QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE SŁAWOMIR MUSIAŁ c. POLOGNE
(Requête no 28300/06)
ARRÊT
[Extraits]
STRASBOURG
20 janvier 2009
DÉFINITIF
05/06/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sławomir Musiał c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Ljiljana Mijović,
David Thór Björgvinsson,
Ján Šikuta,
Päivi Hirvelä,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 décembre 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28300/06) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Sławomir Musiał (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 juin 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait que, étant atteint d’épilepsie, de schizophrénie et d’autres troubles mentaux, les soins et traitements médicaux offerts à lui pendant sa détention dans les maisons d’arrêt de Sosnowiec et de Zabrze et dans la prison de Herby Stare étaient inadéquats.
4. Le 30 août 2007, le président de la quatrième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permettent l’article 29 § 1 de la Convention et l’article 41 du règlement de la Cour, il a été décidé en outre d’en examiner conjointement la recevabilité et le fond et de lui réserver un traitement prioritaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1978 et est actuellement détenu à la prison de Herby Stare (Pologne).
6. Le requérant souffre d’épilepsie depuis sa petite enfance. Plus récemment, il a été diagnostiqué qu’il est également atteint de schizophrénie et d’autres troubles mentaux graves. Avant son incarcération, il avait tenté de se suicider et avait séjourné en établissement psychiatrique.
A. Le traitement médical du requérant en détention
7. Soupçonné de vol et de coups et blessures, le requérant fut placé en détention provisoire en vertu d’un jugement prononcé le 19 avril 2005 par le tribunal de district (Sąd Rejonowy) de Będzin. Ultérieurement, son maintien en détention fut ordonné par des décisions rendues le 14 octobre 2005 et le 11 janvier 2006 par le tribunal de district de Będzin, puis par des décisions rendues le 5 juin et du 26 septembre 2006 par le tribunal de district de Myszków.
8. A son incarcération, le requérant fut emmené dans une maison d’arrêt dont le nom n’est pas précisé, probablement celle de Sosnowiec.
9. Victime d’hallucinations auditives intenses de nature psychotique, il fut conduit le 20 avril 2005 dans un établissement psychiatrique public à Czeladź, où il demeura deux jours.
10. Le 22 avril 2005, il fut incarcéré dans la maison d’arrêt de Zabrze mais, le même jour, il fut transféré à l’hôpital psychiatrique de Rybnik pour observation. Le 17 ou le 18 juillet 2005, il fut renvoyé dans la maison d’arrêt de Zabrze, où il demeura jusqu’au 4 janvier 2006.
11. Au cours de sa détention à la maison d’arrêt de Zabrze, l’intéressé prenait des psychotropes et fut examiné par un psychiatre le 19 juillet, le 23 août, les 6, 21 et 27 septembre, les 8 et 22 novembre et les 20 et 30 décembre 2005. En outre, il était suivi en permanence par un psychologue qu’il vit le 19 juillet, le 23 août, le 15 novembre et le 15 décembre 2005. Enfin, il consultaun médecin pénitentiaire généraliste pour des problèmes dermatologiques, des toux, des douleurs au dos et des troubles gastriques.
12. Du 4 janvier au 5 avril 2006, le requérant séjourna à la maison d’arrêt de Sosnowiec.
13. Le 15 janvier 2006, il fut à nouveau transféré à l’hôpital psychiatrique de Czeladź parce qu’il avait des hallucinations auditives et des pensées suicidaires. Le lendemain, son état de santé se stabilisa. Des médicaments lui furent prescrits et il fut renvoyé à la maison d’arrêt de Sosnowiec. On suggéra qu’il restât sous surveillance psychiatrique.
14. Le 23 janvier 2006, vers 23 heures, le requérant tenta de se pendre dans la maison d’arrêt de Sosnowiec. Il fut sauvé par ses compagnons de cellule. Aussitôt après, il fut examiné par le médecin pénitentiaire, qui ne releva sur lui aucune blessure.
15. Le 24 janvier 2006, l’intéressé fut conduit à l’hôpital psychiatrique de Czeladź. Faute de place, il fut transféré à l’hôpital psychiatrique d’Opole, où il fut examiné par des médecins. Il fut diagnostiqué schizophrène et on suggéra qu’il restât sous surveillance psychiatrique. Cependant, là encore faute de place, il ne fut pas hospitalisé et fut donc renvoyé à la maison d’arrêt de Sosnowiec.
16. L’intéressé dit avoir souffert d’hallucinations pendant le reste de son séjour dans la maison d’arrêt de Sosnowiec. On lui administrait régulièrement des médicaments, notamment despsychotropes. Entre janvier 2006 et avril 2006, il fut examiné à neuf reprises par un psychiatre ou un généraliste.
17. Le 22 mai 2006, le requérant fut transféré dans la prison de Herby Stare.
18. A son admission à la prison de Herby Stare, l’intéressé fit l’objet d’un examen neurologique, qui ne permit pas de confirmer l’existence des troubles dont il disait souffrir (épilepsie, hallucinations et angoisses, entre autres). Le médecin lui prescrivit toutefois un traitement médicamenteux ainsi qu’une consultation et un suivi psychiatriques.
19. Le 25 mai 2006, le requérant fut examiné par un psychiatre. Il se plaignait d’insomnies et d’hallucinations auditives. Il se disait également suivi et espionné par ses codétenus. Le médecin lui prescrivit un médicament contre sa schizophrénie et ordonna qu’il restât sous suivi psychiatrique.
20. Le 1er juin 2006, le requérant rata son rendez-vous avec le psychiatre mais put en consulter un une semaine plus tard. Le 27 juin 2006, il fut examiné par un généraliste puis une nouvelle fois par un psychiatre le 10 juillet 2006. Au cours de cette dernière visite, il se déclara en bonne santé.
21. Par la suite, entre juillet 2006 et août 2007, le requérant fut examiné à 35 reprises par divers spécialistes, notamment par un psychiatre et un neurochirurgien.
22. Il apparaît que, du 2 avril au 4 juin 2007, le requérant fut hospitalisé dans l’aile psychiatrique d’un établissement pénitentiaire.
23. Le 4 juin 2007, il fut reconduit à la prison de Herby Stare, où il resta jusqu’à son élargissement le 23 ou le 28 août 2007. A cette dernière date, il déclara aller bien et n’avoir eu dernièrement aucune hallucination.
24. Le 7 septembre 2007, l’intéressé revint à la prison de Herby Stare, où il demeure détenu à ce jour.
B. Les conditions de détention du requérant
25. Les versions des parties quant aux conditions de détention du requérant divergent notablement.
1. Dans la maison d’arrêt de Zabrze
a) Faits non contestés
26. A la maison d’arrêt de Zabrze, le requérant fut détenu dans la cellule no 41 du 18 juillet au 20 octobre 2005 et dans la cellule no 42 du 20 octobre 2005 au 4 janvier 2006. Ces deux cellules font environ 6,7 m² de superficie chacune.
b) Faits contestés
i. Le Gouvernement
27. Muet sur le nombre de détenus avec lesquels le requérant avait partagé ses cellules, le Gouvernement a toutefois indiqué que la maison d’arrêt de Zabrze connaissait un problème de surpeuplement. Il a précisé que le directeur de cet établissement avait d’ailleurs décidé d’abaisser le seuil légal de 3 m² par personne et en avait avisé le juge d’application des peines le 14 juin, le 30 septembre et le 29 novembre 2005.
