• Accueil
  • Manuels et thèses
    • La protection des droits fondamentaux en France, 2ème édition
    • Droit administratif français, 6ème édition
    • Contentieux administratif, 3ème édition
    • Science politique, 2ème édition
    • Droit public allemand
    • Le principe de séparation des pouvoirs en droit allemand
  • Chroniques
    • Archives
      • Matière pénale
      • Responsabilité médicale
      • Droit des affaires
      • Droit constitutionnel
      • Droit civil
      • Droit et culture populaire
    • Droit administratif français et comparé
    • Droit de l’Union
    • Droit public économique et contrats publics
    • Droit des libertés
    • Contentieux administratif
    • Informatique juridique
    • Droit public financier
  • Revues archivées
    • Bulletin juridique des collectivités locales
    • Droit 21
    • Jurisprudence Clef
    • Scientia Juris
  • Colloques
    • 5 mai 2021 : L’UE et ses Etats membres, entre identité et souveraineté
    • 17-18 octobre 2019 : La révision des lois bioéthiques
    • 12 avril 2019 : L’actualité des thèses en droit public comparé
    • 31 janvier 2019 : Autonomie locale et QPC
    • 12 et 13 avril 2018: Les algorithmes publics
    • 30 mars 2018 : L’open data, une évolution juridique ?
    • 8 février 2018 : La nouvelle doctrine du contrôle de proportionnalité : conférence-débat
    • 15 septembre 2017 : La réforme
    • 3 avril 2015 : La guerre des juges aura-t-elle lieu ?
    • 30 octobre 2014 : La dignité de la personne humaine : conférence-débat
    • 27 juin 2014 : Le crowdfunding
    • 11 octobre 2013 : La coopération transfrontalière
  • Rééditions
    • Léon Duguit
      • Les transformations du droit public
      • Souveraineté et liberté
    • Maurice Hauriou : note d’arrêts
    • Édouard Laferrière
    • Otto Mayer
  • Twitter

Revue générale du droit

  • Organes scientifiques de la revue
  • Charte éditoriale
  • Soumettre une publication
  • Mentions légales
You are here: Home / decisions / CEDH, 11 septembre 2009, Dubus contre France, req. n°5242/04

CEDH, 11 septembre 2009, Dubus contre France, req. n°5242/04

Citer : Revue générale du droit, 'CEDH, 11 septembre 2009, Dubus contre France, req. n°5242/04, ' : Revue générale du droit on line, 2009, numéro 56501 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=56501)


Imprimer




....

Décision citée par :
  • Christophe De Bernardinis, B. L’apport fondamental de la QPC : l’accroissement des garanties dans la protection des droits et libertés


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE DUBUS S.A. c. FRANCE

(Requête no 5242/04)

ARRÊT

STRASBOURG

11 juin 2009

DÉFINITIF

11/09/2009

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dubus S.A. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Rait Maruste,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mai 2009,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5242/04) dirigée contre la République française et dont la société Dubus S.A. (« la requérante ») a saisi la Cour le 29 janvier 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par Me A. Lyon-Caen, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante alléguait que la procédure disciplinaire engagée à son encontre par la Commission bancaire n’était pas conforme à l’article 6 § 1 de la Convention.

4.  Le 20 juin 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  La requérante est une entreprise d’investissement dont le siège se situe à Lille. Son activité consiste en la réception, la transmission et l’exécution d’ordres pour le compte de tiers et la négociation pour son propre compte.

6.  En 1997, elle fit l’objet d’un contrôle de la Commission bancaire diligenté par M. R., inspecteur de la Banque de France. Ce dernier mit en évidence un certain nombre d’améliorations à apporter à l’organisation administrative et comptable de l’établissement. Des réformes internes furent entreprises et firent l’objet d’un « audit » d’un commissaire aux comptes, lequel ne releva aucune anomalie.

7.   En 2000, la Commission bancaire diligenta une nouvelle inspection, qui fut à nouveau effectuée par M. R., entre le 21 février et le 10 mars.

8.  Par un courrier du 13 juillet 2000, le secrétariat général de la Commission bancaire adressa à la requérante un certain nombre de recommandations lui demandant de régulariser sa situation au regard des dispositions réglementaires relatives au capital minimum des prestataires d’investissement. Le courrier se terminait par ce paragraphe : « J’attire fermement votre attention sur la situation d’infraction réglementaire dans laquelle se trouve votre établissement, qui devra être régularisée avec toute la rigueur qui s’impose, et vous saurais gré de répondre dans les meilleurs délais à ce courrier ».

9.  Un projet de rapport d’inspection daté du 11 juillet 2000 lui fut envoyé par la même occasion afin qu’elle soit à même de discuter les griefs formulés à son encontre.

10.  Par une lettre du 28 août 2000, le président du conseil d’administration de la société requérante répondit aux différents griefs.

11.  Le 1er septembre 2000, M. R. déposa son rapport d’inspection définitif devant la Commission bancaire.

12.  Le 28 septembre 2000, sur le fondement du rapport d’inspection remis le 1er septembre 2000, la Commission bancaire décida d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de la requérante. Le procès‑verbal de la séance tient sur une page avec un en-tête ainsi libellé : « Commission bancaire, Secrétariat général, Service des études juridiques : « La Commission bancaire décide d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de Dubus S.A. ».

13.  Par une lettre du 24 novembre 2000, cette décision fut notifiée à la requérante. A cette occasion, la Commission bancaire, en la personne de son président, fit parvenir au président du conseil d’administration de la société requérante une lettre précisant les motifs d’ouverture de la procédure disciplinaire. S’appuyant sur le rapport de M. R., la Commission releva six motifs principaux, qui se lisent comme suit :

« (…) En premier lieu, au mois de février 2000 (…) DUBUS S.A. n’aurait pas pu avec les liquidités prévues par la réglementation faire face à un éventuel retrait des espèces de sa clientèle (…) en violation (…) de la décision générale no 91-05 du Conseil des Bourses de Valeurs et de l’instruction no 91-07 de la Société des Bourses Françaises. En second lieu, DUBUS S.A. aurait conclu un contrat « d’apport en quasi‑fonds propres » (…) avec DUBUS MANAGEMENT (…) [lequel] pourrait n’avoir été qu’un simple jeu d’écritures comptables. (…) En troisième lieu, DUBUS S.A. ne disposerait pas en pratique d’un second dirigeant responsable, ce qui constituerait une infraction aux dispositions de l’article 12 de la loi no 96-597 du 2 juillet 1996. (…) En quatrième lieu, les procédures de contrôle interne de DUBUS S.A. ne seraient pas conformes aux dispositions de l’article 6 du règlement no 97-04 du Comité de la réglementation bancaire et financière en date du 21 février 1997. (…) En cinquième lieu, il découlerait des analyses du Secrétariat général que les comptes arrêtés par DUBUS S.A. ne seraient pas réguliers et sincères et ne donneraient pas une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise, ce qui constituerait une infraction aux dispositions de l’article L. 123-14 du Code de commerce (…). En dernier lieu, le processus d’élaboration des états réglementaires de DUBUS S.A., notamment le calcul du ratio d’adéquation des fonds propres, serait défaillant (…) ce qui constituerait une infraction aux dispositions de l’instruction no 97-04 de la Commission bancaire relative aux documents qui lui sont destinés.

