PREMIÈRE SECTION
(Requête n° 38436/97)
ARRÊT
STRASBOURG
21 mars 2002
DÉFINITIF
21/06/2002
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire APBP c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M.C.L. Rozakis, président,
MmeF. Tulkens,
MM.J.-P. Costa,
G. Bonello,
E. Levits,
MmeS. Botoucharova,
M.A. Kovler, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 février 2002,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 38436/97) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet État, la société d’édition des Artistes Peignant de la Bouche et du Pied (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 30 octobre 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée devant la Cour par Maître C. Van Bugenhout, avocat à Bruxelles. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. La requérante alléguait l’iniquité de la procédure devant le Conseil d’État.
4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).
5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6. Par une décision du 10 octobre 2000, la Cour a déclaré la requête recevable.
7. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. La société requérante fit l’objet, à compter d’avril 1985, d’une vérification de comptabilité pour les exercices 1980 à 1985, en matière d’impôts sur les sociétés. Un avis de redressement lui fut notifié, le 17 décembre 1985, au titre de la retenue à la source. Les sommes mises en recouvrement, le 14 avril 1987, se montaient à un total de 24 290 658 FF, dont une moitié pour le montant des sommes dues au titre du principal et l’autre pour le montant des sommes dues au titre des pénalités de 100 % fondées sur l’article 1731 ancien du Code général des impôts (CGI).
9. La requérante contesta sans succès le bien-fondé de ces redressements et pénalités par devant le directeur régional des impôts. Elle saisit le tribunal administratif de Strasbourg pour obtenir la décharge des impositions supplémentaires exigées au titre de la retenue à la source et des pénalités y afférentes.
10. Par jugement du 19 mai 1993, le tribunal administratif de Strasbourg rejeta sa demande. Il s’exprima notamment comme suit :
« (…) sur le bien-fondé des redressements
S’agissant de la retenue à la source (visant les redevances versées par la société requérante à l’association V.D.M.F.K. située au Liechtenstein en contrepartie du droit de reproduire et de commercialiser en France les œuvres des artistes de ladite association)
(…) l’association V.D.M.F.K., par la nature de ses activités, et notamment celle qui consiste à commercialiser les reproductions d’œuvres réalisées par ses membres, relève de l’impôt sur les sociétés, au sens de l’article 182 B du code général des impôts ; qu’ainsi l’administration fiscale a pu, sans commettre d’erreur de droit, se fonder sur les dispositions de l’article 182 B précitées pour assujettir à la retenue à la source les redevances en cause ; (…) »
11. La requérante interjeta appel. Par arrêt du 23 février 1995, la cour administrative d’appel de Nancy réforma le jugement frappé d’appel et déchargea partiellement la requérante de la retenue à la source qui lui avait été réclamée et des pénalités y afférentes à concurrence d’un montant global de 20 401 259 FF.
12. Le ministre du Budget se pourvut contre l’arrêt de la cour administrative d’appel, en ce qu’il avait partiellement déchargé la société requérante des retenues à la source correspondant aux redevances payées au cours des exercices clos de 1981 à 1984.
13. Dans son mémoire en défense, la requérante indiqua que « la retenue à la source n’est pas exigible dès lors que l’association bénéficiaire ne [relève] pas de l’impôt sur les bénéfices français ».
14. A l’audience devant le Conseil d’État, tenue le 21 mai 1997, les débats furent clôturés à l’instant où le commissaire du Gouvernement prit la parole, conformément aux usages en vigueur. Celui-ci, après avoir qualifié d’erronée la thèse proposée par le ministre du Budget, proposa au Conseil d’État une application nouvelle du droit applicable au cas d’espèce. Il suggéra au Conseil d’État de régler l’affaire au fond par un même arrêt, en application de l’article 11 de la loi du 31 décembre 1987. L’affaire fut ensuite mise en délibéré.
15. Par arrêt du 30 juin 1997, le Conseil d’État cassa l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy, décida de régler l’affaire au fond en application de la loi du 31 décembre 1987 précitée. Sur le fond, le Conseil d’État remit à la charge de la requérante les retenues à la source dont elle avait obtenu le dégrèvement en appel ainsi que les pénalités de 100 % y afférentes, soit au total la somme de 20 401 259 FF.
