GRANDE CHAMBRE
DÉCISION
Requête no 42219/07
Răzvan Mihai GHERGHINA
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant le 9 juillet 2015 en une Grande Chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Mark Villiger,
Ineta Ziemele,
Elisabeth Steiner,
Ján Šikuta,
Päivi Hirvelä,
Luis López Guerra,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Johannes Silvis,
Ksenija Turković,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,
Vu la requête susmentionnée introduite le 20 septembre 2007,
Vu la décision partielle du 6 mars 2012,
Vu la décision du 14 janvier 2014 par laquelle la chambre de la troisième section, initialement chargée de l’affaire, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre (article 30 de la Convention),
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Vu les commentaires soumis par les tiers intervenants International Disability Alliance, European Disability Forum et Romanian National Disability Council,
Vu les déclarations faites par les parties à l’audience du 12 novembre 2014,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 novembre 2014 et 9 juillet 2015, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, M. Răzvan Mihai Gherghina, est un ressortissant roumain né en 1982 et résidant à Bașcov-Valea Ursului. Il a saisi la Cour le 20 septembre 2007. Il a été successivement représenté devant la Cour par sa tante, Mme T. Radi, et, après le 4 mai 2012, par Interights et par Me C. Cojocariu, avocat à Orpington (Royaume-Uni). À l’audience du 12 novembre 2014, il était représenté en outre par MM. H. A. Rusu et J. Damamme, conseils.
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères. À l’audience, il était représenté en outre par MmeI. Popa et M. D. Dumitrache, conseils.
A. Les circonstances de l’espèce
3. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
4. En 2001, le requérant fut victime d’un accident qui provoqua chez lui un traumatisme vertébral entraînant une déficience locomotrice majeure des membres inférieurs. Il fut hospitalisé du 19 août au 28 septembre 2002 et du 11 août au 26 octobre 2003. Les médecins constatèrent qu’il souffrait de paraplégie et, au niveau d’une vertèbre, d’exostose (prolifération anormale de tissu osseux).
5. Dans les mois qui suivirent l’accident, le requérant ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant. La Commission d’invalidité lui délivra un certificat attestant qu’il était atteint d’un handicap grave, ce qui lui donnait droit, selon la loi, à un assistant personnel.
6. Par la suite, sa tante, assistante médicale de profession, l’hébergea et mit en œuvre son programme de rééducation motrice, devenant ainsi son assistante personnelle, de sorte qu’il vit son état physique s’améliorer et fut progressivement en mesure de se déplacer sans fauteuil sur des surfaces horizontales, avec l’aide de personnes de son entourage ou en prenant appui sur des barres de soutien. À partir de 2005, il put conduire un véhicule adapté à ses déficiences locomotrices.
1. Les tentatives faites par le requérant pour suivre une formation d’enseignement supérieur
7. À la date de son accident, le requérant était inscrit en première année d’études de management et de marketing à l’Université Constantin Brâncoveanu de Piteşti. Cette université privée accréditée par le ministère de l’Éducation et de la Recherche comptait environ 3 000 étudiants et avait plusieurs antennes à travers le pays.
8. Les parties avancent en ce qui concerne les faits relatifs à la scolarité du requérant dans cette université et dans d’autres établissements universitaires roumains des versions en partie divergentes.
a) La scolarité du requérant à l’Université Constantin Brâncoveanu de Piteşti
i. Version du requérant
9. Lorsque le requérant étudiait à l’Université Constantin Brâncoveanu de Piteşti (de 2001 à 2008), la plupart des cours et des séminaires se déroulaient dans un bâtiment (le bâtiment A) inaccessible aux personnes à mobilité réduite en raison d’une longue rangée d’escaliers à l’entrée et l’absence d’ascenseur pour l’accès aux étages.
10. La mère du requérant se rendit à l’université à plusieurs reprises entre 2001 et 2006 pour demander au doyen quand il prévoyait que les bâtiments deviennent accessibles aux personnes handicapées. Le doyen lui promit que le bâtiment B serait rendu accessible pour la rentrée 2006. Dans l’intervalle, il accepta que le requérant passe les examens à son domicile et il le dispensa, par un accord verbal, de l’obligation de présence aux cours et aux séminaires.
11. À la fin de l’année universitaire 2006-2007, le doyen cessa d’autoriser le requérant à passer les examens à son domicile. La direction de la faculté n’offrit au requérant comme seule possibilité de poursuivre ses études qu’un redoublement de sa troisième année dans le cadre du programme d’enseignement à distance (cursuri fără frecvenţă). Ce changement de cursus proposé par l’université ne changea en rien la situation du requérant : celui-ci devait toujours passer ses examens à son domicile et étudier seul, sans aucun contact avec les autres étudiants ou avec le milieu universitaire. Réalisant qu’il ne retirait aucun bénéfice réel de l’enseignement à distance délivré par cette université, le requérant décrocha. Il rechercha alors une autre solution correspondant davantage à ses attentes et à ses besoins.
ii. Version du Gouvernement
12. Des travaux d’aménagement de voies d’accès destinées aux personnes à mobilité réduite furent engagés en 2007, après l’adoption de la loi no 448/2006 sur la protection et la promotion des droits des personnes handicapées. L’université proposa par ailleurs au requérant des solutions adaptées à sa situation tout au long de son parcours, lui permettant ainsi de poursuivre ses études après son accident. Notamment, elle lui accorda plusieurs prolongations d’inscription en première année d’études (le requérant a été inscrit en première année en 2001-2002, en 2002-2003, puis en 2003‑2004), elle le dispensa d’assister aux cours et séminaires obligatoires, et elle l’autorisa à passer ses examens à domicile.
13. En 2004-2005, le requérant fut inscrit en deuxième année d’études dans la même université. Il passa à nouveau les examens à domicile, en présence d’un enseignant venu à sa demande, et il obtint alors douze des treize matières de l’année.
14. En 2005-2006, le requérant fut inscrit en troisième année d’études, avec l’obligation d’obtenir les matières qu’il n’avait pas eues les années précédentes. Pour l’année 2006-2007, l’université lui proposa de passer dans le programme d’enseignement à distance (cursuri fără frecvenţă), qu’elle jugeait plus adapté à ses besoins compte tenu des difficultés qu’il avait à se déplacer. Le requérant accepta et, le 29 septembre 2006, il fut transféré dans ce programme. À la fin de l’année, il passa à nouveau les examens à son domicile, en présence d’un enseignant venu à sa demande, mais il n’obtint que deux matières.
15. À la fin de la quatrième année universitaire (2007-2008), à laquelle il fut inscrit même s’il n’avait pas passé dix-neuf matières, le requérant ne fit pas de demande pour que des enseignants se déplacent à son domicile pour lui faire passer les examens. Dès lors, n’ayant pas accumulé un nombre de points suffisant pour valider son année universitaire, il fut radié de l’université par une décision du 15 septembre 2008.
b) La scolarité du requérant à l’Université écologique de Bucarest
i. Version du requérant
16. En septembre 2010, ayant appris que la faculté de droit de l’Université écologique de Bucarest était dotée d’une rampe d’accès, le requérant s’y inscrivit, après avoir reçu de la direction de l’université des assurances quant à l’accessibilité des locaux aux personnes à mobilité réduite. Or, à l’usage, il constata que, même si une rampe d’accès permettait effectivement aux personnes handicapées d’accéder au rez‑de‑chaussée, l’ascenseur pour les salles situées aux différents étages du bâtiment était très étroit, de sorte que les personnes en fauteuil ne pouvaient pas l’emprunter avec leur assistant personnel. De plus, les bâtiments où les cours avaient lieu n’étaient pas équipés de toilettes adaptées aux personnes à mobilité réduite, ce qui l’obligeait à rentrer chez lui à chaque fois qu’il devait satisfaire un besoin naturel.
17. Les résidences universitaires pouvant accueillir les étudiants inscrits à l’Université écologique de Bucarest n’étant pas adaptées aux personnes à mobilité réduite, le requérant n’eut pas d’autre choix que de louer à un prix élevé un appartement dans le centre de Bucarest pour assurer son hébergement et celui de sa tante, laquelle, en sa qualité d’assistante personnelle, l’accompagnait partout où il allait.
18. Le trajet quotidien de cet appartement vers l’université était très difficile, les transports en commun et les trottoirs n’étant généralement pas adaptés aux personnes à mobilité réduite.
19. Face à ces obstacles, il se sentit humilié et épuisé psychiquement et physiquement, et il finit par renoncer à se rendre aux cours et par retourner vivre dans sa ville d’origine.
ii. Version du Gouvernement
20. Les travaux destinés à rendre accessible aux personnes à mobilité réduite la faculté de droit de l’Université écologique de Bucarest ont commencé en 2007 et se sont terminés en 2008.
21. A la suite d’un contrôle pratiqué en 2012 dans cette université, l’autorité administrative en charge de contrôler le respect des obligations en matière d’accessibilité indiqua dans son rapport que ses locaux sanitaires adaptés aux personnes handicapées étaient en cours d’installation.
22. La raison pour laquelle le requérant a été exclu de cette université à la fin de l’année universitaire 2010-2011 est qu’il ne s’était pas acquitté de tous les droits d’inscription.
c) La scolarité du requérant à l’Université d’État de Piteşti
i. Version du requérant
23. Avant de s’inscrire à l’Université d’État de Piteşti, le requérant reçut de la part de la direction de l’université des assurances quant à l’accessibilité des bâtiments et à la disponibilité de la direction pour trouver des solutions visant à prendre en compte ses besoins concrets. Or il constata après le début des cours que les laboratoires de la faculté de psychologie ainsi que le cabinet du conseiller psychologue étaient situés aux étages supérieurs, et donc totalement inaccessibles aux personnes à mobilité réduite, en l’absence d’ascenseur dans le bâtiment. Par ailleurs, pour entrer dans le bâtiment, il dut souvent recourir à l’aide de personnes présentes sur les lieux, qui le portèrent dans leurs bras.
24. Par des lettres du 1er novembre 2011 et du 21 mars 2012, le requérant demanda au recteur de l’université de prendre des mesures afin de lui permettre de bénéficier de l’enseignement universitaire dans des conditions d’égalité avec les autres étudiants. Dans ces lettres, il soulignait qu’en dépit des assurances qu’il avait reçues de la direction de l’université lors de son inscription, la plupart des cours et séminaires avaient lieu dans des bâtiments qui ne lui étaient pas accessibles. Il précisait en particulier que la rampe censée lui permettre l’accès à l’entrée du bâtiment S était inutilisable car des blocs de béton et des mauvaises herbes entravaient le passage, et qu’une autre rampe, qui reliait deux bâtiments de la faculté, était également impraticable car elle était trop fortement inclinée et n’était pas dotée d’une barre de soutien latérale. Il indiqua qu’à cause de ces obstacles, il avait dû faire appel à d’autres étudiants afin qu’ils le portent, dans son fauteuil roulant, jusqu’à la salle où les cours avaient lieu, et qu’il avait aussi constaté que le mobilier des salles de cours n’était pas adapté à sa situation car, assis dans son fauteuil, il ne pouvait pas utiliser les pupitres pour écrire pendant les cours. Il se plaignait également de l’absence d’emplacements de stationnement réservés aux étudiants à mobilité réduite et de l’impossibilité dans laquelle il se trouvait d’utiliser les emplacements adaptés situés dans la cour, ceux-ci étant réservés aux employés de l’université.
25. Le 22 juin 2012, le requérant écrivit à nouveau au recteur, critiquant l’absence de système d’affichage efficace qui lui aurait permis de savoir dans quels bâtiments les examens et les cours devaient avoir lieu et quels étaient les cours et séminaires qui se tenaient dans des lieux accessibles, et auxquels il aurait donc pu assister. Il se plaignait qu’aucune mesure n’ait été prise pour l’aider à rattraper les cours qu’il avait manqués pour des raisons qui ne lui étaient pas imputables. Il déclarait ne plus supporter d’entendre qu’il ne pouvait pas accéder à certains endroits faute de moyens adaptés à son handicap, et ne pas vouloir revivre les humiliations qu’il avait connues en raison de son état de santé dans les précédents établissements universitaires qu’il avait fréquentés.
26. À la fin de l’année universitaire 2011-2012, le requérant fut radié de l’université sans aucun avertissement préalable, au motif qu’il n’avait pas obtenu suffisamment de points aux examens pour pouvoir passer en deuxième année d’études.
ii. Version du Gouvernement
27. En 2011, l’Université d’État de Piteşti inscrivit le requérant, à sa demande, en première année d’études de psychologie.
28. Pour étudier les lettres que le requérant avait adressées au recteur et répondre aux points qu’il y avait exposés (paragraphe 24 ci-dessus), l’Université d’État de Piteşti mit en place une commission composée de trois professeurs. Par une lettre du 19 avril 2012, cette commission informa le requérant que deux rampes d’accès avaient été finalisées, qu’une troisième était en cours d’aménagement et qu’un ascenseur destiné à assurer l’accès aux étages supérieurs du bâtiment I de l’université serait disponible dans un an ou deux. Elle relevait que certaines des activités que devaient suivre les étudiants de la faculté de psychologie devaient malheureusement se dérouler dans des salles situées aux étages supérieurs du bâtiment, car ces salles étaient les seules à disposer des équipements spécialisés requis. Elle précisait que l’université avait engagé des démarches pour installer un réseau afin assurer un accès par vidéoconférence (via Skype) aux activités en question, dont le requérant pourra bénéficier. Elle déclarait qu’elle allait étudier la question qu’il avait soulevée relativement aux difficultés de stationnement et l’invitait à envoyer à la direction de l’université une demande motivée d’autorisation de stationner sur les places réservées aux employés. Enfin, elle indiquait qu’elle recherchait des solutions pour mettre à sa disposition dans les salles de cours un mobilier de bureau adapté à son handicap, qui lui permît de prendre des notes dans de meilleures conditions.
29. Le requérant fut radié de l’université à la fin de l’année universitaire 2011‑2012 au motif qu’il n’avait pas obtenu suffisamment de points pour passer en deuxième année.
30. Le Gouvernement cite l’exemple d’un autre étudiant handicapé qui a finalisé avec succès ses études à la même université en 2007, et l’exemple de deux autres étudiants handicapés qui y étudient actuellement.
2. L’accès du requérant à d’autres établissements d’intérêt public et les autres démarches entreprises par lui
31. Le requérant affirme que les tribunaux et les organismes publics compétents pour examiner d’éventuelles plaintes des personnes handicapées, en particulier les bâtiments qui abritaient le tribunal de première instance (Judecătoria) et le tribunal départemental de Piteşti, n’étaient eux-mêmes pas accessibles aux personnes à mobilité réduite à l’époque où il a cherché, sans succès, à suivre une formation d’enseignement supérieur.
32. Le requérant a fourni à la Cour plusieurs témoignages extrajudiciaires de personnes en situation de handicap vivant en Roumanie, qui décrivent les difficultés auxquelles elles ont été confrontées notamment lorsqu’elles ont souhaité suivre des études supérieures. A.B. indique par exemple dans une déclaration d’avril 2014, qu’elle a dû renoncer à suivre une formation universitaire à l’Université de Piteşti en raison de l’absence de rampes d’accès. M.T. indique dans une déclaration de 2014, que pendant les sept années où elle a été inscrite à l’Université Ovidius de Constanţa, l’accès aux locaux de l’université était entravé par une barrière, suivie d’une rangée d’escaliers flanquée d’une rampe d’accès trop abrupte (il aurait fallu l’aide de deux personnes pour gravir cette rampe, l’une tirant le fauteuil et l’autre le poussant). Les cours avaient lieu au deuxième étage qui n’était pas accessible en ascenseur. Les autres étudiants devaient la porter dans leurs bras jusqu’à la salle de cours car le professeur avait refusé de tenir le cours dans l’une des salles du rez‑de‑chaussée, qui étaient pourtant libres, au motif que le vidéoprojecteur était trop lourd. M.T. affirme que, lorsqu’elle signala ce problème au doyen de la faculté, il déclina sa responsabilité et elle fut renvoyée d’une personne à l’autre.
P.B., atteinte d’un handicap locomoteur grave et diplômée de la faculté de psychologie de l’Université Ovidius de Constanţa, indique dans une déclaration d’avril 2014 qu’en l’absence de rampes d’accès et d’ascenseurs, elle avait dû compter sur l’aide des autres étudiants pour accéder aux bâtiments et atteindre les salles de cours.