En conséquence, la Commission bancaire a décidé, compte tenu des éléments fournis par le Secrétariat général, d’ouvrir à l’encontre de la DUBUS S.A. une procédure disciplinaire pouvant conduire à l’application de l’une des sanctions prévues à l’article 45 de la loi no 84-46 du 24 janvier 1984 modifiée.

Conformément aux règles de procédure édictées par le décret pris pour l’application de la loi de 1984, vous avez la faculté de vous faire assister par un avocat et un représentant de l’association professionnelle à laquelle vous adhérez. (…) »

14.  Le même jour, par lettre séparée de son président, la Commission bancaire formula à l’encontre de la requérante deux autres griefs, cette fois au titre de sa fonction de contrôle prudentiel, relatifs à d’éventuelles écritures comptables erronées. Elle précisa qu’elle envisageait de faire application des dispositions de l’article L. 511-37 alinéa 2 du code monétaire et financier, sur le fondement duquel elle peut ordonner aux établissements contrôlés de procéder à des publications rectificatives dans le cas où des inexactitudes ou des omissions auraient été relevées dans la publication de leurs comptes annuels.

15.  Le 28 décembre 2000, la requérante déposa des observations en défense auprès du secrétariat général de la Commission bancaire afin de répondre aux six motifs d’ouverture de la procédure disciplinaire.

16.  Le 1er juin 2001, le secrétariat général de la Commission bancaire fit parvenir au président du conseil d’administration de la société requérante ses observations en réplique et l’invita à se présenter le 11 juillet suivant à l’audience de ladite Commission. La requérante fut également invitée à adresser d’éventuelles observations complémentaires avant le 26 juin 2001.

17.  Dans ses observations, DUBUS S.A. contesta la régularité de la procédure disciplinaire au regard de l’article 6 § 1 de la Convention, alléguant notamment un défaut d’impartialité du rapport d’inspection du 1er septembre 2000 et critiquant le cumul, par la Commission bancaire, des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement.

18.  Par une décision du 8 octobre 2001 notifiée par son secrétaire général, la Commission bancaire, en application de l’article L. 613-21 du code monétaire et financier, prononça un blâme à l’encontre de la société requérante. Cette décision fut notamment motivée comme suit :

« (…) Sur la régularité de la procédure :

Considérant que le rapport d’enquête en date du 1er septembre 2000 et l’ensemble des documents communiqués par DUBUS S.A. en réponse audit rapport a été versé au dossier de la procédure disciplinaire no 00-15 ; qu’aucune irrégularité dans l’établissement de ce rapport ne justifie qu’il soit écarté de la procédure alors même que l’établissement a pu valoir ses observations dans le respect des règles de droit à un procès équitable énoncées dans l’article 6 § 1 ; que le rapport d’enquête ne préjuge pas de la décision du collège de la Commission, lequel n’est pas tenu par les conclusions de l’Inspecteur ;

Considérant que la possibilité conférée à une juridiction ou à un organisme administratif qui, eu égard à sa nature, à sa composition et à ses attributions, peut être qualifié de tribunal au sens de l’article 6 – 1 de la CEDH de se saisir de son propre mouvement d’affaires, qui entrent dans le domaine de compétence qui lui est attribué, n’est pas en soi, contraire à l’exigence d’équité dans le procès énoncé par ledit article ;

Considérant que les observations en réponse du Secrétariat général de la Commission bancaire sont rédigées par ce dernier dans le cadre de l’instruction du dossier de la procédure disciplinaire ; que celles-ci sont portées à la connaissance de l’établissement, de sorte que celui-ci soit en mesure d’y répondre ; que ces observations ne préjugent pas de la décision du collège de la Commission, lequel n’est pas tenu par les conclusions de son Secrétariat général ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’aucune disposition législative et réglementaire n’a été méconnue et que les droits de la défense ont été respectés ; que, dès lors, la procédure n’a pas été entachée d’irrégularité ;

(…) Considérant (…) que bien qu’il y ait eu des régularisations formelles effectuées après l’inspection et que certaines soient toujours en cours, [les] infractions sont constituées (…) »

19.  Le 10 décembre 2001, la requérante forma un pourvoi devant le Conseil d’Etat contre cette décision. A l’appui de celui-ci, la requérante contesta d’abord le cumul, par la Commission bancaire, tant des pouvoirs réglementaires, exécutifs et juridictionnels que des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. A cet égard, la requérante souleva également l’illégalité de la saisine d’office de ladite Commission. Elle souligna que les réponses et les régularisations qu’elle avait apportées à certains griefs, dans le cadre du contrôle prudentiel, avaient été utilisées contre elle, dans le cadre du contrôle disciplinaire, sans qu’elle en soit informée au préalable. Elle se plaignit également, à cet égard, de ne pas avoir pu se faire assister, lors de la phase d’inspection, par un défenseur de son choix. Enfin, elle contesta le fait que M. R. fut chargé de l’inspection de deux enquêtes successives (en 1997 et 2000) la concernant.

20.  Par un arrêt du 30 juillet 2003, le Conseil d’Etat rejeta ce pourvoi, notamment aux motifs suivants :

« Sur le cumul, par la Commission bancaire, de fonctions administratives et d’un pouvoir de sanctions :

Considérant que l’attribution par la loi à une autorité administrative du pouvoir de fixer des règles dans un domaine déterminé et d’en assurer elle-même le respect, par l’exercice d’un pouvoir de contrôle des activités exercées et de sanction des manquements constatés, ne contrevient pas aux exigences rappelées par l’article 6 – 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que ce pouvoir de sanction est aménagé de telle façon que soient assurés le respect des droits de la défense, le caractère contradictoire de la procédure et l’impartialité de la décision ;

Considérant que si la Commission bancaire assure par son secrétariat général le contrôle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, les conditions dans lesquelles les services s’acquittent de cette fonction ne conduisent pas les membres du collège de la Commission à prendre parti sur les faits reprochés aux personnes qui font l’objet d’une procédure disciplinaire ; que, dès lors que la décision est prise, ainsi que le prévoit la loi, dans l’exercice d’un pouvoir juridictionnel, les membres de la Commission bancaire ne peuvent recevoir d’instruction de quiconque et portent sur l’affaire leur jugement en pleine indépendance ; qu’il suit de là que le moyen ne peut qu’être écarté ;

Sur la faculté donnée à la Commission bancaire de se saisir elle-même :

Considérant qu’il résulte de l’ensemble des dispositions du code monétaire et financier applicables à la Commission bancaire que celle-ci peut se saisir elle-même des faits de nature à constituer des manquements, par les établissements de crédit et les entreprises d’investissement, aux dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables ; qu’une telle possibilité conférée à une juridiction de se saisir de son propre mouvement d’affaires qui entrent dans le domaine de compétence qui lui est attribué n’est pas, en soi, contraire à l’exigence d’équité dans le procès rappelé par l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

(…)

