p. 2127 ; RFDA 2015, p. 930, concl. Pellissier).
C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat a finalement décidé, dans un arrêt Société le jardin d’acclimatation du 12 novembre 2015, de poser le principe en vertu duquel en « l’absence même de stipulations du contrat lui donnant cette possibilité, le concédant dispose de la faculté de résilier unilatéralement le contrat pour faute et sans indemnité ». Il ne s’agit toutefois ici que d’une faculté, l’administration contractante ayant toujours la possibilité de choisir de saisir le juge en vue qu’il prononce la déchéance du contrat (requête numéro 387660 : Rec. tables, p. 395 ; AJDA 2016, p. 911, note Marcantoni ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 16, note Ubaud-Bergeron et comm. 2123, note Hoffmann). Cette solution a été confirmée par les dispositions combinées des articles L.6, L. 3136-3 et L.2195-1 du Code de la commande publique.
1271.- Conséquences d’une décision de résiliation d’un contrat portant exécution d’un service public.- Le Conseil d’Etat a aussi précisé quelles étaient les conséquences d’une décision de résiliation d’un contrat portant exécution d’un service public (CE Sect., 19 décembre 2014, requête numéro 368294, Commune de Propriano : Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 46, note Eckert ; Dr. adm. 2015, comm. 20, note Brenet ; JCP A 2015, act. 32, obs. Langelier). Dans cette hypothèse, en effet, il y a lieu de combiner pouvoir de résiliation de l’administration contractante et principe de continuité du service public. Pour ménager ce dernier principe, l’administration contractante va se substituer de plein droit à son ancien cocontractant pour l’exécution des contrats conclus avec les usagers ou avec d’autres tiers pour l’exécution même du service. Toutefois, la substitution de la personne publique n’emporte pas le transfert des dettes et créances nées de l’exécution antérieure des contrats conclus par l’ancien cocontractant de la personne publique Une exception est également faite au principe de cession du contrat, concernant les « engagements anormalement pris, c’est-à-dire des engagements qu’une interprétation raisonnable du contrat relatif à l’exécution d’un service public ne permettait pas de prendre au regard notamment de leur objet, de leurs conditions d’exécution ou de leur durée, à moins que, dans ce cas, la personne publique n’ait donné, dans le respect de la réglementation applicable, son accord à leur conclusion ».
Par ailleurs, certains contrats font l’objet de règles définies par la loi. Il en va ainsi concernant l’obligation de reprise des contrats de travail des salariés de l’ancien délégataire d’un service public industriel ou commercial (Code du travail, art. L. 1224-1) ou d’un service public administratif (Code du travail, art. L. 1224-3). Il en va également ainsi concernant les baux et les droits réels consentis par le concessionnaire d’une durée excédant celle du contrat de concession, lorsque leur conclusion a été agréée par l’autorité concédante (Code de la commande publique, art. L. 3132-3).
1272.- Pouvoir de résilation unilatérale du cocontractant de l’administration.- Notons enfin que, traditionnellement, le juge administratif considérait que le cocontractant de l’administration ne pouvait disposer d’un pouvoir de résiliation unilatérale du contrat (CE, 15 janvier 1986, requête numéro 37321, Société l’habitat moderne). Cette solution est liée à l’idée que conformément au principe de continuité du service public, le cocontractant de l’administration, contrairement à l’hypothèse où le contrat est de droit privé, ne saurait bénéficier d’une exception d’inexécution. Selon cette approche, s’il cessait l’exécution de son contrat, le cocontractant privé commettait une faute susceptible d’engager sa responsabilité. En conséquence, s’il considérait que le contrat devait être résilié, il devait saisir l’administration d’une demande dans ce sens, une décision de refus pouvant ensuite être contestée devant le juge du plein contentieux contractuel (CE, 7 octobre 1988, requête numéro 68729, OPHLM du Havre).
Le Conseil d’Etat a toutefois récemment admis la légalité des clauses pouvant autoriser le cocontractant d’une personne publique à prononcer unilatéralement la résiliation de certains contrats administratifs en cas de méconnaissance par la personne publique de ses obligations contractuelles (CE, 8 octobre 2014, requête numéro 370644, Société Grenke location : Rec., p. 302, concl. Pellissier ; AJDA 2015, p. 396, obs. Melleray ; BJCP 2015, p. 3, concl. Pellissier ; D. 2015, p. 145, note Pugeault ; Dr. adm. 2015, comm. 12, obs. Brenet ; JCP E 2014, comm. 1623, obs. Sée ; JCP A 2014, comm. 2327, obs. Ziani ; Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 329, obs. Eckert ; RFDA 2015, p. 47, note Pros-Philippon.- V. également CAA Douai, 4 février 2016, requête numéro 15DA01296, SA d’économie mixte Séquano Aménagement et Communauté d’agglomération creilloise : Contrats-marchés publ. 2016, comm. 110, note Eckert).
Si cette avancée est bénéfique pour le cocontractant privé de l’administration, cette possibilité est toutefois très encadrée, eu égard notamment à la prise en compte de l’intérêt général. En effet, demeure le principe selon lequel « le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d’en assurer l’exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l’administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l’initiative de résilier unilatéralement le contrat ». Une clause de résiliation unilatérale pouvant être utilisée par le cocontractant privé peut toutefois être introduite dans le contrat mais uniquement si celui-ci n’a pas pour objet l’exécution même du service public. En outre, « le cocontractant ne peut procéder à la résiliation sans avoir mis à même, au préalable, la personne publique de s’opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d’intérêt général, tiré notamment des exigences du service public ». Si ce motif d’intérêt général existe, le cocontractant privé devra poursuivre l’exécution du contrat et il s’expose, en cas de manquement à ses obligations, à une résiliation à ses torts exclusifs. Il ne pourra alors que contester devant le juge du contrat le motif d’intérêt général qui lui est opposé en vue d’obtenir des indemnités.
D – Pouvoirs de modification et de résiliation unilatérale
1273.- Prise en compte de l’intérêt général.- L’existence de tels pouvoirs déroge au principe civiliste selon lequel le contrat est la loi des parties. Ils constituent les principales manifestations du pouvoir exorbitant accordé à l’administration dans le cadre des contrats. Les règles en la matière sont essentiellement d’origine jurisprudentielle. Toutefois, le Code de la commande publique a reconnu l’existence de ces pouvoirs et organisé leurs conditions d’exercice.
La justification théorique de l’existence de ces pouvoirs se trouve dans la notion d’intérêt général qui est en principe poursuivi chaque fois que l’administration conclut un contrat.
1274.- Pouvoir de modification unilatérale.- Le pouvoir de modification unilatérale a été reconnu à l’administration partie à un contrat par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt du 10 février 1902, Gaz de Déville-les-Rouen (requête numéro 94624 : Rec., p. 5 ; S. 1902, III, p. 17, note Hauriou). En l’espèce une commune avait concédé à une société privée le service public d’éclairage. A l’époque où ce contrat avait été conclu, en 1874, l’éclairage des villes était assuré au gaz. Quelques années plus tard, la commune a demandé à son cocontractant de modifier la nature de ses prestations en vue qu’il accepte d’assurer l’éclairage au moyen de l’électricité. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a reconnu que l’administration avait le pouvoir de mettre en demeure son cocontractant d’accepter les modifications des prestations initialement prévues. Ainsi, l’intérêt général commandait une modification du contrat qui pouvait être imposée au cocontractant privé.