33. Le Gouvernement reconnaît que le tribunal de première instance et le tribunal départemental de Piteşti n’étaient pas équipés d’une rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite à l’époque où le requérant a cherché à suivre une formation d’enseignement supérieur. Dans une lettre du 14 mai 2012, le président du tribunal précise qu’en raison d’une longue rangée d’escaliers et de la pente qui dépassait l’angle d’inclinaison maximum admise, il n’était pas possible d’accéder en fauteuil roulant au rez‑de‑chaussée ou aux étages du bâtiment. Le Gouvernement indique par ailleurs qu’après l’accident du requérant, ce dernier a engagé plusieurs procédures devant les juridictions internes, seul ou avec l’assistance d’un avocat, par exemple pour contester une décision de non-lieu rendue par le parquet à l’égard d’un tiers qu’il avait accusé d’escroquerie, ou pour faire condamner une société d’assurance au paiements de dommages-intérêts.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. La législation nationale sur la protection des personnes en situation de handicap
a) La Constitution
34. En son article 16, la Constitution énonce que tous les citoyens roumains sont égaux devant la loi, sans privilèges et sans discrimination. En son article 50, elle garantit aux personnes handicapées une protection spéciale.
b) L’ordonnance d’urgence du Gouvernement (OUG) no 102/1999
35. L’OUG no 102/1999 du 29 juin 1999 sur la protection spéciale des personnes en situation de handicap, entrée en vigueur le 1er juillet 1999, prévoyait, à l’article 11, que les bâtiments des institutions publiques, les bâtiments des institutions culturelles, sportives ou de loisir, les logements construits à l’aide de fonds publics, les moyens de transport en commun, les cabines téléphoniques et les voies d’accès devaient être aménagés de façon à permettre le libre accès des personnes en situation de handicap. Les travaux d’aménagement des bâtiments devaient avoir lieu par étapes :
– au 31 décembre 2003, les travaux destinés à permettre le libre accès aux bâtiments d’intérêt public ou culturel, aux infrastructures sportives ou récréatives, aux magasins, aux restaurants, aux sièges des prestataires de services publics ainsi qu’aux voies publiques devaient être terminés ;
– au 31 décembre 2005, les services publics locaux devaient avoir installé des systèmes de signalisation sonore et visuelle à l’abord des passages piétons ainsi que des panneaux d’affichage sur la voie publique et dans les moyens de transport en commun ;
– au 31 décembre 2010, tous les moyens de transport en commun devaient avoir été adaptés de manière à être accessibles aux personnes en situation de handicap.
La mise en œuvre des mesures de protection spéciale des personnes handicapées devait être organisée, coordonnée et contrôlée par le Secrétariat d’État aux personnes handicapées, un organe de l’administration publique centrale subordonné au Gouvernement (article 3 de l’OUG). Il n’y avait toutefois pas de disposition ni de procédure spécifique dont les personnes intéressées auraient pu se prévaloir pour saisir cette autorité ou pour intenter une action en justice.
36. L’OUG no 102/1999 a par la suite été modifiée et complétée à plusieurs reprises. La loi no 343/2004 disposait que l’article 11 de l’OUG no 102/1999 imposait désormais l’obligation d’aménager aussi bien les bâtiments publics que les bâtiments privés de façon à ce qu’ils permettent le libre accès des personnes en situation de handicap. Elle érigeait en contravention passible d’une amende le non‑respect de l’article 11 de l’OUG.
c) La loi no 448 du 6 décembre 2006
37. L’OUG no 102/1999 a été abrogée par la loi no 448 du 6 décembre 2006 sur la protection et la promotion des droits des personnes handicapées, entrée en vigueur le 18 décembre 2006. L’article 61 de cette loi prévoit ceci :
« 1. Les bâtiments d’utilité publique, les voies d’accès, les bâtiments d’habitation construits à l’aide de fonds publics, les moyens de transport en commun et leurs stations, les taxis, les voitures de transport ferroviaire devoyageurs et les quais des principales gares, les parkings, les rues et les voies publiques, les téléphones publics ainsi que les dispositifs d’information et de communication seront mis en conformité avec les dispositions légales, afin de permettre aux personnes en situation de handicap d’y accéder.
2. Les bâtiments faisant partie du patrimoine et les monuments historiques seront aménagés dans le respect de leurs caractéristiques architectoniques.
3. Les coûts des travaux seront supportés selon les cas par le budget de l’administration publique centrale ou locale ou par les ressources propres des personnes morales à capitaux privés ».
En son article 63, elle fixe au 31 décembre 2007 le délai imparti aux autorités administratives locales pour prendre des mesures afin d’adapter les passages piétons sur la voie publique (notamment en les signalant par une surface podotactile), et au 31 décembre 2010 le délai pour faciliter le libre accès aux transports en commun (en rendant accessibles les moyens de transport en commun, les aires de stationnement situées près des stations de transports en commun, les principales gares, etc.).
38. Le chapitre IX de la loi no 448/2006, intitulé « Responsabilité », est libellé ainsi :
Article 99
« 1. Constituent une contravention et sont sanctionnés comme telle les agissements suivants :
a) le non-respect des dispositions des articles 13 § 1, 16 à 18 et 61 à 67 de la loi (…) ; il est passible d’une amende comprise entre 3 000 et 9 000 lei ; (…)
2. Le constat de la contravention prévue au paragraphe 1 a) [ci-dessus] et l’imposition de l’amende correspondante sont faits par un agent de l’Autorité nationale pour la protection des personnes handicapées mandaté par le président de ladite autorité.
(…)
4. Les sommes perçues à titre d’amende sont versées au budget de l’État.
5. Les dispositions du présent article sont complétées par l’ordonnance du Gouvernement no 2/2001 relative au régime juridique des contraventions approuvée par la loi no 180/2002, telle que modifiée et complétée ultérieurement. »
2. Les dispositions pertinentes du code civil et du code de procédure civile
a) Le code civil
39. À l’époque des faits, les dispositions du code civil relatives à la responsabilité civile délictuelle et aux effets des obligations étaient libellées comme suit :
Article 998
« Tout fait de l’homme qui cause un dommage à autrui oblige à réparation celui par la faute duquel il est arrivé. »
Article 999
« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé par ses actes, sa négligence ou son imprudence. »
Article 1073
« Le créancier d’une obligation a droit à l’exécution de cette obligation et, à défaut, au versement de dommages et intérêts. »
Article 1075
« Toute obligation de faire ou de ne pas faire dont le débiteur ne s’est pas acquitté se transforme en obligation de payer des dommages et intérêts. »
Article 1077
« Si l’obligation de faire n’est pas respectée, le créancier peut être autorisé à l’accomplir lui‑même, aux frais du débiteur.”
40. On retrouve des dispositions similaires dans le nouveau code civil entré en vigueur le 1er octobre 2011 (article 1349 sur la responsabilité civile délictuelle, articles 1527 et 1528 sur l’exécution des obligations).
b) Le code de procédure civile
41. À l’époque des faits, les dispositions du code de procédure civile (CPC) relatives à la possibilité de demander des mesures provisoires en cas d’urgence étaient libellées comme suit :
Article 581
« 1. Le tribunal peut ordonner des mesures provisoires en cas d’urgence, pour préserver un droit qui serait lésé en cas de retard, pour prévenir un préjudice irréparable imminent, ou pour lever les obstacles qui pourraient surgir à l’occasion de l’exécution.
2. La demande de mesure provisoire doit être introduite auprès du tribunal compétent pour examiner le fond du litige.
3. L’ordonnance [de mesure provisoire] peut être rendue même en l’absence des parties (…) Le tribunal examine la demande en urgence et de façon prioritaire. Le prononcé public de sa décision peut être ajourné de 24 heures au maximum et la motivation de l’ordonnance se fait au plus tard 48 heures après le prononcé.
4. L’ordonnance est provisoire et exécutoire. (…) »
3. Les dispositions pertinentes de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif
42. Les dispositions pertinentes de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif sont libellées comme suit :
Article 1
« Quiconque estime qu’une autorité publique a porté atteinte à ses droits ou à ses intérêts légitimes par un acte administratif ou par un manquement à répondre dans le délai légal à une demande dont il l’a saisie peut demander à la juridiction administrative compétente l’annulation de l’acte, la reconnaissance du droit ou de l’intérêt légitime en question et la réparation du préjudice qu’il a subi. L’intérêt légitime peut être tant public que privé. »
Article 2
« Aux fins de la présente loi : i) il y a refus injustifié de répondre à une demande lorsqu’une autorité, agissant en excès de pouvoir, déclare expressément ne pas vouloir répondre à la demande d’une personne ; ii) on entend par excès de pouvoir la méconnaissance par les autorités publiques, dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation, des limites de leur compétence légale ou des droits et libertés des citoyens. »
Article 8
« 1. Quiconque estime qu’un acte administratif porte atteinte à ses droits légaux ou à ses intérêts légitimes, n’est pas satisfait de la suite donnée à une plainte portée par lui [devant les autorités compétentes], ou ne reçoit pas de réponse à une demande dans le délai visé à l’article 2 § 1 h) [30 jours à compter de l’enregistrement de la demande si la loi ne prévoit pas un autre délai] peut saisir les juridictions administratives pour demander l’annulation totale ou partielle de l’acte, la réparation du préjudice causé et, le cas échéant, une réparation pour préjudice moral. Quiconque estime que le défaut de réponse à une demande dans le délai légal, le refus injustifié de répondre à la demande ou le refus de procéder à une opération administrative nécessaire à l’exercice ou à la protection d’un droit ou d’un intérêt légitime porte atteinte à ses droits ou à ses intérêts légitimes peut saisir les juridictions administratives. »
4. Exemples de procédures engagées par des personnes en situation de handicap qui dénonçaient l’inaccessibilité d’établissements d’intérêt public
43. En mars 2014, le Gouvernement a demandé aux treize des quinze cours d’appel de Roumanie ainsi qu’à la Haute Cour de cassation et de Justice (HCCJ) et au tribunal de Bucarest de lui communiquer des exemples de la pratique des juridictions internes sur des questions similaires à celles qui se posaient dans l’affaire portée devant la Cour par M. Gherghina. La majorité de ces juridictions ont indiqué qu’elles n’avaient pas d’exemples de pratique interne à fournir sur des questions de ce type.