16. Le Conseil d’État s’exprima notamment comme suit :
« (…) Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que (…) la société d’édition des artistes peignant de la bouche et du pied (A.P.B.P.), qui est établie en France, a versé à V.D.M.F.K., dont le siège est au Liechtenstein, (…) des redevances (…) que l’administration a, par voie de redressement, soumises à la retenue à la source prévue par les dispositions combinées précitées des article 10 et 6 a) de la loi du 29 décembre 1976 [reprises à l’article 182 B du code général des impôts] ; que par l’article 2 de son arrêt du 23 février 1995, la cour administrative d’appel de Nancy a déchargé la société A.P.B.P., d’une part, du montant total, de 1 555 358 F, des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des redevances versées au cours de l’exercice clos en 1985, au motif que la vérification de comptabilité ayant porté sur les résultats de cet exercice avait été irrégulièrement conduite, d’autre part et au motif que V.D.M.F.K. ne relevait pas de l’impôt sur les sociétés, au sens de l’article 10 de la loi du 29 décembre 1976 précité, d’une fraction des retenues à la source afférente aux redevances payées au cours des exercices clos en 1981, 1982, 1983 et 1984, fixée, pour ces exercices, respectivement à 22 754 F, 6 295 565 F, 5 634 512 F et 8 448 458 F ; que le ministre du Budget, qui ne conteste pas la décharge de la somme ci-dessus mentionnée de 1 555 358 F, se pourvoit contre l’arrêt de la cour administrative d’appel, en tant qu’il a partiellement déchargé la société A.P.B.P. des retenues à la source correspondant aux redevances payées au cours des exercices clos de 1981 à 1984 ;
Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 10 de la loi du 29 décembre 1976, précitée, que les sommes payées par un débiteur établi en France à des personnes morales qui n’ont pas dans ce pays d’installations professionnelles permanentes, donnent lieu à retenue à la source lorsque ces personnes morales sont passibles de l’impôt sur les sociétés en France, sans qu’il y ait lieu de rechercher si elles y ont été effectivement soumises ; que, par suite, en accordant à la société A.P.B.P. la décharge des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des redevances qu’elle a payées, au cours des exercices clos en 1981, 1982, 1983 et 1984 à V.D.M.F.K. au seul motif que celle-ci n’avait pas été effectivement soumises à l’impôt sur les sociétés en France, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que l’article 2 de son arrêt doit par suite, et dans cette mesure, être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 11 de la loi du 31 décembre 1987 et de régler l’affaire au fond ;
Considérant que les redevances payées par la société A.P.B.P. à V.D.M.F.K. en contrepartie de l’autorisation que celle-ci lui a donnée de reproduire et de commercialiser, en France, les œuvres des artistes qu’elle représente, rémunèrent des « prestations utilisées en France », au sens de l’article 6 c) de la loi du 29 décembre 1976 ; que, par suite, la perception de ces redevances rendait V.D.M.F.K. passible, en France, de l’impôt sur les sociétés, de sorte que les sommes qui ont été payées à ce titre devaient être soumises à la retenue à la source prévue par les dispositions combinées des articles 10 et 6 c) de la loi du 29 décembre 1976 ; que dès lors, la société A.P.B.P. n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par son jugement du 19 mai 993, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en décharge de la totalité des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des redevances qu’elle a versées à V.D.M.F.K. au cours des exercices clos en 1981, 1982, 1983 et 1984 (…) ».
17. Après le prononcé de l’arrêt, la requérante obtint communication d’une copie des conclusions du commissaire du Gouvernement auprès du bureau d’information du Conseil d’État.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code général des impôts (ancien)
18. Les dispositions pertinentes du code général des impôts (ancien) se lisent comme suit :
Article 1731
« En ce qui concerne (…) les retenues opérées au titre de l’impôt sur le revenu, les insuffisances, inexactitudes ou omissions (…) donnent lieu, lorsque la bonne foi du redevable ne peut être admise, à l’application d’une amende fiscale égale au double des majorations prévues à l’article 1729 [du Code général des impôts] et déterminée, dans les mêmes conditions que ces majorations, en fonction du montant des droits éludés ».
