GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE BÉLÁNÉ NAGY c. HONGRIE
(Requête no 53080/13)
ARRÊT
STRASBOURG
13 décembre 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Béláné Nagy c. Hongrie,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Angelika Nußberger,
Julia Laffranque,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Ganna Yudkivska,
Erik Møse,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Krzysztof Wojtyczek,
Branko Lubarda,
Síofra O’Leary, juges,
et de Søren Prebensen, greffier adjoint de la Grande Chambre,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 décembre 2015 et le 10 octobre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53080/13) dirigée contre la Hongrie et dont une ressortissante de cet État, Mme Béláné Nagy (« la requérante »), a saisi la Cour le 12 août 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représentée par Me A. Cech, avocat à Budapest. Le gouvernement hongrois (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Z. Tallódi, du ministère de la Justice.
3. La requérante soutenait qu’elle avait perdu ses moyens de subsistance, uniquement assurés par une allocation d’invalidité, par l’effet d’une réforme législative appliquée sans équité par les autorités, alors que son état de santé ne s’était pas amélioré.
4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 21 janvier 2014, elle a été communiquée au Gouvernement. Le 10 février 2015, une chambre de cette section, composée de Işıl Karakaş, présidente, András Sajó, Nebojša Vučinić, Helen Keller, Egidijus Kūris, Robert Spano, Jon Fridrik Kjølbro, juges, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, a rendu un arrêt. Elle a déclaré la requête recevable et jugé, par quatre voix contre trois, qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. À l’arrêt de chambre était joint le texte de l’opinion dissidente des juges Keller, Spano et Kjølbro.
5. Le 24 avril 2015, le Gouvernement, s’appuyant sur l’article 43 de la Convention, a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. Le 1er juin 2015, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
7. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). En outre, la Confédération européenne des syndicats, autorisée par le président de la Grande Chambre à intervenir en qualité de tiers dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement), a produit des observations.
8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 16 décembre 2015 (article 59 § 3 du règlement).
– pour le Gouvernement
M.Z. Tallódi,agent,
MmeM. Lévai,conseillère ;
– pour la requérante
MM.A. Cech,conseil,
E. Látrányi,
B. Várhalmy,conseillers.
La Cour a entendu MM. Cech et Tallódi en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses à des questions posées par des juges. Mme Lévai a également répondu à des questions des juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. La requérante est née en 1959 et réside à Baktalórántháza.
10. Du 1er mai 1975 au 14 juillet 1997, elle occupa un emploi et s’acquitta des cotisations obligatoires au régime de la sécurité sociale. Par la suite, du 15 septembre 1997 au 9 septembre 1998, elle reçut une allocation chômage.
11. À la fin de l’année 2001, en réponse à une demande formée le 16 octobre de la même année, la requérante se vit accorder une pension d’invalidité (rokkantsági nyugdíj) parce qu’il avait été constaté a posteriori que, à compter du 1er avril 2001, en raison de divers problèmes de santé, elle avait perdu 67 % de sa capacité de travail. Le taux ainsi estimé fut maintenu en 2003, 2006 et 2007.
12. À partir de 2008, la méthode d’évaluation de l’incapacité de travail professionnelle fut modifiée. Le 1er décembre 2009, en application de la nouvelle méthode, un expert fixa à 40 % le taux d’invalidité de la requérante. La commission d’évaluation indiqua que cette dernière devrait se soumettre à une nouvelle évaluation de son état de santé en 2012, sans que la moindre procédure de réadaptation ait été envisagée.
13. Le Gouvernement considère que, avec la nouvelle méthode, le taux de 67 % d’incapacité de travail estimé précédemment chez la requérante aurait correspondu à un taux de 54 % d’invalidité physique globale. Or, le taux d’invalidité de la requérante ayant été évalué à seulement 40 %, il faut en conclure selon lui que l’état de santé de cette dernière s’était amélioré dans l’intervalle.
La requérante estime que l’équivalence alléguée par le Gouvernement entre le taux de 67 % fixé selon l’ancien système et le taux de 54 % fixé avec la nouvelle méthode ne repose sur aucun texte juridique. Selon elle, son état de santé ne s’était aucunement amélioré et la différence entre les taux constatés résultait seulement du changement de méthode.
14. Du fait que le taux d’invalidité de la requérante avait été réévalué à 40 %, la direction de la caisse d’assurance sociale lui supprima son droit à une pension d’invalidité à compter du 1erfévrier 2010. La requérante contesta cette décision. À une date non précisée, l’autorité de seconde instance en matière d’assurance vieillesse confirma cette décision.
À l’époque des faits, le montant de la pension d’invalidité de la requérante s’élevait à 60 975 forints hongrois (HUF) par mois, soit environ 200 euros (EUR).
Le 25 mars 2010, la requérante attaqua la décision administrative devant le tribunal du travail de Nyíregyháza.
15. Après avoir examiné l’affaire, le tribunal désigna un expert de manière à recueillir l’avis de celui-ci sur les raisons de l’écart entre les taux. Dans un rapport du 16 février 2011, l’expert conclut que l’ancien taux de 67 % ainsi que le nouveau taux de 40 % étaient justes au regard de chacune des méthodes appliquées et que, en tout état de cause, l’état de santé de la requérante ne s’était pas notablement amélioré depuis 2007.
16. Par un jugement du 1er avril 2011, constatant que la requérante pouvait justifier d’une durée de service de 23 ans et 71 jours, le tribunal retint le taux d’invalidité de 40 % et la débouta. Il la condamna à rembourser les sommes qu’elle avait perçues après le 1er février 2010. Il releva que l’examen de santé suivant de la requérante était prévu pour 2012. Il souligna qu’elle avait la possibilité de former une nouvelle demande de pension d’invalidité si son état de santé venait à se détériorer.
17. En 2011, la requérante sollicita une nouvelle évaluation de son taux d’invalidité. Le 5 septembre 2011, la direction de la caisse d’assurance sociale fixa ce taux à 45 % et indiqua que la requérante devrait se soumettre à une nouvelle évaluation en septembre 2014. Le 13 décembre 2011, l’autorité de seconde instance releva ce taux à 50 % et prescrivit une nouvelle évaluation pour mars 2015. Un tel taux aurait permis à la requérante d’obtenir une pension d’invalidité en cas d’impossibilité d’obtenir sa réadaptation. Cependant, la commission d’évaluation envisagea cette fois sa réadaptation complexe, dans les 36 mois, et recommanda qu’elle pût recevoir une allocation de réadaptation (rehabilitációs járadék). Or il n’y eut aucune réadaptation et la requérante ne reçut pas d’allocation de réadaptation.
18. Le 1er janvier 2012 entra en vigueur une nouvelle loi sur les prestations d’invalidité (la loi no CXCI de 2011), qui introduisit des critères d’attribution supplémentaires. Elle imposait en particulier aux personnes concernées de justifier d’au moins 1 095 jours de cotisation à la sécurité sociale au cours des cinq ans précédant le dépôt de leur demande alors que, sous l’empire de la législation antérieure, elles devaient justifier d’une certaine durée de service. Toutefois, les personnes ne satisfaisant pas à cette condition pouvaient bénéficier d’une prestation si elles avaient cotisé à la sécurité sociale sans interruption de plus de 30 jours au cours de leur carrière ou si elles percevaient une pension d’invalidité ou une allocation de réadaptation au 31 décembre 2011.
19. Le 20 février 2012, la requérante déposa une nouvelle demande d’allocation d’invalidité (rokkantsági ellátás). En avril 2012, son état de santé fit l’objet d’une évaluation, à l’issue de laquelle elle fut déclarée invalide à 50 %. Le 5 juin 2012, cette demande fut rejetée au motif que la requérante ne justifiait pas de la durée de cotisation requise à la sécurité sociale. Sa réadaptation ne fut pas envisagée. Une nouvelle évaluation de son état de santé fut prévue pour le mois d’avril 2014.
20. Du 1er juillet au 7 août 2012, la requérante fut employée par la mairie de Baktalórántháza.
21. Le 15 août 2012, elle déposa une nouvelle demande d’allocation d’invalidité, fondée cette fois sur la nouvelle loi. Son état de santé fit l’objet d’une nouvelle évaluation, à l’issue de laquelle elle fut à nouveau déclarée invalide à 50 %. Sa réadaptation ne fut pas envisagée.
22. En principe, un tel taux d’invalidité aurait dû permettre à la requérante d’obtenir l’allocation d’invalidité prévue par le nouveau régime. Or la pension d’invalidité dont elle bénéficiait auparavant avait été supprimée en février 2010, si bien qu’elle n’était pas titulaire d’une telle pension ou d’une allocation de réadaptation au 31 décembre 2011. Comme elle ne justifiait pas non plus de la durée de cotisation requise à la sécurité sociale ni d’une durée de cotisation ininterrompue, la requérante ne pouvait prétendre à aucun titre à l’allocation d’invalidité prévue par le nouveau régime. Elle ne comptait que 947 jours de cotisation à la sécurité sociale au lieu des 1 095 requis. D’après le Gouvernement, si la loi n’avait pas été ainsi modifiée, la requérante aurait pu de nouveau bénéficier d’une pension d’invalidité puisqu’il fut encore constaté en 2012 que son taux d’invalidité avait dépassé la limite applicable.
23. La demande de la requérante fut rejetée par l’autorité compétente du département de Szabolcs-Szatmár-Bereg le 23 novembre 2012, puis, à la suite d’un recours, par l’autorité nationale de réadaptation et de prévoyance sociale le 27 février 2013. Le 27 mars 2013, la requérante attaqua ces deux décisions devant le tribunal administratif et du travail de Nyíregyháza qui, par un jugement du 20 juin 2013, la débouta. Ce jugement était insusceptible d’appel.
24. Les conditions fixées par la loi, que la requérante dénonce, ont fait l’objet à compter du 1er janvier 2014 de modifications élargissant le bénéfice de l’allocation d’invalidité aux personnes pouvant justifier d’au moins 2 555 jours de cotisation à la sécurité sociale sur dix ans ou d’au moins 3 650 jours sur quinze ans. Toutefois, la requérante ne satisfait pas non plus à ces conditions.
25. La requérante reçut des autorités municipales une allocation mensuelle de logement d’un montant de 4 100 HUF (soit 14 EUR) en 2011 et de 5 400 HUF (soit 18 EUR) en 2012. Elle demanda aussi l’allocation minimale de subsistance (rendszeres szociális segély) mais se heurta à un refus au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions légales.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
26. La loi no XX de 1949 relative à la Constitution, telle qu’en vigueur pendant la période considérée et jusqu’au 31 décembre 2011, renfermait les dispositions pertinentes suivantes :
« La République de Hongrie subvient aux besoins des indigents au moyen d’un large éventail de mesures sociales. »
« En République de Hongrie, chacun jouit du droit naturel à la vie et à la dignité humaine. Nul ne peut en être privé arbitrairement. »
« 1. Les citoyens de la République de Hongrie ont droit à la sécurité sociale ; ils ont droit à la prestation nécessaire à leur subsistance en cas de vieillesse, maladie, invalidité, veuvage, s’ils deviennent orphelins ou s’ils sont frappés par le chômage sans qu’ils soient en faute.
2. La République de Hongrie met ce droit en œuvre par le biais du régime de la sécurité sociale et du système des institutions sociales.
3[1]. Le droit à l’aide sociale par l’octroi d’une pension s’applique aux personnes qui ont atteint l’âge légal de la retraite, à partir duquel ils peuvent recevoir une pension de vieillesse. La loi peut également prévoir l’octroi d’une pension à des personnes n’ayant pas atteint cet âge. Une pension accordée à des personnes n’ayant pas atteint l’âge légal de la retraite peut être réduite dans son montant par la loi et peut être ultérieurement convertie en allocation sociale, ou supprimée si le bénéficiaire est apte au travail. »
27. L’article XIX de la Loi fondamentale, tel qu’en vigueur depuis le 1er janvier 2012, dispose :
« 1. La Hongrie fait tout son possible pour fournir une sécurité sociale à tous ses citoyens. Tout citoyen hongrois a droit à une assistance en matière de maternité, de maladie, d’invalidité, de handicap, de viduité et d’orphelinage, et s’il se trouve au chômage pour des raisons indépendantes de sa volonté, dans les conditions fixées par la loi.
2. La Hongrie dispense des prestations sociales aux personnes visées au paragraphe 1 du présent article et à toute autre personne indigente par le biais d’un système d’institutions et de mesures sociales.
3. La nature et l’ampleur des mesures sociales peuvent également être déterminées, par la loi, selon l’utilité pour la société de l’activité de leurs bénéficiaires.
4. La Hongrie facilite la garantie des moyens de subsistance des personnes âgées en mettant en œuvre un régime général de pensions publiques fondé sur la solidarité sociale et en permettant le fonctionnement d’institutions sociales établies par les citoyens. Les conditions d’octroi d’une pension publique peuvent également être fixées par la loi, en tenant compte de l’impératif de protéger davantage les femmes. »
28. Les dispositions pertinentes de la loi no LXXXI de 1997 relative aux pensions de la sécurité sociale[2], telle qu’en vigueur jusqu’au 31 décembre 2011, se lisaient ainsi :
« [Aux fins de la présente loi], l’expression « pension d’invalidité » désigne la pension versée aux personnes invalides satisfaisant à la condition de durée de service requise. »
« 1. Les pensions auxquelles l’assuré peut prétendre de droit dans le cadre du régime de sécurité sociale sont :
b) La pension d’invalidité,
(…)
d) L’allocation de réadaptation, attribuable sur la base d’une loi distincte[3]. »
« Une pension d’invalidité est accordée aux personnes
a) qui sont atteintes d’une incapacité de travail de 67 % due à un état pathologique ou à un handicap physique ou mental ne présentant aucune perspective d’amélioration dans l’année suivant la perte de la capacité de travail (…), [et]
b) qui peuvent justifier de la durée de service requise [laquelle est fonction de leur âge et se trouve précisée par la loi], [et]
c) qui ne travaillent pas régulièrement ou dont les revenus sont très inférieurs à ceux qu’elles percevaient avant de devenir invalides. »
« La durée de service nécessaire à l’octroi d’une pension d’invalidité est : (…)
pour les personnes âgées de 35 à 44 ans : 10 ans (…) »
« 1. Le droit à une pension d’invalidité prend effet à la date à partir de laquelle l’invalidité a été jugée exister d’après la commission médicale. Si la commission médicale ne se prononce pas sur la date à laquelle l’invalidité a commencé, c’est la date de la demande de pension d’invalidité qui sera prise en compte.
2. Si le demandeur ne peut justifier de la durée de service nécessaire à la date définie au paragraphe 1 du présent article, il pourra prétendre à une pension d’invalidité à partir du jour où il aura satisfait à cette condition. »
« 1. Le montant de la pension d’invalidité dépend de l’âge auquel la personne concernée devient invalide, de sa durée de service jusqu’à l’octroi de ladite pension et du taux d’invalidité. »
29. En ce qui concerne les pensions d’invalidité à accorder postérieurement au 31 décembre 2007, la même loi, dans sa version en vigueur du 12 mars au 31 décembre 2011, disposait ce qui suit :
« Une pension d’invalidité est accordée aux personnes
a) qui sont atteintes [d’une incapacité de travail d’au moins 79 % ou de 50 % à 79 % sans possibilité de réadaptation], et
b) qui ont accompli la durée de service requise eu égard à leur âge, et
c) qui [n’ont pas de revenus ou perçoivent des revenus très inférieurs à leurs revenus antérieurs], et
d) qui ne perçoivent pas d’indemnités de maladie ou d’indemnités de maladie pour accident du travail. »
30. La loi no LXXXIV de 2007 relative à l’allocation de réadaptation, telle qu’en vigueur jusqu’au 31 décembre 2011, disposait :
« 1. Une allocation de réadaptation est accordée aux personnes
a) qui sont frappées d’incapacité à un taux de 50 à 79 % et qui, de ce fait, ne peuvent pas continuer à exercer un emploi sans réadaptation, et
aa) qui n’exercent aucune activité rémunérée, ou
ab) dont les revenus mensuels sont inférieurs d’au moins 30 % à ceux perçus [avant] l’incapacité, [et,]
b) qui peuvent être réadaptées, et
c) qui ont accompli la durée de service requise eu égard à leur âge. »
31. Les dispositions pertinentes de la loi no CXCI de 2011 relative aux prestations versées aux personnes à capacité de travail réduite, telles qu’en vigueur du 26 juillet 2012 au 31 décembre 2013, étaient ainsi libellées :
« 1. Les personnes qui sont déclarées valides à 60 % ou moins dans le cadre de l’évaluation complexe réalisée par le service de réadaptation (ci-après « les personnes à capacité de travail réduite »), et qui
a) ont été affiliées pendant au moins 1 095 jours à la sécurité sociale conformément à l’article 5 [de la loi sur la sécurité sociale] au cours des cinq années précédant la date de leur demande, et
b) n’exercent aucune activité rémunérée, et
c) ne perçoivent pas d’allocations pécuniaires régulières
ont droit aux prestations accordées aux personnes à capacité de travail réduite.
2. Par dérogation à l’alinéa a) du paragraphe 1, les personnes
(…)
b) qui percevaient une pension d’invalidité (…) ou une allocation de réadaptation, (…) au 31 décembre 2011
ont droit aux prestations accordées aux personnes à capacité de travail réduite quelle que soit la durée de leur affiliation à la sécurité sociale.
3. Sont comprises dans la période d’affiliation de 1 095 jours :
(…)
b) les périodes de versement d’une pension d’invalidité (…) ou d’une allocation de réadaptation (…) »
« 1. Sous réserve que le service de réadaptation formule une proposition de réadaptation dans le cadre de l’évaluation complexe, les personnes à capacité de travail réduite ont droit :
a) à une allocation de réadaptation, ou
b) à une allocation d’invalidité »
« Les personnes à capacité de travail réduite susceptibles de réadaptation ont droit à une allocation de réadaptation. »
« 1. Les personnes à capacité de travail réduite ont droit à une allocation d’invalidité lorsque leur réadaptation n’est pas recommandée. »
32. Dans sa décision no 1228/B/2010.AB du 7 juin 2011, la Cour constitutionnelle hongroise a notamment dit ceci : « l’article 36/D 1) b. de la loi relative aux pensions de sécurité sociale n’a créé aucune espérance [légitime] pour les personnes qui avaient droit à une pension d’invalidité sous l’empire du régime antérieur » (voir, à titre de comparaison, le libellé du paragraphe 34 de la décision de la Cour constitutionnelle cité au paragraphe suivant).
