RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 mai et 11 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean-Louis A, domicilié … ; M. A demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 3 mars 2006 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant en conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction de retrait des fonctions de président de tribunal de grande instance assortie du déplacement d’office, ainsi que la décision du 24 novembre 2005 par laquelle la même formation du Conseil supérieur de la magistrature lui a interdit temporairement l’exercice de ses fonctions de président du tribunal de grande instance de La Rochelle ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire application de la loi du 6 août 2002 portant amnistie et de prononcer un non-lieu ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;
Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. A demande l’annulation de la décision du 3 mars 2006 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant en conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction de retrait des fonctions de président de tribunal de grande instance assortie du déplacement d’office, ainsi que de la décision du 24 novembre 2005 par laquelle la même formation du Conseil supérieur de la magistrature lui a interdit temporairement l’exercice de ses fonctions de président du tribunal de grande instance de La Rochelle ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du 24 novembre 2005 :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 821-1 du code de justice administrative : « Sauf disposition contraire, le délai de recours en cassation est de deux mois » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la décision du 24 novembre 2005 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant en conseil de discipline des magistrats du siège, a interdit temporairement à M. A l’exercice des fonctions de président du tribunal de grande instance de La Rochelle a été notifiée à l’intéressé le 29 novembre 2005 ; que les conclusions tendant à l’annulation de cette décision n’ont été enregistrées au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat que le 11 mai 2006 ; qu’elles sont, par suite, tardives et donc irrecevables ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du 3 mars 2006 :
Sur la régularité de la décision attaquée :
Considérant que si, en application des dispositions combinées des articles 51 et 52 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, un membre du Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, est désigné comme rapporteur et peut procéder à des mesures d’investigation, qui ont pour objet de vérifier la pertinence des griefs et des observations des parties et dont les résultats sont versés au dossier pour donner lieu à communication contradictoire, de telles attributions ne différent pas de celles que la formation collégiale de jugement pourrait elle-même exercer et ne confèrent pas au rapporteur le pouvoir de modifier le champ de la saisine de la juridiction ; qu’ainsi, au regard des fonctions conférées par ces dispositions au rapporteur, sa participation au délibéré du Conseil supérieur de la magistrature ne méconnaît ni le principe général d’impartialité ni les stipulations de l’article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu’aux termes de l’article 52 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 : « Au cours de l’enquête, le rapporteur entend ou fait entendre l’intéressé par un magistrat d’un rang au moins égal à celui de ce dernier et, s’il y a lieu, le plaignant et les témoins » ; qu’il ressort des pièces du dossier que M. Valéry , désigné rapporteur par le président du Conseil supérieur de la magistrature, a procédé lui-même, le 24 juin 2005, à l’audition de M. A ; que, par suite, le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure d’audition au motif que le rang de M. serait inférieur à celui du requérant ne peut qu’être écarté ;
Considérant que la décision attaquée comporte les noms des membres du Conseil supérieur de la magistrature ayant siégé ; qu’ainsi le moyen tiré de ce que la décision ne mentionnerait pas les noms des membres qui l’ont rendue manque en fait ;
Considérant qu’aucun texte ni aucune règle générale de procédure n’impose au Conseil supérieur de la magistrature de faire droit à une demande d’audition de témoins ni de motiver un éventuel refus ; que, par suite, le moyen tiré de l’absence de motivation du refus opposé par le Conseil supérieur de la magistrature aux demandes d’auditions complémentaires de témoins présentées par M. A ne peut qu’être écarté ;
Considérant qu’en énonçant que les explications fournies par M. A sur l’ampleur de sa charge de travail étaient mises en doute par les vérifications effectuées, le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas entaché sa décision d’une insuffisance de motivation ;
Sur le bien-fondé de la décision attaquée :
Considérant que, dans sa requête sommaire, M. A n’a invoqué que des moyens relatifs à la légalité externe de la décision attaquée ; qu’ainsi il ne peut utilement invoquer, dans son mémoire complémentaire, enregistré postérieurement à l’expiration du délai de recours contentieux, des moyens relatifs à la légalité interne de cette décision tirés, en premier lieu, de l’erreur de droit commise par le Conseil supérieur de la magistrature pour avoir méconnu l’étendue de sa compétence, en deuxième lieu, des inexactitudes matérielles dont serait entachée la décision attaquée, en troisième lieu, d’une double erreur de qualification juridique consistant à considérer les faits reprochés comme de nature à justifier une sanction et à les regarder comme des manquements à l’honneur, en quatrième lieu, de la dénaturation dont, à raison de sa disproportion, serait entachée la sanction ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. A n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant en conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction de retrait des fonctions de président de tribunal de grande instance assortie du déplacement d’office ;
Considérant que les conclusions de la requête tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu’être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Louis A et au garde des sceaux, ministre de la justice.