AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Par une requête, enregistrée le 1er avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Syndicat des avocats de France demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l’exécution des dispositions des articles 4, 5, 13, 14, 16, 17, du dernier alinéa de l’article 24 et de l’article 30 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;
2°) de suspendre l’exécution de la circulaire du 26 mars 2020 présentant les dispositions les dispositions de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 et de la circulaire contenue dans un courriel de la directrice des affaires criminelles et des grâces prescrivant aux magistrats du parquet les modalités selon lesquelles doivent être appliquées les dispositions de l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020.
Il soutient que :
– il a intérêt à agir contre l’ordonnance et les circulaires contestées dès lors que les intérêts qu’il défend, comme les conditions d’exercice de la profession qu’il représente, sont directement affectés ;
– sa requête est recevable, dès lors que, d’une part, l’ordonnance contestée n’ayant pas été ratifiée par le Parlement, elle constitue un acte susceptible de recours devant le juge administratif et, d’autre part, les circulaires contestées revêtent un caractère impératif en ce qu’elles prescrivent les modalités d’application de l’article 16 de l’ordonnance ;
– la condition d’urgence est remplie, dès lors que l’ordonnance contestée est d’ores et déjà exécutoire et que son exécution porte une atteinte grave et immédiate au droit à la liberté et à la sûreté et au droit à un procès équitable en ce qu’elle expose de manière injustifiée le personnel, les auxiliaires de justice et les usagers des juridictions pénales à un risque de contamination au covid-19 et en ce qu’elle prévoit des dérogations aux règles de procédure pénale, relatives à l’introduction des demandes, recours et voies de recours, au recours à la visioconférence, à l’intervention de l’avocat pour assister une personne gardée à vue par un moyen de télécommunication audiovisuelle ou par téléphone, à l’allongement des délais de détention provisoire, à l’allongement du délai imparti à la chambre d’application des peines pour statuer et aux mesures de placement des mineurs, qui sont de nature à justifier l’intervention dans les quarante-huit heures d’une mesure de suspension ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au procès équitable, et plus précisément au droit d’accéder au juge et au droit au réexamen d’une condamnation pénale, au principe de l’exercice des droits de la défense, à l’exigence d’une protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit à la sûreté ;
– le recours au seul courrier recommandé, exclusif de toute communication dématérialisée, prévu à l’article 4 de l’ordonnance pour la présentation des demandes, l’introduction des recours et voies de recours et le dépôt des conclusions et mémoires, d’une part, rend ineffectif le droit d’accès au juge et l’exercice des droits de la défense et, d’autre part, excède de ce qui est nécessaire pour concilier les intérêts en présence et permettre la continuité du service public de la justice ;
– les modalités d’enregistrement des recours introduits par courriers électroniques, prévues à l’article 4 de l’ordonnance, privent les justiciables de leur droit d’accéder au juge et, s’agissant de l’appel, de leur droit de faire réexaminer une condamnation pénale ;
– l’extension, prévue à l’article 5 de l’ordonnance, de la possibilité de recourir à la visioconférence ou à tout autre procédé de communication électronique, y compris le téléphone, pour l’ensemble des audiences devant les juridictions pénales autres que criminelles sans limitation tenant à la nature du contentieux et sans l’accord des parties porte une atteinte grave et manifestement illégale à l’exercice des droits de la défense dès lors qu’elle n’est pas strictement encadrée et n’est assortie d’aucune garantie ;
– la possibilité, prévue à l’article 13 de l’ordonnance, qu’un avocat puisse assister à distance une personne gardée à vue, par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique, y compris téléphonique, sans que ce dernier l’ait demandé ni accepté, porte une atteinte grave et manifestement illégale au principe du respect des droits de la défense ;
– la possibilité, prévue à l’article 14 de l’ordonnance, de prolonger la garde à vue d’un mineur sans présentation devant le juge compétent, ni physiquement ni par visioconférence, contrevient au droit à la sûreté et à la garantie judiciaire prévus au paragraphe 3 de l’article 5 de la convention européenne de droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’à l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ;