En ce qui concerne l’exigence d’impartialité :

Considérant qu’aucun principe général du droit, non plus que les stipulations du premier paragraphe de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, n’impose la séparation des phases d’instruction et de jugement au sein d’un même procès ; que ni le secrétariat général, chargé des contrôles sur pièces et sur place sur instruction de la Commission, ni les personnes qui procèdent pour lui à ces contrôles, ne prennent part à la décision de la Commission relative à la sanction susceptible d’être infligée à l’entreprise contrôlée ; qu’ainsi la procédure suivie par la Commission n’est pas contraire à l’exigence d’impartialité rappelée au premier paragraphe de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne le respect des droits de la défense :

Considérant qu’à la suite des contrôles administratifs effectués sur le fonctionnement de la SOCIETE DUBUS S.A., la Commission bancaire (…) a fait savoir le 24 novembre 2000 à cette société qu’elle avait décidé d’engager une procédure disciplinaire à son encontre et l’a informée des faits qui lui étaient reprochés ; que la société a pu prendre connaissance de son dossier et faire valoir ses observations ; qu’elle a ensuite été entendue par la Commission au cours d’une séance publique où elle a pu se faire assister d’un avocat ; qu’il s’ensuit qu’à supposer même que la SOCIETE DUBUS S.A. n’ait pas bénéficié de l’ensemble des garanties des droits de la défense lors des contrôles administratifs qui ont précédé l’engagement de la procédure disciplinaire, la requérante n’est pas fondée à soutenir que le droit au procès équitable rappelé par le premier paragraphe de l’article 6 de la convention (…) aurait été méconnu ;

(…) Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE DUBUS S.A. n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision du 8 octobre 2001, qui est suffisamment motivée (…) »

21.  Par ailleurs, postérieurement à l’introduction de la requête devant la Cour, la Commission bancaire, par une décision du 17 février 2004, prononça à l’encontre de la requérante une sanction suite à l’ouverture d’une autre procédure disciplinaire, à savoir une limitation d’activité concernant les soldes débiteurs à vue des comptes de sa clientèle ainsi qu’une sanction pécuniaire de 50 000 euros (EUR). Par un arrêt du 25 juillet 2007, le Conseil d’Etat rejeta le recours annulation déposé par la requérante contre la décision du 17 février 2004.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Caractéristiques générales de la procédure devant la Commission bancaire

22.  La première loi bancaire, celle du 13 juin 1941, maintenue en 1944 à la Libération de la France, a été abrogée par la loi no 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, qui a profondément rénové le cadre juridique du système bancaire et qui a notamment institué la Commission bancaire. La loi du 24 janvier 1984 a été modifiée à plusieurs reprises. En particulier, la loi du 2 juillet 1996 sur la modernisation des activités financières a étendu le champ de compétence de la Commission bancaire aux entreprises d’investissement. Plus récemment, la loi du 25 juin 1999 relative à l’épargne et à la sécurité financière a renforcé ses pouvoirs. Depuis le 1er janvier 2001, les textes relatifs à la Commission bancaire sont intégrés aux articles L. 613-1 et suivants du code monétaire et financier (ci-après CMF), modifié par la loi de sécurité financière du 1er août 2003.

23.  Organe collégial présidé par le gouverneur de la Banque de France, la Commission bancaire est chargée de contrôler le respect par les établissements de crédit et par les entreprises d’investissement (hors sociétés de gestion de portefeuille) des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables et de sanctionner les manquements constatés. Elle veille également à la qualité de leur situation financière et au respect des règles de bonne conduite de la profession et sanctionne les manquements constatés (article L. 613-1).

24.  Les autres dispositions pertinentes du CMF se lisent ainsi :

Article L. 613-3

« La Commission bancaire comprend le gouverneur de la Banque de France ou son représentant, président, le directeur du Trésor ou son représentant le président de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles ou son représentant et quatre membres ou leurs suppléants nommés par arrêté du ministre chargé de l’économie pour une durée de cinq ans dont le mandat est renouvelable une fois :

1.  Un conseiller d’Etat proposé par le vice-président du Conseil d’Etat ;

2.  Un conseiller à la Cour de cassation proposé par le premier président de la Cour de cassation ;

3.  Deux membres choisis en raison de leur compétence en matière bancaire et financière. (…) »

Article L. 613-6

« Le secrétariat général de la Commission bancaire, sur instruction de la Commission bancaire, effectue des contrôles sur pièces et sur place. (…) »

Article L. 613-7

« La Banque de France met à la disposition du secrétariat général de la Commission bancaire, dans des conditions fixées par convention, des agents et moyens pour l’exercice des contrôles mentionnées à l’article précédent.

En outre, pour l’exercice de ses contrôles le secrétariat général de la Commission bancaire peut faire appel à toute personne compétente dans le cadre de conventions qu’il passe à cet effet. »

Article L. 613-15

« Lorsqu’un établissement de crédit a manqué aux règles de bonne conduite de la profession, la Commission bancaire, après avoir mis ses dirigeants en mesure de présenter leurs explications, peut leur adresser une mise en garde. »

Article L. 613-16

« La Commission bancaire peut adresser à un établissement de crédit et aux personnes mentionnées à l’article L. 613-2 une recommandation de prendre les mesures appropriées pour restaurer ou renforcer leur situation financière, améliorer leurs méthodes de gestion ou assurer l’adéquation de leur organisation à leurs activités ou à leurs objectifs de développement. L’établissement concerné est tenu de répondre dans un délai de deux mois en détaillant les mesures prises à la suite de cette recommandation.

La Commission bancaire peut, indépendamment des dispositions récentes à l’alinéa précédent, adresser à tout établissement de crédit, toute entreprise ou toute personne soumise à son contrôle en application de l’article L. 613-2 une injonction à l’effet notamment de prendre dans un délai déterminé toutes mesures destinées à restaurer ou renforcer sa situation financière, à améliorer ses méthodes de gestion ou à assurer l’adéquation de son organisation à ses activités ou à ses objectifs de développement. »

Article L. 613-21

« I.  Si un établissement de crédit, ou une des personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 613-2 a enfreint une disposition législative ou réglementaire afférente à son activité, n’a pas répondu à une recommandation ou n’a pas tenu compte d’une mise en garde ou encore n’a pas respecté les conditions particulières posées ou les engagements pris à l’occasion d’une demande d’agrément ou d’une autorisation ou dérogation prévue par les dispositions législatives ou réglementaires applicables aux (…) entreprises d’investissement, la Commission bancaire, sous réserve des compétences de l’Autorité des marchés financiers, peut prononcer l’une des sanctions disciplinaires suivantes :

1.  L’avertissement ; 2.  Le blâme ; 3.  L’interdiction d’effectuer certaines opérations et toutes autres limitations dans l’exercice de l’activité ; (…) 6.  La radiation (…) de l’entreprise d’investissement de la liste des (…) entreprises d’investissement [agréées] (…). Il en va de même s’il n’a pas été déféré à l’injonction prévue à l’article L. 613‑16.