Dans l’arrêt du 2 février 1983, Union des transports urbains et régionaux (requête numéro 34027 : Rec., p. 33 ; RFDA 1984, p. 45, note Llorens ; RDP 1984, p. 212, note Auby), le Conseil d’Etat a estimé que l’existence d’un tel pouvoir de modification unilatérale est « une règle générale applicable aux contrats administratifs ». Par conséquent, ce pouvoir peut être exercé par l’administration, même s’il n’est pas prévu dans les clauses du contrat. Cette solution, qui sous-tendait déjà le raisonnement du Conseil d’Etat dans l’arrêt Compagnie des tramways du 11 mars 1910 (requête numéro 16178 : Rec., p. 216, concl. Blum ; D. 1912, III, p. 49, concl. Blum ; S. 1911, III, p. 1, concl. Hauriou ; RDP 1910, p. 270, note Jèze), se démarque de la logique de l’arrêt Gaz de Déville-les-Rouen qui fondait le pouvoir de modification unilatérale sur la recherche de la commune volonté des parties.
Ce pouvoir est reconnu largement. Le Conseil d’Etat admet notamment qu’il peut être exercé lorsqu’une clause du contrat est affectée d’une irrégularité tenant au caractère illicite de son contenu, à condition toutefois qu’elle soit divisible du reste du contrat. L’autorité contractante peut ainsi y apporter de manière unilatérale les modifications permettant de remédier à cette irrégularité (CE, 8 mars 2023, requête numéro 464619, SIPPEREC : Contrats-Marchés publ. 2023, comm. 146, note Hoepffner). En revanche, si cette clause n’est pas divisible du reste du contrat, c’est la solution de la résiliation pour motif d’intérêt général qui devra être choisie -V. infra n°1285).
Le non-respect de l’obligation d’exécution du contrat modifié est constitutif d’une faute de nature à justifier la résiliation du contrat administratif (CE, 27 octobre 2010, requête numéro 318617, Syndicat intercommunal des transports publics de Cannes, Le Cannet, Mandelieu-la Napoule : Dr. adm. 2011, comm. 3, note Brenet).
Bien évidemment, l’exercice de ce pouvoir ne se fait pas sans contrepartie : que la modification soit régulière ou non, si elle met à la charge du cocontractant privé des prestations plus onéreuses, l’administration devra l’indemniser en vue de rétablir l’équilibre financier du contrat. En revanche, sera considérée comme illégale une clause d’un marché public de services qui prévoit que l’indemnité versée au délégataire peut excéder le montant du préjudice subi par celui-ci, du fait de cette résiliation (CAA Versailles, 7 mars 2006, requête numéro 04VE01381, Commune de Davreil : Contrats-marchés publ. 2006, comm. 136, note Delacour). En outre, la réparation n’est due que si c’est bien l’administration qui est à l’origine de la modification. Ainsi, il n’y a aura pas lieu à verser des indemnités lorsque c’est son cocontractant qui a suggéré la modification (CAA Paris, 21 mars 1996, requête numéro 94PA01130, SARL Citra-Pacifique : Dr. adm. 1996, comm. 309).
Par ailleurs, ce pouvoir ne peut s’exercer sur l’ensemble des éléments du contrat. L’acte unilatéral ne peut ainsi modifier la nature globale du contrat de concession (Code de la commande publique, art. L. 3135-1) ou du marché public (Code de la commande publique, art. L. 2194-1). De même, en principe, il ne peut pas concerner les clauses financières qui ne peuvent être modifiées que d’un commun accord entre les parties, sauf rectification d’erreurs matérielles (CE, 23 mai 1936, Commune du Vésinet : Rec., p. 59). Il ne peut donc porter que sur les clauses techniques du contrat. Une cour administrative d’appel a décidé qu’une modification unilatérale pouvait également intervenir au terme d’un processus de renégociation organisé par le contrat (CAA Nancy, 20 décembre 2007, requête numéro 05NC00897, Société Vivendi c. Commune de Saint-Dizier : Contrats-Marchés publ. 2008, comm. 77, note Frérot). Dans ce cas, en effet, la modification unilatérale des clauses financières n’est qu’une conséquence de l’accord initial des parties. L’autorité délégante peut donc modifier unilatéralement les clauses financières du contrat lorsque le délégataire a refusé de signer l’avenant élaboré en application d’une clause du contrat.
On notera aussi que le Conseil d’Etat, contrairement à certains juges du fond, a refusé de reconnaître aux concessionnaires la possibilité de former un recours contestant la validité d’une mesure de modification unilatérale et tendant au rétablissement de l’état antérieur du contrat (CE, 15 novembre 2017, requête numéro 402794, Les fils de Madame Géraud : Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 19.– CE, 8 mars 2023, requête numéro 464619, SIPPEREC, préc.).
1275.- Pouvoir de résilation unilatérale.- On retrouve la même logique que celle précédemment exposée dans le pouvoir qui est conféré à l’administration de résilier unilatéralement les contrats qu’elle souscrit (CE Ass., 2 mai 1958, requête numéro 32401, requête numéro 32402, requête numéro 32507, requête numéro 34562, Distillerie de Magnac Laval : Rec., p. 246 ; AJDA 1958, II, p. 282 ; D. 1958, p. 73, note de Laubadère). Ici encore, c’est l’intérêt général, ou plus précisément, selon les termes employés dans la plupart des arrêts, l’intérêt du service, qui justifie ce pouvoir.
Exemple :
– Dans cette affaire, le gouvernement avait voulu réduire la quantité totale de production d’alcool qu’il s’était engagé par contrats à acheter ce qui avait eu pour effet de mettre fin au marché conclu avec la société requérante. Celle-ci soutenait qu’en méconnaissant ainsi les droits que les distillateurs titulaires de ces marchés tenaient de leurs contrats, le gouvernement avait porté atteinte à leurs biens et avait ainsi excédé les pouvoirs que lui conféraient la législation en vigueur. Le Conseil d’Etat décide que le gouvernement pouvait mettre fin, comme il l’a fait, à ces marchés de fournitures.
– CE, 10 juillet 1996, requête numéro 140606, Coisne (Rec. tables, p. 1006, concl. Chantepy ; RFDA 1997, p. 504) : en invoquant pour la résiliation d’une convention de prestation de service relative à l’information communale des motifs tirés de l’imprécision de ses dispositions, des irrégularités de rédaction notamment en ce qui concerne sa résiliation et pour la résiliation de la convention relative à la promotion de la ville, des motifs tirés de la nécessité d’une meilleure cohérence entre les différents organismes intervenant dans ce domaine, la commune de Divonne-les-Bains qui a informé les conseillers municipaux, au cours de cette même séance que la gestion de ces activités serait mieux assurée par le biais d’une régie, a suffisamment motivé sa décision. Ces motifs doivent être regardés comme des motifs d’intérêt général de nature à justifier la mesure litigieuse.
