RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°) sous le n° 202798, la requête, enregistrée le 18 décembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Etienne Y…, demeurant … et Cuire (69300) ; M. Y… demande l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 octobre 1998 autorisant l’institution d’une redevance sur un ouvrage d’art dit « boulevard périphérique nord de Lyon » (Rhône) ;
Vu 2°), sous le n° 202872, la requête, enregistrée le 21 décembre 1998, présentée par l’ASSOCIATION DU « COLLECTIF POUR LA GRATUITE CONTRE LE RACKET », représentée par son porte-parole, M. Gérald X…, demeurant … qui demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret n° 98-942 du 21 octobre 1998 autorisant l’institution d’une redevance sur un ouvrage d’art dit « boulevard périphérique nord de Lyon » ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution, notamment son article 22 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 modifiée ;
Vu la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999, notamment son article 67 ;
Vu le code de la voirie routière ;
Vu le code général des collectivités territoriales, notamment son article L. 5215-20 (11°) ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Edouard Philippe , Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Lyon, Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la Communauté urbaine de Lyon ;
– les conclusions de M. Savoie, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes enregistrées sous les n°s 202798 et 203872 sont dirigées contre un même décret ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu’à la suite de l’annulation, par la décision du 6 février 1998 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux, de la délibération du 18 juillet 1991 par laquelle le conseil de la communauté urbaine de Lyon avait décidé de réaliser le tronçon nord du boulevard périphérique de l’agglomération lyonnaise, de la décision du 19 juillet 1991 du président du conseil de la communauté urbaine de Lyon de signer la convention de concession ainsi que, par voie de conséquence, du décret du 23 février 1993 autorisant l’institution d’une redevance sur cet ouvrage d’art, la communauté urbaine de Lyon a, d’une part, décidé, par des délibérations en date des 16 février, 16 mars et 7 juillet 1998, de résilier le contrat de concession la liant à l’entreprise ayant construit l’ouvrage public et d’exploiter directement le boulevard périphérique nord de Lyon et, d’autre part, décidé, sous réserve de son approbation par décret en Conseil d’Etat, d’instituer une redevance sur cet ouvrage d’art ; qu’à la suite de la demande ainsi formulée par la communauté urbaine, le décret du 21 octobre 1998 a autorisé, pour une durée de vingt-cinq ans, l’institution de la redevance décidée par les délibérations du conseil de la communauté urbaine de Lyon pour l’usage de l’ouvrage d’art dit « boulevard périphérique nord de Lyon » lequel comprend trois tunnels et un viaduc ;
Sur les conclusions de la communauté urbaine de Lyon tendant à ce que le Conseil d’Etat constate qu’il n’y a plus lieu de statuer :
Considérant qu’aux termes de l’article 67 de la loi du 12 juillet 1999 : » Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, est validé en tant que sa régularité serait contestée, le décret n° 98-942 du 21 octobre 1998 pris en application des articles L.153-1 à L.153-5, R.153-1 et R.153-2 du code de la voirie routière, autorisant l’institution pour une durée de 25 ans de la redevance pour l’usage de l’ouvrage d’art dit « boulevard périphérique nord de Lyon ». Sont également validées en tant que leur régularité serait contestée, les délibérations du Conseil de la communauté urbaine de Lyon du 16 février 1998 et du 16 mars 1998 décidant de l’institution decette redevance » ;
Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ;
Considérant que les requêtes dont le Conseil d’Etat a été saisi ne sont pas relatives au paiement d’un impôt mais autorisent l’institution d’une redevance correspondant au prix payé par l’usager d’un ouvrage public ; qu’elles portent ainsi sur des droits et obligations de caractère civil au sens des stipulations de l’article 6-1 ;
Considérant que l’Etat ne peut, sans méconnaître les stipulations précitées, porter atteinte au droit de toute personne à un procés équitable en prenant, au cours d’un procès, des mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est la validation de la disposition réglementaire objet du procès, sauf lorsque l’intervention de ces mesures est justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants ;