En outre, la Commission bancaire peut prononcer, soit à la place, soit en sus de ces sanctions, une sanction pécuniaire au plus égale au capital minimum auquel est astreinte la personne morale sanctionnée. Les sommes correspondantes sont recouvrées par le Trésor public et versées au budget de l’Etat. (…) »

Article L. 613-23

« I.  Lorsque la Commission bancaire statue en application de l’article L. 613-21, elle est une juridiction administrative. (…) »

25.  Aux termes de l’article 9 du décret no 84-709 du 24 juillet 1984 pris en application de la loi no 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, lorsque la Commission bancaire estime qu’il y a lieu de faire application des sanctions, elle porte à la connaissance de l’établissement de crédit ou de l’entreprise d’investissement concerné, par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au représentant légal de l’établissement ou de l’entreprise ou par tout autre moyen permettant de s’assurer de sa réception par ledit représentant, les faits qui lui sont reprochés. Elle informe également le représentant de l’établissement ou de l’entreprise qu’il peut prendre communication, au secrétariat général de la Commission, des pièces tendant à établir les infractions constatées. Par ailleurs, aux termes de l’article 10 du même décret, le représentant de l’établissement de crédit ou de l’entreprise d’investissement doit adresser ses observations au président de la Commission bancaire dans un délai fixé par la lettre susvisée. Ce délai ne peut être inférieur à huit jours. Le représentant de l’établissement ou de l’entreprise est convoqué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre moyen permettant de s’assurer de sa réception par ledit représentant pour être entendu par la Commission bancaire. Cette convocation doit lui parvenir huit jours au moins avant la date de la réunion de la Commission. Il peut se faire assister par un avocat et un représentant de l’organe central auquel l’établissement ou l’entreprise est affilié ou de l’association professionnelle à laquelle il adhère.

B.  La jurisprudence pertinente

26.  Selon le Conseil d’Etat, les sanctions prononcées par la Commission bancaire ont le caractère de décisions juridictionnelles. Lorsqu’elle prononce des sanctions, la Commission bancaire doit être regardée comme décidant du bien-fondé « d’accusations en matière pénale » au sens des stipulations de l’article 6 § 1 de la Convention. Ceci impose le respect par la Commission bancaire, du principe de publicité des audiences, lequel implique que le jugement soit rendu publiquement (CE, 29 novembre 1999, no 194721, Société Rivoli Exchange).

27.  La haute juridiction a par ailleurs jugé, s’agissant de l’acte de saisine de la Commission, « que la possibilité conférée à une juridiction ou à un organisme administratif qui, eu égard à sa nature, à sa composition et à ses attributions, peut être qualifié de tribunal au sens de l’article 6 § 1, de se saisir de son propre mouvement d’affaires qui entrent dans le domaine de compétence qui lui est attribué n’est pas, en soi, contraire à l’exigence d’équité dans le procès énoncée par ces stipulations ». Toutefois, elle a précisé que « ce tribunal doit être impartial ; que cette exigence s’apprécie objectivement ; qu’il en résulte que si l’acte par lequel un tribunal statuant en matière disciplinaire décide de se saisir de certains faits, doit ‑ afin que la ou les personnes mises en cause puissent utilement présenter leurs observations ‑ faire apparaître avec précision ces faits ainsi que, le cas échéant, la qualification qu’ils pourraient éventuellement recevoir au regard des lois et règlements que ce tribunal est chargé d’appliquer, la lecture de cet acte ne saurait, sous peine d’irrégularité de la décision à rendre, donner à penser que les faits visés sont d’ores et déjà établis ou que leur caractère répréhensible au regard des règles ou principes à appliquer est d’ores et déjà reconnu ». Elle a conclu que la Commission bancaire a méconnu la règle d’impartialité en présentant pour établis les faits dont elle faisait état et en prenant parti sur leur qualification d’infractions à différentes dispositions législatives et réglementaires (CE, 20 octobre 2000, no 180122, Société Habib Bank limited).

28.  La Conseil d’Etat a en outre jugé « qu’il appartient aux services de la Commission bancaire de mettre en état les dossiers sur lesquels elle a à se prononcer ; que, dans ce but, le secrétaire général de la Commission doit faire en sorte que la procédure soit pleinement contradictoire et que, par conséquent, tous les éléments figurant dans la lettre d’ouverture de la procédure disciplinaire aient été complètement discutés ; qu’il en résulte que le secrétaire général de la Commission bancaire peut, après que la banque mise en cause a fait valoir ses observations sur les raisons de l’ouverture à son encontre d’une procédure disciplinaire, formuler ses propres observations auxquelles la banque peut répliquer ; que cette manière de procéder, loin d’entacher d’irrégularité la décision à intervenir de la Commission, a pour effet d’assurer l’équité de la procédure suivie devant elle ; que, par ailleurs, il n’est pas contesté qu’aucun membre du secrétariat général n’a pris part à la décision attaquée» (CE, no 247985, Banque de l’Ile-de-France, 3 décembre 2003). Toujours sur le principe du contradictoire, le Conseil d’Etat a estimé que les formes à suivre à partir de la délibération qui décide les poursuites sont celles d’une procédure juridictionnelle ; que celle-ci implique, en particulier, que la Commission bancaire ne se fonde, pour décider des suites à y donner, que sur des éléments débattus contradictoirement et donc, dans tous les cas, portés à la connaissance de la personne poursuivie ; qu’il en résulte que, s’il appartient au secrétariat général de la Commission, qui a assuré les contrôles qui ont mis en évidence les faits à l’origine des poursuites, de faire valoir devant le collège des membres de la Commission des observations à la suite de celles qui ont été produites par la personne mise en cause et de poursuivre ainsi un débat contradictoire qui assure la pleine information de la Commission, celle-ci ne peut, sous peine d’entacher d’irrégularité la décision à prendre, se fonder sur des éléments écrits fournis par le secrétariat général qui n’auraient pas été communiqués à la personne poursuivie ou sur des observations orales faites par celui-ci en dehors du cadre de l’audience disciplinaire à laquelle la personne poursuivie a été convoquée » (CE, no 238169, banque d’escompte et Wormser frères réunis, 30 juillet 2003).

29.  Enfin, le Conseil d’Etat a décidé que « si l’acte par lequel la Commission bancaire décide de se saisir de son propre mouvement de certaines affaires n’est pas détachable de la procédure juridictionnelle suivie devant elle et si les formes à respecter à compter de cet acte sont celles d’une procédure juridictionnelle, la décision par laquelle la Commission bancaire décide d’ouvrir une procédure disciplinaire n’a pas le caractère d’une décision juridictionnelle ; que, par suite, en estimant que la présence du secrétariat général de la Commission bancaire lors de la séance au cours de laquelle elle a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire (…) n’entachait pas d’irrégularité la procédure, la Commission n’a pas commis d’erreur de droit ; »(Conseil d’Etat, 7 juillet 2004, no 225937, Guy L.).

C.  Autres informations pertinentes

30.  La disposition prévoyant le recours en rectification d’erreur matérielle devant le Conseil d’Etat est libellée comme suit dans la partie réglementaire du code de justice administrative :

Article R 833-1

« Lorsqu’une décision d’une cour administrative d’appel ou du Conseil d’Etat est entachée d’une erreur matérielle susceptible d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire, la partie intéressée peut introduire devant la juridiction qui a rendu la décision un recours en rectification.

