ARRÊT
STRASBOURG
20 mars 1991
En l’affaire Cruz Varas et autres[*],
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 51 de son règlement[*] et composée des juges dont le nom suit :
MM. R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. F. Gölcüklü,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir Vincent Evans,
MM. R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. D. De Meyer,
S.K. Martens,
Mme E. Palm,
MM. I. Foighel,
A.N. Loizou,
J.M. Morenilla,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 octobre 1990 et 20 février 1991,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour le 11 juillet 1990 par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission »), puis le 31 août par le gouvernement suédois (« le Gouvernement »), dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A son origine se trouve une requête (no 15576/89) dirigée contre la Suède et dont M. Hector Cruz Varas, Mme Magaly Maritza Bustamento Lazo, son épouse, et leur fils Richard Cruz, citoyens chiliens, avaient saisi la Commission le 5 octobre 1989 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration suédoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement à l’article 48 (art. 48). Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences des articles 3 et 25 § 1 (art. 3, art. 25-1) ainsi que, dans le cas de la demande, de l’article 8 (art. 8).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement, les requérants ont manifesté le désir de participer à l’instance et désigné leur conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Mme E. Palm, juge élu de nationalité suédoise (article 43[*] de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 27 août 1990, celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres, à savoir MM. J. Cremona, F. Matscher, L.-E. Pettiti, R. Macdonald, J. De Meyer, N. Valticos et J.M. Morenilla, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et le conseil des requérants au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 § 1). Conformément à l’ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 18 septembre 1990 et celui des requérants le 19. Par la suite, le délégué de la Commission l’a informé qu’il s’exprimerait l’audience.
5. Le 26 juillet 1990, le président a fixé la date de celle-ci au 22 octobre après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier (article 38).
6. Le 29 août 1990 la chambre a résolu, en vertu de l’article 51 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière.
7. Le président l’y ayant invitée le 25 septembre, la Commission a produit, le 28, l’ensemble des observations écrites et orales recueillies par elle.
8. Le 27 septembre, le président a décidé, nonobstant des demandes du Gouvernement et des requérants, qu’il ne s’imposait pas d’entendre des témoins et que tout nouvel élément de preuve documentaire devait parvenir au greffe une semaine avant les débats. Gouvernement et requérants en ont communiqué le 15 octobre.
9. L’audience s’est déroulée en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
M. Hans Corell, ambassadeur,
sous-secrétaire aux Affaires juridiques et consulaires,
ministère des Affaires étrangères, agent,
M. Erik Lempert, sous-secrétaire permanent,
ministère du Travail, conseil,
Mme Britt-Louise Gunnar, premier secrétaire,
ministère du Travail,
M. Pär Boqvist, conseiller juridique,
ministère des Transports et des Communications,
conseillers ;
– pour la Commission
M. Gaukur Jörundsson, délégué ;
– pour les requérants
M. Peter Bergquist, conseil,
M. Percy Bratt, conseiller.
10. La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions et à celles de trois de ses membres, M. Corell pour le Gouvernement, M. Gaukur Jörundsson pour la Commission, MM. Bergquist et Bratt pour les requérants.
11. Ceux-ci et le Gouvernement ont déposé, respectivement les 22 et 31 octobre et le 7 décembre 1990, divers documents où figuraient notamment des précisions sur les prétentions des premiers au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention et les observations du second à leur sujet.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
12. M. Hector Cruz Varas (le premier requérant), son épouse Mme Magaly Maritza Bustamento Lazo (le deuxième requérant) et leur fils Richard Cruz (le troisième requérant), né en 1985, sont tous citoyens chiliens.
13. Entré en Suède le 28 janvier 1987, le premier nommé y demanda l’asile politique dès le lendemain. Les deux autres allèrent l’y retrouver le 5 juin.
A. La décision d’expulser les requérants
14. Le 22 juin 1987, la police (polismyndigheten) de Växjö interrogea M. Cruz Varas sur les raisons de ladite demande. Au sujet de son passé au Chili, il fournit les renseignements suivants.En 1968, il aurait adhéré à la fédération des jeunes du Parti radical. Il se serait affilié au Parti socialiste en 1970 et y serait resté après le coup d’État de 1973, qui entraîna le remplacement du gouvernement de coalition du président Allende par un régime sous la présidence du général Pinochet. En 1971, il aurait en outre rallié le F.D.R. (Front des travailleurs révolutionnaires), dont il aurait été le secrétaire jusqu’en 1973, et il aurait oeuvré à la création d’une opposition au régime Pinochet. En 1976, il aurait été arrêté et emmené dans un camp militaire, où il serait demeuré détenu deux jours. La même année il aurait rejoint les mormons. De 1976 à 1982 il n’aurait pas eu d’activités politiques. En 1982, il aurait déménagé à Villa Alemana et concouru à la distribution de tracts pour le Front démocratique. Il aurait pris part à de nombreuses manifestations et à deux grèves générales (en août 1985 et le 4 juin 1986). Appréhendé en 1973 et 1974 pour transgression du couvre-feu, il l’aurait également été en août 1985, par des agents de la C.N.I. (Central Nacional de Investigaciones de Chile), pour avoir pénétré à bicyclette dans une zone interdite. On l’aurait relâché au bout de quatre heures. Hormis ces incidents, la police et l’armée chiliennes l’auraient laissé tranquille. Il expliqua son départ du Chili par l’impossibilité de conserver sa maison à Villa Alemana, où il vivait avec sa famille, ainsi que par la précarité de sa situation financière après de longues périodes de chômage ; incapable de rembourser son emprunt hypothécaire, il avait choisi de liquider sa maison afin d’en éviter la vente forcée.
15. Dans un mémoire du 27 juillet 1987 à l’Office national de l’immigration (statens invandrarverk, « l’Office »), l’intéressé présenta, par l’intermédiaire de son avocat, des observations sur l’interrogatoire susmentionné. Il affirma avoir subi, en 1976, des sévices une fois arrêté avec quatre amis : on les avait empêchés de dormir et contraints à se tenir debout, dépouillés de leurs vêtements ; un de ses compagnons avait été battu à cette occasion.
16. Le 21 avril 1988, l’Office décida d’expulser les requérants et leur interdit de retourner en Suède sans son autorisation avant le 1er mai 1990. De plus, il refusa de leur octroyer le statut de réfugié et de leur délivrer des pièces d’identité. A ses yeux, ils n’avaient pas fourni des raisons politiques assez graves pour qu’on les considérât comme réfugiés au titre de l’article 3 de la loi sur les étrangers (utlänningslagen, 1980:376), ou de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.
17. Les intéressés saisirent alors le gouvernement. M. Cruz Varas n’avança aucune circonstance nouvelle. Il souligna que faute de recevoir toutes les lettres qu’on lui adressait du Chili, il ne pouvait produire aucune pièce à l’appui en provenance de ce pays.
18. Le gouvernement (ministère du Travail) rejeta le recours le 29 septembre 1988.
19. Les requérants alléguèrent ensuite, devant la police de Varberg, l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion et sollicitèrent le transfert de leur dossier à l’Office. Interrogé par elle le 19 octobre 1988, M. Cruz Varas invoqua des arguments supplémentaires en faveur de l’octroi de l’asile : il déclara risquer la persécution politique, la torture voire la mort s’il regagnait le Chili, à cause de ses rapports permanents en Suède avec un groupe politique appelé Frente Patriótico Manuel Rodriguez (F.P.M.R.), organisation radicale qui avait essayé de tuer le général Pinochet ; il avait commencé à travailler pour ce groupe après son arrivée en Suède et craignait que la C.N.I. ne connût ses activités dans ce pays, lesquelles avaient débuté en février 1988 et comportaient la diffusion de brochures de soutien aux prisonniers politiques au Chili.
20. La police de Varberg résolut, le 21 octobre 1988, de repousser la demande et d’exécuter l’arrêté d’expulsion en envoyant les requérants au Chili à bord de l’avion qui décollerait de l’aéroport Landvetter, à Göteborg, le 28 à 16 heures. Le 26, l’Office écarta leur recours contre cette décision. Le 27, ils réclamèrent derechef le transfert de leur dossier audit service, mais la police le leur refusa le 28 et le même jour l’Office rejeta leur recours. Dans sa lettre d’appel, M. Cruz Varas prétendait, par l’intermédiaire d’un nouvel avocat, avoir rédigé des articles parus sous sa signature dans le journal du F.P.M.R. (El Rodriguista) et avoir critiqué le régime en place au Chili. Il produisait aussi une attestation, datée du 23 octobre 1988, dans laquelle Juan Marchant, membre du groupe de soutien au F.P.M.R. de Varberg, certifiait que lui et sa famille étaient politiquement actifs au sein du groupe. Il communiquait en outre une copie de deux articles de presse, des 21 et 24 octobre 1988, relatifs à une manifestation à Varberg contre leur expulsion. On y lisait notamment que M. Cruz Varas avait caché dans sa maison au Chili des amis recherchés par la police et qu’il travaillait pour le F.P.M.R. en Suède.
21. La décision d’expulsion ne put être mise en oeuvre comme prévu car les requérants ne se présentèrent pas à temps pour le départ.
22. Ils excipèrent à nouveau de l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté par une lettre du 30 décembre 1988 à la police de Varberg. Le 13 janvier 1989, celle-ci interrogea M. Cruz Varas devant un nouvel avocat. On peut lire dans le procès-verbal (traduction du suédois) :
« Cruz souhaite en particulier ajouter à ses déclarations les précisions suivantes concernant les sévices subis par lui pendant ses périodes de détention au Chili. Questionné sur les lieux et dates de ces emprisonnements, il dit avoir été incarcéré une première fois en 1973 à Santiago. Il aurait été arrêté avec tous ses collègues du bureau de la Codelco (grande compagnie minière) peu après le coup d’État. On les aurait emmenés dans un centre militaire où on les aurait maltraités. Cruz n’en a pas parlé plus tôt parce qu’il pensait que la police suédoise coopérait avec la police chilienne. Il ne le croit plus.