B. Article 11 de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif
19. Les dispositions pertinentes de cette disposition se lisent comme suit :
Article 11
« (…) Le pourvoi en cassation devant le Conseil d’État fait l’objet d’une procédure préalable d’admission. L’admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux.
S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’État peut, soit renvoyer l’affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation ; soit renvoyer l’affaire devant une autre juridiction de même nature ; soit régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie (…) »« Le tribunal correctionnel est saisi des infractions de sa compétence soit par la comparution volontaire des parties, soit par la convocation par procès-verbal, soit par la comparution immédiate, soit enfin par le renvoi ordonné par la juridiction d’instruction. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
20. La société requérante allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) »
A. Argumentation des parties
1. La requérante
21. La requérante estime notamment que le commissaire du Gouvernement, en présentant des conclusions contenant une argumentation nouvelle qui lui était défavorable, s’est positionné en contradicteur. Dès lors, bien que n’étant pas juge, il devait être soumis au contradictoire, à l’instar d’un avocat général (voir les arrêts Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, série A n° 214-B, Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil 1996-I, et Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998, Recueil 1998-II). Selon la requérante, le commissaire du Gouvernement n’est pas un juge et ne peut être assimilé au conseiller rapporteur.
Elle considère que l’on ne saurait comparer l’ordre juridique communautaire avec le système de la Convention et que l’ordonnance Emesa Sugar citée par le Gouvernement n’aurait pas d’incidence en l’espèce. Elle réfute la comparaison entre le commissaire du Gouvernement et l’avocat général près la Cour de justice des Communautés européennes, tout en estimant, de plus, que le contexte procédural est différent. Enfin, elle note que l’ordonnance évoquée rappelle la possibilité pour la Cour de justice de rouvrir les débats, possibilité que dans son cas, le Conseil d’État n’a pas utilisé, en méconnaissance du droit à une procédure contradictoire.
La requérante se plaint d’ailleurs également de ce que, d’une part, le commissaire du Gouvernement a proposé une nouvelle solution au litige dans des conclusions – qui étaient défavorables à sa cause – sans qu’elle ait pu, à aucun moment, présenter des moyens en réponse et de ce que, d’autre part, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour d’appel puis évoqué l’affaire sans rouvrir les débats pour recueillir ses observations. Elle relève, pour le critiquer, qu’en outre le commissaire du Gouvernement est présent au délibéré, ce qui lui permet de répondre aux demandes des membres de la juridiction. La requérante précise que son avocat n’a pas eu l’occasion de déposer une note en délibéré et, eut-il pu le faire, celle-ci aurait été rédigée à la hâte, sans pouvoir présenter des arguments nouveaux et sans obligation, pour le Conseil d’État, d’en prendre connaissance. Elle considère notamment que le dépôt d’une note en délibéré, qui n’est prévue par aucune disposition légale, ne constitue pas une pratique établie ou admise, mais un simulacre de contradiction par contraste avec la pratique de la Cour de cassation.
2. Le Gouvernement
22. Le gouvernement défendeur expose notamment que le commissaire du Gouvernement ne soutient aucune partie au litige, contrairement au ministère public en matière pénale. Son rôle est d’émettre un avis personnel et indépendant sur une affaire. Ses conclusions constituent en réalité le premier temps du délibéré. Membre de la juridiction, le commissaire du Gouvernement agit en juge : il serait donc naturel qu’il participe au délibéré.
En second lieu, l’absence de communication de ses conclusions aux parties avant l’audience ne saurait créer entre elles un déséquilibre : elles sont à cet égard placées dans une situation identique et ignorent la teneur de ses conclusions jusqu’à leur prononcé. Toutefois, les avocats peuvent demander à connaître à l’avance le sens général des conclusions. Une pratique établie permet aux parties de déposer une « note en délibéré » pour répondre aux conclusions du Gouvernement, note qui sera lue et prise en compte par la formation de jugement au cours du délibéré. Or, en l’espèce, la requérante n’a pas estimé utile de recourir à cette possibilité qui lui était offerte. Le Gouvernement souligne la similitude entre le rôle du commissaire du Gouvernement et celui de l’avocat général devant le tribunal de première instance et la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Or dans une ordonnance du 4 février 2000, rendue en sa formation plénière, la CJCE a jugé que la procédure applicable devant elle, en ce qui concerne les conclusions de l’avocat général, n’était pas contraire à l’article 6 § 1 (affaire Emesa Sugar (Free Zone) NV c. Aruba).