Ce recours doit être présenté dans les mêmes formes que celles dans lesquelles devait être introduite la requête initiale. Il doit être introduit dans un délai de deux mois qui court du jour de la notification ou de la signification de la décision dont la rectification est demandée (…) »

31.  A propos d’une demande de rectification d’erreur matérielle, le Conseil d’Etat a considéré « qu’il ressort des termes (…) à l’appui de son pourvoi dirigé contre l’arrêt du 11 juillet 1997 de la cour administrative d’appel de Paris, que ce groupement avait invoqué de manière distincte des autres moyens un moyen tiré de l’insuffisance de motivation de cet arrêt ; que ce moyen a d’ailleurs été visé par la décision attaquée ; qu’en omettant d’y répondre le Conseil d’Etat a entaché sa décision d’une erreur matérielle (…) que, dès lors, l’actuelle requête en rectification (…)est recevable et qu’il y a lieu de statuer à nouveau sur son pourvoi ; » (CE, no 210988, Groupement d’intérêt économique du groupe Victoire, 29 mars 2000).

EN DROIT

32.  La requérante dénonce plusieurs violations de l’article 6 § 1 de la Convention relative à la procédure s’étant terminée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 juillet 2003, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (…), par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

I.  SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

A.  Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention

33.  Le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 6 de la Convention. Il estime que la sanction du blâme prononcée à l’encontre de la requérante n’entraîne aucune conséquence patrimoniale et ne saurait donc entrer dans la notion de « droits et obligations de caractère civil ». Par ailleurs, si la Cour a pu interpréter le contentieux disciplinaire comme relevant de la notion « d’accusation en matière pénale », cette jurisprudence semble, aux yeux du Gouvernement, être limitée aux hypothèses de mesures privatives de liberté ou de sanctions pécuniaires punitives.

34.  La requérante conteste cette appréciation. D’une part, le blâme a entraîné des conséquences financières importantes en portant atteinte au crédit que les différents intervenants placent dans la société sanctionnée, renforcé par la publicité de la sanction. D’autre part, eu égard à la nature des sanctions que peut infliger la Commission bancaire, celle-ci doit être regardée comme statuant sur des « accusations en matière pénale ». L’applicabilité de l’article 6 § 1 se juge en fonction des sanctions susceptibles d’être prononcées par l’autorité agissant en matière de poursuites. La requérante fait valoir que la Commission bancaire avait la possibilité de lui infliger, pour les infractions qui lui étaient reprochées, une peine d’amende dont le montant pouvait être très élevé et que cette sanction est caractéristique de la matière pénale. Elle rappelle également que les sanctions disciplinaires vont jusqu’à la radiation de la liste des établissements autorisés à exercer en France, ce qui signifie la peine capitale pour une personne morale.

35.  A titre liminaire, la Cour observe que selon le Conseil d’Etat lui‑même, l’article 6 § 1 de la Convention est applicable à la procédure disciplinaire devant la Commission bancaire sous son angle pénal (paragraphe 26 ci-dessus). La Cour rappelle également qu’à propos d’autres autorités administratives françaises compétentes en droit économique et financier et disposant de pouvoirs de sanctions, elle a jugé que la disposition conventionnelle s’appliquait : à propos du Conseil de la concurrence d’une part (Lilly c. France (déc.), no 53892/00, 3 décembre 2002) et du Conseil des marchés financiers d’autre part (Didier c. France (déc.), no 58188/00, 27 août 2002).

36.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’existence ou non d’une « accusation en matière pénale » doit s’apprécier sur la base de trois critères, que l’on désigne couramment sous le nom de « critères Engel » (Engel et autres c. Pays‑Bas, 8 juin 1976, série A no 22). Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale (voir, en dernier lieu, Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], no 14939/03, § 53, 10 février 2009).

37.  La Cour observe que la requérante s’est vue infliger un blâme, sanction de nature administrative en droit interne. Toutefois, la lecture de l’article L. 613-21 du CMF (paragraphe 24 ci-dessus) démontre que la société requérante pouvait encourir une radiation et/ou une sanction pécuniaire « au plus égale au capital minimum auquel est astreinte la personne morale sanctionnée ». De telles sanctions entraînent des conséquences financières importantes, et partant, peuvent être qualifiées de sanctions pénales, (mutatis mutandis, Guisset c. France, no 33933/96, § 59, CEDH 2000‑IX). En effet, la Cour rappelle que la coloration pénale d’une instance est subordonnée au degré de gravité de la sanction dont est a priori passible la personne concernée (Engel et autres précité, § 82) et non à la gravité de la sanction finalement infligée. Elle constate également, à l’instar de la requérante, que le blâme qui a été prononcé était de nature à porter atteinte au crédit de la société sanctionnée entrainant pour elle des conséquences patrimoniales incontestables.

38.  La Cour est d’avis que la Commission bancaire, lorsqu’elle a infligé à la requérante la sanction du blâme, devait être regardée comme un « tribunal » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir en ce sens l’arrêt Sramek c. Autriche, 22 octobre 1984, § 36, série A no 84, et la jurisprudence abondante qui a suivi). Par ailleurs, il résulte des paragraphes précédents que cette sanction, dans les circonstances de l’espèce, avait une « coloration pénale ». Ainsi, la Commission bancaire a statué en tant que « tribunal » et sur le « bien-fondé d’une accusation en matière pénale », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Partant, l’exception d’incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

B.  Sur l’épuisement des voies de recours internes

39.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes quant au grief tiré du défaut de motivation du Conseil d’Etat. Il indique à cet égard qu’en cas de prétérition de moyens, la requérante avait la possibilité d’intenter un recours en rectification d’erreur matérielle (CE, 29 mars 2000, GIE Groupe Victoire, voir paragraphe 31 ci-dessus).

40.  La requérante estime que l’absence de réponse du Conseil d’Etat à ses arguments ne résulte pas d’un oubli de sa part, mais que cette juridiction s’est volontairement dispensée de procéder à une analyse juridique. Dès lors, le recours en rectification d’erreur matérielle, qui ne peut concerner que des erreurs involontaires, n’était pas un recours à épuiser en l’espèce.

41.  La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées. La Cour rappelle cependant que les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, notamment, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 75, CEDH 1999-V).

42.  La Cour observe que le recours en rectification d’erreur matérielle, prévu par l’article R 833-1 du code de justice administrative, vise à redresser les inexactitudes et erreurs commises par le juge. Si le défaut de réponse à un moyen peut être soulevé dans le cadre d’un tel recours, il doit être, comme le précise l’arrêt visé par le Gouvernement, invoqué « de manière distincte », c’est-à-dire semble-t-il, de manière indépendante de toute appréciation juridique. Or, force est de constater que la requérante se plaint de ce que l’absence de motivation de l’arrêt du Conseil d’Etat résulte du raisonnement juridique adopté par la haute juridiction et non d’une simple erreur matérielle. Il apparaît donc qu’un recours en rectification d’erreur matérielle n’était pas de nature à remédier à la violation alléguée de la Convention par la requérante.