L’événement susmentionné remontant assez loin dans le temps, Cruz est invité à commencer son récit par l’occasion la plus récente à laquelle on l’a persécuté. Il raconte alors en janvier 1987, il fut arrêté tandis qu’il marchait le long d’une rue appelée Calle Troncal. Deux hommes descendirent d’une voiture et le poussèrent dans une autre, qui se dirigea ensuite vers une sorte de bâtiment de sécurité. Pendant le voyage, on le frappa dans les côtes. On lui fit descendre un long escalier conduisant à une espèce de salle d’interrogatoire, où on le photographia déshabillé. Il reçut des coups, surtout à la tête, puis fut suspendu par les pieds et photographié dans cette posture. On lui demanda où se trouvait Luis Herrera, président de la Société des libres penseurs humanistes, mais il ne put répondre. Il ne veut pas en dire davantage sur les sévices infligés à cette occasion. Il ajoute pourtant que ses ravisseurs lui annoncèrent qu’ils allaient l’abattre avant la fin de la journée. Ils lui bandèrent les yeux et il sentit quelqu’un appuyer le canon d’une arme contre son corps, mais aucun coup ne fut tiré. Interrogé sur les raisons de ce traitement, il déclare s’être entendu reprocher sa qualité de communiste, qu’il n’a jamais eue. On le remit en liberté après cette dernière intimidation, puis un homme qui avait assisté à la scène se montra aimable envers lui. Il lui dit que les choses se passeraient bien mieux s’il collaborait avec la police. Questionné sur le point de savoir s’ils se trouvaient alors dans un commissariat de police, Cruz déclare qu’il s’agissait d’un bâtiment de sécurité. Ses kidnappeurs lui citèrent aussi le nom des membres de sa famille. A 4 heures du matin, ils le conduisirent au loin à bord d’un véhicule et le relâchèrent après l’avoir gardé 14 heures environ. Il n’a pas mentionné cet incident plus tôt. Comme on s’en étonne, puisqu’il a subi plusieurs interrogatoires de police, qu’il a eu de nombreux contacts avec son avocat et que beaucoup de documents contenant des renseignements sur son compte ont été soumis aux autorités, il répond qu’il a souvent été trahi par le passé et qu’il ne peut plus se fier à personne.
En août 1986 – il ne se rappelle pas la date exacte -, alors qu’il marchait dans une rue de Valparaiso après avoir assisté à la réunion d’un comité de quartier et s’apprêtait à prendre l’autobus pour Viña del Mar, quatre hommes arrivèrent en voiture, le menacèrent en lui posant un couteau sur la gorge et l’enlevèrent. C’étaient des civils circulant dans un véhicule civil. Ils se dirigèrent vers Viña del Mar. Après lui avoir mis un bandeau noir sur les yeux, ils le sortirent de la voiture et lui donnèrent des coups de pied. Il se protégea autant qu’il le put en appliquant ses mains sur sa tête et ses parties. Ils l’insultèrent en outre. Ils lui dirent qu’il devait renoncer à combattre le gouvernement, qu’ils le connaissaient et qu’il ferait bien de cesser, sans quoi ce pourrait être le dernier jour de sa vie. Ils menacèrent même sa famille. Ces événements eurent lieu dans un bâtiment où on l’avait amené mais dont il ne sait rien car il avait les yeux bandés. On le tortura au moyen d’électrochocs sur les testicules. On lui plaça même des électrodes dans l’anus et sur les testicules. Après ces épreuves, on le conduisit quelque part sur la route entre Valparaiso et Viña del Mar et on le relâcha. Il faillit être renversé par un autobus au moment où il quittait la voiture. L’ensemble de ces événements dura une quinzaine d’heures. Environ un mois plus tard, Cruz trouva son chien, âgé de trois ans, mort dans des circonstances lui donnant à penser que c’était l’oeuvre soit de la C.N.I. soit de l’A.C.H.A. [Accíon Chilena Anticomunista]. L’animal avait été empalé sur la clôture en métal entourant la maison où vivait l’intéressé.Celui-ci en conclut qu’il a été traité de la sorte en raison de son activité dans des groupes de jeunesse et des amicales. Il avait oeuvré pour le développement de la démocratie au Chili. Chaque fois qu’elle l’arrêtait, la ‘police’ savait pour quoi il luttait. Jusqu’ici l’interrogatoire a été traduit à Cruz. Celui-ci souhaite préciser après coup qu’il visait non des amicales, mais des comités de quartier, et que s’il ne se fie à personne c’est simplement à cause de la masse d’informations dont la police disposait à son sujet quand il se trouvait en garde à vue.
Hors la présence de l’interprète et de l’avocat, conformément au désir exprimé par lui, il déclare que lors de son arrestation, en 1986, par des personnes qu’il croit appartenir à la C.N.I., il a aussi subi quelque chose qu’il essaye d’effacer de sa mémoire et dont il lui est très pénible de parler. Après avoir été torturé au moyen, notamment, d’électrodes placées dans l’anus et sur les testicules, il fut couché à plat ventre sur un lit, aux colonnes duquel on lui attacha les mains et les pieds. Un ou plusieurs hommes se livrèrent ensuite sur lui à des violences sexuelles. Comme il restait à ce moment-là sous le coup du traitement précédent, il ne peut dire avec certitude s’il s’agissait d’une ou de plusieurs personnes. (Cette partie de l’interrogatoire a eu lieu sans la présence de l’interprète et de l’avocat, Cruz pouvant se faire comprendre en suédois.)
En outre, il est incapable de décrire les problèmes qu’il a rencontrés à la suite, probablement, des sévices endurés. Il éprouve des difficultés à manger avec des couverts en métal, car ses dents lui font mal chaque fois qu’elles entrent en contact avec un objet métallique. Jadis très aigu, ce problème l’est moins aujourd’hui. Cruz signale ainsi deux sortes de plaintes. Il a d’abord ressenti une douleur générale dans les dents et en second lieu il a eu des problèmes avec les objets métalliques. L’apparition de ses douleurs dans les dents remonte à 1973 après qu’il eut été torturé aux électrochocs. Cette torture lui a été infligée quatre ou cinq fois au total. Après celle qu’il a subie en 1973, il a souffert en outre de nombreuses migraines. Il a remarqué aussi que depuis lors il a des pertes de mémoire.
Il n’a rien à ajouter personnellement. Interrogé sur le point de savoir s’il veut apporter des précisions sur son engagement politique, il répond qu’il en a déjà rendu compte mais qu’il pourrait à présent produire des documents nouveaux à l’appui de ses déclarations antérieures. Il dépose trois attestations : une de Nicolas Reyes Armijo, président du Centre culturel pour la liberté à Belloto, une de Ricardo Poblete Muñoz, coordonnateur à l’organisation des comités de quartier, et une de la Commission de protection des droits des jeunes.
Ce qui précède a été traduit à Cruz, qui déclare ne pas désirer fournir plus de détails. Il n’a rien à objecter à la description ci-dessus (…). »
23. Datée du 1er novembre 1988, la première attestation mentionnée dans le procès-verbal consiste en une déclaration du président du Centro Cultural « Libertad » (Centre culturel « Liberté ») d’El Belloto. Elle affirme que M. Cruz Varas a participé aux activités de cette institution jusqu’à son départ du Chili et que son intégrité psychologique et physique serait menacée s’il devait séjourner dans son pays. Elle précise en outre qu’il a dû s’expatrier pour des raisons politiques. La deuxième attestation, du 23 novembre 1988, émane d’un responsable de la Comisión de Derechos Poblacionales (Commission des droits des peuples) à Valparaiso. Elle indique que le premier requérant a été persécuté par la dictature de novembre 1983 à août 1986 ; qu’il a milité au sein des jeunesses socialistes, où il était le représentant et le dirigeant de la société révolutionnaire des Libres Pensadores Humanistas « Artesanos de las Letras » (Libres penseurs humanistes « Artisans des Lettres ») à Villa Alemana ; qu’arrêté à Santiago en 1973 et par deux fois à La Serena, en novembre 1974 et septembre 1977, il a été menacé de mort à Viña del Maren 1983 ; qu’en 1986 et janvier 1987, des civils l’ont arrêté et sévèrement battu. La troisième attestation, délivrée le 20 novembre 1988 par la Comisión de Derechos Juveniles (Commission des droits des jeunes) de Quilpue, contient des déclarations analogues.
24. Le 13 janvier 1989, la police saisit l’Office de l’immigration du problème de l’exécution de l’arrêté d’expulsion. Eu égard au risque de voir M. Cruz Varas s’y soustraire, elle décida le même jour qu’il devrait se rendre au commissariat deux fois par semaine. Par une lettre du 2 mars 1989, il soumit à l’Office un avis médical, du 20 février 1989, rédigé par un chercheur-assistant à l’institut de médecine légale de l’hôpital Karolinska, M. Håkan Ericsson. D’après celui-ci, M. Cruz Varas avait déclaré avoir subi des mauvais traitements dans des prisons chiliennes et présentait une déformation de la clavicule gauche, une cicatrice sur le haut du bras gauche et une autre sur la partie gauche du thorax.
25. L’Office communiqua le dossier au gouvernement le 8 mars 1989, exprimant l’opinion que l’exécution de l’arrêté ne se heurtait à aucun obstacle. Il relevait que M. Cruz Varas avait à plusieurs reprises exposé son cas à la police et à lui, mais que d’une occasion à l’autre il avait fourni des renseignements contradictoires et qu’il venait de transformer radicalement son récit.Même en ayant égard aux difficultés qu’une victime peut avoir à décrire ses épreuves, l’Office n’apercevait aucune raison de prêter foi aux allégations de l’intéressé.
26. Le 11 août 1989, ce dernier communiqua au gouvernement un certificat médical établi le 9 mai 1989 par un médecin légiste, le Dr Sten W. Jacobsson. On y lit, entre autres, ce qui suit (traduction du suédois) :
« Le patient Cruz Varas Hector, né le 9 décembre 1948, m’a consulté au sujet de tortures qu’on lui aurait infligées dans son pays d’origine. Il a fait un récit qui m’a été interprété simultanément et dont le texte figure en annexe I. En l’examinant, j’ai observé sur la zone de la clavicule gauche et sur le haut du bras gauche des cicatrices mentionnées dans le protocole d’examen.
Eu égard à ce qui précède, je soussigné déclare :
Que le patient a dit avoir subi des sévices ; qu’il a montré, à titre de preuve objective, d’une part les traces d’une fracture de la clavicule provoquée par un coup porté à l’aide d’un instrument contondant et, d’autre part, une marque de brûlure typiquement arrondie et incolore sur la face interne supérieure du bras gauche (selon la pratique médico-légale, la blessure a l’apparence caractéristique d’une brûlure causée par un tuyau chauffé) ; qu’il présente des symptômes subjectifs de troubles dus à des tortures génitales et anales ainsi qu’à des pénétrations sexuelles par l’anus ; qu’il réagit, quand il les décrit, d’une manière telle (pleurs, tremblements) que, d’après mon expérience, il faut croire qu’il est réellement passé par là ; qu’en résumé, rien n’a été établi à l’encontre de l’hypothèse selon laquelle M. Hector Cruz Varas a été soumis aux tortures et aux abus sexuels allégués par lui. »
L’annexe I donnait les renseignements ci-après :
« Le patient parle d’abord de lui, puis de son père qui fut le secrétaire du Partido Socialista. Ils vivaient dans la ville d’El Salvador au Chili. Son père fut arrêté pendant le coup d’État militaire en 1973 et sauvagement torturé, puis relâché au bout de deux mois. Le patient avait alors 24 ans. Lui aussi fut arrêté et frappé, mais pas vraiment torturé, il le précise lui-même. Ils déménagèrent dans la ville de Lazalena. Le patient était lui aussi membre du PartidoSocialista, interdit au Chili. Il fut persécuté pendant les années 70 et 80. Sa maison fit l’objet d’une perquisition en 1981. Il fut frappé par la police et conduit dans un bâtiment de sécurité où on lui banda les yeux, le tapa et lui brûla le bras gauche avec un tuyau incandescent. Il participa à une manifestation contre (…), monnaie introduite par le gouvernement. Arrêté par la suite, il fut torturé à l’électricité. En 1986, pareille torture lui fut infligée sur les parties génitales. Il fut sodomisé avec une tige électrifiée qui lui causa de grandes douleurs et l’on peut voir sur son visage, lorsqu’il en parle, qu’il a réellement souffert, car il est au bord des larmes. Il fut violé et sodomisé à plusieurs reprises, à tel point qu’il tomba en syncope. Il a beaucoup de peine à raconter cela, sa lèvre supérieure tremble et il transpire abondamment. Il n’en a jamais rien dit à sa femme et déclare aujourd’hui : ‘Je n’en peux plus.’ Sa réaction est très typique d’une personne ayant subi des tortures sexuelles humiliantes. En réponse à une question, le patient précise qu’à la suite de cet événement il a éprouvé longtemps de sérieux problèmes d’impuissance. Il pense que son état s’est amélioré en Suède. Il prend de la vitamine E pour lutter contre cette infirmité.