44. Les paragraphes ci‑après exposent trois exemples communiqués par le Gouvernement (voir paragraphes 65-67 ci-après) de procédures nées d’actions engagées au niveau national par des justiciables qui dénonçaient l’inaccessibilité aux personnes handicapées de voies d’accès publiques et de différents bâtiments situés sur le territoire national.
a) Procédure relative à l’inaction d’autorités publiques (Mme E.P.)
45. Le 5 octobre 2005, Mme E.P., devenue paraplégique à la suite d’un accident, saisit le tribunal de Vâlcea d’une action dirigée contre l’État roumain à travers l’ANPH, l’autorité publique spécialisée en matière de protection spéciale des personnes en situation de handicap, pour son refus, selon elle injustifié, de lui reconnaître ses droits prévus par l’article 11 de l’OUG no 102/1999 et de s’impliquer dans le processus d’accessibilité de l’espace public, afin qu’elle puisse y accéder, comme la loi le lui permettait. Elle priait notamment le tribunal d’ordonner àl’État de doter les bâtiments des institutions publiques ainsi que la voie publique des équipements permettant l’accès des personnes handicapées et de lui verser dix millions d’euros (EUR) à titre d’indemnisation du préjudice moral qu’elle estimait avoir subi du fait de tous les obstacles auxquels elle s’était heurtée à partir du 1er janvier 2004, date à laquelle les travaux de mise en accessibilité auraient dû être achevés.
46. Par un jugement du 10 novembre 2009, le tribunal civil de Vâlcea reconnut que Mme E.P. ne pouvait pas, ou pouvait difficilement, accéder à certains bâtiments et aux voies publiques, situation qui avait eu des conséquences négatives sur l’état de santé de la demanderesse. Sur le fondement des articles 998 et 999 du code civil en vigueur à l’époque, il condamna l’État, l’Inspection départementale pour les constructions de Vâlcea, l’ANPH, l’Inspection d’État pour les constructions de Bucarest, l’Inspection territoriale pour les constructions de Craiova et la Direction générale pour l’assistance sociale et la protection de l’enfant de Vâlcea à verser à Mme E.P., conjointement et solidairement, la somme de 42 363 lei à titre d’indemnisation de son préjudice moral et matériel.
47. Ce jugement fut confirmé par un arrêt du 17 mars 2010 de la cour d’appel de Piteşti et par un arrêt définitif du 24 mars 2011 de la section du contentieux civil de la HCCJ.
b) Procédure engagée devant les juridictions nationales relativement à l’inaction d’une personne morale de droit privé – un centre commercial – (Mme S.L.)
48. Le 8 février 2011, Mme S.L. assigna devant le tribunal (civil) de première instance de Bucarest un centre commercial afin de l’obliger à aménager des espaces de parking adaptés aux personnes handicapées qui soient conformes aux exigences prévues par la loi no 448/2006. Elle demandait en outre des dommages‑intérêts en réparation du préjudice moral qu’elle estimait avoir subi.
49. Par un jugement du 4 juillet 2012, le tribunal rejeta la demande de Mme S.L. visant à faire aménager des espaces de parking adaptés, observant qu’au moins depuis la date à laquelle ils’était déplacé sur les lieux (le 20 février 2012), les espaces de parking destinés aux personnes handicapées respectaient les exigences prévues par la loi no 448/2006. Estimant par ailleurs que les conditions de la responsabilité civile délictuelle étaient réunies quant à l’absence, au moment où Mme S.L. avait saisi le tribunal, d’emplacements de stationnement réservés aux personnes handicapées, il condamna le centre commercial, sur le fondement des articles 998 et 999 du code civil, à réparer le préjudice moral de la demanderesse, qu’il quantifia à 2 000 lei. Ce jugement était susceptible d’appel. Selon le Gouvernement, il est devenu définitif.
c) Procédure relative au manquement d’un syndicat de copropriétaires à mettre en accessibilité une partie commune d’un immeuble locatif (Mme N.V.)
50. Le 17 juin 2013, Mme N.V., une personne en situation de handicap, assigna devant le tribunal (civil) de première instance de Galaţi dans le cadre d’une procédure en référé le syndicat de copropriétaires de l’immeuble d’habitation où elle résidait, afin de l’obliger à procéder à la mise en accessibilité des parties communes de l’immeuble en déplaçant la porte d’entrée et en retirant un seuil, l’une et l’autre entravant en l’état son accès à l’immeuble. Elle faisait valoir qu’elle était malade et qu’elle devait se rendre régulièrement chez différents médecins et se soumettre à un contrôle médical strict. Elle demandait que les aménagements soient réalisés d’urgence à titre provisoire jusqu’à ce que le fond de l’affaire soit tranché dans le cadre d’une action qu’elle avait introduite séparément contre le même syndicat.
51. Le tribunal l’ayant déboutée (par un jugement du 23 juillet 2013), elle interjeta appel. Par un arrêt définitif du 10 octobre 2013, le tribunal départemental de Galaţi accueillit son appel et ordonna au syndicat de copropriétaires de déplacer la porte d’entrée et de retirer le seuil situé à l’entrée de l’immeuble. Il précisa que ces mesures avaient un caractère provisoire et n’étaient applicables que jusqu’à la décision que le tribunal de première instance de Galaţi rendrait sur le fond de l’affaire.
52. Pendant le déroulement de la procédure devant le tribunal départemental de Galaţi, le syndicat de copropriétaires défendeur avait soutenu que les obligations de mise en accessibilité prévues par la loi no 448/2006 ne lui étaient pas opposables car il n’était pas une autorité publique et, dès lors, n’avait pas la qualité pour agir. Le tribunal répondit à cela que la nature sommaire de la procédure de référé ne lui permettait pas de s’engager dans une telle analyse et que cette question devrait être analysée par le tribunal de première instance de Galaţi lorsqu’il examinerait le fond du litige. Cette procédure au fond a abouti à un jugement du 18 décembre 2014 par lequel le tribunal a rejeté pour défaut de fondement l’action engagée par Mme N.V.contre le syndicat de copropriétaires. Mme N.V. interjeta appel de ce jugement. Cette procédure est actuellement pendante.
5. La législation et la pratique nationales en matière d’enseignement supérieur
53. En son préambule, la loi no 1/2011 sur l’éducation nationale pose comme principes généraux que l’éducation nationale a pour but un développement libre, intégral et harmonieux des individus, qui leur permette de se forger une personnalité autonome et de développer un système de valeurs afin de pouvoir s’épanouir et s’accomplir, participer à la vie de la société et s’y intégrer.
54. En son article 139, la loi prévoit que l’enseignement universitaire peut être délivré selon les formes suivantes :
a) la formation présentielle (cursuri de zi), dans laquelle les étudiants sont présents chaque jour ouvré de la semaine pour assister aux activités d’enseignement et/ou de recherche et rencontrent directement, à l’université, les enseignants ou les chargés de recherche ;
b) la formation avec présence réduite (cursuri cu frecvenţă redusă), où les activités supposant des rencontres directes à l’université entre les étudiants et les enseignants ou les chargés de recherche sont programmées de façon regroupée et périodique et complétées par d’autres moyens d’enseignement propres à l’enseignement à distance ;
c) la formation à distance (cursuri fără frecvenţă), qui se caractérise par l’utilisation de moyens de communication électroniques et informatiques et qui repose sur l’auto-enseignement et l’auto-évaluation, complétés par un tutorat.
55. L’article 118 prévoit que toute forme de discrimination dans le système d’enseignement est interdite. Les étudiants en situation de handicap ont le droit de bénéficier de voies d’accès adaptées à leurs déficiences dans la totalité des bâtiments et des locaux universitaires ; ils doivent jouir des conditions de déroulement normal des activités académiques, sociales et culturelles.
56. Il ressort de la pratique des juridictions nationales qu’une décision par laquelle un étudiant a été radié d’une université est considérée comme un « acte administratif », au sens de l’article 1 de la loi no 554/2005, et peut être contestée devant les juridictions administratives, lesquelles sont compétentes pour l’annuler (voir, par exemple, l’arrêt du 17 mai 2012 de la section du contentieux administratif de la HCCJ, le jugement définitif du 10 septembre 2008 du tribunal de Buzău et l’arrêt définitif du 16 janvier 2008 de la cour d’appel de Craiova).