33. La Cour constitutionnelle a contrôlé la constitutionnalité de la loi no CXCI de 2011 dans sa décision no 40/2012 (XII.6.) AB du 4 décembre 2012, qui renferme en particulier les passages suivants :
« 27. (…) La Cour constitutionnelle ne déduit des articles 54 § 1 et 70/E de la Constitution qu’un seul droit social subjectif, à savoir le droit à une somme qui permettrait d’assurer des moyens de subsistance, plus précisément le versement par l’État d’une prestation de base dans la mesure où celle-ci est indispensable au respect du droit à la dignité humaine (…) [Une décision postérieure de la Cour constitutionnelle] a assorti le principe ci-dessus de la réserve suivante : « aucun droit constitutionnel spécifique, tel que le droit au logement, ne peut être tiré de l’obligation d’assurer des moyens de subsistance de base »] (…)
30. (…) Dans plusieurs décisions, la Cour constitutionnelle a déjà examiné les modifications apportées aux règles régissant les pensions d’invalidité. Dans sa décision no 321/B/ 1996 AB, elle a indiqué que les pensions d’invalidité étaient en partie des prestations entrant dans le cadre de la protection de la propriété et en partie des prestations d’aide sociale. Selon cette décision, la loi « vient en aide, conformément au principe constitutionnel de sécurité sociale, aux personnes qui ont perdu leur capacité de travail en raison d’une invalidité ou d’un accident avant d’avoir atteint l’âge ouvrant droit à une pension de vieillesse. (…) La pension d’invalidité est une prestation exceptionnelle destinée aux personnes qui n’ont pas encore atteint l’âge de la retraite et qui leur est accordée en raison de leur invalidité. À l’âge de la retraite, les personnes qui se trouvent (…) dans l’incapacité de travailler (…) n’ont plus droit à cette prestation exceptionnelle puisque, au moment où elles ne sont plus en âge de travailler, elles ont droit à une pension de vieillesse.
31. Selon la décision no 1129/B/2008 AB, la pension d’invalidité relève de la catégorie des prestations personnelles de retraite, bien que son caractère « contributif » se résume au fait que « son montant est d’autant plus élevé que la durée de service est plus longue, ou qu’il atteint ou approche celui de la pension de vieillesse. Pour le reste, le principe de solidarité est prépondérant puisqu’une personne invalide n’ayant pas droit à une pension de vieillesse en raison de son âge ou de la durée pendant laquelle elle a travaillé peut percevoir une pension d’invalidité dès lors que son invalidité est constatée. » (…)
32. Selon l’interprétation que leur donne la Cour constitutionnelle, les dispositions juridiques qui ouvrent droit à des pensions d’invalidité créent non pas des droits constitutionnels subjectifs mais des prestations sociales mixtes, qui relèvent en partie de la sécurité sociale et en partie de l’aide sociale et qui sont accordées, sous certaines conditions, aux personnes n’ayant pas atteint l’âge de la retraite qui présentent un état pathologique et qui, à cause de leur invalidité, ont une capacité de travail réduite et ont besoin d’une assistance financière en raison d’une perte de revenus. »
(…)
34. (…) [Dans sa décision no 1228/B/2010.AB], (…) la Cour constitutionnelle a jugé que le régime antérieur de la pension d’invalidité n’avait pas fait naître d’espérance [légitime] et que, dès lors, la modification de ses conditions d’octroi n’avait violé aucun droit acquis.
35. Postérieurement à l’adoption des décisions précitées de la Cour constitutionnelle, le texte de la Constitution a été notablement modifié.
(…)
37. (…) Que l’article XIX de la Loi fondamentale relatif à la sécurité sociale se rapporte essentiellement aux obligations et aux objectifs de l’État au lieu de conférer des droits [aux individus] est un changement important (…)
38. La volonté de réformer les politiques sociales est apparue encore plus clairement avec [la modification de] l’article 70/E (…) de la Constitution, entrée en vigueur le 6 juin 2011, qui permet expressément au législateur de réduire, de convertir en prestation sociale ou de supprimer (si l’intéressé est apte au travail) les pensions versées [aux personnes n’ayant pas atteint] l’âge requis pour toucher une pension de vieillesse (…)
40. (…) Depuis le 1er janvier 2012, [la loi] accorde aux personnes à capacité de travail réduite une prestation d’assurance-maladie et non plus une pension (…) »
III. TEXTES DE DROIT INTERNATIONAL ET AUTRES DOCUMENTS PERTINENTS
34. La Charte sociale européenne dispose, dans ses parties pertinentes :
Article 12 –Droit à la sécurité sociale
« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la sécurité sociale, les Parties contractantes s’engagent :
1. à établir ou à maintenir un régime de sécurité sociale ;
2. à maintenir le régime de sécurité sociale à un niveau satisfaisant, au moins égal à celui nécessaire pour la ratification de la Convention internationale du travail (no 102) concernant la norme minimum de la sécurité sociale ;
3. à s’efforcer de porter progressivement le régime de sécurité sociale à un niveau plus haut ;
4. à prendre des mesures, par la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux appropriés ou par d’autres moyens, et sous réserve des conditions arrêtées dans ces accords, pour assurer :
a) l’égalité de traitement entre les nationaux de chacune des Parties contractantes et les ressortissants des autres Parties en ce qui concerne les droits à la sécurité sociale, y compris la conservation des avantages accordés par les législations de sécurité sociale, quels que puissent être les déplacements que les personnes protégées pourraient effectuer entre les territoires des Parties contractantes ;
b) l’octroi, le maintien et le rétablissement des droits à la sécurité sociale par des moyens tels que la totalisation des périodes d’assurance ou d’emploi accomplies conformément à la législation de chacune des Parties contractantes. »
Article 15 – Droit des personnes physiquement ou mentalement diminuées
à la formation professionnelle et à la réadaptation professionnelle et sociale
« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit des personnes physiquement ou mentalement diminuées à la formation professionnelle et à la réadaptation professionnelle et sociale, les Parties contractantes s’engagent :
1. à prendre des mesures appropriées pour mettre à la disposition des intéressés des moyens de formation professionnelle, y compris, s’il y a lieu, des institutions spécialisées de caractère public ou privé ;
2. à prendre des mesures appropriées pour le placement des personnes physiquement diminuées, notamment au moyen de services spécialisés de placement, de possibilités d’emploi protégé et de mesures propres à encourager les employeurs à embaucher des personnes physiquement diminuées. »
35. La Charte sociale européenne (révisée) dispose, dans ses parties pertinentes :
Article 12 –Droit à la sécurité sociale
« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la sécurité sociale, les Parties s’engagent :
1. à établir ou à maintenir un régime de sécurité sociale ;
2. à maintenir le régime de sécurité sociale à un niveau satisfaisant, au moins égal à celui nécessaire pour la ratification du Code européen de sécurité sociale ;
3. à s’efforcer de porter progressivement le régime de sécurité sociale à un niveau plus haut ;
4. à prendre des mesures, par la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux appropriés ou par d’autres moyens, et sous réserve des conditions arrêtées dans ces accords, pour assurer :
a) l’égalité de traitement entre les nationaux de chacune des Parties et les ressortissants des autres Parties en ce qui concerne les droits à la sécurité sociale, y compris la conservation des avantages accordés par les législations de sécurité sociale, quels que puissent être les déplacements que les personnes protégées pourraient effectuer entre les territoires des Parties ;
b) l’octroi, le maintien et le rétablissement des droits à la sécurité sociale par des moyens tels que la totalisation des périodes d’assurance ou d’emploi accomplies conformément à la législation de chacune des Parties. »
Article 15 – Droit des personnes handicapées à l’autonomie,
à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté
« En vue de garantir aux personnes handicapées, quel que soit leur âge, la nature et l’origine de leur handicap, l’exercice effectif du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté, les Parties s’engagent notamment :
1. à prendre les mesures nécessaires pour fournir aux personnes handicapées une orientation, une éducation et une formation professionnelle dans le cadre du droit commun chaque fois que possible ou, si tel n’est pas le cas, par le biais d’institutions spécialisées publiques ou privées ;
2. à favoriser leur accès à l’emploi par toute mesure susceptible d’encourager les employeurs à embaucher et à maintenir en activité des personnes handicapées dans le milieu ordinaire de travail et à adapter les conditions de travail aux besoins de ces personnes ou, en cas d’impossibilité en raison du handicap, par l’aménagement ou la création d’emplois protégés en fonction du degré d’incapacité. Ces mesures peuvent justifier, le cas échéant, le recours à des services spécialisés de placement et d’accompagnement ;
3. à favoriser leur pleine intégration et participation à la vie sociale, notamment par des mesures, y compris des aides techniques, visant à surmonter des obstacles à la communication et à la mobilité et à leur permettre d’accéder aux transports, au logement, aux activités culturelles et aux loisirs. »
36. La Hongrie a ratifié la Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne révisée respectivement le 7 août 1999 et le 20 avril 2009. À l’occasion du dépôt par elle de son instrument de ratification, elle a fait une déclaration dans laquelle elle énumérait les dispositions de la Charte sociale européenne par lesquelles elle s’estimait tenue. Ni l’article 12 ni l’article 15 n’y figuraient. Par la suite, en 2004, la Hongrie s’est dite tenue par le paragraphe 1 de l’article 12 et par l’article 15. Selon sa déclaration communiquée à l’occasion du dépôt par elle de son instrument de ratification de la Charte sociale européenne révisée, elle se considère toujours tenue, entre autres, par le paragraphe 1 de l’article 12 et par l’article 15.
37. Le Comité européen des droits sociaux « a explicitement admis des modulations du système de sécurité sociale dans la mesure où elles sont nécessaires pour assurer la sauvegarde de ce système (…) et où les restrictions laissent subsister une protection efficace des membres de la société contre la survenance des risques sociaux et [économiques] et ne tendent pas à faire glisser le système de sécurité sociale vers un système d’aide minimum » (Conclusions XIV-1 concernant la Finlande et l’article 12 § 3 de la Charte sociale européenne, p. 232, 30 mars 1998).
38. Le Code européen de sécurité sociale, entré en vigueur le 17 mars 1968 et auquel renvoie le paragraphe 2 de l’article 12 de la Charte sociale européenne révisée, a été ratifié par 21 États membres du Conseil de l’Europe, parmi lesquels ne figure pas la Hongrie. Seize d’entre eux ont accepté les obligations énoncées en sa partie IX, laquelle dispose :
Partie IX – Prestations d’invalidité
« Toute Partie contractante pour laquelle la présente partie du Code est en vigueur doit garantir aux personnes protégées l’attribution de prestations d’invalidité, conformément aux articles ci-après de ladite partie. »
« L’éventualité couverte sera l’inaptitude à exercer une activité professionnelle, d’un degré prescrit, lorsqu’il est probable que cette inaptitude sera permanente ou lorsqu’elle subsiste après la cessation de l’indemnité de maladie. »
« Les personnes protégées doivent comprendre :
a) soit des catégories prescrites de salariés, formant au total 50 pour cent au moins de l’ensemble des salariés ;
b) soit des catégories prescrites de la population active, formant au total 20 pour cent au moins de l’ensemble des résidents ;
c) soit tous les résidents dont les ressources pendant l’éventualité n’excèdent pas des limites prescrites conformément aux dispositions de l’article 67. »
« La prestation sera un paiement périodique calculé comme suit :
a) conformément aux dispositions soit de l’article 65, soit de l’article 66, lorsque sont protégées des catégories de salariés ou des catégories de la population active ;
b) conformément aux dispositions de l’article 67, lorsque sont protégés tous les résidents dont les ressources pendant l’éventualité n’excèdent pas des limites prescrites. »
« 1. La prestation mentionnée à l’article 56 doit, dans l’éventualité couverte, être garantie au moins :
a) à une personne protégée ayant accompli, avant l’éventualité, selon des règles prescrites, un stage qui peut consister soit en 15 années de cotisation ou d’emploi, soit en 10 années de résidence ;
b) lorsqu’en principe toutes les personnes actives sont protégées, à une personne protégée qui a accompli un stage de trois années de cotisation et au nom de laquelle ont été versées, au cours de la période active de sa vie, des cotisations dont le nombre moyen annuel atteint un chiffre prescrit.
2. Lorsque l’attribution de la prestation mentionnée au paragraphe 1 du présent article est subordonnée à l’accomplissement d’une période minimum de cotisation ou d’emploi, une prestation réduite doit être garantie au moins :
a) à une personne protégée ayant accompli, avant l’éventualité, selon des règles prescrites, un stage de 5 années de cotisation ou d’emploi ;
b) lorsqu’en principe toutes les personnes actives sont protégées, à une personne protégée qui a accompli un stage de trois années de cotisation et au nom de laquelle a été versée, au cours de la période active de sa vie, la moitié du nombre moyen annuel de cotisations prescrit auquel se réfère l’alinéa b du paragraphe 1 du présent article.
3. Les dispositions du paragraphe 1 du présent article seront considérées comme satisfaites lorsqu’une prestation calculée conformément à la partie XI, mais selon un pourcentage inférieur de 10 unités à celui qui est indiqué dans le tableau annexé à cette partie pour le bénéficiaire type, est au moins garantie à toute personne protégée qui a accompli, selon les règles prescrites, 5 années de cotisation, d’emploi ou de résidence.
4. Une réduction proportionnelle du pourcentage indiqué dans le tableau annexé à la partie XI peut être opérée lorsque le stage pour la prestation qui correspond au pourcentage réduit est supérieur à 5 ans de cotisation ou d’emploi, mais inférieur à 15 ans de cotisation ou d’emploi. Une prestation réduite sera attribuée conformément au paragraphe 2 du présent article. »
« Les prestations mentionnées aux articles 56 et 57 doivent être accordées pendant toute la durée de l’éventualité ou jusqu’à leur remplacement par une prestation de vieillesse. »
39. La Convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées (transposée en Hongrie par la loi no XCII de 2007) renferme les dispositions pertinentes suivantes :
Article 28
Niveau de vie adéquat et protection sociale
« 1. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille, notamment une alimentation, un habillement et un logement adéquats, et à une amélioration constante de leurs conditions de vie et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap.
2. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à la protection sociale et à la jouissance de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit, y compris des mesures destinées à :
(…)
c) Assurer aux personnes handicapées et à leurs familles, lorsque celles-ci vivent dans la pauvreté, l’accès à l’aide publique pour couvrir les frais liés au handicap, notamment les frais permettant d’assurer adéquatement une formation, un soutien psychologique, une aide financière ou une prise en charge de répit ;
(…)
e) Assurer aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux programmes et prestations de retraite. »
40. La Convention no 102 de l’Organisation internationale du travail (« l’OIT ») concernant la sécurité sociale (norme minimum), entrée en vigueur le 27 avril 1955, à laquelle renvoie le paragraphe 2 de l’article 12 de la Charte sociale européenne, a été ratifiée jusqu’à présent par cinquante‑quatre États, parmi lesquels ne figure pas la Hongrie. Quinze États membres du Conseil de l’Europe en ont ratifié la partie IX, laquelle dispose :
Partie IX – Prestations d’invalidité
« Tout Membre pour lequel la présente Partie de la Convention est en vigueur doit garantir aux personnes protégées l’attribution de prestations d’invalidité, conformément aux articles ci-après de ladite Partie. »
« L’éventualité couverte sera l’inaptitude à exercer une activité professionnelle, d’un degré prescrit, lorsqu’il est probable que cette inaptitude sera permanente ou lorsqu’elle subsiste après la cessation de l’indemnité de maladie. »
« Les personnes protégées doivent comprendre :
a) soit des catégories prescrites de salariés, formant au total 50 pour cent au moins de l’ensemble des salariés ;
b) soit des catégories prescrites de la population active, formant au total 20 pour cent au moins de l’ensemble des résidents ;
c) soit tous les résidents dont les ressources pendant l’éventualité n’excèdent pas des limites prescrites conformément aux dispositions de l’article 67 ;
d) soit, lorsqu’une déclaration a été faite en application de l’article 3, des catégories prescrites de salariés, formant au total 50 pour cent au moins de l’ensemble des salariés travaillant dans des entreprises industrielles qui emploient 20 personnes au moins. »
« La prestation sera un paiement périodique calculé comme suit :
a) conformément aux dispositions soit de l’article 65, soit de l’article 66, lorsque sont protégées des catégories de salariés ou des catégories de la population active ;
b) conformément aux dispositions de l’article 67, lorsque sont protégés tous les résidents dont les ressources pendant l’éventualité n’excèdent pas des limites prescrites. »
« 1. La prestation mentionnée à l’article 56 doit, dans l’éventualité couverte, être garantie au moins :
a) à une personne protégée ayant accompli, avant l’éventualité, selon des règles prescrites, un stage qui peut consister soit en 15 années de cotisation ou d’emploi, soit en 10 années de résidence ;
b) lorsqu’en principe toutes les personnes actives sont protégées, à une personne protégée qui a accompli un stage de trois années de cotisation et au nom de laquelle ont été versées, au cours de la période active de sa vie, des cotisations dont le nombre moyen annuel atteint un chiffre prescrit.
2. Lorsque l’attribution de la prestation mentionnée au paragraphe 1 est subordonnée à l’accomplissement d’une période minimum de cotisation ou d’emploi, une prestation réduite doit être garantie au moins :
a) à une personne protégée ayant accompli, avant l’éventualité, selon des règles prescrites, un stage de 5 années de cotisation ou d’emploi ;
b) lorsqu’en principe toutes les personnes actives sont protégées, à une personne protégée qui a accompli un stage de trois années de cotisation et au nom de laquelle a été versée, au cours de la période active de sa vie, la moitié du nombre moyen annuel de cotisations prescrit auquel se réfère l’alinéa b) du paragraphe 1 du présent article.
3. Les dispositions du paragraphe 1 du présent article seront considérées comme satisfaites lorsqu’une prestation calculée conformément à la partie XI, mais selon un pourcentage inférieur de 10 unités à celui qui est indiqué dans le tableau annexé à cette partie pour le bénéficiaire type, est au moins garantie à toute personne protégée qui a accompli, selon les règles prescrites, 5 années de cotisation, d’emploi ou de résidence.
4. Une réduction proportionnelle du pourcentage indiqué dans le tableau annexé à la Partie XI peut être opérée lorsque le stage pour la prestation qui correspond au pourcentage réduit est supérieur à 5 ans de cotisation ou d’emploi, mais inférieur à 15 ans de cotisation ou d’emploi. Une prestation réduite sera attribuée conformément au paragraphe 2 du présent article. »
« Les prestations mentionnées aux articles 56 et 57 doivent être accordées pendant toute la durée de l’éventualité ou jusqu’à leur remplacement par une prestation de vieillesse. »
41. La Convention no 128 de l’OIT concernant les prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivants, entrée en vigueur le 1er novembre 1969, a été ratifiée jusqu’à présent par seize États – parmi lesquels ne figure pas la Hongrie –, dont dix sont membres du Conseil de l’Europe. Six de ces dix États ont accepté les obligations énoncées dans sa partie II, laquelle dispose :
Partie II – Prestations d’invalidité
« Tout Membre pour lequel la présente Partie de la Convention est en vigueur doit garantir aux personnes protégées l’attribution de prestations d’invalidité, conformément aux articles ci-après de ladite Partie. »
« L’éventualité couverte doit comprendre l’incapacité d’exercer une activité professionnelle quelconque, dans une mesure prescrite, lorsqu’il est probable que cette incapacité sera permanente ou lorsqu’elle subsiste à l’expiration d’une période prescrite d’incapacité temporaire ou initiale. »
« 1. Les personnes protégées doivent comprendre :
a) soit tous les salariés, y compris les apprentis ;
b) soit des catégories prescrites de la population économiquement active formant, au total, 75 pour cent au moins de l’ensemble de la population économiquement active ;
c) soit tous les résidents ou les résidents dont les ressources pendant l’éventualité n’excèdent pas des limites prescrites conformément aux dispositions de l’article 28.