En novembre 1987 il trouva son chien mort, pendu à la clôture en fer qui entourait sa maison. Un papier signé A.C.H.A. – ce qui équivalait à désigner la C.N.I. – annonçait que tel serait le sort de tous les communistes. Voilà pourquoi il quitta le Chili en 1987. Lorsque je lui demande ce qui arriverait s’il y retournait, il se montre bouleversé, dit qu’il ne le peut pas et se met à pleurer ; il est convaincu qu’on l’arrêterait à l’aéroport et que l’on continuerait à le persécuter et à le torturer. »
27. M. Cruz Varas produisit encore un avis médical, du 28 juin 1989, formulé par un spécialiste des maladies psychiatriques à l’hôpital Karolinska, Dr Søndergaard. Celui-ci y affirme avoir trouvé l’intéressé fortement secoué et à la limite de ce qu’il pouvait supporter ; la manière dont il a exposé son cas et réagi à cette occasion révèle nettement chez lui, un syndrome de stress post-traumatique.
28. Dans une lettre du 11 août 1989 au Gouvernement, l’avocat de M. Cruz Varas décrivit ainsi les activités politiques de son client :
« Le requérant témoigne d’un intérêt politique, et milite dans différentes organisations de gauche, depuis le début des années 60 ; à la fin de celles-ci, il s’est engagé aux côtés du M.I.R. (Movimiento de la Izquierda Revolucionaria).Dans les années 70, il a surtout oeuvré au sein du parti socialiste. Vers 1983, il est entré en contact avec des personnes affiliées, croit-il, au Frente Patríoticó Manuel Rodriguez et avec lesquelles il a participé à certaines activités militaires.
Ses activités politiques lui ont valu d’être torturé en 1973, 1976, 1981, 1983, 1986 et 1987. Si tous ces détails ne figurent pas dans l’interrogatoire de police, c’est qu’il a privilégié les événements des années 80. A la fin, il signale pourtant que l’intéressé a subi la torture quatre ou cinq fois.
Invité à rendre compte de son activité auprès du ‘Front’, le requérant déclare ce qui suit. Au cours de l’année 1983, il rencontra par hasard un individu surnommé ‘le Gorille’ pour sa forte stature et sa pilosité. Il le connaissait depuis les années 70, époque où tous deux militaient au sein du M.I.R. Quand ils se retrouvèrent, ils ne s’étaient pas vus depuis plus de dix ans mais ils se reconnurent aussitôt. C’était à l’occasion d’une réunion de parents dans une école de Villa Alemana fréquentée par les filles du Gorille.
(…)
Au bout de quelque temps, ses relations avec le Gorille débouchèrent sur des activités de sabotage manifestes. Son compagnon occupait un poste important au service municipal d’électricité. Lui-même s’y entend en matière d’explosifs car il a travaillé dans les mines. Ensemble, ils utilisaient des engins explosifs pour détruire des lignes électriques dans toute la ville. Ils se complétaient bien : le Gorille indiquait les cibles et programmait les opérations, Hector se procurait la dynamite en se rendant à la ville de San Salvador où il a de nombreux amis d’enfance. Ceux qui travaillaient dans la mine lui vendaient de la dynamite dérobée par eux. Cette activité dura jusqu’en 1986.
Après cela, se sentant trop surveillé, il ne participa plus à aucune opération de sabotage. Il pense toutefois que le Gorille persévéra, car ils avaient un stock de dynamite assez important. Il a lu d’ailleurs dans la presse que des lignes électriques avaient été sabotées après que lui-même eut interrompu cette activité.
Le Gorille essaya par différents moyens de l’amener à participer à des projets militaires plus élaborés. Ils discutèrent souvent de la possibilité de tenter d’armer le peuple et d’ouvrir une école d’entraînement militaire. Ils dressèrent des plans détaillés concernant la manière de s’approvisionner en armes. Ils commençaient par se demander comment ‘faire davantage encore (…)’. Ils préparèrent notamment les plans précis d’une attaque contre une caserne de carabiniers. Le but consistait à s’emparer d’armes qui pourraient ultérieurement servir à d’autres types de raids. Le projet n’aboutit pas, en raison de l’arrestation d’Hector en 1983. Pendant sa détention la police lui posa nombre de questions, notamment sur des endroits destinés à constituer des points de ralliement pour les participants à ladite attaque. Celle-ci n’eut jamais lieu, mais Hector a constaté qu’il y en avait eu une autre contre une autre caserne de carabiniers.
Invité à détailler le plan d’attaque, il déclare que le Gorille et lui devaient transporter au cimetière les armes volées et les y enterrer. Le moment venu, d’autres personnes seraient allées les y récupérer.
Le Gorille ne mentionna jamais le nom du Frente Patríoticó Manuel Rodriguez, mais Hector a eu l’impression qu’il y jouait un rôle assez considérable. Le Gorille lui-même indiqua seulement qu’il militait désormais au parti communiste. Pour illustrer la position centrale du Gorille, Hector signale que celui-ci, peu de temps avant la tentative d’assassinat contre Pinochet, lui demanda s’il consentirait à conduire un camion pour une occasion très importante. Comme il avait répondu de manière hésitante, l’idée fut abandonnée. Après coup, il se rendit compte qu’il pouvait s’agir du véhicule prévu pour la tentative d’assassinat.
Hector n’a directement participé à aucune opération militaire. Une fois cependant, on le chargea de conduire un camion à un endroit donné. Il devait l’y garer, puis aller en chercher un autre. On ne lui fournit pas plus de détails.L’opération fut toutefois annulée pour des raisons de sécurité. Peu après, il lut dans un journal qu’une cache d’armes avait été découverte tout près de là où il devait parquer le camion.
Quelques mois après sa rencontre fortuite avec le Gorille réapparut un vieil ami avec qui il avait travaillé au sein d’une cellule de résistance en 1973-1974, dans la ville de La Serena. L’intéressé lui dit d’emblée qu’il avait des ennuis avec la police et cherchait une planque. Hector lui offrit asile et ils rentrèrent aussitôt chez lui. Plus tard dans la soirée les rejoignirent deux autres amis. Tous étaient armés de pistolets. Hector croit aussi avoir aperçu des mitraillettes du genre de celles utilisées par la police chilienne.
Il n’a jamais su pourquoi son ami se trouvait en fuite. Comme il dit, ‘mieux valait tout ignorer’. Un jour, l’ami en question fut arrêté en sortant de la maison. Hector en fut informé par une connaissance qui les avait vus ensemble. Les deux autres hommes quittèrent immédiatement son domicile.
Après cela, Hector déménagea à Santiago et gagna sa vie en travaillant comme ouvrier du bâtiment. Il y séjourna en gros de septembre 1984 à décembre 1985. Il loua sa maison par l’intermédiaire d’un homme de paille et apprit que peu après elle avait été fouillée et qu’à la suite de cet incident les locataires avaient déménagé. Le faux propriétaire leur trouva des successeurs pour le reste du temps. Aucune autre perquisition n’ayant eu lieu, Hector pensa qu’il n’y avait aucun risque à regagner Villa Alemana. Il y retourna donc en décembre 1985.
Interrogé au sujet de ses nombreuses rencontres ‘fortuites’ avec des gens appartenant probablement au ‘Front’, il répond s’en être lui aussi étonné. Dans le cas du Gorille, il attribue la chose à un simple hasard. Il se montre plus hésitant pour le deuxième ami : il pouvait s’agir d’une coïncidence comme d’une tentative délibérée de le mêler davantage aux activités du Front. Il pense que sa connaissance des explosifs et sa qualité de propriétaire d’une maison isolée pouvaient intéresser une telle organisation.
Une fois rentré à Villa Alemana, il se sentit surveillé de diverses manières. Il dit avoir rencontré à maintes reprises différents types de représentants de commerce qui entraient en contact avec lui.
(…)
Pendant l’une de nos conversations, il déclare subitement : ‘Il y a quelque chose dont je n’ai jamais parlé, quelque chose que je ne dirai jamais.’ J’insiste pour qu’il s’en ouvre. Suit une lutte psychologique d’au moins une heure. Je m’efforce de garder constamment l’initiative et d’inciter Hector à me livrer son secret. Il campe sur ses positions en affirmant : ‘Je ne le dirai jamais, même si l’on m’expulse. Je ne le dirai qu’à l’aéroport.’
Finalement, il m’avoue avoir vécu longtemps dans un triste état psychique au Chili et avoir absorbé de grandes quantités d’antidépresseurs. Les tortures subies en 1986 l’avaient mis à bout de nerfs et, en raison de la tradition de confession interne dans l’Église mormone, il demanda audience au plus haut dignitaire des mormons, celui qui a rang de Grand Président, et lui confia tout.
Il lui parla de ses liens avec le Gorille et aussi des deux autres membres de l’Église mormone qu’il avait présentés à ce dernier. Ils eurent plusieurs entretiens. Lors du premier, Hector prit l’initiative et ne révéla donc pas grand-chose, mais par la suite c’est le Grand Président qui dirigea la conversation et il obtint plus de détails.
Hector fut arrêté et torturé en janvier 1987. Au sortir de la salle de torture, il essaya de se mettre en rapport avec les deux autres membres de l’Église mormone, mais ils avaient disparu. Il tenta aussi de rencontrer le Gorille, mais sans plus de succès. Hector a l’intime conviction que tous trois sont morts et ont été tués par sa faute, parce qu’il avait parlé au Grand Président. Il pense que ce dernier a profité de sa faiblesse et renseigné le gouvernement sur ses amis et lui.
Il ne peut indiquer avec certitude quand les trois intéressés ont disparu, mais précise qu’il les a vus pour la dernière fois en décembre 1986. Les tortures subies par lui en janvier 1987, jointes aux reproches qu’il se faisait d’avoir provoqué la mort du Gorille et des deux mormons, ont contribué à son départ du Chili peu de temps après. »
29. Des rapports établis, les 21 juin et 5 octobre 1989, par des médecins de l’hôpital de Varberg au sujet de l’état de santé de Richard Cruz Varas (le troisième requérant) furent également soumis au gouvernement. Ils signalaient que l’enfant avait des problèmes de personnalité et que, selon toute probabilité, une expulsion de Suède lui vaudrait des troubles psychologiques graves.
30. Le premier requérant a produit en outre une lettre, datée du 16 août 1989, du Bureau régional pour les pays nordiques du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. On y lit entre autres :
« (…) quiconque a subi des tortures ressent dans la plupart des cas des effets durables d’ordre à la fois physique et psychosomatique. Aussi doit-on, en examinant la demande de statut de réfugié présentée par une telle personne, faire abstraction de toute question de délais ou de degrés de torture. »
31. Dans une lettre du 5 octobre 1989, le même Bureau écrivait : »Nous tenons dès lors à souligner qu’à notre avis, M. Hector Cruz Varas (…) devrait être protégé contre un retour éventuel dans son pays d’origine. Indépendamment des nombreux aspects mentaux, traumatiques et humanitaires en jeu, nous estimons qu’il faut insister non seulement sur la convention de 1951 relative aux réfugiés, mais aussi sur celle de 1984 contre la torture. »
32. Le 4 octobre 1989, l’intéressé fut placé en garde à vue par la police de Varberg en vertu d’une décision du ministre du Travail. Le lendemain, le gouvernement (ministère du Travail) jugea qu’il n’existait, au regard des articles 77 et 80 de la loi sur les étrangers, aucun empêchement à l’exécution de l’arrêté d’expulsion pris à l’encontre des requérants.
33. Le 6 octobre 1989, l’Office résolut de ne pas y mettre obstacle et le même jour M. Cruz Varas fut expulsé vers le Chili. Sa femme et son fils, eux, entrèrent dans la clandestinité en Suède. La Cour ignore où ils se trouvent.
B. L’évolution politique au Chili
34. L’état d’urgence a été levé en août 1988 ; en septembre, les exilés ont été autorisés à retourner au Chili. Le 5 octobre, un plébiscite a écarté la candidature du général Pinochet à la présidence du pays. Des élections présidentielles et parlementaires ont alors été programmées pour décembre 1989. A la suite de négociations entre le gouvernement et l’opposition, un référendum a eu lieu le 30 juillet 1989. Il a débouché sur l’adoption de divers amendements à la Constitution, destinés notamment à démocratiser lesdites élections et à réduire l’influence omniprésente des forces armées dans la vie civile.
Les élections présidentielles se sont déroulées le 14 décembre 1989. Elles ont vu la victoire de M. Patricio Aylwin, membre du parti chrétien-démocrate auparavant dans l’opposition, et dirigeant d’une alliance de dix-sept partis intitulée « Coalition des partis pour la démocratie ».
35. En avril 1989, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) a été intégré au droit chilien par sa publication au Diario Oficial, le journal officiel du pays. Le Chili a, de plus, ratifié en 1988 la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984), ainsi que la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture (1985), mais avec des réserves dans les deux cas.
Toutefois, dans un rapport d’octobre 1989 Amnesty International mentionne divers cas de torture qu’on lui a signalés ; ils se seraient produits en 1989.
C. Faits postérieurs à l’expulsion
36. Le 7 octobre 1989, M. Cruz Varas atterrit à l’aéroport de Rio de Janeiro (Brésil), où il demanda en vain l’asile politique. On le mit alors dans un avion pour Santiago, où il arriva le 8. Il n’avait sur lui aucun papier d’identité ; lorsqu’il se présenta au contrôle des passeports, on le plaça de côté et on le photographia. On lui fit signer une déclaration d’après laquelle il avait séjourné en Suède pour des raisons financières et s’engageait à s’abstenir de toute activité politique au Chili.
37. Il resta dans ce pays du 8 au 29 octobre 1989 et retourna chez lui à Villa Alemana. Les 26 et 27 il participa à des réunions politiques, la dernière en faveur de M. Aylwin, candidat à la présidence. Il affirme qu’à cette occasion un inconnu s’approcha de lui et menaça sa famille au Chili. Pendant cette période, son beau-frère aurait été agressé dans la rue et grièvement blessé par des inconnus. Deux autres de ses beaux-frères auraient été interpellés et fouillés par des agents, qui les auraient interrogés à son sujet.
38. Le 29 octobre 1989, il quitta le Chili pour l’Argentine et vécut un temps à Buenos Aires. Les 2 décembre 1989 et 7 mars 1990, l’Office refusa de l’autoriser à regagner la Suède. Bien qu’il ait pu assister à l’audience devant la Cour, celle-ci ne sait où il se trouve à l’heure actuelle.
D. La déposition du Dr Jacobsson devant la Commission
39. Le 7 décembre 1989, la Commission a entendu en qualité de témoin le Dr Sten W. Jacobsson, dont elle résume en détail la déposition aux paragraphes 49 à 57 de son rapport. Chargé de cours (docent) de médecine légale (rättsmedicin) à l’Institut Karolinska, l’intéressé coopère également avec la Croix-Rouge dans le cadre de l’aide aux victimes de la torture. Il a vingt ans d’expérience dans l’appréciation des cicatrices et blessures ; il travaille depuis 1985 sur des allégations de torture en provenance du Chili.
40. Selon lui, les affirmations du premier requérant correspondent très probablement à la vérité, eu égard aux blessures constatées (lésion à la clavicule et marques de brûlures) et aux réactions observées pendant son récit. M. Cruz Varas n’aurait abordé qu’avec beaucoup de répugnance, et en transpirant abondamment, le chapitre des tortures sexuelles subies par lui.Pareille réaction indiquerait qu’on lui a réellement infligé de tels traitements. En outre, il aurait manifesté de l’épouvante à l’idée de rentrer au Chili. Le Dr Jacobsson a souligné que les victimes de tortures sexuelles ont souvent souffert un si grand dommage qu’elles ne veulent pas en parler, même à leur conjoint.
E. Autres documents produits à titre de preuve
41. Après l’expulsion de M. Cruz Varas, le gouvernement a communiqué un mémorandum de l’ambassade de Suède à Santiago. Daté du 2 janvier 1990, il contient un rapport relatif à une enquête menée, à la demande du ministère du Travail, pour se renseigner sur les activités politiques éventuelles de l’intéressé et sur les persécutions politiques auxquelles il a pu être en butte.L’enquête a été effectuée le 20 décembre 1989 par Mlle Jenny Malmqvist, deuxième secrétaire à l’ambassade, au cours d’une visite à Villa Alemana, en compagnie notamment du président de la commission des droits de l’homme de Valparaiso. Quant aux activités politiques, le rapport conclut que tous les représentants des partis interrogés ont déclaré ne pas connaître M. Cruz Varas ; il n’en va pas de même des voisins, mais ils ignoraient tout d’un quelconque engagement politique de sa part.
A l’appui de ce qui précède, le gouvernement a également fourni des attestations sous serment émanant des partis radical, socialiste et communiste.
42. Au sujet d’éventuelles persécutions politiques, il a produit une attestation sous serment que la présidente de la commission des droits de l’homme de Villa Alemana, Mme Maria Teresa Ovalle, a délivrée à l’ambassade de Suède à Santiago. Il en ressort que ladite commission ne connaît pas M. Cruz Varas et par conséquent ne sait rien de persécutions dont il aurait fait l’objet, alors pourtant qu’elle possède les registres complets des personnes disparues, torturées et emprisonnées depuis 1982 dans la cinquième région du Chili.
43. Devant la Cour, le Gouvernement a déposé une nouvelle attestation de Mme Ovalle. Datée du 8 octobre 1990, elle indique notamment que M. Cruz Varas n’a de liens avec aucun parti politique ni aucun syndicat ; que la commission des droits de l’homme de Villa Alemana n’a enregistré aucune déclaration concernant la détention de l’intéressé ; que d’après toutes les personnes interrogées dans le district où il habitait, il n’a jamais eu d’occupations politiques ; que les enquêtes menées directement auprès de personnes ayant participé à des activités clandestines, ou emprisonnées à Valparaiso pour leur rôle dans des activités similaires, ont toutes montré qu’on ne le connaissait pas ; que Mme Ovalle n’est pas au courant d’explosions ayant eu lieu sur le réseau ferroviaire et sur des lignes électriques à Villa Alemana de 1983 à 1986, comme le prétend le premier requérant ; que d’après les investigations entreprises, les divers organismes oeuvrant à Quilpue pour les droits de l’homme ne savent rien de lui.
Le Gouvernement a soumis de surcroît une attestation sous serment du conseil national du F.P.M.R., datée du 8 octobre 1990. Elle précise que M. Cruz Varas n’est pas un représentant de ce dernier à l’étranger et qu’il n’en est pas non plus, et n’en n’a jamais été, un membre combattant. Les dirigeants du Front déclinent en outre toute responsabilité pour toute démarche qu’il aurait pu accomplir en son nom.
44. Quant aux requérants, ils ont communiqué un rapport médical rédigé par le docteur Mariano Castex, professeur de psychiatrie à l’université de Buenos Aires, après examen de M. Cruz Varas en février 1990. Y figure la déclaration suivante :
« En conclusion, on peut affirmer que M. Hector Cruz Varas se trouve atteint d’un ‘syndrome de stress post-traumatique’ grave, imputable aux tortures et mauvais traitements subis au Chili dans les années écoulées. La forte insécurité dans laquelle il a vécu, puis son renvoi dans son pays d’origine ont accru la dimension pathologique de ses souffrances ; si l’on ne veille pas à lui dispenser un traitement psychologique et psychiatrique adéquat, il risque une aggravation de ses troubles mentaux avec des conséquences imprévisibles non seulement pour lui, mais aussi pour son épouse et son fils, ce dernier ayant grandement besoin d’un père si on lit avec soin le rapport établi à son sujet. »
45. D’après un autre rapport psychiatrique, dressé le 9 octobre 1990 par le Dr Søndergaard après un examen approfondi de M. Cruz Varas en septembre 1990, ce dernier doit avoir fait l’expérience d’un « événement pénible de proportions catastrophiques » et présente les « signes manifestes d’un syndrome de stress post-traumatique ».
46. Les requérants ont produit encore :
– le rapport, daté du 18 janvier 1990, d’un ancien professeur de psychologie à l’Université du Chili, M. Marcello Ferrada-Noli, aujourd’hui chercheur à l’Institut Karolinska de Stockholm ; il laisse entendre que le premier requérant pourrait chercher à résoudre ses problèmes par le suicide ;
– une lettre, du 20 octobre 1990, émanant de M. Sergio Bushman, porte-parole européen du F.P.M.R. ; d’après elle, risquaient leur vie au Chili non seulement les membres du Front, mais aussi ceux qui collaboraient avec lui ; elle ajoute que le danger d’être torturé, emprisonné ou assassiné subsiste toujours sous le régime actuel pour les membres du F.P.M.R. ;
– une coupure d’un journal chilien, du 17 octobre 1984, décrivant une tentative de sabotage à l’explosif d’une ligne électrique dans une ville située à 10 km de Villa Alemana ;
– une lettre écrite le 26 septembre 1990 par le personnel de l’école maternelle que fréquentait le troisième requérant ; elle exprime la crainte qu’une expulsion de Suède ne cause à Richard des dommages permanents.
II. DROIT ET PRATIQUE PERTINENTS
A. Législation interne
47. La loi de 1980 sur les étrangers et son décret d’application ont déployé leurs effets jusqu’au 1er juillet 1989, date de l’entrée en vigueur de la loi de 1989 sur le même objet ; un nouveau décret a été édicté en vertu de cette loi.
Sous l’empire de la loi de 1980, un arrêté d’expulsion pris par l’Office pouvait être attaqué devant le gouvernement, lequel statuait en dernier ressort et dont la décision était transmise à une autorité de police pour exécution. Si l’étranger affirmait, entre autres, qu’il allait être exposé à des persécutions politiques ou envoyé dans une région en guerre, on saisissait l’Office de la question (articles 85 et 86) sauf dans l’hypothèse d’assertions manifestement mal fondées ou indignes d’examen. A défaut de pareille saisine par l’autorité de police, un recours s’ouvrait à l’intéressé devant l’Office puis, au besoin, devant le gouvernement.
48. La loi de 1989 oblige les autorités compétentes à rechercher, en se prononçant sur l’expulsion, s’il existe un obstacle à l’exécution de la mesure.
49. Des clauses transitoires valent pour les cas soumis avant le 1er juillet 1989. Ils continuent à relever de la loi de 1980, qui a donc servi de base à la plupart des décisions adoptées en l’espèce.
50. D’après l’article 3 de la loi de 1980,
« Un réfugié ne peut se voir refuser l’asile en Suède sans des motifs graves lorsqu’il a besoin de semblable protection.
Par réfugié, la présente loi entend une personne se trouvant hors du pays de sa nationalité parce qu’elle a lieu de redouter d’être persécutée du fait de sa race, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou de ses opinions politiques ou religieuses, et qui ne peut ou, à cause d’une telle crainte, ne veut pas bénéficier de la protection de ce pays. Est aussi considéré comme réfugié l’apatride qui, pour la même raison, se trouve hors du pays de son ancienne résidence habituelle et qui ne peut ou, à cause d’une telle crainte, ne veut pas y retourner.
Aux fins de la présente loi, la persécution se définit comme l’indique le deuxième alinéa de cet article lorsqu’elle vise la vie ou la liberté de l’étranger ou, plus généralement, revêt un caractère grave (persécution politique). »
De la loi de 1980, il échet de citer aussi :
Article 6
« Si un étranger, tout en n’étant pas réfugié, ne veut pas rentrer dans son pays d’origine à cause de la situation politique qui y règne, et s’il peut avancer des raisons très solides à l’appui de ses hésitations, il ne peut, sans des motifs spéciaux, se voir refuser l’autorisation de séjourner en Suède s’il a besoin d’y être protégé. »
Article 38
« Un étranger peut être expulsé de Suède s’il y réside sans le passeport ou permis requis.
L’arrêté d’expulsion prévu à l’alinéa précédent doit émaner de l’Office national de l’immigration. Quand ce dernier rejette une demande de permis de séjour, il édicte en même temps pareil arrêté, sauf si des raisons très solides militent en sens contraire. »
Article 77
« En cas de mise à exécution d’un arrêté de refoulement ou d’expulsion, l’étranger ne peut être envoyé dans un pays où il risque des persécutions politiques, ni dans un pays où il n’a pas l’assurance de ne pas être envoyé dans un autre où il court un tel risque. »
Article 80
« Un étranger visé à l’article 6 et invoquant des raisons graves de ne pas être renvoyé dans son pays d’origine ne peut, lors de l’exécution d’un arrêté de refoulement ou d’expulsion, être envoyé dans ce pays, ni dans un autre d’où il risque d’y être renvoyé. »
Aux termes de l’article 33 du décret de 1980 sur les étrangers,
« Un étranger désireux de s’installer en Suède ou, pour une autre raison quelconque, d’y demeurer au-delà de la période visée à l’article 30, premier alinéa, ne peut y pénétrer avant d’avoir obtenu un permis de séjour, à moins :
1) d’en être dispensé en vertu de l’article 30, deuxième alinéa,
2) de relever d’une des catégories visées aux articles 3, 5 et 6 de la loi sur les étrangers (1980:376),
3) de vouloir rejoindre un proche parent ayant en Suède son domicile permanent et avec lequel il a antérieurement vécu à l’étranger, ou
4) qu’il n’existe un autre motif particulièrement important de l’autoriser à pénétrer dans le pays.
Un étranger entré en Suède sans permis de séjour, ou avec une autorisation valable pour un simple séjour temporaire, ne peut obtenir un tel permis tant qu’il se trouve sur le territoire, ou à la suite d’une demande formulée sur place, sauf dans les cas prévus au premier alinéa, sous-alinéas 2 à 4, du présent article. Nonobstant ce qui précède, un étranger entré en Suède comme visiteur et ayant des raisons sérieuses de prolonger sa visite peut obtenir un permis de séjour pour une durée déterminée. »
51. Depuis 1973, la Suède a accueilli environ 30.000 citoyens chiliens dont beaucoup ont bénéficié de l’asile politique. Depuis le 1er janvier 1989, elle exige un visa des voyageurs en provenance du Chili. L’évolution politique intervenue dans ce pays en 1988 et 1989 a conduit certains réfugiés à y retourner de leur plein gré pour se livrer à des activités politiques.
B. La pratique de la Commission au titre de l’article 36 de son règlement intérieur
52. D’après l’article 36 du règlement intérieur de la Commission,
« La Commission ou, si elle ne siège pas, le Président peut indiquer aux parties toute mesure provisoire dont l’adoption paraît souhaitable dans l’intérêt des parties ou du déroulement normal de la procédure. »
53. La Commission use de ce texte dans le seul cas où il s’avère que l’application de la mesure incriminée entraînerait un dommage irréparable. Il peut en aller ainsi dans l’hypothèse d’une expulsion ou extradition imminente, si le requérant affirme qu’il subira probablement dans l’État de destination un traitement contraire à l’article 2 (art. 2) ou à l’article 3 (art. 3) de la Convention.Normalement, l’article 36 du règlement intérieur ne joue qu’en présence d’allégations de cette nature. En outre, il doit exister un risque suffisant de voir l’intéressé soumis à pareil traitement si on l’envoie dans le pays en cause et il faut donc fournir à la Commission des éléments qui en témoignent.
54. Toute demande de mesure provisoire est aussitôt déférée à la Commission ou, si elle ne siège pas, au président ou président en exercice. Une indication au titre de l’article 36 comporte toujours une limite de temps. Si elle émane du président ou du président en exercice, elle ne vaut que jusqu’à la prochaine session de la Commission ; lorsqu’elle émane de celle-ci, elle ne produit en général ses effets que jusqu’à la session suivante.
55. Dès que la Commission ou son président a recouru à l’article 36, le secrétaire communique la décision par téléphone à toutes les parties et la leur confirme par courrier ou par télécopie.Jusqu’à l’expulsion du premier requérant, la Commission avait reçu 182 demandes de mesures provisoires dans des cas d’expulsion (par opposition aux cas d’extradition). Une indication au titre de l’article 36 a été donnée dans 31 d’entre eux et les États défendeurs s’y sont chaque fois conformés. Ils ont passé outre à pareille indication dans plusieurs affaires d’extradition.
III. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
A. Les indications données en l’espèce par la Commission au titre de l’article 36
56. La requête a été introduite et enregistrée le 5 octobre 1989. Le lendemain à 9 heures, la Commission a résolu d’appliquer l’article 36 de son règlement intérieur en ces termes :
« La Commission (…) décide (…) d’indiquer au gouvernement suédois (…) qu’il est souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas expulser les requérants vers le Chili tant qu’elle n’aura pas eu la possibilité d’examiner la requête au cours de sa prochaine session du 6 au 10 novembre 1989. »
57. A 9 h 10, le secrétaire a communiqué la décision par téléphone à l’agent du Gouvernement et l’a confirmée par télécopie à midi.
58. Des fonctionnaires du ministère du Travail ont appris ladite décision à 9 h 20. Saisi à 12 h 45, le ministre compétent n’a pu agir car, selon les renseignements fournis par le Gouvernement, ce dernier avait tranché la question et elle se trouvait en instance devant l’Office.
59. Le même jour, ce dernier a refusé de surseoir à l’exécution de l’arrêté comme l’en avait prié M. Cruz Varas. Il avait déjà connaissance de la requête à la Commission et de l’indication donnée par celle-ci en vertu de l’article 36.
60. L’intéressé a été renvoyé au Chili le 6 octobre 1989 à 16 h 40. Son épouse et son fils sont entrés dans la clandestinité en Suède.
61. Le 9 novembre 1989, la Commission a pris la décision suivante au titre de l’article 36 :
« Après avoir étudié les arguments des parties, la Commission décide, en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur, d’indiquer au Gouvernement qu’il est souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de n’expulser vers le Chili aucun des requérants se trouvant encore en Suède tant qu’elle n’aura pas eu la possibilité d’examiner la requête plus avant au cours de sa prochaine session du 4 au 15 décembre 1989. Quant à M. Cruz Varas, la Commission, puisque le Gouvernement n’a pas déféré à sa première indication l’invitant à ne pas expulser l’intéressé vers le Chili, indique à présent qu’il est souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, que le Gouvernement adopte des mesures permettant à ce requérant de retourner en Suède dans les meilleurs délais. »
62. Par une lettre du 22 novembre 1989, le Gouvernement a informé la Commission que l’Office allait examiner une demande d’autorisation d’entrée et de séjour en Suède, introduite par le premier requérant, et que la question de l’exécution de l’arrêté à l’égard de Mme Bustamento Lazo et de M. Richard Cruz restait pendante devant cet organe. En conséquence il avait décidé, le 16 novembre 1989, de lui communiquer l’indication reçue de la Commission.
63. A la suite de l’audience du 7 décembre 1989, celle-ci a décidé de maintenir sa deuxième indication qui estimait souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas expulser vers le Chili les deuxième et troisième requérants et de prendre des mesures permettant à M. Cruz Varas de regagner la Suède dans les meilleurs délais.
64. Le 7 juin 1990 elle a résolu, après l’adoption de son rapport, de ne pas proroger ladite indication.
B. Examen de la requête par la Commission
65. Les requérants alléguaient que l’expulsion de M. Cruz Varas avait violé l’article 3 (art. 3) car elle l’avait exposé au risque d’être torturé par les autorités chiliennes. Ils avançaient aussi que celle de Richard irait à l’encontre du même article (art. 3). Ils voyaient en outre dans la séparation de leur famille une infraction à l’article 8 (art. 8). Ils invoquaient enfin les articles 6 et 13 (art. 6, art. 13).