1276.- Différence avec la résiliation sanction.- Dans cette hypothèse, il ne s’agit pas, comme dans le cadre de la résiliation sanction, de punir le cocontractant (sur les difficultés de distinction entre ces deux hypothèses de résiliation, V. CAA Nancy, 27 juin 2013, requête numéro 12NC01799, Commune de Verdun : LPA 5 mai 2014, p. 11, note Tifine). Pour cette raison, celui-ci percevra une indemnité, ce qui n’est pas le cas en principe dans le cadre de la résiliation sanction.
Exemple :
– CE, 21 décembre 2007, requête numéro 293260, Région du Limousin (AJDA 2008, p. 481, note Dreyfus) : le Conseil d’Etat engage la responsabilité contractuelle de l’Etat à l’égard d’une région avec laquelle il avait conclu une convention relative à la modernisation d’une liaison ferroviaire, pour ensuite modifier unilatéralement son engagement. L’Etat est donc condamné à indemniser la région des dépenses d’études effectuées en application de la convention.
L’administration contractante doit prendre garde de ne pas se tromper de motif de résiliation. Ainsi, dans l’hypothèse où le contrat est résilié pour motif d’intérêt général, elle ne saurait écarter l’indemnisation du manque à gagner en invoquant les fautes qui auraient été commises par le délégataire (CE, 31 juillet 2009, requête numéro 316534, Société Jonathan Loisirs : Rec. tables, p. 739 ; Dr. adm. 2009, comm. 129 ; RJEP 2010, comm. 17, note Chamard-Heim).
Le pouvoir de résiliation est reconnu par la jurisprudence dans des termes aussi généraux que celui de modification unilatérale. Comme l’a précisé le Conseil d’Etat, dans son arrêt d’Assemblée du 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, l’administration contractante peut « en tout état de cause … en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs … mettre fin aux contrats administratifs … sous réserve des droits à indemnité des intéressés » (requête numéro 32401, requête numéro 32402, requête numéro 32507, requête numéro 34562 : préc.).
Dans le cas particulier où est en cause est une convention de coopération entre personnes publiques un simple déséquilibre financier ne constitue pas un motif suffisant. Il est exigé, dans ce cas, un bouleversement de son équilibre où – c’est une autre hypothèse – une disparition de la cause du contrat (CE, 27 février 2014, requête numéro 357028, Commune de Béziers : Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 101, note Eckert ; JCP G 2015, act. 301, obs. Erstein ; AJDA 2015, p. 1482, note Bourdon).
1277.- Cas particulier de la résiliation pour motif d’intérêt général dans le cas où le contrat est entaché d’illégalité.- Une variante de la jurisprudence Distillerie de Magnac-Laval a été récemment dégagée par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt Société Comptoir Négoce Equipements du 10 juillet 2020 (requête numéro 430864 : Dr. adm. 2020, comm. 40, note Brenet ; JCP A 2020, act. 431, obs. Erstein). Cet arrêt précise les conditions de mise en œuvre du pouvoir de résiliation du contrat pour motif d’intérêt général dans les hypothèses où celui-ci est entaché d’illégalité, hypothèse qui avait déjà été visée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 7 mai 2013, Société auxiliaire de parcs de la région parisienne (requête numéro 365043 : AJDA 2013, p. 1271, chron. Domino et Bretonneau ; JCP A 2013, comm. 2297, note Vila). D’une part, l’illégalité doit être d’une gravité telle qu’elle permettrait au juge administratif, dans le cadre d’un recours dirigé contre le contrat, de l’annuler. Sont ici concernés une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, ce qui renvoie à la fois à la jurisprudence Commune de Béziers I (CE Ass., 28 décembre 2009, requête numéro 304802, préc.) et Département du Tarn-et-Garonne (CE Ass., 4 avril 2014, requête numéro 358994, préc.). D’autre part, le pouvoir de résiliation ne peut être exercé par l’administration que sous réserve du principe de loyauté des relations contractuelles, ce qui constitue une autre référence au contentieux de la formation du contrat, et plus précisément une fois encore à la jurisprudence Commune de Béziers I. Ceci implique, très certainement, que l’administration contractante n’a pas la possiblité de résilier le contrat à raison d’un vice dont elle est à l’origine. Ainsi, le pouvoir de résiliation de la personne publique pour invalidité du contrat est désormais soumis aux mêmes exigences que le pouvoir de résiliation du juge. Il en va de même concernant l’indemnisation du cocontractant de l’administration, le Conseil d’Etat adaptant la jurisprudence Société Jean-Claude Decaux qui concerne les conséquences pécuniaires de l’annulation de contrat (CE Sect., 10 avril 2008, requête numéro 244950, requête numéro 284439, requête numéro 284607 : Rec., p. 151, concl. Dacosta ; AJDA 2008, p. 1092, chron. Boucher et Bourgeois-Machureau ; BJCP 2008, p. 280, concl. Dacosta.- Contrats-Marchés publ. 2008, comm. 128, note Pietri; Dr. adm. 2008, comm. 78, obs. Melleray ; JCP A 2008, comm. 2116, concl. Dacosta; RJEP 2008, comm. 26, concl. Dacosta). Il en résulte que le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d’effet de la résiliation – celle-ci n’ayant pas contrairement à l’annulation de caractère rétroactif – au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé. Sur le terrain contractuel, il peut aussi obtenir une indemnisation si l’irrégularité du contrat résulte d’une faute de l’administration, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes.
1278.- Aménagement contractuel du pouvoir de résiliation unilatérale.- En application des principes dégagés par la Distillerie de Magnac-Laval, il a été jugé que si une personne publique peut aménager les conditions dans lesquelles elle sera susceptible de procéder à cette résiliation (CE, 11 mai 1990, requête numéro 68689, OPHLM de la Ville Toulon) elle n’a pas la possibilité d’y renoncer à l’avance par une stipulation contractuelle (CE, 6 mai 1985, requête numéro 41589, requête numéro 41699, Association Eurolat et Crédit foncier de France : Rec., p. 141 ; AJDA 1985, p. 620, note Fatôme et Moreau ; LPA, 23 octobre 1985, p. 4, note Llorens ; RFDA 1986, p. 21, concl. Genevois ; RDP 1986, p. 21).
1279.- Incidence du Code de la commande publique.- Le Code de la commande publique a limité les cas dans lesquels le cocontractant public peut modifier unilatéralement le contrat. En particulier, comme on l’a vu, les modifications apportées au contrat ne peuvent être « substantielles » ce qui veut dire qu’elles ne peuvent changer « la nature globale » du contrat (V. pour les contrats de concession, Code de la commande publique, art. L. 3135-1.- pour les marchés publics, Code de la commande publique, art. L. 2194-1). Par ailleurs, pour les cas de travaux, fournitures ou services supplémentaires devenus nécessaires, le montant des modifications prévues ne peut être supérieur à 50 % du montant du marché public initial (V. pour les contrats de concession Code de la commande publique, art. R. 3135-3.- pour les marchés publics, Code de la commande publique, art. R. 2194-3).