2. Lorsqu’une déclaration faite en application de l’article 4 est en vigueur, les personnes protégées doivent comprendre :
a) soit des catégories prescrites de salariés formant, au total, 25 pour cent au moins de l’ensemble des salariés ;
b) soit les catégories prescrites de salariés des entreprises industrielles, formant, au total, 50 pour cent au moins de l’ensemble des salariés travaillant dans des entreprises industrielles. »
« Les prestations d’invalidité doivent être servies sous forme de paiements périodiques calculés :
a) conformément aux dispositions, soit de l’article 26, soit de l’article 27, lorsque sont protégés des salariés ou des catégories de la population économiquement active ;
b) conformément aux dispositions de l’article 28, lorsque sont protégés tous les résidents, ou les résidents dont les ressources pendant l’éventualité n’excèdent pas des limites prescrites. »
« 1. Les prestations visées à l’article 10 doivent, en cas de réalisation de l’éventualité couverte, être garanties au moins :
a) à une personne protégée ayant accompli, avant la réalisation de l’éventualité, selon des règles prescrites, un stage qui peut consister soit en quinze années de cotisation ou d’emploi, soit en dix années de résidence ;
b) lorsque, en principe, toutes les personnes économiquement actives sont protégées, à une personne protégée ayant accompli, avant la réalisation de l’éventualité, selon des règles prescrites, un stage de trois années de cotisation et au titre de laquelle ont été versées, au cours de la période active de sa vie, des cotisations dont le nombre moyen annuel ou le nombre annuel atteint un chiffre prescrit.
2. Lorsque l’attribution des prestations d’invalidité est subordonnée à l’accomplissement d’une période minimum de cotisation, d’emploi ou de résidence, des prestations réduites doivent être garanties au moins :
a) à une personne protégée ayant accompli, avant la réalisation de l’éventualité, selon des règles prescrites, un stage de cinq années de cotisation, d’emploi ou de résidence ;
b) lorsque, en principe, toutes les personnes économiquement actives sont protégées, à une personne protégée ayant accompli, avant la réalisation de l’éventualité, selon des règles prescrites, un stage de trois années de cotisation et au titre de laquelle a été versée, au cours de la période active de sa vie, la moitié du nombre moyen annuel ou du nombre annuel de cotisations prescrit auquel se réfère l’alinéa b) du paragraphe 1 du présent article.
3. Les dispositions du paragraphe 1 du présent article seront considérées comme satisfaites lorsque des prestations calculées conformément à la partie V, mais selon un pourcentage inférieur de dix unités à celui qui est indiqué dans le tableau annexé à ladite partie pour le bénéficiaire type, sont au moins garanties à toute personne protégée qui a accompli, selon des règles prescrites, cinq années de cotisation, d’emploi ou de résidence.
4. Une réduction proportionnelle du pourcentage indiqué dans le tableau annexé à la partie V peut être opérée, lorsque le stage requis pour l’attribution de prestations correspondant au pourcentage réduit est supérieur à cinq années de cotisation, d’emploi ou de résidence, mais inférieur à quinze années de cotisation ou d’emploi ou à dix années de résidence; des prestations réduites seront attribuées conformément au paragraphe 2 du présent article.
5. Les dispositions des paragraphes 1 et 2 du présent article seront considérées comme satisfaites lorsque des prestations calculées conformément à la partie V sont au moins garanties à toute personne protégée qui a accompli, selon des règles prescrites, un stage de cotisation ou d’emploi qui ne devrait pas dépasser cinq années à un âge minimum prescrit, mais qui peut être plus élevé en fonction de l’âge sans toutefois pouvoir dépasser un nombre maximum d’années prescrit. »
« Les prestations visées aux articles 10 et 11 doivent être accordées pendant toute la durée de l’éventualité ou jusqu’à leur remplacement par des prestations de vieillesse. »
« 1. Tout Membre pour lequel la présente partie de la Convention est en vigueur doit, dans des conditions prescrites :
a) prévoir des services de rééducation destinés à préparer les invalides, dans tous les cas où cela est possible, à reprendre leur activité antérieure ou, si cela n’est pas possible, à exercer une autre activité professionnelle qui convienne le mieux possible à leurs aptitudes et à leurs capacités ;
b) prendre des mesures tendant à faciliter le placement des invalides dans un emploi approprié.
2. Lorsqu’une déclaration faite en application de l’article 4 est en vigueur, le Membre intéressé peut déroger aux dispositions du paragraphe précédent. »
42. Le Code européen de sécurité sociale et les Conventions nos 102 et 128 de l’OIT renferment des dispositions quasiment identiques en vertu desquelles, lorsque l’attribution de la prestation d’invalidité est subordonnée à une durée minimale de cotisation ou d’emploi, une prestation réduite doit au moins être garantie aux personnes ayant, avant l’éventualité, cotisé pendant cinq ans au minimum (article 57 § 2 a) du Code européen de sécurité sociale et de la Convention no 102 de l’OIT, et article 11 § 2 a) de la Convention no 128 de l’OIT). Vingt États membres du Conseil de l’Europe se sont dits tenus par cette obligation, mais pas la Hongrie.
43. La Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (« la CIF ») de l’Organisation mondiale de la santé, en son annexe 6, consacrée aux considérations éthiques pour l’utilisation de la CIF, dit ceci :
« Utilisation sociale des informations de la CIF
8) Les informations de la CIF doivent être utilisées, dans la plus large mesure possible, avec la collaboration des personnes concernées en vue d’améliorer leurs choix et la maîtrise qu’elles ont de leur vie.
9) Les informations de la CIF doivent être utilisées en vue d’élaborer des politiques sociales et des changements politiques destinés à renforcer et à soutenir la participation des personnes.
10) La CIF et les informations découlant de son utilisation ne doivent pas être utilisées pour refuser à une personne ou à un groupe de personnes des droits acquis ou restreindre d’une façon quelconque leurs droits légitimes à des prestations.
11) Les personnes classées dans la même catégorie au titre de la CIF peuvent rester différentes à bien des égards. Les législations qui se réfèrent aux classifications de la CIF ne doivent pas supposer une plus grande homogénéité que prévu et doivent garantir que les personnes dont les niveaux de fonctionnement font l’objet de la classification restent prises en compte en tant que personnes. »
44. Le Système européen de statistiques intégrées de la protection sociale (SESPROS)[4] classe les pensions en les subdivisant tout d’abord en quatre catégories selon leur fonction : invalidité, vieillesse, survivants et chômage. En 2012, la catégorie des pensions de vieillesse était la plus large, représentant 77,3 % du total des dépenses et la même proportion pour ce qui est des bénéficiaires. La catégorie des pensions aux survivants, représentant un peu moins de 11,3 % des dépenses et 20,3 % des bénéficiaires, venait ensuite, puis les pensions d’invalidité, représentant 8,4 % des dépenses et 12,3 % des bénéficiaires. Les pensions de chômage constituaient la catégorie la moins importante, représentant moins de 0,3 % des dépenses et des bénéficiaires.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
45. La requérante allègue avoir perdu sa source de revenus, lesquels provenaient auparavant d’une pension d’invalidité, en raison du nouveau régime en vigueur depuis 2012, qui ne lui donne plus droit à cette pension ou à une prestation similaire, ce alors même que son état de santé ne s’est pas amélioré. Elle estime que cette perte tient aux conditions fixées par la nouvelle législation, auxquelles il lui est impossible de satisfaire. Elle invoque l’article 6 de la Convention.
46. La chambre a jugé qu’il y avait lieu d’examiner le grief de la requérante sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Approuvant cette approche, la Grande Chambre procédera de même.
47. Le Gouvernement récuse la thèse de la requérante.
48. Interprétant la manière dont la Cour constitutionnelle avait abordé la question, la chambre a considéré que la prestation d’invalidité, sous la forme d’une pension ou d’une allocation, procédait d’un droit sanctionnable en droit interne en ce sens que la personne concernée pouvait en bénéficier, dès lors qu’elle avait suffisamment cotisé au régime, si son état de santé le justifiait. Elle a observé que, pendant sa période d’activité, la requérante avait cotisé à la sécurité sociale comme l’exigeait la loi. Elle a estimé que ces cotisations avaient fait naître chez la requérante une espérance légitime de recevoir une prestation d’invalidité, espérance formellement reconnue et sanctionnée par les autorités lorsque l’intéressée s’était vu accorder une pension d’invalidité en 2001. Elle en a conclu à l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1 en l’espèce.
49. La chambre a également jugé que, continue dans sa nature juridique, cette espérance légitime reconnue ne pouvait être réputée éteinte du fait que, en application d’une nouvelle méthode d’évaluation, le taux d’invalidité de la requérante avait été réévalué à la baisse en 2009. Pour la chambre, le bien dont cette dernière disposait antérieurement, constitué par la pension d’invalidité, avait alors été remplacé par l’espérance légitime et reconnue du maintien du versement d’une prestation au cas où les circonstances l’exigeraient de nouveau.
50. La chambre a vu dans le refus d’ouvrir à la requérante un droit à une pension d’invalidité sous l’empire du régime de 2012 une ingérence dans ses droits patrimoniaux garantis par l’article 1 du Protocole no 1. Quant à la proportionnalité de cette ingérence, elle a jugé que la situation de la requérante avait connu une modification radicale avec la suppression totale de la possibilité pour elle de percevoir une prestation d’invalidité et que cela représentait une charge individuelle exorbitante, sans possibilité d’y remédier une fois le nouveau régime entré en vigueur. Pour ces motifs, la chambre a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1.
B. Observations des parties devant la Grande Chambre
51. La requérante allègue que l’article 1 du Protocole no 1 est applicable en l’espèce. De 2001 au 1er février 2010, elle aurait possédé un bien sous la forme d’une valeur patrimoniale existante représentée par sa pension d’invalidité. Par la suite, elle aurait conservé un droit sanctionnable à une prestation d’invalidité aussi longtemps qu’elle satisfaisait aux critères applicables en 2001 ; autrement dit, elle aurait nourri une espérance légitime provenant de sources multiples.
52. La requérante soutient que l’ancienne Constitution reconnaissait aux personnes invalides un droit automatique à des prestations sociales et que, selon l’interprétation de la Cour constitutionnelle, en tant qu’invalide, elle jouissait d’un droit sanctionnable à une forme de prestation sociale. À l’audience, elle a invoqué la décision no 37/2011 de la Cour constitutionnelle hongroise et l’arrêt no 1 BvL 1/09 de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, qui, d’après elle, confirment l’existence d’un droit pour les indigents à une prestation sociale leur assurant des moyens de subsistance de base.
53. De plus, la requérante s’appuie sur l’article 12 § 2 de la Charte sociale européenne, qui renvoie à la Convention no 102 de l’OIT, laquelle fixe des minima en matière de sécurité sociale, ainsi que sur la Convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées. Elle considère que, sources pour la Hongrie d’obligations internationales, ces textes prévoient aussi un droit sanctionnable à une prestation d’invalidité.
54. La requérante ajoute que son droit à une pension d’invalidité était tout autant sanctionnable sur la base du droit interne, notamment la loi no LXXXI de 1997 relative aux pensions de sécurité sociale. Cette loi lui aurait conféré un droit sanctionnable à une prestation d’invalidité du fait qu’elle était devenue invalide ; en lui accordant ultérieurement une pension d’invalidité, les autorités n’auraient fait que confirmer ce droit déjà existant.
55. À l’audience, la requérante a observé que le Gouvernement avait reconnu, ne serait-ce que pour la période allant jusqu’à la suppression de son droit à une pension lui-même, l’existence d’une espérance légitime découlant du droit interne tel qu’en vigueur en 2001, lorsqu’il avait été jugé pour la première fois qu’elle avait droit à une pension d’invalidité.
56. La requérante souligne que son état de santé ne s’est pas amélioré, comme l’a constaté l’expertise du 16 février 2011. Elle n’aurait donc pas cessé de satisfaire aux conditions légales pertinentes : ce seraient plutôt celles-ci qui auraient changé. Elle relève que le Gouvernement n’a pas produit de rapport ou d’expertise de nature médicale faisant clairement état d’une quelconque amélioration de son état de santé.
57. L’ingérence dans le droit que lui garantirait l’article 1 du Protocole no 1 serait constituée non seulement par le rejet de sa demande en 2012 mais aussi par une « situation continue » depuis la suppression de sa pension d’invalidité en 2010, puisqu’on lui aurait constamment refusé une prestation d’invalidité malgré les contrôles périodiques subis par elle. Le délai de six mois étant dès lors inapplicable, la requérante prie la Grande Chambre d’examiner la régularité de la suppression de sa pension d’invalidité intervenue en 2010.
58. La requérante rappelle que sa pension d’invalidité a été supprimée par l’effet d’une législation quasi-rétroactive, au mépris des droits acquis et en application d’une méthode d’évaluation d’une valeur juridique douteuse. Par ailleurs, le Gouvernement n’aurait justifié l’ingérence par aucun but réellement légitime. Celle-ci ne serait pas non plus proportionnée. Alors que ses problèmes de santé persistaient, elle se serait vu injustement retirer son allocation d’invalidité, et ses demandes ultérieures auraient été rejetées injustement elles aussi. Plutôt que d’avoir à subir une réduction raisonnable et proportionnée du montant de ses prestations, elle aurait été totalement privée de ses moyens de subsistance et donc condamnée à supporter une charge individuelle exorbitante.
59. Enfin, c’est dans son mémoire destiné à la Grande Chambre que la requérante souligne pour la première fois la nécessité d’un examen séparé des faits de la cause sur le terrain de l’article 8 pour le cas où la Cour estimerait inapplicable à son égard l’article 1 du Protocole no 1.
60. Le Gouvernement considère que la requête est irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention et de ses Protocoles. Il soutient que l’espérance légitime de recevoir une prestation d’invalidité, effectivement créée par le droit interne lorsqu’il avait été estimé en 2001 que la requérante pouvait y prétendre, s’est éteinte avec la suppression de ce droit en 2010. Il ajoute que, si la loi n’avait pas été modifiée, la requérante aurait pu de nouveau y prétendre lorsqu’il a été jugé en 2012 que son degré d’invalidité dépassait le seuil pertinent. Contrairement à ce que dit la requérante, la Constitution ne pourrait servir de fondement en droit national à une telle espérance légitime, étant donné que ce texte se contenterait d’énoncer des principes, tandis que les règles concrètes d’attribution des prestations d’invalidité seraient énoncées dans d’autres dispositions de loi.
61. Le Gouvernement estime que l’élargissement de la notion d’espérance légitime – tel qu’il ressort de l’arrêt de la chambre – irait totalement à l’encontre de la jurisprudence de la Cour, ferait peser sur les États membres une charge financière exorbitante et aurait un « effet dissuasif » sur la volonté des législateurs nationaux de réformer leurs systèmes de sécurité sociale. Il soutient que la Convention ne garantit aucun droit patrimonial indépendamment du droit interne des États membres souverains. À l’audience, il a mis en garde contre la création en catimini d’un droit social européen indépendant reposant sur une base non définie et non assorti des freins et contrepoids que seul le législateur national peut garantir.
62. Selon le Gouvernement, l’état de santé de la requérante s’est bel et bien amélioré quelque peu, comme l’ont confirmé l’expertise et le jugement du tribunal interne (paragraphes 15 et 16 ci-dessus) et comme le montre clairement aussi le fait que le taux d’incapacité de travail de 67 % fixé en application du système antérieur à 2008 aurait été équivalent à un taux d’invalidité de54 % en vertu de la nouvelle méthode. Or, ce taux ayant été réévalué à 40 % en 2009, il y aurait bien eu une certaine amélioration de sa santé. Les contrôles réglementaires périodiques prescrits dans les expertises avant la suppression de la pension d’invalidité signifieraient seulement que les problèmes de santé de la requérante étaient susceptibles d’évolution, tandis que les contrôles postérieurs à cette suppression auraient été sollicités par elle et non ordonnés par les autorités, raison pour laquelle on ne pourrait y voir la preuve de la subsistance d’une quelconque espérance légitime.
63. Le Gouvernement soutient par ailleurs qu’une législation postérieure est classique dans tout régime de sécurité sociale, et ce en raison du caractère durable et continu de la relation qui unit en la matière l’État à l’assuré. Les demandes de prestations sociales ne seraient normalement pas traitées sur la base du droit applicable au premier jour de la relation d’assurance : elles le seraient sur la base du droit en vigueur le jour où il est statué sur la demande. Les modifications éventuellement apportées dans l’intervalle aux lois en matière de sécurité sociale feraient donc forcément peser une charge individuelle sur tout assuré. Une loi postérieure ne pourrait raisonnablement être contestée que si elle vise les personnes recevant déjà une prestation à la date de son entrée en vigueur. Or tel ne serait pas le cas en l’occurrence.
64. Le Gouvernement ajoute que l’État ne peut être tenu pour responsable de l’insuffisance de la durée de cotisation de la requérante. Il estime que, si elle avait cotisé au régime de sécurité sociale sans interruption quand elle en avait la possibilité, elle aurait très vraisemblablement pu atteindre le nombre de jours requis. À ses yeux, dispenser la requérante de l’obligation de verser les cotisations nécessaires serait injuste et établirait une discrimination à l’encontre des personnes se trouvant dans une situation comparable et ayant dûment cotisé au régime de sécurité sociale. Le Gouvernement voit dans le cumul des cotisations versées par la requérante une condition nécessaire mais non suffisante et qui ne pourrait se substituer à l’existence d’une base valable en droit interne.
65. Le Gouvernement soutient que, garantie de manière continue à ceux qui y avaient droit à la date de la réforme du régime de sécurité sociale en question, la couverture sociale n’a pas cessé d’exister et n’a pas non plus été réduite par l’effet de la nouvelle loi. Il ajoute qu’il ne serait pas raisonnable d’attendre du régime qu’il couvre tous les individus auxquels elle avait été accordée à une certaine époque sans tenir compte de ce qu’ils avaient cessé d’y avoir droit. Autrement, selon lui, il en résulterait pour les régimes de sécurité sociale des États membres une charge lourde et exorbitante que le principe de proportionnalité n’imposerait pas.
66. Le Gouvernement conteste enfin la pertinence de la Convention no 102 de l’OIT concernant la sécurité sociale (norme minimum) et de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, approuvée par les États membres de l’Organisation mondiale de la santé. S’agissant de la Convention de l’OIT, il s’appuie sur l’absence d’un niveau minimal d’adhésion par les États européens tandis que, pour la CIF, il refuse d’y voir un élément de « droit international ».
C. Observations du tiers intervenant
67. La Confédération européenne des syndicats (« la CES ») expose les normes et la jurisprudence internationales ainsi que la pratique dans les États européens concernant le droit à la sécurité sociale en général et le droit à des prestations d’invalidité en particulier.
68. La CES se livre devant la Cour à une analyse des articles 22 et 25 § 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels à la lumière des observations générales pertinentes du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, de l’article 28 de la Convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, des Conventions nos 102 et 128 de l’OIT, de l’article 12 de la Charte sociale européenne, du Code européen de sécurité sociale, et de l’article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle décrit également la pratique pertinente des États membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe à partir d’une comparaison d’éléments tirés des bases de données MISSOC et MISSCEO.
69. La CES estime qu’il ressort de ces éléments qu’une majorité écrasante sinon la totalité des États membres du Conseil de l’Europe ont accepté de protéger contre le risque d’invalidité dans le cadre de leurs régimes de sécurité sociale, sur la base de traités internationaux et/ou de lois nationales. Elle y voit un consensus européen en la matière. À ses yeux, cette conclusion justifie dès lors une interprétation de l’article 1 du Protocole no 1 englobant dans le champ d’application matériel de cette disposition le droit à la sécurité sociale en général et le droit à des prestations d’invalidité en particulier.
D. Appréciation de la Grande Chambre
1. L’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement
70. La Cour constate que le Gouvernement a formulé pour la première fois devant la Grande Chambre une exception d’irrecevabilité tirée de l’incompatibilité ratione materiae du grief avec la Convention et ses Protocoles.
