• Accueil
  • Manuels et thèses
    • La protection des droits fondamentaux en France, 2ème édition
    • Droit administratif français, 6ème édition
    • Contentieux administratif, 3ème édition
    • Science politique, 2ème édition
    • Droit public allemand
    • Le principe de séparation des pouvoirs en droit allemand
  • Chroniques
    • Archives
      • Matière pénale
      • Responsabilité médicale
      • Droit des affaires
      • Droit constitutionnel
      • Droit civil
      • Droit et culture populaire
    • Droit administratif français et comparé
    • Droit de l’Union
    • Droit public économique et contrats publics
    • Droit des libertés
    • Contentieux administratif
    • Informatique juridique
    • Droit public financier
  • Revues archivées
    • Bulletin juridique des collectivités locales
    • Droit 21
    • Jurisprudence Clef
    • Scientia Juris
  • Colloques
    • 5 mai 2021 : L’UE et ses Etats membres, entre identité et souveraineté
    • 17-18 octobre 2019 : La révision des lois bioéthiques
    • 12 avril 2019 : L’actualité des thèses en droit public comparé
    • 31 janvier 2019 : Autonomie locale et QPC
    • 12 et 13 avril 2018: Les algorithmes publics
    • 30 mars 2018 : L’open data, une évolution juridique ?
    • 8 février 2018 : La nouvelle doctrine du contrôle de proportionnalité : conférence-débat
    • 15 septembre 2017 : La réforme
    • 3 avril 2015 : La guerre des juges aura-t-elle lieu ?
    • 30 octobre 2014 : La dignité de la personne humaine : conférence-débat
    • 27 juin 2014 : Le crowdfunding
    • 11 octobre 2013 : La coopération transfrontalière
  • Rééditions
    • Léon Duguit
      • Les transformations du droit public
      • Souveraineté et liberté
    • Maurice Hauriou : note d’arrêts
    • Édouard Laferrière
    • Otto Mayer
  • Twitter

Revue générale du droit

  • Organes scientifiques de la revue
  • Charte éditoriale
  • Soumettre une publication
  • Mentions légales
You are here: Home / decisions / CEDH, 20 janvier 2009, Cooperatieve Producentenorganisatie van de Nederlandse Kokkelvisserij U.A. contre Pays-Bas, req. n°13645/05

CEDH, 20 janvier 2009, Cooperatieve Producentenorganisatie van de Nederlandse Kokkelvisserij U.A. contre Pays-Bas, req. n°13645/05

Citer : Revue générale du droit, 'CEDH, 20 janvier 2009, Cooperatieve Producentenorganisatie van de Nederlandse Kokkelvisserij U.A. contre Pays-Bas, req. n°13645/05, ' : Revue générale du droit on line, 2009, numéro 59449 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=59449)


Imprimer




....

EN FAIT

La requérante, Cooperatieve Producentenorganisatie van de Nederlandse Kokkelvisserij U.A., est une association sise à Kapelle (Pays‑Bas). Elle est représentée devant la Cour par Me G. van Der Wal, avocat à Bruxelles (Belgique) et à La Haye (Pays-Bas).

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par l’association requérante et qu’ils ressortent des informations disponibles de source publique, peuvent se résumer comme suit.

1.  La genèse de l’affaire

L’association requérante regroupe des individus et des entreprises pratiquant la pêche mécanique à la coque et ce notamment, avant les faits litigieux, en mer des Wadden.

La mer des Wadden est une zone humide littorale communiquant directement avec la mer du Nord. Sa partie occidentale relève des eaux territoriales des Pays-Bas. Elle constitue un lieu d’alimentation et de reproduction pour une faune variée dont différentes espèces de mollusques et d’oiseaux marins. Hormis quelques passages laissés ouverts à la navigation ou utilisés à des fins d’entraînement militaire, elle fait l’objet d’un régime de protection environnementale prévu par le droit interne.

Dans la partie de la mer des Wadden relevant de la souveraineté territoriale des Pays-Bas, ce régime était défini au moment des faits par des décrets promulgués en application de la loi de 1967 sur la protection de la nature (Natuurbeschermingswet), dont l’article 16 soumet à une licence délivrée par le ministère de l’Agriculture, de la protection de la nature et des pêches (Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij) les activités telles que la chasse et la pêche d’animaux dans les zones protégées.

La coque (cerastoderma edule ou cardium edule) est un mollusque bivalves comestible que l’on trouve dans les vasières et les fonds marins des eaux littorales peu profondes. En mer des Wadden, elle a pour prédateurs différentes espèces d’oiseaux, en particulier l’eider (somateria mollissima) et l’huîtrier (haematopus ostralegus).

La coque fait l’objet d’une pêche commerciale dans laquelle sont employées des méthodes manuelles et des méthodes mécaniques. Les méthodes mécaniques comprennent le dragage et l’aspiration.

2.  La procédure administrative

Le 1er juillet 1999, le secrétaire d’Etat (Staatssecretaris) à l’Agriculture, à la protection de la nature et aux pêches (« le secrétaire d’Etat ») octroya à l’association requérante une licence autorisant collectivement ses membres à pêcher au total 10 000 tonnes de chair de coque en mer des Wadden sur une période d’environ trois mois et demi l’automne suivant.

Le 11 août 1999, l’Association de la mer des Wadden (Landelijke Vereniging tot Behoud van de Waddenzee, ou Waddenvereniging), une organisation non gouvernementale dont le but déclaré est de protéger l’environnement en mer des Wadden, forma opposition (bezwaar) en son nom et au nom d’une autre organisation non gouvernementale, la Société néerlandaise de protection des oiseaux (Nederlandse Vereniging tot Bescherming van Vogels, ou Vogelbescherming Nederland). Elle estimait, pour ce qui est de la partie pertinente aux fins de la présente affaire, que la pêche mécanique à la coque était de nature à provoquer des dommages durables, voire irréversibles, à des zones écologiquement vulnérables et que le quota fixé était trop élevé par rapport aux besoins alimentaires des oiseaux marins, en particulier des huîtriers.

Le 23 décembre 1999, le secrétaire d’Etat rendit une décision par laquelle il rejeta cette opposition pour défaut de fondement au motif que la pêche mécanique à la coque demeurait interdite dans une grande partie de la mer des Wadden. Il ajoutait qu’en toute hypothèse, en l’absence de constatations empiriques, il n’avait pas été établi que les effets de cette pêche étaient irréversibles, et que, selon les estimations, les populations de coques en 1999 étaient telles qu’il n’était pas nécessaire de les réserver pour les oiseaux marins cette année-là, compte tenu notamment du fait que les oiseaux pouvaient aussi se nourrir dans les bancs de moules protégés.

L’Association de la mer des Wadden contesta cette décision devant la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat (Afdeling Bestuursrechtspraak van de Raad van State).