La question, au regard de ces mêmes textes, de l’exercice d’un pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général ne se pose pas exactement dans les mêmes termes. En effet, les articles L. 3136-3 et L. 2195-3 du Code de la commande publique se bornent à reconnaître la possibilité pour l’autorité compétente de résilier la concession ou le marché pour un motif d’intérêt général, en opérant un renvoi à l’article L.6 qui se borne à mentionner que « le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat ».
II – Droits du cocontractant de l’administration
1280.- Droit à être payé.- Le cocontractant de l’administration bénéficie du droit d’être rémunéré pour les prestations réalisées prévues au contrat, ainsi que du droit d’être indemnisé de certaines dépenses supplémentaires qui n’étaient pas prévues à l’origine.
A – Rémunération du cocontractant
1281.- Paiement des prestations réalisées.- Le cocontractant privé a le droit d’être payé pour les prestations réalisées.
1282.- Marchés publics et délégations de service public.- Les marchés publics donnent lieu au paiement d’un prix, alors que les contrats de délégation de service public, selon la définition donnée par l’article 3 de la loi MURCEF n°2001-1168 du 11 décembre 2001, codifié à l’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales, étaient des contrats « par (lesquels) une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la charge à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service ».
Ainsi, pour qu’un contrat soit qualifié de contrat de délégation de service public, il était nécessaire que la part variable de la rémunération soit suffisamment importante pour que la rémunération du cocontractant puisse être considérée comme « substantiellement liée aux résultats de l’exploitation », ce qui était susceptible de poser un certain nombre de problèmes d’appréciation.
Exemple :
– CE, 30 juin 1999, requête numéro 198147, Syndicat mixte du traitement des ordures ménagères centre-ouest et seine-et-marnais (Rec., p. 299 ; AJDA 1999 p. 714, concl. Bergeal et note Peyrical ; LPA 28 février 2000, p. 10, note Boiteau ; RFDA 1999, p. 1134, note Douence et Vidal ; RGCT 1999, p. 440, note Mescheriakoff) : une part de recettes tirées de l’exploitation du service représentant 30 % du total des recettes perçues doit être considérée comme substantielle.
1283.- Evolution du critère de définition des délégations de service public (et des contrats de concession).- Cet élément de définition du contrat de délégation du service public avait été remis en cause par la jurisprudence du Conseil d’Etat qui avait fini par privilégier le critère du risque d’exploitation. En d’autres termes l’exploitant, s’il attend un bénéfice du contrat, doit également être en mesure de supporter un éventuel déficit. Il s’agissait ici d’un alignement sur la distinction opérée par la Cour de justice des communautés européennes entre les marchés publics et les contrats de concessions (CJCE, 13 octobre 2005, affaire numéro C-458/03, Parking Brixen Gmbh : AJDA 2005, p. 1983. – CJCE, 18 juillet 2007, affaire numéro C-382/05, Commission c. Italie. – CJCE, 10 septembre 2009, affaire numéro C- 206/08, Wasser Gotha : Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 329, note Zimmer).
La nouvelle directive sur l’attribution de contrats de concession (PE et Cons. UE 2014/23) précise quant à elle dans son article 5 que « le concessionnaire est réputé assumer le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas certain d’amortir les investissements qu’il a effectués ou les coûts qu’il a supportés lors de l’exploitation des ouvrages ou services qui font l’objet de la concession ». Elle indique également que « la part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, telle que toute perte potentielle estimée qui serait supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable ».
Ce critère avait été expressément repris par le Conseil d’Etat dans son arrêt Département de la Vendée du 7 novembre 2008 (requête numéro 291794 : Rec. tables, p. 805 ; AJDA 2009, p. 2454, note Richer et Le Chatelier ; Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 296, note Eckert ; CP-ACCP mars 2009, p. 59, note Le Chatelier ; BJCP 2009, p. 76, note Pez ; Dr. adm. 2009, comm. 5.- V. également CE, 5 juin 2009, requête numéro 298641, Société Avenance enseignement santé : Contrats – Marchés publ. 2009, comm. 236, note Eckert.- CE, 1er avril 2009, requête numéro 323585, Communauté urbaine Bordeaux et Société Koélis : Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 162, note Soler-Couteaux.- CE, 19 novembre 2010, requête numéro 320169, Dingreville : BJCP 2011, p. 95, concl. Dacosta ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 22, note Eckert.– CE, 4 mars 2021, requête numéro 438859, Département de la Loire : Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 135, note Hoepffner ; JCP A 2021, comm. 2199, note Vila.- CE, 24 mars 2022, requête numéro 449826, Commune de Toulouse : JCP A 2022, act. 264 ; Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 174, note Eckert). En l’espèce, un contrat relatif à un service de transport scolaire est qualifié de convention de délégation de service public seulement parce que le cocontractant assumait « une part significative du risque d’exploitation ».
La transposition en droit français de la directive du 26 février 2014 a conduit à rendre les textes nationaux cohérents avec le droit de l’Union européenne. En effet, l’article 5 de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 sur les contrats de concession précise que « les contrats de concession sont les contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».
Cette définition a été ensuite reprise par l’article L. 1121-1 du Code de la commande publique. L’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales qui vise plus spécialement, parmi les contrats de concession au sens du droit de l’Union européene, les délégations de service public, adopte une définition similaire en visant les contrats confiant « la gestion d’un service public à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ». Cet article a ensuite été modifié par l’ordonnance n°2018-1074 du 26 novembre 2018 qui renvoit désormais à la l’article L. 1121-3 du Code de la commande publique qui rappelle qu’une délégation de service public est une « concession de services ayant pour objet un service public et conclue par une collectivité territoriale, un établissement public local, un de leurs groupements, ou plusieurs de ces personnes morales ». C’est donc désormais à la définition générale des contrats de concession qui figure à l’article L. 1121-1 du même code qu’il y a lieu de se reporter, cet article étant pratiquement identique à l’article 5 de l’ordonnance abrogée du 29 janvier 2016.
B – Droit à l’indemnisation de certaines dépenses
1284.- Catégories de dépenses supplémentaires.- Il peut arriver que le cocontractant privé réalise certaines dépenses non prévues au contrat, ce qui peut être lié à quatre types de circonstances : l’exercice du pouvoir de modification unilatérale du contrat dont dispose l’administration contractante, des difficultés matérielles non prévues, des travaux indispensables, ou encore un aléa administratif ou économique.
1° Dépenses liées à l’exercice du pouvoir de modification unilatérale du contrat
1285.- Règles applicables.- Dans ce cas, comme on l’a évoqué, le cocontractant privé a le droit à une compensation intégrale des charges nouvelles qu’il subit. L’équilibre financier initial du contrat est rétabli, même si le déséquilibre du contrat ne présente qu’un caractère mineur. Comme on l’a vu, cependant, le Code de la commande publique a limité le droit à indemnisation des cocontractants de l’administration.
