LES FAITS DE LA CAUSE
Considérant que pour les besoins de la présente décision, qui concerne
uniquement la recevabilité de la requête, les faits de la cause peuvent
se résumer ainsi:
Le 16 août 1956, vers 4 h 30 du matin, le douanier italien Calvia
découvrit le cadavre de son collègue Falqui gisant dans le lit d’un
torrent près de Fundres/Pfunders (Haut-Adige). La veille au soir,
Falqui et un autre douanier, Lombardo, avaient pris plusieurs
consommations dans un bar en compagnie d’un groupe de jeunes gens du
village. Commencée dans la bonne humeur, la réunion dégénéra en
altercation lorsque les deux douaniers voulurent, peu avant minuit,
regagner leur caserne et ordonnèrent la fermeture du local. Finalement,
Falqui et Lombardo sortirent de ce dernier, suivis puis poursuivis par
une partie des jeunes gens, qui se mirent à les injurier et à leur
porter des coups à l’aide de bâtons et de boîtes vides. Lombardo
réussit à rentrer sain et sauf à son cantonnement. En revanche, Falqui
perdit l’une après l’autre ses chaussures de toile, dépourvues de
lacets. Rejoint, semble-t-il, à proximité d’un pont qui enjambe le
torrent susmentionné, il y trouva la mort.
Les Gouvernements autrichien et italien ne s’accordent ni sur les
circonstances de cet événement, ni sur la cause du décès, ni sur la
position exacte du corps de Falqui.
Le lendemain 16 août, la Gendarmerie (Carabinieri) arrêta, à raison
desdits faits, quatorze jeunes gens, à savoir:
Luigi/Alois Ebner; Bernardo/Bernhard Ebner; Isidoro/Isidor
Unterkircher; Floriano/Florian Weissteiner; Giorgio/Georg Knollseisen;
Paolo/Paul Unterkircher; Giovanni/Johann Huber; Luigi/Alois
Bergmeister; Giuseppe/Joseph Weissteiner; Severino/Severin Ebner;
Eduardo/Eduard Schiener; Francesco/Franz Ranalter; Martino/Martin
Huber; et Agostino/August Weissteiner.
Le juge d’instruction accusa les huit premiers de meurtre, d’injures
à fonctionnaires publics et d’outrage à la Nation et, en conséquence,
les maintint en détention préventive. Quant aux six autres, ils se
virent inculper des deux derniers délits seulement, à l’exclusion du
crime de meurtre, et furent mis en liberté provisoire le 13 novembre
1956.
Le 16 juillet 1957, la Cour d’Assises de Bolzano/Bozen, composée de
deux magistrats de carrière et de six « juges populaires » (jurés), dont
quatre de langue italienne et deux de langue allemande, condamna:
Luigi/Alois Ebner, à 24 ans, 4 mois et 10 jours de réclusion pour
meurtre et outrage à la Nation;
Bernardo/Bernhard Ebner et Isidoro/Isidor Unterkircher, à 16 ans et 8
mois de réclusion pour ces mêmes infractions;
Floriano/Florian Weissteiner et Giorgio/Georg Knollseisen à 16 ans de
réclusion pour meurtre;
Giovanni/Johann Huber, à 13 ans et 4 mois de réclusion pour ce même
crime;
Paolo/Paul Unterkircher, à 10 ans de réclusion pour ce même crime.
Elle acquitta tous les autres accusés, y compris Luigi/Alois
Bergmeister, des crimes ou délits relevés contre eux, tantôt pour ne
les avoir point commis, tantôt pour insuffisance de preuves.
Sur appel de certains des intéressés ainsi que du ministère Public, la
Cour d’Assises d’Appel de Trente, composée elle aussi de deux
magistrats de carrière et de six « juges populaires » (jurés) dont quatre
de langue italienne et deux de langue allemande, infligea le 27 mars
1958:
à Luigi/Alois Ebner, la réclusion à perpétuité (avec un an d’isolement
pendant la journée) pour meurtre, injures à fonctionnaires publics et
outrage à la Nation;
à Floriano/Florian Weissteiner, Isidoro/Isidor Unterkircher et
Giorgio/Georg Knollseisen, 17 ans et 10 mois de réclusion pour ces
mêmes infractions;
à Bernardo/Bernhard Ebner, 17 ans et 2 mois de réclusion pour ces mêmes
infractions;
à Paolo/Paul Unterkircher, 12 ans de réclusion pour ces mêmes
infractions;
à Giovanni/Johann Huber, 1 an et 2 mois de réclusion pour injures à
fonctionnaires publics et outrage à la Nation.
La Cour acquitta ce dernier du crime de meurtre, pour insuffisance de
preuves, et, notant qu’il avait purgé sa peine en détention préventive,
ordonna sa relaxe immédiate.
A l’audience du 10 mars 1958, la défense avait demandé que la Cour
opérât (comme l’avait fait la Cour de Bolzano/Bozen) une descente sur
les lieux et entendît à cette occasion, à titre de témoins,
Giovanna/Johanna Ebner, qui avait passé sur le pont peu après la
découverte du cadavre Falqui, et le Dr Kofler, médecin du village
voisin de Vandojos, qui avait constaté le décès. La Cour de Trente
avait accueilli la demande en ce qui concerne la descente sur les lieux
– qui eut lieu le 13 mars 1958 – mais avait écarté l’audition de
Giovanna/Johanna Ebner et du Dr Kofler, estimant irrelevantes
(« inconferenti ») les circonstances sur lesquelles ceux-ci devaient
déposer (position du corps, pour la première, et nature des blessures
subies par Falqui, pour le second). En outre, elle avait décidé que la
descente sur les lieux s’effectuerait en présence des témoins Lombardo
et Calvia, déjà nommés, acceptant en cela une suggestion de la partie
civile et du ministère public.
Sur pourvoi des condamnés, la Cour de Cassation rendit, le 16 janvier
1960, un arrêt:
– déclarant éteints, en vertu de l’amnistie, les délits d’injures à
fonctionnaires publics et d’outrage à la Nation retenus à charge de
Bernardo/Bernhard Ebner, Isidoro/Isidor Unterkircher, Floriano/Florian
Weissteiner, Giorgio/Georg Knollseisen, Paolo/Paul Unterkircher et
Giovanni/Johann Huber;
– disant que la Cour de Trente avait statué « ultra petita » en retirant
à Luigi/Alois Ebner le bénéfice des circonstances atténuantes
générales, que lui avait accordé la Cour de Bolzano/Bozen;
– cassant sur ces deux points, sans renvoi, l’arrêt entrepris;
– substituant en conséquence les peines suivantes à celles prononcées
en appel;
25 ans, 5 mois et 10 jours de réclusion pour Luigi/Alois Ebner;
16 ans de réclusion pour Bernardo/Bernhard Ebner, Isidoro/Isidor
Unterkircher, Floriano/Florian Weissteiner et Giorgio/Georg
Knollseisen;
10 ans et 8 mois de réclusion pour Paolo/Paul Unterkircher;
– rejetant le pourvoi quant au surplus.
La Commission relève enfin que les trois sentences judiciaires
précitées avaient trait non seulement aux événements de la nuit du 15
au 16 août 1956, mais également à un incident moins grave qui avait
éclaté, le 29 juin 1956, entre certains des jeunes gens en cause et des
ouvriers travaillant, dans la région de Fundres/Pfunders, à la
construction d’un barrage hydroélectrique. Elle constate cependant que
cet incident et ses suites pénales spécifiques ne forment pas partie
intégrante de l’objet de la requête, de sorte qu’elle estime superflu
de leur consacrer de plus longs développements.
Les griefs du Gouvernement demandeur
Considérant que le Gouvernement autrichien, demandeur, croit pouvoir
imputer au Gouvernement italien, défendeur, à propos des faits relatés
ci-dessus, un manquement aux obligations incombant à la République
italienne en vertu de l’article 6 paragraphes 1, 2 et 3 d) et de
l’article 14 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et
des Libertés fondamentales; que ses griefs se trouvent exposés plus en
détail dans la suite de la présente décision;
La procédure suivie devant la Commission
Considérant que la première phase de la procédure prévue par la
Convention et le Règlement intérieur consiste, pour la Commission, à
examiner la recevabilité de la requête, à l’exclusion du fond de
l’affaire; qu’elle a été marquée par les étapes suivantes:
Par ordonnance du 12 juillet 1960, prise en vertu de l’article 44 du
Règlement intérieur, le Président de la Commission a chargé le
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de donner connaissance de la
requête no 788/60 au Gouvernement de la République italienne et de
l’inviter à présenter à la Commission ses observations écrites sur la
recevabilité de ladite requête.
Les observations écrites italiennes sont parvenues au Secrétariat le
31 août 1960. Conformément à de ordonnances présidentielles des 31
août, 28 octobre et 18 novembre 1960 et le Gouvernement italien a
déposé, le 3 décembre 1960, des observations écrites complémentaires
(article 46 paragraphes 1 et 2 du Règlement intérieur).
Le 17 décembre 1960, la Commission, réunie en session plénière, a
décidé:
– de traiter l’affaire par priorité (article 38 paragraphe 1 du
Règlement intérieur), accédant en cela à une demande du Gouvernement
autrichien contre laquelle le Gouvernement italien n’avait pas formulé
d’objections;
– d’inviter les représentants des parties à comparaître devant elle le
samedi 7 janvier 1961 en vue de lui donner des explications orales
portant sur la recevabilité de la requête et, notamment, sur trois
points précis soulevés par la Commission (article 46 paragraphe 1 in
fine du Règlement intérieur).
L’audience contradictoire a eu lieu dans la matinée des 7 et 9 janvier
1961.
Ont comparu devant la Commission (article 36 paragraphe 1 du Règlement
intérieur):
pour le Gouvernement autrichien:
M. Hans Reichmann (Représentant Permanent d’Autriche auprès du Conseil
de l’Europe), Agent,
assisté de M. Rudolf Kirchschläger (Conseiller juridique du ministère
des Affaires étrangères d’Autriche)
et de M. Armand Mergen (Professeur à la Faculté de Droit de Mayence),
Conseils.
pour le Gouvernement italien:
M. Riccardo Monaco (Chef du Contentieux au ministère des Affaires
étrangères d’Italie), Agent,
assisté de M. Giacomo Delitala (Professeur à la Faculté de Droit de
Milan),
M. Giorgio Bombassei de Vettor (Représentant Permanent d’Italie auprès
du Conseil de l’Europe),
M. Ettore Maselli (Juge en service au ministère de la Justice
d’Italie),
M. Luigi Lauriola (Adjoint au Représentant Permanent d’Italie auprès
du Conseil de l’Europe),
et M. Marco Vlanello-Chiodo (Attaché d’Ambassade au ministère des
Affaires étrangères d’Italie), conseils.
