RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 24 mai et 26 juillet 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE HABIB BANK LIMITED, dont le siège est …, représentée par ses représentants légaux en exercice domiciliés audit siège ; la SOCIETE HABIB BANK LIMITED demande que le Conseil d’Etat :
1°) annule la décision du 8 mars 1996 par laquelle la commission bancaire lui a infligé un blâme assorti d’une sanction pécuniaire de 300 000 F ;
2°) condamne l’Etat à lui verser la somme de 25 000 F au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 modifiée ;
Vu la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 ;
Vu le décret n° 84-708 du 24 juillet 1984 ;
Vu le décret n° 91-160 du 13 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 92-456 du 22 mai 1992 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et notamment son article 75-I ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de Mme Legras, Auditeur,
– les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la société HABIB BANK LIMITED et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie,
– les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article 6, 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ;
Considérant que la possibilité conférée à une juridiction ou à un organisme administratif qui, eu égard à sa nature, à sa composition et à ses attributions, peut être qualifié de tribunal au sens de l’article 6, 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de se saisir de son propre mouvement d’affaires qui entrent dans le domaine de compétence qui lui est attribué n’est pas, en soi, contraire à l’exigence d’équité dans le procès énoncée par ces stipulations ;
Mais considérant que ce tribunal doit être impartial ; que cette exigence s’apprécie objectivement ; qu’il en résulte que si l’acte par lequel un tribunal statuant en matière disciplinaire décide de se saisir de certains faits, doit – afin que la ou les personnes mises en cause puissent utilement présenter leurs observations – faire apparaître avec précision ces faits ainsi que, le cas échéant, la qualification qu’ils pourraient éventuellement recevoir au regard des lois et règlements que ce tribunal est chargé d’appliquer, la lecture de cet acte ne saurait, sous peine d’irrégularité de la décision à rendre, donner à penser que les faits visés sont d’ores et déjà établis ou que leur caractère répréhensible au regard des règles ou principes à appliquer est d’ores et déjà reconnu ;
Considérant que l’article 37 de la loi du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit dispose : « Il est institué une commission bancaire chargée de contrôler le respect par les établissements de crédit des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables et de sanctionner les manquements constatés./ Elle examine les conditions de leur exploitation et veille à la qualité de leur situation financière./ Elle veille au respect des règles de bonne conduite de la profession » ; que l’article 45 de la même loi dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle a été prise la décision contestée prévoit que : »Si un établissement de crédit a enfreint une disposition législative ou réglementaire afférente à son activité, n’a pas déféré à une injonction ou n’a pas tenu compte d’une mise en garde, la commission bancaire peut prononcer l’une des sanctions disciplinaires suivantes : 1° l’avertissement ; 2° le blâme ; 3° l’interdiction d’effectuer certaines opérations et toutes autres limitations dans l’exercice de l’activité ; 4° la suspension temporaire de l’une ou de plusieurs des personnes mentionnées à l’article 17 de la présente loi avec ou sans nomination d’administrateur provisoire ; 5° la démission d’office de l’une ou de plusieurs de ces mêmes personnes avec ou sans nomination d’administrateur provisoire ; 6° le retrait d’agrément de l’établissement./ En outre, la commission bancaire peut prononcer, soit à la place, soit en sus de ces sanctions, une sanction pécuniaire au plus égale au capital minimum auquel est astreint l’établissement. Les sommes correspondantes sont recouvrées par le Trésor public et versées au budget de l’Etat » ; qu’aux termes de l’article 48 de la même loi : « Lorsque la commission bancaire statue en application des articles 44, 45 et 46, elle est une juridiction administrative ( …) » ;
Considérant, par ailleurs, que l’article 17 de la loi du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants prévoit que : « Lorsque par suite soit d’un grave défaut de vigilance, soit d’une carence dans l’organisation de ses procédures internes de contrôle, un organisme financier a méconnu les obligations que lui impose le présent chapitre, l’autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut agir d’office dans les conditions prévues par les règlements professionnels ou administratifs » ;
Considérant que la lettre, en date du 12 juillet 1995, par laquelle le président de la commission bancaire a fait connaître à la société HABIB BANK LIMITED que cette commission avait décidé, le 30 juin 1995, d’engager à son encontre des poursuites disciplinaires, mentionne que le rapport établi à la suite de l’enquête menée dans cet établissement a « mis en évidence plusieurs infractions aux dispositions législatives ou réglementaires visant à lutter contre le blanchiment des capitaux ainsi qu’à celles qui unifient le droit en matière de chèques », que l’établissement « a donc enfreint les dispositions de l’article 12 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic de stupéfiants », que les conditions dans lesquelles ont été ouverts certains comptes « constituent de surcroît une infraction à l’article 33 du décret du 22 mai 1992 relatif au refus de paiement et à l’interdiction d’émettre des chèques », que la société a « contrevenu aux dispositions de l’article 14 de la loi du 12 juillet 1990 qui prescrit que fasse l’objet d’un examen particulier toute opération importante qui se présente dans des conditions inhabituelles de complexité et ne paraît pas avoir de justification économique ou d’objet licite » et, enfin, « qu’en payant en espèces, le 4 novembre 1991, à une personne qui n’était pas titulaire d’un compte dans ses livres, un chèque revêtu d’un barrement général, la banque a commis une infraction aux dispositions de l’article 38 du décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière de chèques et de cartes de paiement » ;
Considérant ainsi qu’alors même que l’article 17 de la loi du 12 juillet 1990 permet à la commission bancaire d’agir d’office et que l’article 9 du décret susvisé du 24 juillet 1984 prévoit que, lorsqu’elle estime qu’il y a lieu de faire application de sanctions, elle doit porter à la connaissance de l’établissement de crédit en cause « les faits qui lui sont reprochés », la commission bancaire a, en l’espèce, méconnu la règle d’impartialité en présentant pour établis les faits dont elle faisait état et en prenant parti sur leur qualification d’infractions à différentes dispositions législatives et réglementaires ; que sa décision est, dès lors, entachée d’irrégularité et que la société requérante est fondée à en demander l’annulation ;
Considérant que les conditions irrégulières dans lesquelles la commission bancaire s’est saisie des manquements imputés à la société HABIB BANK LIMITED l’empêchent de statuer à nouveau sur cette affaire ; qu’il n’y a, dès lors, pas lieu à la lui renvoyer ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l’Etat àverser à la société HABIB BANK LIMITED la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La décision de la commission bancaire du 8 mars 1996 est annulée.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société HABIB BANK LIMITED est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société HABIB BANK LIMITED, à la commission bancaire et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.