2° Dépenses liées à des difficultés matérielles non prévues
1286.- Théorie des sujétions imprévues.- Elaborée en matière de travaux publics, la théorie des sujétions imprévues permet à l’entrepreneur qui se heurte à des obstacles naturels exceptionnels non prévus dans le cahier des charges à obtenir une indemnité. Ce droit bénéficie également au sous-traitant (CAA Lyon, 15 mai 2008, requête numéro 07LY02701, Société entreprise Martoia). Plus précisément, le Conseil d’Etat a précisé que les sujétions imprévues sont « des difficultés matérielles rencontrées lors de l’exécution d’un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties » (CE, 30 juillet 2003, requête numéro 223445, Commune de Lens : Rec., p. 862 ; BJCP 2003, p. 462, concl. Piveteau ; AJDA 2003, p. 1727, note Dreyfus).
Les difficultés susceptibles de provoquer l’application de la théorie des sujétions imprévues tiennent le plus souvent à des sujétions liées à la composition du sous-sol : roches dures, poches de sable, nappes d’eau dont les sondages n’avaient pu déceler la présence, etc. Elles peuvent également résulter de pluies diluviennes inattendues ayant entravé l’activité d’un chantier (CE, 13 mai 1987, requête numéro 35374, Société Citra-France : Rec., p. 821 ; D. 1987, somm. p. 433, obs. Terneyre ; RDP 1988, p. 1426).
La difficulté consiste, dans tous les cas, à apprécier le caractère imprévisible des obstacles rencontrés.
Exemples :
– CAA Marseille, 21 novembre 2000, requête numéro 98MA00892, Département du Var : l’augmentation du coût des travaux a été occasionnée par une définition insuffisante de la consistance de ces travaux et non par la rencontre de sujétions techniques imprévues comme la présence de parties du sous-sol friables ne pouvant permettre l’assise des fondations de l’ouvrage. Les services départementaux étaient, en effet, en mesure d’identifier la nature particulière du terrain en menant des investigations peu onéreuses et ne nécessitant pas la mise en œuvre de moyens techniques exceptionnels.
– CAA Douai, 21 décembre 2021, requête numéro 20DA00520, Gent Dredging (JCP A 2022, act. 2118, obs. Linditch : une clause de contrat mentionnait « à titre indicatif » l’éventualité de la rencontre d’une forte proportion de blocs non refoulables dans le cadre de travaux de dragage sous-marin. L’indemnité de sujétions imprévues est écartée « les difficultés résultant de la rencontre de ces blocs non refoulables, à les supposer même exceptionnelles dans leur intensité, ne peuvent être regardées comme ayant été imprévisibles ».
1287.- Montant de l’indemnisation.- Dans cette hypothèse, une solution identique à celle du cas précédent s’applique et le cocontractant de l’administration a donc le droit au rétablissement de l’équilibre financier initial du contrat. En revanche, l’indemnité ne couvre ni les aléas normaux du chantier ni une marge bénéficiaire supplémentaire, par rapport à celle incluse dans le prix initial du marché (CE, 7 novembre 2008, requête numéro 290699, Société Guintoli et a. : les aléas normaux sont évalués à 5% du surcoût global du chantier).
En matière de marchés publics, les solutions dégagées par la jurisprudence avaient été reprises par le Code des marchés publics de 2006 dont l’article 20 précisait que « sauf en cas de sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties, un avenant ne peut bouleverser l’économie du marché ». On ne manquera toutefois pas de signaler que la question de la pérennité de la théorie des sujétions imprévues doit se poser eu égard aux nouveaux textes relatifs aux marchés publics et aux concessions. Certes, selon le Code de la commande publique un contrat peut être modifié « lorsque … la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’une autorité concédante (ou un acheteur) diligent(e) ne pouvait pas prévoir » (V. pour les marchés publics, art. R. 2194-5.- pour les contrats de concession, R3135-5). Toutefois, lorsque le contrat est conclu par un pouvoir adjudicateur, le montant des modifications ne doit pas être supérieur à 50 % du montant du contrat initial (V. pour les marchées publics, article R. 2194-3.- pour les contrats de concession, art. R. 3135-3), ce qui pose problème au regard du principe retenu jusqu’alors par la jurisprudence dans le cadre de la théorie des sujétions imprévues en vertu de laquelle cette limitation n’existe pas. Dans la pratique, cependant, il est beaucoup plus recouru à la théorie de l’imprévision, qui ne permet, comme on le verra, que de réparer une partie du préjudice subi, qu’à la notion de sujétions imprévues.
3° Travaux indispensables
1288.- Distinction entre travaux utiles et travaux indispensables.- Dans le cadre d’un marché de travaux, le titulaire du marché peut réaliser spontanément des travaux non prévus, dès lors qu’ils sont « indispensables à la bonne exécution des ouvrages compris dans les prévisions du marché » (CE Sect., 17 octobre 1975, requête numéro 93704, Commune de Canari : Rec., p. 516 ; CJEG 1976, p. 26, note Le Galcher et Michel ; AJDA 1975, p. 562, chron. Boyon et Nauwelaers.- CE, 20 décembre 2017, requête numéro 401747, Communauté d’agglomération du Grand Troyes : Contrats-Marchés pub. 2018, comm. 33, obs. Ubaud-Bergeron.- CAA Nancy, 25 février 2020, requête numéro 18NC02081). Dans ce cas, l’entreprise sera payée conformément aux conditions fixées par le contrat. En revanche, des travaux simplement « utiles » à la bonne exécution du marché, ne feront pas l’objet d’une indemnisation en l’absence d’ordre de service du maître d’ouvrage (même arrêt).
4° Dépenses liées à un aléa administratif ou à un aléa économique
1289.- Hypothèses.- L’aléa administratif et l’aléa économique sont des évènements extérieurs à la volonté des parties, agissant en tant que parties au contrat, imprévisibles, mais en aucun cas irrésistibles. Dans ces deux cas de figure des principes généraux s’appliquent. S’y ajoutent des règles spécifiques à l’aléa économique et à l’aléa administratif.
a- Principes généraux applicables
1290.- Fait du prince et imprévision.- La survenance d’un aléa administratif, ou d’un aléa économique, peut conduire le juge à appliquer, concurremment ou isolément, deux théories jurisprudentielles.
Il s’agit, en premier lieu, de la théorie du fait du prince qui concerne exclusivement le cas d’un aléa administratif. Cette théorie est susceptible de jouer lorsque l’intervention de la puissance publique influe sur l’exécution du contrat.
Il s’agit ensuite de la théorie de l’imprévision qui concerne à la fois le cas d’un aléa administratif et celui d’un aléa économique : on parle d’état d’imprévision lorsque le fait du prince, ou tout autre événement extérieur aux relations contractuelles, aboutit à un bouleversement de l’équilibre financier du contrat.
1291.- Indemnisation du cocontractant de l’administration.- Dans les deux hypothèses visées, le principe, qui connaît quelques exceptions, est que l’existence d’une simple rupture de l’équilibre financier résultant de l’aggravation des charges du cocontractant n’est normalement pas réparée. L’idée générale qui sous-tend la jurisprudence, c’est que l’administration contractante, si elle n’est pas à l’origine de cette aggravation, ne doit pas, en principe, d’indemnités. En effet, les difficultés de la personne privée sont liées, qu’il s’agisse d’un aléa administratif ou bien d’un aléa économique, à un événement extérieur au contrat.