Le 7 juillet 2000, le secrétaire d’Etat octroya à l’association requérante une licence autorisant collectivement ses membres à pêcher au total 9 775 tonnes de chair de coque dans la mer des Wadden sur une période d’environ trois mois et demi l’automne suivant.

Le 30 juillet 2000, l’Association de la mer des Wadden forma opposition, à nouveau en son nom et au nom de la Société néerlandaise de protection des oiseaux. Elle répétait pour l’essentiel ses arguments du 11 août 1999. Elle arguait qu’on avait relevé au cours des dernières années une réduction importante de la population d’eiders et d’huîtriers et que celle-ci était vraisemblablement due à la destruction partielle de leurs ressources alimentaires. Elle ajoutait que la décision du ministre était incompatible avec l’article 6 de la Directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (la « directive Habitats » – voir ci-dessous), qui imposait d’apprécier les effets potentiels sur l’environnement d’une manière selon elle plus restrictive que ce qui était fait dans la législation interne applicable.

Le 19 février 2001, le secrétaire d’Etat rejeta cette opposition pour défaut de fondement. Il écarta l’argument selon lequel l’appréciation qui avait été faite de l’impact environnemental en vertu de la législation interne applicable était incompatible avec la directive Habitats, considérant qu’elle était de portée équivalente à celle prévue dans cette directive et reposait sur les dernières données scientifiques disponibles. A ses yeux, ni l’existence de motifs de craindre réellement des dommages potentiellement irréversibles pour l’environnement ni la réalité de la menace supposée pour les ressources alimentaires des eiders et des huîtriers n’avaient été établis.

L’Association de la mer des Wadden contesta également cette décision.

3.  La procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat

La section du contentieux administratif joignit les deux affaires et tint une audience le 20 novembre 2001. L’association requérante comparut en qualité de partie intéressée.

Le 27 mars 2002, la section du contentieux administratif rendit sa décision.

Tout en rejetant les arguments avancés par les deux organisations non gouvernementales pour autant qu’ils remettaient en question l’appréciation faite par le secrétaire d’Etat de la probabilité d’un dommage sur l’environnement et la faune de la mer des Wadden, elle reconnut que des questions se posaient concernant l’interprétation et l’application de la loi néerlandaise de protection de la nature au regard des dispositions de fond contraignantes du droit communautaire, et en particulier de la directive Habitats. Elle estima donc nécessaire de saisir la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) de questions préjudicielles au titre de l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne (« traité CE »).

Les questions posées à la CJCE étaient les suivantes :

« 1.  a)  Y a-t-il lieu d’interpréter les notions de « plan ou projet » figurant à l’article 6, paragraphe 3, de la Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages en ce sens qu’en relève également une activité qui est déjà exercée depuis de nombreuses années, mais pour laquelle une licence est délivrée chaque année pour une période limitée, licence qui implique à chaque fois une nouvelle évaluation de la possibilité d’exercer cette activité et des parties du site où elle peut être exercée ?

b)  En cas de réponse négative à la question 1. a) : y a-t-il lieu de considérer l’activité concernée comme un « plan ou projet » si son intensité a augmenté au fil des années ou si les licences ménagent la possibilité d’une telle augmentation ?

2.  a)  S’il résulte de la réponse à la première question qu’il s’agit d’un « plan ou projet » au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive Habitats : y a-t-il lieu de considérer l’article 6, paragraphe 3, de la directive Habitats comme une modalité spécifique des règles figurant au paragraphe 2 ou comme une disposition ayant une portée distincte et autonome, en ce sens que, par exemple :

i)  le paragraphe 2 concerne l’usage existant et le paragraphe 3 les nouveaux plans ou projets, ou

ii)  le paragraphe 2 concerne les mesures de gestion et le paragraphe 3 les autres décisions, ou

iii)  le paragraphe 3 concerne les plans ou projets et le paragraphe 2 les autres activités ?

b)  Au cas où il y aurait lieu de considérer l’article 6, paragraphe 3, de la directive Habitats comme une spécification des règles figurant au paragraphe 2, ces deux paragraphes peuvent-ils s’appliquer cumulativement ?

3.  a)  Y a-t-il lieu d’interpréter l’article 6, paragraphe 3, de la directive Habitats en ce sens qu’il existe déjà un « plan ou projet » si une activité donnée est susceptible d’affecter le site concerné (et qu’il faut ensuite procéder à une « évaluation appropriée » pour savoir si elle l’affecte « de manière significative »), ou résulte-t-il de cette disposition qu’il n’y a lieu de procéder à une « évaluation appropriée » que s’il est (suffisamment) vraisemblable qu’un « plan ou projet » affectera le site de manière significative ?

b)  Sur la base de quels critères y a-t-il lieu d’apprécier si un plan ou projet, au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive Habitats, non directement lié ou nécessaire à la gestion du site est susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans ou projets ?

4.  a)  Dans le contexte de l’application de l’article 6 de la directive Habitats, sur la base de quels critères y a-t-il lieu d’apprécier si l’on est en présence de « mesures appropriées » au sens du paragraphe 2 de cette disposition ou d’une « évaluation appropriée », compte tenu également de l’assurance requise avant de marquer son accord sur un plan ou un projet au sens du paragraphe 3 ?

b)  Les notions de « mesures appropriées » ou « d’évaluation appropriée » ont-elles une portée autonome ou y a-t-il lieu de les apprécier en tenant également compte de l’article 174, paragraphe 2, CE et notamment du principe de précaution qu’il mentionne ?

c)  S’il y a lieu de tenir compte du principe de précaution mentionné à l’article 174, paragraphe 2, CE : cela implique-t-il qu’une activité donnée, en l’espèce la pêche à la coque, peut être autorisée lorsqu’il n’existe aucun doute manifeste concernant l’absence d’éventuels effets significatifs ou ne le peut-elle que lorsqu’il n’existe aucun doute concernant l’absence de tels effets ou si cette absence peut être établie avec certitude ?

5.  L’article 6, paragraphes 2 ou 3, de la directive Habitats produit-il un effet direct, en ce sens que les particuliers peuvent s’en prévaloir devant le juge national et que celui-ci, comme il résulte entre autres de l’arrêt [du 14 décembre 1995,] Peterbroeck [(C-312/93, Recueil de jurisprudence (Rec.) p. I-4599)], doit assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de cet effet direct ? »

4.  La procédure devant la CJCE

L’Association de la mer des Wadden, la Société néerlandaise de protection des oiseaux, l’association requérante, l’Etat défendeur et la Commission européenne présentèrent tous des observations à la CJCE. Celle-ci tint une audience le 18 novembre 2003, à l’issue d’une procédure écrite.