– la prolongation de plein droit et sans intervention d’un juge de la durée de tous les mandats de dépôt arrivant à expiration, quelle que soit la durée déjà écoulée de la détention provisoire, si elle devait être considérée comme prévue par l’article 16 de l’ordonnance contestée, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la sûreté et à la présomption d’innocence en ce qu’elle excède, d’une part, l’habilitation législative résultant du d) du 2) du I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui a seulement visé l’allongement des délais maximum ou butoirs de la détention provisoire et, d’autre part, ce qui est justifié par les circonstances exceptionnelles liées au covid-19 ;
– la faculté de présenter une demande de mise en liberté ne constitue pas une garantie suffisante pour compenser l’absence de contrôle par un juge de la durée de la détention provisoire et de la nécessité de prolonger cette mesure ;
– si l’article 16 de l’ordonnance ne devait pas être interprété comme ayant, par lui-même, cet effet, les circulaires contestées portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la sûreté et à la présomption d’innocence en ce qu’elles prescrivent de maintenir en détention sans décision de prolongation des personnes qui n’auraient pu subir un tel sort sans l’intervention d’un juge ;
– l’allongement des délais en matière de comparution immédiate, prévu à l’article 17 de l’ordonnance, porte une atteinte excessive à la présomption d’innocence et au droit à la sûreté, faute d’être justifié par les circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie du covid-19 ;
– l’allongement à quatre mois du délai imparti à la chambre d’application des peines pour se prononcer sur l’appel à caractère suspensif du parquet, prévu au dernier alinéa de l’article 24 de l’ordonnance, prive de son contenu le droit du détenu à obtenir l’exécution de la chose jugée, excédant ainsi ce qui peut être admis en raison des circonstances exceptionnelles, et contrevient à l’objectif poursuivi par le législateur de favoriser les mesures d’aménagement de peines pour réduire le taux d’occupation des établissements pénitentiaires ;
– la prorogation des mesures de placement sans audition des mineurs, prévue à l’article 30 de l’ordonnance, porte atteinte à l’exigence de protection de l’intérêt de l’enfant en ce qu’elle excède ce qui peut être admis au regard des circonstances exceptionnelles et n’est pas indispensable, l’audition des mineurs pouvant avoir lieu par un procédé de communication électronique.
Par une intervention, enregistrée le 2 avril 2020, le Syndicat de la magistrature demande au juge des référés de faire droit à la requête. Il soutient que son intervention est recevable et reprend les moyens de la requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– la convention internationale relative aux droits de l’enfant ;
– le code de procédure pénale ;
– le code de la santé publique ;
– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
– le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
– le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « . En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée.
Sur l’intervention :
2. Le Syndicat de la magistrature justifie, eu égard à la nature et l’objet du litige, d’un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête présentée par le Syndicat des avocats de France. Son intervention est, par suite, recevable.
Sur les circonstances :
3. L’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d’établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l’accueil des enfants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être ordonnées par le représentant de l’Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des arrêtés des 17, 19, 20, 21 mars 2020.
4. Par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, a été déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures qu’il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés par décret du 27 mars 2020.
5. L’article 11 de la même loi du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19, que ce soit en matière économique, financière et sociale, en matière administrative ou juridictionnelle, pour ce qui concerne le financement des établissements de santé, pour la garde des jeunes enfants des parents dont l’activité professionnelle est maintenue sur leur lieu de travail, pour assurer la continuité de l’accompagnement et la protection des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, pour assurer la continuité des droits des assurés sociaux et leur accès aux soins et aux droits, pour assurer la continuité de l’indemnisation des victimes et pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l’exercice de leurs compétences.