Considérant que les dispositions précitées de l’article 67 de la loi du 12 juillet 1999, qui sont postérieures à l’introduction des requêtes de M. Y… et de l’ASSOCIATION DU « COLLECTIF POUR LA GRATUITE, CONTRE LE RACKET », ont pour seul objet d’éviter l’annulation du décret autorisant l’institution de la redevance que la communauté urbaine de Lyon entend percevoir afin d’assurer la participation des usagers du périphérique nord de Lyon au financement du dédommagement dû à la société ayant supporté le coût de la construction de l’ouvrage ; que l’intérêt financier auquel ont ainsi entendu répondre les dispositions de l’article 67 de la loi du 12 juillet 1999 ne constitue pas un intérêt général suffisant pour justifier la validation du décret attaqué ; qu’il en résulte que les dispositions de l’article 67 de la loi du 12 juillet 1999 portent atteinte au principe du droit à un procès équitable énoncé par les stipulations du 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que les requérants sont fondés à soutenir que leur application doit, pour cette raison, être écartée ; qu’en conséquence, la communauté urbaine de Lyon ne saurait valablement soutenir que leur intervention aurait rendu les pourvois sans objet ;
Sur la légalité externe :
Considérant que l’article L.153-5 du code de la voirie routière dispose que « l’institution d’une redevance sur un ouvrage d’art à comprendre dans le domaine public routier communal est décidée par une délibération du conseil municipal qui doit satisfaire aux dispositions des articles L. 153-3 et L. 153-4. Elle est autorisée par décret en Conseil d’Etat » ; qu’en cas de création d’une communauté urbaine, la compétence dévolue au conseil municipal est, conformément à l’article L. 5215-20 du code général des collectivités territoriales, exercée par le conseil de communauté ; que, pour l’application de ces dispositions, les délibérations en date des 16 février 1998, 16 mars 1998 et 7 juillet 1998, par lesquelles le conseil de la communauté urbaine de Lyon a décidé d’exploiter directement le boulevard périphérique nord de Lyon, doivent être regardées comme autorisant la réalisation de l’ouvrage alors même que celui-ci avait déjà été construit ;
Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requêtes, le rapport de présentation au Premier ministre d’un projet de décret n’a pas à être signé par les ministres sur le rapport desquels ce décret est pris ; qu’ainsi le moyen tiré de ce que le rapport de présentation du décret du 21 octobre 1998 n’aurait été signé ni par le ministre de l’intérieur, ni par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, ni par le ministre de l’équipement, des transports et dulogement doit être écarté ; que le décret attaqué a, par ailleurs, été contresigné par les ministres chargés de son exécution ;
Considérant que si l’article 12 de la loi du 9 avril 1898 dispose que « l’avis des chambres de commerce et d’industrie doit être demandé : 4° Sur toutes matières déterminées par les lois ou des règlements spéciaux, notamment sur l’utilité des travaux publics à exécuter dans leur circonscription et sur les taxes ou péages à percevoir pour faire face aux dépenses de ces travaux », aucune loi non plus qu’aucun règlement n’a imposé la consultation des chambres de commerce et d’industrie avant l’adoption d’un décret autorisant l’instauration d’une redevance sur un ouvrage d’art ; qu’ainsi les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l’article 12 précité de la loi du 9 avril 1898 ;
Considérant que l’article R. 153-2 du code de la voirie routière dispose que « l’institution d’une redevance sur un ouvrage d’art à comprendre dans le domaine public routier communal est ( …) autorisée par décret en Conseil d’Etat au vu d’un dossier comportant la déclaration d’utilité publique des travaux et les délibérations du conseil municipal ou de l’assemblée délibérante du groupement des communes : 4° Fixant les tarifs des redevances ainsi que les modalités de leur application » ;
Considérant que, par les délibérations des 16 février 1998, 16 mars 1998 et 7 juillet 1998, le conseil de la communauté urbaine de Lyon a notamment décidé d’exploiter directement le boulevard périphérique nord de Lyon et d’adopter une nouvelle grille de péages pour l’usage du viaduc compris dans une section dudit boulevard ainsi que les modalités d’abonnement et d’exonération liées à ce péage ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’était en outre annexé à la délibération du 16 mars 1998 un rapport précisant les principes déterminés par la communauté urbaine de Lyon pour mettre en oeuvre la dégressivité de la redevance projetée ; qu’ainsi les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions de l’article R. 153-2 auraient été méconnues ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 11-5-II du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : « Lorsque le délai accordé pour réaliser l’expropriation n’est pas supérieur à cinq ans, un acte pris dans la même forme que l’acte déclarant l’utilité publique peut, sans nouvelle enquête, proroger une fois les effets de la déclaration d’utilité publique pour une durée au plus égale » ; que, par une décision en date du 7 décembre 1998, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a annulé le décret du 16 juillet 1997, pris en application des dispositions précitées du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, portant prorogation des effets du décret du 22 juillet 1992 portant déclaration d’utilité publique et reconnaissant l’urgence des acquisitions et travaux nécessaires à la réalisation, par la communauté urbaine de Lyon ou son concessionnaire, du boulevard périphérique nord de Lyon ;