71. La Cour ne juge pas nécessaire de rechercher si le Gouvernement est forclos, en vertu de l’article 55 de son règlement, à soulever cette exception étant donné que, en tout état de cause, rien ne l’empêche d’examiner d’office cette question, qui touche à sa compétence (voir, par exemple, R.P. et autres c. Royaume-Uni, no 38245/08, § 47, 9 octobre 2012). Elle considère que, au vu des circonstances particulières de l’espèce, l’exception soulevée par le Gouvernement est si étroitement liée à la substance du grief de la requérante qu’il y a lieu de la joindre au fond.
2. Sur l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1
a) Principes généraux relatifs au champ d’application de cette disposition
72. La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général, en mettant en vigueur les lois qu’ils estiment nécessaires à cette fin. Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi beaucoup d’autres, James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A no 98, et Sargsyan c. Azerbaïdjan [GC], no 40167/06, § 217, CEDH 2015).
73. La notion de « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits de propriété » et donc des « biens » aux fins de cette disposition (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999-II, Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I, et Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, § 211, CEDH 2015).
74. Bien que l’article 1 du Protocole no 1 ne vaille que pour les biens actuels et ne crée aucun droit d’en acquérir (Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 82, CEDH 2011), dans certaines circonstances, l’« espérance légitime » d’obtenir une valeur patrimoniale peut également bénéficier de la protection de cette disposition (voir, parmi beaucoup d’autres, Anheuser‑Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 65, CEDH 2007–I).
75. Une espérance légitime doit être plus concrète qu’un simple espoir et se fonder sur une disposition juridique ou un acte juridique tel qu’une décision judiciaire. L’espoir de voir renaître un droit patrimonial éteint depuis longtemps ne peut être considéré comme un « bien », pas plus qu’une créance conditionnelle devenue caduque par la non‑réalisation d’une condition (Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98, §§ 69 et 73, CEDH 2002-VII). De plus, on ne peut conclure à l’existence d’une « espérance légitime » lorsqu’il y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les juridictions nationales (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 50, CEDH 2004‑IX). En revanche, un intérêt patrimonial reconnu par le droit interne – même s’il est révocable dans certaines circonstances – peut s’analyser en un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (Beyeler, précité, § 105).
76. Dans chaque affaire relative à l’article 1 du Protocole no 1, il importe normalement d’examiner si les circonstances de l’espèce, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par cette disposition (Iatridis, précité, § 54, Beyeler, précité, § 100, et Parrillo, précité, § 211). Lorsque le requérant revendique des biens autres qu’actuels, l’idée sous-jacente à l’impératif qu’un tel intérêt existe a aussi été formulée de différentes manières par la Cour dans sa jurisprudence. Par exemple, dans un certain nombre d’affaires, la Cour a recherché, respectivement, si les requérants étaient titulaires d’une « créance suffisamment établie pour être exigible » (Gratzinger et Gratzingerova, décision précitée, § 74), s’ils pouvaient se prévaloir d’un « droit [sanctionnable] à une prestation sociale [reconnu par] la législation interne » (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 51, CEDH 2005–X), ou s’ils satisfaisaient aux « conditions fixées par la législation interne pour l’octroi de tel ou tel type de prestation » (Richardson c. Royaume-Uni (déc.), no 26252/08, § 17, 10 avril 2012).
77. Dans l’arrêt Kopecký (précité), la Grande Chambre a récapitulé la jurisprudence de la Cour relative à la notion d’« espérance légitime ». Elle a conclu, au terme de son analyse de différents groupes d’affaires portant sur cette notion, que sa jurisprudence n’envisageait pas l’existence d’une « contestation réelle » ou d’une « prétention défendable » comme un critère permettant de juger de l’existence d’une « espérance légitime » protégée par l’article 1 du Protocole no 1. Elle a estimé que « lorsque l’intérêt patrimonial concerné [était] de l’ordre de la créance, il ne [pouvait] être considéré comme une « valeur patrimoniale » que lorsqu’il [avait] une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il [était] confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux » (Kopecký, précité, § 52).
78. L’un des groupes d’affaires susmentionnés portant sur l’« espérance légitime » concerne les situations où les intéressés pouvaient légitimement escompter que l’acte juridique sur la base duquel ils avaient contracté des obligations financières ne serait pas rétroactivement invalidé à leur détriment (Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, 29 novembre 1991, § 51, série A no 222, et Stretch c. Royaume-Uni, no 44277/98, § 35, 24 juin 2003). Dans les affaires formant cette ligne de jurisprudence, l’« espérance légitime » résulte donc de la circonstance que la personne concernée s’est fondée de façon raisonnablement justifiée sur un acte juridique ayant une base juridique solide et une incidence sur des droits patrimoniaux (Kopecký, précité, § 47). Le respect de cette espérance est une conséquence de l’un des aspects de la prééminence du droit, lequel imprègne chaque article de la Convention et implique notamment que le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention (voir, pour un exemple récent, Karácsony et autres c. Hongrie [GC], no 42461/13, § 156, 17 mai 2016, avec d’autres références).
79. Nonobstant la diversité des formulations employées dans la jurisprudence pour décrire l’exigence selon laquelle il doit y avoir une base en droit interne faisant naître un intérêt patrimonial, leur sens général peut se résumer ainsi : pour qu’il puisse faire reconnaître un bien constitué par une espérance légitime, le requérant doit jouir d’un droit sanctionnable qui, en vertu du principe énoncé au paragraphe 52 de l’arrêt Kopecký (repris au paragraphe 77 ci-dessus), doit véritablement constituer un intérêt patrimonial substantiel suffisamment établi au regard du droit national.
b) Champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 en matière de prestations sociales, en particulier d’allocations d’invalidité
80. Dans un État démocratique moderne, beaucoup d’individus, pour tout ou partie de leur vie, ne peuvent assurer leur subsistance que grâce à des prestations de sécurité ou de prévoyance sociales. De nombreux ordres juridiques internes reconnaissent que ces individus ont besoin d’une certaine sécurité et prévoient donc le versement automatique de prestations, sous réserve que soient remplies les conditions d’ouverture des droits en cause (Stec et autres, décision précitée, § 51). Les principes qui s’appliquent généralement aux affaires concernant l’article 1 du Protocole no 1 gardent toute leur pertinence en matière de prestations de sécurité ou de prévoyance sociales (ibidem, § 54). La Cour a déjà examiné à plusieurs reprises la question de l’espérance légitime dans le domaine des prestations sociales (voir, par exemple, Kjartan Ásmundsson c. Islande, no 60669/00, § 44, CEDH 2004–IX, et Klein c. Autriche, no57028/00, § 45, 3 mars 2011).
81. Dans les ordres juridiques où la législation nationale impose aux salariés de cotiser au régime de sécurité sociale, la loi prévoit normalement que ceux qui ont suffisamment cotisé et remplissent les conditions légales en matière d’invalidité recevront une prestation d’invalidité de longue durée sous telle ou telle forme, en vertu des principes de la solidarité sociale et de l’équivalence, aussi longtemps que persistera l’invalidité ou jusqu’à l’âge de la retraite. De tels systèmes de couverture sociale, en général obligatoires, offrent donc une protection, en l’occurrence par l’octroi de prestations, pendant toute la durée de couverture et dès lors que les conditions régissant celle-ci sont satisfaites. Les conditions légales en question sont toutefois susceptibles d’évoluer. À cet égard, il faut rappeler que, dans l’arrêt Gaygusuz c. Autriche (16 septembre 1996, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV), la Cour a jugé que le droit à une allocation d’urgence – une prestation sociale liée au versement de cotisations à la caisse d’assurance chômage – était, pour autant que prévu dans la législation applicable, un droit patrimonial aux fins de l’article 1 du Protocole no 1. Dans l’arrêt Klein (précité, § 43), elle a relevé que le droit à une prestation sociale – en l’occurrence une pension versée par la caisse de retraite des avocats – était lié au versement de cotisations et que, une fois celles-ci payées, l’octroi de la prestation en question ne pouvait être refusé à l’intéressé. Le versement de cotisations à une caisse de retraite peut donc, dans certaines circonstances et sur la base du droit interne, donner naissance à un droit patrimonial (Kjartan Ásmundsson, précité, § 39, Apostolakis c. Grèce, no 39574/07, §§ 28 et 35, 22 octobre 2009, Bellet, Huertas et Vialatte c. France (déc.), nos 40832/98, 40833/98 et 40906/98, 27 avril 1999, Skórkiewicz c. Pologne (déc.), no 39860/98, 1er juin 1999, et Moskal c. Pologne, no 10373/05, § 41, 15 septembre 2009).
82. La Cour a également dit que l’article 1 du Protocole no 1 n’imposait aucune restriction à la liberté pour les États contractants de décider d’instaurer ou non un régime de protection sociale ou de choisir le type ou le niveau des prestations censées être accordées au titre de pareil régime (Sukhanov et Iltchenko c. Ukraine, nos 68385/10 et 71378/10, §§ 35-39, 26 juin 2014, Kolesnyk et autres c. Ukraine (déc.), no 57116/10, §§ 83, 89 et 91, 3 juin 2014, et Fakas c. Ukraine (déc.), no 4519/11, §§ 34, 37-43 et 48, 3 juin 2014). En revanche, dès lors qu’un État contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d’une prestation sociale – que l’octroi de cette prestation dépende ou non du versement préalable de cotisations – cette législation doit être considérée comme engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 pour les personnes remplissant ses conditions (Stec et autres, décision précitée, § 54).
83. Dans certains cas, le versement de cotisations obligatoires, par exemple à une caisse de retraite ou à un régime d’assurance sociale, peut créer un droit patrimonial protégé par l’article 1 du Protocole no 1 avant même que le cotisant ne remplisse toutes les conditions pour percevoir effectivement la pension ou une autre prestation. Tel est le cas lorsqu’il y a un lien direct entre le niveau des cotisations et les prestations allouées (Stec et autres, décision précitée, § 43). Le versement de cotisations à une caisse de retraite peut donc, dans certaines circonstances, donner naissance à un droit patrimonial sur une partie des fonds de celle-ci, et une modification des droits à pension dans le cadre d’un tel système peut donc, en principe, soulever une question sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. À supposer même que cette disposition garantisse aux cotisants d’un régime d’assurance spécial le droit d’obtenir des prestations de celui-ci, elle ne peut être interprétée comme leur donnant le droit à une pension d’un montant déterminé (Müller c. Autriche, no 5849/72, rapport de la Commission du 1er octobre 1975, DR 3, p. 25, § 30, cité dans T. c. Suède, no 10671/83, décision de la Commission du 4 mars 1985, DR 42, p. 233).
84. À cet égard, il faut rappeler que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ne garantit pas, en tant que tel, un quelconque droit à une pension d’un montant donné (Kjartan Ásmundsson, précité, § 39), bien qu’une réduction du montant d’une allocation ou la suppression de celle-ci puisse constituer une atteinte à un bien qu’il y a lieu de justifier (Valkov et autres c. Bulgarie, nos 2033/04, 19125/04, 19475/04, 19490/04, 19495/04, 19497/04, 24729/04, 171/05 et 2041/05, § 84, 25 octobre 2011, et Grudić c. Serbie, no 31925/08, § 72, 17 avril 2012).
85. La Cour statuera sur l’existence ou non d’une telle atteinte en axant son analyse sur le droit interne en vigueur à la date de l’atteinte alléguée (voir, comme exemple tiré du droit de la responsabilité, Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 67, CEDH 2005–IX).
86. Lorsque l’intéressé ne satisfait pas (Bellet, Huertas et Vialatte, décision précitée) ou cesse de satisfaire aux conditions fixées par le droit interne pour l’octroi de telle ou telle forme de prestation ou de pension, il n’y a pas d’atteinte aux droits découlant de l’article 1 du Protocole no 1 (Rasmussen c. Pologne, no 38886/05, § 71, 28 avril 2009) si les conditions ont changé avant que l’intéressé ait pu prétendre à la prestation en question (Richardson, décision précitée, § 17). Lorsque la suspension ou la réduction d’une pension est due à un changement non pas dans la situation du requérant lui-même mais dans la loi ou dans sa mise en œuvre, il peut en résulter une atteinte aux droits garantis par l’article 1 du Protocole no 1 (Grudić, précité, § 77).
87. Dans un certain nombre d’affaires, la Cour s’est montrée disposée à admettre que l’octroi d’une pension, dont le requérant avait été ultérieurement privé au motif que les conditions légales n’avaient pas été remplies dès le départ, avait pu faire naître un bien au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (Moskal, précité, § 45, et Antoni Lewandowski c. Pologne, no 38459/03, §§ 78 et 82, 2 octobre 2012). Dans une autre affaire, elle a estimé que le non-respect d’une condition (en l’occurrence l’adhésion obligatoire à une association professionnelle), qui était en droit national un motif suffisant pour perdre le droit à une pension, ne permettait pas de conclure que le requérant ne disposait d’aucun bien au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (Klein, précité, § 46). Rien n’a fait obstacle non plus à ce qu’elle constate qu’un requérant, dont la demande d’allocation pour adultes handicapés avait été rejetée au motif qu’il ne remplissait pas la condition légale de nationalité, pouvait prétendre à un droit patrimonial sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (Koua Poirrez c. France, no 40892/98, §§ 37-42, CEDH 2003–X). En revanche, dans une autre affaire encore, elle a jugé que la seule tolérance par les pouvoirs publics d’un cumul de deux pensions, lorsqu’il était possible d’obtenir le remboursement des cotisations pour l’une d’elles, n’avait pas fait naître un droit protégé par cet article (Bellet, Huertas et Vialatte, décision précitée).
88. L’adhésion d’une personne à un régime public de sécurité sociale (même obligatoire, comme en l’espèce) ne rend pas forcément impossible la modification du système, qu’il s’agisse des conditions d’attribution de l’allocation ou de la pension ou de leur montant (voir, mutatis mutandis, Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, §§ 85-89, CEDH 2010, et Richardson, décision précitée, § 17). D’ailleurs, la Cour a reconnu la possibilité de réformer la législation en matière de sécurité sociale en fonction des changements sociaux et de l’évolution des opinions quant aux catégories de personnes ayant besoin d’une aide sociale, ainsi que de l’évolution des situations individuelles (Wieczorek c. Pologne, no 18176/05, § 67, 8 décembre2009).
89. Ainsi, il ressort de la jurisprudence précitée que, lorsque les conditions fixées par le droit interne pour l’octroi de telle ou telle forme de prestation ou de pension ont changé et que, de ce fait, la personne concernée n’y satisfait plus, un examen minutieux des circonstances individuelles de l’espèce – en particulier, la nature du changement apporté auxdites conditions – peut s’imposer dans le but de vérifier l’existence d’un intérêt patrimonial substantiel suffisamment établi au regard du droit national. Ainsi le veulent la sécurité juridique et la prééminence du droit, qui font partie des valeurs fondamentales sous-jacentes à la Convention.
c) Application de ces principes au cas d’espèce
90. La Grande Chambre relève d’emblée que, dans la procédure devant elle, la requérante a réitéré sa thèse exposée devant la chambre concernant le caractère « continu » que revêtirait l’ingérence causée par la suppression de sa pension d’invalidité en 2010 (paragraphe 57 ci-dessus). Cependant, elle note également que la chambre a constaté que le jugement rendu le 1er avril 2011 par le tribunal du travail de Nyíregyháza déboutant la requérante était définitif et que, la requête ayant été introduite devant la Cour plus de six mois plus tard, l’article 35 § 1 de la Convention faisait obstacle à l’examen par elle de la procédure à l’origine de ce jugement (paragraphe 31 de l’arrêt de la chambre). La Grande Chambre n’a donc pas compétence pour examiner la procédure qui s’est conclue par le jugement du 1er avril 2011.
91. Dès lors, la Grande Chambre limitera son examen à l’affaire telle qu’elle a été déclarée recevable par la chambre (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 141, CEDH 2001–VII), en l’occurrence au grief tiré par la requérante de la procédure qui a débuté avec le dépôt par elle d’une demande d’allocation d’invalidité le 20 février 2012 et qui a pris fin avec le jugement rendu par le tribunal administratif et du travail de Nyíregyháza le 20 juin 2013, lequel a conclu que le régime de 2012 ne lui donnait pas droit à une allocation d’invalidité en raison d’une durée de cotisation insuffisante (voir l’exposé de la procédure pertinente aux paragraphes 19 à 23 ci‑dessus).
92. Toutefois, rien n’empêche la Cour de statuer sur la compatibilité avec l’article 1 du Protocole no 1 de l’issue de la procédure qui a pris fin avec le jugement du 20 juin 2013 (paragraphe 23 ci-dessus) en tenant compte de faits antérieurs et postérieurs à la décision du 1er février 2010.
93. La Cour note que le régime de prestations d’invalidité en question, que ce soit sous sa forme antérieure à 2012 ou sous sa forme actuelle, repose essentiellement sur deux critères d’attribution cumulatifs : i) une « condition médicale », qui en limite le bénéfice aux seules personnes dont l’état de santé et la situation professionnelle le commandent, et ii) une « condition contributive », qui requiert une certaine durée de service (comme sous l’empire du régime antérieur à 2012), c’est-à-dire, en substance, une durée de cotisation à la sécurité sociale (paragraphes 28 et 29 ci-dessus).
94. Ainsi, lorsqu’elle a atteint la durée de service requise (à une date non précisée mais au plus tard en 2001), la requérante avait rempli la « condition contributive », telle que fixée par le droit en vigueur à l’époque, et lorsqu’il a été constaté en 2001 que son taux d’invalidité était supérieur à celui exigé, elle avait rempli aussi la seconde condition (la « condition médicale »). Par conséquent, de 2001 à 2009-2010, c’est-à-dire pendant près de dix ans, elle a satisfait à toutes les conditions ouvrant le droit au versement automatique d’une pension d’invalidité (Stec et autres, décision précitée, § 51, repris au paragraphe 80 ci-dessus). La décision qui lui avait accordé une pension d’invalidité sur la base des dispositions de la loi de 1997 et sur laquelle reposait son droit initial est donc assimilable à un « bien actuel » (Kopecký, précité, § 35c)). De plus, il semble indéniable que, tout au long de cette période, elle pouvait prétendre, sur le fondement de cet « acte juridique », à une « espérance légitime » (ibidem, § 47) de continuer à percevoir une prestation d’invalidité au cas où son invalidité perdurerait et se maintiendrait au niveau exigé, puisqu’il n’y avait aucune controverse sur la manière d’interpréter et d’appliquer le droit interne (ibidem, § 50).
95. Cela dit, il faut encore déterminer si la requérante pouvait toujours nourrir une espérance légitime au 1er janvier 2012, date à laquelle le législateur a modifié la condition contributive de la prestation d’invalidité, anéantissant effectivement les effets juridiques du fait qu’elle avait auparavant satisfait à cette condition. À la suite de la réforme législative, la requérante s’est vu supprimer l’allocation en question au motif qu’elle n’y avait plus droit au regard de la nouvelle condition contributive. Cette conclusion a été confirmée ensuite d’une manière faisant autorité par le tribunal administratif et du travail de Nyíregyháza dans son jugement définitif du 20 juin 2013 (paragraphe 23 ci-dessus). C’est seulement si l’espérance légitime de la requérante existait encore au 1er janvier 2012 que cette réforme législative peut s’analyser en une atteinte à ses biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1.