De plus, les conclusions du commissaire du Gouvernement ne peuvent être prononcées qu’après la clôture des débats. En effet, lorsqu’il conclut, le commissaire du Gouvernement participe, au même titre que le rapporteur, à la fonction de juger lorsqu’il défend son projet de décision au cours du délibéré mais à la différence que ses conclusions sont lues publiquement. Au surplus, le fait de pouvoir répliquer aux conclusions du commissaire du Gouvernement ne présenterait pas d’intérêt pratique et substantiel, leur principal intérêt étant de mettre en lumière, par anticipation, les différentes solutions possibles. Les conclusions portent sur des questions de droit et de fait qui ont déjà été soumises à débat contradictoire.
En l’espèce, les éléments de droit et de fait du dossier, sur lesquels reposait la solution préconisée par le commissaire du Gouvernement, avaient fait l’objet de débats devant le tribunal, la cour d’appel et le Conseil d’État lui-même, ainsi que cela ressort des mémoires produits. La requérante s’était donc exprimée sur les éléments pris en compte par le commissaire du Gouvernement.
S’agissant de l’évocation de l’affaire par le Conseil d’État, le Gouvernement rappelle que le droit interne autorise le Conseil d’État statuant en cassation, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, à juger au fond une affaire, sans renvoi aux juges du fond, pour le cas où il est saisi pour la première fois en cassation. La finalité est de permettre de mettre un terme rapide au litige sans pour autant méconnaître les garanties de la défense. Cela permet également au Conseil d’État d’assurer la cohérence de la jurisprudence. Cette procédure s’inspire donc de la notion de procès équitable et de la règle du délai raisonnable. Cette procédure est entourée de garanties tenant au respect d’une « bonne administration de la justice », lequel commande que l’affaire soit en état d’être réglée, c’est‑à‑dire que l’instruction contradictoire soit parvenue à son terme sur les points qui fondent la solution. L’intérêt d’une bonne administration de la justice, ainsi entendue, exige le règlement au fond du litige dans deux cas spécifiques : dans un premier cas, le Conseil d’État ne se livre à aucune appréciation des faits de la cause, mais tire lui-même les conséquences de la position purement juridique qu’il a adoptée en tant que juge de cassation, de la même façon que l’aurait fait un juge saisi sur renvoi ; dans un second cas, le Conseil d’État se prononce sur les faits de l’espèce, notamment pour abréger un litige déjà long ou arrêter une position de principe utile aux autres juridictions dans une affaire sensible nécessitant un règlement rapide. Toutefois, il ne peut le faire que si les éléments figurant au dossier, qui ont fait l’objet d’un débat contradictoire, l’éclairent suffisamment sur les faits. Dans le cas contraire, la bonne administration de la justice commande qu’il procède au renvoi de l’affaire au juge du fond. Il en va ainsi lorsqu’un débat sur les questions de fait apparaît utile à la solution du litige. Le Gouvernement en déduit que le pouvoir du juge est encadré et qu’il peut ordonner la réouverture des débats.
Le Gouvernement estime que ce grief se présente sous deux branches. D’une part, dans la mesure où la requérante se plaint de l’absence de contradictoire devant le Conseil d’État, en sa qualité de juge de cassation, il est la reprise du grief précédent relatif aux conditions d’intervention du commissaire du Gouvernement et il est sur ce point renvoyé au développement précédent. Le Gouvernement ajoute qu’il serait contraire aux intérêts du justiciable de réclamer la poursuite du débat contradictoire, devant un juge de renvoi, sur la question de pur droit tranchée par le juge de cassation ; en effet, conformément à la pratique en vigueur devant les juridictions administratives, le juge de renvoi se conforme sur le point de droit à la position arrêtée par le juge de cassation.
