RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 février et 24 juin 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE PREDICA, dont le siège est 50-56, rue de la Procession à Paris (75724 cedex 15) ; la SOCIETE PREDICA demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision en date du 8 décembre 2004 par laquelle la commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance lui a infligé un avertissement ainsi qu’une sanction pécuniaire d’un montant de 500 000 euros et a ordonné la publication de sa décision ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 10 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré présentée le 31 janvier 2007 pour la SOCIETE PREDICA ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Charles de la Verpillière, Conseiller d’Etat,
– les observations de Me Ricard, avocat de la SOCIETE PREDICA et de Me Cossa, avocat de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles,
– les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance a décidé l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la SOCIETE D’ASSURANCE PREDICA ; qu’à l’issue de cette procédure, la commission, lors de sa séance du 8 décembre 2004, a infligé à la société un avertissement ainsi qu’une sanction pécuniaire d’un montant de 500 000 euros, et a ordonné la publication de sa décision ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 310-18 du code des assurances, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : Si une entreprise mentionnée à l’article L. 310-1-1, aux 1°, 3° ou 4° de l’article L. 310-2 ou à l’article L. 322-1-2 a enfreint une disposition législative ou réglementaire qui lui est applicable ou a des pratiques qui mettent en péril sa marge de solvabilité ou l’exécution des engagements qu’elle a contractés envers les assurés, adhérents ou ayants droit, la commission peut prononcer à son encontre, ou à celle de ses dirigeants, l’une ou plusieurs des sanctions disciplinaires suivantes, en fonction de la gravité du manquement : / 1° L’avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L’interdiction d’effectuer certaines opérations et toutes autres limitations dans l’exercice de l’activité ; / 4° La suspension temporaire d’un ou plusieurs dirigeants de l’entreprise ; / 4° bis La démission d’office d’un ou plusieurs dirigeants de l’entreprise ; / 5° Le retrait total ou partiel d’agrément ou d’autorisation ; / 6° Le transfert d’office de tout ou partie du portefeuille des contrats. / La commission de contrôle peut décider de reporter sa décision à l’issue d’un délai qu’elle impartit à l’entreprise, pour prendre toute mesure de nature à mettre fin aux manquements ou pratiques mentionnés au premier alinéa. / En outre, la commission peut prononcer, soit à la place, soit en sus de ces sanctions, une sanction pécuniaire. Le montant de cette sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. Les sommes correspondantes sont versées au Trésor public. Elles sont recouvrées comme des créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine… / Dans tous les cas visés au présent article, la commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance statue après une procédure contradictoire. Elle informe obligatoirement les intéressés de leur droit à être entendus. Lorsqu’ils font usage de cette faculté, ils peuvent se faire représenter ou assister. / Les personnes sanctionnées peuvent, dans le délai de deux mois qui suit la notification de la décision, former un recours de pleine juridiction devant le Conseil d’Etat. / Lorsqu’une sanction prononcée par la commission de contrôle des assurances est devenue définitive, la commission peut, aux frais de l’entreprise sanctionnée, ordonner l’insertion de sa décision dans trois journaux ou publications qu’elle désigne et l’affichage dans les lieux et pour la durée qu’elle indique ;
Sur la régularité du contrôle :
Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l’article L. 310-13 du code des assurances qui prévoient que la commission organise et définit les modalités du contrôle n’imposent pas à la commission, contrairement à ce qui est soutenu, d’adresser aux entreprises contrôlées un texte réglementant le contrôle auquel il va être procédé ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’en vertu de l’article L. 140-6 du code des assurances, relatif aux contrats d’assurance de groupe, le souscripteur d’un tel contrat est, tant pour les adhésions au contrat que pour l’exécution de celui-ci, réputé agir, à l’égard de l’adhérent, de l’assuré et du bénéficiaire, en tant que mandataire de l’entreprise d’assurance auprès de laquelle le contrat a été souscrit… ; qu’aux termes du quatrième alinéa de l’article L. 310-12 du même code : La commission peut décider de soumettre au contrôle toute personne physique ou morale ayant reçu une entreprise mentionnée à l’article L. 310-1 un mandat de souscription ou de gestion, ou exerçant, à quelque titre que ce soit, le courtage d’assurance ou la présentation d’opérations d’assurance… ; qu’en l’espèce, les contrats d’assurance-vie commercialisés par la SOCIETE PREDICA étaient souscrits par l’association nationale des déposants du crédit agricole mutuel (ANDECAM) à laquelle devaient adhérer individuellement les assurés ; qu’ainsi, en décidant d’étendre son contrôle aux activités de cette association, la commission n’a commis aucune irrégularité ;