96. Les parties divergent sur le point de savoir si l’espérance légitime pour la requérante de recevoir une prestation d’invalidité à condition de répondre aux critères voulus (paragraphes 51, 55 et 60 ci-dessus) s’est éteinte une fois supprimé son droit à une pension en 2010. Dès lors, la Cour doit rechercher si, en 2012, lorsque la requérante a demandé une allocation d’invalidité en se fondant sur une nouvelle évaluation de son état de santé ayant débouché sur un taux d’invalidité suffisant, elle avait toujours une espérance légitime, au sens défini dans sa jurisprudence, de recevoir une prestation d’invalidité.
97. À cette fin, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher la divergence entre les parties quant à savoir si, oui ou non, l’état de santé de la requérante s’était réellement amélioré pendant la période en cause. Elle constate que, selon l’expertise du 16 février 2011 produite devant le tribunal de Nyíregyháza (paragraphe 15 ci-dessus), il n’y avait eu aucune amélioration notable depuis 2007. De plus, ni l’une ni l’autre des parties ne conteste que, au vu de son état de santé, la requérante aurait pu bénéficier de l’allocation d’invalidité en 2012 si la nouvelle loi n’était pas entrée en vigueur au début de cette année-là. Le Gouvernement a d’ailleurs confirmé que tel aurait bien été le cas (paragraphes 22 et 60 ci-dessus).
98. La question de savoir si, à la date de l’entrée en vigueur de la loi de 2012, la requérante avait toujours une telle espérance légitime au sens défini dans la jurisprudence de la Cour ne peut être tranchée sur la base de ce seul texte. En effet, les principes excluant tout constat d’ingérence lorsque l’intéressé cesse de satisfaire aux conditions fixées par le droit interne ne sauraient être appliqués mécaniquement lorsque c’est précisément de la modification même des conditions légales en cause qu’il est tiré grief.
99. Dès lors, limiter le contrôle de la Cour à la question de savoir si l’article 1 du Protocole no 1 est inapplicable du seul fait de l’absence de base légale interne en 2012 reviendrait à contourner délibérément ce qui est au cœur même du grief formulé par la requérante, à savoir la réforme législative (Lakićević et autres, précité, § 70) qui a anéanti la base légale sur laquelle reposait jusqu’alors sa prestation d’invalidité. Cette réforme a en effet imposé à une certaine catégorie d’assurés, à laquelle appartenait la requérante, une nouvelle condition dont l’apparition n’était pas prévisible au cours de la période de cotisation potentielle pertinente, condition que, de plus, ces personnes ne pouvaient nullement remplir une fois la nouvelle législation entrée en vigueur. Or pareil cumul se concilie difficilement, en dernière analyse, avec la prééminence du droit. La Cour rappelle à ce stade que la Convention vise à protéger des droits non pas théoriques et illusoires mais « concrets et effectifs » (Perdigão c. Portugal [GC], no 24768/06, § 68, 16 novembre 2010). Considérer qu’une personne qui pourtant a cotisé à un régime d’assurance et a satisfait à la condition contributive posée par celui-ci peut être totalement privée de l’espérance légitime d’obtenir au bout du compte une prestation ne serait guère compatible avec ce principe.
100. Ainsi qu’il a déjà été dit, un intérêt patrimonial reconnu par le droit interne – même s’il est révocable dans certaines circonstances – peut s’analyser en un « bien » sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (Beyeler, précité, § 105). En suivant ce raisonnement, la Cour a déclaré cette disposition applicable dans un certain nombre d’affaires où les requérants ne satisfaisaient plus aux conditions d’attribution de la prestation en question fixées par le droit interne à la date d’introduction de leur requête (voir, par exemple, Kjartan Ásmundsson, précité, § 40).
101. Il faut donc examiner plus avant si, au moins jusqu’à l’ingérence alléguée constituée par la loi de 2012, la requérante jouissait d’un intérêt patrimonial substantiel suffisamment établi pour être considéré comme un « bien » aux fins de l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 79 ci‑dessus).
102. À cet égard, la Cour observe en particulier que, pendant l’intervalle entre la suppression de sa pension d’invalidité en 2010 et l’introduction par le législateur d’une nouvelle condition contributive en 2012, la requérante a continué non seulement d’adhérer au système de sécurité sociale, mais aussi de satisfaire à la condition de durée de service requise pour bénéficier d’une prestation d’invalidité. Ayant toujours coopéré avec les autorités sans jamais cesser de réclamer activement une telle prestation, elle a plusieurs fois fait l’objet d’une réévaluation de son état de santé en 2011 et 2012 ; d’autres examens de la sorte étaient prévus pour novembre 2012, avril et septembre 2014 et mars 2015.
103. Dans son jugement du 1er avril 2011, le tribunal du travail de Nyíregyháza a relevé que la requérante pouvait justifier d’une durée de service de 23 ans et 71 jours (paragraphe 16 ci-dessus), ce qui, comme la Cour le constate, dépasse de beaucoup la durée minimale de cinq ans (avant l’éventualité) justifiant au moins une prestation d’invalidité réduite selon le code européen de la sécurité sociale et les Conventions nos 102 et 128 de l’OIT (paragraphe 42 ci-dessus). De plus, bien qu’il ait avalisé la suppression de la pension d’invalidité de la requérante à compter du 1er février 2010, le tribunal de Nyíregyháza a expressément confirmé qu’une nouvelle évaluation médicale pouvait avoir lieu en mars 2012 et a signalé à la requérante qu’elle pouvait former une nouvelle demande si son état de santé venait à se détériorer (paragraphe 16 ci-dessus).
104. En outre, bien que pendant un certain temps le taux d’invalidité de la requérante ait été évalué légèrement en deçà du niveau minimum requis (40% en décembre 2009 et avril 2011, puis 45% en septembre 2011 – paragraphes 12 à 17 ci-dessus), il a atteint 50 % en décembre 2011, c’est‑à‑dire avant la fin de ladite période, ainsi qu’en février 2012. Ce taux d’invalidité, nul ne le conteste, aurait permis à la requérante d’obtenir une prestation d’invalidité en février 2012 si une nouvelle condition contributive rétroactive, qu’elle ne remplissait pas, n’avait pas été introduite. Parallèlement, le 13 décembre 2011, il avait été recommandé que la requérante suive une réadaptation et perçoive l’allocation ad hoc – un type de prestation très proche de la pension d’invalidité (paragraphe 17 ci‑dessus) et censé se substituer à celle-ci pour les personnes susceptibles de réadaptation. Toutefois, les autorités n’ont pas mis cette recommandation en œuvre. Si elles l’avaient fait, la requérante aurait peut-être bénéficié d’une prestation au 31 décembre 2011, ce qui aurait modifié sa situation au regard de la nouvelle loi.
105. La Cour rappelle que la requérante a cotisé au régime de sécurité sociale, ce qui était une obligation, et satisfait aux conditions légales d’octroi d’une prestation d’invalidité. Elle a déjà indiqué que les cotisations à une caisse de retraite peuvent, dans certaines circonstances et selon le droit interne, créer un droit patrimonial aux fins de l’article 1 du Protocole no 1(paragraphes 81 et 83 ci-dessus). Elle constate que de telles circonstances sont en l’espèce réunies, les cotisations versées par la requérante ayant été jugées suffisantes au plus tard le 1eravril 2001 (paragraphe 11 ci-dessus). La requérante pouvait donc raisonnablement escompter que la loi lui promettait une prestation d’invalidité dès lors qu’elle satisfaisait aux conditions médicales applicables.
106. Dans ces conditions, la Cour considère que la réduction du taux d’invalidité de la requérante en 2009, la suppression consécutive de sa pension d’invalidité en 2010 et les autres éléments relatifs à sa situation en matière de pension intervenus de 2010 au 31 décembre 2011 n’ont pas suffi à éteindre son espérance légitime de recevoir une prestation d’invalidité si son taux d’invalidité venait à atteindre de nouveau le niveau requis. Au contraire, les mesures prises par les autorités, et en particulier le jugement du 1er avril 2011, indiquent que les autorités ont agi en reconnaissant pleinement la situation de la requérante au regard du régime d’assurance, si bien que celle-ci pouvait s’appuyer d’une manière raisonnablement justifiée sur la législation applicable et avait une espérance légitime de recevoir une prestation d’invalidité au cas où les conditions légales seraient remplies. Comme le Gouvernement l’admet, sans les nouvelles conditions fixées par la loi de 2012, la requérante aurait pu bénéficier d’une prestation d’invalidité en 2013.
107. En bref, de 2010 au 31 décembre 2011, la requérante, bien que non titulaire d’une pension, continuait à nourrir une « espérance légitime » relevant de la notion de « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1.
108. Pour la Cour, en demandant une allocation d’invalidité en 2012, après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, sur la base d’une nouvelle évaluation de son état de santé ayant débouché sur un taux d’invalidité suffisant, la requérante n’a rien fait de plus que se prévaloir une nouvelle fois d’une espérance légitime existante de recevoir une prestation sociale, plutôt que de chercher à « acquérir » un « bien ». Aucune des parties ne conteste qu’elle aurait pu bénéficier d’une allocation d’invalidité à compter du moment où il a été constaté, en 2012, que son problème de santé dépassait le seuil pertinent, si la nouvelle loi n’était pas entrée en vigueur cette année-là (paragraphes 22 et 60 ci‑dessus).
109. L’ingérence en question, provoquée par l’entrée en vigueur de la nouvelle loi à compter de 2012, est constituée par le rejet complet de la demande d’allocation d’invalidité formée par la requérante ; en d’autres termes, son droit d’obtenir des prestations du régime de sécurité sociale en question a été enfreint d’une façon qui a entraîné une atteinte à ses droits à pension.
110. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure à l’applicabilité en l’espèce de l’article 1 du Protocole no 1. En conséquence, elle rejette l’exception préliminaire tirée par le Gouvernement d’une incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
111. Eu égard à cette conclusion, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres arguments des parties visant à éclaircir la nature du droit litigieux au regard des différents instruments internationaux pertinents.
3. Sur l’observation de l’article 1 du Protocole no 1
112. La légalité constitue une condition primordiale de la compatibilité avec l’article 1 du Protocole no 1 d’une ingérence dans un droit protégé par cette disposition. La prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, imprègne l’ensemble des articles de la Convention (Iatridis, précité, § 58, Wieczorek, précité, § 58, et Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 96, 25 octobre 2012).
113. En outre, une ingérence de la puissance publique dans la jouissance du droit au respect des biens ne peut se justifier que si elle sert un intérêt public (ou général) légitime. Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d’« utilité publique ». Dans le mécanisme de protection créé par la Convention, il leur appartient par conséquent de se prononcer les premières sur l’existence d’un problème d’intérêt général justifiant des mesures portant atteinte au droit au respect des biens. La notion d’« utilité publique » est forcément extensive. En particulier, la décision de légiférer en matière de prestations sociales implique d’ordinaire un examen de considérations d’ordre économique et social. La Cour estime naturel que la marge d’appréciation laissée au législateur dans la mise en œuvre des politiques économiques et sociales soit étendue et elle respectera les choix de ce dernier en matière d’« utilité publique », sauf s’ils se révèlent manifestement dépourvus de base raisonnable (voir, mutatis mutandis, Ex‑roi Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 87, CEDH 2000-XII, Wieczorek, précité, § 59, Frimu et 4 autres requêtes c. Roumanie (déc.), nos 45312/11, 45581/11, 45583/11, 45587/11 et 45588/11, § 40, 7 février 2012, Panfile c. Roumanie (déc.), no 13902/11, 20 mars 2012, et Gogitidze et autres c. Géorgie, no 36862/05, § 96, 12 mai 2015).
114. Cela vaut particulièrement, par exemple, pour l’adoption de lois dans le cadre d’un changement de régime politique et économique (Valkov et autres, précité, § 91), pour l’adoption de politiques d’économie des deniers publics (N.K.M. c. Hongrie, no 66529/11, §§ 49 et 61, 14 mai 2013) ou pour la réaffectation des crédits (Savickas c. Lituanie et autres (déc.), no 66365/09, 15 octobre 2013), ou encore pour des mesures d’austérité imposées par une grave crise économique (Koufaki et ADEDY c. Grèce (déc.), nos 57665/12 et 57657/12, §§ 37 et 39, 7 mai 2013 ; voir aussi da Conceição Mateus et Santos Januário c. Portugal (déc.) nos 62235/12 et 57725/12, § 22, 8 octobre 2013, et da Silva Carvalho Rico c. Portugal (déc.), § 37, no 13341/14, 1er septembre 2015).
115. L’article 1 du Protocole no 1 exige en outre qu’une telle ingérence soit raisonnablement proportionnée au but qu’elle poursuit (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, §§ 81-94, CEDH 2005-VI). Le juste équilibre à préserver sera détruit si l’individu concerné supporte une charge spéciale et exorbitante (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, §§ 69-74, série A no 52, Kjartan Ásmundsson, précité, § 45, Sargsyan, précité, § 241, Maggio et autres, précité, § 63, et Stefanetti et autres, précité, § 66).
116. La Cour recherchera si l’ingérence a fait peser sur la requérante une charge spéciale et exorbitante en tenant compte du contexte particulier de l’affaire, à savoir un régime de sécurité sociale. Pareils régimes sont une expression de la solidarité de la société envers ses membres vulnérables (Maggio et autres, § 61, Stefanetti et autres, § 55, tous deux précités, ainsi que, mutatis mutandis, Goudswaard-Van der Lans c. Pays‑Bas (déc.), no 75255/01, CEDH 2005-XI).
117. La Cour rappelle que la suppression de l’intégralité d’une pension risque d’enfreindre les dispositions de l’article 1 du Protocole no 1, à l’inverse d’une réduction raisonnable d’une pension ou de prestations analogues. Toutefois, le critère du juste équilibre ne saurait uniquement reposer, dans l’abstrait, sur le montant ou le pourcentage de la réduction en question. Dans un certain nombre d’affaires, la Cour s’est attachée à apprécier tous les éléments pertinents en les situant dans leur contexte (Stefanetti et autres, précité, § 59, avec des exemples et d’autres références ; voir aussi Domalewski c. Pologne (déc.), no 34610/97, CEDH 1999-V). Ce faisant, la Cour accorde de l’importance à des éléments tels que le caractère discriminatoire de la perte du droit (Kjartan Ásmundsson, précité, § 43), l’absence de mesures transitoires (Moskal, précité, § 74, où la requérante s’était retrouvée, presque du jour au lendemain, totalement privée de sa pension de départ à la retraite anticipée, qui constituait sa seule source de revenus, alors qu’elle n’avait guère de possibilités de s’adapter à ce changement), le caractère arbitraire de la condition (Klein, précité, § 46) ainsi que la bonne foi du requérant (Moskal, précité, § 44).
118. Il importe de se demander si le droit du requérant à obtenir des prestations du régime de sécurité sociale en question a été enfreint de telle sorte que cela entraîne une atteinte à la substance de ses droits à pension (Domalewski, décision précitée, Kjartan Ásmundsson, précité, § 39, Wieczorek, précité, § 57, Rasmussen, précité, § 75, Valkov et autres, précité, §§ 91 et 97, Maggio et autres, précité, § 63, et Stefanetti et autres, précité, § 55).
b) Application de ces principes au cas d’espèce
119. En l’espèce, les parties divergent quant à savoir si l’ingérence dans le droit patrimonial de la requérante respectait les « conditions prévues par la loi », au sens de la seconde phrase du premier alinéa l’article 1 du Protocole no 1, et s’il est possible de constater qu’elle visait un but légitime.
120. La Cour relève que l’ingérence est constituée par la législation spécifique entrée en vigueur à compter de 2012 et par son application en l’espèce. Elle est donc convaincue que l’ingérence a satisfait à la condition de légalité énoncée dans la disposition précitée.
121. La Cour estime également que l’ingérence dénoncée poursuivait le but d’intérêt général consistant à économiser les deniers publics, en ce qu’elle était censée rationaliser le régime des prestations sociales d’invalidité.
122. Quant à la proportionnalité de l’ingérence, le gouvernement défendeur ne fait guère d’observations à ce sujet.
123. La Cour constate que la requérante a été totalement privée de toute prestation au lieu d’être soumise à une réduction proportionnée de son allocation, par exemple grâce à un calcul au prorata du nombre de jours de cotisation existants et manquants (Kjartan Ásmundsson, précité, §§ 44-45, Lakićević, précité, § 72, ainsi que, a contrario, Richardson, décision précitée, § 24, et Wieczorek, précité, § 71), sachant que sa durée de cotisation n’était inférieure que de 148 jours à celle requise. Il s’agit d’un élément d’autant plus important que la requérante ne dispose pas d’autre source conséquente de revenus pour assurer sa subsistance (paragraphe 25 ci-dessus ; voir, en comparaison, Kjartan Ásmundsson, précité, § 44) et qu’elle a manifestement du mal à trouver un emploi rémunérateur et appartient au groupe vulnérable des personnes handicapées (Alajos Kiss c. Hongrie, no 38832/06, § 42, 20 mai 2010). La Cour tient en effet compte des caractéristiques particulières du type de pension en cause. Alors même que, ainsi qu’il a déjà été indiqué, la réadaptation de la requérante avait été recommandée en décembre 2011, cette mesure n’a pas été adoptée et l’allocation correspondante ne lui a pas été attribuée (paragraphes 17 et 104 ci-dessus).
124. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que, bien qu’elle ait pour finalité d’économiser les deniers publics en réformant et en rationalisant le régime des prestations d’invalidité, la mesure litigieuse consiste en une législation qui, au vu des circonstances, n’a pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu. À ses yeux, une telle finalité ne saurait justifier l’adoption d’un texte d’effet rétroactif et dépourvu de mesures transitoires adaptées à la situation particulière (Moskal, précité, §§ 74 et 76 ; voir également la décision de la Cour de justice de l’Union européenne citée dans l’arrêt Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 69, 23 juin 2016), puisqu’elle a été de ce fait privée de son espérance légitime de recevoir une prestation d’invalidité. Une ingérence aussi grave dans les droits de la requérante n’est pas conciliable avec le juste équilibre à préserver entre les intérêts en jeu (voir, mutatis mutandis, Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 43).
125. Il faut ajouter que la requérante a été privée du droit à toute prestation quelle qu’elle soit alors que rien n’indique qu’elle n’a pas à tout moment agi de bonne foi, coopéré avec les autorités ou entrepris toute action ou démarche nécessaire (voir, à titre de comparaison, Wieczorek, précité, § 69 in fine).
126. La Cour estime donc qu’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens employés. Elle en conclut que, nonobstant l’ample marge d’appréciation dont l’État dispose en la matière, la requérante a dû supporter une charge individuelle exorbitante (Kjartan Ásmundsson, précité, § 45), ce qui a emporté violation de ses droits protégés par l’article 1 du Protocole no 1.
127. Au vu de cette conclusion, la Cour dit qu’il n’y a pas lieu qu’elle examine la thèse exposée à titre subsidiaire par la requérante sur le terrain de l’article 8 de la Convention (paragraphe 59 ci-dessus).
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
128. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
129. La requérante réclame 13 185 euros (EUR) pour dommage matériel, ce qui correspondrait à 68 mois de prestations d’invalidité non versées. Elle demande en outre 6 000 EUR pour dommage moral.
130. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
131. La Cour ne saurait spéculer sur le montant des allocations d’invalidité qui auraient été versées à la requérante s’il n’y avait pas eu violation. Elle lui accorde donc la somme forfaitaire de 10 000 EUR pour le dommage matériel subi. Elle estime également que la requérante a dû subir un dommage moral à raison de la détresse éprouvée par celle-ci et lui accorde, en équité, 5 000 EUR de ce chef.
