CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 39747/15
G.S.
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 20 octobre 2015 en un comité composé de :
Angelika Nußberger, présidente,
Boštjan M. Zupančič,
Vincent A. De Gaetano, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 août 2015,
Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour et levée par la suite,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. G.S., est un ressortissant arménien né en 1973 et résidant à Dijon. Le président de la section a accédé à la demande de non‑divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant a fui l’Arménie en 2011, craignant pour sa vie et sa liberté en raison de son engagement dans l’opposition politique. Il vit depuis en France avec sa femme et leurs deux enfants, nés en 2000 et 2002.
Le requérant est suivi médicalement depuis 2012 pour un syndrome de stress post traumatique nécessitant un traitement constant. Divers certificats médicaux versés au dossier, datant de 2015 et émanant de psychiatres, attestent que le requérant présente des troubles anxio-dépressifs majeurs liés à la fois à son histoire et à sa situation actuelle, caractéristiques d’un syndrome de stress post-traumatique, que son état de santé nécessite la poursuite d’un suivi médical et de divers traitements dont l’interruption serait sans aucun doute « catastrophique » pour lui-même et pour son entourage.
Le requérant fut débouté de ses demandes d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) à plusieurs reprises. Il fit l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) en date du 16 juillet 2015 avec interdiction de retour sur le territoire pendant deux ans et fut placé en centre de rétention administrative (CRA). Le tribunal administratif de Lyon (TA) rejeta son recours le 20 juillet 2015 :
« (…) considérant […] qu’il n’est pas établi que le traitement approprié à cet état de santé ne serait pas disponible dans son pays d’origine ou qu’il ne pourrait poursuivre ledit traitement en Arménie en raison de sa pathologie (…) et considérant qu’il ne ressort pas du dossier que l’intéressé a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en qualité d’étranger malade (…) »
Le médecin de l’Agence régionale de santé (ARS) fut saisi le 29 juillet 2015 d’une demande d’avis par l’intermédiaire de l’unité médicale du CRA et il ressort, au contraire, de cet avis :
« L’état de santé du demandeur nécessite une prise en charge médicale ; que le défaut de prise en charge peut entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité ; qu’un traitement approprié n’existe pas dans le pays dont l’intéressé est originaire ; que les soins nécessités par son état présentent un caractère de longue durée. »
Le préfet, dans une décision du 3 août 2015, décida de maintenir l’OQTF aux motifs suivants :
« (…) toutefois, l’ensemble des éléments relatifs aux capacités locales en matière de soins médicaux et de médicaments disponibles en Arménie, résultant notamment de la liste des médicaments disponibles en Arménie, des éléments fournis par l’Ambassade de France en Arménie en date du 10 avril 2012 et du 12 avril 2013, du rapport daté du 20 novembre 2009 de l’organisation internationale pour les migrations, démontre le sérieux et les capacités des institutions de santé arméniennes, qui sont à même de traiter la majorité des maladies courantes, en particulier psychiatriques, et que les ressortissants arméniens sont indéniablement à même de trouver en Arménie un traitement adapté à leur état de santé. »
Le requérant saisit la Cour, le 12 août 2015, d’une demande d’application de l’article 39 de son règlement. Le même jour, le juge faisant fonction de président de la section à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au gouvernement français, en application de l’article 39 du règlement de la Cour, qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers l’Arménie pour la durée de la procédure devant la Cour. De plus, la question suivante fut posée au Gouvernement, en application de l’article 54 § 2 dudit règlement :
« Compte tenu de l’avis du médecin de l’Agence régionale de santé de Rhône-Alpes du 29 juillet 2015 d’où il ressort notamment que « le défaut de prise en charge [du requérant] peut entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité » et qu’« un traitement approprié n’existe pas dans le pays dont l’intéressé est originaire », de quelles garanties le Gouvernement dispose-t-il pour s’assurer que le requérant sera pris en charge par les autorités médicales locales en cas de renvoi vers l’Arménie ? »
Le 28 août 2015, le Gouvernement apporta à la Cour les informations suivantes :
