RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, 1°) sous le n° 353172, la requête, enregistrée le 5 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la VILLE DE PARIS, représentée par son maire ; la VILLE DE PARIS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 1116507/9 du 4 octobre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu les travaux de démolition de la dalle du » Forum des Halles » à l’aplomb du magasin Hennes et Mauritz (HetM) pendant une durée de 72 heures à compter de la notification de l’ordonnance, à l’effet pour la société d’économie mixte PariSeine de faire procéder aux réparations des percements et à la nomination d’un organisme compétent en matière de vérification de travaux de démolition ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Hennes et Mauritz devant le tribunal administratif de Paris ou, à titre subsidiaire, d’ordonner toute mesure d’instruction utile afin de demander aux experts judiciaires désignés dans le cadre du référé préventif leur avis écrit ou oral sur la méthodologie proposée par la société DGC et la société d’économie mixte PariSeine ;
3°) de mettre à la charge de la société Hennes et Mauritz le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2°) sous le n° 353173, la requête, enregistrée le 5 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée pour la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE, dont le siège social est 2 rue Jean Lantier à Paris (75001) ; la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 1116507/9 du 4 octobre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu les travaux de démolition de la dalle du » Forum des Halles » à l’aplomb du magasin Hennes et Mauritz pendant une durée de 72 heures à compter de la notification de l’ordonnance, à l’effet pour la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE de faire procéder aux réparations des percements et à la nomination d’un organisme compétent en matière de vérification de travaux de démolition ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Hennes et Mauritz devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de la société Hennes et Mauritz le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu, sous les n°s 353172 et 353173, la note en délibéré, enregistrée le 4 novembre 2011, présentée pour la société Hennes et Mauritz ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment son article 2 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, Conseiller d’Etat,
– les observations de Me Foussard, avocat de la VILLE DE PARIS, de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société Hennes et Mauritz (HetM) et de Me Haas, avocat de la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE,
– les conclusions de M. Damien Botteghi, rapporteur public,
La parole ayant à nouveau été donnée à Me Foussard, avocat de la VILLE DE PARIS, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société Hennes et Mauritz (HetM) et à Me Haas, avocat de la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE ;
Considérant que les requêtes de la VILLE DE PARIS et de la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE présentent à juger les mêmes questions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : » Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 521-1 du même code : » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 521-2 du même code : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ; qu’aux termes enfin de l’article L. 521-3 de ce code : » En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative » ;
Considérant que, pour prévenir ou faire cesser un péril dont il n’est pas sérieusement contestable qu’il trouve sa cause dans l’action ou la carence de l’autorité publique, le juge des référés peut, en cas d’urgence, être saisi soit sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, afin qu’il ordonne la suspension de la décision administrative, explicite ou implicite, à l’origine de ce péril, soit sur le fondement de l’article L. 521-3 du même code, afin qu’il enjoigne à l’autorité publique, sans faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à ce péril ; qu’il peut, en particulier, suspendre la mise en oeuvre d’une action décidée par l’autorité publique et, le cas échéant, déterminer, au besoin après expertise, les mesures permettant la reprise de cette mise en oeuvre en toute sécurité ;
Considérant, en outre, que le droit au respect de la vie, rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, lorsque l’action ou la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par cet article, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser le danger résultant de cette action ou de cette carence ; qu’il peut, le cas échéant, après avoir ordonné des mesures d’urgence, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent être très rapidement mises en oeuvre ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que sont réalisés au » Forum des Halles » de Paris, en vertu d’un permis de démolir délivré le 27 juillet 2010, des travaux de démolition des ouvrages en superstructures constituant les pavillons de Willerval et des travaux de réfection de la dalle de couverture du centre commercial ; que ces travaux font intervenir la VILLE DE PARIS, en qualité de maître d’ouvrage, la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE, en qualité de maître d’ouvrage délégué, et la société DGC, en qualité de titulaire du marché de démolition ; que, par deux ordonnances en date des 4 et 21 mai 2010 rendues sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a désigné M. Jean-Claude Eugène et M. Jacques Austry en qualité d’experts judiciaires ayant pour mission de décrire l’état des immeubles situés à proximité de la zone concernée par les travaux, et de constater tout dommage survenant au cours des travaux, de déterminer leur étendue et leur cause ; qu’une mission de contrôle a été confiée par la VILLE DE PARIS au bureau Veritas ;