66. Le 7 décembre 1989, la Commission a déclaré recevables les griefs tirés des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) et irrecevables ceux qui s’appuyaient sur les articles 6 et 13 (art. 6, art. 13). Elle a également retenu, pour examen ultérieur, les problèmes résultant du non-respect, par le Gouvernement, des indications données en vertu de l’article 36 du règlement intérieur.
Dans son rapport du 7 juin 1990 (article 31) (art. 31), elle ne relève aucun manquement aux exigences de l’article 3 (art. 3) (huit voix contre cinq) ni de l’article 8 (art. 8) (unanimité) ; en revanche, le Gouvernement lui paraît avoir méconnu l’article 25 § 1 (art. 25-1) in fine de la Convention en n’évitant pas d’expulser le premier requérant ainsi qu’elle le lui avait demandé en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur (douze voix contre une). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt[*].
CONCLUSIONS SOUMISES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
67. À l’audience publique du 22 octobre 1990, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour « à dire qu’il n’y a pas eu violation de la Convention en l’espèce ».
EN DROIT
I.SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 3 (art. 3)
68. Les requérants considèrent l’expulsion de M. Cruz Varas vers le Chili comme un traitement inhumain contraire à l’article 3 (art. 3) de la Convention, en raison de la perspective d’y être torturé par les autorités et du traumatisme résultant de son renvoi dans un pays où il avait déjà subi de tels sévices. Ils soutiennent en outre que l’expulsion du troisième d’entre eux (Richard) entraînerait des souffrances incompatibles avec ce texte, aux termes duquel
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Applicabilité de l’article 3 (art. 3) en matière d’expulsion
69. Dans son arrêt Soering du 7 juillet 1989, la Cour a jugé que la décision d’un État contractant d’extrader un fugitif peut soulever un problème au regard de l’article 3 (art. 3), donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on le livre à l’État requérant, y courra un risque réel d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (série A no 161, p. 35, § 91).
Si, pour établir une telle responsabilité, on ne peut éviter d’apprécier la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 (art. 3), il ne s’agit pas pour autant de constater ou prouver la responsabilité de ce pays en droit international général, en vertu de la Convention ou autrement. Dans la mesure où une responsabilité se trouve ou peut se trouver engagée sur le terrain de la Convention, c’est celle de l’État contractant qui extrade, du chef d’un acte qui a pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés (ibidem, p. 36, § 91).
70. L’affaire concerne une expulsion et non une extradition, mais la Cour estime que le principe énoncé plus haut s’applique également aux décisions d’expulsion et, a fortiori, aux expulsions effectives.
B. Application de l’article 3 (art. 3) en l’espèce
1. Thèses des comparants
71. Le premier requérant affirme avoir participé à diverses menées politiques clandestines et subversives au Chili, en collaboration avec le F.P.M.R. mais sans le représenter. Cela lui aurait valu d’être arrêté à plusieurs reprises et torturé par la police chilienne. En raison de ses activités antérieures, son expulsion lui aurait fait courir le risque de se voir à nouveau arrêté et torturé à son retour au Chili car ces méthodes y avaient toujours cours.
En outre, des pièces médicales étayeraient ses allégations selon lesquelles il a subi jadis des tortures et souffre d’un syndrome de stress post-traumatique lié à ses expériences. Pour apprécier ce qu’il dit de ses activités politiques clandestines, la Cour devrait se souvenir que les demandeurs d’asile peuvent rarement produire en la matière des preuves documentaires ; ses activités auraient d’ailleurs revêtu un caractère tel qu’il ne saurait les établir de la sorte. Il importerait aussi de se rappeler que les victimes de la torture peuvent ressentir une certaine méfiance envers toute autorité et craindre de donner une description complète et précise de leur cas. Dès lors, M. Cruz Vars aurait droit à un « allégement » du fardeau de la preuve et au bénéfice du doute, eu égard notamment aux attestations médicales fournies par lui.
72. Le Gouvernement soutient, lui, qu’il connaissait fort bien la situation au Chili, grâce aux nombreux réfugiés chiliens dont il a eu à s’occuper au fil des ans et à ses contacts, par l’intermédiaire de l’ambassade de Suède à Santiago, avec des groupes d’opposition. Il souligne qu’à l’époque de la décision d’expulsion litigieuse, une amélioration notable avait eu lieu là-bas en ce qui concerne le régime politique et les droits de l’homme ; beaucoup de personnes ayant cherché abri en Suède regagnaient le pays pour s’y livrer à des activités politiques. De plus, il aurait examiné de près les assertions du premier requérant et les aurait jugées non plausibles. A ce sujet, il relève que jusqu’à son interrogatoire par la police le 13 janvier 1989 (paragraphe 22 ci-dessus), l’intéressé ne parla pas aux autorités de tortures endurées par lui ; son récit recèlerait du reste des contradictions internes et manquerait de crédibilité sur plusieurs points.
De surcroît, les éléments rassemblés par le Gouvernement depuis l’expulsion incriminée le conforteraient dans son opinion selon laquelle M. Cruz Varas n’a jamais été actif sur le plan politique, ni membre du F.P.M.R. ni persécuté par la police.
Enfin, les pièces médicales présentées par le premier requérant montreraient seulement qu’il a subi des mauvais traitements par le passé ; elles n’indiqueraient pas qu’il ait été torturé par les autorités chiliennes ou par des individus pouvant engager la responsabilité du gouvernement chilien.
73. La Commission, en revanche, estime que de telles personnes ont infligé jadis à l’intéressé des traitements contraires à l’article 3 (art. 3). Vu l’évolution politique observée au Chili, elle considère toutefois qu’il ne risquait pas vraiment d’y être à nouveau exposé.
2. Examen par la Cour des questions en litige
a. Constatation des faits
74. La Cour rappelle que le système de la Convention confie en premier lieu à la Commission l’établissement et la vérification des faits (articles 28 § 1 et 31) (art. 28-1, art. 31). Aussi n’use-t-elle de ses propres pouvoirs en la matière que dans des circonstances exceptionnelles. Toutefois, elle n’est pas liée par les constatations du rapport et demeure libre d’apprécier les faits elle-même, à la lumière de tous les éléments qu’elle possède.
75. Pour déterminer s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire à un risque réel de traitements incompatibles avec l’article 3 (art. 3), elle s’appuie sur l’ensemble des données qu’on lui fournit ou, au besoin, qu’elle se procure d’office (arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 64, § 160).
76. Dans une telle affaire, un État contractant assume une responsabilité au titre de l’article 3 (art. 3) pour avoir exposé quelqu’un au risque de mauvais traitements. Pour contrôler l’existence de ce risque, il faut donc se référer par priorité aux circonstances dont l’État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’expulsion, mais cela n’empêche pas la Cour de tenir compte de renseignements ultérieurs ; ils peuvent servir à confirmer ou infirmer la manière dont la Partie contractante concernée a jugé du bien-fondé des craintes d’un requérant.
b. Sur le point de savoir si son expulsion exposait le premier requérant à un risque réel de traitements inhumains
77. La Cour prend acte des attestations médicales communiquées par les requérants et notamment de celle du Dr Jacobsson, d’après laquelle les blessures physiques de M. Cruz Varas et son attitude pendant son récit cadrent avec ses allégations (paragraphes 26 et 39-40 ci-dessus). Vu l’expérience de ce praticien dans l’examen de victimes de tortures, son témoignage étaye la thèse selon laquelle l’intéressé a subi, par le passé, des traitements inhumains ou dégradants. La Commission les attribue à des individus dont le régime chilien de l’époque était responsable ; elle n’aperçoit aucune autre explication plausible. Toutefois, cette conclusion ne trouve aucun appui direct dans le dossier, en dehors des dires du premier requérant.
78. Au demeurant, même si l’on a égard à la méfiance dont les demandeurs d’asile peuvent témoigner envers les autorités et de la difficulté pour eux de consolider leur version par des documents, un fait jette un doute considérable sur la crédibilité de M. Cruz Varas : le silence complet observé par celui-ci, durant plus de dix-huit mois après son premier interrogatoire par la police de Växjö, sur les activités clandestines qu’il aurait menées dans son pays et sur les tortures que lui auraient infligées les autorités chiliennes (paragraphes 14-22 ci-dessus).
Ainsi que le souligne le Gouvernement, il n’en fut question ni lors des interrogatoires de police de juin 1987 et octobre 1988, ni dans les nombreuses observations écrites soumises au cours de la procédure d’immigration jusqu’en janvier 1989 (paragraphe 22 ci-dessus). Le doute s’accroît si l’on se rappelle que l’intéressé fut représenté par un avocat aux divers stades de cette procédure et doit avoir saisi l’importance de signaler aux autorités tout élément plaidant en faveur de sa demande d’asile. Sa crédibilité apparaît également sujette à caution à cause des changements qu’il ne cessa d’apporter à son récit après chaque interrogatoire et de la circonstance que rien dans le dossier ne justifie ses allégations d’activités politiques clandestines pour le compte du F.P.M.R. ou en collaboration avec ses membres (ibidem). Les données recueillies incitent au contraire à conclure dans le sens opposé (paragraphes 41-43 ci-dessus).
79. La Cour relève en outre que pendant son séjour au Chili après son expulsion, M. Cruz Varas semble ne pas avoir pu trouver des témoins, ni d’autres preuves, capables d’établir tant soit peu la réalité de ses activités politiques clandestines.
80. Du reste, une évolution démocratique se déroulait au Chili ; elle avait entraîné une amélioration de la situation politique et même le rapatriement volontaire de réfugiés de Suède et d’ailleurs (paragraphes 34 et 51 ci-dessus).
81. La Cour attache aussi du poids au fait que les autorités suédoises possédaient une connaissance et une expérience particulières dans l’examen d’affirmations du type de celles dont il s’agit, en raison du grand nombre de demandeurs d’asile chiliens arrivés en Suède depuis 1973. La décision finale d’expulser le requérant fut prise après une étude approfondie de son cas par l’Office national de l’immigration et par le gouvernement (paragraphes 14-33 ci-dessus).
82. Ces considérations amènent la Cour à conclure à l’absence de motifs sérieux et avérés de croire que l’expulsion de M. Cruz Varas allait exposer celui-ci à un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants à son retour au Chili en octobre 1989. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3) de ce chef.
c. Sur le point de savoir si l’expulsion a causé au premier requérant un traumatisme tel qu’elle a enfreint l’article 3 (art. 3)
83. Il échet de rappeler que pour tomber sous le coup de l’article 3 (art. 3), un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement ainsi que de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (arrêt Soering précité, série A no 161, p. 39, § 100, avec les références).
84. En l’espèce, le premier requérant souffrait, selon les médecins, d’un syndrome de stress post-traumatique avant son expulsion et sa santé mentale semble s’être détériorée après son retour au Chili (paragraphes 27 et 44 ci-dessus). Il résulte cependant de la constatation figurant au paragraphe 82 que nul élément de preuve substantiel ne justifiait ses craintes. La Cour considère donc que son expulsion n’a pas franchi le seuil fixé par l’article 3 (art. 3).
d. Sur le point de savoir si l’expulsion éventuelle du troisième requérant pourrait violer l’article 3 (art. 3)
85. Les requérants ne paraissent pas avoir maintenu devant la Cour leur grief selon lequel l’expulsion de Richard méconnaîtrait l’article 3 (art. 3). De toute manière, les faits ne révèlent pas non plus de violation à cet égard.
