PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KIYUTIN c. RUSSIE
(Requête no 2700/10)
ARRÊT
STRASBOURG
10 mars 2011
DÉFINITIF
15/09/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention..
En l’affaire Kiyutin c. Russie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Anatoly Kovler,
Christos Rozakis,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 février 2011,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 2700/10) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant ouzbek, M. Viktor Viktorovich Kiyutin (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 décembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Devant la Cour, le requérant a été représenté par Me L. Komolova, avocate à Orel. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
3. Dans sa requête, le requérant alléguait notamment qu’il avait été victime d’une discrimination fondée sur son état de santé lorsqu’il avait demandé un permis de séjour en Russie.
4. Le 5 mai 2010, le président de la première section de la Cour a résolu de porter la requête à la connaissance du Gouvernement. Il a en outre été décidé d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de la requête (article 29 § 1 de la Convention).
5. Des observations écrites ont été reçues de l’organisation Interights (the International Centre for the Legal Protection of Human Rights), que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure en qualité de tierce partie (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1971 en République socialiste soviétique d’Ouzbékistan (Union soviétique). Au lendemain de l’effondrement de l’URSS, il devint citoyen ouzbek.
7. En octobre 2002, le frère de l’intéressé acquit une maison et un terrain adjacent dans le village de Lesnoï (région d’Orel, Fédération de Russie). En 2003, le requérant, son demi-frère et leur mère quittèrent l’Ouzbékistan pour s’installer à Lesnoï.
8. Le 18 juillet 2003, l’intéressé épousa une ressortissante russe, qui donna naissance à une fille en janvier 2004.
9. Entre-temps, en août 2003, le requérant avait sollicité un permis de séjour. A cette occasion, il avait été invité à se soumettre à un examen médical qui avait révélé sa séropositivité, raison pour laquelle il s’était vu refuser le permis de séjour demandé. Le 13 octobre 2004, le tribunal régional d’Orel confirma ce refus par un jugement rendu en dernier ressort.
10. En avril 2009, l’intéressé sollicita à nouveau un permis de séjour temporaire. Le 6 mai 2009, le Service fédéral des migrations considéra que le requérant séjournait irrégulièrement en Russie, infraction réprimée par l’article 18.8 § 1 du code des infractions administratives, et lui infligea une amende de 2 500 roubles.
11. Par une décision du 26 juin 2009, le Service fédéral des migrations de la région d’Orel rejeta la demande de permis de séjour de l’intéressé en application de l’article 7 § 1 13) de la loi sur les étrangers, disposition interdisant la délivrance d’un permis de séjour aux étrangers ne pouvant justifier de leur séronégativité. La décision du Service fédéral des migrations indiquait également que le requérant devait quitter la Russie dans un délai de trois jours, sous peine d’expulsion. L’intéressé attaqua cette décision en justice.
12. Le 13 août 2009, le tribunal de district de Severniy (région d’Orel) rejeta le recours du requérant par une décision ainsi libellée :
« M. V.V. Kiyutin étant séropositif, le refus de lui accorder un permis de séjour temporaire en Fédération de Russie est juridiquement justifié. »
13. S’appuyant sur un arrêt de la Cour constitutionnelle en date du 12 mai 2006 (paragraphe 24 ci-dessous) et sur des documents onusiens relatifs à la prévention du sida, l’intéressé interjeta appel de cette décision. Le 16 septembre 2009, la cour régionale d’Orel débouta le requérant par un arrêt sommairement motivé.
14. Le 20 octobre 2009, l’intéressé subit un examen médical au centre de prévention du sida de la région d’Orel. Il s’avéra qu’il était atteint d’un VIH en phase asymptotique, d’une hépatite B et d’une hépatite C. On lui prescrivit une thérapie antirétrovirale hautement active (TARHA) pour lui sauver la vie.
15. Le 25 novembre 2009, la cour régionale d’Orel refusa d’ouvrir une procédure de révision et confirma les décisions précédemment rendues dans l’affaire, qu’elle estima régulières et justifiées pour les motifs suivants :
« Dans sa requête tendant à l’ouverture d’une procédure de révision, M. Kiyutin allègue que les tribunaux n’ont pas tenu compte de sa situation familiale et de son état de santé pour se prononcer sur sa demande de permis de séjour temporaire, au mépris, selon lui, de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 12 mai 2006. Toutefois, ce grief ne constitue pas un motif d’annulation des décisions critiquées.
Les normes régissant l’entrée et le séjour des ressortissants étrangers en Fédération de Russie n’imposent pas aux représentants de la loi ou aux tribunaux de tenir compte de l’état de santé des étrangers séropositifs ou du stade clinique de leur maladie pour déterminer s’il convient ou non de leur délivrer un permis de séjour.
Les juridictions appelées à se prononcer sur la délivrance d’un permis de séjour temporaire demandée par une personne séropositive peuvent – sans y être obligées – prendre en compte les circonstances particulières de tel ou tel cas pour des raisons humanitaires.
En outre, les ressortissants étrangers demandeurs d’un permis de séjour en Russie doivent présenter un certificat de séronégativité. S’ils sont séropositifs, la loi interdit la délivrance du permis en question. »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La loi sur la prévention du VIH (no 38-FZ, du 30 mars 1995)
16. Le passage pertinent du préambule de la loi sur la prévention du VIH est ainsi libellé :
« Reconnaissant que la maladie chronique due au syndrome de l’immunodéficience humaine (VIH)
est largement répandue dans le monde,
a de graves conséquences socioéconomiques et démographiques pour la Fédération de Russie,
représente une menace pour la sécurité individuelle, publique et nationale, ainsi que pour la survie de l’humanité,
exige la protection des droits et des intérêts légitimes de la population (…) »
17. En vertu de l’article 4 § 1 de cette loi, l’Etat garantit aux citoyens russes porteurs du VIH une assistance médicale gratuite.
18. L’article 11 § 2 dispose que les ressortissants étrangers et les apatrides séropositifs présents sur le territoire russe doivent en être expulsés.
B. La loi sur les étrangers (no 115-FZ, du 25 juillet 2002)
19. L’article 5 de la loi sur les étrangers énonce que les ressortissants étrangers autorisés à entrer en Fédération de Russie sans visa peuvent y séjourner pour une période n’excédant pas quatre-vingt-dix jours et doivent quitter le territoire russe à l’issue de celle-ci.
20. L’article 6 § 3 4) et 6.2) dispose qu’un étranger dont le conjoint ou un enfant est russe peut obtenir un permis de séjour de trois ans sans que ne lui soient opposables les quotas professionnels fixés par le gouvernement.
21. L’article 6 § 8 de cette loi et la résolution gouvernementale no 789 du 1er novembre 2002 dressent la liste des pièces devant être jointes aux demandes de permis de séjour formulées par des étrangers, parmi lesquelles figure un certificat médical attestant la séronégativité des intéressés.
22. L’article 7 de la loi sur les étrangers énumère les motifs propres à justifier le refus de délivrance d’un permis de séjour temporaire ou l’annulation d’un permis de séjour déjà délivré. Il énonce notamment que les étrangers toxicomanes et ceux qui ne disposent pas d’un certificat attestant leur séronégativité ne peuvent se voir délivrer un permis de séjour (article 7 § 1 13)).
C. L’administration de soins médicaux aux ressortissants étrangers
23. Le règlement sur l’administration de soins médicaux aux ressortissants étrangers présents sur le territoire russe (résolution gouvernementale no 546, du 1er septembre 2005) dispose que seuls des soins d’urgence peuvent leur être dispensés gratuitement (§ 3). Les autres soins médicaux qu’ils peuvent obtenir sont payants (§ 4).
D. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
24. Le 12 mai 2006, la Cour constitutionnelle rejeta un recours dont elle avait été saisie par M. X., un ressortissant ukrainien séropositif résidant en Russie avec son épouse et sa fille, toutes deux ressortissantes russes (décision no 155-O). Dans son recours, M. X. avait allégué que l’article 11 § 2 de la loi sur la prévention du VIH et l’article 7 § 1 13) de la loi sur les étrangers portaient atteinte à son droit au respect de la vie familiale ainsi qu’à son droit à une assistance médicale, ajoutant qu’ils étaient discriminatoires.
25. La Cour constitutionnelle jugea que les dispositions critiquées étaient conformes à la Constitution, estimant que le législateur avait restreint le séjour temporaire des ressortissants étrangers porteurs du VIH en vue de sauvegarder des valeurs constitutionnelles, et plus particulièrement le droit à la protection de l’Etat en matière de santé publique (§ 3.3).