Considérant que le 20 septembre 2011, les travaux de démolition du renformis en béton situé sur la dalle de couverture du centre commercial ont donné lieu à un incident, la dalle constituant le plafond du magasin Hennes et Mauritz (HetM) ayant été perforée en quatre endroits, ce qui a provoqué la chute de morceaux de béton ; que, le 20 septembre 2011, M. Jean-Claude Eugène a constaté l’incident provoqué par une erreur du conducteur du brise roche hydraulique utilisé pour détruire le renformis et préconisé la suspension des travaux de démolition de ce renformis, la réparation de la dalle et la recherche d’une nouvelle méthodologie de démolition afin d’éviter que ne se reproduise un tel sinistre ; qu’à l’issue d’une nouvelle réunion le 23 septembre 2011, une nouvelle méthodologie a été validée par l’expert sous réserve de certaines adaptations ; que, le 29 septembre 2011, la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE a diffusé une note décrivant la nouvelle méthodologie tenant compte des recommandations de l’expertise du 23 septembre 2011 et fixant la reprise des travaux au 3 octobre 2011 ; que, devant l’imminence de cette reprise, la société Hennes et Mauritz a saisi, le 1er octobre 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Paris sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative d’une requête tendant à la suspension des travaux de démolition à l’aplomb de son établissement recevant du public ; que, par une ordonnance du 4 octobre 2011, le juge des référés a ordonné la suspension de ces travaux pendant une durée de 72 heures, à l’effet pour la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE, d’une part, de faire procéder aux réparations urgentes nécessitées par les percements de la dalle et, d’autre part, de confier à un bureau d’études ou à un sachant ayant compétence en ce domaine une mission permanente de vérification et d’intervention pendant les travaux de démolition de cette dalle à l’aplomb du magasin HetM ; que la VILLE DE PARIS et la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE font appel de cette ordonnance ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du compte rendu de la visite sur les lieux effectuée le 27 septembre 2011 par les architectes du maître d’oeuvre, que la dalle recouvrant le magasin HetM ne présentait aucun autre désordre que les percements accidentels survenus le 20 septembre ; que la nouvelle méthodologie des travaux de démolition diffusée le 29 septembre 2011 par la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE a été élaborée conformément aux préconisations de l’expert désigné par le tribunal administratif de Paris et à la suite des réunions qui ont eu lieu les 20 et 23 septembre, et auxquelles a participé la société HetM, puis validée par l’expert le 4 octobre suivant et ultérieurement, le 26 octobre, par les architectes du maître d’oeuvre ; que cette nouvelle méthodologie prévoit que l’épaisseur effective du renformis sera déterminée systématiquement, avant tout démarrage des travaux de démolition dans une nouvelle zone, par un sondage effectué au marteau-piqueur, que le brise roche hydraulique ne sera utilisé que pour démolir la partie du renformis supérieure à 20 cm et pour fragmenter la partie de ce dernier comprise entre 10 cm et 20 cm, la destruction du renformis se faisant, pour le reste, au marteau-piqueur manuel, que le brise roche hydraulique et le marteau-piqueur ne pourront être utilisés qu’en position inclinée, de manière à prévenir tout nouveau percement de la dalle, qu’un périmètre de protection sera installé dans le magasin lors de la réalisation des travaux et qu’une vigie en contact avec le chef de chantier assurera la surveillance des travaux à l’intérieur du magasin ; qu’enfin, la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE a confirmé le 4 octobre 2011 son accord pour l’implication du bureau de contrôle Veritas dans la validation du projet de réparation de la dalle endommagée ;
Considérant que l’ensemble de ces circonstances ne fait pas apparaître de danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes et, au surplus, ne permet pas davantage au juge des référés de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai très bref ; qu’ainsi, contrairement à ce qu’a estimé le juge des référés du tribunal administratif de Paris, il ne résulte pas de l’instruction que l’autorité publique aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans des conditions susceptibles de constituer une situation d’urgence particulière et de nature, en conséquence, à justifier l’usage des pouvoirs que le juge des référés tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la VILLE DE PARIS et la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonné les mesures litigieuses ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la VILLE DE PARIS et de la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement de la somme demandée par la société Hennes et Mauritz ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Hennes et Mauritz le versement à la VILLE DE PARIS et à la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE de la somme de 3 000 euros chacune au titre des frais exposés par elles devant le tribunal administratif de Paris et le Conseil d’Etat et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris en date du 4 octobre 2011 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Hennes et Mauritz devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions présentées devant le Conseil d’Etat tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Hennes et Mauritz versera à la VILLE DE PARIS et à la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE la somme de 3 000 euros chacune en application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la VILLE DE PARIS, à la SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE PARISEINE et à la société Hennes et Mauritz.