RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu l’ordonnance du 28 octobre 2010, enregistrée le 8 novembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Grenoble, avant qu’il soit statué sur la demande de la SAS AUXA, tendant à l’annulation de la décision du 12 octobre 2007 par laquelle la commission départementale d’équipement commercial de la Savoie a autorisé la SAS le Modenais Distribution à créer un supermarché « Super U » à Modane, a décidé, par application des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d’Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du IV de l’article 102 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie ;
Vu le mémoire, enregistré le 27 septembre 2010 au greffe du tribunal administratif de Grenoble, présenté par la SAS AUXA dont le siège est 70, avenue de la Liberté à Fourneaux (73500), représentée par son président directeur général en exercice, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Joanna Hottiaux, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
– les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat a transmis à ce dernier, en application de l’article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
Considérant qu’aux termes du IV de l’article 102 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie : » Sont validées, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les autorisations d’exploitation d’équipements commerciaux délivrées jusqu’au 1er janvier 2009, en tant qu’elles seraient contestées par le moyen tiré du caractère non nominatif de l’arrêté préfectoral fixant la composition de la commission départementale d’équipement commercial ayant délivré l’autorisation. » ;
Considérant que, pour demander au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du IV de l’article 102 de la loi du 4 août 2008 précité, la SAS AUXA soutient que cette disposition méconnaît les principes du droit de la défense et de la séparation des pouvoirs garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à raison de l’absence en l’espèce d’un but d’intérêt général suffisant susceptible de justifier une validation législative de portée rétroactive des décisions des commissions départementales d’équipement commercial en tant qu’elles seraient contestées sur le fondement du moyen de légalité externe mentionné dans l’article précité ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été jugé par le Conseil constitutionnel, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition de poursuivre un but d’intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; qu’en outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d’intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu’enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ;
Considérant que la disposition litigieuse réserve expressément les droits nés des décisions passées en force de chose jugée ; qu’elle a pour objet, à l’occasion de la mise en place de la nouvelle législation applicable aux autorisations d’aménagement commercial, non de valider intégralement les autorisations auparavant délivrées par les commissions départementales d’équipement commercial, mais seulement de rendre insusceptible d’être invoqué devant le juge de l’excès de pouvoir le moyen tiré du caractère non nominatif de l’arrêté préfectoral fixant la composition de la commission départementale ayant pris des décisions d’autorisation contestées jusqu’au 1er janvier 2009 ; qu’un grand nombre de recours soulevant ce moyen sont pendants devant la juridiction administrative ; qu’alors même que le contexte de la réglementation évolue du fait de la nouvelle loi, de nombreuses entreprises bénéficiaires des autorisations et les personnes ayant conclu des contrats avec ces entreprises sont exposées à des annulations contentieuses de ces autorisations, ayant pour effet d’interrompre leur activité sous peine de sanctions pénale ou administrative, et susceptibles d’entraîner des conséquences négatives importantes sur l’emploi et sur le service offert aux consommateurs ; que le législateur a entendu ainsi limiter l’insécurité juridique résultant de cette situation, sans mettre en cause, pour les parties, ni la possibilité de contester les décisions d’autorisation pour d’autres motifs, tirés tant de leur légalité interne qu’externe, ni la possibilité de contester par tous moyens les décisions de refus d’autorisation ; qu’ainsi, les dispositions du IV de l’article 102 de la loi du 4 août 2008 sont justifiées par un but d’intérêt général suffisant et ne sauraient être regardées comme méconnaissant les principes du droit de la défense et de la séparation des pouvoirs garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que, par suite, la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Grenoble.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SAS AUXA, au Premier ministre et à la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au tribunal administratif de Grenoble.