26. S’étant référée, entre autres, à la Déclaration d’engagement sur le VIH/sida adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 27 juin 2001, aux résolutions de la Commission des droits de l’homme des Nations unies et aux autres instruments internationaux prohibant la discrimination liée au VIH ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’expulsion d’étrangers en général et d’étrangers porteurs du VIH en particulier, et ayant souligné la proportionnalité des mesures adoptées en vue de la réalisation des objectifs constitutionnels poursuivis, la Cour constitutionnelle s’exprima ainsi :
« Il apparaît donc que, en cas de conflit entre des valeurs constitutionnelles bénéficiant de la même protection, les représentants de la loi et les tribunaux peuvent prendre en compte les circonstances particulières de tel ou tel cas pour des raisons humanitaires en vue de déterminer si une personne séropositive est éligible à un permis de séjour temporaire en Fédération de Russie.
Il en résulte que les dispositions de l’article 11 § 2 de la loi sur la prévention du VIH et l’article 7 § 13 de la loi sur les étrangers n’interdisent pas aux représentants de la loi et aux tribunaux de prendre en compte, pour des raisons humanitaires, la situation familiale ou l’état de santé d’un ressortissant étranger ou d’un apatride séropositif ou d’autres circonstances exceptionnelles dignes d’intérêt en vue de déterminer si la personne concernée doit être expulsée de la Fédération de Russie ou se voir accorder un permis de séjour temporaire sur le territoire russe. En tout état de cause, cette personne doit se conformer à l’obligation de respecter les mesures préventives imposées par la loi pour limiter la propagation du VIH. » (§ 4.2)
E. Le code pénal
27. L’article 122 du code pénal réprime le fait de transmettre délibérément le VIH à autrui ou d’exposer délibérément autrui au risque d’une contamination par le VIH, actes passibles d’une peine d’emprisonnement pouvant atteindre un an.
III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
28. Le 27 juin 2001, l’Assemblée générale des Nations unies adopta une Déclaration d’engagement sur le VIH/sida (Résolution S-26/2), dont les passages pertinents sont ainsi libellés :
« 1. Nous, chefs d’Etat et de gouvernement et représentants d’Etat et de gouvernement, réunis au siège de l’Organisation des Nations unies (…) afin d’examiner sous tous ses aspects le problème du VIH/sida et de s’y attaquer, ainsi que de susciter un engagement mondial en faveur du renforcement de la coordination et de l’intensification des efforts déployés aux niveaux national, régional et international pour lutter contre ce fléau sur tous les fronts ;(…)
13. Notant également que l’opprobre, le silence, la discrimination et la dénégation ainsi que l’absence de confidentialité compromettent les efforts de prévention, de soins et de traitement et aggravent les effets de l’épidémie sur les individus, les familles, les communautés et les nations, et qu’il faut également y remédier ;(…)
16. Reconnaissant que la réalisation pleine et universelle des droits de l’homme et des libertés fondamentales est un élément essentiel de l’action mondiale contre l’épidémie de VIH/sida, notamment dans les domaines de la prévention, des soins, de l’appui et du traitement, et qu’elle réduit la vulnérabilité au VIH/sida et préserve de l’opprobre et de la discrimination qui en résulte à l’encontre des personnes atteintes du VIH/sida ou risquant de l’être ;(…)
31. Affirmant le rôle déterminant joué par la famille dans les activités de prévention, de soins, d’appui et de traitement à l’intention des personnes contaminées ou touchées par le VIH/sida, en tenant compte du fait que la famille revêt des formes diverses selon les différents systèmes culturels, sociaux et politiques ;(…) »
Le VIH/sida et les droits de l’homme
(…)
58. D’ici à 2003, promulguer, renforcer ou appliquer, selon qu’il conviendra, des lois, règlements et autres mesures afin d’éliminer toute forme de discrimination contre les personnes atteintes du VIH/sida et les membres des groupes vulnérables, et de veiller à ce qu’ils jouissent pleinement de tous leurs droits et libertés fondamentaux, notamment pour leur assurer l’accès à l’éducation, à l’héritage, à l’emploi, aux soins de santé, aux services sociaux et sanitaires, à la prévention, au soutien et au traitement, à l’information et à la protection juridique, tout en respectant leur intimité et leur confidentialité ; et élaborer des stratégies pour lutter contre la stigmatisation et l’exclusion sociale liée à l’épidémie ;(…) »
29. La Commission des droits de l’homme des Nations unies a dénoncé pour la première fois la discrimination et l’opprobre liés au VIH/sida dans sa Résolution no 1995/44 sur la protection des droits fondamentaux des personnes infectées par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ou atteintes du syndrome de l’immunodéficience acquise (sida), adoptée à sa 53e séance le 3 mars 1995. Les passages pertinents de ce texte se lisent comme suit :
« 1. Confirme que la discrimination fondée sur la situation, réelle ou présumée, d’une personne infectée par le VIH ou atteinte du sida est interdite par les normes internationales existantes relatives aux droits de l’homme, et que l’expression « ou toute autre situation », qui figure dans les dispositions interdisant la discrimination dans les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme, doit être interprétée comme incluant la situation en matière de santé, notamment pour ce qui est du VIH et du sida ;
2. Engage tous les Etats à veiller, le cas échéant, à ce que leurs lois, politiques et pratiques, y compris celles qu’ils ont adoptées pour lutter contre le VIH et le sida, respectent les normes relatives aux droits de l’homme, y compris le droit à la protection de la vie privée et à l’intégrité des personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida, interdisent toute discrimination liée au VIH et au sida et n’aient pas pour effet d’entraver l’exécution des programmes de prévention du VIH et du sida et des programmes de soins aux personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida ;(…) »
La Commission a réitéré sa condamnation de la discrimination liée au VIH/sida dans sa Résolution no 2005/84 sur la protection des droits de l’homme dans le contexte du VIH et du sida, adoptée à sa 61e séance le 21 avril 2005.
30. L’article 2 § 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose que les droits énoncés dans cet instrument « seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». Dans son Observation générale sur la non-discrimination (no 20, 2009), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a expressément déclaré que la catégorie « toute autre situation » mentionnée à l’article 2 § 2 du Pacte comprenait l’état de santé, en particulier la séropositivité :
« 33. L’état de santé renvoie à la santé physique ou mentale d’une personne. Les Etats parties devraient veiller à ce que l’état de santé réel ou perçu d’une personne ne soit pas un obstacle à la réalisation des droits consacrés par le Pacte. La protection de la santé publique est souvent citée par les Etats pour justifier des restrictions des droits de l’homme en raison de l’état de santé d’une personne. Or, nombre de ces restrictions sont discriminatoires, par exemple lorsque la séropositivité sert de justification à un traitement différencié en ce qui concerne l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé, aux voyages, à la sécurité sociale, au logement et à l’asile (…) »
31. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (« APCE ») a évoqué la question du VIH/sida dans un certain nombre de documents. Dans sa Recommandation 1116 (1989) sur le sida et les droits de l’homme, elle s’est exprimée ainsi :
« 3. Constatant que si le Conseil de l’Europe s’est préoccupé dès 1983 de la prévention, les aspects éthiques n’ont été qu’effleurés ;
4. Estimant pourtant qu’il est primordial de veiller à ce que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ne soient pas mis en péril au nom de la peur qu’inspire le sida ;
5. Inquiète en particulier des discriminations dont sont victimes certains malades ou même des personnes séropositives ;
(…)
8. Recommande au Comité des Ministres :
a) de charger le Comité directeur pour les droits de l’homme d’accorder la priorité au renforcement de la clause de non-discrimination de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, soit en ajoutant la santé parmi les motifs de distinction interdits, soit en élaborant une clause générale d’égalité de traitement devant la loi ;(…)
d) d’inviter les Etats membres du Conseil de l’Europe :
(…)
3. à ne pas refuser le droit d’asile pour le seul motif que le demandeur est contaminé par le virus VIH ou atteint du sida ;(…) »
Dans sa Résolution 1536 (2007) sur le VIH/sida en Europe, l’APCE a réaffirmé son engagement à combattre toutes les formes de discrimination contre les personnes vivant avec le VIH/sida :
« 9. Soulignant que la pandémie du VIH/sida est une urgence à la fois médicale, sociale et économique, l’assemblée appelle les Parlements et les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe :
1. à faire en sorte que leurs lois, leurs politiques et leurs pratiques respectent les droits de l’homme dans le contexte du VIH/sida, en particulier les droits à l’éducation, au travail, au respect de la vie privée, à la protection et à l’accès à la prévention, aux traitements, aux soins et à l’assistance ;
2. à protéger les personnes vivant avec le VIH/sida contre toute forme de discrimination tant dans le secteur public que dans le secteur privé (…) ».