Considérant, en troisième lieu, que l’article R. 310-18 du code des assurances dispose, dans sa rédaction applicable à la présente affaire : Lorsque la commission de contrôle, saisie par son secrétaire général sur le fondement d’un rapport de contrôle réalisé par ses services, décide de l’ouverture d’une procédure de sanction… la notification des griefs est adressée, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, remise en main propre contre récépissé ou exploit d’huissier, à la personne mise en cause, accompagnée du rapport de contrôle. / La personne mise en cause transmet ses observations écrites au président de la commission dans un délai de quinze jours. La notification des griefs mentionne ce délai et précise que la personne mise en cause peut prendre connaissance et copie des autres pièces du dossier auprès de la commission et se faire assister ou représenter par tout conseil de son choix ; qu’en l’espèce, il résulte de l’instruction qu’aucun rapport de contrôle faisant la synthèse des observations initiales des contrôleurs, des réponses de l’entreprise et des observations ultérieures des contrôleurs n’était joint à la lettre du 4 novembre 2004 par laquelle le président de la commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance a fait connaître à la SOCIETE PREDICA que la commission avait décidé l’ouverture à son encontre d’une procédure disciplinaire et lui a notifié les griefs susceptibles de donner lieu à des sanctions ; que, cependant, la lettre mentionnait celles des pièces sur lesquelles la commission s’était fondée lors de sa séance du 26 octobre 2004 pour décider d’engager la procédure disciplinaire, pièces qui étaient toutes en possession de la société et dont elle était en outre invitée à prendre connaissance ; que la société a d’ailleurs effectivement pris connaissance de ces pièces dans les conditions qui lui étaient proposées, avant la séance du 8 décembre 2004 au cours de laquelle les sanctions ont été prononcées ; que, par suite, le défaut de communication d’un rapport de contrôle simultanément à celle de la lettre de griefs n’a pas constitué, dans les circonstances de l’espèce, une irrégularité de nature à vicier la procédure ;
Considérant, en quatrième lieu, que la commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance est chargée, en vertu des articles L. 310-12 et suivants du code des assurances, d’une mission de surveillance du secteur de l’assurance, ayant un caractère préventif et pouvant éventuellement impliquer le prononcé de sanctions ; que le contrôle des entreprises d’assurance est effectué par des agents placés sous l’autorité du secrétaire général de la commission, lequel n’est pas membre de celle-ci et ne prend pas part aux délibérations par lesquelles, à la suite de contrôles, elle peut le cas échéant décider d’engager une procédure disciplinaire puis d’infliger des sanctions ; que, par suite, la société requérante ne peut utilement invoquer, au stade du contrôle, la méconnaissance du principe selon lequel nul n’est tenu de s’incriminer lui-même, résultant de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et de l’article 14 du pacte international de New York relatif aux droits civils et politiques ;
Sur la régularité de la procédure suivie devant le commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance :
Considérant que, quand elle est saisie d’agissements pouvant donner lieu à des sanctions prévues par l’article L. 310-18 du code des assurances, la commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance doit être regardée comme décidant du bien-fondé d’accusations en matière pénale au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, compte tenu du fait que sa décision peut faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant le Conseil d’Etat, la circonstance que la procédure conduite devant elle ne serait pas en tous points conforme aux prescriptions de l’article 6 § 1 de la convention n’est pas de nature à entraîner dans tous les cas une méconnaissance du droit à un procès équitable ; que, cependant, et alors même que la commission n’est pas une juridiction au regard du droit interne, les moyens tirés de ce qu’elle aurait statué dans des conditions qui ne respecteraient pas le principe d’impartialité et le principe du respect des droits de la défense rappelés à l’article 6 de la convention européenne peuvent, eu égard à la nature, à la composition et aux attributions de cet organisme, être utilement invoqués à l’appui d’un recours formé devant le Conseil d’Etat à l’encontre de sa décision ;
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des dispositions combinées des articles R. 310-18 et R. 310-18-1 du code des assurances, qui ne méconnaissent pas le principe du respect des droits de la défense rappelé à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que la personne mise en cause doit disposer d’un délai minimum de quinze jours à compter de la notification des griefs pour transmettre ses observations écrites, et que l’audience doit être fixée huit jours au moins après l’expiration de ce premier délai ; qu’en l’espèce, ces dispositions ont été appliquées puisque, ainsi qu’il a été dit, la notification des griefs a eu lieu le 4 novembre 2004 pour une audience fixée au 8 décembre 2004 ; que, par suite, la SOCIETE PREDICA n’est pas fondée à soutenir qu’elle a disposé d’un délai insuffisant pour préparer sa défense et que le principe de l’égalité des armes a été méconnu ;
Considérant, en deuxième lieu, que la lettre du 4 novembre 2004 ne tenait pas pour établis les faits dont elle faisait état et ne prenait pas parti sur leur qualification d’infraction à différentes dispositions législatives ou réglementaires ; qu’ainsi, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que les conditions dans lesquelles la commission a décidé d’engager une procédure, par la notification d’une lettre énonçant les griefs retenus, auraient méconnu le principe d’impartialité ;