Considérant que, si cette annulation a eu pour effet d’affecter la possibilité de procéder aux expropriations dont la réalisation s’avérerait nécessaire, elle n’a pas eu pour effet de mettre en cause l’existence de la déclaration d’utilité publique résultant du décret du 22 juillet 1992, lequel est d’ailleurs devenu définitif ; qu’il ressort des mentions du décret attaqué qu’il a été pris au vu du décret du 22 juillet 1992 ; qu’ainsi la demande dont était saisie le gouvernement comportait la déclaration d’utilité publique des travaux ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions de l’article R. 153-2 du code de la voirie routière ;
Sur la légalité interne :
Considérant que l’article L. 153-3 du code de la voirie routière dispose que « laperception d’une redevance sur un ouvrage d’art à comprendre dans la voirie départementale peut être autorisée par délibération du ou des conseils généraux concernés, en vue d’assurer soit la couverture des charges de remboursement des emprunts garantis ou contractés par le ou les départements pour la construction de l’ouvrage et pour l’aménagement de ses voies d’accès ou de dégagement, soit la couverture des charges d’exploitation et d’entretien, ainsi que la rémunération et l’amortissement des capitaux investis par le concessionnaire qui assure l’exploitation de l’ouvrage d’art » ; que ces dispositions sont, en vertu de l’article L. 153-5 du code de la voirie routière, applicables en cas d’institution d’une redevance sur un ouvrage d’art à comprendre dans le domaine public routier communal ; que, de même, en cas de création d’une communauté urbaine, elles reçoivent application en cas d’institution d’une redevance sur un ouvrage d’art à comprendre dans le domaine public routier de cet établissement public de regroupement communal ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’après l’annulation, le 6 février 1998, par le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, de la délibération du 18 juillet 1991 par laquelle le conseil de la communauté urbaine de Lyon avait autorisé la passation du contrat de concession pour la conception, la réalisation et l’exploitation du tronçon nord du boulevard périphérique de Lyon, et de la décision du 19 juillet 1991 au président du conseil de la communauté urbaine décidant de signer ce contrat, le président du conseil de la communauté a résilié ledit contrat de concession ; que cette résiliation impose à la collectivité publique de dédommager l’entreprise cocontractante, laquelle a supporté le coût de construction de l’ouvrage public mais n’a pu l’exploiter ;
Considérant que les dispositions précitées du code de la voirie routière ne font pas obstacle, lorsque postérieurement à la construction de l’ouvrage public le juge annule la décision autorisant la passation du contrat de concession, à ce qu’une redevance soit instaurée pour payer le coût des emprunts réalisés pour rembourser le coût de la construction supporté par le concessionnaire ; qu’ainsi, en autorisant l’institution d’une redevance sur l’ouvrage public dit « boulevard périphérique nord de Lyon » dont le produit sera affecté au remboursement des emprunts consentis par la communauté urbaine de Lyon pour payer à l’entreprise les sommes représentant le coût de la construction de l’ouvrage, le décret du 21 octobre 1998 n’a pas méconnu les dispositions combinées des articles L. 153-3 et L. 153-5 ;
Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision d’autorisation de l’institution d’une redevance sur l’ouvrage public dit « périphérique nord de Lyon » soit entachée d’une erreur manifeste d’appréciation ;
Considérant que l’article 28-2 de la loi du 30 décembre 1982 modifiée dispose que « le plan de déplacement urbain est élaboré ou révisé à l’initiative de l’autorité compétente pour l’organisation des transports urbains sur le territoire qu’il couvre … Le plan est mis en oeuvre par l’autorité compétente pour l’organisation des transports urbains. Les décisions prises par les autorités chargées de la voirie et de la police de la circulation ayant des effets sur les déplacements dans le périmètre de transports urbains doivent être compatibles ou rendues compatibles avec le plan » ; que le décret attaqué, qui a pour seul objet l’institution d’une redevance sur le boulevard périphérique de Lyon, n’est pas au nombre des décisions entrant dans le champ d’application de ces dispositions ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret du 21 octobre 1998 autorisant l’institution d’une redevance sur l’ouvrage public dit « périphérique nord de Lyon » ;
Article 1er : Les conclusions à fin de non-lieu de la communauté urbaine de Lyon sont rejetées.
Article 2 : Les requêtes de M. Y… et de l’ASSOCIATION DU « COLLECTIF POUR LA GRATUITE, CONTRE LE RACKET » sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Etienne Y…, à l’ASSOCIATION DU « COLLECTIF POUR LA GRATUITE, CONTRE LE RACKET », à la communauté urbaine de Lyon, au Premier ministre, au ministre de l’équipement, des transports et du logement et au ministre de l’intérieur.