Le 29 janvier 2004, les conclusions de l’avocate générale de la CJCE furent lues en public. Elles étaient les suivantes :

« 153.  Nous proposons de répondre comme suit aux questions préjudicielles déférées par le Nederlandse Raad van State :

1)  Les notions de plan et de projet figurant à l’article 6, paragraphe 3, de la Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, visent également une activité qui est déjà exercée depuis plusieurs années, mais pour laquelle une licence est en principe délivrée chaque année pour une période limitée.

2)  L’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43 règle la procédure relative à l’approbation des plans et des projets qui n’affectent pas les sites protégés en tant que tels, alors que l’article 6, paragraphe 2, de ladite directive, indépendamment de l’autorisation de plans et de projets, fixe des obligations permanentes, consistant à éviter des détériorations ainsi que des perturbations qui pourraient avoir des effets significatifs eu égard aux objectifs de la directive.

3)  Une évaluation appropriée est toujours nécessaire lorsqu’il existe des doutes raisonnables quant à l’absence d’effet significatif. Tout ce qui affecte les objectifs de conservation du site en cause affecte ce dernier de manière significative.

4)  Une évaluation appropriée :

–  doit précéder l’autorisation d’un plan ou d’un projet,

–  [doit] tenir compte des effets cumulatifs et

–  [doit] illustrer tous les éléments affectant les objectifs de conservation.

Les autorités compétentes n’autorisent un plan ou un projet que si, après appréciation de toutes les informations pertinentes, notamment de l’évaluation appropriée, elles sont certaines que le site en cause n’est pas affecté en tant que tel. Cela suppose que, lorsque les autorités compétentes sont convaincues, il ne subsiste aucun doute raisonnable quant à l’absence d’un tel effet.

En cas d’application de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 92/43 à l’autorisation d’un projet, une telle autorisation doit matériellement garantir le même degré de protection qu’une autorisation octroyée en application de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43.

5)  Les particuliers peuvent invoquer l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43 dans la mesure où le droit national leur ouvre des possibilités de protection juridique contre les mesures qui violent cette disposition. Dans les mêmes conditions, ils peuvent invoquer l’article 6, paragraphe 2, de ladite directive, dans la mesure où ils font valoir une erreur d’appréciation. Une charge indirecte pour les citoyens, qui n’affecte pas une situation juridique protégée par le droit communautaire, ne s’oppose pas au fait que les autorités nationales soient (verticalement) liées par l’application directe des directives. »

Ainsi prit fin la procédure orale.

Dans une lettre du 11 février 2004, l’association requérante sollicita l’autorisation de présenter une réponse écrite aux conclusions de l’avocate générale ; à titre subsidiaire, elle demandait la réouverture de la procédure orale et, à titre plus subsidiaire, elle priait la CJCE de la mettre en mesure, d’une autre manière, de répondre à ces conclusions.

Le 28 avril 2004, la CJCE rendit une ordonnance où elle tint le raisonnement suivant :

« 5.  A titre liminaire, la PO Kokkelvisserij [l’association requérante] indique que les positions retenues dans lesdites conclusions sont erronées tant en fait qu’en droit. A l’appui de ses demandes à titre principal et à titre plus subsidiaire, la PO Kokkelvisserij invoque le droit à une procédure contradictoire, conformément à la [C]onvention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme. Quant à la demande à titre subsidiaire, elle est fondée sur l’article 61 du règlement de procédure. La PO Kokkelvisserij soutient qu’il serait contraire au bon déroulement de la procédure d’évoquer, dans sa lettre du 11 février 2004, le fond des griefs à l’encontre des conclusions de Mme l’avocat général.

6.  Il y a lieu de rappeler que le statut de la Cour de justice et le règlement de procédure de celle-ci ne prévoient pas la possibilité pour les parties de déposer des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (voir ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar, C-17/98, Rec. p. I-665, point 2). Or, cette circonstance n’est pas de nature à porter atteinte au droit du justiciable à une procédure contradictoire, tel que découlant de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH selon l’interprétation qu’en donne la Cour européenne des droits de l’homme (voir ordonnance Emesa Sugar, précitée, points 3 à 16).

7.  Il convient, en conséquence, de rejeter la demande de la PO Kokkelvisserij tendant à déposer des observations écrites en réponse aux conclusions de Mme l’avocat général ou à être mise en mesure, d’une autre manière, de répondre à celles-ci.

8.  Compte tenu de la finalité même du contradictoire, qui est d’éviter que la Cour puisse être influencée par des arguments qui n’auraient pas pu être discutés par les parties, la Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir ordonnance Emesa Sugar, précitée, point 18).

9.  En l’espèce, la demande de la PO Kokkelvisserij n’invoque, cependant, aucun élément précis qui ferait apparaître l’utilité ou la nécessité d’une telle réouverture.

10.  Il y a donc lieu de rejeter la demande de la PO Kokkelvisserij tendant à obtenir la réouverture de la procédure orale. »

Le 7 septembre 2004, la CJCE rendit son arrêt. Elle se prononça en ces termes :

« 1.  La pêche mécanique à la coque, qui est exercée depuis de nombreuses années, mais pour laquelle une licence est délivrée chaque année pour une période limitée, licence qui implique à chaque fois une nouvelle évaluation tant de la possibilité d’exercer cette activité que du site où elle peut être exercée, relève de la notion de « plan » ou de « projet » au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.

2.  L’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43 instaure une procédure visant à garantir, à l’aide d’un contrôle préalable, qu’un plan ou un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site concerné, mais susceptible d’affecter ce dernier de manière significative, n’est autorisé que pour autant qu’il ne porte pas atteinte à l’intégrité de ce site, alors que l’article 6, paragraphe 2, de ladite directive fixe une obligation de protection générale, consistant à éviter des détériorations ainsi que des perturbations qui pourraient avoir des effets significatifs au regard des objectifs de la directive, et ne peut s’appliquer concomitamment au paragraphe 3 du même article.

3.  a)  L’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive 92/43 doit être interprété en ce sens que tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur celui-ci au regard des objectifs de conservation de ce site, lorsqu’il ne peut être exclu, sur la base d’éléments objectifs, qu’il affecte ledit site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans ou projets.

b)  En vertu de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive 92/43, lorsqu’un plan ou un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion d’un site risque de compromettre les objectifs de conservation de celui-ci, il doit être considéré comme susceptible d’affecter ce site de manière significative. L’appréciation dudit risque doit être effectuée notamment à la lumière des caractéristiques et des conditions environnementales spécifiques du site concerné par un tel plan ou projet.

4.  En vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, une évaluation appropriée des incidences sur le site concerné du plan ou du projet implique que, avant l’approbation de celui-ci, doivent être identifiés, compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, tous les aspects du plan ou du projet pouvant, par eux-mêmes ou en combinaison avec d’autres plans ou projets, affecter les objectifs de conservation de ce site. Les autorités nationales compétentes, compte tenu de l’évaluation appropriée des incidences de la pêche mécanique à la coque sur le site concerné au regard des objectifs de conservation de ce dernier, n’autorisent cette activité qu’à la condition qu’elles aient acquis la certitude qu’elle est dépourvue d’effets préjudiciables pour l’intégrité dudit site. Il en est ainsi lorsqu’il ne subsiste aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique quant à l’absence de tels effets.