Toutefois, si la réparation n’est pas due, en principe, en cas de simple rupture de l’équilibre financier du contrat, l’administration devra indemniser son cocontractant en cas de véritable bouleversement de cet équilibre mettant en danger l’exécution même du contrat. En effet, un tel déséquilibre peut rendre impossible, pour le cocontractant privé, l’exécution de ses obligations. Dans ce cas, la personne publique partie au contrat devra en quelque sorte aider son cocontractant à continuer d’exécuter ses prestations en lui versant une indemnité, si toutefois cette exécution demeure possible. Là encore, cette solution est justifiée par la notion d’intérêt général.
b- Théorie du fait du prince
1292.- Hypothèses.- La théorie du fait du prince recouvre elle-même deux hypothèses différentes qui donnent lieu à des solutions distinctes. Dans les deux cas, cependant, c’est une intervention de l’administration qui est à l’origine de l’aggravation des charges du cocontractant privé.
α- Intervention d’une personne publique autre que celle qui est partie au contrat
1293.- Absence d’indemnisation sauf en cas d’imprévision.- Un exemple classique de cette jurisprudence est fourni par l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 juillet 1949, Ville d’Elbeuf (requête numéro 93431 : Rec., p. 359 ; D. 1950, p. 60, note Blaevoet ; S. 1950, III, p. 61, note Mestre). Dans cette affaire, l’aggravation des charges du cocontractant privé, concessionnaire du service public d’électricité, résultait, non pas de l’action de la commune liée par la convention, mais de l’intervention d’un décret augmentant de façon substantielle les cours de l’énergie.
Le principe est que le fait du prince extérieur aux parties contractantes n’ouvre pas le droit au rétablissement de l’équilibre financier du contrat. Il n’en va autrement que si ce déséquilibre est tel, qu’il constitue un véritable bouleversement de l’économie du contrat rendant presque impossible l’exécution par le cocontractant privé de ses obligations. Dans cette hypothèse, pour permettre la continuation du contrat, la théorie de l’imprévision s’appliquera et le cocontractant pourra percevoir une indemnité.
β- Intervention de la personne publique contractante agissant à un autre titre que celui de partie au contrat
1294.- Illustration.- Ce cas de figure peut être illustré par l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 janvier 1985 Association le relais culturel d’Aix-en-Provence (requête numéro 51534 : RDSS 1985, n°4, p. 537.- V. également CE, 21 décembre 2007, requête numéro 293260, requête numéro 293261, requête numéro 293262, requête numéro 293263, Région Limousin : JCP A 2008, comm. 205, note Pontier).
Dans cette affaire, était en cause un contrat conclu entre cette association et la ville d’Aix-en-Provence. Une délibération du conseil municipal intervient et supprime la subvention jusqu’alors versée à l’association. Celle-ci est alors dans l’impossibilité de continuer à assurer ses prestations, du fait d’un agissement de son cocontractant agissant à un autre titre que celui de cocontractant.
1295.- Une application incertaine.- Sur ce point précis, la jurisprudence est à la fois rare et incertaine. Elle paraît cependant distinguer deux cas de figure.
Si la mesure prise par la personne publique frappe spécifiquement son cocontractant privé – ce qui est le cas dans l’arrêt du 18 janvier 1985 – l’administration partie au contrat devra verser une indemnité à l’intéressé, comme dans les cas où elle utilise son pouvoir de modification unilatérale. Plus précisément, c’est l’intégralité du préjudice subi qui sera réparé, quelle que soit son importance, même lorsque l’équilibre financier du contrat n’est pas bouleversé.
En revanche, si la mesure prise par la personne publique ne frappe pas exclusivement son cocontractant, si elle présente un caractère général, la réparation du préjudice est en principe écartée.
Exemple :
– CAA Paris, 25 mai 1993, requête numéro 91PA00863, Société Renoveco (Rec., p. 874 ; Dr. adm. 1993, comm. 446) : un contrat conclu entre l’Etat et cette société prévoyait le remboursement partiel ou total d’une aide spéciale en cas de non réalisation des objectifs économiques et financiers fixés par ce contrat. Pour la cour, les modifications règlementaires apportées par l’Etat dans les conditions de passation des marchés de travaux d’économie d’énergie et dans les modalités de prêts ainsi que dans les avantages fiscaux et financiers consentis aux particuliers en ce domaine, ne sont pas constitutives d’un fait du prince de nature à l’exonérer de son obligation de rembourser.
Toutefois, par exception, le cocontractant de l’administration percevra une indemnité si la mesure prise porte atteinte à un élément essentiel du contrat. C’est la solution qui a été retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt Compagnie marseillaise de navigation du 20 mai 1904 (Rec., p. 425 ; D. 1906, III, p. 17, concl. Teissier). Cette affaire mettait en cause un contrat conclu entre l’Etat et une société de transport maritime qui s’engageait à assurer ses prestations à des prix réduits, voire gratuitement dans certains cas. La mise en place par un décret de droits de péage dans les ports constitue ici un fait du prince indemnisable.
Par ailleurs, en application de la théorie de l’imprévision, une indemnité sera due en cas de bouleversement de l’équilibre du contrat. Ainsi, il n’y aura lieu à indemnisation du cocontractant privé que dans les cas où son versement aura pour objet de permettre à la personne privée de continuer d’exécuter ses prestations.
Tel est le cas, par exemple, dans une affaire où des réductions de tarifs importantes, mettant en danger la continuation d’un contrat, avaient été imposées par la signature d’une convention internationale (CE Sect., 22 décembre 1961, SNCF : Rec., p. 738).
Au final, il apparaît que la théorie du fait du prince connaît un certain recul en raison de la concurrence que lui fait la théorie de l’imprévision. En effet, comme on l’a vu, le fait du prince ne donne en principe lieu à une indemnité qu’en cas de bouleversement de l’équilibre financier du contrat. Les seules hypothèses où la théorie du fait du prince s’applique de façon autonome paraissent marginales : il s’agit du cas où le déséquilibre a pour origine une mesure prise par la personne publique, n’agissant pas en sa qualité de cocontractant, et touchant exclusivement son cocontractant privé et celui d’une mesure générale portant atteinte à un élément essentiel du contrat.
c- Imprévision
1296.- Une notion à l’origine réservée aux seuls contrats administratifs.- En principe, toute activité économique est considérée comme soumise à certains aléas. Ainsi, lorsqu’en droit privé l’exécution d’un contrat s’avère être une mauvaise affaire pour l’une des parties, elle n’a le droit à aucune indemnité. C’est ce qui résulte clairement du célèbre arrêt « Canal de Craponne » du 6 mars 1876, rendu au visa de l’article 1134 du Code civil, dans lequel on peut lire que « dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants » (D. 1876, I, p. 193, note Giboulot .- V. infra sur l’introduction récente de la théorie de l’imprévision en droit privé).
Tel n’est pas le cas pour les contrats administratifs ce qui est lié, une fois encore, à la notion d’intérêt général qui, pour une fois, bénéficie au cocontractant privé. Ainsi, lorsque les conditions économiques d’exécution d’un contrat administratif sont bouleversées et compromettent cette exécution, le cocontractant privé doit bénéficier d’une aide financière lui permettant de poursuivre cette exécution.