GRIEFS
57. Invoquant l’article 2 du Protocole no 1, le requérant allègue qu’il se trouve dans l’impossibilité de poursuivre ses études universitaires dans sa ville de résidence ou à proximité, faute d’équipements adaptés à son handicap dans les bâtiments abritant les salles de cours. S’appuyant en substance sur l’article 14 de la Convention, il se plaint en outre d’être victime d’une discrimination fondée sur son handicap physique. Il soutient que cette situation l’empêche de suivre la formation de son choix afin de pouvoir obtenir un travail et avoir un niveau de vie décent.
58. Dans son formulaire de requête, le requérant invoque aussi les articles 2 et 5 de la Convention. Il allègue que l’absence d’aménagements adaptés à son handicap a eu pour conséquence de le confiner à son domicile et de le priver de la possibilité de nouer des contacts avec le monde extérieur. S’estimant traumatisé psychiquement et psychologiquement par l’impossibilité dans laquelle il se trouverait d’accéder à l’université ainsi qu’aux autres bâtiments d’utilité publique, il se plaint d’avoir été obligé à passer de nombreuses années dans son logement, seul, loin de la société, et allègue que la solitude et le manque d’informations ont généré chez lui un sentiment d’insécurité.
EN DROIT
OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
59. Dans sa décision partielle du 6 mars 2012, la chambre a estimé, quant aux griefs que le requérant tire des articles 2 et 5 de la Convention, qu’il était plus approprié de les examiner sur le terrain de l’article 8, pris seul ou combiné avec l’article 14 (Gherghina c. Roumanie (déc.), no 42219/07, § 28, 6 mars 2012). La Grande Chambre n’estime pas nécessaire de remettre en question cette approche de la chambre. Elle rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements (voir, entre autres, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 55, CEDH2014 et Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 43, CEDH 2012).
60. Dès lors, les dispositions pertinentes par rapport aux griefs du requérant sont les suivantes :
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Article 2 du Protocole no 1
« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. (…) »
I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE TIRÉE DU NON‑ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
61. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours dont il disposait en droit interne. Se référant à l’arrêt Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire[GC], no 17153/11 et 29 autres requêtes, 25 mars 2014), il expose que l’ordre juridique roumain prévoit un large éventail de voies administratives et judiciaires, selon lui pleinement accessibles à toute personne qui veut faire valoir ses droits.
62. Dans ses observations écrites, le Gouvernement indiquait que le requérant aurait pu faire remédier à la situation qu’il dénonce en saisissant les autorités chargées de contrôler le respect des normes d’accessibilité prévues par la législation spéciale sur la protection des personnes handicapées. Ainsi, il estimait que le requérant aurait dû introduire une plainte auprès de la Direction générale de l’assistance sociale et de la protection de l’enfance (qui a pour mission de coordonner et d’évaluer la réalisation des objectifs de protection des droits des personnes en situation de handicap), du ministère du Travail, de la Famille, de la Protection sociale et des Personnes âgées (qui comprend une Direction pour la protection des personnes handicapéeschargée de coordonner au niveau central les activités de protection sociale, d’élaborer des stratégies et des normes de protection, et de vérifier l’application des normes légales dans ce domaine), de l’Inspection d’État pour les constructions (compétente pour vérifier le respect de l’obligation légale d’aménager les bâtiments d’utilité publique), ou, enfin, auprès de l’Inspection sociale (un organe spécialisé de l’administration publique centrale). Le Gouvernement affirmait que ces autorités pouvaient, si elles constataient une situation non conforme aux exigences de la loi en matière d’accessibilité, soit fixer des délais pour y remédier soit infliger une amende, assortie de l’obligation de remédier aux défaillances constatées, obligation dont le respect était selon lui assuré par des missions de suivi.
63. À l’audience, le Gouvernement a ajouté que, même si l’OUG no 102/99 et la loi no 448/2006 ne prévoyaient pas expressément de procédure de plainte ouverte aux particuliers, les autorités compétentes pour assurer le respect des obligations légales étaient tenues de répondre à toute demande, réclamation, saisine ou proposition formulées par les citoyens. Il a précisé que, si le requérant s’était adressé aux autorités pour dénoncer le non-respect des obligations instituées par la législation spéciale sur la protection des personnes handicapées et qu’elles ne lui avaient pas répondu ou pas répondu de manière adéquate dans un délai de trente jours, il lui aurait été loisible de saisir un tribunal administratif en vertu de l’article 1 de la loi no 554/2004sur le contentieux administratif.
64. Le Gouvernement estime par ailleurs qu’une action devant les juridictions administratives aurait également constitué en l’espèce une voie de recours adéquate pour contester les décisions par lesquelles le requérant a été exclu des différentes universités où il a été successivement inscrit. Il est d’avis que, si les juges avaient annulé ces décisions, le requérant aurait pu obtenir le réexamen de sa situation académique par la direction des établissements universitaires concernés.
65. Le Gouvernement argue ensuite que, si les démarches administratives n’avaient pas eu l’issue souhaitée par le requérant, celui-ci aurait pu se tourner vers les juridictions civiles, le droit civil roumain offrant des recours qu’il estime susceptibles de remédier de manière directe à la situation dénoncée. À l’appui de cette thèse, le Gouvernement cite les articles 1073 et 1077 du code civil tels qu’en vigueur à l’époque des faits, articles qui, combinés avec les dispositions de l’OUG no 102/1999 ou de la loi no 448/2006, selon le moment où le requérant aurait saisi les juridictions civiles, auraient pu selon lui constituer la base légale d’une telle action en justice engagée pour faire respecter les obligations prévues en matière d’accessibilité par la législation spéciale. Citant l’exemple du jugement du 10 octobre 2013, par laquelle le tribunal départemental de Galaţi a ordonné à un syndicat de copropriétaires, dans le cadre d’une procédure de référé, de prendre des mesures provisoires afin d’assurer à une personne handicapée un accès adéquat au bâtiment où elle habitait (paragraphe 51 ci-dessus), il soutient que, par la même procédure, le requérant aurait pu faire condamner les établissements d’enseignement supérieur qu’il a fréquentés à prendre des mesures concrètes pour lui assurer l’accès à leurs bâtiments.
66. Le Gouvernement ajoute que, dans la mesure où le requérant s’estimait victime d’un fait illicite résultant d’une inaction ou d’une omission de personnes ayant une obligation légale de faire en matière d’accessibilité, il aurait pu se prévaloir des dispositions du code civil sur la responsabilité civile délictuelle. Il cite, comme exemple de pratique interne, l’arrêt définitif par lequel, le 24 mars 2011, la HCCJ a octroyé une réparation financière à une personne paraplégique qui avait entrepris des démarches judiciaires au niveau national (paragraphes 46 et 47 ci-dessus).
67. Le Gouvernement cite ensuite le jugement par lequel, le 4 juillet 2012, le tribunal de première instance de Bucarest a constaté la responsabilité civile délictuelle d’un centre commercial pour son manquement à adapter son parking public aux besoins des personnes handicapées, et l’a condamné à verser des dommages-intérêts à la personne qui l’avait saisi (paragraphe 49 ci-dessus).
68. En réponse aux allégations de discrimination formulées par le requérant dans ses griefs portés devant la Cour, le Gouvernement fait valoir que l’intéressé aurait pu introduire une plainte devant le Conseil national de lutte contre la discrimination (CNCD) suivie, le cas échéant, d’une action en justice. Il souligne que, saisi par d’autres personnes pour des griefs similaires à ceux du requérant, le CNCD a décidé soit d’appliquer une sanction d’amende, soit d’infliger un avertissement, en fonction de la gravité des faits discriminatoires constatés par cet organe. Il ajoute qu’en matière de discrimination, l’ordonnance du Gouvernement no 137/2000 permettait de saisir directement les tribunaux internes dans le cadre d’une action de droit commun. Une telle action aurait selon lui permis au requérant de faire annuler la situation créée par la discrimination et de se voir octroyer des dommages-intérêts.
69. Le Gouvernement considère de façon plus générale que le requérant ne saurait justifier sa passivité en prétendant avoir été trop vulnérable pour pouvoir exercer les voies de recours internes. Il relève qu’à différents moments de sa vie, l’intéressé a suivi, apparemment sans aucune difficulté, d’autres types de procédures administratives et judiciaires prévues par le droitinterne (paragraphe 33 in fine ci-dessus). Il estime dès lors qu’aucun obstacle insurmontable, qu’il fût de nature législative ou factuelle, ne l’empêchait de faire de même quant aux griefs qui font l’objet de la présente requête.
2. Le requérant
70. Selon le requérant, les griefs qu’il porte devant la Cour nécessitaient, au premier chef, un recours préventif et suffisamment rapide, qui aurait contraint les universités à définir et à adopter d’urgence des mesures qui auraient permis son intégration immédiate dans le processus éducatif. Or, à ses yeux, le Gouvernement n’a pas démontré qu’ait été disponible en droit interne un recours de ce type présentant des perspectives raisonnables de succès.