132. La requérante réclame par ailleurs 19 220 EUR (TVA comprise) pour ses frais et dépens devant la Cour. Cette somme correspond selon ses dires à 121,5 heures de travail juridique et 19,9 heures de travail d’assistance juridique, facturées par ses avocats et par leurs assistants à des taux horaires de 150 EUR (TVA comprise) pour les premiers et de 50 EUR (TVA comprise) pour les seconds.
133. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
134. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères en question, la Cour juge raisonnable d’accorder à la requérante la somme de 15 000 EUR tous frais confondus, de laquelle il convient de déduire le montant de 2 204,95 EUR versé à la requérante par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire pour les procédures devant la chambre et devant la Grande Chambre, soit 12 795,05 EUR.
135. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
1. Joint au fond, à l’unanimité, l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement ;
2. Dit, par neuf voix contre huit, que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention est applicable et rejette en conséquence l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement ;
3. Dit, par neuf voix contre huit, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
4. Dit par neuf voix contre huit,
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage matériel ;
ii) 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
iii) 12 795,05 EUR (douze mille sept cent quatre-vingt-quinze euros et cinq centimes), y compris tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 13 décembre 2016.
Søren PrebensenGuido Raimondi
Adjoint au greffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion concordante du juge Wojtyczek ;
– opinion dissidente commune aux juges Nußberger, Hirvelä, Bianku, Yudkivska, Møse, Lemmens et O’Leary.
G.R.
S.C.P.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK
(Traduction)
1. J’ai voté en faveur d’un constat de violation de la Convention en l’espèce ; cependant, je me dissocie respectueusement du raisonnement de l’arrêt. De même, j’adhère à la manière dont les huit juges minoritaires exposent dans le texte de leur opinion la jurisprudence existante établissant les principes généraux relatifs à la protection des biens sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. Néanmoins, dans cette affaire, j’applique ces principes généraux différemment de mes huit collègues de la minorité. De plus, ces derniers estiment que ces principes devraient être appliqués en l’état. Or, à mes yeux, les principes établis appellent certains compléments et éclaircissements que je m’efforcerai d’exposer ci-dessous. En tout état de cause, le raisonnement repose sur des principes fermement rejetés par neuf juges, ce qui réduit l’autorité de l’arrêt et sa portée en pratique.
2. La jurisprudence existante de la Cour en matière d’espérance légitime est difficile à comprendre en raison d’imprécisions et d’incohérences (voir, par exemple, l’analyse critique de M. Sigron, Legitimate Expectations Under article 1 of Protocol no. 1 to the European Convention on Human Rights, Cambridge-Anvers-Portland : Intersentia 2014, p. 96-97). Je suis au regret de dire que les principes généraux tels qu’exposés dans le raisonnement du présent arrêt ne font que pérenniser l’état de confusion actuel. En particulier, la notion d’espérance légitime sur laquelle le raisonnement repose apparaît vague et obscure et son articulation avec les notions de droit, de créance et d’intérêt juridiquement protégé n’est pas claire.
3. Sans entrer dans les détails, je tiens à exposer très brièvement comment à mes yeux s’articulent deux notions fondamentales : le droit subjectif et l’espérance légitime.
Un droit subjectif, par définition, permet à son titulaire d’exiger du débiteur de ce droit que ce dernier se comporte d’une certaine manière en sa faveur. Généralement, un droit subjectif est une créance exigible. Son titulaire peut non seulement escompter du débiteur du droit que ce dernier se comporte (à l’avenir) d’une certaine manière mais aussi l’exiger et, si nécessaire, user de recours ouvrant des voies d’exécution. Il faut noter à cet égard que les créances de droit privé nées des contrats ou des délits civils sont habituellement des droits subjectifs, quand bien même elles ne seraient exigibles qu’à une date future.
Une espérance légitime est la situation juridique d’un sujet de droit qui, au vu des circonstances factuelles et juridiques particulières, peut escompter d’un organe de l’État ou d’un autre sujet de droit qu’il se comporte d’une certaine manière. La notion d’espérance légitime est utile lorsqu’il faut décrire des situations juridiques qui ne s’analysent pas en des droits subjectifs parce qu’elles appellent une protection moindre. Si un sujet de droit peut faire valoir son droit vis-à-vis d’un autre, point n’est besoin de dire qu’il peut se prévaloir d’une espérance en la matière. L’utilisation du terme « espérance légitime » pour désigner des créances exigibles est source de confusion.
La notion d’espérance légitime est particulièrement utile en droit de la sécurité sociale. Dans cette branche du droit, l’acquisition des droits subjectifs est un long processus qui, pour l’octroi de certaines prestations, commence par l’adhésion au régime et prend fin avec le respect de tous les critères fixés par la loi. Une personne qui ne satisferait qu’à certains critères nourrira peut-être l’espérance d’acquérir le droit subjectif dès que tous les autres critères seront remplis. Plus le nombre de critères remplis est important, plus forte sera l’espérance.
Un droit subjectif présuppose une définition précise : i) du titulaire du droit, ii) du débiteur du droit, iii) des obligations de celui-ci, iv) ainsi que des conditions précises dans lesquelles ces obligations doivent être exécutées. Une espérance légitime correspond à une situation où les obligations futures associées à elle sont définies avec moins de précision ou sont entachées de certaines incertitudes quant à leur portée ou leur nature précises. Tracer une ligne de démarcation nette entre le droit subjectif et l’espérance légitime peut être problématique dans certains cas. En particulier, dire si une obligation juridique qui pèse sur un sujet de droit en faveur d’un autre sujet de droit est suffisamment précise pour être qualifiée de droit subjectif dont ce dernier est titulaire ou si cette obligation ne satisfait pas à ce critère et mérite donc d’être qualifiée d’espérance légitime peut donner matière à débat entre juristes raisonnables. Quoiqu’il en soit, la protection qu’offre l’espérance légitime étend la protection de l’individu au‑delà de ce que lui confèrent ses droits subjectifs.
Par ailleurs, il est important de noter que les droits subjectifs peuvent varier dans leur niveau de protection. De même, le degré de la conviction subjective nourrie par les titulaires de ces droits – en fonction de la législation et des déclarations officielles – que ceux-ci doivent être et seront respectés peut varier elle aussi. Les deux éléments – convictions subjectives et protection objective – sont interdépendants. D’une part, il ne faudrait pas apprécier le niveau de protection requis d’un droit sans tenir compte de la qualité des assurances données à son titulaire. D’autre part, le niveau de protection réel détermine également le degré des convictions et attentes subjectives des titulaires.
4. L’arrêt, en son paragraphe 79, expose ainsi l’approche à la base de ses conclusions :
« Nonobstant la diversité des formulations employées dans la jurisprudence pour décrire l’exigence selon laquelle il doit y avoir une base en droit interne faisant naître un intérêt patrimonial, leur sens général peut se résumer ainsi : pour qu’il puisse faire reconnaître un bien constitué par une espérance légitime, le requérant doit jouir d’un droit sanctionnable qui, en vertu du principe énoncé au paragraphe 52 de l’arrêt Kopecký (repris au paragraphe 77 ci-dessus), doit véritablement constituer un intérêt patrimonial substantiel suffisamment établi au regard du droit national ».
Ce passage est difficile à comprendre. Premièrement, on voit mal si c’est contre les mêmes organes de l’État ou contre des organes différents que l’espérance et le droit sanctionnable en question offrent une protection (voir ci-dessous, § 6). Deuxièmement, si un sujet de droit jouit d’un droit sanctionnable le protégeant contre un organe de l’État, quelle est la valeur ajoutée de la qualification d’espérance légitime donnée à sa situation juridique vis-à-vis du même organe ? Troisièmement, si un sujet de droit jouit d’un droit sanctionnable vis-à-vis d’un organe de l’État, comment cette situation juridique peut-elle rester en deçà d’un intérêt patrimonial matériel de droit national suffisamment établi ? Un droit sanctionnable n’existe que s’il y a un intérêt patrimonial matériel suffisamment établi en droit national. En revanche, tous les intérêts juridiques ne sont pas protégés par des droits subjectifs.
De plus, le raisonnement qui fait suite, relatif à la situation juridique particulière de la requérante en l’espèce (paragraphes 95 à 111), ne renvoie pas aux notions exposées au paragraphe 79. Il donne l’impression que cette situation est perçue non pas comme un droit sanctionnable mais comme une espérance légitime appelant une protection moindre qu’un droit subjectif.
À mes yeux, la portée de la notion de bien énoncée à l’article 1 du Protocole no 1 se limite aux droits subjectifs (ayant une valeur pécuniaire) et n’englobe pas les espérances légitimes ne reposant sur aucun droit subjectif (voir le paragraphe 4 de l’opinion dissidente des huit juges minoritaires).
5. La catégorie des biens visés par l’article 1 du Protocole no 1 est extrêmement diverse et englobe des droits subjectifs de nature très différente. Elle inclut notamment la propriété de meubles et d’immeubles, d’autres droits réels protégés erga omnes, des droits de propriété intellectuelle à caractère pécuniaire ainsi que d’autres droits pécuniaires relatifs à des biens intangibles, des créances de droit privé nées d’un délit civil ou d’un contrat ainsi que des droits acquis à des prestations de sécurité sociale. La force et le degré de protection de ces droits et créances varient forcément, selon leur nature et le poids des valeurs sur lesquels ils reposent.
6. L’une des principales difficultés dans l’application de l’article 1 du Protocole no 1 tient à l’articulation entre le droit interne et la Convention. De manière à établir l’existence d’un bien, il faut analyser le droit interne (voir le paragraphe 89 de l’arrêt et le paragraphe 10 du texte de l’opinion dissidente). Un bien est un droit subjectif défini par le droit interne. Il n’existe que si le droit interne en prévoit l’existence et il n’existe que dans la mesure où le droit interne le reconnaît. Le droit interne définit en particulier le titulaire du droit, les débiteurs du droit, le contenu du droit et la portée des obligations des débiteurs de ce droit, ainsi que le degré de protection de ce droit et les moyens de le protéger. Il ne faudrait pas sous‑estimer l’importance de ce dernier élément puisqu’il définit, en même temps que d’autres éléments, le contenu du droit lui-même. Un droit qui existe est un droit qui a une certaine force. Certains droits sont inconditionnels et jouissent d’une forte protection, y compris vis-à-vis du législateur, tandis que d’autres droits sont précaires et faiblement protégés, surtout vis-à-vis du législateur.
Il n’est pas contesté que, selon la jurisprudence de la Cour, la Convention ne confère aucun droit à telle ou telle prestation de sécurité sociale (voir le paragraphe 82 de l’arrêt et le paragraphe 13 du texte de l’opinion dissidente). Plus généralement, la Convention ne crée aucun bien spécifique. En principe, le législateur est libre de décider si, oui ou non, un intérêt spécifique sera protégé par un droit subjectif (lequel est un bien au sens de l’article 1 du Protocole no 1). Si le législateur est libre de créer des biens, il est alors logique d’admettre qu’il est libre aussi de déterminer le niveau de protection d’un droit. Si le législateur est libre de ne pas octroyer le moindre droit spécifique, alors y a-t-il une raison pour laquelle il ne pourrait pas octroyer undroit précaire et conditionnel ? Si la Convention n’exige pas l’octroi de tel ou tel droit, interdit-elle l’octroi d’un droit qui serait faible ? Par ailleurs, un État de droit a souvent de bonnes raisons de n’accorder que des droits faibles jouissant d’une protection limitée, ce afin de préserver d’autres valeurs fondamentales.
En principe, la Convention protège les biens tels que définis par le droit interne. Un bien est protégé s’il existe et dans la mesure où il existe. Autrement dit, la Convention ne convertit pas les non-droits en droits. De la même manière, il serait logique de conclure qu’elle ne devrait pas convertir les droits faibles en droits forts, les créances non exigibles en créances exigibles et les actifs toxiques en actifs sains.
En revanche, si la Convention devait protéger les biens dans la seule mesure où ils existent et où ils sont protégés par le droit interne, alors les effets en pratique de l’article 1 du Protocole no 1 seraient extrêmement réduits. La Cour n’aurait pour rôle que de vérifier si le droit interne en vigueur a été correctement appliqué. Or il peut y avoir des circonstances spéciales en raison desquelles un bien faiblement protégé par le droit interne appellerait une protection accrue le terrain de la Convention. Il faudrait alors que la Cour examine et justifie explicitement cette transformation d’un droit faible en un droit fort par l’effet de la Convention.
La transformation d’un droit faible en un droit fort peut se justifier en particulier si le droit reconnu en droit interne peut être restreint ou supprimé, à condition de respecter le principe de proportionnalité. L’application de ce principe nécessite une mise en balance des valeurs. Le poids des différentes valeurs découlant de la Constitution nationale et de la Convention peut varier et les mises en balance produiront donc peut-être des résultats différents. Le rôle de la Cour est de garantir que, lorsqu’elles se livrent à cette mise en balance des valeurs, les Hautes Parties contractantes n’excèdent pas leur marge d’appréciation, par exemple en minimisant excessivement le poids des valeurs protégées par la Convention.
La question est d’autant plus compliquée que le droit interne a une structure hiérarchique. Un même droit jouira peut-être d’une protection accrue contre l’administration et d’une protection moindre contre le législateur. De plus, la situation juridique d’un sujet de droit peut combiner un droit subjectif vis-à-vis de l’administration avec une espérance légitime vis-à-vis du législateur. Les problèmes juridiques les plus compliqués ont pour origine les disparités dans la protection vis-à-vis de l’administration et vis-à-vis du législateur.
Si une ingérence dans un droit subjectif est de nature législative, la question est alors de savoir si le droit est protégé contre le législateur. Si, dans l’ordre juridique interne, un droit d’un sujet de droit n’est manifestement pas protégé vis-à-vis du législateur, la Cour ne devrait pas convertir un tel droit protégé seulement vis-à-vis de l’administration et du pouvoir judiciaire en un droit offrant une protection aussi vis-à-vis du pouvoir législatif, sauf s’il existe des raisons particulières de le faire et en particulier si les différentes valeurs en conflit n’ont pas le même poids au regard de la Convention qu’au regard de la Constitution nationale.
7. Un droit subjectif à une prestation de sécurité sociale est un bien au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Sa suppression complète ou sa limitation s’analyse en une ingérence dans un bien et doit satisfaire aux critères énoncés dans la Convention. Une telle ingérence doit avoir un fondement juridique en droit interne et respecter le principe de proportionnalité.
Il est important de souligner que le point de départ de l’analyse permettant de déterminer le bien et l’ingérence en question est la législation en vigueur juste avant l’ingérence. Ce qui compte, c’est de savoir si un sujet de droit jouissait d’un droit subjectif (ou d’une créance exigible) juste avant la date de l’ingérence.
Le degré de protection des droits à des prestations de sécurité sociale, sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, devrait dépendre de plusieurs facteurs. Comme l’ont fort justement dit les huit juges dans leur opinion séparée, les prestations directement rattachées au niveau des cotisations appellent une plus forte protection que les autres. Il ne s’agit toutefois pas du seul paramètre à prendre en compte.
Le raisonnement de l’arrêt attache une importance à la nature contributive de la prestation en question, laissant entendre qu’une prestation contributive exige une plus forte protection qu’une prestation non contributive (voir les paragraphes 99 et 105). Je souscris à cette approche, qui s’écarte clairement de ce que la Cour a dit dans sa décision Stec et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 65731/01 et 65900/01, CEDH 2006‑VI). Les contributions financières sous la forme de cotisations versées par les assurés aux fins du financement des prestations de sécurité sociale sont effectivement un argument important en faveur de la protection de ces prestations. Elles constituent un solide fondement moral à une obligation réciproque (mais pas forcément strictement synallagmatique). Toutefois, le degré de protection requis des droits contributifs non directement rattachés au niveau des cotisations sera moins élevé que dans le cas des prestations directement rattachées au niveau des cotisations.
Par ailleurs, à mes yeux, les prestations remplaçant les salaires, par exemple les pensions de retraite et les pensions d’invalidité, appellent une protection bien plus forte que celle dont jouissent les prestations complétant les autres sources de revenus.
Il est également important de tenir compte du point de savoir si les prestations sont accordées pour une durée déterminée, pour une durée tributaire de la satisfaction de certains critères ou pour une durée indéterminée. Si la législation prévoit le versement des prestations pendant une durée plus précise, ce facteur est un argument en faveur d’une protection accrue.
8. En l’espèce, point n’est besoin de recourir à la notion d’espérance légitime aux fins de l’analyse théorique de la situation juridique de la requérante. Cette dernière était titulaire d’un droit subjectif à une pension d’invalidité avant le 1er février 2010. Ce droit avait été confirmé par un acte administratif et la requérante avait effectivement reçu la pension en question jusqu’à la fin du mois de janvier 2010. Elle avait également rempli les conditions d’obtention soit d’une pension d’invalidité soit d’une allocation de réadaptation à un moment donné du second semestre 2011, ce qu’a ultérieurement confirmé la décision du 13 décembre 2011 (paragraphe 17 de l’arrêt). Elle était titulaire d’un droit subjectif (une créance exigible) à recevoir l’une de ces deux prestations, quand bien même ce droit n’était pas confirmé par un acte administratif. Ce droit constituait également un bien au sens de l’article 1 du Protocole no 1. C’est essentiellement sur ce point que je me dissocie de mes collègues de la minorité.
Si ce droit à l’une de ces deux prestations avait été respecté le 31 décembre 2011, la requérante aurait également eu droit à l’une des deux prestations postérieurement au 1er janvier 2012 sous l’empire de la législation entrée en vigueur à cette dernière date. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la mise en œuvre concrète de son droit subjectif avant le 1er janvier 2012 lui aurait conféré un droit subjectif après cette date.
9. Une analyse du système juridique hongrois permet de conclure qu’il existe des raisons en faveur d’une forte protection des droits de la requérante mais qu’il existe aussi de bonnes raisons s’y opposant.
D’une part, les prestations en question étaient contributives et visaient en principe à remplacer d’autres sources de revenus. De plus, la législation en vigueur avant le 1er février 2010 et celle en vigueur à la fin de 2011 prévoyaient que les droits en question devaient s’appliquer pendant des durées précises. Ces droits devaient être accordés et appliqués tant que l’état de santé du titulaire du droit ne s’améliorerait pas. Toutes ces raisons militent en faveur d’une forte protection des prestations en question contre toute ingérence de l’État, que ce soit sous la forme législative, administrative ou judiciaire.
De plus, la Constitution hongroise telle qu’en vigueur jusqu’au 31 décembre 2011 garantissait le droit à la sécurité sociale. Il est vrai qu’un nouveau paragraphe 3 a été inséré dans l’article 70E de la Constitution par la loi du 6 juin 2011, qui réduit la protection des pensions accordées aux personnes n’ayant pas atteint l’âge de la retraite. Il est toutefois important de souligner que ce paragraphe permet de réduire ou supprimer les pensions d’invalidité si l’intéressé est apte au travail. La Constitution n’autorise pas la suppression complète des pensions d’invalidité accordées aux personnes inaptes au travail. On ne peut donc pas dire – au regard de la lettre de la Constitution hongroise – que le droit subjectif acquis par la requérante fût dépourvu de protection constitutionnelle vis-à-vis du législateur. En outre, le degré de protection réel des pensions d’invalidité en vertu de la Constitution hongroise dépend de la mise en balance des valeurs constitutionnelles en conflit.