28. Le Gouvernement a ajouté que, dans la maison d’arrêt de Zabrze, chacune des cellules où le requérant avait séjourné disposait d’une annexe dotée d’un espace toilettes et un lavabo. Cette annexe aurait été séparée du reste de la cellule et préservé l’intimité. Des accessoires de toilette auraient été fournis aux détenus et la literie aurait été changée toutes les deux semaines. Chacune de ces cellules aurait disposé d’un fenêtrage d’une superficie supérieure à 1 m². L’intéressé aurait été autorisé à prendre une douche par semaine. La salle de douche aurait été dotée de huit pommeaux de douche. D’une capacité de 16 personnes, elle aurait accueilli deux groupes qui se douchaient l’un après l’autre.
29. Le Gouvernement dit que le requérant était autorisé à faire une heure d’exercice à l’extérieur dans l’une des sept cours, dont deux faisaient 150 et 220 m2 de superficie. L’intéressé aurait également eu la possibilité de participer à des activités sociales deux ou trois fois par semaine pendant environ deux heures et de rester dans la salle de jeux pour regarder la télévision, lire ou jouer à des jeux de société. Enfin, il aurait eu accès à des programmes de radio et de télévision grâce au système de diffusion interne de l’établissement et la possibilité d’emprunter jusqu’à cinq ouvrages par semaine à la bibliothèque carcérale.
30. Le requérant n’aurait jamais été l’objet de sanctions disciplinaires à la maison d’arrêt de Zabrze. Au contraire, il aurait été récompensé à deux reprises pour bonne conduite.
ii. Le requérant
31. Le requérant dit avoir partagé les cellules en question avec deux autres détenus.
32. Il allègue en outre que ces cellules étaient sales et infestées de punaises des lits, de cafards et de moisissures. Ses codétenus auraient fumé des cigarettes toute la journée à l’intérieur des cellules. La literie et les serviettes n’y auraient pas été correctement nettoyées et l’air y aurait été nauséabond. Les détenus s’y seraient lavés à l’eau froide. En outre, il n’y aurait eu ni poste de télévision ni jeu de société dans la salle de jeux et l’intéressé n’aurait jamais été prévenu que l’établissement proposait des activités sociales.
33. Le requérant affirme par ailleurs que le personnel de la maison d’arrêt de Zabrze avait pour pratique de tyranniser les détenus. D’après lui, les surveillants infligeaient des sanctions disciplinaires sous n’importe quel prétexte, mettaient sens dessus dessous des cellules au cours de fréquentes fouilles injustifiées, forçaient des détenus à se déshabiller et à s’accroupir et les empêchaient aussi de s’endormir.
2. Dans la maison d’arrêt de Sosnowiec
a) Faits non contestés
34. Dans la maison d’arrêt de Sosnowiec, entre le 4 janvier et le 5 avril 2006, le requérant fut d’abord placé dans la cellule no 37, d’une superficie de près de 16 m² et partagée par quatre ou cinq personnes, dont lui-même. Du 6 février au 30 mars 2006, il fut incarcéré avec deux autres personnes dans la cellule no 58 de l’aile médicale, d’une superficie de 13 m². Enfin, du 30 mars au 5 avril 2006, il fut détenu dans la cellule no 56, d’une superficie de 10,5 m² et partagée par deux personnes. Lorsque le nombre de nouvelles admissions augmenta à partir de janvier 2006, le directeur de cet établissement décida de réduire l’espace carcéral disponible en deçà du seuil légal et d’en aviser dûment le juge d’application des peines compétent.
b) Faits contestés
i. Le Gouvernement
35. Le Gouvernement dit que les conditions sanitaires dans la maison d’arrêt de Sosnowiec étaient décentes, que chaque cellule disposait d’une annexe sanitaire séparée dotée d’unespace toilettes et d’un lavabo et que les détenus prenaient un bain ou une douche à l’eau chaude chaque semaine. Il ajoute que, dans la cellule de détention no 58, le requérant pouvait prendre un bain par jour et que les détenus avaient accès à l’eau chaude. Selon lui, dans toutes les autres cellules, les détenus pouvaient utiliser un thermoplongeur ou une bouilloire portative. Toutes les cellules auraient été suffisamment éclairées et ventilées. Les détenus auraient disposé d’une heure d’exercice à l’extérieur par jour et auraient été autorisés à utiliser la salle de jeux. La salle de jeux de l’aile IV de la maison d’arrêt de Sosnowiec, où l’intéressé était détenu, aurait été équipée de jeux de société et de tables de baby-foot et de ping-pong. Par ailleurs, dans cet établissement, les détenus auraient eu accès à une bibliothèque et, au printemps et en été, à un terrain de volley-ball.
ii. Le requérant
36. Contestant les allégations ci-dessus, le requérant dit que les conditions sanitaires dans la maison d’arrêt de Sosnowiec étaient inadéquates. Selon lui, les cellules étaient humides et sales, les serviettes et la literie n’étaient pas nettoyées et les détenus se lavaient à l’eau froide.
3. Dans la prison de Herby Stare
a) Faits non contestés
37. Le requérant a séjourné dans la prison de Herby Stare du 22 mai 2006 au 2 avril 2007 et du 4 juin au 28 août 2007. Il y demeure depuis le 7 septembre 2007.
b) Faits contestés
i. Le Gouvernement
38. Le Gouvernement a produit la liste des cellules occupées à différentes périodes par le requérant. Leur superficie varie de 10 à 18 m². Le nombre d’occupants n’a toutefois pas été révélé. Cela étant, le Gouvernement a indiqué que le directeur de la prison avait décidé d’abaisser l’espace carcéral disponible en deçà du seuil légal et que, entre mai 2006 et octobre 2007, il en avait informé le juge d’application des peines à dix-neuf reprises.
39. Le Gouvernement affirme que, dans la prison de Herby Stare, les conditions sanitaires sont décentes, que chaque cellule dispose d’une annexe sanitaire séparée dotée d’un espacetoilettes et d’un lavabo et que les détenus prennent un bain ou une douche à l’eau chaude chaque semaine. La salle de douche serait équipée de 19 pommeaux de douche et quatre ou cinq personnes à la fois y seraient autorisées à se laver.
ii. Le requérant
40. Le requérant dit que toutes les cellules occupées par lui dans la prison de Herby Stare étaient fortement surpeuplées. Ainsi, la cellule no 32, d’une superficie de 18 m2, aurait été partagée par neuf ou dix personnes.
41. Il estime en outre inadéquates les conditions sanitaires dans la prison de Herby Stare. Selon lui, tout comme dans les autres établissements pénitentiaires où il a séjourné, les cellules y sont humides et sales, les serviettes et la literie ne sont pas nettoyées et les détenus se lavent à l’eau froide. L’intéressé ajoute que, dans cette prison, la salle de douche est située dans un bâtiment séparé et que revenir en cellule les cheveux mouillés et sans les bons vêtements pose problème pour les détenus, surtout en hiver. Enfin, il se plaint d’un manque d’intimité du fait que les douches ne seraient pas séparées.
C. Les griefs soulevés par le requérant devant l’administration et les juridictions nationales
42. Le requérant n’a saisi les autorités carcérales d’aucun grief formel fondé sur le code de l’exécution des peines. En revanche, il s’est plaint devant diverses instances nationales, par exemple le médiateur (Rzecznik Praw Obywatelskich), de l’inadéquation de ses soins médicaux et de ses conditions de détention. Il a également formulé plusieurs demandes de mise en liberté pour raisons de santé.
43. Par une lettre du 6 juillet 2006, le requérant fut avisé par le médiateur que ses allégations avaient été jugées mal fondées. Il était souligné qu’il faisait l’objet d’un suivi psychiatrique constant et qu’il avait été hospitalisé chaque fois que nécessaire.
44. Le 31 juillet 2006, le tribunal de district de Myszków rejeta la demande, formulée par l’avocat du requérant, tendant à mettre fin à la détention provisoire de ce dernier pour raisons de santé. Il se fondait sur des rapports médicaux non précisés indiquant que l’intéressé souffrait non pas d’une maladie mentale, mais d’un simple trouble de la personnalité antisocial.
45. Le 23 novembre 2006, le tribunal régional (Sąd Okręgowy) de Częstochowa rejeta un appel interlocutoire formé par le requérant contre le jugement rendu le 28 septembre 2006 par le tribunal de district de Myszków ordonnant son maintien en détention.
46. Le requérant avait soutenu que la maladie mentale dont il souffrait nécessitait sa détention non pas en maison d’arrêt mais dans un établissement psychiatrique. Il s’était appuyé sur un certain nombre de rapports médicaux confirmant son diagnostic de schizophrénie et recommandant qu’il restât sous surveillance psychiatrique.
47. Le tribunal régional de Częstochowa jugea que rien ne s’opposait au séjour du requérant en maison d’arrêt. Il dit que, si un certain nombre de psychiatres d’établissements médicaux tant publics que pénitentiaires avaient certes ordonné la mise sous surveillance psychiatrique de l’intéressé, leur diagnostic n’était pas crédible étant donné qu’ils ne le connaissaient pas depuis longtemps et qu’ils n’avaient pas eu intégralement accès à son dossier médical. Il s’appuyait plutôt sur le rapport d’experts psychiatres de l’hôpital de Rybnik, qui avait conclu que le requérant ne souffrait d’aucun trouble psychotique. Il souligna que, à la différence des autres expertises, ce dernier rapport était complet car établi à l’issue du séjour de cinq semaines effectué par l’intéressé en observation psychiatrique dans cet établissement en 2005 et fondé sur son dossier médical relatant ses antécédents psychiatriques antérieurs à sa détention. Toutefois, ayant donné acte des contradictions dans les rapports médicaux présentés devant lui, il recommanda la mise à jour de l’expertise de l’hôpital psychiatrique de Rybnik, tout en refusant néanmoins de mettre fin à la détention provisoire du requérant en maison d’arrêt.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Dispositions constitutionnelles pertinentes[1]
48. L’article 2 de la Constitution est ainsi libellé :
« La République de Pologne est un Etat démocratique de droit mettant en œuvre les principes de la justice sociale. »
L’article 40 de la Constitution se lit ainsi dans ses parties pertinentes :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
L’article 41 de la Constitution dispose, dans ses parties pertinentes :
« 4. Toute personne privée de liberté est traitée humainement. »
B. Principes généraux relatifs aux conditions de détention
1. Le code de l’exécution des peines
49. En son article 110, le code de l’exécution des peines (Kodeks karny wykonawczy) dispose :
« 1. Tout condamné est placé en cellule individuelle ou partagée.
2. L’espace dont chaque détenu dispose dans sa cellule ne peut être inférieur à 3 m². »
Son article 248 est ainsi libellé :
« 1. Dans les cas jugés particulièrement justifiés, le directeur d’un établissement pénitentiaire peut décider que, pendant une période déterminée, les détenus disposeront dans leur cellule d’un espace inférieur à 3 m² par personne. Il en avise alors le juge d’application des peines compétent.
2. Le ministre de la Justice fixe, par voie d’ordonnance, les règles que les autorités compétentes devront suivre en cas de dépassement de la capacité d’accueil globale dans l’ensemble des établissements pénitentiaires du pays (…) ».
2. Les ordonnances de 2000 et 2003
50. Le 26 octobre 2000, en application de l’article 248 § 2 du code de l’exécution des peines, le ministre de la Justice adopta une ordonnance fixant les règles à suivre par les autorités compétentes en cas de dépassement de la capacité d’accueil globale dans l’ensemble des établissements pénitentiaires du pays (Rozporzadzenie Ministra Sprawiedliwosci w sprawie trybu postepowania wlasciwych organow w wyapdku, gdy liczba osadzonych w zakladach karnych lub aresztach sledczych przekroczy w skali kraju ogolna pojemnosc tych zakladow ; « l’ordonnance de 2000 »). Le 26 août 2003, il prit une nouvelle ordonnance portant le même intitulé (« l’ordonnance de 2003 »), laquelle remplaça la première et entra en vigueur le 1erseptembre 2003.
Le paragraphe 1, alinéa 1, de l’ordonnance de 2003 dispose :
« Dès lors que le nombre de personnes détenues dans les établissements pénitentiaires dépasse, dans l’ensemble du pays, leur capacité d’accueil globale, le directeur général des services pénitentiaires en informe, dans les sept jours à compter de la date du constat de dépassement, le ministre de la Justice, les directeurs régionaux des services pénitentiaires ainsi que les directeurs des établissements pénitentiaires. (…) »
Voici les parties pertinentes du paragraphe 2 de ce texte :
« 1. Une fois reçue l’information mentionnée au paragraphe précédent, les directeurs régionaux des services pénitentiaires ainsi que les directeurs des établissements pénitentiaires prennent, chacun dans le cadre de leurs propres attributions, des mesures en vue de convertir en cellules, en les mettant aux normes requises, des locaux qui à l’origine n’étaient pas affectés à cette fin.
(…)
3. En cas de dépassement de la capacité d’accueil dans un établissement pénitentiaire donné, les détenus peuvent être placés, pendant une période déterminée, dans des cellules réaménagées.
4. Au cas où le nombre de places obtenues après le réaménagement des cellules s’avérerait insuffisant, les détenus peuvent être placés dans des conditions telles que chacun d’eux disposera d’une surface inférieure à 3 m² ».
C. Les soins médicaux et psychiatriques en milieu carcéral
51. L’obligation générale incombant à l’Etat de protéger les personnes atteintes de handicaps mentaux découle de la loi du 19 août 1994 sur la protection de la santé mentale (Ustawa o ochronie zdrowia psychicznego ; « la loi de 1994 »), entrée en vigueur le 21 janvier 1995. Ce texte reconnaît le droit à la protection de la santé mentale comme un droit fondamental de la personne.
Le code de procédure pénale et le code de l’exécution des peines, ainsi qu’un certain nombre d’ordonnances adoptées par le ministère de la Justice, énoncent des règles spéciales régissant la détention en établissement médical et les traitements psychiatriques en milieu carcéral.
L’article 259, paragraphe 1, du code de procédure pénale dispose que, sauf si des raisons particulières s’y opposent, toute détention provisoire risquant de mettre en danger la vie ou la santé de la personne concernée doit être écartée.
En revanche, l’article 260 de ce même code prévoit que
« Si l’état de santé du prévenu l’impose, [sa] détention provisoire peut prendre la forme d’un placement dans un établissement médical approprié. »
Voici ce que dit l’article 213 du code de l’exécution des peines :
« Dans les cas énoncés par le code de procédure pénale, la détention provisoire s’effectue hors d’une maison d’arrêt, dans un établissement médical indiqué par l’autorité responsable du détenu. Cette même autorité donne également des instructions sur les conditions du placement de l’intéressé dans ledit établissement ».
Sur la base de l’article 115, paragraphe 10, du code de l’exécution des peines, le ministre de la Justice a adopté l’ordonnance du 31 octobre 2003 précisant les règles, l’étendue et la procédure des prestations médicales offertes aux personnes privées de leur liberté par les établissements de santé chargés de celles-ci (Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości w sprawie szczegółowych zasad, zakresu i trybu udzielania świadczeń zdrowotnych osobom pozbawionym wolności przez zakłady opieki zdrowotnej dla osób pozbawionych wolności ; « l’ordonnance d’octobre 2003 »), entrée en vigueur le 17 décembre 2003.
Aux termes du paragraphe 1.1 de l’ordonnance d’octobre 2003, les établissements de santé chargés des personnes privées de liberté proposent notamment à celles-ci des examens et traitements médicaux et psychologiques, ainsi que des soins préventifs.
Le paragraphe 1.2 de l’ordonnance d’octobre 2003 ajoute :
« 2. Dans les cas jugés justifiés, si les établissements de santé chargés des personnes privées de liberté ne peuvent assurer à celles-ci les prestations médicales énumérées à l’alinéa précédent, notamment lorsque l’équipement médical spécialisé fait défaut, ces prestations peuvent être fournies par les établissements de santé publics. »
3. Dans les cas énoncés à l’alinéa 2 du présent article, le directeur d’un établissement de santé chargé de personnes privées de liberté décide si les prestations médicales [assurées par les établissements de santé publics] sont nécessaires ou non (…) »
Le paragraphe 7 de l’ordonnance d’octobre 2003 prévoit :
« 1. Un médecin d’établissement pénitentiaire ou, en son absence, un infirmier décide du placement d’une personne privée de sa liberté dans l’aile médicale dudit établissement (…)
2. Le directeur d’un hôpital pénitentiaire ou un médecin de la prison habilité décide s’il est nécessaire ou non de placer une personne privée de sa liberté dans ledit hôpital. »
Le paragraphe 11 de l’ordonnance d’octobre 2003 dispose :
« S’il y a lieu de penser qu’une personne privée de sa liberté souffre de troubles mentaux, d’arriération mentale (…), le médecin de la prison :
1) donne des instructions sur le séjour de l’intéressé en prison, ainsi que sur les modalités du suivi et du traitement [de la personne concernée] ;
2) ordonne à l’intéressé de subir un examen psychiatrique. »
Voici ce que dit le paragraphe 12.1 de l’ordonnance d’octobre 2003 :
« Une personne privée de liberté doit être placée dans l’aile psychiatrique d’un hôpital pénitentiaire
1) si le juge a ordonné son examen assorti d’un suivi psychiatrique ;
2) [si cette mesure a été] ordonnée, conformément aux dispositions de la loi du 19 août 1994 sur la protection de la santé mentale, par un psychiatre à la suite d’un diagnostic de troubles mentaux appelant un examen ou un traitement en établissement. »
Le paragraphe 13 de l’ordonnance d’octobre 2003 prévoit en outre que
« Dans les cas jugés justifiés, si, à l’issue d’un examen et d’un suivi psychiatriques, il est diagnostiqué, sur la base d’une décision d’un médecin-chef, qu’une personne privée de sa liberté souffre d’une maladie mentale, d’arriération mentale ou de tout autre trouble mental (…), cette personne doit rester internée dans l’aile psychiatrique de l’hôpital pénitentiaire jusqu’à ce que le juge compétent statue ».
52. Sur la base de l’article 249 du code de l’exécution des peines, le ministre de la Justice a adopté l’ordonnance du 25 août 2003 relative au code de pratique pour l’organisation et les modalités de la détention provisoire (Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości w sprawie regulaminu organizacyjno-porządkowego wykonywania tymczasowego aresztowania ; « l’ordonnance d’août 2003 »), entrée en vigueur le 1er septembre 2003.
L’ordonnance d’août 2003 dispose que la détention provisoire se déroule en maison d’arrêt. Toutefois, son paragraphe 28 prévoit ceci :
« 1. En ce qui concerne les détenus hospitalisés (…), ainsi que les [détenus] atteints de maladies chroniques, le directeur [d’une maison d’arrêt] peut, à la demande d’un médecin ou après avoir consulté celui-ci, prévoir toute exception nécessaire aux modalités de détention provisoire telles qu’énoncées dans le code de pratique, pourvu que pareille mesure soit justifiée par l’état de santé des détenus concernés.
2. L’alinéa 1 du présent paragraphe s’applique aux détenus chez qui sont diagnostiqués des troubles mentaux non psychotiques, une arriération mentale (…) Le directeur [d’une maison d’arrêt] peut, à la demande ou après consultation d’un médecin ou d’un psychologue, prévoir toute exception [nécessaire]. »
53. Les règles régissant la collaboration entre les établissements de santé pénitentiaires et publics sont énoncées dans l’ordonnance adoptée par le ministère de la Justice le 10 septembre 2003, qui précise les règles, l’étendue et la procédure de la collaboration entre les établissements de santé publics et les services de santé pénitentiaires aux fins des prestations médicales assurées aux personnes privées de leur liberté (Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości w sprawie szczegółowych zasad, zakresu i trybu współdziałania zakładów opieki zdrowotnej ze służbą zdrowia w zakładach karnych i aresztach śledczych w zapewnianiu świadczeń zdrowotnych osobom pozbawionym wolności), entrée en vigueur le 17 octobre 2003.
(…)
F. Pratique constitutionnelle
1. La plainte introduite par le médiateur
60. Par une plainte formulée le 13 décembre 2005 en vertu de l’article 191 de la Constitution, combiné avec son article 188, le médiateur pria la Cour constitutionnelle (skarga konstytucyjna) de déclarer l’ordonnance de 2003 contraire à la Constitution. Plus précisément, il demandait à la haute juridiction de juger ce texte incompatible avec les articles 40 et 41 de la Constitution et avec l’article 3 de la Convention. Il contestait en particulier le paragraphe 2, alinéa 4, de l’ordonnance de 2003, qui permettait aux autorités carcérales de placer indéfiniment un détenu dans une cellule d’une superficie inférieure à 3 m2 par personne. Selon lui, cette disposition contredisait l’article 248 du code de l’exécution des peines, en vertu duquel pareille mesure revêt un caractère provisoire, et avait pour effet de légitimer le surpeuplement chronique des établissements pénitentiaires polonais.
Le 18 avril 2006, le médiateur limita la portée de sa plainte initiale, priant la Cour constitutionnelle de juger l’alinéa 4 du paragraphe 2 de l’ordonnance de 2003 contraire à l’article 41 de la Constitution polonaise.
Le 19 avril 2006, soit la veille de la date prévue pour l’audience devant la Cour constitutionnelle, le ministre de la Justice abrogea dans son intégralité l’ordonnance dénoncée et la remplaçapar une autre portant le même intitulé et prenant effet immédiatement (« l’ordonnance de 2006 »). Cette dernière reprend intégralement les dispositions du texte abrogé, sauf l’alinéa 4 du paragraphe 2, qui a été modifié et se lit à présent comme suit :
« Au cas où le nombre de places obtenues après le réaménagement des cellules s’avérerait insuffisant, les détenus peuvent être placés, pendant une période déterminée, dans des conditions telles que chacun d’eux disposera d’une surface inférieure à 3 m² ».
Cette modification amena le médiateur à retirer sa plainte le 19 avril 2006.
2. L’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 26 mai 2008
61. Le 22 mai 2006, J.G., une personne qui purgeait alors une peine d’emprisonnement, saisit la Cour constitutionnelle en vertu de l’article 191 de la Constitution, combiné avec son article 79, l’invitant à déclarer inconstitutionnel l’article 248 du code de l’exécution des peines. Il soutenait que la disposition attaquée méconnaissait notamment l’interdiction de la torture et des traitements ou peines inhumains et dégradants, telle que découlant des articles 40 et 41 de la Constitution. Il critiquait notamment l’article 248 en ce qu’il aurait permis de placer indéfiniment des détenus dans des cellules d’une superficie inférieure au seuil légal.
Par un arrêt du 26 mai 2008, la Cour constitutionnelle a jugé, entre autres, que l’article 248 du code de l’exécution des peines était contraire aux articles 40 (interdiction de la torture et des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants), 41 § 4 (droit pour un détenu d’être traité avec humanité) et 2 (principe de l’état de droit) de la Constitution. Elle a souligné que la disposition attaquée manquait de clarté et de précision, ce qui permettait de l’interpréter d’une manière excessivement large.
La Cour constitutionnelle a relevé que, en pratique, cette disposition permettait de placer indéfiniment et arbitrairement des détenus dans des cellules d’une superficie inférieure au seuil légal de 3 m² par personne, ce qui était à l’origine de la surpopulation chronique au sein des établissements pénitentiaires polonais et exposait les détenus à un risque de traitementsinhumains. Elle a observé que la surpopulation carcérale devait être considérée comme un grave problème menaçant en permanence la réinsertion des détenus. Elle a ajouté que ce phénomène pouvait être qualifié en lui-même de traitement inhumain et dégradant, voire de torture en cas de circonstances aggravantes. Elle a constaté à cet égard que le seuil légal de 3 m2par personne était déjà l’un des plus bas d’Europe.
La Cour constitutionnelle a souligné en outre que l’article 248 n’était censé s’appliquer que dans des cas jugés particulièrement justifiés, par exemple un défaut de construction ou l’écroulement d’un bâtiment carcéral. Une disposition de ce type ne devait laisser aucun doute quant à la définition des cas autorisés, à la superficie minimale des cellules et à la durée maximale de la période d’application des nouveaux seuils. Elle devait en outre énoncer des principes clairs précisant le nombre de fois où un détenu pouvait être placé dans des conditions inférieures aux minima légaux ainsi que les règles procédurales à suivre en pareil cas. Or, en pratique, l’article 248 donnait aux directeurs d’établissements pénitentiaires un large pouvoir discrétionnaire pour dire ce qui constituait un « cas jugé particulièrement justifié », légitimant ainsi la surpopulation permanente de ces établissements. Il permettait de placer indéfiniment les détenus dans une cellule d’une superficie inférieure au seuil légal, sans prévoir de minima autorisés.
Compte tenu de « la surpopulation permanente des établissements pénitentiaires polonais », la Cour constitutionnelle a considéré que l’article 248, jugé inconstitutionnel, devait être abrogé dans les dix-huit mois à compter de la date de publication de son arrêt. Elle a justifié ce délai par la nécessité d’adopter un train de mesures visant à réorganiser le système pénitentiaire polonais dans son ensemble et, à terme, à éliminer le problème de surpeuplement. Elle a également noté que, parallèlement, une réforme de la politique pénale était souhaitable, afin de recourir plus souvent aux mesures préventives autres que la privation de liberté. Elle a ajouté que la prise d’effet immédiate de son arrêt n’aurait fait qu’aggraver la situation problématique déjà existante où, faute de place dans les établissements pénitentiaires polonais, de nombreux condamnés ne peuvent purger leur peine d’emprisonnement. A la date du prononcé de son arrêt, ce problème touchait environ 40 000 personnes.
Par ailleurs, en vertu du principe appelé « droit de privilège » (przywilej korzyści), la Cour constitutionnelle a ordonné l’adoption d’une mesure individuelle, à savoir que, immédiatement après sa publication, son arrêt entrerait en vigueur à l’égard de l’auteur de la requête constitutionnelle. Ce principe est appliqué par elle lorsqu’un recours formé par une personne est clos par un arrêt dont la prise d’effet est ajournée. Il vise à récompenser, pour son sens de l’initiative, la personne qui a été la première à saisir la haute juridiction pour que celle-ci tranche une question particulière.
Pour ce qui est des circonstances de l’affaire en question, les instances de l’Etat qui ont participé à la procédure devant la Cour constitutionnelle, à savoir le procureur général, le médiateur et le président du Sejm, avaient toutes reconnu l’existence de la surpopulation carcérale en Pologne. Dans ses conclusions du 6 décembre 2007, le procureur général avait dit que ce problème de surpopulation persistait déjà depuis 2000 et était dû à la mauvaise interprétation donnée par les juridictions et les autorités pénitentiaires nationales aux dispositions dénoncées. Il avait fait remarquer en outre que, avec un taux de surpeuplement ayant atteint jusqu’à 118,9 % le 31 août 2007, lesdites autorités estimaient que 15 000 nouvelles places étaient nécessaires afin de garantir aux détenus la superficie légale de 3 m² par personne.
III. TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS
62. Voici les parties pertinentes de la Recommandation R (98) 7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire :
« I. Aspects principaux du droit aux soins de santé en milieu pénitentiaire
A. Accès à un médecin
1. Lors de leur admission dans un établissement pénitentiaire et ultérieurement, pendant leur séjour, les détenus devraient avoir accès, si leur état de santé le nécessite, à tout moment et sans retard, à un médecin ou à un(e) infirmier(ère) diplômé(e), quel que soit leur régime de détention. Tous les détenus devraient bénéficier d’une visite médicale d’admission. L’accent devrait être mis sur le dépistage des troubles mentaux, l’adaptation psychologique à la prison, les symptômes de sevrage à l’égard des drogues, des médicaments ou de l’alcool et les affections contagieuses et chroniques.
(…)
3. Un service de santé en milieu pénitentiaire devrait assurer au minimum des consultations ambulatoires et des soins d’urgence. Lorsque l’état de santé des détenus exige des soins qui ne peuvent être assurés en prison, tout devrait être mis en œuvre afin que ceux-ci puissent être dispensés en toute sécurité dans des établissements de santé en dehors de la prison.
4. Les détenus devraient, si nécessaire, avoir accès à un médecin à toute heure du jour et de la nuit. Dans chaque établissement, une personne compétente pour donner les premiers soins devrait en permanence être présente. En cas d’urgence grave, le médecin, un membre du personnel soignant et la direction devraient être alertés. La participation active et l’engagement du personnel de surveillance sont primordiaux.