43.  Il convient en conséquence de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

44.  La Cour constate en outre que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient en conséquence de la déclarer recevable.

II.  SUR LE FOND

A.  Sur la procédure devant la Commission bancaire

1.  Sur le grief tiré du manque d’impartialité et d’indépendance

a)  Thèses des parties

45.  La requérante dénonce une violation, devant la Commission bancaire, de son droit à voir sa cause entendue « par un tribunal indépendant et impartial » au sens de l’article 6 § 1. Elle expose que la Commission bancaire statue, dans le cadre de sa fonction disciplinaire, sans l’impartialité objective requise par la disposition conventionnelle. Outre son pouvoir réglementaire, elle critique la confusion des pouvoirs et des fonctions de cette autorité ‑ administratives et juridictionnelles ‑ incompatible avec l’exigence d’impartialité. Expressément qualifiée de « juridiction », elle a le pouvoir de se saisir elle-même des affaires entrant dans son champ de compétence, faculté qui est généralement incompatible avec le caractère juridictionnel d’une autorité. Se saisissant, elle occupe nécessairement les fonctions de l’autorité poursuivante, puis elle instruit et tranche le même litige. Elle est donc juge et partie.

46.  Pour étayer cette confusion des fonctions de mise en accusation, d’instruction et de jugement, la requérante fait valoir que c’est le même organe collégial qui décide de la mise en accusation, de la notification des griefs, qui dispose du pouvoir d’enquête, de recommandation, d’injonction et finalement du pouvoir de sanction. En l’occurrence, il s’agit du secrétariat général qui « agit sur instruction de la Commission bancaire » (article L. 613-6 du CMF). Pourtant, aucune norme juridique n’investit le secrétariat de la fonction de mise en accusation. La lecture de l’article L. 613-6 démontre qu’il existe un lien de subordination entre le secrétariat général et la Commission bancaire. C’est le même secrétariat qui prononce des injonctions et des mises en garde lors du contrôle administratif, et qui réplique par un mémoire dans le cadre de la procédure juridictionnelle. C’est aussi ce secrétariat qui ferait office de rapporteur dans les procédures juridictionnelles. Rien n’indique que le secrétaire général ne participe pas au délibéré de la Commission bancaire. Bref, la requérante dénie une quelconque distinction organique entre le collège de la Commission bancaire et le secrétariat général.

47.  Selon la requérante, l’exercice simultané des fonctions de contrôle prudentiel et des fonctions disciplinaires conduit la Commission bancaire à préjuger de l’issue du litige qui lui est soumis. A son égard, ces deux fonctions ont été mises en œuvre concomitamment comme l’attestent les deux lettres du 24 novembre 2000 qui portent en partie sur les mêmes infractions. Or, la Commission bancaire ne peut à la fois estimer qu’un établissement a manqué aux règles de bonne conduite et ne pas préjuger d’un procès portant sur le même objet. L’emploi du conditionnel dans la notification des griefs ne suffit pas à parer l’impression de « préjugé » avec laquelle la procédure disciplinaire commence et ce, de surcroît, dans le cadre d’un pouvoir d’autosaisine.

48.  La requérante ajoute que le mode de désignation ne confère aucune indépendance au secrétariat général. Le secrétaire général est désigné par le ministre de l’Economie, sur proposition du gouverneur de la Banque de France, président de la Commission bancaire. Les moyens d’action du secrétariat général sont également mis à disposition par la Banque de France et le personnel de ce secrétariat est placé sous l’autorité hiérarchique du président de la Commission.

49.  Enfin, la requérante rappelle que les recours contre les décisions de la Commission bancaire sont portés devant le Conseil d’Etat et qu’il ne s’agit donc pas d’un recours de pleine juridiction puisque le juge de cassation ne saurait connaître que des arguments de droit et non de fait.

50.  Le Gouvernement relève que le grief de la requérante vise essentiellement le cumul des fonctions de contrôle et de sanction au sein de la Commission bancaire. A cet égard, il fait valoir, en se fondant sur l’arrêt Piersack c. Belgique (arrêt du 1er octobre 1982, série A no 53), que ce cumul n’est pas contraire à l’exigence d’impartialité dans la mesure où il existe une séparation organique au sein même de la Commission qui a pour effet de conférer à la procédure disciplinaire une autonomie effective par rapport au contrôle administratif. Cette séparation empêcherait toute interférence entre la tâche de contrôle, dévolue au secrétariat général, et les décisions relatives à la procédure disciplinaire : le secrétariat général ne participe pas à la décision sur le bien-fondé des accusations et, au surplus, pour les contrôles sur place, il a recours à des chefs de mission entièrement autonomes dans l’exercice de leurs travaux et de la rédaction de leur rapport.

51.  Le Gouvernement fait également observer que les décisions de la Commission bancaire en matière disciplinaire n’interviennent qu’après le déroulement complet d’une procédure contradictoire (contradictoire écrit et oral, assistance possible d’un avocat). Ainsi, lorsque le secrétariat général produit un mémoire en réplique aux observations en défense de la requérante, il a au préalable été communiqué à celle-ci et ne lie pas la Commission bancaire dans ses fonctions disciplinaires. Dans ces conditions, le seul fait que la Commission bancaire dispose du pouvoir de se saisir elle-même, comme bon nombre d’autorités similaires dans les autres pays européens, à partir du résultat des contrôles effectués par le secrétaire général pour initier une procédure, ne viole pas l’exigence d’impartialité objective visée à l’article 6 de la Convention. Le Gouvernement précise que dans la pratique, le secrétaire général quitte la salle après l’audition et la Commission bancaire délibère en la seule présence de ses membres.

52.  Le Gouvernement ne conteste pas que la Commission se fonde pour la notification des griefs sur les faits et observations rapportés par le secrétariat général, rapport à l’élaboration duquel aucun de ses membres n’a pris part. Si elle les reprend au conditionnel, respectant la jurisprudence du Conseil d’Etat, c’est pour mettre en mesure l’entreprise de se défendre efficacement. En l’espèce, le simple fait que le résultat des investigations menées par le secrétariat général ait été communiqué à la requérante le 13 juillet 2000 pour recueillir ses observations ne saurait préjuger de l’ouverture ultérieure de poursuites disciplinaires ; la lettre a été adressée par le directeur du contrôle au secrétariat général, dans le cadre de sa mission de contrôle permanent, pour faire part à l’établissement des observations qu’appelaient de sa part les documents qui lui étaient parvenus. Elle n’a donc pas fait l’objet d’une communication ni examen préalable ni a fortiori d’une instruction par un membre de la Commission bancaire appelé à statuer sur le bien-fondé des griefs. Il n’y a donc pas pré jugement. De même, la notification, par courrier du 24 novembre 2000, de l’ouverture d’une procédure administrative concomitante à la procédure disciplinaire, mais portant sur des faits différents, n’est pas de nature à porter atteinte à l’impartialité de la Commission bancaire en raison de la séparation, en pratique, des fonctions du collège de la Commission bancaire et de son secrétariat général.

b)  Appréciation de la Cour

53.  La Cour rappelle qu’aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objective amenant à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, entre autres, Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 46, série A no 154 et De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 24, série A no 86). Quant à la première, la requérante ne l’a pas soulevée devant la Cour. Au demeurant, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à la preuve du contraire, non fournie en l’espèce. Reste donc l’appréciation objective qui consiste à se demander si indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus (Didier, précité).