A l’occasion de l’audience contradictoire susmentionnée, le
Gouvernement italien, défendeur, a déposé le 9 janvier 1961 les
conclusions écrites reproduites ci-après:
« Le Gouvernement italien, à la suite des audiences contradictoires sur
la recevabilité de la requête no 788/60 du Gouvernement autrichien,
tenues à Strasbourg les 7 et 9 janvier 1961, se référant et renvoyant
aux arguments développés par écrit et oralement au cours de la
procédure, formule les suivantes conclusions écrites:
« Plaise à la Commission européenne des Droits de l’Homme:
– de déclarer que la requête est irrecevable ratione temporis, parce
que la République Fédérale d’Autriche, qui est devenue partie
contractante à la Convention seulement à partir du 3 septembre 1958,
ne peut dénoncer à la Commission des manquements antérieurs à la date
de sa propre ratification de la Convention. Or, seulement l’arrêt de
la Cour de Cassation est postérieur à cette date, et aucun grief n’a
été présenté à l’encontre de cet arrêt comme tel;
– de déclarer, par application de l’article 27, paragraphe 3 de la
Convention, que la requête est irrecevable pour non-épuisement des
voies de recours internes au sens de l’article 26 de la Convention,
tout d’abord pour le motif que les accusés n’ont pas demandé que
l’affaire fût portée devant un autre juge (rimessione del
procedimento), et ensuite parce que les accusés ne se sont pas prévalus
en cassation d’une voie de recours à leur disposition, n’ayant pas
invoqué expressément la violation par la Cour d’Assises d’Appel de
Trente des dispositions des articles 6 et 14 de la Convention, ainsi
qu’en ce qui concerne plus spécialement la violation alléguée de
l’article 14 et de l’article 6, paragraphe 2, de la Convention – la
violation des articles 3 et 27, paragraphe 2, de la Constitution de la
République italienne;
– de rejeter la requête en conséquence. »
Le Gouvernement autrichien, demandeur, a présenté de son côté,
également le 9 janvier 1961, les conclusions suivantes:
« Le Gouvernement autrichien, suivant l’invitation de la Commission et
se référant aux arguments développés par écrit et oralement, a
l’honneur de soumettre à l’attention de la Commission les suivantes
conclusions écrites:
I. Violation des droits de l’homme à l’occasion de toute la procédure
contre les accusés de Pfunders
« Le Gouvernement autrichien a introduit sa requête en se basant sur les
dispositions suivantes de la Convention des Droits de l’Homme:
1. « Violation des droits protégés par l’article 6, alinéa 3, lit d) de
la Convention, commise par non admission des témoins Johanna Ebner et
Dr Kofler comme négligeables sur un sujet que les tribunaux ont déclaré
comme essentiel et relevant à l’égard des témoins cités par
l’accusation et irrelevant à l’égard de ces témoins cités par la
défense sur les mêmes points.
2. « Violation des droits protégés par l’article 6 alinéa 2 de la
Convention résultant du fait que les accusés ont été traités avant leur
condamnation comme meurtriers politiques et qualifiés comme tels ayant
commis un meurtre poussés par leur haine anti-italienne (point III de
la requête).
3. « Violation des droits garantis par l’article 6, alinéa 1 de la
Convention.
a. Par la composition du tribunal (4 jurés sur 6 étaient d’appartenance
ethnique italienne, qui étaient de ce fait particulièrement
influençables par la campagne de presse italienne, la tension
politique, l’argumentation véhémente du Procureur de la République et
de la partie civile) (Point III/3 de la requête).
b. Par la violation du droit codifié dans les alinéas 2 et 3, lit d)
de l’article 6. L’alinéa 1 résumant dans son acception générale les
alinéas postérieurs.
4. « Violation des droits garantis dans l’article 14, parce que les
violations des droits de l’homme exposées plus haut naissaient sans
doute du fait que les jeunes gens de Pfunders étaient d’origine
ethnique et linguistique (origine nationale) différente de la majorité
des citoyens de la République italienne (Point III/3 de la requête).
II. Compétence de la Commission européenne des Droits de l’Homme
« La Commission est compétente pour les raisons suivantes:
1. « Les faits exposés ci-devant dans I et contenus dans la requête
présentée par le Gouvernement autrichien constituent un manquement aux
dispositions de la Convention que le Gouvernement autrichien croit
pouvoir imputer à la République italienne (article 24).
2. « L’Italie a été obligée, à partir du moment du dépôt de l’instrument
de ratification, de garantir à toutes personnes relevant de sa
juridiction les droits et libertés définis au titre I de la Convention.
« L’Autriche est Haute Partie Contractante à partir du moment de sa
propre ratification et est en droit d’introduire une requête contre une
autre Haute Partie Contractante, même pour des faits antérieurs à sa
ratification. La possibilité d’une réserve de réciprocité, prévue
expressément dans l’article 46, alinéa 2 de la Convention ou dans
l’article 36 du Statut de la Cour Internationale, n’est pas mentionnée
dans l’article 24 de la Convention.
« En ordre subsidiaire, il échet de relever que le procès des jeunes
gens de Pfunders est à considérer comme un tout. Il s’ensuit que la
date de l’arrêt de la Cour de Cassation (1960) doit être considérée
comme décision définitive des juridictions internes.
III. Epuisement des voies de recours internes
1. La règle de l’épuisement des voies de recours internes, en ce qui
concerne des requêtes étatiques qui ne sont pas présentées en vue de
garantir la protection diplomatique à des ressortissants de l’Etat
demandeur, mais qui visent la violation de la Convention par une autre
Haute Partie Contractante, n’est pas applicable que pour autant qu’une
décision interne définitive doit être intervenue.
2. En ordre subsidiaire, relevons:
a. Les accusés ont, dans leur pourvoi en Cassation (cf. Annexe C et nos
observations écrites), soulevé en substance et en se référant à
l’article 24 de la Constitution italienne les motifs et moyens gisant
à la base de la requête autrichienne. Point n’était besoin de citer
expressis verbis les articles violés de la Convention, vu qu’en
substance la Constitution italienne coïncide avec les articles 6 et 14
de la Convention invoqués par le Gouvernement autrichien. Il était
impossible en droit à la défense des jeunes de Pfunders de récuser le
jury sur la base de l’article 55 et des articles 61 suivantes du Code
de Procédure pénale italien. Pour le surplus, pareille récusation ne
pouvait être attendue d’eux. La demande tendant à faire le procès
devant une autre Cour n’aurait pas été efficace. En outre, cette
demande aurait, si par impossible on y avait fait droit, eu comme
résultat une composition ethnique encore plus défavorable.
« A ses causes,
« Plaise à la Commission:
1. Retenir la requête présentée par la République Fédérale d’Autriche
et enregistrée sous le no 788/60 et la déclarer recevable;
2. Faire droit à la requête et procéder selon les articles 28, 29 et
30 de la Convention. »
Après la clôture de l’audience contradictoire, la Commission siégeant
en chambre du Conseil les 9 (après-midi), 10 et 11 (matin) janvier
1961, a délibéré sur la recevabilité de la requête. Le résultat de ses
délibérations se trouve consigné dans la présente décision.
EN DROIT
Considérant qu’il incombe à la Commission à ce stade de la procédure,
de se prononcer sur les divers problèmes que soulève la recevabilité
de la requête no 788/60;
Considérant que la Commission se trouve formellement saisie par le
Gouvernement italien de deux exceptions préliminaires relatives, la
première à la compétence ratione temporis de la Commission, la seconde
à l’épuisement des voies de recours internes;
I. Sur la compétence ratione temporis
Considérant que, dans ses observations écrites complémentaires du 3
décembre 1960, le Gouvernement italien déclarait se réserver le droit
de présenter, à l’audience contradictoire, une exception préliminaire
portant sur la « légitimation active » du Gouvernement autrichien en ce
qui concerne des faits antérieurs à sa ratification de la Convention;
Que lors de ladite audience contradictoire, l’Agent du Gouvernement
défendeur a rappelé que le dépôt de l’instrument de ratification
remontait au 26 octobre 1955, pour l’Italie, et au 3 septembre 1958,
pour l’Autriche, et que la Cour d’Assises de Bolzano, la Cour d’Assises
d’Appel de Trente et la Cour de Cassation avaient statué respectivement
le 16 juillet 1957, le 27 mars 1958 et le 16 janvier 1960; qu’il a
soutenu que l’adhésion d’un Etat à une convention multilatérale ne
produit immédiatement ses effets qu’à l’égard des Etats ayant déjà
donné leur propre adhésion à ce moment; que le Gouvernement italien ne
serait donc, le 26 octobre 1955, engagé uniquement envers les Etats
qui, à l’époque, possédaient la qualité de Partie Contractante, à
l’exclusion de l’Autriche; que l’Italie et l’Autriche n’auraient assumé
d’obligations mutuelles que le 3 septembre 1958; que l’Agent du
Gouvernement italien en a déduit, dans ses conclusions du 9 janvier
1961, que l’examen de la requête ne relevait pas de la compétence
ratione temporis de la Commission, seul l’arrêt de la Cour de Cassation
étant postérieur au 3 septembre 1958 et le Gouvernement demandeur
n’ayant formulé aucun grief à l’encontre de cet arrêt comme tel;
Considérant que les représentants du Gouvernement autrichien ont fait
valoir en ordre principal, à l’audience contradictoire et dans leurs
conclusions finales, que le problème de la compétence ratione temporis
ne se pose pas de la même manière pour l’Etat demandeur que pour l’Etat
défendeur; que si ce dernier, selon la jurisprudence constante de la
Commission, n’est lié qu’à partir du dépôt de son instrument de
ratification, son obligation revêtirait en effet, dès cette date, un
caractère absolu; que ladite obligation n’existerait pas envers les
partenaires de cet Etat, mais bien envers toute personne relevant de
sa juridiction, ainsi que l’attesterait l’article 1er (art. 1) de la
Convention; qu’il s’agirait d’une obligation légale générale,
indépendante du fait que tel autre Etat a ratifié ou non la Convention;
que la Commission a compétence, ratione temporis, pour examiner une
plainte introduite par un particulier en vertu de l’article 25
(art. 25) de la Convention dès lors que l’Etat mis en cause possède,
au moment de la présentation de la requête, la qualité de Partie
Contractante; qu’un Etat Contractant serait de même en droit, dès le
dépôt de son instrument de ratification, d’assigner un autre Etat
Contractant devant la Commission même à raison de faits antérieurs à
ce dépôt; qu’en effet l’article 24 (art. 24) de la Convention, à la
différence de l’article 36 du Statut de la Cour Internationale de
Justice et de l’article 46 paragraphe 2 (art. 46-2) de la Convention,
ne laisserait aucune place à la notion de réciprocité entre Etat
demandeur et Etat défendeur; que le Gouvernement autrichien a soutenu,
à titre subsidiaire, que le procès des jeunes gens de Fundres/Pfunders
forme un tout; que l’arrêt de la Cour de Cassation, postérieur au 3
septembre 1958, constituerait donc la décision interne définitive,
quelle que soit la date des sentences judiciaires rendues en première
instance et en appel;
Considérant d’autre part que le Gouvernement autrichien a exprimé