D’autre part, dans sa deuxième branche, le grief vise l’absence de contradiction devant le Conseil d’État, dans son office de juge du fond. Or la décision rendue par le Conseil d’État se fondait, tant en fait qu’en droit, sur des éléments qui avaient été portés à la connaissance des parties et dont elles avaient pu débattre contradictoirement. Le Conseil d’État a usé de la marge d’appréciation que lui reconnaît la Cour (arrêt Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, fasc. 32) en matière d’instruction au regard des pièces du dossier, en estimant qu’un renvoi de l’affaire n’était pas nécessaire car, en l’état du dossier, il n’y avait aucun doute sur son interprétation en se fondant uniquement sur les pièces du dossier.
B. Appréciation de la Cour
1. En ce qui concerne la non-communication préalable des conclusions du commissaire du Gouvernement et l’impossibilité d’y répondre à l’audience
23. La Cour rappelle que le principe de l’égalité des armes – l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable – requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Nideröst‑Huber c. Suisse du 18 février 1997, Recueil 1997-I, p. 107, § 23).
24. Or, indépendamment du fait que, dans la majorité des cas, les conclusions du commissaire du Gouvernement ne font pas l’objet d’un document écrit, la Cour relève qu’il ressort clairement du déroulement de la procédure devant le Conseil d’État que le commissaire du Gouvernement présente ses conclusions pour la première fois oralement à l’audience publique de jugement de l’affaire et que tant les parties à l’instance que les juges et le public en découvrent le sens et le contenu à cette occasion (arrêt Kress c. France [GC] du 7 juin 2001, n° 39594/98, CEDH 2001, § 73).
La requérante ne saurait tirer du droit à l’égalité des armes reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention le droit de se voir communiquer, préalablement à l’audience, des conclusions qui ne l’ont pas été à l’autre partie à l’instance, ni au rapporteur, ni aux juges de la formation de jugement (arrêt Nideröst-Huber précité). Aucun manquement à l’égalité des armes ne se trouve donc établi (arrêt Kress précité).
25. Toutefois, la notion de procès équitable implique aussi en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, fût-cepar un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir les arrêts Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil 1996-I, p. 215, § 49, Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, p. 234, § 33, K.D.B. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 631, § 44 et Nideröst‑Huber précité, p. 108, § 24).
26. Pour ce qui est de l’impossibilité pour les parties de répondre aux conclusions du commissaire du Gouvernement à l’issue de l’audience de jugement, la Cour a déjà relevé qu’à la différence de l’affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd (arrêt c. France du 31 mars 1998, Recueil 1998-II), il n’est pas contesté que dans la procédure devant le Conseil d’État, les avocats qui le souhaitent peuvent demander au commissaire du Gouvernement, avant l’audience, le sens général de ses conclusions. Il n’est pas davantage contesté que les parties peuvent répliquer par une note en délibéré, aux conclusions du commissaire du Gouvernement, ce qui permet, et c’est essentiel aux yeux de la Cour, de contribuer au respect du principe du contradictoire. Enfin, au cas où le commissaire du Gouvernement invoquerait oralement lors de l’audience un moyen non soulevé par les parties, le président de la formation de jugement ajournerait l’affaire pour permettre aux parties d’en débattre (arrêt Kress précité, § 76).
27. Reste que, de l’avis de la Cour, le dépôt d’une note en délibéré contribue au respect du principe du contradictoire à certaines conditions. En particulier, les justiciables doivent pouvoir déposer une telle note indépendamment de la décision éventuelle du président d’ajourner l’affaire, tout en disposant d’un délai suffisant pour la rédiger. Par ailleurs, afin d’éviter tout litige quant à sa prise en compte par la haute juridiction administrative, la Cour estime que l’arrêt devrait expressément viser l’existence d’une note en délibéré, comme c’est déjà le cas s’agissant de la mention, dans les arrêts du Conseil d’État, de la requête ou du recours enregistré auprès de son secrétariat, des autres pièces du dossier et des interventions en audience publique (rapporteur, conseils des parties et commissaire du Gouvernement).
En l’espèce, la Cour relève que la société requérante n’a pas fait usage de la possibilité de déposer une note en délibéré, ce qu’elle ne saurait justifier par les seuls doutes qu’elle émet quant à une telle pratique.
Dans ces conditions, la Cour estime que la procédure suivie devant le Conseil d’État a offert suffisamment de garanties à la requérante et qu’aucun problème ne se pose sous l’angle du droit à un procès équitable pour ce qui est du respect du contradictoire.
Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard.
2. En ce qui concerne la présence du commissaire du Gouvernement au délibéré du Conseil d’État
28. Pour ce qui est de la présence du commissaire du Gouvernement au délibéré, la Cour se réfère à l’arrêt Kress du 7 juin 2001 (précité). Dans cette affaire, elle s’était exprimée comme suit :
« 77. Sur ce point, la Cour constate que l’approche soutenue par le Gouvernement consiste à dire que, puisque le commissaire du Gouvernement est un membre à part entière de la formation de jugement, au sein de laquelle il officie en quelque sorte comme un deuxième rapporteur, rien ne devrait s’opposer à ce qu’il assiste au délibéré, ni même qu’il vote.
78. Le fait qu’un membre de la formation de jugement ait exprimé en public son point de vue sur l’affaire pourrait alors être considéré comme participant à la transparence du processus décisionnel. Cette transparence est susceptible de contribuer à une meilleure acceptation de la décision par les justiciables et le public, dans la mesure où les conclusions du commissaire du Gouvernement, si elles sont suivies par la formation de jugement, constituent une sorte d’explication de texte de l’arrêt. Dans le cas contraire, lorsque les conclusions du commissaire du Gouvernement ne se reflètent pas dans la solution adoptée par l’arrêt, elles constituent une sorte d’opinion dissidente qui nourrira la réflexion des plaideurs futurs et de la doctrine.
La présentation publique de l’opinion d’un juge ne porterait en outre pas atteinte au devoir d’impartialité, dans la mesure où le commissaire du Gouvernement, au moment du délibéré, n’est qu’un juge parmi d’autres et que sa voix ne saurait peser sur la décision des autres juges au sein desquels il se trouve en minorité, quelle que soit la formation dans laquelle l’affaire est examinée (sous-section, sous-sections réunies, Section ou Assemblée). Il est d’ailleurs à noter que, dans la présente affaire, la requérante ne met nullement en cause l’impartialité subjective ou l’indépendance du commissaire du Gouvernement.
79. Toutefois, la Cour observe que cette approche ne coïncide pas avec le fait que, si le commissaire du Gouvernement assiste au délibéré, il n’a pas le droit de voter. La Cour estime qu’en lui interdisant de voter, au nom de la règle du secret du délibéré, le droit interne affaiblit sensiblement la thèse du Gouvernement, selon laquelle le commissaire du Gouvernement est un véritable juge, car un juge ne saurait, sauf à se déporter, s’abstenir de voter. Par ailleurs, il serait difficile d’admettre qu’une partie des juges puisse exprimer publiquement leur opinion et l’autre seulement dans le secret du délibéré.
80. En outre, en examinant ci-dessus le grief de la requérante concernant la non-communication préalable des conclusions du commissaire du Gouvernement et l’impossibilité de lui répliquer, la Cour a accepté que le rôle joué par le commissaire pendant la procédure administrative requiert l’application de garanties procédurales en vue d’assurer le respect du principe du contradictoire (paragraphe 76 ci-dessus). La raison qui a amené la Cour à conclure à la non-violation de l’article 6 § 1 sur ce point n’était pas la neutralité du commissaire du Gouvernement vis-à-vis des parties mais le fait que la requérante jouissait de garanties procédurales suffisantes pour contrebalancer son pouvoir. La Cour estime que ce constat entre également en ligne de compte pour ce qui est du grief concernant la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré.
81. Enfin, la théorie des apparences doit aussi entrer en jeu : en s’exprimant publiquement sur le rejet ou l’acceptation des moyens présentés par l’une des parties, le commissaire du Gouvernement pourrait être légitimement considéré par les parties comme prenant fait et cause pour l’une d’entre elles.
Pour la Cour, un justiciable non rompu aux arcanes de la justice administrative peut assez naturellement avoir tendance à considérer comme un adversaire un commissaire du Gouvernement qui se prononce pour le rejet de son pourvoi. A l’inverse, il est vrai, un justiciable qui verrait sa thèse appuyée par le commissaire le percevrait comme son allié.
