RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
MM. J…L…, S…K…, O…D…, P…E…, R…T…, X…W…, Y…H…, A…D…, G…K…, Q…F…, U…C…, N…V…et B…I…ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative d’enjoindre au département du Nord, ou à défaut à l’Etat, de leur assurer une solution d’hébergement et de prise en charge des besoins alimentaires, dans un délai de 72 heures, sous astreinte.
Par une ordonnance nos 1704881, 1704882, 1704884, 1704885, 1704886, 1704888, 1704889, 1704890, 1704891, 17049892, 1704893, 1704894 et 1704904 du 8 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, d’une part, a enjoint au préfet du Nord de proposer à M. J…L…, à M. S…K…et à M. N…V…une solution de prise en charge, incluant le logement et la satisfaction de leurs besoins alimentaires et d’hygiène, dans un délai maximal d’une semaine à compter de la notification de l’ordonnance, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et, d’autre part, de proposer aux autres requérants une solution de prise en charge, incluant le logement et la satisfaction de leurs besoins alimentaires et d’hygiène, dans un délai maximal de quinze jours à compter de la notification de l’ordonnance, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Par un recours, enregistrée le 23 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter leur demande de première instance.
Le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur soutient que :
– l’ordonnance contestée est entachée d’une erreur de droit dès lors qu’elle déduit de la carence du département dans la prise en charge des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance, l’existence simultanée d’une carence caractérisée de l’Etat dans l’exercice de son pouvoir de police générale ;
– elle est entachée d’une erreur d’appréciation dès lors, d’une part, que la carence du département a été établie sur le fondement de circonstances antérieures, alors que ses capacités de prise en charge sont par nature évolutives et que le département n’a pas établi son incapacité à financer des nuitées d’hôtel, et, d’autre part, que le département n’est même pas enjoint à tenter de recherche une solution pour honorer ses obligations.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2017, MM. J…L…, S…K…, O…D…, P…E…, R…T…, X…W…, Y…H…, A…D…, G…K…, Q…F…, U…C…, N…V…et B…I…concluent au rejet du recours. Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2017, le département du Nord conclue au rejet du recours. Il soutient que les moyens soulevés par le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur ne sont pas fondés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et, d’autre part, MM. J…L…, S…K…, O…D…, P…E…, R…T…, X…W…, Y…H…, A…D…, G…K…, Q…F…, U…C…, N…V…, B…I…et le département du Nord ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du jeudi 29 juin 2017 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
– la représentante du ministre d’Etat, ministre de l’intérieur ;
– Me Delamarre, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du département du Nord ;
– le représentant du département du Nord ;
– la représentante de MM. J…L…, S…K…, O…D…, P…E…, R…T…, X…W…, Y…H…, A…D…, G…K…, Q…F…, U…C…, N…V…et B…I…;
et à l’issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l’instruction jusqu’au vendredi 30 juin 2017 à 15 heures ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 juillet 2017, présentée par le ministre de l’intérieur ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code civil ;
– le code de l’action sociale et des familles ;
– le code de justice administrative ;
1. Considérant qu’en vertu de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale ;
2. Considérant qu’il résulte de l’instruction que MM. J…L…, S…K…, O…D…, P…E…, R…T…, X…W…, Y…H…, A…D…, G…K…, Q…F…, U…C…, N…V…et B…I…, étrangers mineurs isolés, ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance du département du Nord ; que, toutefois, le département tardant à assurer leur hébergement et la prise en charge de leur alimentation, ils ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu’il soit enjoint au département du Nord ou, à défaut à l’Etat, d’y procéder ; que, par une ordonnance du 8 juin 2017, dont le ministre de l’intérieur a fait appel, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a enjoint sous astreinte au préfet du Nord de leur proposer une solution de prise en charge, incluant le logement et la satisfaction de leurs besoins alimentaires et d’hygiène ;
3. Considérant que les conclusions d’appel du ministre d’Etat, ministre de l’intérieur sont dirigées contre l’ordonnance uniquement en tant qu’elle enjoint à l’Etat et non au département du Nord de prendre en charge les intéressés ; que ni l’Etat ni le département n’ont contesté dans leurs écrits ou au cours de l’audience de référé l’urgence et la nécessité de prendre en charge les mineurs isolés ; que le débat en appel ne porte ainsi que sur la personne publique à laquelle incombe cette prise en charge ;
Sur le cadre juridique du litige :
4. Considérant que l’article 375 du code civil dispose que : » Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (…) » ; qu’aux termes de l’article 375-3 du même code : » Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (…) 3° A un service départemental de l’aide sociale à l’enfance (…) » ; que l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles dispose que : » Le service de l’aide sociale à l’enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / (…) 4° Pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (…) » ; que l’article L. 222-5 du même code prévoit que : » Sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil départemental : (…) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l’article 375-3 du code civil (…) » ;
5. Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance ; qu’à cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger ; que, lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
6. Considérant que l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ; qu’il incombe, dès lors, au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l’administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l’article L. 521-2 et qui, compte tenu de l’urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l’attente d’un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d’accueil ou une famille d’accueil si celui-ci n’est pas matériellement possible à très bref délai ;
7. Considérant qu’en outre, il appartient, en tout état de cause, aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti ; que lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à de tels traitements, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure prévue par l’article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence ; que, toutefois, la compétence des autorités titulaires du pouvoir de police générale ne saurait avoir pour effet de dispenser le département de ses obligations en matière de prise en charge des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance ; que, par suite, le juge des référés ne pourrait prononcer une injonction à leur égard que dans l’hypothèse où les mesures de sauvegarde à prendre excéderaient les capacités d’action du département ;
Sur la situation de MM. S…K…, P…E…, R…T…, X…W…, A…D…, G…K…, Q…F…et U…C… :
8. Considérant qu’il résulte de l’instruction et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté que ces huit étrangers mineurs ont été, postérieurement à l’ordonnance attaquée, pris en charge par les services du département du Nord ; que, dès lors, les conclusions du ministre en tant qu’elles concernent ces mineurs étrangers sont devenues sans objet ;
Sur la situation de M. O…D… :
9. Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. O…D…ne relève pas actuellement de l’aide sociale à l’enfance ; qu’aucune information n’a pu être donnée au juge des référés du Conseil d’Etat sur la situation d e l’intéressé ; que dans ces conditions il n’apparaît plus, en tout état de cause, que le prononcé de mesures de sauvegarde ait gardé un objet en ce qui le concerne ;
Sur la situation de MM. J…L…, Y…H…, N…V…et B…I… :
10. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le département a dû faire face à un afflux important de mineurs étrangers isolés, lesquels ont été confiés au service de l’aide sociale à l’enfance ; que le département a été contraint d’ouvrir en 2017 des places d’hébergement supplémentaires pour assurer la prise en charge de ces mineurs étrangers et que la dernière phase d’ouverture de places, au nombre de 293, s’achèvera en août 2017 ; que s’agissant des 13 jeunes étrangers qui ont initialement saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille, le département a invoqué l’absence immédiate de places dans ce dispositif de droit commun d’accueil des mineurs étrangers isolés pour refuser de les prendre en charge ; que toutefois, il n’a apporté, à aucun stade de la procédure, le moindre élément permettant d’établir qu’un hébergement et une prise en charge de leurs besoins élémentaires en urgence et à titre provisoire, le temps nécessaire à leur intégration dans le dispositif de droit commun, auraient dépassé la capacité d’action du département dans des conditions telles qu’une intervention de l’autorité de police générale aurait été requise, conformément à la règle énoncée aux points 5 à 7 de la présente ordonnance ; que si à l’audience le département du Nord a indiqué qu’il était plus facile pour les services de l’Etat d’obtenir en urgence des places en hôtel, une telle circonstance ne peut en elle-même justifier le refus du département d’assumer les responsabilités qui lui incombent à ce titre ; que, par suite, le ministre de l’intérieur est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a mis à sa charge, en lieu et place du département, le logement et la satisfaction des besoins alimentaires et d’hygiène de MM. J…L…, Y…H…, N…V…et B…I… ; qu’il y a lieu, par conséquent, d’enjoindre au département de prendre en charge l’hébergement et l’alimentation de ces quatre jeunes mineurs isolés dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jours de retard ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, en tant qu’elles portent sur la situation de MM. S…K…, P…E…, R…T…, X…W…, A…D…, G…K…, Q…F…, U…C…et O…D….
Article 2 : Il est enjoint au département du Nord de prendre en charge l’hébergement et l’alimentation de MM. J…L…, Y…H…, N…V…et B…I…dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Article 3 : L’ordonnance du 8 juin 2017 du tribunal administratif de Lille est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente décision.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, au département du Nord et à M. J…Kamden, premier défendeur dénommé. Les autres défendeurs seront informés de la présente ordonnance par la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d’Etat.