l’opinion, à l’audience du 7 janvier 1961, que la présentation, à ce
stade, d’une exception d’incompétence ratione temporis se heurtait à
un obstacle d’ordre formel dérivant de l’article 44 du Règlement
intérieur de la Commission; que le Gouvernement italien a contesté
l’exactitude de ce point de vue;
Considérant toutefois qu’il se révèle superflu, en l’espèce, de statuer
sur l’interprétation des dispositions pertinentes du Règlement
intérieur, car le Gouvernement autrichien n’a plus insisté, à
l’audience du 9 janvier 1961 et dans ses conclusions finales du même
jour, sur son objection de caractère procédural et a eu la faculté,
dont il a pleinement usé, de répondre à l’argumentation italienne en
la matière; qu’au surplus, la Commission a le devoir de se prononcer,
même d’office, sur sa compétence ratione temporis;
Décision de la Commission
Considérant que, par application de l’article 66, la République
d’Italie est devenue Partie à la Convention le 26 octobre 1955, et la
République d’Autriche près de trois ans plus tard, le 3 septembre 1958;
que les événements de Fundres/Pfunders et toute la procédure
subséquente ont eu lieu après que l’Italie eut assumé les obligations
résultant de la Convention; qu’en revanche, les débats de la Cour
d’Assises de Bolzano/Bozen et de la Cour d’Appel de Trente remontent
à une période antérieure à la date à laquelle l’Autriche elle-même
s’est trouvée liée par les dispositions de la Convention et a acquis
le droit, en vertu de l’article 24 (art. 24), de soumettre à la
Commission tout manquement allégué à ces dispositions; que seul l’arrêt
de la Cour de Cassation d’Italie est postérieur à cette date;
Considérant, en conséquence, qu’il échet tout d’abord de déterminer si,
selon l’article 24 (art. 24), le Gouvernement autrichien est habilité
à introduire devant la Commission une requête relative à la procédure
qui s’est déroulée avant que l’Autriche eût elle-même, envers l’Italie,
des droits et obligations découlant de la Convention;
Considérant que l’article 24 (art. 24) autorise « toute Partie
Contractante » à saisir la Commission de « tout manquement aux
dispositions de la … Convention qu’elle croira pouvoir être imputée
à une autre Partie Contractante »; que ni l’article 24 (art. 24), ni
aucune autre clause de la Convention ne limitent expressément
l’exercice de cette faculté aux griefs concernant des faits postérieurs
à la ratification de la Convention par l’Etat demandeur; qu’en outre,
ainsi que la Cour Permanente de Justice Internationale l’a reconnu en
l’affaire Mavrommatis (Série A, no 2, page 35), « une juridiction basée
sur un accord international s’étend », « dans le doute » « à tous les
différends qui lui sont soumis après son établissement », et « la réserve
faite dans de nombreux traités d’arbitrage au sujet de différends
engendrés par des événements antérieurs à la conclusion du traité,
semble démontrer la nécessité d’une limitation expresse de la
juridiction »; qu’il s’ensuit que le simple fait que l’Autriche n’ait
acquis qu’à une date ultérieure le pouvoir de saisir la Commission de
manquements allégués à la Convention ne suffit pas, par lui-même, à
l’empêcher d’exercer ce pouvoir au sujet de la procédure suivie devant
la Cour d’Assises de Bolzano/Bozen et la Cour d’Appel de Trente;
Considérant qu’il reste à déterminer si ledit pouvoir fait néanmoins
défaut à l’Autriche pour la raison (a) que les seuls Etats envers
lesquels l’Italie eût, à cette date, assumé des obligations normatives
en vertu de la Convention étaient les autres Etats contractants, à
l’exclusion de l’Autriche, ou (b) que l’Autriche elle-même ne possédant
pas, à l’époque, la qualité de Partie à la Convention, n’était pas liée
par les obligations prévues à la Convention, de sorte que l’Italie ne
peut maintenant avoir le droit, à titre de réciprocité, de soumettre
une plainte à la Commission au sujet de questions qui relevaient de la
juridiction de l’Autriche au moment où la procédure se déroulait devant
la Cour d’Assises et la Cour d’Appel;
Considérant que dans le Préambule de la Convention, les Etats
Contractants, après s’être référés à la Déclaration universelle des
Droits de l’Homme, proclamée par l’Assemblée Générale des Nations Unies
le 10 décembre 1948, ont:
a. rappelé que « le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union
plus étroite entre ses membres, et que l’un des moyens d’atteindre ce
but est la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des
libertés fondamentales »;
b. réaffirmé « leur profond attachement à ces libertés fondamentales qui
constituent les assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde
et dont le maintien repose essentiellement sur un régime politique
véritablement démocratique, d’une part, et, d’autre part, sur une
conception commune et un commun respect des droits de l’homme dont ils
se réclament »;
c. déclaré qu’ils sont résolus, « en tant que gouvernements d’Etats
européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun
d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de
prééminence du droit, à prendre les premières mesures propres à assurer
la garantie collective de certains des droits énoncés dans la
Déclaration universelle »;
Considérant qu’il en résulte qu’en concluant la Convention, les Etats
Contractants n’ont pas voulu se concéder des droits et obligations
réciproques utiles à la poursuite de leurs intérêts nationaux
respectifs, mais réaliser les objectifs et idéaux du Conseil de
l’Europe, tels que les énonce le Statut, et instaurer un ordre public
communautaire des libres démocraties d’Europe afin de sauvegarder leur
patrimoine commun de traditions politiques, d’idéaux, de liberté et de
prééminence du droit;
Considérant que pour atteindre ce but, les Etats Contractants, aux
termes de l’article 1er (art. 1) de la Convention, reconnaissent les
droits et libertés définis au Titre I à toute personne relevant de leur
juridiction, sans aucune exception; qu’en outre, l’article 14
(art. 14) stipule expressément que:
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente
Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment
sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions
politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale,
l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou
toute autre situation »;
Qu’en devenant Partie à la Convention un Etat reconnaît donc les droits
et libertés définis au Titre I à toute personne relevant de sa
juridiction, quels que soient sa nationalité ou son état; qu’en résumé,
il reconnaît ces droits et libertés non seulement à ses propres
nationaux et à ceux des autres Etats Contractants, mais aussi aux
ressortissants des Etats non parties à la Convention et aux apatrides,
ainsi que la Commission elle-même l’a constaté dans des décisions
antérieures; qu’il en résulte que les obligations souscrites par les
Etats Contractants dans la Convention ont essentiellement un caractère
objectif, du fait qu’elles visent à protéger les droits fondamentaux
des particuliers contre les empiètements des Etats Contractants plutôt
qu’à créer des droits subjectifs et réciproques entre ces derniers;
Considérant que le caractère objectif desdits engagements apparaît
également dans le mécanisme érigé dans la Convention pour en garantir
le respect; que ce mécanisme, ainsi qu’il a été souligné au cours des
travaux préparatoires de la Convention et que le déclare expressément
le troisième passage du Préambule déjà cité, repose sur le concept
d’une garantie collective, par les Etats Contractants, des droits et
libertés définis dans la Convention; qu’à cet effet, l’article 19 (art.
19) prévoit qu’afin d’assurer le respect des engagements résultant pour
les Hautes Parties Contractantes de la Convention, il est institué une
Commission européenne des Droits de l’Homme et une Cour européenne des
Droits de l’Homme; que l’article 24 (art. 24) dispose que « toute Partie
Contractante peut saisir la Commission, par l’intermédiaire du
Sécrétaire Général du Conseil de l’Europe, de tout manquement aux
dispositions de la présente Convention qu’elle croira pouvoir être
imputé à une autre Partie Contractante »; que par cet article, les
Hautes Parties Contractantes ont par conséquent autorisé l’une
quelconque d’entre elles à saisir la Commission de tout manquement
allégué aux dispositions de la Convention, que les victimes dudit
manquement soient ou non des ressortissants de l’Etat demandeur, et que
le manquement prétendu lèse ou non particulièrement les intérêts de cet
Etat; qu’un Etat Contractant, lorsqu’il saisit la Commission en vertu
de l’article 24 (art. 24) , ne doit donc pas être considéré comme
agissant pour faire respecter ses droits propres, mais plutôt comme
soumettant à la Commission une question qui touche à l’ordre public de
l’Europe;
Considérant qu’il échet en outre d’observer que tout Etat Contractant
autre que l’Autriche avait le droit, selon l’article 24 (art. 24), de
porter devant la Commission tout manquement allégué aux dispositions
de la Convention concernant les débats de la Cour d’Assises de
Bolzano/Bozen et de la Cour d’Appel de Trente; qu’il est plus conforme
au système de garantie collective prévu dans le Préambule de la
Convention que l’Autriche, une fois devenue Partie à la Convention,
ait, en vertu de l’article 24 (art. 24), les mêmes pouvoirs que les
autres Etats Contractants;
Considérant, dès lors, qu’eu égard au caractère objectif des droits et
obligations résultant de la Convention, à la manière catégorique dont
l’article 24 (art. 24) définit, sans l’assortir de restrictions, le
droit de saisir la Commission de manquements prétendus aux dispositions
de la Convention et au système de garantie collective dont cet article
est une expression, la Commission estime que le fait que l’Italie
n’avait point d’obligations envers l’Autriche, en vertu de la
Convention, à l’époque de la procédure suivie devant la Cour d’Assises
et la Cour d’Appel, n’empêche pas l’Autriche d’alléguer maintenant la
violation de la Convention à propos de cette procédure;
Considérant qu’il faut admettre que, selon cette interprétation de
l’article 24 (art. 24), l’Autriche a le droit d’introduire une plainte
contre l’Italie au sujet de faits antérieurs au moment où l’Autriche
devint Partie à la Convention (3 septembre 1958); que l’Italie n’aurait
pas le droit réciproque d’introduire une plainte contre l’Autriche à
raison d’événements antérieurs à cette date; que, toutefois, cette
absence de réciprocité dans le temps découle uniquement de ce que
l’Autriche, avant le 3 septembre 1958, n’était pas soumise au régime
communautaire instauré par la Convention, et non pas d’une différence
de traitement que l’article 24 aurait lui-même établie entre les
diverses Parties Contractantes; que si les Etats Contractants avaient
voulu subordonner à une condition de réciprocité ratione temporis
l’exercice du droit défini par cet article, il leur eût été loisible
d’insérer à cette fin une condition expresse dans ledit article, mais
qu’ils ne l’ont point fait; que la circonstance que l’Italie ne possède
pas le droit réciproque d’introduire une requête contre l’Autriche à
raison d’événements antérieurs au 3 septembre 1958 ne constitue par