D’autre part, l’étendue de la protection constitutionnelle telle que fixée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle était très réduite (voir les paragraphes 32 et 33 du raisonnement de l’arrêt). La Loi fondamentale de 2011 (la nouvelle Constitution), entrée en vigueur le 1er janvier 2012, a réduit encore davantage le degré de protection des droits sociaux. Ces facteurs sont un argument solide contre une protection accrue du bien en question vis-à-vis de toute ingérence du législateur.
Selon moi, le facteur décisif en l’espèce est la nature de la prestation. Celle-ci vise à remplacer les revenus professionnels des personnes inaptes au travail. Cet élément justifie le contrôle de la force de la protection accordée au titulaire du droit contre les modifications de la législation.
10. L’ingérence elle-même dans les droits subjectifs de la requérante comporte plusieurs phases et revêt plusieurs dimensions. Premièrement, la requérante a été privée de pension d’invalidité à compter du 1er février 2010 par l’effet d’une nouvelle méthode de calcul du taux d’invalidité fixée par des normes de valeur infra-législative. Deuxièmement, elle n’a pu recevoir ni la pension d’invalidité ni l’allocation de réadaptation à laquelle elle avait droit pendant le second semestre 2011, apparemment du fait de l’inaction de l’administration. Troisièmement, elle a été définitivement privée du droit à l’une et l’autre de ces prestations à compter du 1er janvier 2012 en raison d’une réforme législative décidée par le parlement national.
Dans son arrêt, la chambre a indiqué que la Cour ne pouvait examiner la procédure à l’origine du jugement du 1er avril 2011 au motif que la requête avait été introduite plus de six mois après cette date (voir le paragraphe 31 de cet arrêt). Cette conclusion est quelque peu ambiguë, mais elle ne veut pas forcément dire que la Cour ne peut examiner la situation juridique de la requérante après le 31 janvier 2010.
La Grande Chambre dit qu’elle examinera la compatibilité avec la Convention de l’issue de la procédure à l’origine du jugement du 20 juin 2013 (voir les paragraphes 91 et 92). Ce qui compte, ce n’est pas tant l’issue elle-même de cette procédure que la situation juridique de la requérante telle que déterminée par le droit interne et confirmée par ce jugement interne.
11. La question se pose de savoir si la première ingérence susmentionnée (§ 8 ci-dessus) est instantanée ou s’analyse en une situation continue. La réponse à cette question peut donner matière à débat. Pour mes collègues de la minorité, il s’agit d’une violation instantanée. La législation en vigueur au 1er février 2010 ayant bien fixé une durée pour l’application du droit en question (tant que l’état de santé de l’intéressé ne s’améliorerait pas), je serais disposé à voir dans la situation juridique de la requérante postérieurement au 1er février 2010 une ingérence continue dans son droit subjectif acquis avant cette date. Mais, même à considérer que la première ingérence fût instantanée aux fins du calcul du délai de six mois, il est évident qu’un nouveau droit subjectif ainsi qu’une nouvelle ingérence – double – (susmentionnée) dans ce droit étaient en jeu au cours du second semestre 2011. Cette ingérence émanait tout d’abord de l’administration, et seulement ensuite du législateur.
En l’espèce, l’ingérence dans le droit de la requérante était au départ de nature administrative. Néanmoins, il n’est pas possible d’obvier au contrôle de l’ingérence du législateur à compter du 1er janvier 2012. Quoiqu’il en soit, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, un tel contrôle n’est pas illégitime compte tenu de la nature de la prestation en question. Il y a donc lieu d’examiner la proportionnalité de l’ingérence (tant administrative que législative) dans le bien de la requérante. Selon moi, cette ingérence n’était pas proportionnée et, à cet égard, je partage le raisonnement de l’arrêt.
Certes, nous nous retrouvons avec la transformation d’un droit dont la protection contre le législateur était limitée en un droit d’une certaine manière mieux protégé contre le législateur. Cependant, la nature particulière du droit en cause justifie une telle approche.
12. La toute première condition à la légitimité d’une juridiction est la précision, la clarté et la rigueur méthodologique de son raisonnement. Seuls des jugements bien motivés peuvent gagner le respect du justiciable. C’est en retenant les niveaux d’exigence les plus élevés possibles à cet égard que la Cour européenne des droits de l’homme consolidera la prééminence du droit. Il est vrai que ce que la Convention énonce, ce sont les standards européens minimaux en matière de protection matérielle des droits de l’homme, mais cela ne devrait pas empêcher pour autant la Cour de rechercher et de promouvoir l’excellence dans l’art de l’argumentation juridique.
Sur ce point, je tiens à soulever deux questions. Premièrement, je note que l’arrêt ne cherche pas à prendre en compte et à examiner les éventuels contre-arguments ; en particulier, il méconnaît les arguments avancés par la minorité. Un tel choix de stratégie argumentaire est problématique. J’estime que l’argumentation de la minorité mérite d’être dûment prise en considération et méticuleusement examinée.
Deuxièmement, dans de nombreux États européens, les tribunaux internes retiennent des normes d’exigence extrêmement élevées dans la motivation de leurs décisions judiciaires. En particulier, ils veillent avec le plus grand soin à la précision de l’appareil conceptuel et énoncent clairement les règles d’interprétation applicables. La qualité de la motivation en l’espèce n’atteint pas le niveau de diligence atteint dans les États les plus avancés en la matière. Vu sous cet angle, pour de nombreux juristes européens, la façon dont le présent arrêt est motivé peut apparaître comme un pas en arrière dans le développement des standards de l’État de droit démocratique. Cette situation non seulement rend plus difficile la mise en œuvre de la Convention par les État défendeurs et sape l’autorité de la Cour, mais elle nuit aussi à la culture juridique européenne.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES NUSSBERGER, HIRVELÄ, BIANKU, YUDKIVSKA, MØSE, LEMMENS ET O’LEARY
(Traduction)
1. Nous regrettons de ne pas pouvoir partager l’opinion de la majorité selon laquelle il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. À nos yeux, cette disposition n’est pas applicable dans les circonstances de la présente espèce. De plus, n’étant pas en mesure de conclure à une violation de l’article 1 du Protocole no 1, nous estimons nécessaire, contrairement à la majorité, de nous exprimer séparément sur la question de la violation alléguée de l’article 8 de la Convention.
A. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
1. Principes généraux
2. Il y a lieu de souligner d’emblée que cette partie de l’exposé de notre opinion a été rédigée conjointement avec le juge Wojtyczek. Notre interprétation des principes généraux tirés de la jurisprudence constante de la Cour relative à l’article 1 du Protocole no 1 étant très différente de celle exposée dans l’opinion de la pluralité formant l’arrêt de la Cour, il nous faut développer notre analyse de la jurisprudence de manière globale, au lieu de nous borner à critiquer les parties de l’arrêt particulières au cas d’espèce que nous n’acceptons pas.
a) Champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 en général
3. La notion de « bien », au sens de l’article 1 du Protocole no 1, a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne. Certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition(Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I, Broniowski c. Pologne (déc.) [GC], no 31443/96, § 98, CEDH 2002-X, Anheuser‑Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 63, CEDH 2007-I, Depalle c. France [GC], no 34044/02, § 62, CEDH 2010, Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 171, CEDH 2012, Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 49, CEDH 2013 (extraits), et Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, § 211, CEDH 2015).
4. La Cour a reconnu dans sa jurisprudence la pertinence de la notion d’« espérance légitime » à l’aune de la notion de « bien » (voir la jurisprudence qui commence avec les arrêts Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, 29 novembre 1991, § 51, série A no 222, et Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 31, série A no 332). La jurisprudence constante de la Cour dit qu’une « espérance légitime » ne constitue pas en elle-même un intérêt protégé par l’article 1 du Protocole no 1. D’après cette jurisprudence, pareille espérance ne peut entrer en jeu en l’absence d’une « valeur patrimoniale » relevant du domaine de l’article 1 du Protocole no 1 (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 48, CEDH 2004‑IX, et Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 65, CEDH 2005–IX).
5. Dans une série d’affaires, la Cour a jugé que les requérants n’avaient pas d’« espérance légitime » quand, au vu des circonstances, on ne pouvait pas considérer qu’ils possédaient de façon suffisamment établie une créance immédiatement exigible (Kopecký, précité, § 49, et les affaires citées en ses paragraphes 49 à 51). La jurisprudence de la Cour n’envisage donc pas l’existence d’une « contestation réelle » ou d’une « prétention défendable » comme un critère permettant de juger de l’existence d’une « espérance légitime » protégée par l’article 1 du Protocole no 1 (Kopecký, précité, § 52, et Maurice, précité, § 66). Au contraire, lorsque l’intérêt patrimonial concerné est de l’ordre de la créance, il ne peut être considéré comme une « valeur patrimoniale » que lorsqu’il a une base suffisante en droit interne, par exemple lorsque son existence est confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux (Kopecký, précité, §§ 49 et 52, Maurice, précité, § 66, Anheuser-Busch Inc., précité, § 65, Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 94, CEDH 2007‑II, Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 173, et Parrillo, précité, § 213).
6. Ce principe est aussi formulé de plusieurs autres manières dans la jurisprudence de la Cour. Par exemple, dans un certain nombre d’affaires, la Cour a recherché, respectivement, si les requérants étaient titulaires d’une « créance suffisamment établie pour être exigible » (Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.), no 39794/98, § 74, CEDH 2002-VII), s’ils pouvaient se prévaloir d’un « droit [sanctionnable] à une prestation sociale [reconnu par] la législation interne » (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 51, CEDH 2005‑X), ou s’ils satisfaisaient aux « conditions requises par la législation interne pour l’octroi de tel ou tel type de prestation » (Richardson c. Royaume-Uni (déc.), no 26252/08, § 17, 10 avril 2012).
7. Dans certains cas, l’« espérance légitime » peut se rapporter à des situations où les personnes concernées peuvent légitimement escompter qu’un certain acte juridique ne sera pas invalidé rétroactivement à leur détriment (Kopecký, précité, § 47, et Noreikienė et Noreika c. Lituanie, no 17285/08, § 36, 24 novembre 2015). De tels actes juridiques peuvent par exemple consister en un contrat (Stretch c. Royaume-Uni, no 44277/98, § 35, 24 juin 2003), en une décision administrative portant octroi d’un avantage ou reconnaissance d’un droit (Pine Valley Developments Ltd et autres, précité, § 51, Moskal c. Pologne, no 10373/05, § 45, 15 septembre 2009, et Hasani c. Croatie (déc.), no 20844/09, 30 septembre 2010), ou en une décision de justice (Gratzinger et Gratzingerova, décision précitée, § 73, et Velikoda c. Ukraine (déc.), no 43331/12, § 20, 3 juin 2014). En pareil cas, l’« espérance légitime » résulte de la circonstance que la personne concernée se fonde de façon raisonnablement justifiée sur un acte juridique ayant une base juridique solide et une incidence sur des droits patrimoniaux (Kopecký, précité, § 47).
8. Dans d’autres cas, l’« espérance légitime » peut simplement se rapporter à des créances nées de situations régies par une règle de droit interne. Lorsque le requérant peut soutenir, par exemple sur le fondement d’une jurisprudence constante, que sa créance est immédiatement exigible et qu’il obtiendra gain de cause (Gratzinger et Gratzingerova, décision précitée, § 72, et Maurice, précité, § 66), conformément au droit interne, une telle créance sera qualifiée de « valeur patrimoniale » sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (Kopecký, précité, § 48, citant Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 31).
9. Une espérance légitime doit être de nature plus concrète qu’un simple espoir (Gratzinger et Gratzingerova, décision précitée, § 73, et Kopecký, précité, § 49). L’espoir de voir ressusciter un droit patrimonial éteint depuis longtemps ou de voir reconnaître un ancien droit patrimonial que l’on est dans l’impossibilité d’exercer effectivement ne peut être considéré comme un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, et il en va de même d’une créance conditionnelle rendue caduque par la non‑réalisation d’une condition (Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000–XII, et les affaires y citées ; voir aussi Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 83, CEDH 2001–VIII, Gratzinger et Gratzingerova, décision précitée, § 69, Kopecký, précité, § 35 c), et Fabris, précité, § 50).
10. En résumé, lorsque l’intérêt patrimonial concerné est de l’ordre de la créance, il peut être considéré comme une « valeur patrimoniale » entraînant l’application des garanties de l’article 1 du Protocole no 1 s’il est fondé sur un acte juridique ou s’il existe une base suffisante en droit interne, par exemple lorsque son existence est confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux internes. En revanche, on ne peut conclure à l’existence d’une espérance légitime lorsqu’il y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont ultérieurement rejetés par les juridictions nationales (Kopecký, précité, § 50, Anheuser-Busch Inc., précité, § 65, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 173).
b) Champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 en matière de prestations sociales
11. Dans un État démocratique moderne, beaucoup d’individus, pour tout ou partie de leur vie, ne peuvent assurer leur subsistance que grâce à des prestations de sécurité ou de prévoyance sociales. De nombreux ordres juridiques internes reconnaissent que ces individus ont besoin d’une certaine sécurité et prévoient donc le versement automatique de prestations, sous réserve que soient remplies les conditions d’ouverture des droits en cause (Stec et autres, décision précitée, § 51, Moskal, précité, § 39, et Wieczorek c. Pologne, no 18176/05, § 65, 8 décembre 2009).
12. Les principes généraux relatifs au champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 gardent toute leur pertinence dans les affaires de prestations de sécurité ou de prévoyance sociales (Stec et autres, décision précitée, § 54, Moskal, précité, § 38, et Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 82, CEDH 2011). En particulier, la Cour a toujours dit que l’article 1 du Protocole no 1 ne garantissait pas, en lui-même, un quelconque droit à une pension ou à une prestation d’un montant donné (voir, par exemple, Kjartan Ásmundsson c. Islande, no 60669/00, § 39, CEDH 2004‑IX, et Wieczorek, précité, § 57). D’ailleurs, le droit à une pension de vieillesse ou à une prestation sociale d’un montant donné ne figure pas, comme tel, parmi les droits et libertés garantis par la Convention (voir, par exemple, Aunola c. Finlande (déc.), no 30517/96, 15 mars 2001, Pravednaya c. Russie, no 69529/01, § 37, 18 novembre 2004, et da Silva Carvalho Rico c. Portugal (déc.), no 13341/14, § 30, 1er septembre 2015).
13. L’article 1 du Protocole no 1 n’impose aucune restriction à la liberté pour les États contractants de décider d’instaurer ou non tel ou tel régime de protection sociale ou de pension ou de choisir le type ou le niveau des prestations censées être accordées au titre du régime en question. En revanche, dès lors qu’un État contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d’une prestation sociale ou d’une pension – que leur octroi dépende ou non du versement préalable de cotisations – cette législation doit être considérée comme engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1, mais seulement pour les personnes remplissant ses conditions (Stec et autres, décision précitée, § 54, Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 77, CEDH 2009, Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, § 64, CEDH 2010, et Stummer, précité, § 82).
14. Au sein des États membres du Conseil de l’Europe il existe un vaste éventail de prestations de sécurité sociale qui sont garanties sous la forme de droits subjectifs. Les modalités de financement de celles-ci sont tout aussi variées : certaines sont alimentées par des cotisations à une caisse particulière ; d’autres dépendent de l’état des cotisations versées par le demandeur ; beaucoup sont versées à partir de l’impôt général sur la base de l’appartenance à une catégorie définie par la loi (Stec et autres, décision précitée, § 50).
15. Dans certains cas, le versement de cotisations obligatoires, par exemple à une caisse de retraite ou à un régime d’assurance sociale, peut créer un droit patrimonial protégé par l’article 1 du Protocole no 1 avant même que le cotisant ne remplisse toutes les conditions pour percevoir effectivement la pension ou une autre prestation. Tel est le cas lorsqu’il y a un lien direct entre le niveau des cotisations et les prestations allouées (Stec et autres, décision précitée, § 43) ou, en d’autres termes, si le versement de cotisations crée un droit patrimonial sur une partie du fonds de pension (T. c. Suède, no 10671/83, décision de la Commission du 4 mars 1985, Décisions et rapports (DR) 42, p. 233). En pareil cas, le cotisant jouit d’une créance exigible à l’égard d’une partie du fonds.
16. Il en va différemment lorsqu’une personne cotise sans qu’il y ait de lien direct entre le niveau des cotisations et les prestations allouées le cas échéant. Certes, la Cour a jugé que le droit à une pension ou à une autre prestation fondé sur l’emploi pouvait s’analyser en un droit patrimonial dès lors que des cotisations spéciales avaient été versées (T. c. Suède, décision précitée, et Klein c. Autriche, no 57028/00, §§ 42-45, 3 mars 2011). Il faut noter que, dans le cadre d’un tel système, le paiement des cotisations est une condition indispensable à l’octroi de la prestation ; autrement dit, il n’y a aucun droit à ladite prestation si les cotisations n’ont pas été versées. Toutefois, la prestation ne sera accordée qu’aux personnes qui non seulement ont payé leurs cotisations mais qui satisfont aussi aux autres conditions fixées par la loi (voir, s’agissant des cotisations à une caisse d’assurance chômage créant un droit à une allocation d’urgence pour les personnes ayant épuisé leurs droits aux allocations de chômage, Gaygusuz c. Autriche, 16 septembre 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV ; voir aussi Bellet, Huertas et Vialatte c. France (déc.), nos 40832/98, 40833/98 et 40906/98, 27 avril 1999). En pareil cas, le cotisant ne dispose d’une créance exigible qu’à partir du moment où il remplit toutes les conditions permettant d’obtenir la prestation.
17. À cet égard, la Cour rappelle que l’adhésion d’une personne à un régime public de sécurité sociale (même obligatoire) ne rend pas forcément impossible la modification du système, qu’il s’agisse des conditions d’attribution de l’allocation ou de la pension ou de leur montant (Richardson, décision précitée, § 17, et Damjanac c. Croatie, no 52943/10, § 86, 24 octobre 2013 ; voir aussi Christian Müller c. Autriche, no 5849/72, rapport de la Commission du 1er octobre 1975, DR 3, pp. 25, 34, §§ 30-31, Skorkiewicz c. Pologne (déc.), no 39860/98, 1er juin 1999, et Kjartan Ásmundsson, précité, § 39). Elle a d’ailleurs reconnu la possibilité de réformer la législation en matière de sécurité sociale en fonction des changements sociaux et de l’évolution des opinions quant aux catégories de personnes ayant besoin d’une assistance sociale (Wieczorek, précité, § 67).
18. Dès lors qu’une personne satisfait aux conditions d’octroi d’une prestation de sécurité ou de prévoyance sociales – que celles-ci soient assujetties ou non au versement préalable de cotisations –, elle dispose d’une créance constitutive d’une « valeur patrimoniale » protégée par l’article 1 du Protocole no 1 (voir, a contrario, Bladh c. Suède (déc.), no 46125/06, 10 novembre 2009). Il faut toutefois noter que pareille créance n’est exigible qu’aussi longtemps que le droit existe, c’est-à-dire que pour autant que l’intéressé remplit les conditions fixées par la législation interne telle qu’en vigueur (Velikoda, décision précitée, § 23).
19. S’agissant de la perte d’un droit à une prestation de sécurité ou de prévoyance sociales, deux cas de figure doit être distingués.
