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CEDH, 16 octobre 2007, Béric et autres contre Bosnie-Herzégovine, req. n°36357/04 et autres

Citer : Revue générale du droit, 'CEDH, 16 octobre 2007, Béric et autres contre Bosnie-Herzégovine, req. n°36357/04 et autres, ' : Revue générale du droit on line, 2007, numéro 59499 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=59499)


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Décision citée par :
  • Christophe De Bernardinis, §2. Des rapports qui ont vocation à devenir directs pour matérialiser une garantie des droits et libertés commune


EN FAIT

1.  Les requérants, MM. Dušan Berić, Pantelija Ćurguz, Božidar Vučurević, Dragomir Ljubojević, Radomir Lukić, Milenko Stanić, Rodoljub Đukanović, Savo Čeliković, Milan Bogićević, Savo Krunić, Zvonko Bajagić, Mirko Delić, Duško Kornjača, Vojislav Gligić, Dragan Dobrilović, Momir Tošić, Mihajlo Mijanović, Dragutin Đurašinović, Slobodan Šaraba, Milan Tupajić, Milan Ninković, Miloš Lazović, Aleksandar Savić, Miloš Tomović, Nade Radović et Čedomir Popović, sont des ressortissants de Bosnie-Herzégovine. Ils sont représentés devant la Cour par MM. K. Čavoški et M. Paunović, professeurs de droit à l’Université de Belgrade. Le gouvernement de l’Etat défendeur (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme M. Mijić, ainsi que par son agente adjointe, Mme Z. Ibrahimović.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Entre le 29 juin et le 16 décembre 2004, le Haut Représentant international en Bosnie-Herzégovine (ci-après « le Haut Représentant ») révoqua les requérants de toutes les fonctions dont ils étaient investis au sein de services publics ou de partis politiques. En outre, il leur interdit pour une durée indéterminée d’exercer des emplois de cette nature et de se présenter à des élections. La décision dans chacun des cas prit effet immédiatement, sans autre formalité. Voici les principaux motifs avancés pour justifier ces mesures :

« Contrairement à ce que lui imposaient ses obligations internationales, la Bosnie‑Herzégovine a singulièrement failli à tourner ce qui représente sans doute la page la plus déplorable de son histoire. Plus précisément, elle n’a pas réussi, sur le territoire de la Republika Srpska, à appréhender et à traduire devant la justice un certain nombre de personnes mises en accusation en vertu de l’article 19 du Statut du TPIY [le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie], ce qui constitue un échec retentissant.

Cet échec n’aurait pas pu survenir sans l’aide active de personnes physiques et morales, ni d’ailleurs sans cette prédisposition à la complicité – tant ouverte que secrète – et à la loi du silence répandue sur le territoire de la seule entité de la Bosnie‑Herzégovine où ces individus sont présumés avoir trouvé refuge, à savoir [la] Republika Srpska.

Alors que la Republika Srpska était constitutionnellement tenue de coopérer pleinement avec le TPIY – une obligation instamment rappelée à celle-ci par le Conseil de sécurité de l’ONU dans les résolutions visées ci-dessus –, certains accusés sont toujours en liberté sur le territoire de cette entité. Pour échapper à la justice, ils ont bénéficié et bénéficient encore aujourd’hui de l’aide de personnes investies de fonctions d’autorité et d’institutions publiques et politiques. Cette situation, qui perdure depuis la fin de la guerre il y a neuf ans, ne cesse d’être une source de vives inquiétudes non seulement pour la population de la Bosnie‑Herzégovine mais aussi pour la communauté internationale dans son ensemble.

Il incombe désormais à la communauté internationale de remédier à cette situation intolérable en prenant des mesures directes et de grande ampleur contre les fonctionnaires de la Republika Srpska qui font obstacle à l’application du droit international sur le territoire de celle-ci. A force de se comporter d’une manière aussi ignominieuse ou de s’abstenir d’assumer les responsabilités que leur imposent les diverses fonctions qu’elles exercent au sein d’organismes publics, ces personnes ont montré qu’elles n’étaient pas dignes des charges qui leur ont été confiées ».

Les requérants furent jugés « indirectement coupables d’avoir contribué à l’échec des initiatives institutionnelles visant à purger (…) le paysage politique des conditions ayant permis à des personnes mises en accusation sur le fondement de l’article 19 [du Statut du Tribunal pénal pour l’ex‑Yougoslavie] d’obtenir une aide matérielle et des moyens de subsistance ».

3.  Le 4 novembre 2005, le Haut Représentant leva les interdictions dont étaient frappés les requérants Berić, Bogićević, Gligić, Dobrilović, Šaraba et Tomović après que ceux-ci eussent juré sous serment de respecter la Constitution de Bosnie-Herzégovine. Ces six requérants ne furent pas réintégrés de plein droit dans leurs fonctions antérieures et n’eurent droit à aucune indemnisation.

B.  Le droit et la pratique pertinents

1.  Le droit et la pratique internationaux de caractère général

a)  La Charte des Nations unies (entrée en vigueur le 24 octobre 1945)

4.  En son chapitre I, la Charte des Nations unies (ci-après « la Charte ») énonce les buts et principes de celles-ci. Ses articles 1 et 2 sont ainsi libellés :

Article 1

« Les buts des Nations Unies sont les suivants :

1.  Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ;

2.  Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ;

3  Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion ;

4.  Etre un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes. »

Article 2

« L’Organisation des Nations Unies et ses Membres, dans la poursuite des buts énoncés à l’Article 1, doivent agir conformément aux principes suivants :

1.  L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres.

2.  Les Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la présente Charte.

3.  Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger.