32. La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui est entrée en vigueur le 3 mai 2008 et que la Russie a signée mais non ratifiée, énonce notamment ce qui suit :
Article 5 – Egalité et non-discrimination
« 2. Les Etats Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement. »
Article 18 – Droit de circuler librement et nationalité
« 1. Les Etats Parties reconnaissent aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, le droit de circuler librement, le droit de choisir librement leur résidence et le droit à une nationalité, et ils veillent notamment à ce que les personnes handicapées :
(…)
b) Ne soient pas privées, en raison de leur handicap, de la capacité d’obtenir, de posséder et d’utiliser des titres attestant leur nationalité ou autres titres d’identité ou d’avoir recours aux procédures pertinentes, telles que les procédures d’immigration, qui peuvent être nécessaires pour faciliter l’exercice du droit de circuler librement ;
(…) »
Article 23 – Respect du domicile et de la famille
« 1. Les Etats Parties prennent des mesures efficaces et appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des personnes handicapées dans tout ce qui a trait au mariage, à la famille, à la fonction parentale et aux relations personnelles, sur la base de l’égalité avec les autres (…) »
33. La Déclaration du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) sur les restrictions au voyage liées au VIH, adoptée en juin 2004, contient notamment les recommandations suivantes :
[Traduction du greffe]
« 1. Le VIH/sida ne devrait pas être considéré comme une menace pour la santé publique dans le cadre des voyages, car, bien qu’il soit infectieux, il ne peut se transmettre par la simple présence dans un pays de personnes qui en sont porteuses, ou par de simples contacts (par voie aérienne, ou par des vecteurs courants tels que la nourriture ou l’eau) avec elles. Le VIH se transmet par des comportements spécifiques, presque toujours d’ordre privé. La prévention exige donc des actes volontaires et ne peut pas être imposée. Les mesures restrictives peuvent même s’avérer contraires aux intérêts de la santé publique, puisque l’exclusion des non-ressortissants séropositifs ajoute au climat de stigmatisation et de discrimination des personnes vivant avec le VIH et le sida, risquant ainsi de dissuader les ressortissants tout comme les non-ressortissants de se manifester pour avoir recours aux services de prévention et de traitement du VIH. De plus, les restrictions à l’encontre des non‑ressortissants vivant avec le VIH peuvent donner une fausse impression au public que le VIH/sida est un problème « extérieur » dont la solution passerait par des mesures telles que les contrôles aux frontières plutôt que par une action éducative sérieuse en matière de santé publique et d’autres méthodes de prévention.
(…)
3. La mise en œuvre de restrictions d’entrée ou de séjour fondées sur des motifs de santé, y compris l’infection au VIH/sida, doit respecter les obligations découlant des droits de l’homme, notamment le principe de non-discrimination et de non-refoulement des réfugiés, le droit à la vie privée, la protection de la famille, la protection des droits des immigrés et la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il convient en outre de tenir dûment compte des impératifs humanitaires.
4. Des restrictions au voyage fondées sur l’état de santé d’une personne ne peuvent être imposées à celle-ci qu’après son audition. La personne concernée doit se voir informer oralement et par écrit, le cas échéant, des motifs de la mesure d’interdiction de territoire ou de séjour prise à son égard.
5. Des problèmes de santé analogues doivent être traités de la même façon du point de vue du coût financier que les personnes qui en sont atteintes risquent d’entraîner. Les personnes vivant avec le VIH/sida sollicitant l’autorisation d’entrer dans un pays pour un séjour de courte ou de longue durée ne doivent pas faire l’objet d’un traitement particulier aboutissant à un rejet de leur demande pour des considérations financières.
6. La non-admission d’une personne en raison du coût potentiel des soins médicaux et de l’aide sociale requis par un problème de santé ne peut être envisagée que s’il est établi, à l’issue d’un examen individuel de chaque situation, que la personne concernée a besoin des soins médicaux et de l’aide sociale en question, qu’elle pourrait y avoir recours dans un futur relativement proche, qu’elle ne dispose pas d’autres moyens de faire face aux coûts en question (tels qu’une assurance privée ou professionnelle, des ressources propres, ou une aide fournie par une communauté) et que ces coûts ne sont pas compensés par des avantages supérieurs (compétences ou dons particuliers, contribution au marché du travail, paiement d’impôts, contribution à la diversité culturelle, capacité à produire des revenus ou à créer des emplois).
7. L’expulsion éventuelle d’une personne vivant avec le VIH/sida doit être compatible avec les obligations juridiques internationales, notamment le droit à un procès équitable et l’accès aux recours adéquats en vue de contester l’expulsion. Il convient de tenir compte, le cas échéant, de raisons impérieuses d’ordre humanitaire justifiant que la personne concernée soit autorisée à rester sur le territoire (…) »
34. Les passages pertinents des Directives internationales sur le VIH/sida et les droits de l’homme (dans leur version consolidée de 2006) publiées par le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme se lisent ainsi :
« 102. Les grands principes des droits de l’homme qui sont essentiels pour que l’action des Etats contre le VIH soit efficace sont énoncés dans divers instruments internationaux existants (…) Parmi les droits de l’homme pertinents dans le contexte du VIH et du sida, on peut citer notamment les droits suivants :
– le droit à la non-discrimination, à une protection égale et à l’égalité devant la loi
(…)
– le droit de circuler librement
(…)
104. Dans le cadre du droit international des droits de l’homme, les Etats peuvent, dans certains cas très précis, imposer des restrictions à l’exercice de certains droits si ces restrictions sont nécessaires pour atteindre des objectifs qui priment sur les autres comme la santé publique, les droits d’autrui, la moralité, l’ordre public, le bien-être général d’une société démocratique et la sécurité nationale. (…)
105. La santé publique est le motif le plus fréquemment invoqué par les Etats lorsqu’ils imposent des restrictions aux droits de l’homme dans le contexte du VIH. Toutefois, bon nombre de ces restrictions dérogent au principe de la non-discrimination ; c’est le cas, par exemple, lorsque l’infection à VIH est utilisée pour justifier un traitement différencié dans l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé, aux voyages, à la sécurité sociale, au logement et à l’asile. (…)
127. L’argument de la santé publique ne justifie pas que la liberté de circuler ou de choisir sa résidence soit limitée au motif de l’infection à VIH. Conformément au Règlement sanitaire international en vigueur, la seule maladie pour laquelle un certificat de vaccination est exigé pour un voyage international est la fièvre jaune [note de bas de page supprimée]. Toute restriction apportée à ces droits et uniquement fondée sur une infection à VIH réelle ou soupçonnée, y compris le dépistage du VIH chez les personnes effectuant des voyages internationaux, revêt un caractère discriminatoire et ne saurait être justifiée par des raisons de santé publique.
128. Si les Etats interdisent à des personnes vivant avec le VIH un séjour à long terme par souci des dépenses que cela pourrait entraîner, ils ne devraient pas réserver ce traitement à l’infection à VIH, par comparaison avec des situations analogues, et devraient reconnaître que ces dépenses seraient forcément engagées pour un étranger isolé demandeur de séjour. Dans l’examen de demandes d’admission dans un pays, les considérations humanitaires comme le regroupement familial et la nécessité d’accorder asile devraient l’emporter sur les considérations économiques. »
35. Le rapport de la Cellule internationale de réflexion sur les restrictions au voyage liées au VIH, qui s’est réunie en 2008 à l’invitation de l’ONUSIDA, renferme les conclusions suivantes :
« La cellule de réflexion a confirmé que les restrictions liées au VIH concernant l’entrée, le séjour et la résidence dans un pays sont discriminatoires, ne protègent pas la santé publique et ne repèrent pas de manière rationnelle les personnes susceptibles de devenir un fardeau indu pour les fonds publics. Plus particulièrement, la cellule est arrivée aux conclusions suivantes :
– Rien n’indique que les restrictions liées au VIH concernant l’entrée, le séjour et la résidence dans un pays protègent la santé publique ; elles risquent plutôt d’entraver les efforts à cette fin.