20. Si, d’un côté, une allocation est réduite dans son montant ou supprimée par l’effet d’une modification des règles applicables, il y a atteinte à un bien qu’il faut alors justifier au regard de la règle générale énoncée à l’article 1, premier alinéa, première phrase, du Protocole no 1 (Kjartan Ásmundsson, précité, § 40, Rasmussen c. Pologne, no 38886/05, § 71, 28 avril 2009, Wieczorek, précité, § 57, Valkov et autres c. Bulgarie, nos 2033/04, 19125/04, 19475/04, 19490/04, 19495/04, 19497/04, 24729/04, 171/05 et 2041/05, § 84, 25 octobre 2011, Richardson, décision précitée, § 17, Grudić c. Serbie, no 31925/08, § 72, 17 avril 2012, Khoniakina c. Géorgie, no 17767/08, § 72, 19 juin 2012, Damjanac, précité, §§ 85 et 89, et Velikoda, décision précitée, § 25).
21. Un aspect important de l’appréciation de la situation au regard de cette disposition consistera à se demander si le droit du requérant à obtenir des prestations du régime de sécurité sociale en question a été enfreint d’une manière qui entraîne une atteinte à la substance de ses droits à des prestations de sécurité ou de prévoyance sociales (Kjartan Ásmundsson, précité, § 39, Wieczorek, précité, § 57, Valkov et autres, précité, § 91, et Khoniakina, précité, § 71). Toutefois, le critère du juste équilibre ne saurait uniquement reposer, dans l’abstrait, sur le montant ou le pourcentage de la réduction en question. Tous les éléments pertinents du cas d’espèce doivent être pris en compte (Stefanetti et autres c. Italie, nos 21838/10, 21849/10, 21852/10, 21822/10, 21860/10, 21863/10, 21869/10, et 21870/10, § 59, 15 avril 2014). Parmi ces éléments, il y a notamment la nature de la prestation supprimée, et en particulier le point de savoir si celle-ci procède d’un régime de retraite spécial avantageux dont seuls certains groupes de personnes bénéficient (Cichopek et autres c. Pologne (déc.), nos 15189/10 et autres, § 137, 14 mai 2013, da Conceição Mateus et Santos Januário c. Portugal (déc.), nos 62235/12 et 57725/12, § 24, 8 octobre 2013, et da Silva Carvalho Rico, décision précitée, § 42).
22. Si, d’un autre côté, la personne concernée cesse de satisfaire aux conditions pour bénéficier de telle ou telle prestation ou pension prévue par le droit interne tel qu’en vigueur et non modifié, il n’y a pas d’atteinte aux droits garantis par l’article 1 du Protocole no 1 (Rasmussen, précité, § 71, Richardson, décision précitée, § 17, et Damjanac, précité, §§ 86 et 88). D’ailleurs, le droit à une pension ou à telle ou telle autre prestation peut changer selon l’évolution de la situation individuelle du bénéficiaire. La Cour a dit à cet égard, s’agissant des pensions d’invalidité, que l’État pouvait prendre des mesures pour réexaminer l’état de santé des bénéficiaires de manière à déterminer s’ils sont toujours inaptes au travail, pourvu que ce réexamen soit conforme au droit et entouré de garanties procédurales suffisantes (Wieczorek, précité, § 67, et Iwaszkiewicz c. Pologne, no 30614/06, §§ 50‑51, 26 juillet 2011).
2. Application des principes au cas d’espèce
23. Pour en venir à l’application des principes généraux aux faits de la présente espèce, nous sommes d’accord avec la majorité sur le point de départ : la requérante ne peut se plaindre de ce qu’elle considère être une « situation continue » ayant pour origine la suppression de sa pension d’invalidité le 1er février 2010. À l’instar de la majorité, nous estimons que la suppression de cette prestation était un acte instantané et que la décision définitive à cet égard est celle rendue par le tribunal du travail de Nyíregyháza le 1er avril 2011. Par l’effet de la règle des six mois énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour est empêchée d’examiner la décision du 1er février 2010 et la procédure consécutive jusqu’au 1er avril 2011, et elle est tenue de limiter son analyse aux décisions concernant les demandes de pension d’invalidité ultérieurement formées par la requérante, le 20 février 2012 et le 15 août 2012 (paragraphes 90-91 de l’arrêt).
24. Nous constatons que, du 1er mai 1975 au 14 juillet 1997, la requérante a cotisé à la caisse de sécurité sociale (paragraphe 10 de l’arrêt). Cependant, nul n’allègue qu’elle ait ainsi acquis la moindre créance sur une partie déterminable d’un fonds de sécurité sociale. Nous partons donc du principe que le versement de cotisations était seulement l’une des conditions requises pour bénéficier d’une pension d’invalidité qui était entrée en jeu une fois remplies les autres conditions fixées par le droit interne (paragraphe 16 ci-dessus). Contrairement à la majorité (paragraphe 105 de l’arrêt), nous ne considérons pas que les cotisations de la requérante aient créé un droit patrimonial protégé par l’article 1 du Protocole no 1.
25. Nous notons, à l’instar de la majorité, que le régime de prestations d’invalidité en question, que ce soit sous sa forme antérieure à 2012 ou sous sa forme actuelle, repose essentiellement sur deux critères d’attribution cumulatifs : i) une « condition médicale », qui en limite le bénéfice aux seules personnes dont l’état de santé et la situation professionnelle le commandent, et ii) une « condition contributive », qui requiert une certaine durée de service ou une durée de cotisation à la sécurité sociale (paragraphe 93 de l’arrêt).
26. Lorsqu’elles ont octroyé à la requérante une prestation d’invalidité en 2001 (paragraphe 11 de l’arrêt), les autorités compétentes ont considéré qu’elle satisfaisait à la fois à la condition médicale et à la condition contributive applicables en vertu de la loi no LXXXI de 1997 relative aux pensions de sécurité sociale. Cette décision a fait naître chez la requérante une espérance légitime de recevoir cette prestation mensuellement et aussi longtemps qu’elle continuerait à remplir les deux conditions, en particulier la condition médicale.
27. La requérante a perçu la prestation d’invalidité jusqu’au 1er février 2010. À cette date, l’autorité compétente de la caisse d’assurance sociale, se fondant sur une nouvelle méthode d’évaluation du taux d’invalidité, a jugé que la requérante n’était invalide qu’à 40 %. Ayant conclu que celle-ci ne satisfaisait plus à la condition médicale fixée par la loi, laquelle était demeurée inchangée, elle a supprimé son droit à une pension d’invalidité (paragraphes 12 à 14 de l’arrêt). Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, les recours formés par la requérante contre cette décision ont été rejetés de manière définitive le 1er avril 2011 par un jugement du tribunal du travail de Nyíregyháza (paragraphes 15 à 16 de l’arrêt). Conformément aux dispositions de droit interne alors en vigueur, elle n’avait donc plus droit à une pension d’invalidité et a cessé d’en percevoir une à compter du 1er février 2010.
28. Dès la suppression de son droit à une pension d’invalidité, la requérante n’avait plus aucun acte juridique précis sur lequel s’appuyer pour se prévaloir d’une espérance légitime de percevoir une pension d’invalidité. Elle pouvait bien sûr invoquer la législation alors en vigueur mais, puisqu’elle ne remplissait pas toutes les conditions pour toucher cette prestation, elle ne pouvait en tirer aucune créance exigible. On ne peut pas soutenir plus, à notre avis, que la requérante, qui jouissait auparavant d’un droit à une pension d’invalidité parce qu’elle avait satisfait aux conditions d’attribution fixées par le droit interne applicable au moment pertinent, pouvait nourrir l’espérance légitime continue de recevoir pareille allocation ou prestation aussi longtemps que l’une de ces conditions continuait à être remplie, indépendamment de la manière dont les conditions légales en question avaient été modifiées ou avaient évolué avec le temps. De fait, avec la décision du 1er février 2010 supprimant son droit à une pension d’invalidité, la requérante a perdu son intérêt patrimonial protégé par l’article 1 du Protocole no 1.
29. À la suite de cette suppression et du rejet de ses recours, la requérante a tout d’abord demandé une réévaluation de son taux d’invalidité, lequel a été fixé à 50 % le 13 décembre 2011 par l’autorité administrative de seconde instance. Cependant, cela ne suffisait pas, au vu des circonstances, à conclure qu’elle avait rempli les conditions fixées par le droit interne pour l’octroi de l’allocation d’invalidité (paragraphe 17 de l’arrêt). Dès lors, rien n’avait changé quant à la situation de la requérante au regard de l’article 1 du Protocole no 1 : elle ne pouvait toujours pas se prévaloir d’une « créance exigible » sur une pension d’invalidité. À nos yeux, le fait que la réhabilitation a été envisagée mais n’a malheureusement pas pu être conduite (ibid.) ne change rien à cette conclusion quant à la situation juridique de la requérante.
30. Le 1er janvier 2012 est entrée en vigueur une nouvelle loi régissant les allocations d’invalidité (la loi no CXCI de 2011 relative aux prestations versées aux personnes à capacité de travail réduite). Elle a introduit de nouveaux critères d’attribution des prestations d’invalidité – désormais appelées allocations d’invalidité –, et en particulier une nouvelle condition contributive plus stricte que celle fixée par le régime précédent (paragraphe 18 de l’arrêt). Selon la majorité, ce texte était de nature rétroactive (paragraphe 104 de l’arrêt). Nous ne pouvons pas accepter cette qualification. La nouvelle loi ne valait que pour l’avenir : elle a produit ses effets non pas rétroactivement mais immédiatement.
31. Nous rappelons que, selon la jurisprudence de la Cour, la protection offerte par l’article 1 du Protocole no 1 ne va pas jusqu’à empêcher les autorités compétentes de modifier le régime applicable et de réformer le système de sécurité sociale (paragraphe 17 ci-dessus). Si la nouvelle loi en matière d’allocations d’invalidité peut s’analyser en une atteinte aux « biens » des personnes qui, à la date d’entrée en vigueur de ce texte, bénéficiaient d’une pension d’invalidité (paragraphes 20-21 ci-dessus), tel n’était pas le cas de la requérante, qui à ce moment‑là n’avait plus droit à une telle pension sous l’empire de l’ancienne loi (paragraphe 22 ci-dessus).
32. C’est donc au regard de la nouvelle loi qu’il faut statuer sur l’existence ou non à compter du 1er janvier 2012 d’un intérêt patrimonial, au regard de l’article 1 du Protocole no 1. L’ancienne loi ayant été abrogée, elle ne pouvait donc plus servir de fondement à une quelconque espérance légitime. Autrement dit, le fait que la requérante avait rempli le critère contributif tel qu’applicable dans le passé n’était plus pertinent une fois entrée en vigueur la nouvelle loi, qui a changé les critères en question. Pour répondre à la question de savoir si, pour les besoins de l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1, la requérante disposait d’une créance suffisamment fondée au regard du droit interne, ce sont les règles nationales telles qu’en vigueur au moment où il a été statué sur ses demandes d’allocation d’invalidité, formulées le 20 février 2012 et le 15 août 2012, qui entrent en ligne de compte.
33. Nous tenons à ajouter que le versement par la requérante de cotisations sous l’empire de l’ancienne loi ne change rien à la situation. En effet, ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus, ces cotisations n’ont fait naître aucune créance sur une part déterminable d’un fonds de sécurité sociale et n’ont donc créé par elles-mêmes aucun intérêt patrimonial protégé par l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 24 ci-dessus).
34. Il faut dès lors rechercher s’il existait une base suffisante en droit interne, tel qu’interprété par les juridictions nationales, pour que la prétention de la requérante à une allocation d’invalidité pût être qualifiée de « valeur patrimoniale » aux fins de l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1. À cet égard, la question déterminante à nos yeux est celle de savoir si la requérante pouvait passer pour avoir satisfait aux conditions requises pour l’octroi de l’allocation d’invalidité fixées par le droit interne (voir, mutatis mutandis, Koivusaari et autres c. Finlande(déc.), no 20690/06, 23 février 2010).
35. La requérante a formé deux demandes sur la base de la loi relative aux allocations d’invalidité (la loi no CXCI de 2011). Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, ce texte assortissait de deux conditions le droit à une allocation d’invalidité : une condition médicale et une condition contributive – désormais plus stricte (paragraphe 30 ci-dessus). La première demande a été rejetée le 5 juin 2012 au motif que la nouvelle condition contributive n’avait pas été remplie (paragraphe 19 de l’arrêt). La seconde l’a été par une décision rendue le 23 novembre 2012 et confirmée tout d’abord par une instance d’appel le 27 février 2013 puis, sur un recours de la requérante, par le tribunal administratif et du travail de Nyíregyháza le 20 juin 2013, là encore au motif que cette nouvelle condition contributive n’avait pas été satisfaite (paragraphes 21-23 de l’arrêt). La requérante ne soutient pas que l’interprétation et l’application de la nouvelle loi par les autorités internes étaient arbitraires ou manifestement déraisonnables, et nous ne voyons aucune raison de conclure qu’elles l’étaient. Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, la Cour a constamment jugé qu’on ne peut conclure à l’existence d’une espérance légitime, pour les besoins de l’article 1 du Protocole no 1, lorsqu’il y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que, comme en l’espèce, les arguments avancés par le requérant à cet égard sont ultérieurement rejetés par les juridictions nationales (paragraphe 10 ci-dessus). En conséquence, la conclusion qu’il faut tirer du rejet de ces demandes pour non-respect de l’une des conditions fixées par la loi applicable en matière d’allocations d’invalidité est que les prétentions de la requérante n’avaient aucun fondement au regard de la nouvelle loi ou, autrement dit, qu’elle ne disposait d’aucune « créance exigible » sous l’empire de cette loi.
36. La requérante soutient cependant qu’elle avait droit à une allocation d’invalidité sur la base de l’ancienne Constitution hongroise, telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle, ainsi que sur le fondement de l’article 12 § 2 de la Charte sociale européenne, qui renvoie à la Convention no 102 de l’OIT, et de la Convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées.
37. Nous ne sommes pas convaincus par la thèse de la requérante selon laquelle la Cour constitutionnelle a interprété les dispositions de l’ancienne Constitution comme obligeant l’État à prévoir le versement d’une allocation sociale dans la mesure nécessaire à la fourniture de moyens de subsistance. À cet égard, nous tenons à souligner le raisonnement adopté par la Cour constitutionnelle dans sa décision no 40/2012 (XII.6.) AB (paragraphe 33 de l’arrêt), selon lequel la Loi fondamentale qui s’est substituée à l’ancienne Constitution à compter du 1er janvier 2012 fixe pour l’État des objectifs généraux au lieu de conférer des droits subjectifs, du moins pour ce qui est de son article XIX relatif à la sécurité sociale. De plus, l’ancienne Constitution, à compter du 6 juin 2011, avait déjà expressément habilité le législateur à réduire, à convertir en allocations sociales ou à supprimer les pensions d’invalidité. La Cour constitutionnelle a également évoqué sa jurisprudence constante, qui ne voit pas dans l’obligation pour l’État de garantir les moyens de subsistance une source de droits constitutionnels spécifiques directement sanctionnables. Nous ne sommes donc pas convaincus que les principes constitutionnels mis en avant par la requérante créent un droit sanctionnable devant être mis en œuvre par le législateur.
38. En outre, nous ne pouvons pas admettre que les règles de droit international invoquées par la requérante puissent servir à fonder un droit sanctionnable à l’allocation d’invalidité hongroise en question. La Hongrie n’a pas accepté d’être liée par les dispositions citées de la Charte sociale européenne ou de la Charte sociale européenne révisée (paragraphe 36 de l’arrêt). Elle n’a pas non plus ratifié le code européen de la sécurité sociale ni les Conventions nos 102 et 128 de l’OIT (paragraphes 38, 40 et 41 de l’arrêt). Elle ne s’est donc pas engagée à garantir au moins une prestation d’invalidité réduite aux personnes ayant, avant l’éventualité, cotisé pendant cinq ans au minimum (paragraphe 42 de l’arrêt). Qui plus est, les dispositions pertinentes de la Convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées (paragraphe 39 de l’arrêt), que la Hongrie a ratifiée, ne renferment aucune obligation spécifique dont la requérante pourrait tirer un droit à une prestation d’invalidité.
39. La conclusion que nous tirons de ce qui précède est que les prétentions de la requérante n’avaient aucun fondement au regard du droit interne tel qu’en vigueur à la date du rejet de ses demandes d’allocation d’invalidité. Il n’y avait dès lors au regard du droit interne aucune créance pouvant être qualifiée de valeur patrimoniale protégée par l’article 1 du Protocole no 1. À notre avis, donc, la requérante ne disposait pas d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, et les garanties offertes par cette disposition ne s’appliquent pas en l’espèce.
40. Il s’ensuit, selon nous, que l’exception tirée par le Gouvernement d’une incompatibilité ratione materiae du grief en question avec la Convention et ses Protocoles doit être accueillie. Il ne peut donc y avoir violation de l’article 1 du Protocole no 1.
B. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
41. Pour le cas où la Cour jugerait inapplicable l’article 1 du Protocole no 1, la requérante, comme elle l’indique pour la première fois dans ses observations du 30 septembre 2015 devant la Grande Chambre, prie la Cour d’examiner séparément si son droit au respect de la vie privée, tel que garanti par l’article 8 de la Convention, a été violé à raison de la perte de sa seule source de revenus, occasionnée par la modification des critères d’attribution de sa pension d’invalidité.
42. Puisqu’à nos yeux l’article 1 du Protocole no 1 est effectivement inapplicable, nous estimons devoir exposer nos vues concernant le grief fondé sur l’article 8 de la Convention.
43. Selon la jurisprudence de la Cour, « l’affaire » renvoyée devant la Grande Chambre, au sens de l’article 43 de la Convention, est la requête telle qu’elle a été déclarée recevable (voir, parmi de nombreux autres précédents, K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 141, CEDH 2001-VII, et Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 91, CEDH 2016). En l’espèce, la question de savoir si la décision litigieuse peut s’analyser en une violation du droit de la requérante au respect de sa vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention, n’est pas traitée dans la décision de la chambre déclarant la requête recevable et doit donc s’analyser en un grief distinct.
44. À notre avis, donc, la Grande Chambre aurait dû conclure qu’elle n’a pas compétence pour examiner le grief fondé sur l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Herrmann c. Allemagne [GC], no 9300/07, § 39, 26 juin 2012, et Pentikäinen c. Finlande [GC], no 11882/10, § 81, CEDH 2015).
C. OBSERVATION FINALE
45. Nous tenons à finir par une dernière observation. Nous sommes tout à fait conscients de la situation difficile de la requérante. Elle est passée entre les mailles du filet de la sécurité sociale lorsque celle-ci a été réformée. Nous estimons néanmoins que les cas difficiles se prêtent mal à l’énoncé de bonnes règles. Les affaires de cette nature ne sauraient justifier un changement dans la manière, ancienne et bien ancrée, dont la Cour interprète les notions de « bien » et d’« espérance légitime » sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
[1]. Le paragraphe 3 a été adopté le 6 juin 2011.
[2]. Les dispositions de cette loi relatives à la pension d’invalidité ont été abrogées à compter du 1er janvier 2012 par la loi n° CXCI de 2011 sur les prestations accordées aux personnes à capacité de travail réduite (paragraphe 31 ci-dessous).
[3]. Voir la loi n° LXXXIV de 2007, citée au paragraphe 30 ci-dessous.
[4]. Source : EUROSTAT – Statistiques sur la protection sociale – dépenses sociales et bénéficiaires de pensions ; données datant de décembre 2014.