Sur la demande en référé :
6. En particulier, le Gouvernement a été autorisé, en vertu du 2° du I de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020, » afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation » à prendre toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi » c) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions ; / d) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à ces procédures, les règles relatives au déroulement des gardes à vue, pour permettre l’intervention à distance de l’avocat et la prolongation de ces mesures pour au plus la durée légalement prévue sans présentation de la personne devant le magistrat compétent, et les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique, pour permettre l’allongement des délais au cours de l’instruction et en matière d’audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle, et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat ; / e) Aménageant aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant ou impliquées dans ces procédures, d’une part, les règles relatives à l’exécution et l’application des peines privatives de liberté pour assouplir les modalités d’affectation des détenus dans les établissements pénitentiaires ainsi que les modalités d’exécution des fins de peine et, d’autre part, les règles relatives à l’exécution des mesures de placement et autres mesures éducatives prises en application de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ; / (…) « .
7. Sur le fondement de cette habilitation, l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a adapté les règles de la procédure pénale afin, comme l’indique son article 1er, » de permettre la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l’ordre public « , en édictant des règles dérogatoires applicables, ainsi que le détermine son article 2, » sur l’ensemble du territoire de la République jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 « .
8. Le Syndicat des avocats de France, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, demande au juge des référés du Conseil d’Etat de suspendre l’exécution des dispositions des articles 4, 5, 13, 14, 16, 17, 24 et 30 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020. Il demande, en outre de suspendre l’exécution de la circulaire de la garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 26 mars 2020, présentant les dispositions de l’ordonnance et de la circulaire contenue dans un courriel de la directrice des affaires criminelles et des grâces prescrivant aux magistrats du parquet les modalités selon lesquelles doivent être appliquées les dispositions de l’article 16 de l’ordonnance.
En ce qui concerne l’article 4 de l’ordonnance :
9. L’article 4 de l’ordonnance contestée augmente les délais d’exercice des voies de recours prévus par le code de procédure pénale, ouvre la possibilité, au-delà des modes habituels de dépôt des recours, demandes, mémoires et conclusions, d’y procéder par la voie d’une lettre recommandée avec accusé de réception et prévoit, en outre, la possibilité de former appel ou de se pourvoir en cassation par l’envoi d’un courrier électronique faisant l’objet d’un accusé de réception. En ménageant ces possibilités supplémentaires, l’article 4 de l’ordonnance ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
En ce qui concerne l’article 5 de l’ordonnance :
10. L’article 5 de l’ordonnance contestée prévoit la possibilité dérogatoire de recourir à des moyens de télécommunication audiovisuelle devant les juridictions pénales autres que criminelles, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties, et aussi, dans le cas où il serait techniquement ou matériellement impossible d’avoir recours à ces moyens, de recourir à des moyens de communication téléphonique » permettant de s’assurer de la qualité de la transmission, de l’identité des personnes et de garantir la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats « . L’article contesté précise que le juge » s’assure à tout instant du bon déroulement des débats » et qu’il » organise et conduit la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats « .
11. En mettant en oeuvre l’habilitation résultant du c) du 2° du I de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 et en permettant, sous les conditions prévues, le recours dérogatoire à des moyens de communication à distance pendant la période prévue à l’article 2 de l’ordonnance, dans le but de permettre une continuité d’activité des juridictions pénales, l’article 5 de l’ordonnance contestée n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par le syndicat requérant, alors que les exigences de la lutte contre l’épidémie de covid-19 imposent de faire échec à la propagation du virus et de limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes.
En ce qui concerne les articles 13 et 14 de l’ordonnance :
12. L’article 13 de l’ordonnance contestée permet, par dérogation aux dispositions des articles 63-4 et 63-4-2 du code de procédure pénale, que l’entretien avec un avocat lors de la garde à vue ou de la rétention douanière ainsi que l’assistance par un avocat au cours des auditions puissent se dérouler par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique, y compris téléphonique, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges pour ce qui concerne les entretiens confidentiels entre la personne gardée à vue et son avocat prévus par le code de procédure pénale. Ainsi que l’explicite le rapport au Président de la République de l’ordonnance, cette possibilité n’est susceptible d’être mise en oeuvre que si le recours à un tel moyen de communication est matériellement possible et si l’avocat l’accepte ou le demande.