4.  Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.

5.  Les Membres de l’Organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s’abstiennent de prêter assistance à un Etat contre lequel l’Organisation entreprend une action préventive ou coercitive.

6.  L’Organisation fait en sorte que les Etats qui ne sont pas Membres des Nations Unies agissent conformément à ces principes dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales.

7.  Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII. »

5.  Le chapitre V de la Charte est consacré au Conseil de sécurité de l’ONU. Les articles 24 et 25 sont ainsi libellés :

Article 24

« 1.  Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom.

2.  Dans l’accomplissement de ces devoirs, le Conseil de sécurité agit conformément aux buts et principes des Nations Unies. Les pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de sécurité pour lui permettre d’accomplir lesdits devoirs sont définis aux Chapitres VI, VII, VIII et XII.

3.  Le Conseil de sécurité soumet pour examen des rapports annuels et, le cas échéant, des rapports spéciaux à l’Assemblée générale. »

Article 25

« Les Membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte. »

6.  Le chapitre VII s’intitule « [a]ction en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ». Les articles pertinents (à savoir les articles 39, 41 et 48) sont ainsi libellés :

Article 39

« Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. »

Article 41

« Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques. »

Article 48

« 1.  Les mesures nécessaires à l’exécution des décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales sont prises par tous les Membres des Nations Unies ou certains d’entre eux, selon l’appréciation du Conseil.

2.  Ces décisions sont exécutées par les Membres des Nations Unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie. »

7.  Le chapitre XVI comporte des dispositions diverses, notamment l’article 103, ainsi conçu :

« En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ».

Selon l’interprétation donnée à l’article 103 par la Cour internationale de Justice, les obligations qui s’imposent aux Etats membres de l’ONU en vertu de la Charte l’emportent sur leurs obligations conventionnelles contraires, qu’elles découlent d’un traité antérieur ou postérieur à l’entrée en vigueur de la Charte ou d’un simple accord régional (Nicaragua c. Etats‑Unis d’Amérique, C.I.J. Recueil 1984, p. 392, § 107).

b)  Projets d’articles sur la responsabilité des organisations internationales, adoptés par la Commission du droit international

8.  En 2003, la Commission du droit international de l’ONU (ci-après « la CDI ») adopta le projet d’article 3 sur la responsabilité des organisations internationales (voir le rapport de la CDI concernant sa cinquante‑cinquième session, 2003, A/58/10), intitulé « principes généraux » et ainsi conçu :

« 1.  Tout fait internationalement illicite d’une organisation internationale engage sa responsabilité internationale.

2.  Il y a fait internationalement illicite d’une organisation internationale lorsqu’un comportement consistant en une action ou une omission :

a)  Est attribuable à l’organisation internationale en vertu du droit international ; et

b)  Constitue une violation d’une obligation internationale de cette organisation internationale. »

9.  En 2004, la CDI adopta le projet d’article 5 sur la responsabilité des organisations internationales (voir le rapport de la CDI concernant sa cinquante-sixième session, 2004, A/59/10), intitulé « Comportement des organes ou agents mis à la disposition d’une organisation internationale par un Etat ou une autre organisation internationale » et ainsi conçu :

« Le comportement d’un organe d’un Etat ou d’un organe ou d’un agent d’une organisation internationale qui est mis à la disposition d’une autre organisation internationale est considéré comme un fait de cette dernière d’après le droit international pour autant qu’elle exerce un contrôle effectif sur ce comportement. »

2.  Le droit et la pratique internationaux concernant la Bosnie‑Herzégovine

10.  L’accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine, paraphé à la base aérienne Wright-Patterson près de Dayton (Etats-Unis d’Amérique) (ci-après « l’Accord de paix ») est l’aboutissement des quelque quarante-quatre mois de négociations conduites par intermittence sous les auspices de la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie et du Groupe de contact. Il renferme onze articles disposant principalement que les trois Etats contractants (l’ancienne République de Bosnie-Herzégovine, la République de Croatie et l’ancienne République fédérative de Yougoslavie) « notent avec satisfaction et approuvent » et « respecteront pleinement les engagements pris dans [les annexes à cet accord] et en encourageront l’application ». Ces annexes, au nombre de douze, précisent la teneur de ces engagements.

11.  L’annexe 10 à l’Accord de paix, intitulée « Accord relatif au dispositif civil d’application de l’Accord de paix », définit le mandat du Haut Représentant. En voici les dispositions pertinentes :

Article I

« 1.  Les Parties reconnaissent que pour mettre en œuvre les aspects civils de l’Accord de paix, il faut exécuter toute une série d’activités, et notamment continuer à fournir une aide humanitaire aussi longtemps que cela sera nécessaire, remettre en état l’infrastructure et assurer le relèvement économique, mettre en place des institutions constitutionnelles et politiques en Bosnie‑Herzégovine, défendre les droits de l’homme et assurer le retour des personnes déplacées et des réfugiés et organiser des élections libres et équitables, selon le calendrier figurant à l’Annexe 3 de l’Accord‑cadre général. Un grand nombre d’organisations et d’institutions internationales sont appelées à apporter leur concours.

2.  Etant donné la complexité des problèmes auxquels elles doivent faire face, les Parties demandent qu’un Haut Représentant soit nommé, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU, pour appuyer leurs efforts, mobiliser les organisations et institutions qui s’occupent des aspects civils de l’Accord de paix et, le cas échéant, en coordonner les activités, en exécutant, en application d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, les tâches énumérées ci-après. »

Article II

« 1.  Le Haut Représentant est chargé de :

a)  Suivre l’application de l’Accord de paix ;

b)  Rester en contact étroit avec les Parties afin de les encourager à appliquer strictement tous les aspects civils de l’Accord de paix et à coopérer activement entre elles ainsi qu’avec les organisations et institutions qui participent à la mise en œuvre de ces aspects ;

c)  Coordonner les activités des organisations et institutions civiles en Bosnie‑Herzégovine pour garantir la bonne exécution des aspects civils de l’Accord de paix. Le Haut Représentant respectera l’autonomie desdites organisations et institutions dans leurs domaines de compétence respectifs, tout en leur donnant les indications voulues quant à l’impact de leurs activités sur l’application de l’Accord de paix. Les organisations et institutions civiles doivent aider le Haut Représentant à s’acquitter de ses responsabilités en le tenant au courant des activités qu’elles mènent en Bosnie-Herzégovine ;

d)  Faciliter, lorsqu’il le juge nécessaire, le règlement de tout problème lié à l’application des aspects civils ;

e)  Participer aux réunions des organismes donateurs, s’agissant en particulier des questions intéressant le relèvement et la reconstruction ;

f)  Faire périodiquement rapport à l’Organisation des Nations Unies, à l’Union européenne, aux Etats-Unis d’Amérique, à la Fédération de Russie et à tous autres gouvernements, parties et organismes intéressés sur l’état d’avancement des tâches décrites dans le présent Accord dans le cadre de l’application de l’Accord de paix ;

g)  Conseiller le Chef de l’Équipe internationale de police, créée conformément à l’Annexe 11 de l’Accord-cadre général, et recevoir ses rapports.

(…)

9. Le Haut Représentant n’a aucune autorité sur l’IFOR et ne s’immisce en aucune façon dans la conduite des opérations militaires ni dans la chaîne de commandement de la Force. »

Article III

« 4.  Les privilèges et immunités sont accordés comme suit :

a)  Les Parties confèrent au bureau du Haut Représentant, ainsi qu’à ses locaux, archives et autres biens, les mêmes privilèges et immunités que ceux dont jouissent les missions diplomatiques, ainsi que leurs locaux, archives et autres biens en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ;

b)  Les Parties confèrent au Haut Représentant ainsi qu’aux administrateurs faisant partie de son personnel et aux membres de leur famille les mêmes privilèges et immunités que ceux dont jouissent les agents diplomatiques et les membres de leur famille en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ;

c)  Les Parties confèrent aux autres membres du personnel du Haut Représentant et aux membres de leur famille les mêmes privilèges et immunités que ceux dont jouissent les membres du personnel administratif et technique et les membres de leur famille en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. »

Article IV

« Les Parties coopèrent sans réserve avec le Haut Représentant (…) »

Article V

« Le Haut Représentant a, sur le théâtre, l’autorité finale en matière d’interprétation du présent Accord pour ce qui est de l’application des aspects civils de l’Accord de paix. »

12.  Après la conclusion de l’Accord de paix, une Conférence sur la mise en œuvre de la paix fut organisée à Londres les 8 et 9 décembre 1995, à l’issue de laquelle furent institués un conseil de mise en œuvre de la paix (ci-après « le CMP »), le comité directeur de ce conseil et un Haut Représentant à la tête de ce comité. Si le CMP se compose de l’ensemble des Etats, des organisations internationales et des organes qui ont participé à la Conférence, les membres du comité directeur sont l’Allemagne, le Canada, les Etats-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni, la présidence de l’Union européenne, la Commission européenne et la Turquie (pour le compte de l’Organisation de la conférence islamique). La Conférence invita le Conseil de sécurité à approuver la mise en place du Haut Représentant (voir les conclusions de la Conférence de Londres sur la mise en œuvre de la paix, Nations Unies, documents officiels, S/1995/1029).

13.  Le 15 décembre 1995, le lendemain de l’entrée en vigueur de l’Accord de paix, le Conseil de sécurité adopta la résolution 1031, ainsi libellée en ses parties pertinentes :

« Le Conseil de sécurité,

Rappelant toutes ses résolutions antérieures relatives aux conflits dans l’ex‑Yougoslavie,

(…)

Se félicitant de la signature à la Conférence de paix de Paris, le 14 décembre 1995, par la République de Bosnie-Herzégovine, la République de Croatie, la République fédérative de Yougoslavie et les autres parties de l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine et de ses annexes (dénommés collectivement l’Accord de paix, S/1995/999, annexe),

(…)

Se félicitant en outre des conclusions de la Conférence sur la mise en œuvre de la paix, tenue à Londres les 8 et 9 décembre 1995 (la Conférence de Londres) (S/1995/1029), en particulier de la décision de la Conférence de créer un Conseil de mise en œuvre de la paix et son comité directeur,

(…)

Constatant que la situation dans la région continue de constituer une menace contre la paix et la sécurité internationales,

Résolu à promouvoir le règlement pacifique des conflits conformément aux buts et principes de la Charte des Nations Unies,

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

(…)

26.  Approuve la mise en place d’un Haut Représentant, demandée par les parties, qui sera chargé, conformément à l’annexe 10 relative aux aspects civils de la mise en œuvre de l’Accord de paix, d’assurer le suivi de l’application de l’Accord de paix et de mobiliser les organisations et institutions civiles concernées et, le cas échéant, de leur fournir des orientations et de coordonner leurs activités, et agrée la nomination de M. Carl Bildt comme HautReprésentant ;

27.  Confirme qu’il incombe en dernier ressort au Haut Représentant, sur le théâtre, de statuer sur l’interprétation de l’annexe 10 relative aux aspects civils de la mise en œuvre de l’Accord de paix ;

28.  Décide que tous les Etats concernés, en particulier ceux sur le territoire desquels le Haut Représentant installera des bureaux, devront veiller à ce que le Haut Représentant dispose de la capacité juridique nécessaire àl’exercice de ses fonctions, y compris la capacité de contracter et celle d’acquérir ou de céder des biens mobiliers et immobiliers ;

(…)

32.  Prie le Secrétaire général de lui soumettre les rapports établis par le Haut Représentant, conformément à l’annexe 10 de l’Accord de paix et aux conclusions de la Conférence de Londres, sur la mise en œuvre de l’Accord depaix ;

(…)

39.  Constate le caractère unique, extraordinaire et complexe de la situation actuelle en Bosnie-Herzégovine, qui demande une réponse exceptionnelle ;

40.  Décide de rester saisi de la question. »

14.  Depuis la Conférence de Londres, le CMP s’est réuni au niveau ministériel à cinq autres reprises pour faire le point sur les avancées de la mise en œuvre de la paix et définir les objectifs en la matière pour la période suivante. Ces conférences se tinrent en juin 1996 à Florence, en décembre 1996 de nouveau à Londres, en décembre 1997 à Bonn, en décembre 1998 à Madrid et en mai 2000 à Bruxelles.

15.  Voici les extraits pertinents des conclusions de la Conférence sur la mise en œuvre de la paix tenue à Bonn (Nations Unies, documents officiels, S/1997/979) :

« Le [CMP] se réjouit que le Haut Représentant se propose de faire usage de son pouvoir final de décision sur le terrain en ce qui concerne l’interprétation de l’Accord relatif au dispositif civil d’application de l’Accord de paix demanière à faciliter la solution des difficultés en prenant, s’il le juge nécessaire, des décisions contraignantes, sur ce qui suit :

a)  la date, le lieu et la présidence des réunions des institutions communes ;

b)  des mesures intérimaires, lorsque les parties ne peuvent s’entendre, mesures qui resteront en vigueur jusqu’à ce que la présidence ou le Conseil des ministres ait adopté sur la question débattue une décision compatible avecl’Accord de paix ;

c)  d’autres mesures visant à assurer la mise en œuvre de l’Accord de paix sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine et ses Entités, ainsi que le bon fonctionnement des institutions communes, pouvant comprendre lesdispositions contre des personnes ayant une position officielle ou des responsables qui, sans bonnes raisons, se dispensent d’assister aux réunions ou dont le Haut Représentant estime qu’ils enfreignent les obligations juridiquescontractées en vertu de l’Accord de paix ou des clauses de mise en œuvre. »

Les pouvoirs du Haut Représentant découlant des conclusions de la Conférence de Bonn sur la mise en œuvre de la paix sont communément appelés « pouvoirs de Bonn ». Dans sa résolution 1144 adoptée le 19 décembre 1997, le Conseil de sécurité a appuyé ces conclusions.

16.  Le Conseil de sécurité a régulièrement manifesté son soutien au CMP et au Haut Représentant. Sa résolution 1722, adoptée le 21 novembre 2006 et ainsi conçue dans ses parties pertinentes, en est un exemple récent :

« Le Conseil de sécurité,

(…)

Constatant que la situation dans la région reste une menace pour la paix et la sécurité internationales,

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

(…)

4.  Souligne qu’il tient à ce que le Haut Représentant continue de jouer son rôle pour ce qui est d’assurer le suivi de l’application de l’Accord de paix, de fournir des orientations aux organisations et institutions civiles qui aident les parties à appliquer l’Accord de paix et de coordonner leurs activités, et réaffirme qu’en vertu de l’annexe 10 de l’Accord de paix, c’est en dernier ressort au Haut Représentant qu’il appartient sur place de statuer sur l’interprétation à donner aux aspects civils à l’application de l’Accord de paix, et qu’il peut, en cas de différend, donner une interprétation, faire des recommandations et prendre les décisions ayant force obligatoire qu’il juge nécessaires touchant les questions dont le Conseil de mise en œuvre de la paix a traité à Bonn les 9 et 10 décembre 1997 ;

(…) »

17.  Tout en reconnaissant que « l’utilisation par le Haut Représentant des pouvoirs de Bonn a été bénéfique pour la Bosnie-Herzégovine et ses habitants et était nécessaire au sortir d’une guerre sanglante », la Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l’Europe (ci-après « la Commission de Venise ») a récemment préconisé une « élimination progressive de ces pouvoirs et la création, en attendant que cette pratique prenne fin, d’un groupe consultatif de juristes indépendants en ce qui concerne les décisions affectant directement les droits de particuliers » (Avis sur la situation constitutionnelle en Bosnie‑Herzégovine et les pouvoirs du Haut Représentant, adopté par la Commission de Venise lors de sa 62e session plénière (Venise, 11‑12 mars 2005, CDL-AD (2005) 004). Voici les extraits pertinents de cet avis :

« 94.  La révocation d’un fonctionnaire est une entrave sérieuse à l’exercice de ses droits par la personne visée. Afin de satisfaire aux critères démocratiques, elle devrait être précédée d’un procès équitable, être solidement motivée et s’appuyer sur des preuves suffisantes, et être assortie de voies de recours judiciaire. La sanction doit être proportionnée à l’infraction présumée. En cas de révocation de représentants élus, les droits de leurs électeurs sont également en jeu et pareille entrave à l’exercice des droits doit être solidement motivée.