La Cour conçoit en outre qu’un plaideur puisse éprouver un sentiment d’inégalité si, après avoir entendu les conclusions du commissaire dans un sens défavorable à sa thèse à l’issue de l’audience publique, il le voit se retirer avec les juges de la formation de jugement afin d’assister au délibéré dans le secret de la chambre du conseil (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Delcourt c. Belgique du 17 janvier 1970, série A n° 11, p. 17, § 30).
82. Depuis l’arrêt Delcourt, la Cour a relevé à de nombreuses reprises que, si l’indépendance et l’impartialité de l’avocat général ou du procureur général auprès de certaines cours suprêmes n’encouraient aucune critique, la sensibilité accrue du public aux garanties d’une bonne justice justifiait l’importance croissante attribuée aux apparences (voir l’arrêt Borgers précité, § 24).
C’est pourquoi la Cour a considéré que, indépendamment de l’objectivité reconnue de l’avocat général ou du procureur général, celui-ci, en recommandant l’admission ou le rejet d’un pourvoi, devenait l’allié ou l’adversaire objectif de l’une des parties et que sa présence au délibéré lui offrait, fût-ce en apparence, une occasion supplémentaire d’appuyer ses conclusions en chambre du conseil, à l’abri de la contradiction (voir les arrêts Borgers, Vermeulen et Lobo Machado précités, respectivement §§ 26, 34 et 32).
83. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de la jurisprudence constante rappelée ci-dessus, même s’agissant du commissaire du Gouvernement, dont l’opinion n’emprunte cependant pas son autorité à celle d’un ministère public (voir, mutatis mutandis, arrêts J.J. et K.D.B. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil 1998-II, respectivement §§ 42 et 43).
84. La Cour observe en outre qu’il n’a pas été soutenu, comme dans les affaires Vermeulen et Lobo Machado, que la présence du commissaire du Gouvernement s’imposait pour contribuer à l’unité de la jurisprudence ou pour aider à la rédaction finale de l’arrêt (voir, mutatis mutandis, arrêt Borgers précité, § 28). Il ressort des explications du Gouvernement que la présence du commissaire du Gouvernement se justifie par le fait qu’ayant été le dernier à avoir vu et étudié le dossier, il serait à même pendant les délibérations de répondre à toute question qui lui serait éventuellement posée sur l’affaire.
85. De l’avis de la Cour, l’avantage pour la formation de jugement de cette assistance purement technique est à mettre en balance avec l’intérêt supérieur du justiciable, qui doit avoir la garantie que le commissaire du Gouvernement ne puisse pas, par sa présence, exercer une certaine influence sur l’issue du délibéré. Tel n’est pas le cas dans le système français actuel.
86. La Cour se trouve confortée dans cette approche par le fait qu’à la Cour de justice des Communautés européennes, l’avocat général, dont l’institution s’est étroitement inspirée de celle du commissaire du Gouvernement, n’assiste pas aux délibérés, en vertu de l’article 27 du règlement de la CJCE.
87. En conclusion, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, du fait de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement. »
29. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de la jurisprudence rappelée ci-dessus.
En conclusion, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, du fait de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement.
3. Sur l’évocation de l’affaire par le Conseil d’État
30. S’agissant de l’argumentation soulevée par le commissaire du Gouvernement, la Cour renvoie tout d’abord à son constat aux termes duquel la procédure suivie devant le Conseil d’Étatoffre suffisamment de garanties au justiciable et qu’aucun problème ne se pose sous l’angle du droit à un procès équitable pour ce qui est du respect du contradictoire (paragraphe 27 ci-dessus).
31. En ce qui concerne l’évocation sans renvoi de l’affaire par le Conseil d’État, s’agissant d’un litige rentrant dans le champ d’application de l’article 6 sous l’angle pénal (arrêt Bendenoun c. France du 24 février 1994, série A n° 284), la Cour rappelle que la notion plus large de procès équitable englobe aussi le droit fondamental au caractère contradictoire de la procédure pénale (Brandstetter c. Autriche du 28 août 1991, série A n° 211, p. 27, § 66 ; Kamasinski c. Autriche du 19 décembre 1989, série A n° 168, p. 43, § 102).