5.  Lorsqu’une juridiction nationale est appelée à vérifier la légalité d’une autorisation relative à un plan ou à un projet au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, elle peut contrôler si les limites fixées à la marge d’appréciation des autorités nationales compétentes par cette disposition ont été respectées, alors même que celle-ci n’a pas été transposée dans l’ordre juridique de l’Etat membre concerné malgré l’expiration du délai prévu à cet effet. »

5.  L’arrêt de la section du contentieux administratif

La section du contentieux administratif du Conseil d’Etat autorisa les participants à la procédure devant elle à lui soumettre des observations écrites sur l’arrêt de la CJCE. Le 11 novembre 2004, elle tint une nouvelle audience, à laquelle l’Association de la mer des Wadden, la Société néerlandaise de protection des oiseaux, le secrétaire d’Etat et l’association requérante furent représentés.

L’association requérante argua qu’en concluant factuellement que la pêche mécanique à la coque en mer des Wadden devait être considérée comme un « plan » ou un « projet » au sens de l’article 6 § 3 de la directive Habitats, la CJCE avait agi ultra vires et que, en outre, cette conclusion reposait sur une appréciation incorrecte des faits. Elle ajouta qu’il ne fallait pas appliquer l’arrêt car il avait été rendu à l’issue d’une procédure contraire à l’article 6 § 1 de la Convention.

Le 22 décembre 2004, la section du contentieux administratif rendit son arrêt. Elle rejeta l’argument consistant à dire que la CJCE avait agi ultra vires et estima que l’association requérante n’avait pas établi que la juridiction européenne eût fondé son arrêt sur des faits différents de ceux que les juges néerlandais avaient eux-mêmes exposés dans l’arrêt du 27 mars 2002. Considérant qu’il était au contraire établi, en l’absence de preuves scientifiques du contraire, que l’impact de la pêche mécanique à la coque sur les habitats naturels risquait d’être « significatif », elle annula les licences de pêche à la coque octroyées à l’association requérante au motif qu’elles contrevenaient à l’article 6 § 3 de la directive Habitats.

A la connaissance de la Cour, la pêche mécanique à la coque dans les eaux néerlandaises de la mer des Wadden n’est plus du tout pratiquée depuis lors.

B.  Le droit et la pratique communautaires pertinents

1.  Le traité CE

Les dispositions du traité CE pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

Article 220

« La Cour de justice et le Tribunal de première instance assurent, dans le cadre de leurs compétences respectives, le respect du droit dans l’interprétation et l’application du présent traité.

En outre, des chambres juridictionnelles peuvent être adjointes au Tribunal de première instance dans les conditions prévues à l’article 225 A pour exercer, dans certains domaines spécifiques, des compétences juridictionnelles prévues par le présent traité. »

Article 221

« La Cour de justice est formée d’un juge par Etat membre.

La Cour de justice siège en chambres ou en grande chambre, en conformité avec les règles prévues à cet effet par le statut de la Cour de justice.

Lorsque le statut le prévoit, la Cour de justice peut également siéger en assemblée plénière. »

Article 222

« La Cour de justice est assistée de huit avocats généraux. Si la Cour de justice le demande, le Conseil, statuant à l’unanimité, peut augmenter le nombre des avocats généraux.

L’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice, requièrent son intervention. »

Article 223

« Les juges et les avocats généraux de la Cour de justice, choisis parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance et qui réunissent les conditions requises pour l’exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles, ou qui sont des jurisconsultes possédant des compétences notoires, sont nommés d’un commun accord pour six ans par les gouvernements des Etats membres.

Un renouvellement partiel des juges et des avocats généraux a lieu tous les trois ans dans les conditions prévues par le statut de la Cour de justice.

Les juges désignent parmi eux, pour trois ans, le président de la Cour de justice. Son mandat est renouvelable.

Les juges et les avocats généraux sortants peuvent être nommés de nouveau.

(…) »

Article 234

« La Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

a)  sur l’interprétation du présent traité ;

b)  sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté et par la BCE ;

(…)

Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.

Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice. »

Article 281

« La Communauté a la personnalité juridique. »

2.  Le Statut de la CJCE

Le Statut de la CJCE se présente sous la forme d’un Protocole au traité CE. En ses parties pertinentes pour la présente affaire, il prévoit ceci :

Article 2

« Tout juge doit, avant d’entrer en fonctions, en séance publique, prêter serment d’exercer ses fonctions en pleine impartialité et en toute conscience et de ne rien divulguer du secret des délibérations. »

Article 3

« Les juges jouissent de l’immunité de juridiction. En ce qui concerne les actes accomplis par eux, y compris leurs paroles et écrits, en leur qualité officielle, ils continuent à bénéficier de l’immunité après la cessation de leurs fonctions.

La Cour, siégeant en assemblée plénière, peut lever l’immunité.

Au cas où, l’immunité ayant été levée, une action pénale est engagée contre un juge, celui-ci n’est justiciable, dans chacun des Etats membres, que de l’instance compétente pour juger les magistrats appartenant à la plus haute juridiction nationale.

Les articles 12 à 15 et l’article 18 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes sont applicables aux juges, aux avocats généraux, au greffier et aux rapporteurs adjoints de la Cour, sans préjudice des dispositions relatives à l’immunité de juridiction des juges qui figurent aux alinéas précédents. »

Article 4

« Les juges ne peuvent exercer aucune fonction politique ou administrative.

Ils ne peuvent, sauf dérogation accordée à titre exceptionnel par le Conseil, exercer aucune activité professionnelle, rémunérée ou non.

Ils prennent, lors de leur installation, l’engagement solennel de respecter, pendant la durée de leurs fonctions et après la cessation de celles-ci, les obligations découlant de leur charge, notamment les devoirs d’honnêteté et de délicatesse quant à l’acceptation, après cette cessation, de certaines fonctions ou de certains avantages.

En cas de doute, la Cour de justice décide. »

Article 5

« En dehors des renouvellements réguliers et des décès, les fonctions de juge prennent fin individuellement par démission.

En cas de démission d’un juge, la lettre de démission est adressée au président de la Cour pour être transmise au président du Conseil. Cette dernière notification emporte vacance de siège.

Sauf les cas où l’article 6 reçoit application, tout juge continue à siéger jusqu’à l’entrée en fonctions de son successeur. »

Article 6

« Les juges ne peuvent être relevés de leurs fonctions ni déclarés déchus de leur droit à pension ou d’autres avantages en tenant lieu que si, au jugement unanime des juges et des avocats généraux de la Cour, ils ont cessé de répondre aux conditions requises ou de satisfaire aux obligations découlant de leur charge. L’intéressé ne participe pas à ces délibérations.