Considérant, en troisième lieu, que la société requérante soutient que la commission, avant de lui infliger, le cas échéant, une sanction, était tenue de la mettre en demeure de régulariser sa situation ; que toutefois, il résulte clairement de la rédaction de l’article L. 310-18 du code des assurances, issue de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, que si la commission peut surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai qu’elle impartit à l’entreprise, pour prendre toute mesure de nature à mettre fin aux manquements ou pratiques qui lui sont reprochés, elle n’a pas l’obligation de le faire dans tous les cas ; qu’en l’espèce, eu égard notamment aux nombreux échanges entre la SOCIETE PREDICA et les contrôleurs, ainsi qu’à la nature des faits reprochés, la commission a pu légalement décider de ne pas user de cette faculté ;
Sur les moyens relatifs aux faits reprochés :
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction qu’alors que la SOCIETE PREDICA et l’association ANDECAM avaient conclu entre elles des avenants abaissant le taux minimum garanti de rémunération des versements libres sur les contrats en euros Prédige, Florige, Confluence et Prédiane de 4,5 % à 0,30 %, les adhérents ont seulement été avertis qu’il avait été décidé d’appliquer désormais un taux minimum garanti égal au taux des frais de gestion annuels… ; qu’ainsi, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que le grief tiré de l’insuffisance d’information des adhérents manquerait en fait ; qu’elle ne saurait s’exonérer de sa responsabilité au motif que l’article L. 140-4 du code des assurances impose au souscripteur -en l’espèce l’association ANDECAM- d’informer par écrit les adhérents des modifications qu’il est prévu, le cas échéant, d’apporter à leurs droits et obligations, dès lors qu’il est constant que c’est la SOCIETE PREDICA qui s’est chargée de cette information, dans les termes cités plus haut ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte de l’instruction que l’association ANDECAM n’a pas de fonctionnement réel et dépend totalement du groupe du Crédit Agricole, auquel appartient également la SOCIETE PREDICA ; qu’après avoir relevé que la proximité de l’ANDECAM avec le groupe du Crédit Agricole était revendiquée par la SOCIETE PREDICA et que cette dernière, ainsi qu’il est dit ci-dessus, n’avait pas suffisamment informé les adhérents des modifications apportées par les avenants aux contrats, la commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance en a déduit que les avenants avaient été conclus irrégulièrement par l’ANDECAM et la SOCIETE PREDICA et que cette dernière risquait de demeurer engagée au taux garantis antérieurement prévus ; que la commission a, ce faisant, suffisamment motivé et légalement justifié sa décision ;
Considérant, en troisième lieu, que l’article R. 331-3 du code des assurances dispose, dans sa rédaction applicable à la présente affaire : Les provisions techniques correspondant aux opérations d’assurance sur la vie… sont les suivantes : / 1° Provision mathématique : différence entre les valeurs actuelles des engagements respectivement pris par l’assureur et par les assurés ; / 2° Provision pour participation aux excédents ; montant des participations aux bénéfices attribuées aux bénéficiaires de contrats lorsque ces bénéfices ne sont pas payables immédiatement après la liquidation de l’exercice qui les a produits… ; qu’à la date à laquelle la SOCIETE PREDICA a arrêté ses comptes de l’exercice 2002, le risque de voir les avenants aux contrats en euros déclarés inopposables par le juge judiciaire n’était pas connu de la société et, en tout état de cause, n’avait pas le caractère d’un engagement correspondant à un risque dont la probabilité était calculable ; que, par suite, ne pouvait être légalement retenu pour fonder une sanction le grief tiré de ce que la société avait méconnu les dispositions précitées en omettant de provisionner, sous forme de provisions mathématiques, les engagements résultant de l’application des taux initiaux ;
Considérant, en quatrième lieu, s’agissant des contrats commercialisés entre 1993 et 1995, que c’est à bon droit que la commission a estimé que la SOCIETE PREDICA avait sous-estimé les provisions mathématiques afférentes à ces contrats, en prenant en compte les rachats anticipés et en omettant les frais sur encours ; que si la commission a relevé à tort que la société avait admis la nécessité de modifier ses méthodes de calcul, cette erreur n’a eu aucune incidence sur le raisonnement qui a conduit la commission à relever le non respect des dispositions réglementaires applicables aux provisions mathématiques ;
Considérant, en cinquième lieu, que la commission n’a pas excédé ses pouvoirs ni commis d’erreur d’appréciation en adoptant, pour le calcul des provisions afférentes, notamment, à la garantie plancher des contrats en unités de comptes, une méthode combinant plusieurs hypothèses sur l’évolution future des marchés et aboutissant au constat que les provisions inscrites par la SOCIETE PREDICA, qui avait basé ses calculs sur un seul scénario, n’étaient pas suffisantes ;
Sur les moyens relatifs aux sanctions :
Considérant que les griefs retenus par la présente décision justifient que soient maintenus l’avertissement et la sanction pécuniaire de 500 000 euros, assortis de la publication, cette dernière mesure ne nécessitant pas de motivation spéciale ; que, la décision étant ainsi légalement justifiée, la société requérante ne peut utilement soutenir que l’égalité de traitement des entreprises du secteur de l’assurance aurait été rompue à son détriment ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE PREDICA n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision attaquée ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
Sur les conclusions de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de la SOCIETE PREDICA la somme de 5 000 euros ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SOCIETE PREDICA est rejetée.
Article 2 : La SOCIETE PREDICA versera à l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles une somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE PREDICA et à l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles.