AFFAIRE MAESTRI c. ITALIE
(Requête no 39748/98)
ARRÊT
STRASBOURG
17 février 2004
En l’affaire Maestri c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
MM. L. Wildhaber, président,
C.L. Rozakis,
J.-P. Costa,
G. Ress,
Sir Nicolas Bratza,
MM. G. Bonello,
L. Loucaides,
Mme V. Strážnická,
MM. C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
B. Zupančič,
J. Hedigan,
Mmes S. Botoucharova,
E. Steiner,
M. S. Pavlovschi, juges,
Mme M. del Tufo, juge ad hoc,
et de M. P.J. Mahoney, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 juin 2003, 3 décembre 2003 et 28 janvier 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 39748/98) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Angelo Massimo Maestri (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 14 juin 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté devant la Cour par Me A. Fusillo, avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agents, M. U. Leanza et M. I.M. Braguglia, assistés de M. V. Esposito et M. F. Crisafulli, coagents.
3. Le requérant – qui est magistrat de son état – alléguait que le fait d’avoir été sanctionné en raison de son appartenance à la franc-maçonnerie constituait une violation des articles 9, 10 et 11 de la Convention.
4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement), au sein de laquelle a alors été constituée la chambre chargée d’en connaître (articles 27 § 1 de la Convention et 26 § 1 du règlement). Le 30 mars 1999, la chambre a décidé de communiquer la requête au gouvernement défendeur (article 54 § 2 b) du règlement).
6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). L’affaire a été attribuée à la première section remaniée en conséquence (article 52 § 1 du règlement). Le 4 juillet 2002, elle a été déclarée recevable par une chambre de ladite section, composée de M. C.L. Rozakis, président, M. G. Bonello, M. P. Lorenzen, Mme N. Vajić, Mme S. Botoucharova, Mme E. Steiner, juges, et Mme M. del Tufo, juge ad hoc, et de M. E. Fribergh, greffier de section.
7. Le 10 octobre 2002, la même chambre s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’étant déclarée opposée à pareil dessaisissement (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).
8. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Mme del Tufo a conservé sa fonction de juge désigné ad hoc par le gouvernement défendeur pour siéger à la place du juge élu au titre de l’Etat défendeur (article 29 § 1 du règlement).
9. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur le fond de l’affaire.
10. Une audience s’est déroulée en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 25 juin 2003 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
M. F. Crisafulli, coagent,
– pour le requérant
Me A. Fusillo, avocat, conseil.
La Cour les a entendus en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses aux questions de juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
11. Le requérant est né en 1944 et réside à Viareggio (Lucques). Il est magistrat.
12. Lors de l’introduction de la requête, il exerçait les fonctions de président par intérim du tribunal de La Spezia. Le 23 novembre 1993, à la suite d’une enquête de l’inspection générale du ministère de la Justice, le ministre de la Justice engagea contre le requérant une procédure disciplinaire en raison de son affiliation à une loge maçonnique du Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani. Le ministre lui reprochait d’avoir appartenu à la maçonnerie de 1981 à mars 1993, et soutenait qu’il avait ainsi enfreint l’article 18 du décret législatif royal no 511 du 31 mai 1946 (paragraphe 18 ci-dessous).
13. Par une décision du 10 octobre 1995, la section disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature estima que le requérant était responsable des faits qui lui étaient reprochés et le sanctionna par un avertissement (censura). Elle indiqua qu’à partir de 1982 il devait être possible de « percevoir clairement la dévalorisation résultant de l’appartenance à la maçonnerie », et ce « à cause de la déchéance qu’engendre le fait de rassembler un certain nombre de personnes au sein de la loge P2, avec des programmes de prise de contrôle des pouvoirs publics et de subversion des institutions démocratiques, ainsi qu’en raison de la collusion de certaines loges maçonniques avec la mafia et le crime organisé ». La section disciplinaire ajouta que les directives du Conseil supérieur de la magistrature des 22 mars 1990 et 14 juillet 1993 (paragraphes 21 et 22 ci-dessous), qui mettaient en exergue (surtout la seconde) le grand conflit existant entre l’adhésion à la franc‑maçonnerie et l’appartenance à la magistrature, se situaient dans le contexte de cette évolution. D’autre part, selon la décision en question, l’adhésion d’un magistrat à la maçonnerie était illicite du point de vue disciplinaire pour les raisons suivantes : l’incompatibilité entre le serment du franc-maçon et celui du magistrat, l’existence d’un lien de subordination entre les francs-maçons, le « rejet » de la justice de l’Etat au profit de la « justice » maçonnique et, enfin, l’indissolubilité du lien maçonnique, même dans l’hypothèse d’un adhérent souhaitant quitter la franc-maçonnerie.
La section disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature affirma enfin que l’ignorance alléguée par le requérant quant au débat institutionnel sur la maçonnerie ne faisait que confirmer l’existence d’un comportement pouvant être sanctionné par l’article 18 du décret législatif de 1946. Selon la section disciplinaire, ce comportement se caractérisait par un manque de diligence, de prudence et de sagacité vis-à-vis d’une situation présentant un risque pour les valeurs garanties par l’article 18 susmentionné.
14. Le 5 janvier 1996, le requérant se pourvut en cassation. Par trois moyens, il alléguait la violation de l’article 18 de la Constitution, contestait les arguments employés pour conclure à l’incompatibilité entre la fonction de magistrat et l’adhésion à la maçonnerie, et se plaignait du défaut de motivation du raisonnement relatif à la déconsidération dans laquelle tombe un magistrat du fait de son appartenance à la maçonnerie.
15. Le 2 février 1996, le ministère de la Justice forma un pourvoi incident. La Cour de cassation examina l’affaire en chambres réunies le 19 septembre 1996 et, par un arrêt du 20 décembre 1996, rejeta le pourvoi du requérant.
La haute juridiction déclara en premier lieu que l’application de l’article 18 de la Constitution est limitée par les principes constitutionnels d’impartialité et d’indépendance de la fonction juridictionnelle, principes qu’il faut considérer comme primant le droit à la liberté d’association. La Cour de cassation fit valoir en outre que la section disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature avait fondé sa décision essentiellement sur la directive du 14 juillet 1993, par laquelle le Conseil affirmait l’incompatibilité entre la fonction de magistrat et l’appartenance à la franc-maçonnerie.
16. Le requérant prétend que sa carrière est bloquée depuis la décision de la section disciplinaire : il n’a pas été déclaré apte à exercer les fonctions de conseiller à la Cour de cassation ; d’autre part, le conseil judiciaire de son ressort a indiqué qu’en raison de l’avertissement litigieux il ne pouvait s’exprimer sur la capacité de l’intéressé à exercer les fonctions de président de tribunal.
Enfin, le requérant affirme avoir été muté d’office en Sicile ; cependant, il ne fournit pas d’éléments permettant de conclure que cette décision était liée à la sanction litigieuse.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La Constitution italienne
17. Les dispositions pertinentes de la Constitution sont les suivantes :
Article 18
« Les citoyens ont le droit de s’associer librement, sans autorisation, à des fins que la loi pénale n’interdit pas aux individus.
Sont interdites les associations secrètes et celles qui poursuivent, même indirectement, des buts politiques au moyen d’organisations de caractère militaire. »
Article 25
« Nul ne peut être soustrait au juge naturel prévu par la loi.
Nul ne peut être puni si ce n’est en vertu d’une loi entrée en vigueur avant la commission du fait.
Nul ne peut être soumis à des mesures de sûreté, excepté dans les cas prévus par la loi. »
Article 54
« Tous les citoyens ont le devoir d’être fidèles à la République et de respecter la Constitution et les lois.
Les citoyens titulaires de charges publiques ont le devoir de s’en acquitter avec discipline et honneur, en prêtant serment dans les cas établis par la loi. »
Article 98
« Les fonctionnaires sont au service exclusif de la nation.
S’ils sont membres du Parlement, ils ne peuvent obtenir de promotions que par ancienneté.
Des limitations au droit de s’inscrire à un parti politique peuvent être établies par la loi pour les magistrats, les militaires de carrière en service actif, les fonctionnaires et agents de police, les représentants diplomatiques et consulaires à l’étranger. »
Article 101
« La justice est administrée au nom du peuple. Les juges ne sont soumis qu’à la loi. »
Article 111
(texte applicable à l’espèce et antérieur à la loi constitutionnelle no 2
du 23 novembre 1999)
« Toutes les mesures juridictionnelles doivent être motivées.
Un pourvoi en cassation pour violation de la loi est toujours admis contre les arrêts et contre les mesures concernant la liberté de la personne, prononcés par les organes juridictionnels ordinaires ou spéciaux. Il ne peut être dérogé à cette règle que pour les jugements des tribunaux militaires en temps de guerre.
Le pourvoi en cassation contre les décisions du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes n’est admis que pour les motifs inhérents à la compétence juridictionnelle. »
B. L’article 18 du décret législatif royal no 511 du 31 mai 1946
18. Le décret législatif royal no 511 du 31 mai 1946 (« le décret de 1946 ») porte sur les garanties accordées aux magistrats de l’Etat (guarentigie della magistratura).
Aux termes de l’article 18 de ce décret, le magistrat qui « manque à ses devoirs ou a, dans le cadre de ses fonctions ou en dehors de celles-ci, un comportement qui le rend indigne de la confiance et de la considération dont il doit jouir, ou qui porte atteinte au prestige de l’ordre judiciaire » fait l’objet d’une sanction disciplinaire.
19. Appelée à se prononcer sur la conformité de l’article 18 du décret de 1946 avec l’article 25 § 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a décidé qu’en matière de procédure disciplinaire contre les magistrats, le principe de légalité trouve à s’appliquer comme exigence fondamentale de l’Etat de droit et représente une conséquence nécessaire du rôle que la Constitution attribue à la magistrature (arrêt no 100 du 8 juin 1981, § 4).
Toutefois, s’agissant du fait que l’article 18 n’énumère pas les comportements pouvant être considérés comme illicites, la Cour constitutionnelle a observé qu’il n’est pas possible d’indiquer tous les agissements qui peuvent porter préjudice aux valeurs – la confiance et la considération dont un magistrat doit jouir ainsi que le prestige de l’ordre judiciaire – garanties par ladite disposition. En effet, selon la juridiction constitutionnelle, ces valeurs sont des principes déontologiques qui ne peuvent être incorporés dans des « schémas préétablis, car il n’est pas possible d’identifier et de classer tous les comportements répréhensibles pouvant susciter une réaction négative de la société » (arrêt précité, § 5). La Cour constitutionnelle a par la suite rappelé que, dans les lois antérieures régissant la même matière, il y avait une disposition au contenu général en marge des dispositions sanctionnant des comportements spécifiques, que les projets de réforme dans ce domaine maintenaient toujours des formules de caractère général et, enfin, qu’il en allait de même pour d’autres catégories professionnelles. La Cour constitutionnelle a conclu que « les dispositions en la matière ne peuvent pas ne pas avoir un contenu général, parce que des indications précises auraient pour conséquence de légitimer des comportements non mentionnés et cependant réprouvés par la conscience sociale ». Elle a ajouté que ces considérations justifiaient la latitude de la norme et la grande marge d’appréciation accordée à un organe qui, agissant avec les garanties propres à une procédure judiciaire, était en raison de sa structure particulièrement qualifié pour apprécier si le comportement examiné dans chaque cas portait ou non préjudice aux valeurs protégées (arrêt précité, § 5).
La Cour constitutionnelle a enfin considéré que pareille interprétation était conforme à sa jurisprudence en matière de légalité (arrêt précité, § 6). Elle a indiqué que, selon sa jurisprudence, « le principe de légalité s’applique non seulement par le biais d’une description rigoureuse et limitative du cas d’espèce, mais parfois aussi au moyen d’expressions suffisant à déterminer avec certitude la règle et à juger si un comportement donné a violé celle-ci ou non ».
En outre, « les dispositions sanctionnant des comportements illicites qui sont dites « de forme libre » et se réfèrent à des concepts d’expérience commune ou à des valeurs éthico-sociales objectivement compréhensibles, sont pleinement compatibles avec le principe de légalité ».
La Cour constitutionnelle a ajouté qu’en ce qui concerne les dispositions précitées de tels critères d’interprétation paraissent davantage valables en matière disciplinaire, en raison de la réaction sociale moindre que suscite l’infraction disciplinaire par rapport à l’infraction pénale et de l’incidence moindre sur la position subjective de l’intéressé, et également parce que la possibilité de comportements portant atteinte aux valeurs protégées est plus grande que les hypothèses de délit.
Elle a affirmé que la référence de l’article 18 à la confiance et à la considération dont le magistrat doit jouir, ainsi qu’au prestige de l’ordre judiciaire, n’est d’ailleurs pas critiquable, car il s’agit de concepts que l’on peut déterminer selon l’opinion commune.
Partant, la Cour constitutionnelle a écarté la violation des dispositions constitutionnelles invoquées, le principe de légalité et celui d’indépendance du magistrat n’étant pas violés.
C. La loi no 17 du 25 janvier 1982
20. La loi no 17 du 25 janvier 1982 est consacrée aux dispositions d’application de l’article 18 de la Constitution (droit d’association) en matière d’associations secrètes et de dissolution de la loge nommée P2. Aux termes de son article 2, la participation à une association secrète constitue une infraction pénale.
En ce qui concerne les fonctionnaires, l’article 4 dispose qu’une procédure disciplinaire doit également être ouverte à leur encontre devant une commission spéciale composée selon des règles bien précises. Toutefois, s’agissant des magistrats des juridictions judiciaires, administratives et militaires, ce sont les organes disciplinaires respectifs qui sont compétents.
D. Les directives du Conseil supérieur de la magistrature
1. La directive du 22 mars 1990
21. Le 22 mars 1990, le Conseil supérieur de la magistrature adopta une directive après avoir délibéré à la suite d’un message du chef de l’Etat – qui le préside – sur l’incompatibilité entre l’exercice d’une fonction judiciaire et l’adhésion à la franc-maçonnerie. Le procès-verbal (débat et texte de la directive) de la réunion tenue à cette occasion a été publié dans « Verbali consiliari » (pp. 89-129) ; il est intitulé « Dossier sur l’incompatibilité entre l’exercice de la fonction judiciaire et l’adhésion de magistrats à la maçonnerie ». Au début du procès-verbal, il est indiqué que ce dossier a été traité par la commission pour la réforme du système judiciaire. Le procès-verbal a été communiqué aux présidents de la République, du Sénat et de la Chambre des députés.
Selon cette directive, « la participation de magistrats à des associations comportant un lien hiérarchique et solidaire particulièrement fort, au moyen de l’établissement, par des voies solennelles, de liens comme ceux requis par les loges maçonniques, pose des problèmes délicats de respect des valeurs de la Constitution italienne ».
Le Conseil supérieur de la magistrature a ajouté qu’il entrait « sûrement [dans ses] compétences de contrôler le respect du principe de base de l’article 101 de la Constitution selon lequel « les juges ne sont soumis qu’à la loi ». Pour le conseil, « cette tutelle implique (…) de veiller attentivement à ce que tout magistrat respecte – et apparaisse comme respectant – le principe de soumission à la loi seule dans l’exercice de ses fonctions ».
Le Conseil supérieur de la magistrature a par la suite rappelé l’arrêt no 100 (8 juin 1981) de la Cour constitutionnelle, qui mettait en balance la liberté de pensée des magistrats et leur obligation d’être impartiaux et indépendants (paragraphe 19 ci-dessus).
Il a ajouté qu’« il fallait souligner que parmi les comportements du magistrat à prendre en considération, notamment pour les besoins de l’exercice de l’activité administrative propre au Conseil, il y [avait] également, au-delà de la limite fixée par la loi no 17 de 1982 [paragraphe 20 ci-dessus], l’acceptation de liens qui a) se superposent à l’obligation de fidélité à la Constitution, d’exercice impartial et indépendant de l’activité juridictionnelle, b) portent préjudice à la confiance des citoyens envers la fonction judiciaire en lui faisant perdre sa crédibilité ».
Enfin, le Conseil supérieur de la magistrature a estimé « devoir signaler au ministre de la Justice qu’il y [avait] lieu d’étudier l’opportunité de proposer d’éventuelles limitations au droit d’association des magistrats qui fassent référence à toutes les associations qui – par leur organisation et leurs fins – impliquent pour leurs membres des liens de hiérarchie et de solidarité particulièrement contraignants ».
2. La directive du 14 juillet 1993
22. Le 14 juillet 1993, le Conseil supérieur de la magistrature prit une autre directive.
Il affirma à cette occasion que la question de la compatibilité entre l’adhésion à la franc-maçonnerie et l’appartenance à la fonction judiciaire avait jusqu’alors donné lieu exclusivement à des considérations relatives à l’avancement des magistrats et à l’attribution de fonctions de direction. A la suite de réactions polémiques de certaines personnalités politiques – parmi lesquelles le président de la République – invoquant l’inconstitutionnalité d’une telle approche, une mise au point juridique du problème s’était avérée nécessaire.
Se référant aux devoirs de fidélité et d’obédience des magistrats et après avoir souligné que le droit de s’associer pour professer les idées maçonniques n’était pas remis en cause de façon générale, le Conseil supérieur de la magistrature a toutefois affirmé l’incompatibilité entre l’exercice des fonctions de magistrat et l’appartenance à la franc‑maçonnerie en Italie, en raison du caractère secret de cette association, des moyens d’action et des buts poursuivis par les loges maçonniques dans ce pays.
EN DROIT
I. LES GRIEFS DU REQUÉRANT
23. Invoquant les articles 9, 10 et 11 de la Convention, le requérant dénonce la violation des droits à la liberté de pensée, de conscience et de religion, à la liberté d’expression, et à la liberté de réunion pacifique et d’association.
24. La Cour estime que les faits invoqués par l’intéressé relèvent plus particulièrement du champ d’application de l’article 11 de la Convention. Pour cette raison, elle n’examinera les griefs que sous l’angle de cette disposition.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
25. Le requérant allègue que la décision du Conseil supérieur de la magistrature, confirmée par la Cour de cassation, de lui adresser un avertissement à titre de sanction disciplinaire en raison de son appartenance à la maçonnerie a porté atteinte à son droit à la liberté de réunion et d’association. Il invoque l’article 11 de la Convention, lequel se lit comme suit :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
A. Sur l’existence d’une ingérence
26. La Cour considère qu’il y a eu ingérence dans le droit du requérant de s’associer librement tel qu’il est garanti par l’article 11 de la Convention. Le Gouvernement ne le conteste pas.
27. Pour être compatible avec l’article 11, une telle ingérence doit satisfaire à trois conditions : être « prévue par la loi », viser un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et être « nécessaire, dans une société démocratique », pour atteindre ce ou ces buts.
B. L’ingérence était-elle « prévue par la loi » ?
1. Arguments des parties
a) Le requérant
28. Le requérant affirme qu’aucune loi italienne n’interdit à un magistrat d’appartenir à la franc-maçonnerie, à un parti politique, à un syndicat ou à une Eglise. Il estime que l’article 18 du décret législatif royal no 511 de 1946 est obsolète et joue un rôle purement formel en ce qu’il n’indique pas précisément les comportements et les actions prohibés aux magistrats mais se limite à donner au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de déterminer quels sont ces comportements et actions.
L’intéressé souligne en outre que la Constitution italienne interdit seulement les associations secrètes et celles qui poursuivent un but politique par le biais d’organisations à caractère militaire. Il affirme que la maçonnerie n’est pas une association secrète mais plutôt réservée, comme d’autres groupements italiens tels que les partis politiques et les syndicats ; cependant, à la différence de la pratique suivie dans la maçonnerie, la liste des membres de ces derniers groupements n’est pas rendue publique. En outre, la maçonnerie n’est pas une organisation paramilitaire et n’a que des finalités culturelles, humanitaires et philanthropiques.
b) Le Gouvernement
29. Invoquant l’arrêt N.F. c. Italie (no 37119/97, §§ 14-19 et 27, CEDH 2001-IX), le Gouvernement estime que la Cour a déjà reconnu dans une affaire similaire l’existence en droit interne d’une « base légale suffisante » et accessible pour l’ingérence litigieuse, à savoir l’article 18 du décret de 1946 (ibidem, § 27).
Au sujet de la qualité de la loi, le Gouvernement fait valoir que, s’agissant de la condition de prévisibilité, l’ensemble des normes existant en droit italien, c’est-à-dire les dispositions pertinentes de la Constitution, l’article 18 du décret de 1946 et les deux directives du Conseil supérieur de la magistrature, forment un cadre normatif clair et prévisible en raison notamment de la « qualité personnelle » de ceux à qui il s’adresse et du domaine d’application.
2. Appréciation de la Cour
30. La Cour note qu’elle a déjà eu à statuer sur la conformité avec l’article 11 de la Convention de l’application – fondée sur l’article 18 du décret de 1946 – d’une sanction disciplinaire infligée à un magistrat en raison de son appartenance à la franc-maçonnerie (arrêt N.F. c. Italie précité). Dans cet arrêt, la Cour avait conclu que la sanction disciplinaire avait une base en droit interne (§ 27) et que la « loi » à son origine était accessible (§ 28). En revanche, elle avait estimé que la condition de prévisibilité n’était pas remplie (§§ 29 à 34).
La Cour rappelle que les mots « prévues par la loi » figurant aux articles 8 à 11 de la Convention veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en question : ils exigent l’accessibilité de celle-ci aux personnes concernées et une formulation assez précise pour leur permettre – en s’entourant, au besoin, de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (arrêts Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1) du 26 avril 1979, série A no 30, p. 31, § 49, Larissis et autres c. Grèce du 24 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 378, § 40, Hashman et Harrup c. Royaume-Uni [GC], no 25594/94, § 31, CEDH 1999-VIII, Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, no 45701/99, CEDH 2001-XII).
Pour répondre à ces exigences, le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention. Lorsqu’il s’agit de questions touchant aux droits fondamentaux, la loi irait à l’encontre de la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique consacrés par la Convention, si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites. En conséquence, elle doit définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante (arrêt Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, § 84, CEDH 2000-XI ; arrêt N.F. c. Italie précité, § 29).
Le niveau de précision de la législation interne – qui ne peut en aucun cas prévoir toutes les hypothèses – dépend dans une large mesure du contenu de l’instrument en question, du domaine qu’il est censé couvrir et du nombre et du statut de ceux à qui il est adressé (arrêt Hashman et Harrup précité, § 31).
31. En l’espèce, la Cour relève que l’article 18 du décret de 1946, interprété à la lumière de la loi no 17 de 1982 et de la directive de 1990, constitue la disposition juridique ayant servi de fondement à la sanction prononcée contre le requérant. Elle conclut donc que la mesure disciplinaire avait une base en droit interne.
32. La Cour doit rechercher maintenant si, au vu des circonstances particulières de l’affaire, la condition de la qualité de la loi a elle aussi été respectée. Elle doit donc vérifier si celle-ci était accessible et prévisible.
33. Au sujet de l’accessibilité, la Cour constate que l’article 18 précité répondait à ce critère, car il était public et, de surcroît, facilement accessible au requérant de par son état. Le fait que la section disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature et la Cour de cassation aient aussi évoqué dans leurs motivations respectives la directive de 1993 – qui était postérieure aux faits reprochés – ne saurait tirer à conséquence. En effet, l’article 18 et la première directive du Conseil supérieur de la magistrature constituaient en eux-mêmes des textes qui répondaient à la condition de l’accessibilité (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Autronic AG c. Suisse du 22 mai 1990, série A no 178, p. 25, § 57).
34. En ce qui concerne la prévisibilité, la Cour doit vérifier si la législation nationale indiquait avec une précision suffisante les conditions dans lesquelles un magistrat devait s’abstenir d’adhérer à la franc-maçonnerie. A cet égard, il y a lieu de tenir compte aussi des exigences particulières du droit disciplinaire.
35. La Cour relève d’abord que l’article 18 du décret de 1946 ne définit pas si et de quelle manière un magistrat peut exercer son droit d’association. D’ailleurs, tout en affirmant la légalité dudit article au regard de la Constitution italienne, la Cour constitutionnelle avait indiqué que cette disposition avait un contenu général (paragraphe 19 ci-dessus).
36. Aux yeux de la Cour, il faut dans le cas du requérant distinguer deux phases : celle de son appartenance à la franc-maçonnerie, de 1981 jusqu’au 22 mars 1990 (adoption de la première directive du Conseil supérieur de la magistrature), et la période écoulée entre cette date et mars 1993, époque où l’intéressé quitta la franc-maçonnerie. En effet, la directive adoptée par le Conseil supérieur de la magistrature en 1990 précisait que l’adhésion de magistrats à des associations légales qui, comme la franc-maçonnerie, étaient régies par certaines règles de conduite, pouvait poser problème (paragraphe 21 ci-dessus).
37. En ce qui concerne la première période, la Cour estime que le seul article 18 du décret ne fournissait pas assez d’éléments pour répondre à la condition de prévisibilité. Le fait que l’Italie ait adopté en 1982 une loi régissant le droit d’association – qui ordonnait également la dissolution de la loge occulte nommée P2 (paragraphe 20 ci-dessus) et interdisait la participation à des associations secrètes – n’est pas une donnée qui permettait au requérant de prévoir que l’adhésion d’un magistrat à une loge maçonnique légale pouvait poser un problème sous l’angle disciplinaire.
38. Au sujet de la seconde période, la Cour doit rechercher si l’article 18, combiné avec la directive de 1990 (paragraphe 21 ci-dessus), autorise à considérer que la sanction litigieuse était prévisible.
39. A cet égard, elle note que la directive en cause avait été prise dans le cadre de l’examen de cette question spécifique qu’est l’appartenance de magistrats à la franc-maçonnerie. D’ailleurs le titre du dossier était clair : « Dossier sur l’incompatibilité entre l’exercice de la fonction judiciaire et l’adhésion de magistrats à la maçonnerie ».
Toutefois, si ce titre était dénué d’ambiguïté et si l’objet principal de la directive était l’appartenance à la franc-maçonnerie, le débat qui a eu lieu le 22 mars 1990 devant le Conseil supérieur de la magistrature visait à poser un problème plutôt qu’à le résoudre.
La Cour en veut pour preuve le fait que la directive intervenait après le grand débat qui s’est tenu en Italie sur l’illégalité de la loge secrète P2. Par ailleurs, cette directive précisait seulement que « la loi interdit à l’évidence aux magistrats de participer aux associations prohibées par la loi no 17 de 1982 ». Au sujet des autres associations, elle contenait le passage suivant : « le Conseil [supérieur de la magistrature] estime devoir signaler au ministre de la Justice qu’il y a lieu d’étudier l’opportunité de proposer d’éventuelles limitations au droit d’association des magistrats qui fassent référence à toutes les associations qui – par leur organisation et leurs fins – impliquent pour leurs membres des liens de hiérarchie et de solidarité particulièrement contraignants » (paragraphe 21 ci-dessus).
40. Enfin, la Cour juge important de souligner que le débat du 22 mars 1990 ne s’inscrivait pas dans un cadre où il était question du contrôle disciplinaire exercé sur les magistrats – comme cela fut le cas pour la directive du 14 juillet 1993 – mais dans le contexte de l’avancement de ceux-ci (paragraphe 22 ci-dessus). De ce fait, il ressort d’un examen global de la discussion que le Conseil supérieur de la magistrature s’interrogeait sur l’opportunité pour un magistrat d’appartenir à la maçonnerie, mais ce débat ne faisait pas apparaître que l’adhésion à cette association pouvait dans tous les cas constituer une faute disciplinaire.
41. Par conséquent, les termes de la directive du 22 mars 1990 n’étaient pas suffisamment clairs pour permettre au requérant, personne pourtant avisée et familière du droit de par sa qualité de magistrat, de se rendre compte – même à la lumière du débat ayant précédé l’adoption dudit texte et de l’évolution intervenue à partir de 1982 – que son adhésion à une loge maçonnique risquait de lui valoir des sanctions.
La Cour trouve confirmation de son appréciation dans le fait que le Conseil supérieur de la magistrature a lui-même perçu la nécessité de revenir sur la question le 14 juillet 1993 (paragraphe 22 ci-dessus), pour affirmer en termes clairs l’incompatibilité de l’exercice des fonctions de magistrat avec l’appartenance à la franc-maçonnerie.
42. Dans ces conditions, la Cour conclut que l’exigence de prévisibilité n’était pas remplie non plus pour la période postérieure à mars 1990 et que, par conséquent, l’ingérence n’était pas prévue par la loi. Partant, il y a eu violation de l’article 11 de la Convention.
C. Le respect des autres conditions fixées par le paragraphe 2 de l’article 11
43. Ayant conclu que l’ingérence n’était pas prévue par la loi, la Cour n’estime pas nécessaire de vérifier si les autres conditions requises par le paragraphe 2 de l’article 11 de la Convention – à savoir l’existence d’un but légitime et le caractère nécessaire de l’ingérence dans une société démocratique – ont été respectées en l’espèce.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
45. Dans ses demandes déposées en application de l’article 60 du règlement de la Cour, le requérant a invité la Cour à prier l’Etat défendeur de mettre fin aux violations constatées par l’adoption de toute mesure prévue au niveau national. Se fondant sur la Recommandation Rec(2000)2 du Comité des Ministres aux Etats membres « sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme » (adoptée par le Comité des Ministres le 19 janvier 2000, lors de la 694e réunion des Délégués des Ministres), l’intéressé demande la révision de la procédure disciplinaire. Il rappelle que l’arrêt de la Cour européenne serait à considérer comme un « fait nouveau » qui, aux termes de l’article 37 § 6 du décret de 1946, permet de demander la révision de la procédure disciplinaire.
Durant la procédure orale, le requérant a aussi réclamé une somme au titre du dommage moral. Il a précisé cependant qu’il ne cherchait pas à obtenir un gain financier mais plutôt une victoire morale permettant de réfuter la prétendue illicéité de son appartenance à la franc-maçonnerie. Il s’en remet à l’appréciation de la Cour pour la détermination du montant.
46. Le Gouvernement remarque que l’intéressé a présenté pour la première fois sa demande relative au préjudice moral à l’audience du 25 juin 2003. Il considère toutefois qu’un constat de violation représenterait une satisfaction équitable quant au dommage moral.
Le Gouvernement estime en outre que le requérant n’a pas prouvé l’existence de ce dommage.
47. La Cour rappelle que, dans le cadre de l’exécution d’un arrêt en application de l’article 46 de la Convention, un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique au regard de cette disposition de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Si en revanche le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder à la partie lésée, s’il y a lieu, la satisfaction qui lui semble appropriée. Il en découle notamment que l’Etat défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII ; Pisano c. Italie (radiation) [GC], no 36732/97, § 43, 24 octobre 2002).
En outre, il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu’en ratifiant la Convention les Etats contractants s’engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec celle-ci. Par conséquent, il appartient à l’Etat défendeur d’éliminer, dans son ordre juridique interne, tout obstacle éventuel à un redressement adéquat de la situation du requérant.
En l’espèce, il incombe à l’Etat défendeur de mettre en œuvre les moyens propres à effacer les conséquences du préjudice relatif à la carrière de l’intéressé ayant pu ou pouvant résulter de la sanction disciplinaire infligée à celui-ci et considérée par la Cour comme contraire à la Convention.
48. En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour constate que le requérant n’a pas soumis de demande chiffrée. Toutefois, à l’audience du 25 juin 2003, il s’en est remis à la sagesse de la Cour. Celle-ci estime que l’intéressé a nécessairement subi un préjudice du fait des souffrances psychologiques et morales liées à l’adoption et à l’application de la mesure disciplinaire prise à son encontre. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour lui alloue à ce titre la somme de 10 000 euros (EUR).
B. Frais et dépens
49. Le requérant réclame le remboursement des frais relatifs à la procédure disciplinaire, soit 8 500 EUR, ainsi que des dépenses afférentes à la procédure devant la Cour, qu’il chiffre à 12 000 EUR.
50. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
51. S’agissant de la procédure devant les juridictions internes, la Cour relève qu’elle avait été mise en œuvre pour remédier au grief ayant abouti au constat de violation.
Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour, au vu des démarches écrites et orales manifestement accomplies par l’avocat de M. Maestri, alloue à ce dernier la somme de 4 000 EUR, qui est proche de celle accordée à M. N.F. dans l’arrêt du même nom (§ 47).
En ce qui concerne les frais afférents à la procédure devant elle, la Cour rappelle que la chambre initialement saisie a porté l’affaire devant la Grande Chambre à la suite d’un dessaisissement (article 72 du règlement). Par conséquent, elle estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 10 000 EUR.
C. Intérêts moratoires
52. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par onze voix contre six, qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;
2. Dit, par onze voix contre six,
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i. 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral,
ii. 14 000 EUR (quatorze mille euros) pour frais et dépens,
iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
3. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 17 février 2004.