α- Apparition de la théorie
1297.- Jurisprudence Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux.- La théorie de l’imprévision est apparue à l’occasion de l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux (requête numéro 59928 : Rec., p. 125, concl. Chardenet ; RDP 1916, p. 206 et p. 388, concl. Chardenet, note Jèze ; S. 1916, III, p. 17, concl. Chardenet, note Hauriou).
En l’espèce, la société requérante, concessionnaire du service public d’éclairage de la ville de Bordeaux, demande à la ville le versement d’une indemnité réparant la perte que lui a fait subir la hausse du prix du charbon. En un an, le prix du charbon avait en effet été multiplié par quatre, ce qui s’expliquait par les circonstances de guerre et l’occupation par l’ennemi des principales régions productrices. Le Conseil d’Etat pose alors pour principe que le contrat litigieux règle d’une façon définitive jusqu’à son expiration les obligations respectives des parties. Par conséquent, le cocontractant privé est tenu d’exécuter les prestations prévues, à ses risques et périls. Ainsi, en principe, la variation du prix des matières premières est un aléa du marché qui demeure à sa charge. Toutefois, ce principe connaît un aménagement qui est lié à la notion d’intérêt général. Les juges précisent que lorsqu’il survient un évènement qui dépasse les prévisions des parties au moment de la conclusion du contrat, et qui aboutit à un bouleversement de son économie, la personne publique cocontractante est tenue de verser une indemnité pour permettre la poursuite du contrat.
β- Conséquences de l’état d’imprévision
1298.- Une indemnisation partielle.- En cas d’imprévision, l’indemnisation du cocontractant n’est pas intégrale. Généralement, l’indemnité ne couvre en effet que 90 à 95% des charges supplémentaires subies par le cocontractant privé, ce qui se justifie de deux points de vue différents.
D’une part, l’alourdissement des charges du contractant privé n’est pas le fait de l’administration agissant en tant que partie au contrat. S’il est logique de la contraindre à indemniser intégralement la personne privée lorsqu’elle use de son pouvoir de modification unilatérale, il est également logique de ne pas mettre entièrement à sa charge les conséquences de circonstances extérieures au contrat.
D’autre part, les juges réalisent une distinction entre les aléas normaux pouvant survenir durant l’exécution du contrat, qui restent à la charge du cocontractant privé, et les évènements exceptionnels qui remettent en cause son équilibre économique. Il convient, dès lors, de prendre en compte, dans le calcul de l’indemnité, la part de l’aléa normal susceptible d’affecter l’exécution du contrat.
Dans le même ordre d’idées, le Conseil d’Etat a récemment précisé que le calcul de l’indemnité doit tenir compte, le cas échéant, des autres facteurs qui ont contribué au bouleversement de l’économie du contrat. Elle ne pourra donc venir qu’en compensation de la part de déficit liée aux circonstances imprévisibles (CE, 21 octobre 2019, requête numéro 419155, Société Alliance : Dr. adm. 2020, comm. 11, note de Fournoux).
1299.- Objet de l’indemnisation.- L’indemnité d’imprévision permet à l’administration d’aider son cocontractant privé à exécuter ses prestations. Il s’agit donc d’assurer, dans un but d’intérêt général, la continuité du service public. Il est donc normal de considérer qu’il n’y a pas lieu de verser d’indemnités, quand bien même les conditions visées par la jurisprudence Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux seraient respectées, dans deux cas de figure.
En premier lieu, l’indemnité d’imprévision n’est pas due lorsque le cocontractant privé a interrompu ses prestations (CE Sect., 5 novembre 1982, requête numéro 19413, Société Propétrol : Rec., p. 381 ; AJDA 1983, p. 259, concl. Labetoulle ; D. 1983, jurispr. p. 245, note Dubois ; JCP G 1984, II, comm. 20168, note Paillet).
En second lieu, l’indemnité d’imprévision n’est versée que si les difficultés d’exécution du contrat présentent un caractère temporaire. Tel n’est pas le cas si ces difficultés constituent un cas de force majeure, c’est-à-dire un événement imprévisible, extérieur à la volonté des parties et également irrésistible. En effet, la survenance d’un cas de force majeure rend inutile le versement d’une indemnité d’imprévision puisque, de toutes façons, le contrat ne peut plus faire l’objet d’une exécution. Comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg (requête numéro 89655, requête numéro 01000, requête numéro 01001 : Rec., p. 1050, concl. Josse) lorsque « contrairement aux prévisions essentielles du contrat … le fonctionnement d’un service a cessé d’être viable … la situation nouvelle ainsi créée constitue un cas de force majeure et autorise à ce titre (les parties) à demander au juge la résiliation du contrat ». Dans cette hypothèse, l’une ou l’autre des parties est habilitée à solliciter la résiliation judiciaire du contrat (CE, 14 juin 2000, requête numéro 184722, Commune de Staffefellden : Rec., p. 227 ; BJCP 2000, p. 434, concl. Bergeal ; LPA 8 décembre 2000, p. 14, note Jégouzo-Viénot). Le cocontractant privé peut également obtenir le remboursement des amendes mises à sa charge pour inexécution de ses obligations contractuelles infligées par l’administration.
En suivant la même logique, on devrait également estimer que la théorie de l’imprévision ne devrait pas recevoir application lorsque le contrat dont l’économie a été bouleversée est venu à son terme. En effet, dans ce cas de figure, il n’y a plus lieu de verser une indemnité qui aurait pour objet d’assurer le prolongement de l’exécution du contrat. Pourtant, depuis l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 12 mars 1976, Département des Hautes-Pyrénées (requête numéro 91471 : AJDA 1976, p. 552, concl. Labetoulle), le Conseil d’Etat accepte de condamner l’administration contractante au versement d’une indemnité dans de tels cas. Cette solution, qui est conforme à l’équité, rompt manifestement avec la logique de la théorie de l’imprévision.
Dans le même ordre d’idées, mais de façon plus contestable, le Conseil d’Etat estime désormais que le cocontractant de l’administration peut percevoir une indemnité d’imprévision alors même que le contrat a fait l’objet d’une décision de résiliation par l’administration. Cette solution s’explique par le fait que même si ce contractant n’a pas respecté ses obligations, il a pu subir les conséquences d’un bouleversement imprévisible des conditions d’exécution du contrat (CE, 10 février 2010, requête numéro 301116, Société Prest’action : ACCP 94/2009, p. 15, obs. Jouguelet ; Contrats–Marchés publ. 2010, comm. 133). En revanche, cette solution ne s’applique pas pour un marché entaché de nullité. Ceci s’explique par le fait que la théorie de l’imprévision « a nécessairement un fondement contractuel » et que dans une telle hypothèse le contrat a été anéanti rétroactivement (CAA Marseille, 8 février 2010, requête numéro 07MA02181, Société Securitas France SARL).
1300.- L’effet des clauses de révision dans les contrats administratifs.- Enfin, il faut relever que dans la pratique, la théorie de l’imprévision a conduit à introduire dans les contrats des clauses de révision qui permettent une adaptation aux évolutions de la situation économique et financière, ce qui évite généralement d’avoir recours à cette théorie.