(…)
– Les restrictions en matière d’entrée, de séjour et de résidence qui ciblent précisément le VIH par opposition à des affections comparables, et/ou qui sont fondées uniquement sur le statut VIH, sont discriminatoires.
– La non-admission dans le pays ou l’expulsion des séropositifs pour éviter les coûts éventuels de traitement et de soutien doivent être fondées sur une évaluation au cas par cas des dépenses susceptibles d’être encourues, ne doivent pas viser spécialement le VIH, et doivent tenir compte des droits de l’homme et des impératifs humanitaires. »
IV. LES DONNÉES COMPARATIVES
36. En mai 2009, l’ONUSIDA a publié une étude intitulée « Cartographie des restrictions à l’entrée, au séjour et à la résidence des personnes vivant avec le VIH », dont la dernière version, actualisée en mai 2010, est consultable sur son site internet.
37. Selon cette étude, cent vingt-quatre pays, territoires et zones n’imposent aucune restriction particulière à l’entrée, au séjour et à la résidence sur la base d’une séropositivité au VIH. Les cinquante-deux autres pays, territoires et zones imposent certaines formes de restrictions à l’entrée, au séjour et à la résidence des personnes vivant avec le VIH en raison de leur séropositivité, dont sept Etats membres du Conseil de l’Europe.
38. Aucun des Etats membres du Conseil de l’Europe ne refuse la délivrance de visas ou d’autorisations de court séjour aux personnes séropositives. Trois Etats – l’Arménie, la République de Moldova et la Russie – prévoient l’expulsion des personnes dont la séropositivité est avérée. Ces Etats et trois autres (Andorre, Chypre et la Slovaquie) exigent que les demandeurs de permis de séjour justifient de leur séronégativité. Pour sa part, la Lituanie invite les demandeurs de permis de séjour à indiquer s’ils sont atteints d’une « maladie représentant une menace pour la santé publique ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8
39. Invoquant les articles 8, 13, 14 et 15 de la Convention, le requérant allègue que le refus des autorités de lui accorder un permis de séjour en Russie était disproportionné au but légitime que constitue la protection de la santé publique et attentatoire à son droit de vivre avec sa famille. La Cour relève que la question principale soulevée par la requête est celle de la différence de traitement dont l’intéressé a fait l’objet en raison de son état de santé lorsqu’il a demandé un permis de séjour. Eu égard aux circonstances de l’espèce et gardant à l’esprit qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I), la Cour estime approprié d’examiner les griefs du requérant sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 (comparer avec Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 70, série A no 94). Les dispositions en question se lisent ainsi :
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
40. Le Gouvernement fait valoir que le requérant vit toujours dans la région d’Orel et que, compte tenu de ses liens familiaux et de son état de santé, il n’a pas été expulsé. Il soutient que le refus de permis de séjour litigieux ne s’analyse pas en une ingérence dans le droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale, et que, en tout état de cause, l’ingérence en question avait une base légale en ce qu’elle était prévue par l’article 7 § 1 13) de la loi sur les étrangers. Il explique que le refus de permis de séjour se justifie également par l’inquiétude des autorités russes devant la propagation massive de la pandémie du VIH et les conséquences socioéconomiques et démographiques qui en résultent pour la Fédération de Russie, la menace qu’elle représente pour la sécurité individuelle, publique et nationale ainsi que pour l’humanité, et par la nécessité de garantir la protection des droits et intérêts légitimes de la population. Il estime que le refus de permis de séjour était une mesure nécessaire visant à prévenir et à combattre l’infection au VIH.
41. Il avance que le requérant a le droit de demeurer sur le territoire russe pour autant qu’il se conforme aux dispositions réglementant l’entrée, la sortie et le séjour des ressortissants étrangers. Il précise que l’intéressé ne remplit pas les conditions d’attribution d’un permis de séjour mais que, autorisé à entrer en Fédération de Russie sans visa pour un séjour d’une durée maximale de quatre-vingt-dix jours, le requérant peut sortir du territoire russe tous les quatre-vingt-dix jours et y revenir. Renvoyant aux affaires Slivenko c. Lettonie ([GC], no 48321/99, CEDH 2003‑X) et Abdulaziz, Cabales et Balkandali (précitée), il ajoute que le refus d’un permis de séjour n’empêche pas l’intéressé de s’installer avec sa femme et sa fille en Ouzbékistan pour y mener une vie de famille.
42. Dans ses observations complémentaires devant la Cour, le Gouvernement a fait état de la prévalence du VIH dans le monde et du fait que le requérant a été reconnu coupable d’infractions graves et de crimes en Ouzbékistan, estimant que ces éléments renforcent la thèse selon laquelle le requérant représente un risque pour la population. Enfin, il a indiqué qu’il aurait été inutile pour les tribunaux internes de se pencher sur la situation individuelle de l’intéressé ou d’examiner les informations concernant son état de santé et son mode de vie, ces éléments étant sans pertinence pour la décision à intervenir.
2. Le requérant
43. Le requérant soutient que, contrairement à ce que le Gouvernement a indiqué, les autorités internes n’ont pas pris en compte son état de santé et sa situation familiale, faisant valoir que ces éléments ne sont pas mentionnés dans les jugements des juridictions nationales et que l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 12 mai 2006 se résume à une simple déclaration dépourvue d’effets concrets. Il estime que la seule raison expliquant qu’il n’ait pas encore été expulsé est à rechercher dans l’attitude « circonspecte » des autorités russes, qui ont attendu l’issue de la procédure interne et attendent désormais l’arrêt de la Cour de Strasbourg. En outre, il avance que le Gouvernement a évoqué son état de santé sans préciser s’il s’agissait de sa séropositivité en général ou de la forme sévère de tuberculose dont il souffre depuis peu, qui nécessite une hospitalisation et l’empêche de se déplacer.
44. En ce qui concerne l’existence d’une ingérence, le requérant soutient que l’article 5 de la loi sur les étrangers limite la durée de son séjour en Russie à quatre-vingt-dix jours et que l’article 7 de cette même loi, qui l’oblige à présenter un certificat de séronégativité, en interdit la prolongation. Il précise qu’il n’a découvert sa séropositivité qu’après avoir déménagé en Russie et épousé une ressortissante russe, raison pour laquelle il ne pouvait prévoir qu’il lui serait impossible d’obtenir un permis de séjour en Russie. Selon lui, tous les membres de sa famille – y compris sa mère – résident en Russie, sa femme et sa fille y sont nées et il a dans ce pays de fortes attaches sociales, économiques et personnelles tandis qu’il n’a ni parents, ni travail, ni logement en Ouzbékistan. En cela, la présente espèce se distinguerait de l’affaire Slivenko c. Lettonie, précitée, où les autorités russes auraient fourni au chef de la famille Slivenko un appartement à Koursk.
45. Quant à la proportionnalité de l’ingérence alléguée dans la vie familiale de l’intéressé, les tribunaux russes auraient présumé que celui-ci représentait un grave danger pour la santé de la population russe mais n’auraient pas analysé son mode de vie ni expliqué en quoi celui-ci risquait de déclencher une pandémie, de menacer la sécurité nationale, l’ordre public ou la prospérité économique de la Russie, ou encore de nuire aux droits et libertés d’autrui. Le requérant aurait une sexualité stable, il ne serait pas toxicomane et respecterait les règles de précaution indiquées dans sa situation. L’absence de prise en compte de ces éléments par les juridictions russes serait symptomatique d’une discrimination inacceptable fondée sur l’état de santé.