C. Récapitulation
86. En résumé, il n’y a pas eu manquement aux exigences de l’article 3 (art. 3).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 8 (art. 8)
87. D’après les trois requérants, l’expulsion du premier d’entre eux les a séparés au mépris de leur droit au respect de leur vie familiale, garanti par l’article 8 (art. 8) aux termes duquel
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Pour juger de l’existence de pareille infraction, il importerait de ne pas oublier que la Commission avait demandé au Gouvernement, en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur, de surseoir à l’expulsion. Le renvoi de M. Cruz Varas dans son pays aurait placé son épouse et leur fils devant une alternative : se terrer en Suède et user du droit de recours prévu à l’article 25 (art. 25) de la Convention, ou regagner le Chili avec l’intéressé.
88. Ainsi que le notent Gouvernement et Commission, les autorités suédoises avaient ordonné l’expulsion des trois requérants, mais le deuxième et le troisième entrèrent dans la clandestinité et y demeurèrent afin d’échapper à l’exécution de la mesure (paragraphe 33 ci-dessus). En outre, aucun obstacle qui les eût empêchés de mener une vie familiale dans leur pays d’origine ne ressort du dossier (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali du 28 mai 1985, série A no 94, p. 34, § 68). La Cour se réfère sur ce point à sa conclusion relative aux griefs tirés de l’article 3 (art. 3) (paragraphe 86 ci-dessus). Dès lors, elle ne saurait imputer à la Suède la responsabilité de la séparation de la famille.
89. Partant, il n’y a pas eu « manque de respect » pour la vie familiale des requérants, au sens de l’article 8 (art. 8).
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 25 § 1 (art. 25-1)
90. Il reste à rechercher si le gouvernement suédois, pour avoir passé outre à la demande de non-expulsion des intéressés que la Commission lui avait adressée en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur, a failli à son obligation de n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace du droit de recours. Elle découle de l’article 25 § 1 (art. 25-1), ainsi libellé :
« La Commission peut être saisie d’une requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers, qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la (…) Convention, dans le cas où la Haute Partie Contractante mise en cause a déclaré reconnaître la compétence de la Commission dans cette matière. Les Hautes Parties Contractantes ayant souscrit une telle déclaration s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »
L’article 36 du règlement intérieur de la Commission dispose de son côté:
« La Commission ou, si elle ne siège pas, le Président peut indiquer aux parties toute mesure provisoire dont l’adoption paraît souhaitable dans l’intérêt des parties ou du déroulement normal de la procédure. »
A. Thèses des comparants
91. Selon les requérants, l’exercice efficace du droit de recours exigeait qu’un résultat favorable de la procédure engagée à Strasbourg présentât pour eux une utilité réelle. Or tel n’eût pas été le cas si, au moment de la décision finale, M. Cruz Varas devait déjà avoir subi le préjudice que la requête cherchait à éviter. L’efficacité de l’exercice du droit de recours impliquerait aussi le respect, durant ladite procédure, du principe de l’égalité des armes et du droit des requérants à suffisamment de temps et de facilités pour préparer leur défense, deux éléments fondamentaux du procès équitable voulu par l’article 6 (art. 6). Or leur avocat n’avait pas de contacts directs avec le premier requérant, de sorte que les intéressés auraient été privés de la possibilité de susciter, dans le cadre de l’administration des preuves, certaines recherches propres à étayer leurs allégations au titre des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8). De surcroît, comme M. Cruz Varas se trouvait hors d’état de participer à l’instance devant la Commission, ils n’auraient pas bénéficié d’une procédure équitable, sur un pied d’égalité avec le Gouvernement, et n’auraient donc pu présenter efficacement leur cause.
92. D’après le Gouvernement, la Convention n’engendre aucune obligation de se conformer aux indications données en vertu de l’article 36 du règlement intérieur de la Commission. L’avis de cette dernière sur le bien-fondé d’un grief ne s’imposerait pas à un État contractant et les termes mêmes de la demande adressée en l’espèce refléteraient son caractère non contraignant. De plus, le fait que lesdites indications ont été observées dans le passé ne saurait les rendre obligatoires au regard de la Convention.
Si le Gouvernement avait pensé le contraire, la Suède n’aurait pu ratifier la Convention sans amender sa législation interne : dans des cas comme celui-ci, déférer à de telles demandes se heurterait à des obstacles constitutionnels.
Quant à l’article 25 (art. 25) de la Convention, on l’aurait interprété jusqu’ici comme garantissant exclusivement le droit procédural d’introduire une requête et les facilités nécessaires pour l’exercer. Ni son libellé, ni la doctrine ne prêteraient aucun appui à la thèse de la Commission selon laquelle il protège les requérants contre des dommages irréparables. De toute manière, l’exécution de l’arrêté d’expulsion n’aurait pas, en réalité, empêché le premier requérant de présenter sa cause à la Commission.
93. D’après celle-ci, la Suède, en passant outre à la première indication donnée sur la base de l’article 36 du règlement intérieur, a manqué à un engagement qu’elle avait assumé en vertu de l’article 25 § 1 (art. 25-1) de la Convention. Même s’il ne comporte pas un devoir général, pour les Parties contractantes, de suspendre des mesures ou décisions au niveau national, la mise en oeuvre d’une décision pourrait, dans des circonstances spéciales, contrecarrer l’exercice efficace du droit de recours. Il en irait ainsi lorsqu’un requérant court un grand risque de subir un dommage sérieux et irréparable si on l’expulse dans un cas où, au titre dudit article 36, la Commission a invité l’État défendeur à y renoncer. Si les Parties n’étaient pas tenues de suivre les indications de la Commission ou de la Cour, ou de se garder de mesures propres à menacer la vie d’un requérant, l’efficacité du système en souffrirait. En l’espèce, le Gouvernement aurait entravé l’examen de la violation alléguée et jeté un doute sur l’utilité pratique des constatations des organes de la Convention.
B. Examen par la Cour des questions en litige
1. Considérations générales
94. La Convention – la Cour l’a déjà noté plus d’une fois – doit se lire en fonction de son caractère spécifique de traité de protection d’êtres humains et ses exigences doivent se comprendre d’une manière qui les rende concrètes et effectives (voir notamment l’arrêt Soering précité, série A no 161, p. 34, § 87). Cette analyse militerait en faveur d’un pouvoir, pour la Commission et la Cour, d’ordonner des mesures provisoires afin de préserver les droits des parties en cours d’instance, mais il faut bien relever que la Convention, à la différence d’autres traités ou instruments internationaux, ne renferme aucune clause explicite en la matière (voir par exemple les articles 41 du Statut de la Cour internationale de Justice, 63 de la Convention américaine des Droits de l’Homme de 1969, 185 et 186 du Traité de 1957 instituant la Communauté économique européenne).
95. Le Mouvement Européen, qui lança l’idée d’une convention européenne des droits de l’homme, avait à l’origine inséré dans un projet de statut de la Cour européenne des Droits de l’Homme un texte relatif aux mesures provisoires, l’article 35, inspiré pour l’essentiel de l’article 41 du Statut de la Cour internationale de Justice (Recueil des travaux préparatoires, vol. I, p. 31). Les travaux préparatoires de la Convention ne signalent cependant aucune discussion à ce sujet.
96. L’absence, dans la Convention, d’une disposition expresse sur les mesures provisoires a conduit l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe à recommander au Comité des Ministres de rédiger un protocole additionnel à la Convention qui habiliterait les organes de celle-ci à prescrire des mesures provisoires dans les cas appropriés (Recommandation 623 (1971), Annuaire de la Convention, vol. 14, pp. 68-71). Toutefois, le Comité a estimé inopportune l’élaboration d’un tel protocole, au motif notamment que la pratique de la Commission, consistant à demander aux gouvernements de surseoir à l’exécution d’une mesure attaquée, répondait aux besoins (Documents de séance de l’Assemblée consultative, 25e session ordinaire (25 septembre-2 octobre 1973), Doc. 3325, pp. 4-6). Ultérieurement, l’Assemblée l’a engagé à inviter les États membres à « ne pas procéder à l’extradition ou à l’expulsion vers un État tiers » lorsque la Commission ou la Cour auraient à connaître de griefs fondés, par exemple, sur l’article 3 (art. 3) (Recommandation 817 (1977) relative à certains aspects du droit d’asile, Annuaire de la Convention, vol. 20, pp. 82-85). Pour finir, il a adopté le 27 juin 1980 une telle recommandation pour les cas d’extradition vers un État non contractant (Recommandation no R (80) 9, Annuaire de la Convention, vol. 23, pp. 78-79).
2. Sur la possibilité de tirer de l’article 25 § 1 (art. 25-1) ou d’autres sources, un pouvoir d’ordonner des mesures provisoires
97. En l’espèce, il s’agit de savoir si, à défaut d’une clause explicite dans la Convention, la Commission peut puiser dans l’article 25 § 1 (art. 25-1), pris isolément ou combiné avec l’article 36 de son règlement intérieur, ou dans d’autres sources, un pouvoir d’ordonner des mesures provisoires.
98. Il échet de relever d’emblée que ledit article 36 a le rang d’une simple norme de procédure établie par la Commission en vertu de l’article 36 (art. 36) de la Convention. Vu l’absence, dans celle-ci, d’un texte consacré aux mesures provisoires, une indication donnée au titre de l’article 36 du règlement intérieur ne saurait passer pour créer une obligation juridique à la charge d’un État contractant. En témoignent du reste les propres termes tant de cette dernière disposition (« peut indiquer aux parties toute mesure provisoire dont l’adoption paraît souhaitable ») que des demandes formulées en l’occurrence sur sa base (« d’indiquer au gouvernement suédois (…) qu’il est souhaitable (…) de ne pas expulser les requérants vers le Chili » – voir le paragraphe 56 ci-dessus et le texte similaire reproduit au paragraphe 61).
99. Quant à l’engagement de ne pas entraver l’exercice efficace du droit de recours, il faut noter d’abord que l’article 25 § 1 (art. 25-1) de la Convention vaut uniquement pour les instances introduites devant la Commission, et ce, par voie de requête individuelle. Il ne s’applique pas aux affaires interétatiques, où le respect des indications données au titre de l’article 36 du règlement intérieur offre pourtant, en substance, le même intérêt.
Entendu dans son sens ordinaire, il interdit les ingérences dans l’exercice du droit, pour l’individu, de porter et défendre effectivement sa cause devant la Commission. Il confère de la sorte au requérant un droit de nature procédurale, à distinguer des droits matériels énumérés au titre I de la Convention et dans les protocoles additionnels. Il résulte toutefois de l’essence même de ce droit que les particuliers doivent pouvoir se plaindre de sa méconnaissance aux organes de la Convention. A cet égard aussi, la Convention doit s’interpréter comme garantissant des droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires (arrêt Soering précité, série A no 161, p. 34, § 87, avec les références).