conséquent pas, aux yeux de la Commission un motif pour dénier à
l’Autriche le droit de former contre l’Italie une requête relative à
la procédure de la Cour d’Assises de Bolzano/Bozen et de la Cour
d’Appel de Trente;
Qu’il s’ensuit que, de l’avis de la Commission, l’Autriche était
habilitée à saisir la Commission, par sa requête du 11 juillet 1960,
de violations alléguées de la Convention au sujet tant de la procédure
suivie devant la Cour d’Assises de Bolzano/Bozen et la Cour d’Appel de
Trente, avant qu’elle ne devînt, le 3 septembre 1958, Partie à la
Convention, que de la procédure qui s’est déroulée devant la Cour de
Cassation après cette date; qu’il n’y a point lieu, dès lors,
d’examiner si le fait que l’arrêt de la Cour de Cassation a été rendu
après le 3 septembre 1958 suffirait en tout cas pour autoriser le
Gouvernement autrichien à introduire une requête concernant la
procédure antérieure devant la Cour d’Assises et la Cour d’Appel;
Constate, en conséquence, que la Commission a compétence, ratione
temporis, pour examiner les diverses violations de la Convention
alléguées dans la requête no 788/60 et, partant, qu’il échet de rejeter
l’exception d’incompétence ratione temporis soulevée par le
Gouvernement italien au sujet de la procédure suivie devant la Cour
d’Assises de Bolzano/Bozen et la Cour d’Appel de Trente;
II. Sur l’épuisement des voies de recours internes
Considérant que la Commission, aux termes de l’article 26 (art. 26) de
la Convention, ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de
recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit
international généralement reconnus; que l’article 27, paragraphe 3
(art. 27-3) précise que la Commission rejette toute requête qu’elle
estime irrecevable par application de l’article 26 (art. 26);
Considérant que le gouvernement défendeur a soutenu que la requête
était irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours
internes;
Considérant que le Gouvernement autrichien a objecté que la règle de
l’épuisement des voies de recours internes ne s’applique pas aux
requêtes introduites par les Etats en vertu de l’article 24 (art. 24)
de la Convention;
A. Sur l’applicabilité de la règle
Argumentation des parties
Considérant que le Gouvernement italien a commencé par souligner que,
d’après l’avis unanime de la jurisprudence et de la doctrine
internationales, une instance internationale ne peut examiner un
recours porté devant elle s’il est possible de prouver l’existence,
dans l’ordre juridique interne de l’Etat de la juridiction de laquelle
relève l’individu prétendument lésé, d’une voie de recours interne à
la fois accessible et vraisemblablement efficace et suffisante; qu’il
a cité, entre autres, la résolution adoptée en 1956, à Grenade, par
l’Institut de Droit International, la sentence arbitrale prononcée le
6 mamrs 1956 dans l’affaire Ambatielos et l’arrêt rendu par la Cour
Internationale de Justice, le 21 mars 1959, dans l’affaire de
l’Interhandel;
Que le gouvernement défendeur a exprimé l’opinion, d’autre part, que
pour déterminer de façon concrète la portée de la règle de l’épuisement
des voies de recours internes, telle que l’énonce l’article 26
(art. 26) de la Convention européenne, il y a lieu de se référer à
l’état actuel de la doctrine et de la jurisprudence internationales,
l’article 26 (art. 26) renvoyant expressément aux principes de droit
international généralement reconnus en la matière;
Qu’aux yeux dudit gouvernement, la règle du « local redress » n’en occupe
pas moins, dans la Convention européenne, un domaine sensiblement plus
vaste qu’en droit international général; que, les articles 26 et 27,
paragraphe 3 (art. 26, 27-3) n’établissant aucune distinction, elle
s’appliquerait en principe de la même manière aux requêtes
individuelles et à celles des Etats Contractants; qu’en ce qui concerne
ces dernières, notamment, son empire ne se bornerait pas aux plaintes
que les Etats peuvent, dans l’exercice de la protection diplomatique,
introduire en faveur de leurs ressortissants prétendument lésés par
d’autres Etats; que l’article 1er (art. 1) de la Convention, en effet,
reconnaît les droits et libertés définis au titre I à « toute personne »
(indépendamment de sa nationalité) relevant de la juridiction d’un Etat
Contractant; que l’article 26 (art. 26) aurait, par conséquent, étendu
la règle aux nationaux et aux apatrides, de sorte qu’elle jouerait en
l’espèce bien que les jeunes gens de Fundres/Pfunders ne possèdent pas
la nationalité autrichienne; qu’au demeurant, la Commission a déclaré
irrecevable une partie de la requête no 299/57 du Gouvernement
hellénique, lequel avait pourtant pris fait et cause pour des
ressortissants de l’Etat défendeur, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne
et d’Irlande du Nord; qu’à la vérité, la règle peut fléchir quand un
Etat fait valoir contre un autre Etat un manquement aux règles de la
Convention sans connexion avec un individu; que tel ne serait cependant
pas le cas en l’occurrence, car le Gouvernement autrichien intervient
pour redresser une violation prétendument commise contre des personnes
placées sous la juridiction de l’Etat italien et disposant de toutes
les voies de recours internes; qu’en prévoyant qu’un Etat peut
directement assigner un autre Etat devant un organe international
lorsque « l’acte dommageable a atteint une personne jouissant d’une
protection internationale spéciale », la résolution de Grenade viserait
uniquement certaines personnalités, par exemple les chefs d’Etat et les
ambassadeurs, et non pas, comme l’avait soutenu le Gouvernement
autrichien (cf. infra), l’ensemble des populations qui bénéficient de
la sauvegarde instaurée par la Convention européenne;
Considérant que le Gouvernement autrichien a répondu qu’aux fins
d’application des articles 26 et 27, paragraphe 3 (art. 26, 27-3) de
la Convention, les requêtes étatiques se présentent sous un aspect tout
à fait différent de celui des requêtes individuelles; que les personnes
physiques, organisations non gouvernementales et groupes de
particuliers ne peuvent saisir la Commission en vertu de l’article 25
(art. 25), que s’ils se prétendent victimes d’une violation de leurs
droits et libertés, ce qu’ils ne sauraient valablement faire avant
d’avoir épuisé les voies de recours internes; qu’en revanche, l’article
24 (art. 24) autorise chaque Etat Contractant à s’adresser à la
Commission sans avoir subi le moindre préjudice et avant même qu’un
individu ait été lésé, du seul fait qu’il croit pouvoir imputer à un
autre Etat un manquement aux dispositions de la Convention, manquement
qui peut découler de la simple promulgation d’une loi ou d’un arrêté;
qu’à l’inverse des individus, les Etats n’ont d’ailleurs pas la faculté
d’alléguer la violation de la Convention devant les tribunaux de leurs
partenaires; que sous la réserve éventuelle des plaintes introduites
dans l’exercice de la protection diplomatique, l’épuisement des voies
de recours internes ne constituerait donc pas une condition de
recevabilité des requêtes étatiques, lesquelles reposeraient sur les
notions de garantie collective et d’intérêt général; que les précédents
mentionnés par le Gouvernement italien n’auraient du reste de
pertinence que pour les actions intentées par un Etat en faveur de ses
propres ressortissants; qu’il en irait de même de la résolution de
Grenade; qu’au surplus, celle-ci écarte le jeu de la règle « au cas où
l’acte dommageable a atteint une personne jouissant d’une protection
internationale spéciale »; que les personnes vivant sur le territoire
des Etats Contractants se trouveraient, de par la Convention
européenne, soumises à une telle « protection internationale spéciale »;
DÉCISION DE LA COMMISSION
Considérant que, selon les principes de droit international
généralement reconnus, le droit d’exercer la protection diplomatique
et d’introduire une plainte devant un tribunal international se limite,
sous réserve de quelques exceptions particulières, au cas où un Etat
prend fait et cause pour l’un de ses ressortissants dont les droits
auraient été lésés dans un autre Etat en violation du droit
international (Affaire du Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, Série
A/B 76, page 16; Affaire Nottebohn, recueil de la C.I.J., 1955, page
4); que, de même, la règle de l’épuisement des voies de recours
internes, en tant que condition préalable à l’exercice de la protection
diplomatique et à l’introduction général, que dans le cas où un Etat
prend fait et cause pour l’un de ses ressortissants dont les droits
auraient été lésés; que ladite règle se fonde sur la nécessité de
donner d’abord à l’Etat défendeur l’occasion de remédier à la situation
incriminée « par ses propres moyens, dans le cadre de son ordre
juridique interne » (Affaire de l’Interhandel, Recueil de la C.I.J.,
1959, page 27; Décision de la Commission sur la recevabilité de la
requête no 343/57);
Considérant que par la Convention européenne, les Etats Contractants
ont établi un système de protection internationale des droits de
l’homme et des libertés fondamentales pour toutes les personnes
relevant de leur juridiction, indépendamment de leur nationalité; que
ce système de protection internationale s’étend donc aux ressortissants
de l’Etat qui aurait violé la Convention et aux apatrides, autant
qu’aux ressortissants d’autres Etats; que le principe sur lequel se
fonde la règle de l’épuisement des voies de recours internes et les
considérations qui ont amené l’introduction de celle-ci en droit
international général s’appliquent manifestement, à plus forte raison,
à un système de protection internationale dont bénéficient les propres
ressortissants d’un Etat aussi bien que les étrangers; que, de plus,
le simple fait que ledit système de protection repose sur la notion
d’une garantie collective des droits et libertés définis dans la
Convention n’affaiblit aucunement le principe sur lequel se fonde la
règle de l’épuisement ni les considérations qui ont amené
l’introduction de celle-ci;
Considérant que l’article 26 (art. 26) de la Convention, en stipulant
que « la Commission ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies
de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit
international généralement reconnus », ne distingue pas expressément
entre les requêtes soumises à la Commission par les Etats Contractants,
en vertu de l’article 24 (art. 24), et celles que les personnes
physiques, organisations non gouvernementales et groupes de
particuliers forment en vertu de l’article 25 (art. 25); qu’en outre
l’article 27 (art. 27), qui énumère certains motifs pour lesquels la
Commission doit déclarer les requêtes irrecevables, limite expressément
les motifs énoncés en ses paragraphes 1 et 2 aux requêtes introduites
en vertu de l’article 25 (art. 25), mais ne maintient pas cette
limitation en son paragraphe 3, qui oblige la Commission à rejeter une
requête en cas de non épuisement des voies de recours internes;
Que le contraste existant à cet égard entre le paragraphe 3 et les deux
autres paragraphes de l’article 27 (art. 27) montre clairement, de
l’avis de la Commission, que les Etats Contractants n’ont pas entendu
soustraire les requêtes étatiques au jeu de la règle de l’épuisement
des voies de recours internes;