3. Les observations du tiers intervenant
46. L’organisation intervenante Interights soutient en premier lieu que les dispositions antidiscriminatoires générales des principaux traités universels ou régionaux de protection des droits de l’homme sont interprétées comme interdisant la discrimination fondée sur l’infection au VIH ou au sida, avérée ou présumée. Elle précise que cette interprétation a été retenue par le Comité des droits de l’homme des Nations unies, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, la Sous-commission sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités et le Comité des droits de l’enfant. Elle ajoute que, dans la Déclaration d’engagement sur le VIH/sida adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en juin 2001, les Etats membres se sont obligés à promulguer ou appliquer des lois visant à éliminer toute forme de discrimination contre les personnes atteintes du VIH/sida, et que, au niveau européen, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (« APCE ») a appelé à un renforcement de la clause de non-discrimination de l’article 14 de la Convention en ce qui concerne les personnes vivant avec le VIH/sida et à un affermissement de leur protection tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
47. Elle avance en second lieu que les personnes vivant avec le VIH/sida doivent bénéficier non seulement des normes antidiscriminatoires générales établies par le droit international, mais aussi de l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap que l’on retrouve dans la jurisprudence de la Cour ainsi que dans d’autres systèmes juridiques. A cet égard, elle soutient que l’applicabilité aux personnes vivant avec le VIH/sida du régime interdisant la discrimination fondée sur le handicap institué par la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées a été confirmée par le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, l’Organisation mondiale de la santé, le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) dans une Note d’orientation commune sur le handicap et le VIH élaborée en 2009. Selon elle, l’assimilation de la séropositivité à un handicap est également retenue par la législation et la pratique de nombreux Etats qui ont, de manière expresse ou implicite, élargi leur réglementation relative au handicap pour y englober l’infection au VIH (Allemagne, Canada, Etats-Unis, Norvège et Royaume-Uni). La Cour aurait elle aussi reconnu, dans l’arrêt Glor c. Suisse (no 13444/04, § 80, CEDH 2009), que l’article 14 de la Convention interdit la discrimination fondée sur le handicap.
48. En l’absence de reconnaissance d’un droit de s’installer à l’étranger par le droit international, les restrictions au voyage ne seraient pas en soi illégitimes, sous réserve qu’elles soient appliquées de façon neutre. Toutefois, celles qui réservent aux personnes vivant avec le VIH un traitement différencié sans justification objective iraient à l’encontre des normes antidiscriminatoires. Appelée à se prononcer sur la question de la justification de différences de traitement, la Cour aurait identifié un certain nombre de groupes particulièrement vulnérables – notamment les Roms, les homosexuels, les déficients mentaux – depuis longtemps victimes de préjugés et d’exclusion sociale, à l’égard desquels les Etats auraient une marge d’appréciation étroite. Fréquemment victimes de stigmatisation et d’ostracisme, y compris dans certaines régions du Conseil de l’Europe, les personnes vivant avec le VIH/sida figureraient au nombre de ces groupes. Dans ces conditions, l’Etat ne devrait se voir accorder qu’une marge d’appréciation étroite dans son choix de mesures soumettant les personnes en question à un traitement différencié.
49. Il y aurait deux justifications possibles pour une différence de traitement fondée sur la séropositivité, l’une tirée de la menace que celle-ci représente pour la santé publique, l’autre du coût social qu’elle implique. En ce qui concerne la première, les experts et les institutions internationales spécialistes de la santé publique s’accorderaient à dire, comme le montreraient certains documents et déclarations de l’Organisation mondiale de la santé, du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, de la Banque mondiale, de l’Organisation internationale du travail, du Parlement européen et de la Commission européenne, que les mesures telles que celles qui sont en cause en l’espèce ne sont pas efficaces pour enrayer la propagation du VIH. En 2008, la Cellule internationale de réflexion sur les restrictions au voyage liées au VIH de l’ONUSIDA aurait constaté qu’il n’était pas établi que les restrictions au voyage liées au VIH protègent la santé publique. Bien que le VIH soit une maladie transmissible, il ne serait pas contagieux en ce sens qu’il ne se transmettrait pas par voie aérienne ou contacts ordinaires, mais plutôt par des comportements spécifiques tels que des rapports sexuels non protégés ou l’utilisation de seringues contaminées, ce qui permettrait aux personnes séronégatives de se prémunir contre la contamination. En l’espèce, il se justifierait d’autant moins d’invoquer la protection de la santé publique que les restrictions au voyage ne s’appliquent pas aux ressortissants russes de retour au pays après un séjour à l’étranger ni aux touristes étrangers effectuant un séjour de courte durée. En outre, les mesures critiquées pourraient également se révéler dangereuses pour la santé publique de la population locale parce qu’elles créeraient un sentiment de sécurité trompeur en présentant le VIH/sida comme un problème extérieur, qu’elles sous-estimeraient la nécessité d’adopter des comportements sûrs et qu’elles inciteraient les immigrés à rester dans la clandestinité pour éviter les examens de dépistage du VIH, attitude qui les exclurait des services de prévention et de soin de cette infection.
50. L’examen des politiques nationales d’immigration ferait apparaître que la plupart des pays du monde s’accordent à reconnaître que les restrictions au voyage liées au VIH ne constituent pas un moyen efficace de protéger la santé publique. Cette communauté de vues résulterait implicitement du fait que la majorité d’entre eux ne prévoient pas de restrictions de ce genre et que certains – à savoir les Etats-Unis, la Chine et la Namibie – les auraient récemment levées après avoir admis que le VIH ne représentait pas une menace pour la santé publique. D’autres encore – le Royaume-Uni et l’Allemagne – auraient envisagé d’en mettre en place mais y auraient en définitive renoncé, attitude qui témoignerait de l’absence de lien rationnel entre les mesures en question et l’efficacité de la prévention. En outre, force serait de constater qu’il existe des mesures moins restrictives et plus efficaces pour la protection de la santé publique, notamment le dépistage volontaire, les consultations et les campagnes d’information.
51. En ce qui concerne l’argument tiré de la nécessité de ne pas grever à l’excès les systèmes publics de santé, il conviendrait de tenir compte des conclusions formulées par la Cour dans l’arrêt G.N. et autres c. Italie (no 43134/05, § 129, 1er décembre 2009) selon lesquelles, en matière de politique de santé publique, le défaut de ressources ne saurait légitimer la mise en place de mesures fondées sur des critères non exempts d’arbitraire. Des restrictions à l’immigration ciblant le VIH tout en ignorant des pathologies tout aussi coûteuses, telles que les maladies cardiovasculaires ou rénales, seraient arbitraires et discriminatoires. En outre, des restrictions motivées par le souci de ménager les deniers publics devraient être fondées sur un examen individuel de la santé et de la situation financière des personnes concernées plutôt que sur la simple existence d’une maladie déterminée. A cet égard, il y aurait lieu de se référer aux recommandations figurant dans la Déclaration de l’ONUSIDA et de l’OIM sur les restrictions au voyage liées au VIH (paragraphe 33 ci‑dessus) ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, selon lesquelles l’appréciation des services susceptibles d’être requis en fonction du seul critère de la classification de la maladie, et non d’après la façon précise dont elle se manifeste, serait générique plutôt qu’individuelle et aurait pour conséquence que « toutes les personnes atteintes d’une déficience donnée [seraient] […] automatiquement exclues, même celles dont l’admission n’entraînerait pas, ou ne risquerait pas d’entraîner, un fardeau excessif pour les fonds publics » (Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), et De Jong c. Canada, 2005 CSC 57, § 56).
B. Sur la recevabilité
52. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Partant, il y a lieu de la déclarer recevable.
C. Sur le fond
1. Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8
a) Sur la question de savoir si les faits de la cause relèvent du « champ d’application » de l’article 8
53. La Cour rappelle d’emblée que la Convention ne garantit aucun droit pour un étranger d’entrer ou de s’installer sur le territoire d’un pays déterminé. En matière d’immigration, ni l’article 8 ni aucune autre disposition de la Convention ne peuvent s’interpréter comme comportant pour un Etat l’obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur résidence commune et de permettre le regroupement familial sur son territoire (Gül c. Suisse, 19 février 1996, § 38, Recueil 1996‑I). Au demeurant, ce point n’est pas contesté par les parties. Toutefois, si l’article 8 ne reconnaît pas aux étrangers le droit de s’installer dans un pays ou d’y obtenir un permis de séjour, le contrôle de l’immigration doit néanmoins être exercé par l’Etat d’une manière compatible avec les droits de l’homme des étrangers, en particulier le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit de ne pas subir de discrimination (Abdulaziz, Cabales et Balkandali, précité, §§ 59-60, et et Nolan et K. c. Russie, no 2512/04, § 62, 12 février 2009).
54. En ce qui concerne la protection contre la discrimination, il convient de rappeler que l’article 14 ne fait que compléter les autres clauses matérielles de la Convention et de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent (voir, parmi beaucoup d’autres, Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 85, CEDH 2003-VIII). Son application ne présuppose pas nécessairement la violation d’un des droits substantiels garantis par la Convention. Il est nécessaire et suffisant que les faits de la cause relèvent du « champ d’application » de l’une au moins des dispositions de la Convention ou de ses Protocoles (Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil 1998-II).