5. Un accès à des consultations et à des conseils psychiatriques devrait être garanti. Dans les grands établissements pénitentiaires, une équipe psychiatrique devrait être présente. A défaut, dans les petits établissements, des consultations devraient être assurées par un psychiatre hospitalier ou privé.
(…)
III. L’organisation des soins de santé dans les prisons notamment du point de vue de la gestion de certains problèmes courants
(…)
D. Symptômes psychiatriques : troubles mentaux et troubles graves de la personnalité, risque de suicide
55. Les détenus souffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié. La décision d’admettre un détenu dans un hôpital public devrait être prise par un médecin psychiatre sous réserve de l’autorisation des autorités compétentes.
(…)
58. Les risques de suicide devraient être appréciés en permanence par le personnel médical et pénitentiaire. Suivant le cas, si des mesures de contrainte physique conçues pour empêcher les détenus malades de se porter préjudice à eux-mêmes ont été utilisées, une surveillance étroite et permanente et un soutien relationnel devraient être utilisés pendant les périodes de crise. (…) »
63. Voici les parties pertinentes de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
Prenant en compte la Convention européenne des Droits de l’Homme ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme ;
(…)
Recommande aux gouvernements des Etats membres :
– de suivre dans l’élaboration de leurs législations ainsi que de leurs politiques et pratiques les règles contenues dans l’annexe à la présente recommandation qui remplace la Recommandation no R (87) 3 du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes ;
(…)
Annexe à la Recommandation Rec(2006)2
(…)
12.1 Les personnes souffrant de maladies mentales et dont l’état de santé mentale est incompatible avec la détention en prison devraient être détenues dans un établissement spécialement conçu à cet effet.
12.2 Si ces personnes sont néanmoins exceptionnellement détenues dans une prison, leur situation et leurs besoins doivent être régis par des règles spéciales.
(…)
39. Les autorités pénitentiaires doivent protéger la santé de tous les détenus dont elles ont la garde.
(…)
40.3 Les détenus doivent avoir accès aux services de santé proposés dans le pays sans aucune discrimination fondée sur leur situation juridique.
40.4 Les services médicaux de la prison doivent s’efforcer de dépister et de traiter les maladies physiques ou mentales, ainsi que les déficiences dont souffrent éventuellement les détenus.
40.5 A cette fin, chaque détenu doit bénéficier des soins médicaux, chirurgicaux et psychiatriques requis, y compris ceux disponibles en milieu libre.
(…)
47.1 Des institutions ou sections spécialisées placées sous contrôle médical doivent être organisées pour l’observation et le traitement de détenus atteints d’affections ou de troubles mentaux qui ne relèvent pas nécessairement des dispositions de la Règle 12.
47.2 Le service médical en milieu pénitentiaire doit assurer le traitement psychiatrique de tous les détenus requérant une telle thérapie et apporter une attention particulière à la prévention du suicide. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
64. Le requérant allègue que ses conditions de détention sont très mauvaises et ne sont notamment pas conformes aux normes requises pour les personnes dans son état. Il allègue en outre que les soins médicaux qui lui sont dispensés dans le système pénitentiaire sont inadéquats et que son état de santé s’est détérioré. Il soutient qu’il devrait être placé dans un établissement psychiatrique adapté plutôt qu’en milieu carcéral.
Les griefs du requérant relèvent de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
1. Quant à l’exception préliminaire du Gouvernement
65. Le Gouvernement excipe de ce que le requérant n’aurait pas épuisé les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes.
a) Le Gouvernement
66. Le Gouvernement soutient que, si le requérant a saisi diverses instances de l’Etat d’un certain nombre de plaintes, celles-ci soit n’avaient pas pour objet les conditions de détention de l’intéressé, soit n’ont pas été formulées conformément aux règles procédurales.
67. Le Gouvernement soutient en outre que le code de l’exécution des peines offrait au requérant plusieurs voies de droit effectives, notamment un recours contre toute décision illicite d’une autorité carcérale ou encore une plainte devant le juge d’application des peines au sujet de ses conditions de détention, même en l’absence de décision formelle en la matière.
(…)
2. Principes généraux régissant la question de l’épuisement des voies de recours internes
71. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose à tout requérant de se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, parmi d’autres précédents, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions1996‑IV).
72. En matière d’épuisement des voies de recours internes, il y a une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (ibid., § 68).
En outre, l’article 35 § 1 doit être appliqué avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique général dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants (ibid., § 69).
3. Application en l’espèce des principes ci-dessus
a) En ce qui concerne les plaintes déposées auprès des autorités carcérales
73. Dans certaines circonstances, la saisine de l’administration peut passer pour un recours effectif s’agissant des plaintes concernant l’application ou la mise en œuvre des règlements pénitentiaires (voir, parmi de nombreux autres précédents, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 65, série A no 131). Un détenu qui veut tirer grief de ses conditions de détention peut certes être tenu en principe d’aller devant le juge d’application des peines. Néanmoins, le requérant étant atteint de problèmes psychiatriques qui ont amoindri ses facultés mentales, il ne fallait pas exiger de lui ni s’attendre à ce qu’il usât, avec le plus grand soin, de tous les recours ouverts par le code de l’exécution des peines.
74. S’il est vrai que le requérant n’a pas déposé de plainte formelle en vertu des dispositions du code de l’exécution des peines évoquées par le Gouvernement, les autorités carcérales étaient au fait de sa situation. En effet, dans ses nombreuses demandes de mise en liberté et dans sa plainte distincte portée devant le médiateur, l’intéressé avait dit que ses traitements médicaux et ses conditions de détention étaient inadéquats (voir Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 70, 28 mars 2006). La plainte soumise au médiateur a été jugée mal fondée et, pour le même motif, les tribunaux polonais ont rejeté les demandes d’élargissement (paragraphes 42 à 45 ci‑dessus). Le maintien en détention a été prononcé malgré les contradictions dans les rapports médicaux quant à l’état mental du requérant (paragraphe 47 ci-dessus).
75. La Cour note par ailleurs que, dans son arrêt récent, la Cour constitutionnelle a elle-même qualifié la surpopulation carcérale en Pologne de problème structurel affectant une bonne partie des détenus et persistant depuis 2000 d’un bout à l’autre du pays (paragraphe 61 ci-dessus). Elle rappelle en outre que, à l’époque des faits, les directeurs des établissements pénitentiaires dans lesquels le requérant a séjourné ont reconnu officiellement l’existence de cette surpopulation et décidé d’abaisser le seuil légal de 3 m² par personne (paragraphes 27, 33 et 37 ci-dessus).
Dans ces conditions, la saisine par le requérant des autorités carcérales pour obtenir d’elles une amélioration des conditions de détention ne pouvait passer pour une démarche offrant des perspectives suffisantes de succès. En formulant les griefs adéquats auprès du médiateur et des tribunaux qui se sont prononcés sur sa détention provisoire, l’intéressé a suffisamment attiré l’attention sur sa situation pour ce qui est tant de ses soins médicaux que de ses conditions globales de détention.
(…)
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
83. Le requérant allègue que les soins médicaux qui lui sont dispensés dans le système pénitentiaire sont inadéquats et que son état de santé s’est détérioré. Il allègue en outre que ses conditions de détention sont très mauvaises et ne sont notamment pas conformes aux normes requises pour les personnes dans son état. Il soutient qu’il devrait être placé dans un établissement psychiatrique adapté plutôt qu’en milieu carcéral.