95.  Dans cette perspective, il n’incombe assurément pas à la Commission de procéder à un examen quasi-judiciaire de telle ou telle décision du Haut Représentant. Elle ne peut que fournir une évaluation générale de la compatibilité de ces décisions avec les normes internationales. Il ne fait aucun doute que les révocations décidées par le Haut Représentant ont un but légitime et sont motivées par des considérations importantes. La non-coopération avec le TPIY est une grave violation des obligations internationales du pays, et les faits de corruption et la création d’institutions parallèles aux institutions d’Etat légitimes justifient également la prise de sanctions rigoureuses. Sous réserve d’une analyse détaillée de chaque cas d’espèce, la sanction de révocation ne semble pas disproportionnée par rapport aux infractions présumées.

96.  La principale préoccupation tient au fait que le Haut Représentant n’intervient pas en tant que tribunal indépendant et qu’il n’existe aucune voie de recours. Le Haut Représentant n’est pas un juge indépendant et il n’est pas dépositaire d’une légitimité démocratique qu’il tiendrait de la population de la B-H. Il exécute un projet politique, arrêté par la communauté internationale, qui sert l’intérêt supérieur du pays et contribue à la réalisation des normes du Conseil de l’Europe. Il semble en principe inacceptable que des décisions affectant directement les droits des particuliers prises par un organe politique ne fassent pas l’objet d’un procès équitable ou, à tout le moins, puissent être prises sans que les intéressés bénéficient des garanties minimales d’une procédure régulière et sans qu’un tribunal indépendant puisse contrôler ces décisions.

97.  Il aurait été peu réaliste d’exiger le respect intégral immédiat de toutes les normes internationales applicables à une démocratie stable et authentique dans une situation d’après conflit telle que celle qui existait en B-H à la suite de l’adoption de l’Accord de Dayton. Les personnes visées par les décisions du Haut Représentant étaient souvent des personnages puissants dont les actions pouvaient être interprétées comme répondant à l’intérêt de leur parti politique ou de leur communauté ethnique. Il aurait été tout aussi peu réaliste d’attendre de l’appareil judiciaire de la B-H qu’il soit en mesure de statuer efficacement sur ces actions alors que le pays se relevait du conflit. On peut donc comprendre qu’il n’ait pas été question de faire contrôler les décisions prises par les tribunaux de la B-H. Mais cette situation ne peut pas se prolonger éternellement : compte également tenu des importantes réformes de l’appareil judiciaire exécutées à la demande du Haut Représentant ou imposées par lui, il faudra bien qu’un jour ces décisions fassent l’objet d’un contrôle juridictionnel en bonne et due forme et incombent aux institutions nationales compétentes.

98.  Il n’appartient pas à la Commission de préciser une date pour un tel transfert de responsabilités, même s’il serait bon qu’il n’intervienne pas dans un avenir trop lointain. Mais dans l’intervalle, il faudra modifier sensiblement la pratique actuelle afin de la rendre acceptable à titre de solution temporaire. Le maintien d’un tel pouvoir aux mains d’une autorité politique non élue sans aucune voie de recours et sans aucune intervention d’un organe indépendant n’est pas acceptable. À titre de mesure d’urgence, la Commission recommande de créer un groupe d’experts juridiques indépendants qui devrait donner son assentiment pour chacune des décisions du Haut Représentant. Compte tenu de la nature confidentielle d’un grand nombre d’éléments du dossier, ce groupe pourrait être constitué d’experts internationaux.

99.  Afin qu’un tel organe puisse fonctionner de manière efficace, il sera nécessaire de définir avec clarté et précision les mesures que le Haut Représentant pourrait être amené à prendre et les infractions justifiant la prise de ces mesures. Les conclusions de la conférence de Bonn ne sont pas suffisamment précises pour qu’un groupe d’experts puisse établir la justification de chaque révocation. Il faudra également traiter des questions de la durée de l’interdiction d’exercer une fonction publique et des éventuelles réhabilitations. A cet égard, la Commission salue comme un premier pas la récente décision du Haut Représentant d’entamer un processus de réhabilitation de certaines des personnes révoquées antérieurement. Si le Bureau du Haut Représentant venait à cesser ses activités dans un avenir proche, il n’existerait plus d’organe politique pour faire respecter ces décisions, mais leur validité juridique ne cesserait pas automatiquement. »

3.  La jurisprudence pertinente de la Cour constitutionnelle

18.  La Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine (ci-après « la Cour constitutionnelle ») peut, à condition que le Haut Représentant y consente, contrôler la constitutionnalité des dispositions de la législation adoptée par lui, comme elle le fait pour les lois adoptées par les autorités nationales. Elle ne peut toutefois examiner si le Haut Représentant était fondé à légiférer en lieu et place de celles-ci (voir la décision rendue le 3 novembre 2000 par la Cour constitutionnelle, portant la cote U 9/00).