Le greffier porte la décision de la Cour à la connaissance des présidents du Parlement européen et de la Commission et la notifie au président du Conseil.

En cas de décision relevant un juge de ses fonctions, cette dernière notification emporte vacance de siège. »

Article 7

« Les juges dont les fonctions prennent fin avant l’expiration de leur mandat sont remplacés pour la durée du mandat restant à courir. »

Article 8

« Les dispositions des articles 2 à 7 sont applicables aux avocats généraux. »

Article 18

« Les juges et les avocats généraux ne peuvent participer au règlement d’aucune affaire dans laquelle ils sont antérieurement intervenus comme agent, conseil ou avocat de l’une des parties, ou sur laquelle ils ont été appelés à se prononcer comme membre d’un tribunal, d’une commission d’enquête ou à tout autre titre.

Si, pour une raison spéciale, un juge ou un avocat général estime ne pas pouvoir participer au jugement ou à l’examen d’une affaire déterminée, il en fait part au président. Au cas où le président estime qu’un juge ou un avocat général ne doit pas, pour une raison spéciale, siéger ou conclure dans une affaire déterminée, il en avertit l’intéressé.

En cas de difficulté sur l’application du présent article, la Cour statue.

(…) »

Article 20

« La procédure devant la Cour comporte deux phases : l’une écrite, l’autre orale.

La procédure écrite comprend la communication aux parties (…) des requêtes, mémoires, défenses et observations et, éventuellement, des répliques, ainsi que de toutes pièces et documents à l’appui ou de leurs copies certifiées conformes.

(…)

La procédure orale comprend la lecture du rapport présenté par un juge rapporteur, l’audition par la Cour des agents, conseils et avocats et des conclusions de l’avocat général, ainsi que, s’il y a lieu, l’audition des témoins et experts.

Lorsqu’elle estime que l’affaire ne soulève aucune question de droit nouvelle, la Cour peut décider, l’avocat général entendu, que l’affaire sera jugée sans conclusions de l’avocat général. »

Article 23

« Dans les cas visés à (…) l’article 234 du traité CE (…), la décision de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour est notifiée à celle-ci à la diligence de cette juridiction nationale. Cette décision est ensuite notifiée par les soins du greffier de la Cour aux parties en cause, aux Etats membres et à la Commission, ainsi qu’au Conseil ou à la Banque centrale européenne, si l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée émane de ceux-ci (…)

Dans un délai de deux mois à compter de cette dernière notification, les parties, les Etats membres, la Commission et, le cas échéant, (…) le Conseil (…) ont le droit de déposer devant la Cour des mémoires ou des observations écrites.

(…) »

3.  Le règlement de procédure de la CJCE

En ses parties pertinentes pour la présente affaire, le règlement de procédure de la CJCE (JO (Journal officiel des communautés européennes) L 176 du 4 juillet 1991, p. 7, tel que modifié et corrigé) prévoit ceci :

Article 59

« 1.  L’avocat général présente ses conclusions orales et motivées avant la clôture de la procédure orale.

2.  Après les conclusions de l’avocat général, le président prononce la clôture de la procédure orale. »

Article 61

« La Cour, l’avocat général entendu, peut ordonner la réouverture de la procédure orale. »

4.  La jurisprudence de la CJCE

Dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 4 février 2000 en l’affaire C-17/98, Emesa Sugar, Rec. p. I-665, la CJCE a dit ceci :

« 5.  Dans son arrêt Vermeulen c. Belgique, précité, la Cour européenne des droits de l’homme, après avoir constaté que le ministère public près la Cour de cassation (Belgique) avait « pour tâche principale, à l’audience comme en délibération, d’assister la Cour de cassation et de veiller au maintien de l’unité de la jurisprudence » (§ 29), et ce « en observant la plus stricte objectivité » (§ 30), a estimé « devoir attacher une grande importance au rôle réellement assumé dans la procédure par le membre du ministère public et plus particulièrement au contenu et aux effets de ses conclusions. Elles renferment un avis qui emprunte son autorité à celle du ministère public lui-même [dans la version anglaise de l’arrêt : « procureur général’s department »]. Objectif et motivé en droit, ledit avis n’en est pas moins destiné à conseiller et, partant, influencer la Cour de cassation (§ 31). »

6.  Elle a jugé que « l’impossibilité pour l’intéressé d’y répondre avant la clôture de l’audience a méconnu son droit à une procédure contradictoire. Celui-ci implique en principe la faculté pour les parties à un procès, pénal ou civil, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant [dans la version anglaise de l’arrêt : « independent member of the national legal service »], en vue d’influencer sa décision, et de la discuter. » Dès lors, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que cette circonstance constituait en elle-même une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (§ 33) (voir également, dans le même sens, arrêts Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, p. 195, §§ 28 à 31 ; Van Orshoven c. Belgique du 25 juin 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, p. 1040, §§ 38 à 41 ; J. J. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 604, §§ 42 et 43, et K. D. B. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 621, §§ 43 et 44).

7.  Emesa considère que cette jurisprudence est applicable aux conclusions présentées devant la Cour par M. l’avocat général et demande, en conséquence, à y répondre.

8.  Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect (voir, notamment, avis 2/94, du 28 mars 1996, Rec. p. I-1759, point 33). À cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, notamment, arrêt du 18 juin 1991, ERT, C-260/89, Rec. p. I-2925, point 41).

9.  Ces principes ont, au demeurant, été repris à l’article 6, paragraphe 2, [du Traité sur l’Union européenne]. Aux termes de cette disposition, « L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ». Selon l’article 46, sous d), [du Traité sur l’Union européenne], la Cour veille à l’application de cette disposition « en ce qui concerne l’action des institutions, dans la mesure où [elle] est compétente en vertu des traités instituant les Communautés européennes et du (…) traité [sur l’Union européenne] ».

10.  Il convient également de rappeler le statut et le rôle de l’avocat général dans le système de l’organisation judiciaire établi par le traité CE ainsi que par le statut CE de la Cour de justice, et précisé par son règlement de procédure.

11.  Conformément aux articles 221 CE et 222 CE, la Cour de justice est composée de juges et assistée d’avocats généraux. L’article 223 CE prévoit des conditions ainsi qu’une procédure de nomination identiques pour les uns et les autres. En outre, il ressort clairement du titre I du statut CE de la Cour de justice, qui a une valeur juridique égale à celle du traité lui-même, que les avocats généraux sont soumis au même statut que les juges, notamment en ce qui concerne l’immunité et les causes de révocation, leur garantissant pleine impartialité et entière indépendance.

12.  Par ailleurs, les avocats généraux, entre lesquels n’existe aucun lien de subordination, ne constituent pas un parquet ni un ministère public et ils ne relèvent d’aucune autorité, à la différence de ce qui ressort de l’organisation judiciaire dans certains Etats membres. Dans l’exercice de leur fonction, ils ne sont pas chargés de la défense de quelque intérêt que ce soit.