71. Le requérant argue que, tout en citant plusieurs recours potentiels, le Gouvernement ne fournit que trois exemples de cas dans lesquels des justiciables se plaignant de problèmesd’accessibilité ont obtenu une forme ou une autre de redressement, alors que la loi no 448/2006 est en vigueur depuis plus de huit ans et que la question de l’accessibilité des bâtiments d’intérêt public concerne des dizaines de milliers de personnes.
72. Le requérant doute en particulier de la pertinence de l’exemple cité au paragraphe 65 ci-dessus, qui concerne des aménagements mineurs et qui porte sur l’accessibilité des partiescommunes d’un immeuble d’habitation. Il note de surcroît que, dans cet exemple, l’intéressée n’a obtenu à l’issue de la procédure que l’adoption de mesures provisoires, qui restent à confirmerdans le cadre de la procédure au fond, laquelle est toujours pendante.
73. Quant à la procédure qui a abouti à l’arrêt définitif de la HCCJ du 24 mars 2011 (paragraphe 46 et 47 ci-dessus), le requérant relève qu’elle n’a donné lieu qu’à l’octroi à l’intéresséed’une somme modique. Citant notamment les affaires Di Sarno et autres c. Italie (no 30765/08, 10 janvier 2012), Đorđević c. Croatie (no 41526/10, CEDH 2012) et Lăutaru c. Roumanie(no 13099/04, 18 octobre 2011), il fait valoir que la Cour a déjà jugé que la simple possibilité d’obtenir une réparation financière ne suffisait pas, à elle seule, à offrir un redressement approprié lorsqu’il était demandé qu’il soit mis fin à un comportement. Il souligne par ailleurs que la procédure citée en exemple a duré six ans, de sorte qu’elle ne saurait, selon lui, être considérée comme un recours effectif dans un domaine aussi vital que le droit à l’éducation.
74. Arguant de la suppression dans la loi no 448/2006 de toute date butoir quant à l’obligation de mise en accessibilité des bâtiments d’utilité publique et relevant que l’exécution de cette obligation ait été subordonnée à l’obtention de dotations budgétaires (pour les établissements publics) ou à l’existence de ressources propres suffisantes (pour les établissements privés), le requérant soutient que cela rend très difficile de prouver la faute des établissements défaillants, et dès lors, d’engager une action en responsabilité civile délictuelle. Il souligne à cet égard que la responsabilité civile délictuelle revêt en droit roumain un caractère exclusivement subjectif, supposant la preuve d’une faute de la personne physique ou morale mise en cause. Il relève par ailleurs que le Gouvernement n’a fourni qu’un seul exemple de pratique nationale, à savoir un jugement émanant d’un tribunal de première instance rendu le 4 juillet 2012 (paragraphe 49 ci‑dessus), et il considère que cet exemple, à lui seul, ne démontre pas l’existence à la date des faits d’une pratique établie.
75. Le requérant considère que la pauvreté de la jurisprudence dans le domaine de l’accessibilité tient au fait que la loi no 448/2006 est confuse et lacunaire, en ce que, selon lui, elle ne définit pas de manière précise les obligations en matière d’accessibilité, de sorte qu’elle ne constituerait pas une base satisfaisante pour une imputation de responsabilité. Il argue que la loimentionne un grand nombre d’acteurs, publics et privés, impliqués dans le processus de mise en accessibilité, mais n’indique pas aux particuliers contre qui ils pourraient diriger une action en justice et selon quelle procédure.
76. Lors de l’audience, le requérant a fait valoir qu’aucune des universités qu’il avait fréquentées n’avait prévu de procédure applicable aux étudiants en situation de handicap. S’appuyant sur différentes déclarations d’étudiants handicapés faisant état de multiples obstacles à la poursuite de leurs études (paragraphe 32 ci-dessus), il critique l’absence au niveau national de toute réglementation ou législation secondaire qui permette d’anticiper ou d’intégrer les besoins de ce public particulier dans le processus éducatif, notamment au moyen d’aménagements alternatifs raisonnables. Il en conclut que les recours indiqués par le Gouvernement sont inefficaces en pratique.
77. Quant aux autorités administratives citées par le Gouvernement, le requérant argue qu’aucune d’entre elles n’est investie d’un pouvoir d’injonction. Par ailleurs, les autorités administratives n’auraient infligé que très peu d’amendes et d’avertissements alors qu’elles auraient dressé des constats alarmants à l’occasion de leurs missions de contrôle sur le terrain.Enfin, les exemples de réponses données aux plaintes d’autres personnes handicapées montreraient que le pouvoir discrétionnaire de ces autorités compromet la qualité de leur intervention.
78. En ce qui concerne la possibilité d’engager une action sur le fondement de la législation anti‑discrimination, le requérant considère que le dispositif de lutte contre la discrimination mis en place par l’OG no 137/2000 présente des lacunes et des déficiences qui rendent cette voie de recours inefficace. Il fait valoir que ni l’inaccessibilité physique des bâtiments d’utilité publique ni le refus de procéder à un aménagement raisonnable ne font partie des critères nationaux susceptibles de fonder un constat de discrimination. Il considère, dès lors, que la possibilité pour les victimes de discrimination de saisir directement la justice par la voie d’une action de droit commun afin d’obtenir l’annulation de la situation discriminatoire est purement théorique.
79. Le requérant ajoute que les bâtiments qui abritent le tribunal de première instance et le tribunal départemental de Piteşti n’étaient pas accessibles aux personnes handicapées pendant la période où il a cherché, après son accident, à poursuivre ses études universitaires, et que ce défaut d’accessibilité rendait plus difficile en pratique l’accès aux voies de recours éventuelles.
80. Il considère, enfin, que, vu l’absence d’échéances dans la loi quant aux dates d’achèvement des travaux et le grand nombre de parties prenantes – les institutions publiques et privées qui sont propriétaires des bâtiments d’utilité publique ou qui les utilisent, les autorités locales qui doivent financer les travaux de mise en accessibilité des bâtiments publics, et l’ANPH et l’Inspection sociale, qui sont investies de missions de coordination, de contrôle et de mise en œuvre des obligations prévues par la loi – ce serait imposer aux particuliers une obligationdéraisonnable et irréalisable en pratique que d’exiger d’eux qu’ils engagent des procédures multiples, longues et coûteuses contre la multitude d’acteurs qui offrent des services d’utilité publique à la population.
3. Les tiers intervenants
81. Soulignant l’importance du droit à l’instruction, les tiers intervenants relèvent que ce droit est reconnu par la communauté internationale non seulement comme un droit à part entière mais encore comme un moyen d’assurer la jouissance de tous les autres droits fondamentaux. Ils considèrent que, pour les personnes en situation de handicap, une perte de chances en matière de formation constitue un préjudice incommensurable non seulement d’un point de vue académique (l’intéressé se trouvant empêché d’obtenir certains diplômes) mais aussi d’un point de vue social, en ce qu’elle est selon eux de nature à entraver l’intégration sociale de ceux qui en sont victimes, leur participation à la société et le développement de leur personnalité.
82. Compte tenu des évolutions récentes du droit international, ils considèrent que les autorités nationales ne peuvent plus éluder la question ni retarder la mise en œuvre de leur obligation de rendre progressivement les bâtiments d’intérêt public accessibles et d’apporter, dès qu’ils sont confrontés à un cas particulier, des aménagements raisonnables propres à assurer la jouissance des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme sur la base de l’égalité entre tous.
B. Appréciation de la Cour
1. Les principes généraux qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour
83. Le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, et c’est primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. Elle ne doit pas se substituer aux États contractants, auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l’épuisement des recours internes se fonde sur l’hypothèse, reflétée dans l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Elle est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection (Vučković et autres, précité, § 69).
84. Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil 1996‑IV, et Vučković et autres, précité, § 70).
85. L’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Akdivar et autres, précité, § 66, et Vučković et autres, précité, § 71). Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006‑II, Vučković et autres, précité, § 74 et Balogh c. Hongrie, no 47940/99, § 30, 20 juillet 2004).
86. Toutefois, rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Akdivar et autres, précité, § 67, et Vučković et autres, précité, § 73). Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question (Akdivar et autres, précité, § 71, Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 70, 17 septembre 2009, et Vučković et autres, précité, § 74).
87. Cela étant, la Cour a fréquemment souligné qu’il faut appliquer la règle de l’épuisement des recours internes avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 89, série A no 13, Akdivar et autres, précité, § 69, et Vučković et autres, précité, § 76). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (Akdivar et autres, précité, § 69, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 286, CEDH 2012 (extraits)).
88. En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits. La disponibilité du recours invoqué, y compris sa portée et son champ d’application, doit être exposée avec clarté et confirmée ou complétée par la pratique ou la jurisprudence (McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, §§ 117 et 120, 10 septembre 2010, Mikolajová c. Slovaquie, no 4479/03, § 34, 18 janvier 2011). Celle-ci doit en principe être bien établie et antérieure à la date d’introduction de la requête (voir, parmi d’autres, Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 110, CEDH 2006‑VII, Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 115,22 octobre 2009, et Zutter c. France (déc.), no 197/96, 27 juin 2000), sauf exceptions justifiées par les circonstances d’une affaire.
89. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause, ou encore que certaines circonstances particulières dispensaient l’intéressé de l’exercer (Akdivar et autres, précité, § 68, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 69, CEDH 2010, et Vučković et autres, précité, § 77).
2. Application de ces principes en l’espèce
a) Sur la nature des recours dont devait disposer le requérant en l’espèce
90. En l’espèce, les griefs soulevés par le requérant concernent principalement l’impossibilité dans laquelle il se serait trouvé de poursuivre ses études universitaires dans les mêmes conditions que les autres étudiants, faute d’équipements adaptés à ses déficiences locomotrices dans les bâtiments abritant les salles de cours.
91. La Cour estime que, pour que les recours invoqués dans la présente affaire soient jugés « effectifs » au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, ils devaient être propres,principalement, à prévenir les violations alléguées ou à y mettre promptement un terme, et, subsidiairement, à offrir une réparation adéquate pour toute violation déjà constituée. En effet, si les justiciables ne disposent que de recours de nature compensatoire, ne pouvant aboutir qu’à l’octroi a posteriori d’une réparation pécuniaire, les droits que l’État défendeur s’est engagé à garantir en vertu de l’article 2 du Protocole no 1 – qui impose à tout État ayant créé des établissements d’enseignement supérieur de veiller à ce que ces établissements soient effectivement accessibles (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » (fond), 23 juillet 1968, §§ 3-4, série A no 6, et Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 137, CEDH 2005‑XI) – risquent de devenir illusoires.
92. Cela implique, en l’espèce, que le requérant devait pouvoir disposer, principalement, d’un recours apte à conduire à l’adoption prompte de décisions obligeant les établissements universitaires défaillants à se doter d’équipements adaptés aux personnes souffrant de déficiences locomotrices ou à adopter des mesures alternatives raisonnables qui lui auraient permis de continuer ses études. À titre subsidiaire, il devait avoir des chances raisonnables d’obtenir la réparation des éventuels préjudices d’ordre matériel ou moral qu’il aurait subis du fait de l’impossibilité de poursuivre ses études universitaires dans les mêmes conditions que les autres étudiants.
93. La tâche de la Cour consiste à examiner si, à la lumière des observations des parties et compte tenu de l’ensemble des circonstances de la cause, des recours répondant aux exigences exposées ci-dessus étaient disponibles tant en théorie qu’en pratique au niveau interne à la date des faits et, dans l’affirmative, si le requérant a fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour les épuiser.
b) Sur les différents recours invoqués par le Gouvernement
i. Injonction prononcée par un tribunal
94. Le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu obtenir, dans le cadre d’une procédure civile, une injonction ordonnant aux établissements universitaires défaillants d’aménager des rampes d’accès et de se doter d’équipements adaptés à ses besoins. Le requérant conteste cette affirmation. Selon lui, l’absence de pratique judiciaire nationale en la matière démontre que l’issue d’un tel recours aurait été aléatoire, en l’absence de base légale suffisamment certaine et prévisible en droit interne.
95. La Cour constate que l’État défendeur s’est doté, dès 1999, d’un cadre législatif spécial imposant aux différents établissements publics d’aménager leur espace pour le rendre accessible aux personnes en situation de handicap. La sphère des destinataires de cette obligation d’accessibilité s’est progressivement élargie et, depuis 2004, tous les établissements d’intérêt public, qu’ils soient publics ou privés, sont tenus de rendre leur locaux accessibles aux personnes handicapées. Parallèlement à cette législation spéciale, le droit interne renferme des dispositions de caractère général, contenues dans le code civil, en vertu desquelles tout créancier d’une obligation de faire a le droit d’exiger l’exécution de cette obligation et, à défaut, le versement de dommages-intérêts (article 1075 du code civil en vigueur à l’époque des faits). Toujours selon le code civil, si l’obligation de faire n’est pas respectée, le créancier peut être autorisé à la faire exécuter lui‑même, aux frais du débiteur (article 1077 du code civil, paragraphe 39 ci‑dessus).
96. La Cour conclut de ce qui précède qu’une lecture combinée des dispositions générales du code civil et des dispositions spéciales de l’OUG no 102/1999 ou de la loi no 448/2006 relatives aux obligations matérielles incombant aux différents établissements publics et privés pouvait constituer une base légale suffisamment certaine et prévisible pour l’examen d’une revendication visant à faire remédier à d’éventuelles défaillances en matière d’accessibilité.
97. Le droit interne contient en outre des dispositions de nature procédurale permettant à un tribunal d’ordonner dans le cadre d’une procédure en référé des mesures provisoires visant àpréserver un droit susceptible d’être lésé ou à empêcher un préjudice imminent et irréparable. Sur le fondement de ces dispositions, toute personne intéressée peut introduire une demande de mesures provisoires devant le tribunal compétent pour examiner le fond de l’affaire. Le tribunal ainsi saisi est tenu d’examiner la demande de mesures provisoires en urgence et d’y répondre, par un jugement exécutoire (paragraphe 41 ci-dessus). Dès lors, un recours introduit sur ce fondement aurait pu, en l’espèce, offrir au requérant un redressement prompt de ses griefs.
98. La Cour note, enfin, qu’il ressort des exemples de pratique interne fournis par le Gouvernement, en particulier du jugement du tribunal départemental de Galaţi (paragraphe 51 ci‑dessus), que le recours qu’il invoque présentait des perspectives raisonnables de succès. Dans l’affaire portée devant le tribunal de Galaţi, une personne qui se trouvait dans une situation analogue à celle du requérant a obtenu qu’il soit ordonné à un syndicat de copropriétaires de prendre des mesures d’urgence visant à rendre accessibles les parties communes de l’immeuble où elle résidait. Certes, ces mesures sont provisoires et restent à confirmer à l’issue de l’examen ultérieur du fond de l’affaire, mais il n’en reste pas moins que le jugement par lequel le tribunal les a ordonnées était définitif et exécutoire.
99. Le Gouvernement a également produit un jugement définitif émanant du tribunal de première instance de Bucarest qui montre qu’il est loisible aux particuliers se trouvant dans une situation analogue ou similaire à celle du requérant de porter devant les tribunaux civils des griefs portant sur la manière selon eux insatisfaisante ou insuffisante dont les différentes institutionsont exécuté leurs obligations en matière d’accessibilité (paragraphe 49 ci-dessus). La Cour ne saurait spéculer sur ce qu’aurait décidé le tribunal en question s’il n’avait pas été remédié à la défaillance dénoncée devant lui à la date où il a statué. Néanmoins, rien parmi les éléments dont elle dispose n’indique que ce tribunal, qui avait procédé à une vérification sur les lieux des allégations de la plaignante, n’aurait pas rendu une injonction obligeant l’établissement défaillant à prendre des mesures pour remédier aux défaillances qu’il aurait alors constatées, en plus du versement d’une indemnité.
100. Même si les exemples fournis par le Gouvernement sont pour la plupart postérieurs à la date d’introduction de la requête (voir a contrario, parmi d’autres exemples, Sürmeli, précité, § 110, Norbert Sikorski, précité, § 115, et Zutter, décision précitée), la Cour estime qu’il a suffisamment démontré (paragraphes 44-52 et 65-67 ci-dessus) que la voie de recours qu’il reproche au requérant de ne pas avoir utilisée ne saurait être écartée pour manque de disponibilité ou d’effectivité.
Contrairement au requérant, qui estime que la rareté des exemples disponibles en la matière est le signe d’un manque de prévisibilité et de clarté de la loi nationale, la Cour considère que l’absence d’une jurisprudence nationale bien établie et antérieure à la date d’introduction de la requête peut s’expliquer, en l’espèce, par le fait que le recours invoqué par le Gouvernement – qui n’était pas un recours nouveau ou spécial – a rarement été exercé par les justiciables, ce qui n’est guère surprenant, s’agissant d’une branche du droit interne relativement récente, qui s’est développée en même temps que le droit international et la pratique internationale régissant les droits des personnes handicapées et les obligations corrélatives des États évoluaient dans le sens d’une meilleure protection de ces droits.
101. La Cour tient à rappeler que, dans un ordre juridique où les droits fondamentaux sont protégés par la Constitution et les lois, il incombe à l’individu lésé d’éprouver l’ampleur de cette protection, en donnant aux juridictions nationales la possibilité d’appliquer ces droits et, le cas échéant, de les faire évoluer dans l’exercice de leur pouvoir d’interprétation (voir, mutatis mutandis, A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 142, CEDH 2010). En l’espèce, si le requérant avait des doutes quant à la possibilité d’obtenir une injonction, il lui appartenait de les dissiper en s’adressant aux tribunaux nationaux.