19.  Le Haut Représentant n’a d’ailleurs pas consenti à ce qu’une quelconque autorité nationale contrôle la régularité de ses autres actes. Il a réagi vivement à la décision rendue le 8 juillet 2006 (AP 953/05) par la Cour constitutionnelle et imposant aux autorités nationales de mettre en place un recours effectif pour ce qui est des révocations qu’il avait prononcées. L’arrêté qu’il a pris le 23 mars 2007 prive de tout effet pratique cette décision. Ce texte est ainsi conçu :

Article 1

« Aux fins de l’exécution de la décision [AP 953/05 rendue le 8 juillet 2006 par la Cour constitutionnelle], la présidence de la Bosnie-Herzégovine devra saisir le Haut Représentant, en sa qualité de président du comité directeur du [CMP], de toutes les questions soulevées dans ladite décision qui mériteront d’être examinées par les autorités internationales visées dans celle-ci. »

Article 2

« Toute mesure adoptée par une institution ou une autorité en Bosnie-Herzégovine tendant à mettre en place un quelconque mécanisme interne de contrôle des décisions prises par le Haut Représentant conformément à son mandat international sera considérée par lui comme une initiative visant à compromettre le dispositif civil d’application de [l’Accord de paix] et sera en elle-même traitée comme un comportement mettant ce dispositif à mal. »

Article 3

« Quand bien même la législation de Bosnie-Herzégovine en disposerait autrement, toute action formée devant un tribunal de ce pays par laquelle serait attaquée ou contestée d’une quelconque manière une décision du Haut Représentant sera jugée irrecevable, sauf si celui-ci a expressément consenti au préalable à ce que cette action soit examinée.

Tout tribunal saisi d’une action visée au premier paragraphe du présent article en avertira dûment, formellement et sans retard le Haut Représentant.

Afin d’éviter tout doute et toute ambiguïté et au vu de l’ensemble des éléments ci‑dessus, il est expressément décidé et ordonné par le présent arrêté, dans l’exercice du mandat international susmentionné du Haut Représentant etconformément à l’interprétation qui en est donnée dans le présent arrêté et en vertu des dispositions de l’annexe 10 [à l’Accord de paix], que la responsabilité des institutions de la Bosnie‑Herzégovine, de leurs subdivisions ou d’une quelconque autre autorité de ce pays ne pourra être engagée à raison d’une perte ou d’un dommage qui résulterait, directement ou indirectement, d’une décision du Haut Représentant prise conformément à son mandat internationalou dans un autre cadre. »

Article 4

« Afin d’éviter toute ambiguïté, il est expressément déclaré et ordonné que chacune des dispositions du présent arrêté est formulée par le Haut Représentant dans l’exercice de son mandat international et n’est donc pas susceptible de recours devant les tribunaux de Bosnie-Herzégovine ou de ses entités ou d’ailleurs, et qu’aucune action qui aurait pour objet les obligations nées du présent arrêté ne pourra être formée devant un tribunal à un quelconque moment ultérieur. »

GRIEFS

20.  Invoquant l’article 6, sous son volet pénal, et l’article 11 (liberté d’association) de la Convention, les requérants se plaignent des mesures prises à leur encontre par le Haut Représentant. Sur le terrain de l’article 13 de la Convention, ils estiment en outre n’avoir pas bénéficié d’un « recours effectif devant une instance nationale » pour faire valoir leurs griefs fondés sur la Convention.

EN DROIT

A.  Thèses des parties

21.  Le Gouvernement soutient en substance que le comportement du Haut Représentant est attribuable à l’ONU et qu’aucun Etat contractant ne peut en être tenu pour responsable.

22.  Les requérants estiment au contraire que l’ONU n’exerçait pas de « contrôle effectif » sur le comportement du Haut Représentant au sens du projet d’article 3 sur la responsabilité des organisations internationales et que, dès lors, ce comportement n’était pas imputable à l’ONU. A l’appui de leur thèse, ils soutiennent que les « pouvoirs de Bonn » outrepassaient les prérogatives qui, selon l’Accord de paix et la résolution 1031 du Conseil de sécurité, devaient être celles du Haut Représentant.

Les requérants ajoutent que, par l’effet des décisions rendues par la Cour constitutionnelle le 3 novembre 2000 (U 9/00) et le 8 juillet 2006 (953/05), la Bosnie-Herzégovine a accepté d’être tenue pour responsable du comportement du Haut Représentant.

B.  Observations des tierces parties

23.  Les observations présentées par le gouvernement du Royaume-Uni et par le Bureau du Haut Représentant vont dans le sens de la thèse de l’Etat défendeur.

24.  Le gouvernement du Royaume-Uni soutient que le Haut Représentant n’est pas un organe de la Bosnie-Herzégovine, n’est habilité par aucune loi de ce pays à exercer des prérogatives de puissance publique et n’est ni à la disposition de celui-ci, ni contrôlé ou dirigé par lui. Dans ces conditions, le comportement du Haut Représentant ne serait pas attribuable à la Bosnie-Herzégovine en vertu des règles du droit international et, dès lors, les requérants ne relèveraient pas de la juridiction de ce pays au sens de l’article 1 de la Convention.

Le gouvernement du Royaume-Uni prend acte de la jurisprudence de la Cour en vertu de laquelle les obligations auxquelles les Etats contractants ont souscrit de par leur qualité de membre d’une organisation internationale à laquelle ils ont transféré une part de leur souveraineté ne les exonèrent pas complètement de leurs obligations découlant de la Convention. Il cite l’affaire Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, CEDH 2005‑VI, dans laquelle la Cour a dit que les Etats contractants demeurent responsables au regard de la Convention pour ce qui est des engagements conventionnels pris par eux après l’entrée en vigueur de celle-ci. Or l’Accord de paix et les autres instruments pertinents en l’espèce auraient été conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Bosnie-Herzégovine. Le gouvernement cite en outre la décision rendue en l’affaire Hess c. Royaume-Uni (no 6231/73, 28 mai 1975, Décisions et rapports (DR) 2, p. 72), dans laquelle la Commission avait dit que la signature par le Royaume-Uni de l’accord entre les Quatre Puissances relatif à la prison de Spandau aurait pu soulever une question au titre de la Convention si celle-ci avait déjà été en vigueur à l’égard de cet Etat au moment de la conclusion de cet accord.