54.  Elle rappelle également que les notions d’indépendance et d’impartialité objective sont étroitement liées (Kleyn et autres c. Pays-Bas ([GC], nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 192, CEDH 2003‑VI).

55.  La Cour observe que la Commission bancaire exerce deux types de fonctions. La première est une fonction de contrôle, englobant un contrôle administratif et un pouvoir d’injonction, prévu par les articles L. 613-6, L. 613-15 et L. 613-16 du CMF selon lesquels « Le secrétariat général de la Commission bancaire, sur instruction de la Commission bancaire, effectue des contrôles sur pièces et place » et la Commission bancaire peut adresser une mise en garde, une recommandation ou une injonction. La seconde est disciplinaire et la Commission bancaire exerce son pouvoir de sanction en agissant à ce titre comme une « juridiction administrative ».

56.  La Cour relève d’emblée l’imprécision des textes qui régissent la procédure devant la Commission bancaire, quant à la composition et aux prérogatives des organes appelés à exercer les différentes fonctions qui lui sont dévolues.

57.  En particulier, il ne ressort pas du CMF, ni d’un éventuel règlement intérieur, de distinction claire entre les fonctions de poursuite, d’instruction et de sanction dans l’exercice du pouvoir juridictionnel de la Commission bancaire. Or, si le cumul des fonctions d’instruction et de jugement peut être compatible avec le respect de l’impartialité garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, comme la Cour l’a jugé dans le cadre d’une procédure disciplinaire devant le Conseil des marchés financiers, autorité administrative indépendante similaire à la Commission bancaire, où était en cause la participation du rapporteur au délibéré du jugement (Didier, précité), ce cumul est subordonné à la nature et l’étendue des tâches du rapporteur durant la phase d’instruction, et notamment à l’absence d’accomplissement d’acte d’accusation de sa part. La Cour a rappelé à cette occasion que « le simple fait, pour un juge, d’avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est l’étendue des mesures adoptées par le juge avant le procès ».

58. La Cour doit donc rechercher si la Commission bancaire a pu décider de la sanction disciplinaire sans « préjugement », compte tenu des actes accomplis par elle au cours de la procédure.

59.  Pour ce faire, la Cour rappellera brièvement le déroulement de la procédure disciplinaire en l’espèce. La décision de poursuivre et d’ouvrir une procédure à l’encontre de la requérante fut prise par procès-verbal du 28 septembre 2000 par le secrétaire général et la Commission bancaire tandis que la notification des griefs à son égard incomba à la Commission en la personne de son président le 24 novembre 2000 (paragraphes 12 et 13 ci-dessus). Quant à l’instruction de l’affaire, la Cour constate qu’elle n’est pas dévolue à une personne précise. La Commission s’est référée notamment au rapport d’inspection déposé par l’inspecteur R. et aux « analyses du secrétariat général » (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Au cours de la procédure juridictionnelle, le secrétariat général déposa un mémoire en réplique en réponse aux observations de la requérante (paragraphe 15 ci-dessus). Enfin, la décision de sanction fut prise par le président de la Commission bancaire et cinq membres de celle-ci après une audience publique et un délibéré. Le secrétaire général notifia à la requérante la sanction prononcée par la Commission (paragraphe 18 ci‑dessus).

60.  De cet enchaînement d’actes pris au cours de la procédure juridictionnelle, il résulte, de l’avis de la Cour, que la société requérante pouvait raisonnablement avoir l’impression que ce sont les mêmes personnes qui l’ont poursuivie et jugée. En témoigne particulièrement la phase d’ouverture de la procédure disciplinaire et de la notification des griefs où la confusion des rôlesconforte ladite impression (paragraphes 12 et 13 ci-dessus). La requérante a pu nourrir des doutes sur la prise de décision par la Commission bancaire dès lors que celle-ci décida de la mise en accusation, formula les griefs à son encontre et finalement la sanctionna. La Cour s’accorde avec l’analyse du Conseil d’Etat, qui n’a pas remis en cause la faculté d’autosaisine de la Commission bancaire, mais qui l’a subordonnée au respect du principe d’impartialité (paragraphe 27 ci-dessus), mais elle croit nécessaire d’encadrer plus précisément le pouvoir de se saisir d’office de manière à ce que soit effacée l’impression que la culpabilité de la requérante a été établie dès le stade de l’ouverture de la procédure.

A cela, il faut ajouter que le rôle du secrétaire général accentue la confusion soulignée ci-dessus, même s’il n’apparaît pas être intervenu dans la prise de décision de la sanction (voir, en sens inverse, paragraphe 28 ci‑dessus, CE no 238169). En effet, aux termes de l’article L. 613-6 du CMF, le secrétariat général effectue les contrôles sur instruction de la Commission bancaire, et la procédure disciplinaire est précisément engagée au vu des irrégularités constatées dans le cadre du contrôle administratif ; le secrétariat général, par son secrétaire, intervient ensuite dans la procédure juridictionnelle en adressant des observations en réponse aux écritures de la partie poursuivie. Enfin, c’est bien au nom de la Commission bancaire qui, au final prononcera la sanction, que l’inspection a été diligentée.

61.  En résumé, la Cour n’est pas convaincue par l’affirmation du Gouvernement sur l’existence d’une séparation organique au sein de la Commission bancaire. Elle estime que la requérante pouvait nourrir des doutes objectivement fondés quant à l’indépendance et l’impartialité de la Commission du fait de l’absence de distinction claire entre ses différentes fonctions.

62.  Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

2.  Sur le grief tiré de la rupture de l’égalité des armes

63.  La requérante se plaint d’une rupture de l’égalité des armes dans le procès entre le secrétariat général, qui peut délivrer des mises en garde et des recommandations, et les personnes poursuivies. Il y aurait également rupture de l’égalité des armes dès lors que l’infraction serait établie à la date du rapport des inspecteurs de la Banque de France, c’est-à-dire lors du contrôle administratif de la Commission bancaire, et que la personne poursuivie ne serait en mesure de demander l’assistance d’un avocat qu’après l’ouverture officielle de la procédure disciplinaire, c’est-à-dire lors de la communication des griefs. Enfin, le secrétariat général dispose du pouvoir de nommer deux fois le même inspecteur, tandis que la personne poursuivie n’a pas le droit de se voir nommer un contre-expert dans le cadre de la procédure juridictionnelle. De même, la requérante estime que la désignation d’un inspecteur qui avait déjà été à l’origine d’une première procédure disciplinaire dénote la volonté de transformer un expert indépendant et impartial en témoin à charge.