55. Ressortissant ouzbek d’origine russe, le requérant vit en Russie depuis 2003. S’il est constant que tous les immigrés établis, indépendamment de la durée de leur résidence dans le pays dont ils sont censés être expulsés, n’ont pas nécessairement une « vie familiale » au sens de l’article 8 de la Convention (Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 63, CEDH 2008), la notion de « vie familiale » englobe la relation née d’un mariage légal et non fictif (Abdulaziz, Cabales et Balkandali, précité, § 62), tel que celui contracté par le requérant et son épouse russe, dont il a eu un enfant. Dans ces conditions, la Cour estime que les faits de la cause relèvent du « champ d’application » de l’article 8.
b) Sur la question de savoir si l’état de santé du requérant s’analyse en une « autre situation » au sens de l’article 14
56. L’article 14 ne prohibe pas toute différence de traitement, mais uniquement certaines distinctions fondées sur une caractéristique identifiable, objective ou personnelle (« situation »), par laquelle des personnes ou groupes de personnes se distinguent les uns des autres (Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, §§ 61 et 70, CEDH 2010, et Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, § 56, série A no 23). Cette disposition énumère des éléments précis constitutifs d’une « situation », tels que le sexe, la race ou la fortune. Toutefois, la liste que renferme l’article 14 revêt un caractère indicatif, et non limitatif, dont témoignent l’adverbe « notamment » (« any ground such as » dans la version anglaise) (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 72, série A no 22, et Carson et autres, précité, § 70) ainsi que la présence, dans cette liste, de l’expression « toute autre situation » (« any other status » dans la version anglaise). L’expression « toute autre situation » a reçu une interprétation large (ibidem, précité, § 70) ne se limitant pas aux caractéristiques qui présentent un caractère personnel en ce sens qu’elles sont innées ou inhérentes à la personne (Clift c. Royaume-Uni, no 7205/07, §§ 56-58, 13 juillet 2010).
57. Dès lors que la séropositivité du requérant a été découverte, celui-ci s’est trouvé dans l’impossibilité juridique d’obtenir un titre de séjour sur le territoire russe en application de la disposition légale interdisant la délivrance d’un permis de séjour aux étrangers incapables d’apporter la preuve de leur séronégativité. Bien que l’article 14 ne fasse pas expressément figurer l’état de santé ou la maladie parmi les motifs de discrimination interdits, la Cour a récemment admis qu’un handicap physique et certains problèmes de santé relevaient du champ d’application de cette disposition (Glor, §§ 53-56, et G.N. et autres, § 119, précités). Elle note que, selon la Commission des droits de l’homme des Nations unies, l’expression « toute autre situation » qui figure dans les dispositions des textes internationaux relatifs aux droits de l’homme interdisant la discrimination doit être interprétée comme englobant les problèmes de santé, notamment la séropositivité (paragraphe 29 ci-dessus). Elle observe que cette position se concilie avec la Recommandation 1116 (1989) sur le sida et les droits de l’homme de l’APCE appelant au renforcement de la clause de non-discrimination de l’article 14 de la Convention par l’ajout de la santé parmi les motifs de distinction interdits (paragraphe 31 ci-dessus), ainsi qu’avec la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui impose aux Etats Parties une interdiction générale de la discrimination fondée sur le handicap (paragraphe 32 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime que l’état de santé d’une personne, notamment un problème de santé tel que la séropositivité, doit être considéré comme un motif de discrimination relevant de l’expression « toute autre situation » employée dans le texte de l’article 14 de la Convention, en tant que handicap ou au même titre qu’un handicap.
58. Il s’ensuit que l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8, est applicable en l’espèce.
2. Sur l’observation de l’article 14 combiné avec l’article 8
a) Sur la question de savoir si le requérant se trouve dans une situation analogue à celle d’autres étrangers
59. Selon la jurisprudence établie de la Cour, la discrimination consiste à traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations analogues ou comparables (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175, CEDH 2007-IV, et Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008).
60. En sa qualité de conjoint d’une ressortissante russe et de père d’un enfant de nationalité russe, le requérant pouvait demander la délivrance d’un permis de séjour en raison de ses attaches familiales en Russie (paragraphe 20 ci-dessus), à condition de se soumettre à un examen de dépistage du VIH et de produire un certificat attestant sa séronégativité (paragraphe 21 ci‑dessus). Après la découverte de la séropositivité de l’intéressé, révélée par le test en question, la demande de permis de séjour qu’il avait présentée fut rejetée parce que le certificat de séronégativité requis faisait défaut, seul motif avancé dans les décisions du Service fédéral des migrations et des juridictions internes russes (paragraphes 11-13 ci-dessus). Pour autant que le Gouvernement soutient que l’intéressé représentait aussi une menace pour l’ordre public en ce qu’il avait antérieurement été condamné pour des infractions graves en Ouzbékistan, la Cour observe qu’aucun élément de preuve précis ou document ne corrobore cette allégation et qu’il est manifeste que le refus des autorités internes d’accorder un permis de séjour au requérant était motivé par sa séropositivité plutôt que par ses éventuels antécédents judiciaires.
61. Dans ces conditions, la Cour estime que l’intéressé peut à bon droit prétendre se trouver dans une situation analogue à celle des autres ressortissants étrangers éligibles à la délivrance d’un permis de séjour en raison de leurs attaches familiales en Russie.
b) Sur la question de savoir si la différence de traitement en cause était objectivement et raisonnablement justifiée
62. Dès lors qu’un requérant a démontré l’existence d’une différence de traitement, il appartient au gouvernement défendeur de prouver que celle-ci était justifiée (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, §§ 91-92, CEDH 1999‑III). Une telle justification doit être objective et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle doit poursuivre un but légitime et qu’il doit y avoir un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des traitements différents. L’étendue de cette marge d’appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (Burden, § 60, Carson et autres, § 61, et Clift, § 43, précités).
63. Lorsqu’une restriction des droits fondamentaux s’applique à des groupes particulièrement vulnérables de la société, qui ont souffert d’une discrimination considérable par le passé, la marge d’appréciation accordée à l’Etat s’en trouve singulièrement réduite et celui-ci doit avoir des raisons particulièrement impérieuses pour imposer la restriction en question. Ce raisonnement, qui remet en question certaines classifications en tant que telles, se justifie par les traitements défavorables aux conséquences durables dont ces groupes ont fait l’objet et qui ont abouti à leur exclusion de la société. De tels traitements peuvent être dus à une législation appliquée à tous les individus de manière stéréotypée sans possibilité d’évaluer de manière individualisée leurs capacités et leurs besoins (Alajos Kiss c. Hongrie, no 38832/06, § 42, 20 mai 2010). En de précédentes occasions, la Cour a identifié un certain nombre de ces groupes vulnérables, victimes de différences de traitement en raison de leur sexe (Abdulaziz, Cabales et Balkandali, précité, § 78, et Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, § 27, série A no 280‑B), de leur orientation sexuelle (Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, § 97, CEDH 2010, et Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 90, CEDH 1999‑VI), de leur race ou de leur origine ethnique (D.H. et autres, précité, § 182, et Timichev c. Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 56, CEDH 2005‑XII), de leurs facultés intellectuelles (Alajos Kiss, précité, § 42, et, mutatis mutandis, Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 95, CEDH 2008), ou encore de leur handicap (Glor, précité, § 84).
64. Dès le début de la pandémie, dans les années 1980, les personnes vivant avec le VIH/sida ont fait l’objet d’une stigmatisation et d’une exclusion considérables, y compris sur le territoire constitué des Etats du Conseil de l’Europe (voir, notamment, la Recommandation 1116 (1989) sur le sida et les droits de l’homme et le point 9.2 de la Résolution 1536 (2007) sur le VIH/sida en Europe, précitées au paragraphe 31 ci-dessus). Dans les premières années de la pandémie, époque où le diagnostic de VIH/sida était presque toujours fatal et où l’on ne savait presque rien des risques de contamination, la peur que suscitaient les personnes contaminées s’expliquait par la crainte de la contagion. L’ignorance des modes de propagation de cette maladie a nourri des préjugés qui ont conduit à une stigmatisation et à une marginalisation des porteurs du virus. Lorsque les modes de transmission du VIH/sida ont été mieux compris, l’on s’est aperçu que l’origine de la séropositivité était à rechercher dans des comportements – tels que les relations homosexuelles, l’injection de drogue, la prostitution et la promiscuité – condamnés dans bien des sociétés, ce qui conduit à l’établissement d’une corrélation inexacte entre la contamination et l’irresponsabilité de certains comportements individuels ainsi qu’au renforcement d’autres formes de stigmatisation et de discrimination telles que le racisme, l’homophobie et la misogynie. Malgré les progrès considérables récemment accomplis en matière de prévention du VIH et l’amélioration de l’accès aux traitements contre le virus, l’opprobre et la discrimination dont sont victimes les personnes vivant avec le VIH/sida demeurent un sujet de vive préoccupation pour l’ensemble des organisations internationales qui travaillent dans ce domaine. La Déclaration d’engagement sur le VIH/sida indique que cet opprobre « aggrav[e] les effets de l’épidémie sur les individus, les familles, les communautés et les nations » (paragraphe 28 ci-dessus). Pour sa part, le Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, a déclaré le 6 août 2008 que « presque partout dans le monde, la discrimination demeur[ait] à des degrés divers une réalité quotidienne des personnes vivant avec le VIH ». Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les personnes vivant avec le VIH constituent un groupe vulnérable depuis longtemps victime de préjugés et de stigmatisation, et que les Etats disposent d’une marge d’appréciation étroite pour adopter des mesures réservant à ce groupe un traitement particulier fondé sur la séropositivité de ses membres.