25.  Le Haut Représentant soutient que la création de son bureau et les pouvoirs qu’il détient découlent de divers instruments internationaux, notamment de résolutions juridiquement contraignantes du Conseil de sécurité, et que ses actions ne sauraient engager la responsabilité d’un quelconque Etat. Les Conseils de sécurité aurait toujours estimé en outre que sa missions’inscrivait pleinement dans le cadre de ses efforts, déployés en vertu du chapitre VII de la Charte, en vue de rétablir et de maintenir la paix dans la région.

Le Haut Représentant en conclut que la présente affaire échappe à la juridiction de la Cour.

C.  Appréciation de la Cour

26.  Au lendemain de la guerre en Bosnie-Herzégovine, le Conseil de sécurité autorisa, en tant que mesure d’exécution relevant du chapitre VII de la Charte (voir sa résolution 1031 adoptée le 15 décembre 1995), la mise en place à l’égard de ce pays d’un administrateur international (le Haut Représentant) par un groupe informel d’Etats participant activement au processus de paix, le CMP. Les attributions initialement conférées au Haut Représentant (énoncées dans l’Accord de paix) n’étant pas tout à fait claires, le CMP les explicita par la suite. La mesure la plus importante fut sans doute l’adoption, en décembre 1997, des conclusions de la Conférence de Bonn sur la mise en œuvre de la paix, dans lesquelles le CMP confirma que le Haut Représentant avait le pouvoir de révoquer les fonctionnaires considérés comme contrevenant aux engagements juridiques pris en vertu de l’Accord de paix et d’adopter des lois provisoires en cas de carence des institutions nationales (voir Nations Unies, documents officiels, S/1997/979).

27.  Dès lors qu’il avait établi au préalable l’existence d’une « menace contre la paix et la sécurité internationales » au sens de l’article 39 de la Charte de l’ONU, le Conseil de sécuritépouvait autoriser la création d’une administration civile internationale en Bosnie-Herzégovine et déléguer la mise en œuvre de cette mesure à certains Etats membres des Nations unies, pourvu qu’il conserve un contrôle général et effectif (articles 41 et 48 de la Charte ; Behrami et Behrami c. France et Saramati c. France, Allemagne et Norvège (déc.) [GC], nos 71412/01 et78166/01, 2 mai 2007 ; C. Stahn, « International Territorial Administration in the former Yugoslavia : Origins, Developments and Challenges ahead », Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht (Heidelberg Journal of International law), vol. 61/1 (2001), pp. 107-176 ; et B. Simma (dir.), The Charter of the United Nations (2e édition, 2002), Oxford University Press, pp. 775-780). La question essentielle qui se pose est donc de savoir si, lorsqu’il a délégué ses pouvoirs par l’effet de sa résolution 1031, le Conseil de sécurité a conservé un contrôle général effectif (voir l’article 5 des projets d’articles de la CDI sur la responsabilité des organisations internationales et la décision précitée Behrami et Behrami et Saramati). Pour les motifs exposés ci-après, la Cour répond par l’affirmative.

28.  Premièrement, en ce qui concerne la nature de la délégation, celle-ci était non pas présumée ou implicite, mais déjà prévue explicitement dans la résolution elle-même. L’Accord de paixet les conclusions de la Conférence de Londres sur la mise en œuvre de la paix étaient certes antérieurs à la résolution, mais celle-ci les a entérinés (voir l’article I § 2 de l’annexe 10 à l’Accord de paix). Deuxièmement, si on la lit en combinaison avec l’Accord de paix qui y est joint et les conclusions de la Conférence de Londres auxquelles elle renvoie expressément, la résolution a entouré la délégation de limites suffisamment précises. L’administration territoriale internationale étant une entité à part entière devant jouir d’une marge de manœuvre suffisante afin qu’elle puisse réagir efficacement et accomplir ses objectifs, le manque de précision de certaines dispositions ne pouvait pas être totalement évité. En tout état de cause, les résolutions postérieures du Conseil de sécurité ont entériné les conclusions des conférences sur la mise en œuvre de la paix, qui précisaient les attributions du Haut Représentant, comme la résolution 1144 approuvant les conclusions de la conférence de Bonn. Troisièmement, le Haut Représentant était tenu en vertu de la résolution 1031 de faire rapport au Conseil de sécurité de manière à ce que celui-ci puisse exercer un contrôle général (ce qui explique le paragraphe 40 de cette résolution, aux termes duquel le Conseil de sécurité devait « rester saisi de la question »). Le Secrétaire général étant censé représenter les intérêts généraux de l’ONU, l’obligation à laquelle la résolution 1031 l’astreignait de présenter les rapports du Haut Représentant au Conseil de sécurité constituait une garantie supplémentaire.

Certes, la fonction de Haut Représentant ayant été créée pour une durée indéfinie, le veto d’un membre permanent du Conseil de sécurité peut faire échec à la suppression de la délégation en question, mais la Cour considère que cet élément ne lui suffit pas en lui-même pour conclure que le Conseil de sécurité n’a pas conservé un contrôle général effectif.