84. Le Gouvernement estime que les soins dénoncés n’atteignent pas le minimum de gravité requis pour relever de l’article 3. Le requérant ferait l’objet d’un suivi médical constant. Il consulterait régulièrement des généralistes ou des spécialistes selon ses souhaits et ses besoins. Chaque fois que nécessaire, il serait traité en urgence dans un établissement spécialisé. Globalement, les autorités compétentes surveilleraient minutieusement et fréquemment son état de santé et lui administreraient les soins médicaux qui s’imposent. Par ailleurs, les conditions de vie et d’hygiène de l’intéressé au cours de sa détention seraient adéquates.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
85. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000‑XI, et Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001‑III). Bien que le but du traitement soit un élément à prendre en compte, pour ce qui est de savoir en particulier s’il visait à humilier ou rabaisser la victime, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3(Peers, précité, § 74).
86. On ne peut déduire de l’article 3 une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le transférer dans un hôpital civil, alors même qu’il serait atteint d’une maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002‑IX). Toutefois, cette disposition impose bel et bien à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła, précité, § 94, et Mouisel, précité, § 40).
87. La Cour a jugé à de nombreuses reprises que la détention d’une personne malade peut poser problème sur le terrain de l’article 3 de la Convention (Mouisel, précité, § 37) et que le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 3 (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000‑VII ; Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004, et Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004). En particulier, pour apprécier la compatibilité ou non des conditions de détention en question avec les exigences de l’article 3, il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne (voir, par exemple, Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244, et Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 66, Recueil 1998‑V).
88. La Cour rappelle que, pour statuer sur l’aptitude ou non d’une personne à la détention au vu de son état, trois éléments particuliers doivent être pris en considération : a) son état de santé, b) le caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention, et c) l’opportunité de son maintien en détention compte tenu de son état de santé (Mouisel, précité, §§ 40-42 ; Melnik, précité, § 94, et Rivière c. France, no 33834/03, § 63, 11 juillet 2006).
b) Application en l’espèce des principes ci-dessus
89. La Cour constate que nul ne conteste l’existence des problèmes de santé du requérant, à savoir ses troubles mentaux graves et chroniques, notamment sa schizophrénie. L’intéressé souffre d’hallucinations, nourrit des pensées suicidaires et a tenté de se pendre en janvier 2006 (paragraphes 6, 9, 13, 14, 16, 19 et 23 ci-dessus).
Il faut donc rechercher en l’espèce si l’état de santé du requérant est compatible avec sa détention dans un établissement destiné à accueillir des personnes en bonne santé, où il n’est pas traité ni surveillé quotidiennement par un personnel médical spécialisé. Il faut examiner en outre si cette situation a atteint le minimum de gravité nécessaire pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention.
90. La Cour constate que le requérant est incarcéré depuis avril 2005, à l’exception d’une courte interruption entre le 28 août et le 7 septembre 2007, pendant laquelle il a été autorisé à revenir chez lui. Au cours de la plus grande partie de sa détention, qui a duré près de trois années et demie, il a été placé en milieu carcéral ordinaire en compagnie de personnes en bonne santé (paragraphes 8, 10, 11, 12, 15 à 17, 23 et 24 ci-dessus).
91. Pour ce qui est des soins médicaux dispensés à l’intéressé, la Cour constate que, entre les mois d’avril et juillet 2005 et d’avril et juin 2007, il a été transféré dans un hôpital psychiatrique pour y être soigné (paragraphes 10 et 22 ci-dessus). A trois reprises, il a été traité d’urgence dans un établissement de ce type (paragraphes 9, 13 et 15 ci-dessus). Les pièces médicales produites par les parties indiquent qu’il est régulièrement traité à l’aide de médicaments, notamment de psychotropes. Il a accès aux médecins pénitentiaires et, sur rendez-vous, à des spécialistes, y compris des psychiatres.
92. La Cour constate en revanche que, depuis qu’il est incarcéré, à l’exception des deux périodes susmentionnées en 2005 et 2007 où il a été transféré dans un établissement psychiatrique, le requérant partage sa cellule avec des détenus en bonne santé et que, hormis les cas d’urgence médicale, il est soumis au même régime qu’eux, malgré la particularité de son état. Il ressort du dossier que la quasi-totalité des médecins qui ont examiné l’intéressé au cours des différents stades de sa détention ont suggéré qu’il demeurât sous surveillance psychiatrique régulière. Il est donc clair que, sauf à s’exposer à de graves risques pour sa santé, le requérant a besoin d’être constamment suivi par des spécialistes. Or, bien qu’il ait plus ou moins régulièrement accès aux médecins pénitentiaires, il n’est pas resté sous surveillance psychiatrique et ne peut consulter un psychiatre qu’en cas d’urgence ou sur rendez-vous.
93. La Cour constate avec préoccupation que, après sa tentative de suicide le 23 janvier 2006 à la maison d’arrêt de Sosnowiec, le requérant n’a été examiné que par un médecin de l’établissement. Ce n’est que le lendemain qu’il a pu voir un psychiatre, mais seulement en consultation externe. Ce même jour, il a été renvoyé dans sa maison d’arrêt car, faute de place, deux hôpitaux psychiatriques avaient refusé son admission.
94. La Cour conclut de ces éléments que, si le maintien en détention du requérant n’est pas en lui-même incompatible avec son état de santé, son placement dans des établissements inaptes à l’incarcération des malades mentaux pose de graves problèmes au regard de la Convention.
95. En outre, la Cour juge préoccupantes les conditions de vie et d’hygiène dans les établissements où le requérant a séjourné et séjourne encore. Si les observations des parties divergent sur ce point, il n’est pas contesté que, au moment des faits, tous ces établissements étaient confrontés à un problème de surpopulation (paragraphes 27, 33 et 37 ci-dessus). Le Gouvernementn’a pas contredit le requérant lorsque celui-ci a dit que, à la maison d’arrêt de Zabrze, il avait partagé sa cellule de 6,7 m2 avec deux autres personnes, que, à la maison d’arrêt de Sosnowiec, il avait été placé au départ dans une cellule de 16 m² en compagnie de quatre ou cinq autres codétenus et enfin que, d’une superficie de 18 m² seulement, la cellule no 32 de la prison de Herby Stare était occupée par neuf ou dix personnes. La Cour constate par ailleurs que, dans ces établissements, le requérant n’a eu droit qu’à une heure d’exercice à l’extérieur par jour et que, en réalité, son accès à une bibliothèque et à une salle de jeux était très limité (paragraphes 29 et 34 ci‑dessus). Enfin, au vu des observations contradictoires présentées par les parties, elle n’est pas convaincue de la conformité aux normes minimales requises des conditions de vie et d’hygiène dans ces mêmes établissements (paragraphes 28, 31, 34, 35, 38 et 40 ci-dessus).
La Cour estime que, déjà inadéquates pour toute personne privée de sa liberté, ces conditions l’étaient encore davantage pour une personne comme le requérant, qui a des antécédents de troubles mentaux et a besoin d’un traitement spécialisé. A cet égard, elle rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle dans lequel celle-ci a jugé que la surpopulation carcérale pouvait être qualifiée en elle-même de traitement inhumain et dégradant, voire de torture en cas de circonstances aggravantes (paragraphe 61 ci-dessus).