13. Pour sa part, l’article 14 de l’ordonnance autorise les prolongations des gardes à vue des mineurs âgés de seize à dix-huit ans, ainsi que les prolongations des gardes à vue prévues par l’article 706-88 du code de procédure pénale, sans présentation de la personne devant le magistrat compétent, sur décision de ce dernier.
14. Ces dispositions, qui mettent en oeuvre l’habilitation donnée au Gouvernement par les dispositions du d) du 2° du I de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 qui visent : » les règles relatives au déroulement des gardes à vue, pour permettre l’intervention à distance de l’avocat et la prolongation de ces mesures pour au plus la durée légalement prévue sans présentation de la personne devant le magistrat compétent « , ne portent, eu égard aux circonstances actuelles, pas d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.
En ce qui concerne les articles 16 et 17 de l’ordonnance et les termes correspondant des circulaires de la garde des sceaux, ministre de la justice :
15. S’agissant, ainsi que l’indique l’article 15 de l’ordonnance, des détentions provisoires en cours ou débutant entre la date de publication de l’ordonnance et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré et, le cas échéant, prorogé sur le fondement des articles L. 3131-12 à L. 3131-14 du code de la santé publique, l’article 16 de l’ordonnance a décidé la prolongation de plein droit des délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique, prévus par les dispositions du code de procédure pénale, qu’il s’agisse des détentions au cours de l’instruction ou des détentions pour l’audiencement devant les juridictions de jugement des affaires concernant des personnes renvoyées à l’issue de l’instruction. En matière correctionnelle, ces délais sont prolongés de plein droit de deux mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans et de trois mois dans les autres cas ; en matière criminelle et en matière correctionnelle pour l’audiencement des affaires devant la cour d’appel, la prolongation est de six mois. Ainsi que le précise l’article 16 de l’ordonnance, ces prolongations ne s’appliquent qu’une seule fois au cours de chaque procédure et s’entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner à tout moment, d’office, sur demande du ministère public ou sur demande de l’intéressé, la mainlevée de la mesure, le cas échéant avec assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire lorsqu’il est mis fin à une détention provisoire. Conformément au second alinéa de l’article 15 de l’ordonnance, les prolongations de détention provisoire qui découlent de ces dispositions continuent de s’appliquer après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré et, le cas échéant, prorogé sur le fondement des articles L. 3131-12 à L. 3131-14 du code de la santé publique.
16. L’article 17 de l’ordonnance, pour sa part, allonge les délais prévus, pour le cas de la comparution immédiate, par le troisième alinéa de l’article 396 du code de procédure pénale, par les deux premiers alinéas de l’article 397-1 du même code, par les troisième et dernier alinéas de l’article 397-3, par le deuxième alinéa de l’article 397-4, et, pour le cas de la comparution à délai différé, par le troisième alinéa de l’article 397-1-1.
17. Par ailleurs, l’article 19 de l’ordonnance a prévu que, par dérogation aux dispositions des articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale, » les décisions du juge des libertés et de la détention statuant sur la prolongation de la détention provisoire interviennent au vu des réquisitions écrites du procureur de la République et des observations écrites de la personne et de son avocat, lorsque le recours à l’utilisation du moyen de télécommunication audiovisuelle prévu par l’article 706-71 de ce code n’est matériellement pas possible. / S’il en fait la demande, l’avocat de la personne peut toutefois présenter des observations orales devant le juge des libertés et de la détention, le cas échéant par un moyen de télécommunication audiovisuelle. / Dans les cas prévus au présent article, le juge organise et conduit la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats « .
18. Il résulte des dispositions du d) du 2° du I de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 que le législateur a, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, spécialement habilité le Gouvernement agissant par voie d’ordonnance, d’une part, à allonger les délais des détentions provisoires, quels qu’ils soient, pour une durée proportionnée à celle de droit commun dans la limite de trois mois en matière délictuelle et de six mois en appel ou en matière criminelle, et, d’autre part, à permettre la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat.