« (…) le médecin conseil de l’ambassade de France à Erevan atteste de la capacité de l’Arménie à assurer le suivi médical des personnes souffrant de pathologies psychiatriques même en phase aiguë et en état d’aggravation. Ce dernier ajoute que les soins sont gratuits pour les citoyens d’Arménie inclus dans les groupes sociaux défavorisés selon un indice de pauvreté. Les soins pour les affections psychologiques existent en Arménie : les adultes sont notamment pris en charge au centre de santé mentale et psychique à Nork, centre des services psychologiques à Erevan. Les soins pour les cas très aigus demandant une hospitalisation sont gratuits, toute personne doit en faire la demande auprès du ministère de la santé arménien qui la renvoie vers l’hôpital habilité pour dispenser les soins nécessaires. Par ailleurs (…) le traitement médicamenteux actuellement prescrit en France à M. G.S (médicaments listés) [est] actuellement disponible en République d’Arménie. Les soins dont bénéficie actuellement le requérant peuvent donc lui être administrés en République d’Arménie. À cet égard, le Gouvernement souligne que la situation du requérant au regard d’un éventuel droit au séjour en France a fait l’objet d’un examen individuel par le préfet (…) avant que lui soit notifiée une obligation de quitter le territoire français. Ainsi, c’est au regard de l’ensemble des éléments susmentionnés relatifs aux capacités locales en matière de soins médicaux que le Préfet de la Côte d’Or a, le 3 août 2015, malgré l’avis du médecin de l’Autorité régionale de santé de Rhône-Alpes, confirmé la décision d’obligation de quitter le territoire français, assortie d’une interdiction de retour de deux ans (…) Il peut par ailleurs être relevé que l’avis du médecin de l’Agence régionale de santé de Rhône-Alpes en date du 29 juillet 2015 ne se prononce pas sur l’incapacité du requérant à voyager sans risque vers son pays au regard de son état de santé (aucune des deux cases du formulaire d’avis n’a été cochée).
Enfin, il convient d’ajouter que le requérant s’est vu définitivement débouter de sa demande d’asile (…) au regard de tous ces éléments, il en résulte que le requérant souffrant de syndrome de stress post-traumatique peut parfaitement bénéficier d’une prise en charge en République d’Arménie dans l’un des nombreux établissements présents notamment à Erevan. En conséquence, le Gouvernement sollicite de la Cour la levée de la mesure provisoire prise au titre de l’article 39 de son Règlement. »
Le Gouvernement fournit, à l’appui de cette réponse, de nombreux documents : un courriel et une lettre du médecin conseil de l’ambassade de France en République d’Arménie décrivant les soins existant en Arménie pour les adultes en difficulté psychologique précisant que les soins sont généralement payants, sauf pour les cas aigus demandant l’hospitalisation, une fiche de documentation « Retourner en République d’Arménie » de l’Organisation internationale pour les migrations, la liste des médicaments disponibles en République d’Arménie du Centre d’expertise scientifique des médicaments et des dispositifs médicaux en Arménie (les médicaments que prend le requérant y sont listés), un document intitulé « Les soins psychiatriques et psychologiques en République d’Arménie » (listant les principaux centres psychiatriques à Erevan pour le traitement du syndrome de stress post-traumatique, accessibles à tous les citoyens) et, enfin, la liste des hôpitaux à Erevan.
Eu égard à ces garanties, la mesure provisoire indiquée par la Cour en vertu de l’article 39 fut levée, le 31 août 2015.
GRIEF
Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant considère qu’il ne peut avoir accès à un suivi et à un traitement médical dans son pays d’origine. Il craint ainsi une aggravation de son étatde santé, qui serait constitutive de traitements contraires à cette disposition.
EN DROIT
Le requérant se plaint uniquement des risques liés à son état de santé et non de mauvais traitements qu’il craindrait de subir en Arménie en raison de son engagement politique passé.
Tout d’abord, il ressort du jugement du tribunal administratif de Lyon du 20 juillet 2015 que le requérant n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour en qualité d’étranger malade, même si le tribunal s’est prononcé sur son état de santé pour considérer qu’il n’y avait pas de raison de conclure qu’il ne bénéficierait pas d’un traitement approprié en Arménie. Ensuite, d’après les informations fournies par le Gouvernement et les documents produits à l’appui de sa réponse après l’application de l’article 39 du réglement, les soins et médicaments nécessaires au traitement du requérant semblent bien être assurés en Arménie. Ainsi, les médicaments dont le requérant a besoin sont accessibles, tout comme la prise en charge dans l’un des établissements psychiatriques présents à Erevan. Rien n’indique qu’il serait privé de ces traitements en cas de retour dans son pays d’origine. Force est de constater que le requérant ne se trouve pas non plus dans l’incapacité de voyager, de sorte que ni le voyage en lui-même, ni les conditions de vie du requérant en Arménie ne peuvent poser problème sous l’angle de l’article 3. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 12 novembre 2015.
Angelika Nußberger
Présidente
Milan Blaško
Greffier adjoint