102. Or force est de constater que le requérant est resté en défaut de demander aux tribunaux civils d’ordonner aux établissements universitaires concernés de se doter d’une rampe d’accès et d’autres équipements adaptés à ses besoins. La Cour ne décèle aucune circonstance susceptible de le dispenser de faire usage de ce recours.
103. Puisque le Gouvernement indique qu’il y aurait eu plusieurs voies de recours internes que le requérant aurait pu emprunter, la Cour examinera ensuite si l’une ou l’autre d’entre elles aurait également été efficace.
ii. Action en responsabilité civile
104. Le Gouvernement argue que le requérant aurait dû introduire un recours devant les juridictions civiles, sur le fondement des dispositions régissant la responsabilité civile délictuelle dans le code civil en vigueur à l’époque des faits, en vue d’obtenir une condamnation des établissements universitaires défaillants à réparer, le cas échéant, le préjudice qu’il aurait subi. Le requérant répond à cela que cette voie de droit n’offrait pas de perspective raisonnable de succès compte tenu de la suppression des dates butoir pour l’achèvement des travaux de mise en accessibilité dans la loi no 448/2006, suppression qui rendait, selon lui, très difficile de prouver la faute des établissements défaillants.
105. Le Gouvernement a fourni à la Cour deux exemples de pratique nationale, relatifs l’un au non-respect des obligations en matière d’accessibilité avant l’entrée en vigueur de la loi no 448/2006 et l’autre à des défaillances postérieures à l’entrée en vigueur de ce texte (paragraphes 46, 47 et 49 ci-dessus).
106. La Cour rappelle que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’une voie de recours donnée qui n’est pas de toute évidence vouée à l’échec ne constitue pas une raison valable pour ne pas exercer cette voie de recours (voir, par exemple, Van Oosterwijck c. Belgique, 6 novembre 1980, § 37, série A no 40, et MPP Golub c. Ukraine (déc.), no6778/05, CEDH 2005‑XI). Au contraire, en saisissant le tribunal compétent, le requérant aurait permis aux juges nationaux de développer leur jurisprudence sur la question, ce qui aurait étépotentiellement bénéfique à tous les autres justiciables se trouvant dans une situation similaire ou analogue. La Cour en conclut que les raisons invoquées par le requérant pour justifier de ne pas avoir engagé d’action en responsabilité civile délictuelle ne sont pas convaincantes.
iii. Recours contre les décisions successives d’exclusion de l’université
107. La Cour observe que bien qu’il ait été radié à plusieurs reprises des établissements universitaires dans lesquels il était inscrit, le requérant n’a jamais contesté les décisions d’exclusion prises par les autorités universitaires à son encontre. Il ressort pourtant de la pratique constante des tribunaux nationaux au moment des faits qu’une décision d’exclusion de l’université constituait un acte administratif unilatéral susceptible, en tant que tel, d’être contesté devant les juridictions administratives, qui jouissaient d’une plénitude de juridiction pour l’annuler, le cas échéant (paragraphe 56 ci‑dessus).
108. Or le requérant ne s’est pas prévalu de cette possibilité qui lui était ouverte en droit interne. Pourtant, sachant que dans deux cas au moins (paragraphes 15 et 26 ci-dessus), l’exclusion a été prononcée au motif qu’il n’avait pas accumulé suffisamment de points pour valider son année universitaire, il aurait pu alléguer à cette occasion que ce manque de points provenait notamment du fait que les universités concernées ne lui avaient pas assuré l’accès à leurs bâtiments et à leurs services, alors qu’elles en avaient l’obligation en vertu de l’OUG no 102/1999 et de la loi no 448/2006 telles que modifiées. Le requérant aurait pu obtenir, par ce moyen, l’annulation des décisions d’exclusion et sa réintégration au sein de l’université, ainsi éventuellement que la validation des connaissances qu’il avait acquises les années précédentes. Il aurait ainsi pu bénéficier d’un réexamen de sa situation universitaire par la direction de l’université, dans le respect des principes généraux d’égalité et de non‑discrimination qui régissent l’accès aux établissements d’enseignement universitaire au niveau national.
109. Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, la Cour estime que ce recours était, en l’espèce, effectif au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.
110. En tout état de cause, force est de constater qu’entre 2001 et 2006, l’Université Constantin Brâncoveanu de Piteşti a permis au requérant de bénéficier de différentes mesures ad hoc à travers lesquelles les autorités universitaires s’efforçaient de pallier les difficultés qu’il était susceptible de rencontrer tant que les travaux d’installation des rampes d’accès et d’autres équipements spéciaux n’étaient pas achevés. Or il n’a contesté ces mesures ni au moment où elles ont été prises, ni plus tard lorsque, selon ses dires, il a estimé qu’elles ne répondaient pas à ses besoins.
111. Pour ces raisons, la Cour conclut que les raisons invoquées par le requérant pour justifier de ne pas avoir contesté les décisions d’exclusion de l’université dont il a fait l’objet ne sont pas convaincantes.
112. Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue aux paragraphes 102, 106 et 111 ci-dessus, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher plus avant sur les autres possibles voies de recours internes invoquées par le Gouvernement. Elle examinera en revanche si les circonstances invoquées par le requérant aux paragraphes 79 et 80 ci-dessus pouvaient le dispenser de l’obligation d’exercer les recours qui lui étaient ouvertes et qui auraient été effectifs (Sejdovic, précité, § 55).
c) Sur les autres circonstances susceptibles de dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes
113. La Cour observe que les bâtiments qui abritaient le tribunal de première instance (Judecătoria) et le tribunal départemental de Piteşti n’étaient eux-mêmes pas adaptés aux besoins des personnes handicapées à l’époque où le requérant a cherché, sans succès, à suivre une formation d’enseignement supérieur (paragraphe 33 ci-dessus). Ces circonstances n’auraient cependant pas pu empêcher le requérant d’introduire une action en justice par lettre ou par l’intermédiaire d’un mandataire, tel par exemple un avocat ou sa tante, son assistante personnelle (voir, mutatis mutandis, Farcaş c. Roumanie (déc.), no 32596/04, §§ 48‑54, 14 septembre 2010). C’est d’ailleurs ce qu’il a fait en d’autres occasions (paragraphe 33 in fine ci-dessus), et il n’a avancé devant la Cour aucun argument susceptible de justifier le fait qu’il n’ait pas agi de même en ce qui concerne les griefs qui font l’objet de la présente requête. La Cour conclut donc que le défaut d’accessibilité des bâtiments abritant les juridictions concernées ne constituait pas un obstacle insurmontable de nature à empêcher le requérant d’exercer toutes les voies de recours internes effectives qui lui étaient ouvertes.
114. Le requérant allègue, enfin, que, vu l’absence d’échéances dans la loi quant aux dates d’achèvement des travaux de mise en accessibilité des bâtiments d’intérêt public et le grand nombre de parties impliquées, ce serait imposer aux particuliers une obligation déraisonnable et irréalisable en pratique que d’exiger d’eux qu’ils engagent des procédures multiples, longues et coûteuses contre la multitude d’acteurs qui offrent des services d’utilité publique à la population. La Cour rappelle à cet égard, une fois de plus, qu’il est primordial que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme, et ce d’autant plus dans le cas de revendications qui touchent, comme en l’espèce, à des questions de politique économique et sociale impliquant des dépenses publiques : les ressources des États sont limitées, et les autorités nationales sont en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur leur affectation en prenant en compte les besoins et les contextes locaux (voir, mutatis mutandis, Mółka c. Pologne (déc.), no 56550/00, CEDH 2006-IV, et Sentges c. Pays-Bas (déc.), no 27677/02, 8 juillet 2003).
d) Conclusion
115. La Cour estime donc qu’aucun motif d’exclure l’application de l’article 35 § 1 de la Convention n’a été établi. En conclusion, elle considère que le requérant n’a pas donné aux juridictions nationales l’occasion que l’article 35 de la Convention a pour finalité de ménager en principe aux États contractants : celle de prévenir ou redresser dans leur ordre juridique interneles violations de la Convention (voir, entre autres, les arrêts Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, § 72, série A no 39, et Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Dès lors, il y a lieu d’accueillir l’exception soulevée par le Gouvernement et tirée du non‑épuisement des voies de recours internes.
116. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme irrecevable en application de l’article 35 §§ 1 et 4 in fine de la Convention.
II. SUR LES AUTRES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
117. Le Gouvernement soutient par ailleurs que le requérant n’a pas la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention, et que l’article 8 de la Convention, pris seul ou combiné avec l’article 14, n’est pas applicable aux faits de l’espèce. Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue ci-dessus, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner ces autres exceptions préliminaires.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare le restant de la requête irrecevable.
Johan Callewaert, Adjoint au greffier
Dean Spielmann, Président