Qu’au surplus, la Commission ne saurait trouver dans les mots « selon
les principes de droit international généralement reconnus » aucun
indice donnant à penser que les Etats Contractants ont entendu limiter
l’application de ladite règle aux requêtes émanant de personnes
physiques, d’organisations non gouvernementales ou de groupes de
particuliers; que si en effet, selon les principes de droit
international généralement reconnus, la règle ne s’applique pas
davantage à celles que des particuliers introduisent devant un tribunal
international, pour la simple raison que, dans l’un et l’autre cas,
l’action elle-même est irrecevable d’après le droit international
général, indépendamment de l’épuisement des voies de recours internes;
qu’il s’ensuit que si les mots « selon les principes de droit
international généralement reconnus » passaient pour refléter
l’intention d’exclure l’application de la règle aux requêtes formées
en vertu de l’article 24 (art. 24), il faudrait les interpréter comme
traduisant la même intention en ce qui concerne les requêtes présentées
par les personnes physiques, organisations non gouvernementales et
groupes de particuliers en vertu de l’article 25 (art. 25); que,
toutefois, il est hors de doute, et le Gouvernement autrichien l’admet
lui-même, que la règle de l’épuisement des voies de recours internes
énoncée à l’article 26 (art. 26) de la Convention vaut pour les
requêtes introduites en vertu de l’article 25 (art. 25); qu’en insérant
dans l’article 26 (art. 26) les mots « selon les principes de droit
international généralement « selon les principes de droit international
généralement reconnus », les auteurs de la Convention ont donc voulu
circonscrire le contenu matériel de la règle et non pas son champ
d’application ratione personae; qu’en conséquence, il échet de rejeter
la thèse du Gouvernement autrichien suivant laquelle ces mots écartent
l’application de la règle aux affaires soumises à la Commission en
vertu de l’article 24 (art. 24);
Considérant, au demeurant, que la Commission a constaté, dès le 12
octobre 1957, que ladite règle vaut en principe pour les requêtes
étatiques comme pour les requêtes individuelles puisqu’elle a rejeté,
pour défaut d’épuisement des voies de recours internes, une partie de
la requête no 299/57 du Gouvernement hellénique; que si elle a reconnu,
le 2 juin 1956, que la règle ne s’appliquait pas à la requête no 299/57
du Gouvernement hellénique; que si elle a reconnu, le 2 juin 1956, que
la règle ne s’appliquait pas à la requête no 176/56 du même
gouvernement, c’est pour l’unique motif que cette requête avait trait
à la compatibilité de mesures législatives et de pratiques
administratives avec la Convention, indépendamment d’une lésion
individuelle et concrète; que tel n’est manifestement pas le cas de la
requête; que tel n’est manifestement pas le cas de la requête no 788/60
du Gouvernement autrichien;
Constate dès lors que la règle de l’épuisement des voies de recours
internes, prévue à l’article 26 de la Convention, s’applique à la
présente affaire;
B. Sur l’observation de la règle
Argumentation des parties
Considérant que le Gouvernement italien a souligné, dans ses
observations écrites du 30 août 1960, que, selon la sentence arbitrale
rendue le 6 mars 1956 en l’affaire Ambatielos, les voies de recours
internes « include not only reference to the courts and tribunals, but
also the use of the procedural facilities which municipal law makes
available to litigants before such courts and tribunals » et « it is the
whole system of legal protection, as provided by municipal law, which
must have been put to the test »; qu’à la vérité, le tribunal arbitral
qui a statué, le 8 juin 1932, sur l’affaire Salem a jugé qu' »as a rule
it is sufficient if the claimant has brought his suit up to the highest
instance of the national judiciary » (Recueil des sentences arbitrales
de l’O.N.U., Volume II, page 1189); qu’il s’agirait pourtant d’une
sentence assez ancienne et quelque peu dépassée, et qu’il y aurait lieu
de se référer plutôt aux expressions et analyses les plus récentes de
la règle de l’épuisement; qu’à ce sujet, le Gouvernement italien a
rappelé que, d’après la jurisprudence constante de la Commission, et
notamment les décisions relatives à la recevabilité des requêtes no
263/57, 309/57, 327/57 et 342/57, un requérant doit non seulement, pour
se conformer aux dispositions pertinentes de l’article 26 (art. 26) de
la Convention, soumettre son cas aux diverses juridictions dont cet
article exige en principe la saisine, mais encore invoquer devant la
juridiction supérieure, à défaut d’impossibilité ou d’empêchement et
dans la mesure où cela dépend raisonnablement de lui, les droits dont
il allègue la violation par la juridiction inférieure; que le
Gouvernement autrichien ayant objecté, dans son contre-mémoire du 26
octobre 1960, que cette jurisprudence était inopérante en l’espèce pour
le motif que la présente requête a trait à une procédure pénale et que
les tribunaux répressifs ont l’obligation de rechercher la vérité
indépendamment des griefs et offres de preuve de la défense, le
Gouvernement italien a répliqué, dans ses observations écrites
complémentaires du 3 décembre 1960, que les quatre décisions précitées
de la Commission concernaient des procédures internes de caractère
pénal et non point civil;
Que le Gouvernement défendeur a relevé d’autre part que, pour
rechercher si la défense des jeunes gens de Fundres/Pfunders a négligé
d’utiliser un « remedy » essentiel et suffisant, il faut partir d’une
hypothèse d’étude consistant à admettre, de manière purement
provisoire, que les violations alléguées ont eu réellement lieu; qu’il
a cité, en ce sens, les sentences arbitrales rendues le 9 mai 1934 en
l’affaire des Navires finlandais (Recueil des Sentences Arbitrales de
l’O.N.U., Volume III, page 1504) et le 6 mars 1956 en l’affaire
Ambatielos (« … The only possible test is to assume the truth of the
facts on which the claimant State bases its claim »);
Qu’il a insisté en outre sur le fait que, depuis le dépôt de
l’instrument de ratification de l’Italie (26 octobre 1955), la
Convention forme partie intégrante du système juridique italien,
l’article 2 de la loi no 848 du 4 août 1955 portant obligation de
l’observer et de la faire observer « comme loi de l’Etat »; qu’il en
résulterait que les dispositions de la Convention doivent être
invoquées devant les tribunaux italiens au même titre que la
Constitution, les codes et n’importe quelle autre loi interne,
l’ignorance de la loi, et par conséquent de la Convention, ne pouvant
être valablement excusée; qu’il en serait d’autant plus ainsi que,
contrairement aux affirmations du Gouvernement autrichien, le principe
selon lequel il incombe aux tribunaux répressifs de rechercher la
vérité, au besoin d’office, ne s’appliquerait pas à la Cour de
Cassation mais uniquement aux juges du fond;
Qu’à propos de ce dernier point, la Commission a invité les parties,
par lettre du 17 décembre 1960 et à l’ouverture de l’audience du 7
janvier 1961, à lui fournir des éclaircissements ou des précisions sur
les deux questions suivantes:
a. « Les clauses de l’article 6 paragraphes 1, 2 et 3 d) et de l’article
14 (art. 6-1, 6-2, 6-3-d, 14) de la Convention, invoquées par le
Gouvernement autrichien, coïncident-elles avec les prescriptions
correspondantes du droit italien (Constitution, lois, etc.) ou
vont-elles au-delà, ou au contraire demeurent-elles en-deçà de ces
prescriptions? »
b. « Les juridictions répressives italiennes ont-elles, en vertu du
principe « Jura novit curia », le droit ou le devoir de veiller d’office
au respect des clauses et prescriptions mentionnées à l’alinéa
précédent? Dans l’affirmative, la Cour de Cassation se
distingue-t-elle, sous ce rapport, du tribunal de première instance et
de la Cour d’Appel? »;
Qu’en réponse à la première question, le Gouvernement italien a exprimé
l’opinion, à l’audience du 7 janvier, que l’article 6 paragraphes 1,
2 et 3 d) et l’article 14 (art. 6-1, 6-2, 6-3-d, 14) de la Convention
trouvent leur équivalent en des clauses précises de la Constitution
(articles 3, 22, 24, 25, 27, 101, 102, 104, 108 et 111), du Code pénal
(articles 1, 40, 42, 57 et 85) et du Code de procédure pénale (articles
185, 238 bis, 239, 240, 249, 256, 269, 378, 420 et 479) italiens; qu’il
a souligné, toutefois, que cette opinion reposait sur une
interprétation déterminée de la Convention; qu’il a ajouté, à
l’audience du 9 janvier, que le Gouvernement autrichien semblait
attribuer aux articles 6 et 14 (art. 6, 14) une signification
différente et plus ample, ce qui serait une raison supplémentaire de
vérifier si la défense des jeunes gens de Fundres/Pfunders les a ou non
invoqués devant les tribunaux italiens; qu’il a fait valoir que le
problème de l’épuisement des voies de recours internes ne pouvait être
joint au fond, de sorte que la Commission devrait, pour le trancher,
ou bien s’en tenir au critère accepté par la jurisprudence
internationale (affaire des Navires Finlandais et affaire Ambatielos),
c’est-à-dire admettre provisoirement l’interprétation autrichienne, ou
bien se prononcer elle-même, dès ce stade de la procédure, sur la
portée exacte des articles 6 et 14 (art. 6, 14);
Qu’en réponse à la deuxième question reproduite ci-dessus, le
Gouvernement défendeur a indiqué, à l’audience du 7 janvier, que les
arrêts d’appel et de cassation obéissent dans le système italien, à la
différence des jugements de première instance, au « principio
dispositivo », selon lequel les parties tracent elles-mêmes, en
choisissant leurs moyens (motivi d’impugnazione), les limites du
pouvoir de cognition du juge d’appel ou de cassation; qu’à la vérité,
les articles 152 et 185 du Code de procédure pénale apportent à ce
principe diverses exceptions en prévoyant que le juge doit, en tout
état de l’instance, relever d’office certaines causes rendant l’accusé
non punissable, de même que certaines nullités absolues, que les
conditions d’application de ces deux articles ne se trouvaient
cependant pas réunies en l’espèce;
Qu’à l’ouverture de l’audience du 9 janvier, la Commission a posé aux
parties la question ci-après:
« Lorsqu’un accusé soulève un certain moyen devant la Cour de Cassation
avec une précision suffisante mais sans invoquer expressément, à
l’appui de ce moyen, les dispositions pertinentes du droit interne
italien, y compris la Convention, la Cour a-t-elle néanmoins le droit
ou le devoir de veiller au respect desdits dispositions, ou doit-elle
déclarer le pourvoi irrecevable par application de l’article 201 du
Code de procédure pénale? »;
Que le Gouvernement italien a répondu, lors de la même audience, que
l’article 201 du Code de procédure pénale, en exigeant que les moyens
soient exposés de manière spécifique, sous peine d’irrecevabilité,
édicte une règle générale valable pour n’importe quel recours, y
compris le pourvoi en cassation; qu’à cette règle générale s’ajoute la
règle spéciale de l’article 524 dudit Code, qui énumère les vices
donnant ouverture à cassation, à savoir inobservation ou application
erronée de la loi pénale ou d’autres dispositions juridiques dont il
faut tenir compte dans l’application de la loi pénale, excès de pouvoir
de la part du juge et inobservation des dispositions du Code de
