RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 16 février 2010, présentée par Mme Elise A, demeurant … et Mlle Gaëlle B, domiciliée … ; Mme A et Mlle B demandent au juge des référés du Conseil d’Etat :
1°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France a rejeté leur recours dirigé contre la décision implicite du consul général de France à Bangui (République centrafricaine), refusant à Mlle B un visa de court séjour ;
2°) d’enjoindre au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire de donner les instructions nécessaires au consul afin d’autoriser provisoirement l’entrée de la jeune Gaëlle B sur le territoire français ;
3°) d’enjoindre au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire de réexaminer, dans un délai de quarante-huit heures , la demande de visa présentée par la jeune Gaëlle B à la lumière des motifs de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elles soutiennent que la condition d’urgence est remplie en raison de l’imminence de la date de l’expertise ; qu’il y a une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l’article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce que, d’une part, la décision contestée fait obstacle à l’exécution du jugement du 21 septembre 2009 du tribunal de grande instance de Toulouse et, d’autre part, porte atteinte à la poursuite de l’instance civile en cours ; que cette décision méconnaît les stipulations de l’article 8 de ladite convention garantissant le respect du droit à une vie privée et familiale normale, dès lors que Mlle B est isolée à Bangui et que la filiation est établie par la déclaration de reconnaissance de Mme A ;
Vu la décision attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2010, présenté par le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la condition particulière d’urgence n’est pas remplie dès lors que l’expertise médicale n’a pour objet que de confirmer le lien juridique de filiation, déjà établi ; que les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sont pas méconnues en ce que la mesure d’examen génétique est dépourvue d’utilité du fait de la reconnaissance du lien juridique de filiation ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de ladite convention doit être écarté en ce que, d’une part, la filiation est déjà reconnue, et, d’autre part, l’isolement de Mlle B n’est pas démontré ; qu’enfin, les requérantes ont la possibilité de demander la délivrance d’un visa en se prévalant de leur filiation ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 3 mars 2010, présenté pour Mme A et Mlle B qui reprend les mêmes conclusions et les mêmes moyens ; elles soutiennent, en outre, que l’urgence reste caractérisée, dès lors que l’administration, même en présence d’un lien juridique de filiation, pourrait formuler des doutes sur l’identité de Gaëlle, puisqu’elle conteste l’authenticité de son acte de naissance ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, Mme A et Mlle B et, d’autre part, le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 3 mars 2010 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– Me Waquet, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ; avocat de Mme A et Mlle B ;
– Mme A ;
– la représentante du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire
et à l’issue de laquelle le juge des référés a prolongé l’instruction jusqu’au 4 mars ;
Vu, enregistré le 4 mars 2010, le nouveau mémoire présenté pour Mme A et Mlle B, qui reprennent les conclusions et les moyens de leur requête ; elles soutiennent en outre qu’un acte de reconnaissance doit être transcrit sur les registres de l’état-civil et qu’il peut en outre faire l’objet d’une contestation ; que la reconnaissance prononcée par l’autorité judiciaire a donc des effets différents et que la mesure d’analyse médicale ordonnée par le tribunal de grande instance s’inscrit dans la perspective d’une telle reconnaissance ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 4 mars 2010, présenté par le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, qui reprend les conclusions de ses précédents mémoires et soutient, en outre, qu’un doute subsiste sur l’identité de la jeune Gaëlle B ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 4 mars 2010, présenté pour Mme A et Mlle B, qui reprennent les conclusions et les moyens de leurs précédents mémoires et soulignent la contradiction entre le dernier mémoire de l’administration et les déclarations faites au cours de l’audience publique quant à la portée de la reconnaissance de maternité souscrite par Mme A ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant qu’au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » ;
Considérant que Mme Elise A, ressortissante de la République centrafricaine, qui est née en 1973, réside en France depuis 2001 ; qu’elle a entrepris des démarches afin que Mlle Gaëlle B, qu’elle présente comme sa fille, née en 1991, puisse la rejoindre ; qu’une autorisation de regroupement familial a été délivrée à cette fin par le préfet de la Haute-Garonne le 11 août 2004 ; qu’en raison toutefois de doutes sur l’authenticité des documents d’état-civil produits pour établir la filiation de Mlle B, un refus de visa a été opposé par les autorités consulaires ; que, par décision du 9 janvier 2008, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a jugé que ce refus avait légalement été opposé, eu égard, en particulier, au caractère non authentique des documents d’état-civil produits par l’intéressée ;
Considérant que Mme A a ensuite engagé, auprès de l’autorité judiciaire, une action en reconnaissance de filiation ; que, par un jugement en date du 21 septembre 2009, le tribunal de grande instance de Toulouse a ordonné un examen comparatif par la méthode dite des empreintes génétiques afin de déterminer si Mme A pouvait ou non être la mère de Mlle B ; que ce jugement commet pour procéder aux examens nécessaires le laboratoire de police scientifique de Toulouse ; que, pour son exécution, Mlle B a été convoquée une première fois par le laboratoire de police scientifique de Toulouse le 20 novembre 2009 puis à nouveau le 18 janvier 2010 ; que, faute de visa, elle n’a pu se rendre à ces convocations et a obtenu une troisième convocation pour le 15 mars 2010 à 14h30 ;
Considérant qu’il incombe aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu’implique le respect des décisions de l’autorité judiciaire ; qu’une décision administrative qui fait obstacle à l’exécution d’une décision de justice méconnaît la liberté fondamentale que constitue le droit au recours effectif devant un juge ;
Considérant qu’en l’espèce, le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse est revêtu de la force exécutoire qui s’attache à toute décision de justice ; qu’il appartient en conséquence à l’administration de prendre les mesures nécessaires qui relèvent de sa compétence pour que les examens ordonnés par ce jugement puissent être pratiqués ; que l’absence d’authenticité des documents d’état-civil antérieurement produits par Mlle B ne dispense pas de l’obligation qui découle ainsi de la décision du tribunal de grande instance ; que la reconnaissance de maternité faite le 22 octobre 2009 par Mme A devant l’officier d’état-civil de Toulouse ne prive pas d’objet la mesure ordonnée par l’autorité judiciaire et n’est donc pas non plus de nature à exonérer l’administration de l’obligation de veiller au respect de la décision prise par cette autorité ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en refusant de prendre les mesures nécessaires pour que Mlle B puisse venir en France afin de se soumettre aux examens ordonnés par l’autorité judiciaire, les autorités consulaires ont porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; qu’eu égard à la date de la troisième convocation adressée à Mlle B, la condition d’urgence particulière exigée par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie ; qu’il y a lieu, en conséquence, d’enjoindre au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire de prendre les mesures nécessaires pour que Mlle B puisse entrer en France afin de se présenter, le 15 mars 2010, au laboratoire de police scientifique de Toulouse ; qu’il n’y a pas lieu, en revanche, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Il est enjoint au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire de prendre les mesures nécessaires pour que Mlle B puisse entrer en France afin de se présenter, le 15 mars 2010, au laboratoire de police scientifique de Toulouse.
Article 2 : L’Etat versera à Mme A et à Mlle B la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A, à Mlle B et au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.