19. En allongeant de façon générale les délais maximums de détention provisoire fixés par la loi, pour les détentions provisoires en cours comme celles débutant entre la date de publication de l’ordonnance et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, l’ordonnance contestée a mis en oeuvre l’habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020, dans le respect des conditions qu’elle y a mises. Elle s’est bornée à allonger ces délais, sans apporter d’autre modification aux règles du code de procédure pénale qui régissent le placement et le maintien en détention provisoire. Elle a précisé que ces prolongations ne s’appliquent qu’une seule fois au cours de chaque procédure et a rappelé qu’elles s’entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner à tout moment, d’office, sur demande du ministère public ou sur demande de l’intéressé, la mainlevée de la mesure. En adoptant de telles mesures et en retenant des allongements de deux, trois ou six mois, dans les limites imparties par la loi d’habilitation, l’ordonnance contestée ne peut être regardée, eu égard à l’évolution de l’épidémie, à la situation sanitaire et aux conséquences des mesures prises pour lutter contre la propagation du covid-19 sur le fonctionnement des juridictions, sur l’action des auxiliaires de justice et sur l’activité des administrations, en particulier des services de police et de l’administration pénitentiaire, comme d’ailleurs sur l’ensemble de la société française, comme portant une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par le syndicat requérant. Il en va de même pour ce qui concerne l’allongement des délais, résultant de l’article 17 de l’ordonnance pour les cas de comparution immédiate et de comparution à délai différé.
20. Pour leur part, la circulaire du 26 mars 2020 et le courriel de la directrice des affaires criminelles et des grâces contestés présentent les dispositions adoptées par l’ordonnance du 25 mars 2020, en explicitent la portée et exposent les conséquences qui découlent nécessairement de la prolongation exceptionnelle des délais de détention provisoire telle que voulue par l’ordonnance dans le contexte très particulier des circonstances liées à l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour lutter contre la propagation de cette maladie. Eu égard à leur contenu et à leur portée, ils ne peuvent être regardés comme portant une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.
En ce qui concerne l’article 24 de l’ordonnance :
21. Le dernier alinéa de l’article 24 de l’ordonnance contestée porte de deux à quatre mois le délai, prévu à l’article 712-14 du code de procédure pénale, dans lequel la chambre d’application des peines doit se prononcer sur l’appel du ministère public formé contre une décision du juge de l’application des peines, faute de quoi l’appel est tenu pour non avenu. En décalant ainsi la date à compter de laquelle l’appel du ministère public devient non avenu en l’absence de décision de la chambre d’application des peines, les dispositions contestées de l’ordonnance, eu égard aux conséquences des mesures prises pour lutter contre la propagation du covid-19 sur le fonctionnement des juridictions, n’ont pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
En ce qui concerne l’article 30 de l’ordonnance :
22. L’article 30 de l’ordonnance permet au juge des enfants, lorsque le délai des mesures de placements ordonnés en application de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante arrive à échéance, de proroger ce délai d’office et sans audition des parties, pour une durée maximale de quatre mois. Il permet en outre au juge des enfants de proroger le délai d’exécution des autres mesures éducatives pour une durée maximale de sept mois.
23. En mettant en oeuvre l’habilitation prévue par le e) du 2° du I de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 et en permettant ainsi au juge des enfants de proroger, pour une durée limitée et au vu d’un rapport du service éducatif, les mesures ordonnées en application de l’ordonnance du 2 février 1945, l’article 30 de l’ordonnance contestée, qui a pris en compte l’intérêt qui s’attache à la continuité du suivi éducatif des mineurs concernés, n’a pas porté d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale en permettant au juge de décider d’une telle prorogation sans audition des intéressés, eu égard aux circonstances résultant de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour lutter contre la propagation du virus.
24. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, qu’il est manifeste que la demande en référé n’est pas fondée. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions de la requête par application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L’intervention du Syndicat de la magistrature est admise.
Article 2 : La requête du Syndicat des avocats de France est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au Syndicat des avocats de France et au Syndicat de la magistrature.
Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.
ECLI:FR:CEORD:2020:439894.20200403