13.  C’est dans cette perspective qu’il convient de situer le rôle de l’avocat général. Conformément à l’article 222 CE, il consiste à présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires soumises à la Cour, en vue de l’assister dans l’accomplissement de sa mission qui est d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité.

14.  En vertu des articles 18 du statut CE de la Cour de justice et 59 du règlement de procédure, les conclusions de l’avocat général mettent fin à la procédure orale. Se situant en dehors du débat entre les parties, les conclusions ouvrent la phase du délibéré de la Cour. Il ne s’agit donc pas d’un avis destiné aux juges ou aux parties qui émanerait d’une autorité extérieure à la Cour ou « emprunte[rait] son autorité à celle [d’un] ministère public [dans la version anglaise de l’arrêt : « procureur général’s department »] » (arrêt Vermeulen c. Belgique, précité, § 31), mais de l’opinion individuelle, motivée et exprimée publiquement, d’un membre de l’institution elle‑même.

15.  L’avocat général participe ainsi publiquement et personnellement au processus d’élaboration de la décision de la Cour et, partant, à l’accomplissement de la fonction juridictionnelle confiée à cette dernière. Les conclusions sont d’ailleurs publiées avec l’arrêt de la Cour.

16.  Eu égard au lien tant organique que fonctionnel entre l’avocat général et la Cour, rappelé aux points 10 à 15 de la présente ordonnance, la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l’homme ne paraît pas transposable aux conclusions des avocats généraux à la Cour.

17.  Il convient en outre de relever que, compte tenu des contraintes spécifiques inhérentes à la procédure judiciaire communautaire, liées notamment à son régime linguistique, la reconnaissance aux parties du droit de formuler des observations en réponse aux conclusions de l’avocat général, avec pour corollaire le droit pour les autres parties (et, dans les affaires préjudicielles, qui représentent la majorité des affaires soumises à la Cour, tous les Etats membres, la Commission et les autres institutions concernées) de répliquer à ces observations, se heurterait à d’importantes difficultés et allongerait considérablement la durée de la procédure.

18.  Certes, les contraintes inhérentes à l’organisation judiciaire communautaire ne sauraient justifier la méconnaissance du droit fondamental à une procédure contradictoire. Tel n’est cependant pas le cas dans la mesure où c’est au regard de la finalité même du contradictoire, qui est d’éviter que la Cour puisse être influencée par des arguments qui n’auraient pas pu être discutés par les parties, que la Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir, notamment, s’agissant de la réouverture de la procédure orale, ordonnance du 22 janvier 1992, Legros e.a., C-163/90, non publiée au Recueil, et arrêt du 16 juillet 1992, Legros e.a., C-163/90, Rec. p. I-4625 ; ordonnance du 9 décembre 1992, Meng, C-2/91, non publiée au Recueil, et arrêt du 17 novembre 1993, Meng, C‑2/91, Rec. p. I-5751 ; ordonnance du 13 décembre 1994, Peterbroeck, C-312/93, non publiée au Recueil, et arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599 ; ordonnance du 23 septembre 1998, Sürül, C-262/96, non publiée au Recueil, et arrêt du 4 mai 1999, Sürül, C-262/96, Rec. p. I-2685, ainsi que ordonnance du 17 septembre 1998, Verkooijen, C-35/98, non publiée au Recueil).

19.  En l’espèce, cependant, la demande d’Emesa ne porte pas sur la réouverture de la procédure orale et n’invoque par ailleurs aucun élément précis qui ferait apparaître l’utilité ou la nécessité d’une telle réouverture. »

Le 28 juin 2007, l’avocate générale Sharpston présenta ses conclusions en l’affaire C-212/06, Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon contre Gouvernement flamand. Elles se lisaient notamment comme suit (italiques ajoutés) :

« 156.  (…) Je suis parfaitement consciente du fait que, dans la présente affaire, le Royaume (…) est le seul Etat membre à être intervenu. Les éléments que je viens de suggérer mériteraient, me semble-t-il, d’être exploités comme il se doit en bénéficiant d’un concours plus complet des Etats membres et d’observations plus fouillées (par voie de conséquence) de la Commission. Il se pourrait que la conclusion que j’ai tirée plus haut d’une première réflexion ne résiste pas à un examen plus approfondi.

157.  La Cour ne souhaiterait pas, je le redoute, statuer sur un point aussi fondamental dans la présente affaire (à moins, naturellement, qu’elle ne décide de rouvrir la procédure orale en invitant les Etats membres à présenter leurs observations sur cette question en connaissance de cause) ; et je n’aperçois pas d’absolue nécessité de le faire. (…) »

5.  La directive Habitats

L’article 6 de la directive Habitats est ainsi libellé :

« 1.  Pour les zones spéciales de conservation, les Etats membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

2.  Les Etats membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.

3.  Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.

4.  Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’Etat membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L’Etat membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.

Lorsque le site concerné est un site abritant un type d’habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l’homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ou, après avis de la Commission, à d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur. »

GRIEF

L’association requérante estime que le refus de la CJCE de lui permettre de répondre aux conclusions de l’avocate générale a emporté violation de son droit à une procédure contradictoire garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

EN DROIT

L’association requérante se plaint de ne pas avoir été autorisée à répondre aux conclusions de l’avocate générale avant que la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) ne statue sur l’affaire. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

A.  La thèse de l’association requérante

L’association requérante considère que les conclusions de l’avocate générale contenaient des erreurs de fait et de droit, qu’elles ne tenaient pas compte des intérêts de sa branche d’activité et qu’elles ne répondaient pas à ses arguments. Elle s’estime donc victime d’une violation des droits garantis par l’article 6 de la Convention, tant du fait des Pays-Bas que de celui de la Communauté européenne, en raison du refus de la CJCE de lui permettre de répondre auxdites conclusions.

Elle soutient que la possibilité de refuser de rouvrir la procédure orale que laisse à la CJCE l’article 61 de son règlement de procédure a eu pour effet de la priver d’une garantie que la Cour, dans une jurisprudence abondante et en particulier dans l’arrêt Kress c. France ([GC], no 39594/98, § 76, CEDH 2001-VI), a jugé comprise dans l’article 6 § 1 de la Convention. Elle cite à cet égard les arrêts Mantovanelli c. France (18 mars 1997, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II) et Krčmář et autres c. République tchèque (no 35376/97, § 45, 3 mars 2000), dans lesquels la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 au motif que les requérants n’avaient pas eu la possibilité de commenter des preuves documentaires. Elle ajoute que, dans l’arrêtPellegrini c. Italie (no 30882/96, § 45, CEDH 2001‑VIII), la Cour a dit qu’il appartenait aux parties à un litige et à elles seules de décider si un document produit par l’autre partie ou par des témoins appelait ou non une réponse de leur part.