65. Pour déterminer si l’Etat défendeur doit se voir accorder une marge d’appréciation étroite ou au contraire ample, il convient également de tenir compte de l’existence éventuelle d’un consensus européen (Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 81, CEDH 2007‑V, et S.L. c. Autriche, no 45330/99, § 31, CEDH 2003‑I). S’il existe une norme commune et que l’Etat défendeur ne s’y est pas conformé, ce peut être un élément important que la Cour a à considérer lorsqu’elle interprète les dispositions de la Convention dans des cas spécifiques (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 176, CEDH 2010, et Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 85, CEDH 2008). La Cour relève que seuls six des quarante-sept Etats membres du Conseil de l’Europe exigent des demandeurs de permis de séjour la production d’un certificat de séronégativité, qu’un Etat impose une déclaration de séronégativité, et que trois Etats seulement prévoient l’expulsion des étrangers séropositifs (paragraphes 37-38 ci-dessus). Dans les autres Etats, aucune restriction fondée sur la séropositivité ne frappe les candidats séropositifs à un permis d’entrée, de séjour ou de résidence. Il apparaît donc que le refus d’accorder un permis de séjour aux demandeurs séropositifs ne reflète pas l’existence d’un consensus européen établi et que cette politique ne trouve guère d’appui parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe. En conséquence, il appartient à l’Etat défendeur de fournir des raisons particulièrement impérieuses pour justifier la différence de traitement dont le requérant dit avoir été victime.
66. Le Gouvernement a indiqué que les restrictions critiquées poursuivaient divers objectifs, lesquels paraissent coïncider étroitement avec le texte du préambule de la loi sur la prévention du VIH (paragraphes 16 et 40 ci-dessus). Il n’a pas fourni d’explications sur le rapport éventuel entre la situation personnelle du requérant et les menaces alléguées contre la sécurité nationale et la survie de l’humanité, sur les possibles conséquences socioéconomiques ou démographiques de la présence de l’intéressé en Russie et sur le renforcement de la protection des droits et intérêts d’autrui censé découler du refus de lui accorder un permis de séjour. Il ressort toutefois de l’arrêt de la Cour constitutionnelle que la restriction apportée au séjour temporaire des ressortissants étrangers séropositifs vise à garantir la protection de la santé publique (paragraphe 25 ci-dessus). Si l’objectif en question est sans nul doute légitime, il n’en découle pas forcément que la différence de traitement dont le requérant a fait l’objet en raison de son état de santé l’est aussi. Il convient de rechercher si l’objectif poursuivi et les moyens employés pour y parvenir présentent un rapport raisonnable de proportionnalité.
67. La Cour souligne qu’elle dit invariablement devoir prendre en considération les instruments et rapports internationaux pertinents pour interpréter les garanties offertes par la Convention et déterminer s’il existe dans le domaine concerné une norme commune. C’est à elle qu’il appartient de décider des instruments et rapports internationaux qu’elle juge dignes d’attention ainsi que du poids qu’elle entend leur accorder (Tănase, § 176, et Demir et Baykara, §§ 85-86, précités). En l’espèce, elle estime que la pertinence des observations soumises par la partie intervenante sur le consensus existant parmi les experts et les institutions internationales spécialistes de la santé publique quant à l’impossibilité de justifier des restrictions au voyage liées au VIH par des considérations de santé publique n’est pas douteuse. Dès 1987, l’Organisation mondiale de la santé a dénoncé l’inefficacité des restrictions au voyage quant à la prévention de la propagation du VIH (Rapport de la consultation sur les voyages internationaux et l’infection au VIH[1], 2-3 mars 1987). Depuis lors, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (voir les extraits des Directives internationales sur le VIH/sida et les droits de l’homme reproduits au paragraphe 34 ci-dessus), l’OIM (Déclaration de l’ONUSIDA et de l’OIM, citée au paragraphe 33 ci-dessus), le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Note sur le VIH/sida et la protection des réfugiés, des déplacés internes et des autres personnes relevant de la compétence du HCR, 2006), la Banque mondiale (Considérations juridiques sur le VIH/sida, 2007) et, plus récemment, l’Organisation mondiale du travail (Recommandation (no 200) concernant le VIH et le sida et le monde du travail, 2010) se sont ralliés à cette position. En Europe, le Parlement européen a convenu avec la Commission européenne qu’« il n’y a[vait] pas de raisons objectives justifiant l’interdiction de voyager opposée aux personnes contaminées par le VIH » (Résolution du 22 mai 2008). Pour sa part, le gouvernement défendeur n’a pas produit de rapport d’expertise ou d’analyse scientifique contredisant l’avis unanime des experts internationaux.
68. Certes, les restrictions au voyage peuvent se révéler efficaces pour protéger la santé publique contre les maladies hautement contagieuses ayant une courte période d’incubation, comme le choléra, la fièvre jaune, ou le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et la « grippe aviaire » (H5N1) apparus plus récemment. Des restrictions à l’entrée sur le territoire d’un Etat frappant les personnes atteintes par ce genre de maladies peuvent contribuer à en empêcher la propagation puisqu’elles permettent de refouler les voyageurs qui pourraient les transmettre du simple fait de leur présence dans le pays, par des contacts ordinaires ou l’excrétion de particules dans l’air. En revanche, la seule présence d’une personne séropositive sur le territoire d’un Etat ne constitue pas en soi une menace pour la santé publique car le VIH se transmet non par des contacts ordinaires, mais plutôt par des comportements déterminés, et à titre principal par les relations sexuelles et l’échange de seringues. De ce fait, la prévention n’est pas du ressort exclusif des étrangers séropositifs, puisque les personnes non contaminées peuvent prendre des mesures pour se protéger elles-mêmes contre la contamination (par des comportements sexuels protégés et des pratiques sûres pour les injections). L’interdiction d’entrer et/ou de séjourner dans un pays imposée aux étrangers séropositifs dans le but de prévenir la transmission du VIH repose sur l’hypothèse qu’ils sont enclins à adopter des comportements à risque et que les nationaux ne se protègent pas. Il s’agit là d’une généralisation qui ne s’appuie sur aucune base factuelle et qui ne tient pas compte des situations individuelles telles que celle du requérant. En outre, tout comportement par lequel une personne se sachant séropositive expose un tiers à un risque de contamination par le VIH constitue en droit russe une infraction pénale passible d’une peine d’emprisonnement (paragraphe 27 ci-dessus). Le Gouvernement n’a pas expliqué pourquoi il estime que cette sanction ne constitue pas un moyen de dissuasion suffisamment efficace contre les comportements susceptibles de provoquer la transmission du VIH.