Néanmoins, on l’a vu, aucune clause expresse de la Convention n’habilite la Commission à ordonner des mesures provisoires. On forcerait le sens de l’article 25 (art. 25) si l’on déduisait des mots « s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit » une obligation de se conformer à une indication donnée en vertu de l’article 36 du règlement intérieur.Cette conclusion ne perd pas de sa valeur si l’on combine l’article 25 § 1 (art. 25-1) avec ledit article 36 ou – comme le suggère le délégué de la Commission – avec les articles 1 et 19 (art. 1, art. 19) de la Convention.
100. En pratique, les États contractants ont jusqu’ici presque toujours suivi les indications dont il s’agit. On pourrait considérer pareille pratique comme attestant de leur accord sur la manière d’interpréter une certaine disposition (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Soering précité, série A no 161, pp. 40-41, § 103, et l’article 31 § 3 b) de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités), mais non comme créant des droits et obligations non insérés dans la Convention au départ (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Johnston et autres du 18 décembre 1986, série A no 112, p. 25, § 53). En tout cas – les diverses recommandations précitées des organes du Conseil de l’Europe le confirment -, l’usage consistant à respecter lesdites indications ne peut avoir été fondé sur la conviction qu’elles revêtaient un caractère contraignant (paragraphe 96 ci-dessus) ; il reflète plutôt le souci de coopérer loyalement avec la Commission quand l’État en cause le juge possible et raisonnable.
101. Enfin, les principes généraux du droit international n’offrent ici aucun secours : comme le souligne la Commission, la question de la force obligatoire des mesures provisoires indiquées par les juridictions internationales prête à controverse et il n’existe pas de règle juridique uniforme.
102. Dès lors, la Cour estime que le pouvoir d’ordonner des mesures provisoires ne peut se déduire ni de l’article 25 § 1 (art. 25-1) in fine ni d’autres sources. Il appartient aux États contractants d’apprécier l’opportunité de remédier à cette situation en adoptant une nouvelle disposition malgré la bonne foi que les gouvernements montrent d’habitude en la matière.
103. A ce sujet, il faut se rappeler que la Commission et son président ne recourent à l’article 36 du règlement intérieur que dans des circonstances exceptionnelles. Il leur sert, dans une affaire d’expulsion (ou d’extradition), à signaler à un État contractant qu’à leurs yeux le requérant pourra subir un dommage irréversible si on l’expulse et, de surcroît, qu’il y a lieu de penser que cette mesure pourra violer l’article 3 (art. 3) de la Convention. Si l’État décide de ne pas se conformer à l’indication reçue de la sorte, il assume sciemment le risque de voir les organes de la Convention le déclarer coupable d’infraction à l’article 3 (art. 3). Dans le cas d’un État rendu ainsi attentif aux dangers qu’il y a à préjuger de l’issue du litige en instance devant la Commission, on doit selon la Cour considérer le refus de suivre l’indication en cause comme aggravant tout manquement aux exigences de l’article 3 (art. 3) ultérieurement constaté à Strasbourg.
3. Sur le point de savoir si l’expulsion entrava réellement l’exercice efficace du droit de recours
104. D’après les requérants, l’expulsion de M. Cruz Varas constitua vraiment un obstacle à la présentation efficace de la requête à la Commission.
Le respect de l’indication donnée par celle-ci aurait sans nul doute aidé les intéressés à défendre leurs intérêts devant elle. Toutefois, rien n’établit qu’ils aient été gênés à un degré notable dans l’exercice de leur droit de recours. Le premier requérant resta en liberté après son retour au Chili et put quitter le pays sans encombre (paragraphes 36-38 ci-dessus). En réalité, leur conseil a été pleinement en mesure d’agir en leur nom devant la Commission, malgré l’absence de M. Cruz Varas lors de l’audience.
Il n’apparaît pas davantage que l’impossibilité pour ce dernier de s’entretenir avec son avocat ait entravé la réunion d’éléments de preuve en plus de ceux déjà produits pendant la longue procédure d’immigration en Suède, ni la réfutation de la thèse du Gouvernement sur les questions de fait.
4. Récapitulation
105. En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article 25 § 1 (art. 25-1) in fine.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, par dix-huit voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3) ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu infraction à l’article 8 (art. 8) ;
3. Dit, par dix voix contre neuf, qu’il n’y a pas eu manquement aux exigences de l’article 25 § 1 (art. 25-1) in fine.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 20 mars 1991.
Rolv RYSSDAL – Président
Marc-André EISSEN – Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion dissidente de MM. Cremona, Thór Vilhjálmsson, Walsh, Macdonald, Bernhardt, De Meyer, Martens, Foighel et Morenilla ;
– opinion séparée de M. De Meyer.
R. R.
M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE A MM. LES JUGES CREMONA, THÓR VILHJÁLMSSON, WALSH, MACDONALD, BERNHARDT, DE MEYER, MARTENS, FOIGHEL et MORENILLA
(Traduction)
A nos yeux, il y a eu violation de l’article 25 (art. 25) en ce que le premier requérant fut expulsé vers le Chili le 6 octobre 1989, un jour après avoir saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme et quelques heures après qu’elle eut demandé au Gouvernement « de ne pas expulser les requérants vers le Chili (…) ».
1. La présente décision confirme la solution adoptée dans l’arrêt Soering : une extradition ou expulsion peut enfreindre la Convention. Il ne saurait en aller autrement, car celle-ci assure une sauvegarde réelle et effective des droits de l’homme à toute personne présente sur le territoire des États membres ; leurs gouvernements ne sauraient être autorisés à exposer une telle personne à des violations graves de ces droits dans des pays tiers, surtout s’il y a lieu de craindre des tortures ou d’autres violations de droits fondamentaux.
La garantie fournie par la Convention serait dépourvue de sens si un État avait le droit d’extrader ou expulser quelqu’un sans qu’il existe aucun moyen d’apprécier au préalable – autant que possible et au plus tôt – les conséquences de cette mesure. La Cour a souligné à plusieurs reprises que « l’objet et le but de cet instrument de protection des êtres humains appellent à comprendre et à appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives » (arrêt Soering du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 34, § 87). Il faut se rappeler ce principe de base lorsque l’on examine les garanties procédurales offertes par la Convention.
2. Certes, d’après sa lettre l’article 25 § 1 (art. 25-1), deuxième phrase, semble protéger seulement l’exercice efficace du droit d’introduire une requête, mais les États ne sauraient pour autant priver d’intérêt pratique le résultat éventuel d’un recours. Autrement, ils seraient astreints de laisser une personne saisir la Commission mais libres de l’expulser aussitôt après. Nous ne pouvons accepter pareille interprétation. Selon nous, la garantie procédurale inscrite à l’article 25 (art. 25) présuppose et inclut le droit, pour le particulier, à se voir accorder à tout le moins une chance de faire étudier de plus près ses griefs par les organes de la Convention et à obtenir en fin de compte, le cas échéant, la protection de ses droits fondamentaux.
3. Il n’en résulte pas que tout recours formé en vertu de l’article 25 (art. 25) empêche automatiquement une extradition ou expulsion vers un pays tiers. Le dépôt d’un tel recours contre une décision d’extradition ou d’expulsion ne saurait à lui seul limiter le pouvoir des gouvernements d’étudier et soupeser les preuves disponibles et de décider s’il convient, nonobstant, d’exécuter la mesure incriminée. Pour trancher la question, ils peuvent prendre en compte la circonstance que beaucoup de requêtes sont manifestement mal fondées, s’inspirer de considérations touchant à la sûreté de l’État et à l’ordre public, ou intégrer d’autres données (dont la durée des instances devant les organes de la Convention). L’indication de mesures provisoires au titre de l’article 36 du règlement intérieur de la Commission entre toutefois en jeu à ce stade, et à lui seul. Elle donne à l’État défendeur l’assurance que la Commission attribue à la requête une grande importance au regard de la Convention et qu’elle va instruire l’affaire avec célérité (paragraphes 52-55 de l’arrêt). Vues dans cette perspective, les mesures dont il s’agit lient l’État en cause car elles constituent l’unique moyen de prémunir le requérant contre une violation de ses droits de nature à lui causer un préjudice irréparable. En outre, la Convention implique à notre sens que dans des cas tels que celui-ci, la Commission et la Cour ont le pouvoir de demander aux États contractants de s’abstenir d’exécuter une mesure propre non seulement à occasionner des dommages sérieux, mais aussi à réduire à néant le résultat de toute la procédure devant elles.
En dernière analyse, nous estimons incompatible avec l’article 25 (art. 25) que le premier requérant ait été expulsé immédiatement après avoir saisi la Commission et au mépris des demandes formulées par elle en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur.
4. On ne saurait attacher en l’espèce aucun poids à la circonstance que le requérant n’a pas été torturé à son retour au Chili et a pu accomplir les démarches nécessaires dans le cadre de la procédure devant les organes de la Convention. On doit se replacer à la date critique du 6 octobre 1989. A l’époque, on ne pouvait exclure une violation grave des droits de l’homme consécutive à l’expulsion et la Commission avait clairement indiqué qu’un examen plus approfondi se révélait nécessaire et aurait lieu à bref délai.
5. Sans doute la Convention, à la différence de certains autres instruments internationaux, ne renferme-t-elle aucune clause explicite relative à l’indication de mesures provisoires, mais cela n’empêche pas de lui donner une interprétation autonome mettant l’accent sur son objet et son but comme sur l’efficacité de son mécanisme de contrôle. Dans ce contexte aussi, les conditions actuelles sont importantes. Presque tous les États membres du Conseil de l’Europe ont désormais accepté le droit de recours individuel et la juridiction obligatoire de la Cour. Il est indispensable que les organes de la Convention puissent garantir l’efficacité de la protection qu’il leur incombe d’assurer.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER
Compte tenu des circonstances de l’affaire, décrites en détail dans l’arrêt[1], ainsi que du fait qu’en octobre 1989 la situation au Chili n’était pas encore suffisamment rassurante[2], il y avait, à mon avis, des motifs de croire que l’expulsion du premier requérant vers ce pays était de nature à l’y exposer à « un risque réel d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants »[3]. J’estime donc qu’il y a eu, à son égard, violation des droits garantis par l’article 3 (art. 3) de la Convention.
[1] Voir les paragraphes 12 à 33 ci-dessus. Voir aussi la déclaration du Dr Jacobsson, résumée aux paragraphes 49 à 57 du rapport de la Commission et aux paragraphes 39 et 40 de l’arrêt, ainsi que les conclusions du Prof. MarianoCastex et du Dr Søndergaard, mentionnées aux paragraphes 44 et 45 de l’arrêt.
[2] Le Général Pinochet était toujours président. Voir aussi le paragraphe 35, in fine, de l’arrêt et le paragraphe 4 de l’opinion dissidente commune.
[3] Arrêt Soering du 7 juillet 1989, série A n° 161, p. 35, § 91.