procédure pénale établies à peine de nullité, d’irrecevabilité ou de
déchéance; qu’il s’ensuivrait que la partie intéressée a l’obligation
absolue de formuler son moyen en indiquant non seulement les
dispositions de la loi pénale dont elle allègue l’inobservation ou
l’application erronée, mais encore les autres dispositions juridiques
pertinentes, par exemple la Convention, faute de quoi il suffirait de
se référer à l’ensemble du Code de procédure pénale, ou à la
Constitution tout entière, etc., pour rendre pratiquement impossible
l’accomplissement de la tâche du juge de cassation; que, sous réserve
des articles 152 et 185 du Code de procédure pénale, déjà cités, la
Cour de Cassation d’Italie n’aurait donc pas la faculté d’examiner un
moyen précisé en fait mais non pas en droit;
Que, partant de ces prémisses, le Gouvernement italien a conclu que les
jeunes gens de Fundres/Pfunders n’avaient épuisé les voies de recours
internes pour aucun des griefs du Gouvernement autrichien;
Qu’il a observé, en ce qui concerne le refus, par la Cour de Trente,
d’entendre Giovanna Ebner et le Dr Kofler en qualité de témoins, que
le troisième moyen du pourvoi en cassation se bornait à invoquer des
arguments de fait et, dans une moindre mesure, les droits de la
défense; qu’il a semblé admettre, à la rigueur, que ledit moyen avait
ainsi soulevé, implicitement et en substance, le grief tiré de la
violation alléguée de l’article 24 de la Constitution italienne, et que
la Cour de Cassation aurait dû trancher ce point; qu’il a néanmoins
reproché aux condamnés de ne s’être pas expressément prévalus de
l’article 6 paragraphe 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention, prescription
de droit dont la Cour de Cassation a compétence pour vérifier le
respect;
Que le Gouvernement italien a constaté en outre que le pourvoi ne
mentionnait pas davantage les articles 6 paragraphe 2 et 14
(art. 6-2, 14) de la Convention, ni même les articles 27 paragraphe 2
et 3 (art. 27-2, 27-3) de la Constitution italienne, aux termes
desquels « l’accusé n’est pas considéré coupable tant qu’il n’y a pas
eu condamnation définitive » et « tous les citoyens ont une même dignité
sociale et sont égaux devant la loi sans distinction de sexe, de race,
de langue, de religion, d’opinion politique, de conditions personnelles
ou sociales … »;
Qu’au sujet, enfin, de la partialité prétendue des juges d’assises, le
Gouvernement italien a exprimé l’opinion que le pourvoi en cassation
ne renfermait aucun argument comparable à ceux du Gouvernement
autrichien et souligné que la défense n’avait invoqué ni l’article 6
paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention, ni les articles 2 (« La
République reconnaît et garantit les droits inviolables de l’homme
… ») et 24 paragraphe 2 (« La défense est un droit inviolable en tout
état ou degré de l’affaire ») de la Constitution italienne; qu’à la
vérité, le premier moyen du pourvoi contestait la légalité du
remplacement d’un juré de la Cour de Trente, tombé malade, par un « juré
suppléant », mais qu’il s’agirait là d’un grief entièrement indépendant
des accusations de partialité formulées dans la requête;
Qu’en réponse à une question de la Commission, le Gouvernement italien
a soutenu à l’audience du 9 janvier, en ordre subsidiaire, que les
accusés n’avaient pas même soulevé en substance, devant la Cour de
Cassation, les moyens à l’appui desquels la requête se réfère aux
articles 6 et 14 (art. 6, 14) de la Convention;
Que la Commission a invité les parties, par lettre du 17 décembre 1960
et à l’ouverture de l’audience du 7 janvier 1961, à lui fournir des
éclaircissements ou des précisions sur la question suivante:
« Les accusés du procès de Fundres/Pfunders avaient-ils, selon la
législation italienne, la possibilité d’attaquer la composition du
jury, critiquée par le Gouvernement autrichien aux pages 6 et 18 de la
requête introductive? Si oui, quels recours s’offraient à eux en la
matière, et les ont-ils exercés? »;
Que le Gouvernement italien a répondu que si, malgré les garanties
offertes par la Loi no 287 du 10 avril 1951, relative à l’organisation
des Cours d’Assises et notamment à la constitution des jurys, les
accusés de Fundres/Pfunders avaient cru pouvoir douter de
l’impartialité de leurs juges de première instance et d’appel, ils
auraient dû former une demande de renvoi pour cause de suspicion
légitime, ce qu’ils ont négligé de faire; qu’aux termes de l’article
55 du Code italien de procédure pénale, en effet,
« A tout état de degré du procès, pour de graves motifs d’ordre public
ou pour une légitime suspicion, à la requête du Procureur Général près
la Cour d’Appel ou la Cour de Cassation, celle-ci peut renvoyer une
instruction ou le jugement à un autre juge dans un autre siège.
L’accusé peut avancer une instance à cet effet uniquement pour une
légitime suspicion. Cette faculté n’appartient pas aux autres parties
privées. »; que la demande de l’accusé doit être adressée au Procureur
de la République, mais que celui-ci a l’obligation de la transmettre
à la Cour de Cassation qui, de son côté, est tenue de l’examiner et de
statuer; qu’au surplus, une situation de pur fait, et non pas seulement
une règle de droit existante, peut, dans le système italien, justifier
le renvoi pour cause de suspicion légitime; que la suspicion légitime
constituerait donc une notion concrète; que la Cour de Cassation
d’Italie aurait plusieurs fois décidé, tant à la requête d’accusés qu’à
celle du ministère public, de dessaisir la Cour d’Assises normalement
compétente ratione loci, pour le motif qu’il régnait, dans le ressort
de cette Cour, une ambiance de nature à empêcher un procès entièrement
impartial; qu’il arriverait, en particulier, que les questions
susceptibles de troubler la tranquillité et l’ordre publics dans une
région déterminée soient portées devant les juridictions d’autres
régions de la République italienne; que la demande de renvoi pour cause
de suspicion légitime revêtirait, dès lors, le caractère d’un recours
essentiel et efficace; qu’à tout le moins, il incomberait au
Gouvernement autrichien, selon les principes de droit international
généralement reconnus en la matière, de démontrer qu’elle eût été
inefficace en l’espèce; que le Gouvernement autrichien n’aurait
aucunement rapporté pareille preuve en affirmant que le dessaisissement
éventuel des Cours de Bolzano/Bozen et de Trente eût abouti à confier
l’examen de l’affaire à des jurys ne comprenant aucune personne de
langue allemande, de sorte qu’il eût été inopportun, pour la défense,
de se prévaloir de l’article 55 du Code de procédure pénale; que cette
affirmation irait au-delà de toute prévision possible, car elle
équivaudrait à alléguer que nulle part en Italie il n’y aurait eu de
juge capable de faire vraiment justice;
Considérant que le Gouvernement autrichien a rappelé pour sa part, en
ordre subsidiaire – c’est-à-dire à supposer que l’article 26 (art. 26)
de la Convention s’applique de la même façon aux requêtes étatiques et
aux requêtes individuelles – que, d’après la sentence arbitrale rendue
le 8 juin 1932 en l’affaire Salem, la règle de l’épuisement des voies
de recours internes doit s’interpréter en fonction des circonstances
propres à chaque affaire et « as a rule it is sufficient if the claimant
has brought his suit up to the highest instance of the national
judiciary »; qu’au surplus, les quatre décisions de la Commission citées
par le Gouvernement italien auraient trait à des procédures civiles,
tandis que la présente requête concerne une procédure pénale; que les
procédures pénales obéiraient au principe selon lequel le tribunal a
l’obligation de trouver la vérité indépendamment des griefs et offres
de preuve de la défense;
Que le Gouvernement demandeur s’est déclaré d’accord avec le
Gouvernement italien pour admettre que les stipulations de la
Constitution italienne coïncident avec celles de la Convention et que
celle-ci forme partie intégrante du droit interne italien; qu’il n’a
pu accepter, en revanche, que l’on reproche à la défense de ne pas
avoir mentionné les dispositions de la Convention; qu’en effet, les
autorités italiennes, y compris les tribunaux, auraient le devoir de
les appliquer, même d’office; que le Gouvernement autrichien a contesté
que les lois italiennes, et notamment l’article 524 du Code de
procédure pénale, ne garantissent pas le respect de ce devoir; que si
elles ne le garantissaient pas, d’ailleurs, elles enfreindraient à son
avis la Convention, l’Italie n’ayant formulé aucune réserve à leur
propos;
Qu’aux yeux du Gouvernement autrichien, il suffit donc que les griefs
au sujet desquels la requête allègue la violation des articles 6 et 14
(art. 6, 14) de la Convention aient été soulevés en substance devant
les juridictions italiennes; que tel serait effectivement le cas; que
le Gouvernement autrichien a souligné, en ce sens, que l’exposé des
faits du pourvoi en cassation critiquait les « affirmations
apodictiques » et les « pures assertions sans l’ombre d’une preuve à
l’appui » contenues dans l’arrêt de la Cour de Trente; le premier moyen
dudit pourvoi, les conditions dans lesquelles un juré suppléant avait
remplacé l’un des jurés de cette Cour, tombé malade; le troisième
moyen, la non-audition de Giovanna/Johanna Ebner et du Dr Kofler lors
de la descente sur les lieux du 13 mars 1958; le septième, les
« appréciations subjectives », « suppositions » et « conjectures » émises par
les juges d’appel; le huitième, les « affirmations apodictiques ne
reposant sur aucune preuve » qu’ils auraient énoncées; le premier moyen
supplémentaire, enfin, l' »insuffisance » des motifs pour lesquels
l’arrêt du 27 mars 1958 épousa la thèse de l’homicide volontaire plutôt
que celle de l’homicide « pré-intentionnel »; que le Gouvernement
autrichien a relevé, en outre, que l’avocat des jeunes gens de
Fundres/Pfunders avait expressément invoqué, en sus d’une série de
prescriptions du Code pénal, du Code de procédure pénale et de la Loi
du 10 avril 1951, les articles 24 paragraphe 2 (deuxième moyen du
pourvoi) et 27 paragraphe 1 (septième moyen) de la Constitution
italienne;
Que le Gouvernement autrichien a fait valoir, d’autre part, qu’une
demande de renvoi pour cause de suspicion légitime n’aurait pas
amélioré la situation des accusés et n’aurait pas été
« vraisemblablement efficace » au sens des principes de droit
international généralement reconnus; que d’après lui, en effet,
l’appartenance de quatre jurés sur six au « groupe ethnique italien »
n’aurait guère eu de chances d’être retenue comme motif légitime de
suspicion, les accusés possédant eux aussi la nationalité italienne et
le Code italien de procédure pénale datant d’une époque antérieure à
la naissance du problème de la minorité du Haut-Adige; qu’en outre, le
dépôt d’une requête fondée sur l’article 55 dudit Code n’eût pas manqué
d’indisposer les Cours d’Assises, surtout dans l’atmosphère régnant à
Bolzano/Bozen et à Trente et, partant, eût constitué une faute grave
de la défense; que si du reste la Cour de Cassation avait, par
impossible, accueilli pareille requête, l’examen de l’affaire eût
incombé à un jury ne comprenant aucune personne de langue allemande et,
dès lors, de « composition ethnique encore plus défavorable »;