69. En outre, les restrictions au voyage liées au VIH ne s’appliquent pas aux touristes et aux visiteurs effectuant un séjour de courte durée en Russie, et les ressortissants russes de retour au pays échappent à l’obligation de se soumettre à un examen de dépistage du VIH. Les modes de transmission du VIH étant identiques quelles que soient la durée du séjour d’une personne sur un territoire et la nationalité de celle-ci, la Cour n’aperçoit aucune raison de n’appliquer les restrictions au voyage liées au VIH qu’aux étrangers qui demandent un permis de séjour en Russie et de les écarter en ce qui concerne les catégories de personnes susmentionnées, qui représentent d’ailleurs la grande majorité des voyageurs et des immigrés. Rien ne donne à penser que ces dernières sont moins enclines à adopter des comportements à risque que les immigrés établis. A cet égard, la Cour note avec beaucoup de préoccupation que le Gouvernement a laissé entendre que le requérant pouvait contourner les dispositions de la loi sur les étrangers en sortant du territoire russe tous les quatre-vingt-dix jours et en y revenant. Elle y voit une raison de douter de la sincérité des motifs de santé publique invoqués par le Gouvernement pour mettre en cause la présence du requérant en Russie. De surcroît, en l’état actuel des choses, les examens de dépistage du VIH auxquels doivent se soumettre les demandeurs d’un permis de séjour en Russie ne permettent pas toujours de déceler la présence du virus chez une personne dont la contamination est récente et n’a pas dépassé la phase pendant laquelle le virus est indétectable, phase qui peut durer plusieurs mois. Il s’ensuit que l’application de restrictions au voyage liées au VIH aux demandeurs de permis de séjour de longue durée ne constitue pas une méthode efficace de prévention de la transmission du VIH par les immigrés séropositifs.
70. Une différence de traitement entre les immigrés séropositifs établis de longue date et les visiteurs effectuant un séjour de courte durée peut être objectivement justifiée par le fait que les premiers risquent de représenter un fardeau pour la société en grevant lourdement le système public de santé, risque inexistant en ce qui concerne les seconds puisque ceux-ci peuvent se faire soigner à l’étranger. Toutefois, de telles considérations économiques visant à exclure les candidats séropositifs du droit de séjour ne peuvent être utilement invoquées que dans les ordres juridiques qui reconnaissent aux résidents étrangers le droit de bénéficier des prestations offertes par le système de santé national à un tarif préférentiel ou gratuitement. Or tel n’est pas le cas en Russie, où les étrangers n’ont pas droit à une assistance médicale, sauf en ce qui concerne les soins d’urgence, et doivent payer tous les services médicaux (paragraphe 23 ci-dessus). Il s’ensuit que le requérant ne peut tirer avantage du système de santé russe, qu’il soit ou non titulaire d’un permis de séjour. Par conséquent, il n’a pas été établi de manière convaincante que l’intéressé risque de représenter une charge financière pour le système de santé russe.
71. Enfin, la Cour relève que les restrictions au voyage et au séjour frappant les personnes vivant avec le VIH peuvent non seulement se révéler inefficaces pour empêcher la propagation de la pandémie, mais aussi représenter une menace pour la santé publique du pays, pour deux raisons. D’abord parce qu’elles risquent de conduire les intéressés à demeurer dans la clandestinité pour se soustraire aux examens de dépistage du VIH, situation qui pourrait les empêcher – de même que les autorités – de découvrir leur séropositivité et de prendre en conséquence les précautions nécessaires, d’éviter les comportements à risque et d’accéder aux informations sur le VIH ainsi qu’aux services de prévention. Ensuite parce que le refoulement des étrangers séropositifs pourrait créer un sentiment de sécurité trompeur en incitant la population locale à considérer le VIH/sida comme un « problème extérieur » résoluble par l’expulsion des intéressés et le refus de les laisser s’installer, et à juger inutile d’adopter des comportements sûrs.
72. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que, si la protection de la santé publique est un but parfaitement légitime, le Gouvernement n’a avancé aucun argument décisif et objectif propre à démontrer que ce but pouvait être atteint en l’espèce par le refus de délivrer un permis de séjour au requérant en raison de son état de santé. Le caractère général et systématique de la mesure critiquée constitue pour la Cour un autre motif de préoccupation. L’article 7 § 1 13) de la loi sur les étrangers énonce expressément que toute demande de permis de séjour doit être rejetée dès lors que le demandeur ne peut apporter la preuve de sa séronégativité. Pour sa part, l’article 11 § 2 de la loi sur la prévention du VIH prévoit l’expulsion des étrangers séropositifs. Ces dispositions excluent toute possibilité d’examen individualisé tenant compte des circonstances particulières à chaque cas. Bien que la Cour constitutionnelle ait indiqué que les articles en question n’empêchaient pas la prise en compte de considérations humanitaires dans des cas exceptionnels (décision du 12 mai 2006 citée au paragraphe 24 ci-dessus), l’on ne sait pas au juste si cette décision confère aux juridictions nationales une marge d’appréciation qui leur permettrait, le cas échéant, d’écarter la règle impérative énoncée à l’article 7 § 1 13) de la loi sur les étrangers.
73. En l’espèce, le Service fédéral des migrations, le tribunal de district et le tribunal régional n’ont pas tenu compte de la position adoptée par la Cour constitutionnelle. Bien que le requérant ait expressément invoqué la décision du 12 mai 2006 et les instruments internationaux pertinents dans sa déclaration d’appel, les tribunaux ont rejeté sa demande de permis de séjour en se fondant exclusivement sur les exigences posées par la loi sur les étrangers, sans tenir compte de son état de santé réel et de ses attaches familiales en Russie. Pour rejeter la demande d’ouverture d’une procédure de révision formulée par l’intéressé, le tribunal régional a expressément retenu que les juridictions n’étaient pas obligées de prendre en compte quelque considération humanitaire que ce soit et que les dispositions de l’article 7 § 1 13) imposant la présentation d’un certificat de séronégativité ne pouvaient en aucun cas être écartées (paragraphe 15 ci-dessus). Dans les dernières observations qu’il a présentées devant la Cour, le Gouvernement a confirmé que la situation individuelle du requérant était dénuée de toute pertinence juridique et que les juridictions internes n’étaient pas tenues de prendre en compte les informations concernant la santé de l’intéressé ou ses attaches familiales (paragraphe 42 ci-dessus). La Cour estime qu’un refus systématique de permis de séjour prononcé en dehors de toute appréciation judiciaire individualisée de la situation des personnes concernées et uniquement fondé sur un problème de santé ne saurait passer pour compatible avec la protection contre la discrimination assurée par l’article 14 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Alajos Kiss, précité, § 44).
74. Eu égard à l’appartenance du requérant à un groupe particulièrement vulnérable, au fait qu’il n’a pas été démontré que le refus de permis de séjour qui lui a été opposé était raisonnablement et objectivement justifié, et au fait que les dispositions juridiques critiquées excluent toute possibilité d’appréciation individualisée, la Cour estime que le Gouvernement a outrepassé la marge d’appréciation étroite dont il bénéficiait en l’espèce. Il s’ensuit que le requérant a été victime d’une discrimination fondée sur son état de santé, au mépris de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION
75. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant allègue que les juridictions internes ne l’ont pas informé qu’il avait le droit de demander que sa plainte fût examinée en chambre du conseil et qu’elles n’ont pas ordonné le huis clos d’office.
76. La Cour constate que le requérant ne possède pas de connaissances juridiques et qu’il n’a pas été représenté, mais estime qu’il aurait pu exprimer clairement son souhait de voir son affaire examinée en chambre du conseil ou, à tout le moins, formuler ce souhait dans sa requête devant les juridictions internes. En l’absence de toute indication de l’intéressé quant au type de procédure qu’il souhaitait voir appliquer, les juridictions internes n’étaient pas tenues d’ordonner d’office le huis clos. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
77. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
78. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il dit avoir subi.
79. Le Gouvernement soutient que la somme réclamée est excessive.
80. La Cour ne doute pas que la discrimination subie par le requérant du fait de son état de santé ait été pour lui source de détresse et de frustration. Statuant en équité, elle lui accorde 15 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
B. Frais et dépens
81. Le requérant réclame en outre 14 700 roubles, somme correspondant selon lui aux frais et dépens encourus ainsi qu’à des frais de traduction.
82. Le Gouvernement avance que seuls les frais et dépens exposés pour les besoins de la procédure devant la Cour peuvent faire l’objet d’un remboursement.
83. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant a droit au remboursement de ses frais et dépens à condition que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, eu égard aux documents en sa possession et aux critères précités, la Cour juge raisonnable d’accorder à l’intéressé la somme de 350 EUR au titre des frais encourus pour les besoins tant de la procédure interne que de celle suivie devant elle, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
C. Intérêts moratoires
84. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare recevable le grief tiré du refus de délivrance d’un permis de séjour et irrecevable le surplus de la requête ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros) au titre du dommage moral et 350 EUR (trois cent cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en roubles au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 10 mars 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Nina Vajić
Présidente
Søren Nielsen
Greffier
[1]. Titre traduit par le greffe. Version originale : Report on the Consultation on International Travel and HIV Infection.