96. Les détenus atteints de troubles mentaux risquent incontestablement de se sentir davantage en situation d’infériorité et d’impuissance. C’est pourquoi une vigilance accrue s’impose dans le contrôle du respect de la Convention. S’il appartient aux autorités médicales de décider – sur la base des règles reconnues de leur science – des moyens thérapeutiques à employer pour préserver la santé physique et mentale des malades entièrement incapables d’autodétermination et dont elles ont donc la responsabilité, ceux-ci n’en demeurent pas moins protégés par l’article 3.
La Cour reconnaît que la nature même de l’état mental du requérant le rend plus vulnérable que le détenu moyen et que sa détention dans les conditions susmentionnées, à l’exception des deux brèves périodes en 2005 et 2007 pendant lesquelles il a été transféré en milieu médical, a pu aggraver dans une certaine mesure son sentiment de détresse, d’angoisse et de peur. A cet égard, elle considère que le défaut de placement de l’intéressé par les autorités, pendant la plus grande partie de sa détention, dans un établissement psychiatrique adapté ou dans une maison pénitentiaire dotée d’un pavillon psychiatrique spécialisé l’a forcément exposé à un risque pour sa santé et a dû être source pour lui de stress et d’angoisse.
Enfin, la Cour juge que l’application au requérant, malgré la particularité de son état de santé, d’un régime dans une large mesure identique à celui de ses codétenus montre que les autorités n’ont pas la volonté d’améliorer ses conditions de détention en conformité avec les recommandations du Conseil de l’Europe. En particulier, elle note que les recommandations pertinentes du Comité des Ministres aux Etats membres, à savoir la Recommandation R (98) 7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire et la Recommandation Rec(2006)2 sur les Règles pénitentiaires européennes, prévoient que les détenus souffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié (paragraphes 62 et 63 ci-dessus). Dans des arrêts récents, elle a attiré l’attention des autorités sur l’importance de ces recommandations, fussent-elles non contraignantes pour les Etats membres (Dybeku c. Albanie, no 41153/06, § 48, 18 décembre 2007 ; Rivière, précité, § 72, et Naoumenko, précité, § 94).
c) Conclusion
97. Au vu des faits de l’espèce dans leur ensemble, et en particulier des effets cumulatifs des soins médicaux inadéquats dispensés au requérant et des conditions inappropriées de son séjour en détention provisoire, qui ont manifestement nui à sa santé et à son bien-être (Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 98, CEDH 2002‑VI), la Cour conclut que la nature, la durée et la gravité du mauvais traitement dont a fait l’objet l’intéressé suffisent à le qualifier d’inhumain et de dégradant (Egmez c. Chypre, no 30873/96, § 77, CEDH 2000‑XII ; Labzov c. Russie, no62208/00, § 45, 16 juin 2005, et Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 42, 20 janvier 2005).
98. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention.
(…)
III. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION
102. Aux termes de l’article 46 de la Convention,
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
103. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
104. Le requérant réclame 250 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel et dommage moral que lui auraient causé les faits dont il tire grief devant la Cour, à savoir la non-conformitéaux normes requises, pour les personnes dans son état, de ses conditions de détention depuis 2005, l’inadéquation des soins médicaux qui lui sont dispensés en milieu pénitentiaire et son placement en maison pénitentiaire alors qu’il devrait être plutôt transféré dans un établissement psychiatrique adapté.
105. Le Gouvernement conteste ce montant qu’il juge infondé et exorbitant.
A. Article 46
106. La Cour rappelle que, conformément à l’article 46 de la Convention, lorsqu’elle constate une violation, l’Etat défendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à intégrer dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à ladite violation et d’en effacer autant que possible les conséquences (Broniowski c. Pologne [GC], no31443/96, § 192, CEDH 2004‑V, et Dybeku, précité, § 63).
107. La gravité et le caractère structurel du problème de surpeuplement carcéral en Pologne et de l’inadéquation qui en résulte des conditions de vie et d’hygiène dans les établissements pénitentiaires ayant été reconnus par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 28 mai 2008 ainsi que par d’autres instances de l’Etat défendeur (paragraphes 27, 33, 37 et 61 ci-dessus), la Cour considère que les mesures législatives et administratives nécessaires doivent être rapidement adoptées afin d’assurer des conditions de détention appropriées aux détenus, et en particulier des conditions et des traitements médicaux adéquats pour ceux dont, à l’instar du requérant, l’état de santé requiert des soins spéciaux.
Pour ce qui est des mesures que l’Etat polonais devra prendre, sous le contrôle du Comité des Ministres, afin de mettre un terme à la violation constatée, la Cour rappelle qu’il appartient au premier chef à l’Etat en cause de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants, à savoir assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Toutefois, en l’espèce, la nature même de la violation constatée en l’espèce n’offre pas réellement de choix parmi différentes sortes de mesures individuelles susceptibles d’y remédier (Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, §§ 201-203, CEDH 2004‑II).
108. Dans ces conditions, eu égard aux circonstances particulières de la cause et au besoin urgent de mettre fin à la violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 96 ci-dessus), la Cour considère qu’il incombe à l’Etat défendeur d’assurer au requérant, dans les plus brefs délais, des conditions adéquates de détention dans un établissement apte à lui fournir le traitement psychiatrique nécessaire et un suivi médical constant.
B. Article 41
1. Dommage
109. En ce qui concerne le dommage matériel dont il est fait état (paragraphe 102 ci-dessus), la Cour rappelle qu’il doit y avoir un lien de causalité manifeste entre tout dommage allégué par le requérant et la violation de la Convention constatée (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne (article 50), 13 juin 1994, §§ 16-20, série A no 285‑C ; voir aussi Berktay c. Turquie, no22493/93, § 215, 1er mars 2001, et Khoudobine c. Russie, no 59696/00, § 142, CEDH 2006‑XII (extraits)).
110. Au vu de ses constats sur le grief tiré par le requérant de la violation de l’article 3 de la Convention, la Cour considère qu’aucun lien de causalité n’a été établi entre le dommage allégué et la violation constatée (Kalachnikov, précité, § 139). Elle rejette donc la demande formulée sous ce chef par l’intéressé.
111. En revanche, la Cour juge que la détention du requérant dans des conditions inhumaines et dégradantes, inadaptées à son état de santé (paragraphes 82 et 83 ci-dessus), lui a fait subir un dommage moral que le seul constat d’une violation de ses droits tirés de la Convention ne suffit pas à réparer.
112. Pour ces motifs, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et de sa jurisprudence dans les affaires similaires (voir, mutatis mutandis, Melnik, précité, § 121, et Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 65, 12 juin 2008), et statuant en équité, la Cour accorde au requérant 10 000 EUR sous ce chef, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
2. Frais et dépens
113. Le requérant ne réclame aucune somme pour les frais et dépens encourus par lui devant la Cour et devant le juge national.
3. Intérêts moratoires
114. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
(…)
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit assurer au requérant, dans les plus brefs délais, des conditions adéquates de détention dans un établissement spécialisé apte à lui fournir le traitement psychiatrique nécessaire et un suivi médical constant (paragraphe 106) ;
b) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;
c) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 20 janvier 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence EarlyNicolas Bratza
GreffierPrésident
[1]. Traduction de la version anglaise de la Constitution polonaise tirée de sa traduction officielle par le département de la recherche de la chancellerie du Sejm (la chambre basse du parlement polonais).