B.  L’appréciation de la Cour

1.  Sur l’applicabilité de l’article 6

Le grief de l’association requérante repose sur l’affirmation implicite que l’article 6 protège ses droits dans le cadre de procédures menées sur le fondement de l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne (« le traité CE »). La Cour se propose de partir du même postulat, tout en laissant ouvertes les questions de savoir dans quelle mesure la protection apportée par cet article est la même pour un tiers intéressé – en l’espèce l’association requérante – et pour les parties à la procédure – en l’espèce l’Association de la mer des Wadden, la Société néerlandaise de protection des oiseaux et l’Etat des Pays-Bas – et dans quelle mesure la procédure préjudicielle prévue par l’article 234 du traité CE « déterminait » les droits et obligations de nature civile de l’association requérante.

2.  Sur la possibilité d’imputer une violation de l’article 6 § 1 à la Communauté européenne

L’association requérante se plaint d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention « par les Pays-Bas et les Communautés européennes [sic], plus particulièrement la Cour européenne de justice à Luxembourg ».

La Communauté européenne est dotée de la personnalité juridique en tant qu’organisation intergouvernementale (article 281 du traité CE, cité ci‑dessus). A l’heure actuelle, elle n’est pas partie à la Convention – l’association requérante ne prétend d’ailleurs pas le contraire. En conséquence, pour autant que les griefs de l’association requérante doivent être compris comme dirigés contre la Communauté européenne elle-même, la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 de cet instrument (Confédération française démocratique du travail c. Communautés européennes, no 8030/77, décision de la Commission du 10 juillet 1978, Décisions et rapports 13, pp. 231, 235) et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

Le fait qu’elle ne puisse pas, dès lors, examiner la procédure menée devant la CJCE sous l’angle de l’article 6 § 1 directement ne dispense cependant pas la Cour de vérifier si les faits dénoncés engagent la responsabilité du Royaume des Pays-Bas, partie à la Convention.

3.  Sur la possibilité d’imputer une violation de l’article 6 § 1 à l’Etat partie défendeur

Dans sa récente décision Boivin (c. 34 autres Etats membres du Conseil de l’Europe (déc.), no 73250/01, CEDH 2008), la Cour a constaté que la décision litigieuse avait été prise par une juridiction internationale ne relevant pas de la juridiction des Etats parties défendeurs, dans le cadre d’un conflit du travail entre le requérant et une organisation internationale dotée de la personnalité juridique dans lequel les Etats en question n’avaient à aucun moment été impliqués. Pour ces motifs, elle a conclu que les faits dénoncés par le requérant échappaient à la juridiction des Etats parties au sens de l’article 1 de la Convention.

La présente affaire diffère de l’affaire Boivin en ce que le grief de la requérante a pour origine une intervention de la CJCE qu’une juridiction interne avait activement demandée dans le cadre d’une procédure pendante devant elle : on ne saurait donc dire que l’Etat défendeur n’était nullement impliqué dans ce processus.

Dans l’arrêt Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi (ci-après « Bosphorus Airways ») c. Irlande ([GC], no 45036/98, §§ 152-156, CEDH 2005-VI), la Cour a déclaré ceci :

« 152.  D’une part, la Convention n’interdit pas aux Parties contractantes de transférer des pouvoirs souverains à une organisation internationale (y compris supranationale) à des fins de coopération dans certains domaines d’activité (M. & Co. [c. République fédérale d’Allemagne, no 13258/87, décision de la Commission du 9 février 1990, Décisions et rapports (DR) 64], p.152, et Matthews [c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94], § 32[, CEDH 1999-I]). En outre, même en tant que détentrice des pouvoirs souverains ainsi transférés, l’organisation internationale concernée ne peut, tant qu’elle n’est pas partie à la Convention, voir sa responsabilité engagée au titre de celle-ci pour les procédures conduites devant ses organes ou les décisions rendues par eux (Confédération française démocratique du travail c. Communautés européennes, no 8030/77, décision de la Commission du 10 juillet 1978, DR 13, p. 231, Dufay c. Communautés européennes, no 13539/88, décision de la Commission du 19 janvier 1989, non publiée, M. & Co., décision précitée, p. 152, et Matthews, arrêt précité, § 32).

153.  D’autre part, la Cour a également jugé que les Parties contractantes sont responsables au titre de l’article 1 de la Convention de tous les actes et omissions de leurs organes, qu’ils découlent du droit interne ou de la nécessité d’observer des obligations juridiques internationales. Ledit texte ne fait aucune distinction quant au type de normes ou de mesures en cause et ne soustrait aucune partie de la « juridiction » des Parties contractantes à l’empire de la Convention (Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, arrêt du 30 janvier 1998, Recueil 1998-I, pp. 17-18, § 29).

154.  Lorsqu’elle tente de concilier ces deux aspects et d’établir, ce faisant, dans quelle mesure il est possible de justifier l’acte d’un Etat par le respect des obligations découlant pour lui de son appartenance à une organisation internationale à laquelle il a transféré une partie de sa souveraineté, la Cour reconnaît qu’il serait contraire au but et à l’objet de la Convention que les Etats contractants soient exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d’activité concerné : les garanties prévues par la Convention pourraient être limitées ou exclues discrétionnairement, et être par là même privées de leur caractère contraignant ainsi que de leur nature concrète et effective (M. & Co., décision précitée, pp. 152-153, et Waite et Kennedy [c. Allemagne [GC], no 26083/94], § 67[, CEDH 1999-I]). L’Etat demeure responsable au regard de la Convention pour les engagements pris en vertu de traités postérieurement à l’entrée en vigueur de la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Matthews, §§ 29 et 32-34, et Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 47, CEDH 2001-VIII).

155.  De l’avis de la Cour, une mesure de l’Etat prise en exécution de pareilles obligations juridiques doit être réputée justifiée dès lors qu’il est constant que l’organisation en question accorde aux droits fondamentaux (cette notion recouvrant à la fois les garanties substantielles offertes et les mécanismes censés en contrôler le respect) une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention (M. & Co., décision précitée, p. 152, démarche à laquelle les parties et la Commission européenne souscrivent). Par « équivalente », la Cour entend « comparable » : toute exigence de protection « identique » de la part de l’organisation concernée pourrait aller à l’encontre de l’intérêt de la coopération internationale poursuivi (paragraphe 150 ci-dessus). Toutefois, un constat de « protection équivalente » de ce type ne saurait être définitif : il doit pouvoir être réexaminé à la lumière de tout changement pertinent dans la protection des droits fondamentaux.

