RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi, enregistré le 6 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté pour Mme Hassiba A épouse B, demeurant … ; Mme A demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 15 mai 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, à la demande du préfet de police, d’une part, annulé le jugement du 2 novembre 2006 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris ayant annulé l’arrêté du 22 septembre 2006 décidant sa reconduite à la frontière et, d’autre part, rejeté sa demande d’annulation présentée devant le tribunal administratif de Paris ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel du préfet de police et d’enjoindre à ce dernier de lui délivrer un titre de séjour vie privée et familiale ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat, au profit de la SCP Jérôme Ortscheidt, la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’accord du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Alexandre Lallet, Maître des requêtes,
– les observations de la SCP Jérôme Ortscheidt, avocat de Mme A épouse B,
– les conclusions de M. Luc Derepas, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Jérôme Ortscheidt, avocat de Mme A épouse B ;
Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ;
Considérant qu’en application de ces stipulations, il appartient à l’autorité administrative qui envisage de procéder à l’éloignement d’un ressortissant étranger en situation irrégulière d’apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu’à la nature et à l’ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l’atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise ; que la circonstance que l’étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l’appréciation portée par l’administration sur la gravité de l’atteinte à la situation de l’intéressé ; que cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d’éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu’au seul bénéfice du regroupement familial et qu’il n’a pas respecté cette procédure ;
Considérant que, pour annuler le jugement du 2 novembre 2006 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris et rejeter la demande de Mme A épouse B tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 22 septembre 2006 par lequel le préfet de police avait décidé de sa reconduite à la frontière, la cour administrative d’appel de Paris s’est fondée sur ce que cet arrêté ne méconnaissait pas l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors, notamment, que Mme A était susceptible, en retournant dans son pays d’origine, de bénéficier, à la demande de son conjoint, du regroupement familial ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’elle a, ce faisant, commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que Mme A, ressortissante algérienne, est entrée régulièrement en France en janvier 2003 et y a ensuite séjourné régulièrement sous couvert de certificats de résidence d’étudiant ; qu’elle s’est mariée au mois de juillet de la même année à un compatriote, M. B, avec lequel elle a eu deux enfants nés en France en 2004 et 2006 ; que M. B, titulaire d’un certificat de résidence portant la mention travailleur temporaire , préparait un doctorat à l’Université Paris VI et avait été recruté par cette université en octobre 2005 en qualité d’allocataire de recherches pour une durée de trois ans ; que l’arrêté attaqué du 22 septembre 2006 a, dès lors, porté au droit au respect de la vie familiale de Mme A une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et a, ainsi, méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que le préfet de police n’est, par suite, pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et lui a enjoint de réexaminer la demande de titre de séjour présentée par Mme A ;
Sur les conclusions de Mme A tendant à ce que lui soit délivré un titre de séjour vie privée et familiale :
Considérant que la présente décision, qui confirme l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de Mme A prononcée par le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris, n’implique pas nécessairement la délivrance d’une carte de séjour temporaire à l’intéressée ; qu’en revanche, il incombe au préfet, en application des dispositions de l’article L. 512-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, non seulement de munir l’intéressée d’une autorisation provisoire de séjour, mais aussi de se prononcer sur son droit à un titre de séjour ; qu’il y a lieu de prescrire au préfet de police de se prononcer sur la situation de Mme A dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, au profit de la SCP Jérôme Ortscheidt, avocat de Mme A, la somme de 2 000 euros en application de ces dispositions, sous réserve que cette société renonce à la part contributive de l’Etat ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 15 mai 2007 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par le préfet de police devant la cour administrative d’appel de Paris est rejetée.
Article 3 : Le préfet de police statuera sur la régularisation de la situation de Mme A, dans le délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : L’Etat versera à la SCP Jérôme Ortscheidt la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Hassiba A épouse B et au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.