64.  La Cour relève que la plus grande partie du grief a trait en définitive à la confusion des rôles au sein de la Commission bancaire dénoncée par la requérante dans le grief précédent. En tout état de cause, eu égard au constat de violation du droit de la requérante à voir sa cause entendue par un tribunal impartial auquel elle parvient, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner au fond le présent grief (mutatis mutandis, Güler et Calişkan c. Turquie, no 52746/99, § 23, 21 décembre 2006).

B.  Sur la procédure devant le Conseil d’Etat

65.  La requérante se plaint également de ce que sa cause n’a pas été entendue équitablement, faute pour le Conseil d’Etat d’avoir répondu à des moyens déterminants pour l’issue du litige : celui de la faculté donnée à la Commission de se saisir d’office sur le seul fondement d’un texte réglementaire et celui de la nomination, à deux reprises, du même inspecteur. S’agissant du premier, elle précise que l’article L. 613-21 ne prévoit pas expressément que la Commission peut se saisir d’office. De même, de longs développements étaient consacrés au principe général du droit français selon lequel une juridiction ne peut, en principe, se saisir elle‑même d’affaires entrant dans le champ de ses compétences mais aussi et surtout à l’article 34 de la Constitution qui réserve à la loi le pouvoir de fixer les règles concernant « la procédure pénale et les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

66.  Sur ces points, le Gouvernement signale que le juge administratif n’est en droit français tenu de répondre qu’aux moyens présentant un caractère opérant. Il soutient en outre qu’il a été répondu à l’argumentation de la requérante sur les deux points litigieux. S’agissant du premier point, le Conseil d’Etat a justifié la légalité du pouvoir d’autosaisine par une référence à « l’ensemble des dispositions du code monétaire et financier ». Concernant le moyen tiré de l’atteinte à l’exigence d’impartialité, il a considéré que la dualité organique de la Commission bancaire y faisait obstacle.

67.  Par ailleurs, la requérante soutient que dans une procédure disciplinaire comme celle de l’espèce, le Conseil d’Etat ne peut pas apprécier la proportionnalité d’une sanction au regard de l’infraction commise. La requérante estime que cette absence de double degré de juridiction méconnaît l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention et qu’elle nécessite que la Commission bancaire, seul juge du fond, respecte toutes les garanties offertes par l’article 6.

68.  Le Gouvernement fait valoir que le défendeur disposait d’un recours auprès d’une juridiction supérieure conforme aux dispositions du Protocole no 7 qui a effectivement conduit à assurer le contrôle de la conformité de la décision de sanction aux dispositions de la Convention.

69.  Quant à la motivation du Conseil d’Etat, la Cour a rappelé dans l’arrêt Wagner c. Luxembourg (no 6240/01, 28 juin 2007) les principes régissant l’obligation pour les tribunaux de répondre aux arguments des parties. En l’espèce, la requérante souleva plusieurs moyens relatifs à la procédure devant la Commission bancaire dont l’illégalité de sa saisine. Elle évoqua également dans son mémoire en cassation la problématique liée à ce qu’un même inspecteur intervienne à deux reprises dans la procédure. Or, la Cour constate que le Conseil d’Etat a répondu sur la question de l’autosaisine en la justifiant par la particularité des autorités administratives indépendantes dans leur rôle de régulation des marchés. Elle estime que l’on ne sauraitreprocher au Conseil d’Etat un manque manifeste de motivation, celui-ci ayant fait le choix d’apprécier l’impartialité de la procédure litigieuse dans son ensemble. Le fait que la requérante ne partage pas l’analyse retenue par le Conseil d’Etat ne saurait suffire à conclure à un déficit de motivation de la part de cette juridiction.

70.  Quant à la deuxième partie du grief, la Cour observe que lorsque la Commission bancaire statue en application de l’article L. 613-21, elle est une juridiction administrative. Elle a en outre déjà eu l’occasion de se prononcer sur le recours devant le Conseil d’Etat et le double degré de juridiction garanti en la matière (mutatis mutandis, Didier, précité). En l’espèce, rien ne permet de s’écarter d’une telle conclusion.

71.  Partant, la Cour considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne les griefs tirés de l’iniquité de la procédure devant le Conseil d’Etat.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

72.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

73.  La requérante réclame 30 000 euros (EUR) au titre de son préjudice moral correspondant à l’atteinte à son image commerciale, de par la publicité conférée au blâme qui lui a été infligé par la procédure disciplinaire en méconnaissance des dispositions de l’article 6 § 1.

74.  Le Gouvernement soutient que les manques à gagner et pertes de chance qu’évoque la requérante ne sont pas identifiés et chiffrés. En outre, le lien de causalité avec la violation alléguée de l’article 6 § 1 n’est pas démontré. Le cas échéant, le constat de violation constituerait une satisfaction équitable.

75.  La Cour estime que le dommage moral se trouve suffisamment réparé par le constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention auquel elle parvient.

B.  Frais et dépens

76.  La société requérante réclame la somme de 41 617,16 EUR correspondant aux frais et dépens exposés devant la Commission bancaire et devant la Cour pour faire reconnaître une violation de l’article 6 § 1. Elle fournit une attestation d’honoraires de l’avocat qui l’a assistée durant la procédure disciplinaire (8 384,26 EUR) et deux notes d’honoraires de la SCP Lyon Caen, l’une pour la procédure devant le Conseil d’Etat (18 232,90 EUR), l’autre au titre de l’assistance devant la Cour (15 000 EUR).

77.  Le Gouvernement estime que les factures d’honoraires produites par la requérante ne sont pas détaillées et ne permettent pas de déterminer précisément la part des frais et dépens directement engagés pour faire reconnaître une violation de la Convention. Il soutient en outre que ces sommes sont excessives et propose d’allouer à la requérante une somme n’excédant pas 4 000 EUR au titre des frais et dépens.

78.  La Cour rappelle que, lorsqu’elle conclut à la violation de la Convention, elle peut accorder au requérant le paiement non seulement des frais et dépens qu’il a engagés devant elle, mais aussi de ceux exposés devant les juridictions internes pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir, par exemple, Martinie c. France ([GC] no 58675/00, 12 avril 2006), dès lors que leur nécessité est établie, que les justificatifs requis sont produits et que les sommes réclamées ne sont pas déraisonnables. Ceci étant, elle estime qu’il convient en l’espèce d’accorder à la requérante le remboursement partiel de ses frais de représentation devant la Commission bancaire, des frais devant le Conseil d’Etat et la Cour. En conséquence, et statuant en équité, la Cour alloue à la requérante, pour frais et dépens, 15 000 EUR.

C.  Intérêts moratoires

79.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut d’indépendance et d’impartialité de la Commission bancaire ;

3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner au fond le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et relatif à la rupture alléguée de l’égalité des armes devant la Commission bancaire ;

4.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait du défaut allégué de motivation de l’arrêt du Conseil d’Etat ;

5.  Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la requérante ;

6.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 juin 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek – Greffière

Peer Lorenzen – Président

About Revue générale du droit

Revue générale du droit est un site de la Chaire de droit public français de l’Université de la Sarre


Recherche dans le site

Contacts

Copyright · Revue générale du droit 2012-2014· ISSN 2195-3732 Log in

»
«