Dans ces conditions, la Cour estime que le Haut Représentant exerçait des pouvoirs que le Conseil de sécurité lui avait régulièrement délégués en vertu du chapitre VII de la Charte, de sorte que la mesure litigieuse était, en principe, « attribuable » à l’ONU, au sens de l’article 3 des projets d’articles de la CDI sur la responsabilité des organisations internationales. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, une décision de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine (ou d’ailleurs de n’importe quelle autorité de cet Etat) visant à mettre en place un mécanisme de contrôle des actes du Haut Représentant ne saurait modifier leur nature juridique, sauf si celui-ci y consent, ainsi qu’il l’a déjà fait dans le passé à l’égard de certaines lois qu’il avait édictées.

29.  La Cour constate que les décisions individuelles dont il est tiré grief en l’espèce ont pris effet immédiatement. En outre, à l’inverse de la législation imposée par le Haut Représentant, elles n’appelaient pas d’autres formalités de la part des autorités nationales (comparer, en sens contraire, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi, précité, § 137). Quant à savoir si la responsabilité de la Bosnie-Herzégovine pouvait néanmoins être engagée du fait de ces décisions, la Cour rappelle le raisonnement auquel elle s’est livrée aux paragraphes 146 à 149 de la décision Behrami et Behrami précitée :

« 146.  Se pose donc en l’espèce la question de savoir si la Cour a compétence ratione personae pour examiner les actes des Etats défendeurs commis au nom de l’ONU et, plus généralement, quelle est la relation entre la Convention et les actes de l’ONU au titre du chapitre VII de sa Charte.

147.  La Cour relève tout d’abord que neuf des douze parties signataires à l’origine de la Convention en 1950 (y compris les deux Etats défendeurs) étaient membres de l’ONU depuis 1945, que la grande majorité des Parties contractantes actuelles ont rejoint l’ONU avant d’adhérer à la Convention, et qu’à ce jour toutes les Parties contractantes sont membres de l’ONU. Or l’un des buts de la Convention (figurant dans son Préambule) est d’assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme proclamée par l’Assemblée générale de l’ONU. Plus généralement, la Cour rappelle, comme elle l’a noté au paragraphe 122 ci-dessus, que la Convention doit s’interpréter à la lumière des règles pertinentes et des principes de droit international applicables aux relations entre ses Parties contractantes. La Cour a donc égard à deux dispositions complémentaires de la Charte de l’ONU, les articles 25 et 103, tels qu’ils ont été interprétés par la Cour internationale de Justice (paragraphe 27 ci-dessus).

148.  Il convient d’accorder encore plus de poids au caractère impératif du but premier de l’ONU et, par voie de conséquence, des pouvoirs accordés au Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII pour atteindre ce but. En particulier, il ressort clairement du préambule, des articles 1, 2 et 24 ainsi que du chapitre VII de la Charte que l’ONU a pour objectif principal le maintien de la paix et de la sécurité internationales. S’il est tout aussi clair que la protection des droits de l’homme contribue de manière importante à l’établissement de la paix internationale (voir le Préambule à la Convention), il n’en demeure pas moins que la responsabilité essentielle quant à cet objectif incombe au Conseil de sécurité, qui dispose de moyens considérables en vertu du chapitre VII pour l’atteindre, notamment par l’adoption de mesures coercitives. La responsabilité du Conseil de sécurité à cet égard est unique, et est devenue le corollaire de l’interdiction du recours unilatéral à la force, qui est aujourd’hui partie intégrante du droit coutumier international (paragraphe 18-20 ci‑dessus).

149.  En l’espèce, le chapitre VII a permis au Conseil de sécurité d’adopter des mesures coercitives en réaction à un conflit précis jugé de nature à menacer la paix, mesures qui ont été exposées dans la Résolution 1244 du Conseil de sécurité établissant la MINUK et la KFOR.

Les opérations mises en œuvre par les résolutions du Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU sont fondamentales pour la mission de l’ONU consistant à préserver la paix et la sécurité internationales, et s’appuient, pour être effectives, sur les contributions des Etats membres. Par conséquent, la Convention ne saurait s’interpréter de manière à faire relever du contrôle de la Cour les actions et omissions des Parties contractantes couvertes par des résolutions du Conseil de sécurité et commises avant ou pendant de telles missions. Cela s’analyserait en une ingérence dans l’accomplissement d’une mission essentielle de l’ONU dans ce domaine, voire, comme l’ont dit certaines des parties, dans la conduite efficace de pareilles opérations. Cela équivaudrait également à imposer des conditions à la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité qui n’étaient pas prévues par le texte de la résolution lui-même. Ce raisonnement s’applique aussi aux actes volontaires des Etats défendeurs, tels que le vote d’un membre permanent du Conseil de sécurité en faveur de la résolution pertinente au titre du chapitre VII et l’envoi de contingents dans le cadre de la mission de sécurité : pareils actes peuvent ne pas être à proprement parler des obligations découlant de l’appartenance à l’ONU, mais ils sont primordiaux pour l’accomplissement effectif par le Conseil de sécurité du mandat qui lui est conféré par le chapitre VII, et donc pour la réalisation par l’ONU du but impératif de maintien de la paix et de la sécurité qui lui est assigné. »

30.  La Cour estime que le raisonnement ci-dessus vaut tout autant pour l’acceptation par un Etat contractant d’une administration civile internationale sur son territoire, comme en l’espèce, et conclut que les griefs soulevés par les requérants doivent être déclarés incompatibles ratione personae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3 de celle-ci.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare les requêtes irrecevables.

Josep Casadevall
Président

 

T.L. Early

Greffier

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