Décision de la Commission
En ce qui concerne le grief énoncé au paragraphe 1 – 3 – a) des
conclusions finales du Gouvernement autrichien:
Considérant que, par ce grief, le Gouvernement autrichien allègue la
violation de l’article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention du
fait de la composition des Cours d’Assises de Bolzano et de Trente;
qu’il souligne que quatre jurés sur six étaient d' »appartenance
ethnique italienne », ce qui les aurait rendus « particulièrement
influençables par la campagne de presse italienne, la tension
politique, l’argumentation véhémente du Procureur de la République et
de la partie civile »;
Considérant que selon les principes de droit international généralement
reconnus, auxquels se réfère l’article 26 (art. 26) de la Convention,
il incombe au Gouvernement défendeur, s’il soulève l’exception de non
épuisement, de prouver l’existence, dans son système juridique
national, de recours qui n’ont pas été exercés (décision de la
Commission sur la recevabilité de la requête no 299/57 du Gouvernement
hellénique contre le Gouvernement britannique et sentence arbitrale du
6 mars 1956 relative à l’affaire Ambatielos);
Que le Gouvernement italien a démontré qu’aux termes de l’article 55
paragraphe 2 du Code de procédure pénale, un accusé peut, en tout état
de cause, former une demande de renvoi pour cause de suspicion
légitime, et que les intéressés n’ont usé de cette faculté ni en
première instance ni en appel;
Que la règle de l’épuisement exige en principe, d’après les conceptions
dominant de nos jours en la matière, que soient utilisées toutes les
ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu
qu’elles se révèlent susceptibles de fournir un moyen vraisemblablement
efficace et suffisant de redresser les griefs articulés, sur le plan
international, contre l’Etat défendeur (décision de la Commission sur
la recevabilité de la requête no 347/57 de M. B.S. Nielsen contre le
Danemark); que les explications du Gouvernement italien sur la
législation et la pratique pertinentes donnent à penser qu’une demande
introduite en vertu de l’article 55 paragraphe 2 du Code de procédure
pénale eût constitué en l’occurrence un tel recours; qu’il ressort de
ces explications, en particulier, que, selon la jurisprudence de la
Cour de Cassation d’Italie, pareille demande peut valablement se fonder
sur des circonstances du genre de celles dont fait état le Gouvernement
autrichien, que le Procureur de la République a l’obligation de la
transmettre à la Cour de Cassation et que celle-ci doit l’examiner et
statuer; qu’il semble que le recours en question aurait donc eu des
perspectives appréciables de succès et que, si la Cour de Cassation
l’avait accueilli, le procès aurait eu des chances sérieuses de se
dérouler dans une atmosphère différente de celle qui, aux yeux du
Gouvernement autrichien, régnait à Bolzano/Bozen et à Trente;
Considérant, du reste, que l’épuisement d’une voie de recours interne
déterminée ne cesse normalement d’être nécessaire, selon les principes
de droit international généralement reconnus, que si la partie
requérante réussit à établir que, dans les circonstances de l’espèce,
cette voie n’était pas vraisemblablement efficace et suffisante quant
au grief dont s’agit (décision de la Commission sur la recevabilité de
la requête no 299/57 du Gouvernement hellénique); que, de l’avis de la
Commission, le Gouvernement autrichien n’a développé à cet égard que
des arguments se situent sur le terrain de l’opportunité et, plus
précisément, de la tactique que les accusés avaient ou n’avaient pas
intérêt à adopter; qu’il n’a pas établi qu’une demande de renvoi pour
cause de suspicion légitime n’eût pas constitué, en l’occurrence, un
recours vraisemblablement efficace et suffisant;
Constate, dès lors, que l’épuisement des voies de recours internes ne
se trouve pas réalisé sous ce rapport, de sorte qu’il échet de rejeter
une partie de la requête par application de l’article 27 paragraphe 3
(art. 27-3) de la Convention;
En ce qui concerne le grief énoncé au paragraphe I – 1 des conclusions
finales du Gouvernement autrichien
Considérant que, par ce grief, le Gouvernement autrichien allègue la
violation de l’article 6 paragraphe 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention
du fait de la « non admission des témoins Johanna Ebner et Dr Kofler
comme négligeables sur un sujet que les tribunaux ont déclaré comme
essentiel et relevant à l’égard des témoins cités par l’accusation et
irrelevant à l’égard de ces témoins cités par la défense sur les mêmes
points »;
Considérant que, dans le troisième moyen de leur pourvoi en cassation,
les condamnés critiquaient la motivation « nettement contradictoire »
qui, d’après eux, conduisit la Cour de Trente à refuser, le 10 mars
1958, l’audition de Giovanna/Johanna Ebner et du Dr Kofler en qualité
de témoins lors de la descente sur les lieux, alors pourtant qu’elle
prescrivit celle de Calvia sur le même point, à savoir l’emplacement
du cadavre de Falqui; qu’ils faisaient valoir que Giovanna/Johanna
Ebner avait passé sur le pont qui enjambe le torrent au moment où le
corps gisait encore dans le lit de ce dernier et où un autre douanier
essayait de le relever; qu’ils ajoutaient que « ne fût-ce que du point
de vue pur et simple du droit à la défense …, le juge ne peut rejeter
les preuves proposées sur des circonstances matérielles précises
d’importance fondamentale »; qu’ils appuyaient leur thèse sur les
articles 415, 457, 475 paragraphe 3, 520 et 524 du Code de procédure
pénale, mais non pas sur l’article 24 paragraphe 2 de la Constitution,
aux termes duquel « la défense est un droit inviolable … »; que le
Gouvernement italien a néanmoins concédé que « l’on pourrait admettre,
à la rigueur, que l’argument a été soulevé en substance et que la Cour
de Cassation aurait dû le trancher »; qu’en revanche, le troisième moyen
du pourvoi ne mentionnait pas l’article 6 paragraphe 3 d)
(art. 6-3-d) de la Convention, dont les dispositions ne trouvent leur
équivalent exact dans aucun des cinq articles du Code de procédure
pénale énumérés ci-dessus; que la Cour de Cassation a rejeté ledit
moyen sur la base exclusive des concepts de libre conviction et de
pouvoir discrétionnaire du juge du fond;
Considérant qu’il appartient en principe à la législation nationale de
chaque Etat Contractant de créer les juridictions appropriées, d’en
délimiter la compétence (affaire du chemin de fer
Panevezys-Saldutiskis, C.P.J.I., Série A/B, no 76, page 19) et de fixer
les formes et délais que les justiciables doivent respecter pour y
accéder; que les articles 201 et 524 du Code de procédure pénale, tels
que les interprète le Gouvernement italien, obligent quiconque se
pourvoit en cassation à libeller ses moyens de manière spécifique, en
indiquant clairement les prescriptions juridiques dont il se prévaut;
que la Convention possède en Italie, depuis le 26 octobre 1955, la
valeur d’une loi interne ordinaire; que ses clauses figurant donc,
semble-t-il, parmi celles qu’il eût fallu, selon les articles 201 et
524 du Code de procédure pénale, invoquer expressément dans le pourvoi
en cassation;
Considérant cependant que, selon l’article 26 (art. 26) de la
Convention, c’est en fonction des principes de droit international
généralement reconnus que l’on doit déterminer si les recours internes
ont ou non été valablement épuisés; que l’on admet communément, à cet
égard, que seule la non-utilisation d’un recours « essentiel » pour
établir le bien-fondé de la cause devant les tribunaux internes
entraîne l’irrecevabilité de la réclamation internationale (sentence
arbitrale rendue le 6 mars 1956 en l’affaire Ambatielos); qu’en outre
la règle du « local redress » se borne à imposer l’usage « normal » des
recours « vraisemblablement efficaces et suffisants » (résolution adoptée
à Grenade, en 1956, par l’Institut de Droit International);
Considérant que le troisième moyen du pourvoi en cassation a soulevé
en substance le même problème que le grief dont s’agit, à savoir le
problème de l’égalité entre l’accusation, la partie civile et la
défense en matière d’audition des témoins; que l’article 6 paragraphe
3 d) (art. 6-3-d) de la Convention a précisément pour but d’assurer
cette égalité, ainsi qu’il ressort et de sa lettre (« … obtenir la
convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes
conditions que les témoins à charge ») et des travaux préparatoires
(document CM/WP IV (50) 19, pages 15 – 16: « Le but de ce paragraphe est
de placer l’inculpé, en matière d’audition de témoins, sur un pied
d’égalité avec le ministère public »); que s’ils l’avaient expressément
cité, les jeunes gens de Fundres/Pfunders n’auraient donc présenté
aucun moyen supplémentaire, mais avancé un simple argument de plus
coïncidant en pratique, par sa portée, avec ceux qu’ils tiraient du
Code de procédure pénale; qu’il n’existe par conséquent, selon toute
apparence, aucune raison de présumer que leur pourvoi aurait, de cette
manière, abouti à un résultat différent et plus favorable pour eux;
Constate, dès lors, que le grief énoncé au paragraphe I – 1 des
conclusions finales du Gouvernement autrichien ne peut être déclaré
irrecevable par application de l’article 27 paragraphe 3 (art. 27-3)
de la Convention;
En ce qui concerne le grief énoncé au par. I – 2 des conclusions
finales du Gouvernement autrichien
Considérant que, par ce grief, le Gouvernement autrichien allègue la
violation de l’article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) de la Convention « du
fait que les accusés ont été traités avant leur condamnation comme
meurtriers politiques et qualifiés comme tels ayant commis un meurtre
poussés par leur haine anti-italienne »;
Considérant que pour apprécier si les voies de recours internes ont été
épuisées à cet égard, il échet de se conformer aux principes rappelés
à propos du grief précédent;
Considérant que l’article 27 paragraphe 2 de la Constitution italienne
stipule que « l’accusé n’est pas considéré coupable jusqu’au moment de
sa condamnation définitive » et offre donc une nette analogie avec
l’article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) de la Convention, aux termes duquel
« toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à
ce que sa culpabilité ait été légalement établie »; que les intéressés
se sont bornés à mentionner le paragraphe 1er dudit article 27 (« la
responsabilité pénale est personnelle »), et ce dans le septième moyen
du pourvoi; que ce moyen ne traitait d’ailleurs pas des événements de
la nuit du 15 au 16 août 1956, mais de l’incident du 29 juin 1956, et
par conséquent, n’entre pas en ligne de compte pour les besoins de la
présente décision; que, d’autre part, le pourvoi ne contenait aucune
référence à l’article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) de la Convention;
Considérant toutefois que l’exposé des faits par lequel s’ouvrait le
pourvoi reprochait à la Cour de Trente d’avoir non seulement négligé
de se prononcer sur certains « éléments rassemblés au dossier (et
constituant) une base logique nécessaire pour une évaluation juridique
de tout le procès », mais émis également des « affirmations apodictiques »
et de « pures assertions sans l’ombre d’une preuve à l’appui » en
