RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. D…B…et M. A…C…ont, dans le cadre de l’instance relative aux affaires n° 694 et 695 de la Cour de discipline budgétaire et financière, produit des mémoires enregistrés respectivement le 20 janvier 2016 d’une part et les 20 et 21 janvier 2016 d’autre part, au greffe de la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels ils soulèvent chacun une question prioritaire de constitutionnalité.
Par un arrêt n° 205-694/695-II du 2 février 2016, enregistré le 3 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Cour de discipline budgétaire et financière, avant qu’il soit statué sur le fond de l’affaire n° 694/695 relative au Consortium de réalisation et à l’Etablissement public de financement et de restructuration, a décidé, par application des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d’Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 311-4, L. 314-1, L. 314-8 et L. 314-18 du code des juridictions financières ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, notamment son article 61-1 ;
– les décisions n° 2014-423 QPC du 24 octobre 2014 et n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015 du Conseil constitutionnel ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
– le code des juridictions financières, notamment les articles L. 311-4, L. 314-1, L. 314-8 et L. 314-18 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
1. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat a transmis à ce dernier, en application de l’article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant que les articles L. 311-4, L. 314-1, L. 314-8 et L. 314-18 du code des juridictions financières sont applicables au litige dont la Cour de discipline budgétaire et financière est saisie ; que les dispositions des articles L. 311-4, L. 314-1, L. 314-8 n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que si le Conseil constitutionnel a, en revanche, par sa décision n° 2014-423 QPC du 24 octobre 2014, déclaré l’article L. 314-18 conforme, avec une réserve, à la Constitution, les développements de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dont se prévalent les requérants, en ce qui concerne le principe non bis in idem, manifestés par la décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015 constituent, toutefois, une circonstance de droit nouvelle de nature à ce que cette précédente décision du 24 octobre 2014 ne fasse pas obstacle à ce que la question de la conformité de cette disposition à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel ;
Sur l’article L. 311-4 du code des juridictions financières :
3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 311-4 du code des juridictions financières : » Les fonctions du ministère public près la Cour sont remplies par le procureur général près la Cour des comptes, assisté d’un avocat général et, s’il y a lieu, de commissaires du Gouvernement. » ; qu’il est soutenu que l’article L. 311-4 du code des juridictions financières, relatif aux fonctions du ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, méconnaîtrait les principes d’impartialité et d’indépendance des juridictions découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dès lors que, d’une part, l’avocat général et les commissaires du gouvernement assistant le procureur général près la Cour des comptes dans ses fonctions de ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, demeureraient soumis statutairement, ainsi que par l’autorité hiérarchique, au premier président de la Cour des comptes, également président de la Cour de discipline budgétaire et financière et qu’ainsi la séparation des fonctions de poursuite et de jugement ne serait pas effective ; que, d’autre part, la composition du ministère public dans une affaire devant la Cour de discipline budgétaire et financière ne serait pas communiquée aux personnes mises en cause, ne les mettant pas à même de s’assurer de l’absence de conflit d’intérêt et de solliciter, le cas échéant, la récusation d’un membre du ministère public ;
4. Considérant toutefois, que la composition de la Cour de discipline budgétaire et financière est déterminée par les articles L. 311-2 et L. 311-3 du code des juridictions financières, qui ont été déclarés conformes à la Constitution par la décision n° 2014-423 QPC du 24 octobre 2014 ; que les dispositions combinées de ces articles et de l’article L. 311-4 organisent une séparation des fonctions de poursuite et de jugement au sein de la Cour de discipline budgétaire et financière ; que la circonstance que les avocats généraux et commissaires du gouvernement appelés, s’il y a lieu, à assister le procureur général près la Cour des comptes dans ses fonctions de ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, seraient magistrats de la Cour des comptes ne saurait mettre en cause leur indépendance et leur impartialité, dès lors que, d’une part, leur appartenance à la Cour des Comptes, loin de susciter des difficultés au regard du principe d’impartialité, constitue une garantie d’impartialité et d’indépendance eu égard à leur statut, et que, d’autre part, ils ne sont pas, en tout état de cause, soumis à l’autorité hiérarchique du premier président de la Cour des comptes dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles ; qu’en outre, devant une juridiction administrative, doivent être observées les règles générales de procédure, notamment celles qui régissent la récusation et le déport dans le cas où un membre d’une formation de jugement aurait eu à connaître de la même affaire dans les fonctions de ministère public ; qu’enfin, la circonstance que la loi n’ait pas prévu la communication de la composition du ministère public aux personnes mises en cause, qui ne constitue pas une garantie constitutionnelle, ne leur interdit pas de demander la récusation d’un membre jusqu’au jour de l’audience et de contester la régularité de la décision devant le juge de cassation ; que, par suite, que le grief est dépourvu de caractère sérieux ;
Sur l’article L. 314-1 du code des juridictions financières :
5. Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-1 du code des juridictions financières : » Ont seuls qualité pour saisir la Cour, par l’organe du ministère public : / – le président de l’Assemblée nationale ; / – le président du Sénat ; / – le Premier ministre ; / – le ministre chargé des finances ; / – les autres membres du Gouvernement pour les faits relevés à la charge des fonctionnaires et agents placés sous leur autorité ; / – la Cour des comptes ; / – les chambres régionales et territoriales des comptes ; / – les créanciers pour les faits visés à l’article L. 313-12. / Le procureur général près la Cour des comptes peut également saisir la Cour de sa propre initiative. » ; qu’il est soutenu que cet article méconnaîtrait le principe d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que, toutefois, la possibilité conférée par ces dispositions au procureur général près la Cour des comptes de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de sa propre initiative, non plus que celle conférée à la Cour des comptes de la saisir par l’organe du ministère public, qui ne constituent pas une saisine d’office de la Cour de discipline budgétaire et financière, ne sauraient être regardées comme contraires au principe d’impartialité ou comme constitutives d’un » préjugement » ; que, par suite, le grief est dépourvu de caractère sérieux ;
Sur l’article L. 314-8 du code des juridictions financières :
6. Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-8 du code des juridictions financières : » Si le procureur général conclut au renvoi devant la cour, l’intéressé est avisé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qu’il peut, dans le délai de quinze jours, prendre connaissance au secrétariat de la Cour, soit par lui-même, soit par mandataire, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, du dossier de l’affaire. / Le dossier communiqué est le dossier complet de l’affaire, y compris les conclusions du procureur général. / L’intéressé peut, dans le délai d’un mois à dater de la communication qui lui a été donnée du dossier, produire un mémoire écrit soit par lui-même, soit par son conseil. Le mémoire est communiqué au procureur général. » ; qu’il est soutenu que cet article méconnaît les droits de la défense, le principe du contradictoire et le droit à un procès équitable, protégés par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dès lors qu’il ne prévoit pas l’obligation pour le rapporteur ou le ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière d’informer spontanément une personne mise en cause de l’ajout de pièces nouvelles dans le dossier, à quelque stade de la procédure ; que, toutefois, aux termes des dispositions en cause, le dossier communiqué est » le dossier complet de l’affaire » ; qu’en application des règles générales de procédure devant une juridiction administrative, la personne mise en cause, ainsi que son conseil le cas échéant, disposent d’un accès permanent au dossier et peuvent ainsi prendre connaissance jusqu’à la comparution devant la Cour, des pièces éventuellement versées par le ministère public après la décision de renvoi ; que la Cour ne pourrait fonder sa décision sur une pièce nouvelle versée au dossier sans avoir mis l’intéressé à même de produire des observations sur celle-ci ; que, par suite, le grief, est dépourvu de caractère sérieux ;
Sur l’article L. 314-18 du code des juridictions financières :
7. Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-18 du code des juridictions financières : » Les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale et de l’action disciplinaire. / Si l’instruction permet ou a permis de relever à la charge d’une personne mentionnée à l’article L. 312-1 des faits qui paraissent de nature à justifier une sanction disciplinaire, le président de la Cour signale ces faits à l’autorité ayant pouvoir disciplinaire sur l’intéressé. Cette autorité doit, dans le délai de six mois, faire connaître au président de la Cour par une communication motivée les mesures qu’elle a prises. / Si l’instruction fait apparaître des faits susceptibles de constituer des délits ou des crimes, le procureur général transmet le dossier au procureur de la République dans les conditions prévues à l’article 40 du code de procédure pénale et avise de cette transmission le ministre ou l’autorité dont relève l’intéressé. / Si la Cour estime, en statuant sur les poursuites, qu’une sanction disciplinaire peut être encourue, elle communique le dossier à l’autorité compétente. Cette autorité doit, dans le délai de six mois, faire connaître à la Cour, par une communication motivée, les mesures qu’elle a prises. / Le procureur de la République peut transmettre au procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, d’office ou à la demande de ce dernier, la copie de toute pièce d’une procédure judiciaire relative à des faits de nature à constituer des infractions prévues et sanctionnées par les articles L. 313-1 à L. 313-14. » ; qu’il est soutenu que ces dispositions, en autorisant l’engagement de plusieurs procédures susceptibles de conduire à un cumul des sanctions administratives, pénales et disciplinaires, sans en encadrer les modalités, portent atteinte aux principes de proportionnalité et de nécessité des peines ainsi qu’au principe » non bis in idem « , découlant de l’article 8 de la Déclaration de 1789 ; que le grief tiré de ce que les dispositions de l’article L. 314-18 du code des juridictions financières portent ainsi atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe de nécessité des peines et au principe » non bis in idem « , soulève une question qui présente un caractère sérieux ;
8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de discipline budgétaire et financière seulement en tant qu’elle est invoquée à l’encontre de l’article L. 314-18 du code des juridictions financières ;
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’article L. 314-18 du code des juridictions financières est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des articles L. 311-4, L. 314-1 et L. 314-8 du code des juridictions financières.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à MM. B…etC…, au ministre des finances et des comptes publics, au Parquet général près la Cour de discipline budgétaire et financière ainsi qu’à la Cour de discipline budgétaire et financière. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.