156.  Si l’on considère que l’organisation offre semblable protection équivalente, il y a lieu de présumer qu’un Etat respecte les exigences de la Convention lorsqu’il ne fait qu’exécuter des obligations juridiques résultant de son adhésion à l’organisation.
Pareille présomption peut toutefois être renversée dans le cadre d’une affaire donnée si l’on estime que la protection des droits garantis par la Convention était entachée d’une insuffisance manifeste. Dans un tel cas, le rôle de la Convention en tant qu’« instrument constitutionnel de l’ordre public européen » dans le domaine des droits de l’homme l’emporterait sur l’intérêt de la coopération internationale (Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), arrêt du 23 mars 1995, série A no 310, pp. 27‑28, § 75). »

Dans le même arrêt (ibidem, § 165), la Cour a reconnu que la présomption réfragable mentionnée ci-dessus s’appliquait à la Communauté européenne.

La présente affaire diffère de l’affaire Bosphorus Airways en ce que la question centrale n’y est pas l’application faite par un Etat membre de la Communauté européenne d’un acte adopté par l’institution européenne elle‑même mais les garanties offertes par celle-ci – plus précisément, par la CJCE – lorsqu’elle exerce ses tâches juridictionnelles.

L’association requérante soutient que la protection par la CJCE de ses droits garantis par la Convention a été « en l’espèce entachée d’une insuffisance manifeste ».

Dans l’arrêt Vermeulen c. Belgique (20 février 1996, § 33, Recueil 1996‑I), la Cour a dit ceci :

« Compte tenu donc de l’enjeu pour le requérant de l’instance devant la Cour de cassation et de la nature des conclusions de l’avocat général du Jardin, l’impossibilité pour l’intéressé d’y répondre avant la clôture de l’audience a méconnu son droit à une procédure contradictoire. Celui-ci implique en principe la faculté pour les parties à un procès, pénal ou civil, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir notamment, mutatis mutandis, les arrêts Ruiz-Mateos [c. Espagne du 23 juin 1993, série A no 262], p. 25, § 63, McMichael c. Royaume-Uni du 24 février 1995, série A no 307-B, pp. 53-54, § 80, et Kerojärvi c. Finlande du 19 juillet 1995, série A no 322, p. 16, § 42).

La Cour constate que cette circonstance constitue déjà une violation de l’article 6 § 1. »

Elle s’est exprimée en termes analogues dans d’autres arrêts, parmi lesquels Lobo Machado c. Portugal (20 février 1996, §§ 29-31, Recueil 1996‑I), Van Orshoven c. Belgique (25 juin 1997, §§ 39-41, Recueil 1997‑III), ou encore K.D.B. c. Pays-Bas (27 mars 1998, § 44, Recueil 1998‑II).

Il ne s’ensuit pas cependant qu’elle doive forcément conclure à la violation de l’article 6 § 1 par les Pays-Bas au motif que l’association requérante n’a pas eu la possibilité de répondre aux conclusions de l’avocate générale. Elle ne peut faire abstraction de la nature de la procédure préjudicielle menée devant la CJCE en vertu de l’article 234 du traité CE (ancien article 177 du Traité instituant la Communauté économique européenne).

Le lien entre une décision préjudicielle de la CJCE rendue en vertu de l’article 234 du traité CE et la procédure interne qui en est à l’origine est évident. C’est la juridiction interne qui, lorsqu’elle se trouve confrontée à un point de droit communautaire qui appelle un éclaircissement avant la prise d’une décision sur l’affaire, sollicite l’assistance de la CJCE dans les termes de son choix ; l’interprétation que donne alors la juridiction européenne du droit communautaire fait autorité et ne peut être ignorée par la juridiction interne.

Or, comme indiqué précédemment, on présume que l’Etat partie n’a pas manqué aux obligations que lui fait la Convention lorsqu’il a agi en vertu d’obligations juridiques découlant de sa qualité de membre d’une organisation internationale à laquelle il a transféré une partie de sa souveraineté dès lors qu’il est constant que l’organisation en question accorde aux droits fondamentaux, à savoir à la fois les garanties substantielles offertes et les mécanismes censés en contrôler le respect, une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention. Le corollaire est que cette présomption s’applique non seulement aux mesures prises par les Etats parties mais aussi aux procédures suivies au sein de pareilles organisations internationales et, dès lors, à celles menées devant la CJCE. A cet égard, la Cour rappelle aussi qu’il n’est pas nécessaire que cette protection soit identique à celle que prévoit l’article 6 de la Convention ; la présomption ne peut être renversée que si, dans les circonstances d’une affaire donnée, on considère que la protection des droits garantis par la Convention était entachée d’une insuffisance manifeste.

En l’espèce, la Cour doit donc examiner le point de savoir si la procédure menée devant la CJCE était entourée de garanties assurant une protection des droits du requérant équivalente à celle prévue par la Convention. A cet égard, elle estime importants les éléments suivants : premièrement, l’article 61 du règlement de procédure de la CJCE prévoit la possibilité pour la Cour de justice d’ordonner la réouverture de la procédure orale après que l’avocat général ait présenté ses conclusions, si elle estime nécessaire de le faire – possibilité dont, à la lumière des conclusions de l’avocate générale dans l’affaire C-212/06, Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon contre Gouvernement flamand, il faut admettre qu’elle est réaliste et non purement théorique – deuxièmement, il ressort de la décision rendue par la CJCE le 28 avril 2004 en la présente affaire que les demandes de réouverture présentées par les parties à la procédure sont examinées quant au fond. En l’espèce, la CJCE a considéré que l’association requérante n’avait pas communiqué d’informations précises de nature à indiquer qu’il eût été utile ou nécessaire de rouvrir la procédure.

La Cour note également que la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat aurait pu poser une nouvelle question préjudicielle à la CJCE si elle avait estimé ne pas être en mesure de trancher l’affaire à partir du premier arrêt.

Dans le cas présent, la CJCE a dit dans son arrêt qu’en vertu du droit communautaire, l’Etat défendeur pouvait accorder à l’association requérante une licence pour la pêche mécanique à la coque s’il était démontré au-delà de tout doute raisonnable d’un point de vue scientifique que cette activité n’endommagerait pas les habitats naturels de la mer des Wadden. Ainsi, si l’association requérante avait pu apporter une telle preuve, rien ne se serait opposé à ce que la section du contentieux administratif rejette les recours introduits par l’Association de la mer des Wadden.

A la lumière de ces considérations, la Cour doit conclure que l’association requérante n’a pas démontré que le fait qu’elle n’ait pas pu répondre aux conclusions de l’avocate générale ait « entaché d’une insuffisance manifeste » la protection dont elle a bénéficié et n’a donc pas renversé la présomption selon laquelle la procédure menée devant la CJCE avait protégé ses droits de manière équivalente à ce que prévoit la Convention.

Il s’ensuit que, pour autant qu’elle est dirigée contre le Royaume des Pays-Bas, la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

About Revue générale du droit

Revue générale du droit est un site de la Chaire de droit public français de l’Université de la Sarre


Recherche dans le site

Contacts

Copyright · Revue générale du droit 2012-2014· ISSN 2195-3732 Log in

»
«