dépeignant les accusés, qui n’avaient jusque-là subi aucune
condamnation, comme des personnes « gonflées de haine anti-italienne »
et « assoiffées de vengeance contre les Italiens »; qu’il soulignait que,
selon la jurisprudence de la Cour de Cassation, « est nul le jugement
dont les motifs, au lieu de se fonder sur des faits positifs, reposent
sur des suppositions et des conjectures »; qu’en outre, le premier moyen
supplémentaire du pourvoi faisait valoir que la Cour de Trente avait
violé l’article 475 du Code de procédure pénale, faute d’avoir
« suffisamment motivé sa thèse en ce qui concernait l’argument de la
défense d’après lequel l’homicide avait eu lieu en dépassant les
intentions des auteurs (« preterintenzionalità »); qu’il contestait que
la Cour eût « prouvé de manière indéniable l’existence d’une volonté
meurtrière chez Luigi Ebner »; qu’il observait qu’entre les deux
hypothèses examinées par le juge du fond, celle de l’homicide
volontaire et celle du décès accidentel, il y avait place pour
l’hypothèse intermédiaire de l’homicide « préterintentionnel » que, de
l’avis de la défense, plusieurs circonstances de fait tendaient à
corroborer; qu’il exprimait l’opinion que la Cour de Trente aurait dû
écarter « l’absence d’intention (« preterintenzionalità ») … non pas
implicitement, mais explicitement », après l’avoir étudiée et en
motivant l’exclusion;
Considérant au surplus que pour justifier le rejet du premier moyen
supplémentaire, la Cour de Cassation d’Italie a commencé par rappeler
que son rôle « se borne à un contrôle de la légalité des décisions
portées à sa connaissance » et que, par suite, elle « ne peut procéder
à un nouvel examen de l’évaluation faite des preuves du procès, au
sujet desquelles elle peut seulement relever d’éventuels vices logiques
et juridiques »; qu’elle a estimé que la motivation adoptée par la Cour
de Trente ne recélait nul vice de ce genre et que les éléments retenus
dans l’arrêt entrepris suffisaient, « en l’occurrence …, pour
démontrer la volonté homicide de la part de Luigi Ebner »;
Considérant qu’il en résulte que le problème de la présomption
d’innocence, soulevé par le Gouvernement autrichien au paragraphe I –
2 de ses conclusions finales, a été soumis en substance à la Cour de
Cassation d’Italie; que, s’ils avaient expressément cité l’article 27
paragraphe 2 de la Constitution italienne et l’Article 6 paragraphe 2
(art. 6-2) de la Convention européenne, les jeunes gens de
Fundres/Pfunders n’auraient donc présenté aucun moyen supplémentaire,
mais avancé un simple argument de plus coïncidant en pratique, par sa
portée, avec ceux qu’ils ont effectivement développés; qu’il n’existe
par conséquent, selon toute apparence, aucune raison de présumer que
leur pourvoi aurait, de cette manière, abouti à un résultat différent
et plus favorable pour eux;
Constate, dès lors, que le grief en question ne peut être déclaré
irrecevable par application de l’article 27 paragraphe 3 (art. 27-3)
de la Convention;
En ce qui concerne le grief énoncé au paragraphe I – 3 b) des
conclusions finales du Gouvernement autrichien
Considérant que, par ce grief, le Gouvernement autrichien allègue la
violation de l’article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention du
fait de « la violation du droit codifié dans les alinéas 2 et 3 d) de
l’article 6 (art. 6-2, 6-3-d), l’alinéa 1 résumant dans son acception
générale les alinéas postérieurs »;
Constate que ce grief constitue un simple corollaire des deux griefs
précédents, de sorte qu’il ne peut, pas plus que ces derniers, être
déclaré irrecevable par application de l’article 27 paragraphe 3
(art. 27-3) de la Convention;
En ce qui concerne le grief énoncé au paragraphe I – 4 des conclusions
finales du Gouvernement autrichien
Considérant que, par ce grief, le Gouvernement autrichien allègue la
violation de l’article 14 (art. 14) de la Convention « parce que les
violations des droits de l’homme exposées » (dans les autres griefs)
naissaient sans doute du fait que les jeunes gens de Pfunders étaient
d’origine ethnique et linguistique (origine nationale) différente de
la majorité des citoyens de la République italienne »;
Constate, à la lumière des mémoires, plaidoiries et conclusions du
Gouvernement demandeur, que ledit grief se rattache très étroitement
aux griefs antérieurs et, partant, n’appelle pas de décision distincte
relativement aux articles 26 et 27 paragraphe 3 (art. 26, 27-3) de la
Convention;
III. Sur les autres questions de compétence et de recevabilité
Considérant que, dans ses observations écrites du 30 août 1960
(paragraphes 3 – 7) et ses observations écrites complémentaires du 3
décembre 1960 (paragraphes 1 – 2), le Gouvernement italien avait
soutenu que l’examen des griefs du Gouvernement autrichien ne relevait
pas de la compétence ratione materiae de la Commission; que les
arguments développés par lui en la matière précédaient même, dans ces
deux documents, ceux qui tendaient à faire déclarer la requête
irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes; que le
gouvernement défendeur commençait par rappeler qu’aux termes de
l’article 24 (art. 24) de la Convention, « toute Partie Contractante
peut saisir la Commission … de tout manquement aux dispositions de
la … Convention qu’elle croira pouvoir être imputé à une autre Partie
Contractante »; qu’il admettait que les chefs d’irrecevabilité visés à
l’article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention valent
exclusivement pour les requêtes introduites, en vertu de l’article 25
(art. 25), par une personne physique, une organisation non
gouvernementale ou un groupe de particuliers; qu’il déduisait cependant
dudit article 24 (art. 24) que les requêtes étatiques, même si elles
sont manifestement mal fondées ou abusives, doivent avoir pour objet
l’imputation d’un « manquement aux dispositions de la Convention » et
non, par exemple, aux normes d’un autre traité international, faute de
quoi la Commission n’aurait point compétence pour en connaître; qu’il
ajoutait que la Commission ne devait pas vérifier sa compétence à cet
égard in abstracto, sur la base d’un rappel général à une disposition
de la Convention et à l’affirmation d’une violation générale et vague
de celle-ci, mais bien in concreto, sur la base d’une imputation de
manquement aux droits spécifiquement prévus par la Convention;
qu’il incomberait donc à la Commission, sans aborder l’examen du fond,
de s’assurer que l’Etat demandeur déplore, avec ou sans fondement, un
acte ou une omission susceptible de constituer de manière immédiate une
violation de tel droit particulier et précis prévu par la Convention
et dans les limites où les Parties Contractantes ont voulu prévoir et
garantir ce droit; que le Gouvernement italien, analysant ensuite la
requête en fonction des principes ainsi définis, arrivait à la
conclusion qu’elle ne se rapportait en aucune manière aux droits de
l’homme, mais abondait en affirmations gratuites ou offensantes et
tentait en fait d’ériger la Commission en « quatrième instance »; qu’il
invitait la Commission, en conséquence, à constater son incompétence
absolue;
Considérant que, dans sa réponse du 26 octobre 1960 aux observations
écrites italiennes (paragraphes 1 et 2), sa plaidoirie du 7 janvier
1961 et ses conclusions finales du 9 janvier 1961 (paragraphes I – 1),
le Gouvernement autrichien a reproché au Gouvernement défendeur, en
ordre principal, d’assimiler la requête à une requête individuelle et
de discuter prématurément les faits et le fond de l’affaire; qu’il a
souligné que l’article 24 (art. 24) de la Convention habilite toute
Partie Contractante à saisir la Commission de tout manquement aux
dispositions de la Convention qu’elle « croira » pouvoir être imputé à
une autre Partie Contractante; qu’il a estimé avoir amplement démontré
qu’il croyait avec toute justification qu’un tel manquement pouvait
être imputé au Gouvernement italien; que le Gouvernement demandeur a
fait valoir, subsidiairement, que la Commission a compétence pour
examiner sinon toutes les erreurs de fait ou de droit éventuellement
commises par les tribunaux internes, du moins celles qui constituent
ou ont entraîné une violation des droits de l’homme ou qui, tout au
moins, laissent supposer pareille violation, ce qui serait le cas en
l’espèce; qu’il a souligné, en outre, qu’il indiquait clairement les
prescriptions dont il alléguait la méconnaissance, à savoir les
articles 6 paragraphe 3 d), 6 paragraphe 2, 6 paragraphe 1 et 14
(art. 6-1, 6-2, 6-3-d, 14) de la Convention; qu’il lui a paru peu
logique, de la part du Gouvernement italien, d’essayer d’obtenir une
décision d’irrecevabilité en contestant la matérialité des faits
dénoncés dans la requête; qu’à ses yeux, seul un examen au fond
permettrait de déterminer si la Convention avait ou non été respectée;
Considérant que la Commission a déjà dit et jugé, dans ses décisions
des 2 juin 1956 et 12 octobre 1957 sur la recevabilité des requêtes no
176/56 et 299/57 du Gouvernement hellénique contre le Gouvernement du
Royaume-Uni, que les dispositions de l’article 27 paragraphe 2
(art. 27-2) de la Convention se réfèrent uniquement aux requêtes
introduites par les particuliers en vertu de l’article 25 (art. 25) et
non point à celles émanant des gouvernements; qu’elle en a déduit, dans
la seconde de ces décisions, que lorsqu’elle examine la recevabilité
d’une requête étatique, elle n’a pas à rechercher si la Partie
Contractante demanderesse apporte un commencement de preuve de
l’exactitude de ses affirmations, pareille recherche touchant au fond
de l’affaire;
Considérant, au surplus, que les griefs formulés dans la requête ne
sortent pas du cadre général de la Convention;
Décide que le moyen d’incompétence ratione materiae analysé ci-dessus
doit être écarté, et constate que le Gouvernement italien ne l’a
d’ailleurs pas maintenu dans ses conclusions finales du 9 janvier 1961;
Considérant qu’aucun autre motif d’incompétence ou d’irrecevabilité n’a
pu être retenu d’office;
Par ces motifs, et tout moyen de fond étant réservé, constate qu’elle
a compétence pour examiner la recevabilité de la requête;
déclare la requête IRRECEVABLE, pour non-épuisement des voies de
recours internes, en ce qui concerne les griefs énoncés au paragraphe
I – 3 a) des conclusions finales du Gouvernement autrichien;
la déclare RECEVABLE et la retient quant aux autres griefs,
c’est-à-dire:
1. quant à la violation alléguée de l’article 6 paragraphe 3 d)
(art. 6-3-d) de la Convention (non-audition de Giovanna/Johanna Ebner
et du Dr Kofler en qualité de témoins, paragraphe I – 1 des conclusions
finales du Gouvernement autrichien);
2. quant à la violation alléguée de l’article 6 paragraphe 2 (art. 6-2)
de la Convention (atteinte prétendue à la présomption d’innocence,
paragraphe I – 2 des conclusions finales du Gouvernement autrichien);
3. quant à la violation de l’article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la
Convention qui résulterait de la violation alléguée de l’article 6
paragraphes 2 et 3 d) (art. 6-2, 6-3-d) (paragraphe I – 3 b) des
conclusions finales du Gouvernement autrichien);
4. quant à la violation alléguée de l’article 14 (art. 14) de la
Convention (paragraphe I – 4 des conclusions finales du Gouvernement
autrichien).