Exemples :
– CAA Bordeaux, 3 mai 2011, requête numéro 10BX01996, Société Gagne (Contrats- Marchés publ. 2011, comm. 207, obs. Llorens) : dans l’hypothèse où un événement extérieur aux parties, imprévisible au moment de la conclusion du contrat, a pour effet de bouleverser l’économie du contrat, le titulaire du marché est en droit de réclamer au maître d’ouvrage une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle qu’il a supportée en exécutant les prestations dont il avait la charge. Une augmentation de 3 % du montant global du marché imputable à la hausse du prix de l’acier ne modifie pas l’économie du contrat dans une proportion suffisante pour ouvrir droit, au profit de l’intéressé, à l’allocation d’une indemnité pour charges extracontractuelles. En tant que professionnel avisé, l’entrepreneur ne pouvait ignorer que la formule contractuelle de révision du prix du marché ne permet de prendre en compte que de manière très partielle les hausses des prix de l’acier utilisé qui doivent ainsi entrer dans ses prévisions.
– CAA Nancy, 27 janvier 2011, requête numéro 10NC00154, Société EUROVIA Champagne Ardenne (Contrats- Marchés publ. 2011, comm. 145, obs. Llorens) : si la société requérante soutient que lors de la formulation de son offre et de la signature des marchés, l’augmentation brutale du prix des produits pétroliers n’était pas prévisible, le prix du pétrole est régulièrement soumis à de fortes variations se répercutant sur le coût de produits à forte teneur en bitume comme ceux utilisés pour la réalisation des prestations des marchés en cause. La société, qui ne pouvait méconnaître la situation du marché des produits pétroliers, n’est pas fondée à soutenir que de telles variations des prix des produits utilisés présentaient un caractère imprévisible. Alors même que les clauses de révision des prix prévues aux contrats n’auraient pas corrigé l’évolution des prix des produits pétroliers, elle ne saurait prétendre à une indemnité d’imprévision.
– CAA Bordeaux, 26 avril 2018, requête numéro 15BX02295, Société Eiffage TP SO : l’augmentation du coût des aciers après la notification différée du marché a constitué un aléa du contrat qui doit rester à la charge du cocontractant et ne peut dès lors motiver l’allocation d’une indemnité au titre de l’imprévision que si, nonobstant l’application de la clause de révision des prix, l’économie du marché s’est trouvée bouleversée. Or, si l’augmentation du coût des aciers a été significative, et n’avait que très partiellement influencé l’indice de révision du prix du contrat, ce que la société ne pouvait ignorer, elle représente un surcoût estimé par la société Eiffage à 466 638 euros hors taxes pour un marché, après signature de l’avenant n°1, de 6 267 415 euros hors taxes, soit 7,4 % du montant du marché. Le département des Landes est, dans ces conditions, fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont regardé ce surcoût comme ayant bouleversé l’économie du marché.
1301.- Introduction de la théorie de l’imprévision en droit privé.- Ceci ne veut pas dire pour autant que la théorie de l’imprévision a perdu de son utilité. On rappellera d’ailleurs qu’elle vient d’être introduite en droit privé par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 qui remet en cause la solution plus que centenaire rendue par la Cour de cassation à l’occasion de l’arrêt « Canal de Craponne » (préc.). Ces dispositions, introduites par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, modifient l’article 1195 du Code civil dont il résulte désormais que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ».
γ- Actualité de la théorie de l’imprévision
1302.- Consécration de la théorie de l’imprévision par le Code de la commande publique.- Les textes récents applicables à la fois aux marchés publics et aux concessions, et plus spécialement le décret n°2016-360 et l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession avaient suscité des interrogations quant à une possible une remise en cause de la théorie de l’imprévision, au moment même où cette théorie faisait son entrée dans le Code civil.
Tout d’abord, en effet, ces textes, s’ils étaient inspirés par la notion européenne de « circonstances imprévisibles » ne faisaient pas référence à un fait extérieur aux parties, ni au bouleversement de l’économie du contrat, lesquelles constituent les conditions de reconnaissance de la théorie de l’imprévision.
Ensuite, la mise en œuvre de cette théorie n’entraînait pas nécessairement la modification du contrat, puisqu’il s’agissait en réalité d’un mécanisme d’aide extracontractuelle.
Enfin, comme on l’a évoqué plus haut, la modification du contrat était plafonnée à une augmentation de 50 % du montant du contrat initial, alors que cette limite n’existe pas dans le cadre de la théorie de l’imprévision (D. n°2016-86, art. 37, I ; D. n°2016-360, art. 140, I).
Le Code de la commande publique a levé cette incertitude en consacrant la théorie de l’imprévision dans son article L. 6, 3° qui prévoit que « lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité ».
1303.- Imprévision et autres possibilités légales de modifier les clauses d’un contrat sans nouvelle mise en concurrence.- L’articulation entre la théorie de l’imprévision et les dispositions du Code de la commande publique prévoyant d’autres possibilités de modifier le contrat sans nouvelle mise en concurrence a été précisée par le Conseil d’Etat dans un avis d’Assemblée du 15 septembre 2022 (requête numéro 405540 : Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 284, note Hoepffner; Dr. adm. 2023, comm. 3, note Muller ; JCP A 2022, comm. 2276, obs. Martin ; JCP A 2022, comm. 2277, note Linditch ; JCP E 2022, comm. 1335, note Lichère ; RFDA 2022, p. 1007, note Hoepffner).
Tout d’abord, en dehors de l’application de la théorie de l’imprévision, le Conseil d’Etat admet la possibilité pour les parties de modifier le contrat dans un contexte de hausse des prix et de difficulté d’approvisionnement en matières premières. Cette possibilité est encadrée par les dispositions du Code de la commande publique qui énumére les cas où un marché public ou un contrat de concession peuvent être modifiés sans nouvelle mise en concurrence (V. respectivement Code de la commande publique, art. L. 2194-1 et L. 3135-1). Ces articles visent notamment la survenance de circonstances imprévues, et la modification non substantielle ou le cas d’une modification d’un faible montant. Pour le Conseil d’Etat, de telles modifications encadrées par le Code de la commande publique peuvent porter sur les clauses tarifaires de manière « sèche », c’est-à-dire sans que la modification soit une conséquence de celle d’autres clauses contractuelles.
Ensuite, les parties peuvent recourir à la théorie de l’imprévision, telle qu’elle est codifiée à l’article L. 6, 3° du Code de la commande publique. Dans ce cas, l’indemnité d’imprévision étant extracontractuelle – et donc non régie par le Code de la commande publique – les plafonds prévus par celui-ci en cas de modification du contrat n’ont pas vocation à s’appliquer.
Dans ce cas, les parties doivent se mettre d’accord sur la durée du versement de l’indemnité et sur son montant par voie de convention, étant rappelé qu’il s’agit ici de permettre d’assurer la continuité du service public tant qu’existe la situation d’imprévision. En l’absence d’accord, le cocontractant de l’administration peut saisir le juge à cette fin.
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