Le droit à un procès pénal contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la défense, d’avoir la faculté non seulement de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de leurs prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision (voir, notamment, Brandstetter précité, pp. 27-28, § 67 ; Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 436, § 33 ; mutatis mutandis, arrêts Lobo Machado c. Portugal et Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, fasc. 3, respectivement pp. 206-207, § 31, et p. 234, § 33, ainsi que Nideröst-Huber c. Suisse du 18 février 1997, Recueil 1997-I, fasc. 29, p. 108, § 24).
32. En outre, l’équité d’une procédure s’apprécie au regard de l’ensemble de celle-ci (voir, notamment, H. c. France du 24 octobre 1989, série A, n° 162, p. 23, § 61, Delta c. France du 19 décembre 1990, série A n° 191-A, p. 15, § 35 ; Miailhe c. France (n° 2) du 26 septembre 1996, Recueil 1996‑IV, p. 1338, § 43 ; Pélissier et Sassi c. France [GC] du 25 mars 1999, CEDH 1999-II, p. 327, § 46)
33. Or, en l’espèce, la Cour constate que la question soumise au Conseil d’État était de savoir si l’association V.D.M.F.K. était passible d’une imposition en France et notamment de l’impôt sur les sociétés, auquel cas les redevances qui lui avaient été versées par la société requérante devaient être soumises à une retenue à la source (paragraphes 12 et 14-15 ci-dessus). Il ressort des éléments du dossier que cette question a été débattue devant le tribunal administratif et dans le mémoire en défense produit par la requérante devant le Conseil d’État(paragraphes 8 et 12 ci-dessus). La Cour note également que l’arrêt du Conseil d’État, d’une part, est fondé sur les pièces du dossier soumis aux juges du fond et, d’autre part, se borne à corriger l’erreur de droit commise par la cour administrative d’appel et, partant, à rétablir la position de droit et de fait établie contradictoirement devant le tribunal administratif (paragraphe 15 ci-dessus). Aucun manquement au principe du contradictoire ne se trouve donc établi.
34. En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, du fait de l’évocation de l’affaire par le Conseil d’État.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
35. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Préjudice matériel
36. La requérante réclame le remboursement de la somme de 10 200 630 francs français (FRF), déjà payée au titre de l’impôt, ainsi que la décharge, ou le remboursement en cas de paiement, de la somme de 10 200 630 FRF réclamée au titre des pénalités. La requérante considère notamment que la décision de la cour administrative d’appel de Nancy aurait à coup sûr revêtu un caractère définitif sans les violations de l’article 6 § 1 de la Convention commises devant le Conseil d’État.
37. Le Gouvernement estime que la somme réclamée par la requérante ne saurait lui être allouée dans la mesure où aucun lien de causalité n’a été établi entre le préjudice allégué et le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention. Le Gouvernement considère notamment qu’il n’est pas démontré que les impositions litigieuses aient été réclamées sur des bases illégales.
38. La Cour estime qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le préjudice matériel allégué par la société requérante et les faits à l’origine du constat de violation figurant au paragraphe 29 ci-dessus. En conséquence, aucune somme ne saurait être allouée à ce titre.
B. Préjudice moral
39. La requérante allègue avoir subi, à la suite de l’arrêt du Conseil d’État du 30 juin 1997 et dans le cadre d’une autre procédure, pendante devant la cour administrative d’appel de Nancy, le maintien de pénalités de 40 %, au motif notamment qu’elle avait été condamnée par le Conseil d’État le 30 juin 1997. Ces pénalités seraient de nature à faire injustement pression sur elle afin de l’empêcher d’exercer ses droits de la défense. La requérante sollicite donc de la Cour qu’elle interdise au Gouvernement de l’empêcher d’exercer ses droits, directement ou indirectement, en lui faisant courir le risque de se voir systématiquement infliger des pénalités.
40. Le Gouvernement ne se prononce pas.
41. La Cour rappelle que la Convention ne lui donne pas compétence pour adresser une directive ou une injonction à une Haute Partie contractante (voir, notamment, les arrêts Nasri c. France du 13 juillet 1995, série A n° 320-B, p. 26, § 50 et Remli c. France du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, p. 575, § 54)
C. Frais et dépens
42. La requérante demande en outre le remboursement de 6 894 378 francs belges (BEF) et de 607 000 francs français (FRF) au titre des frais exposés devant la Cour et les juridictions françaises. Ces frais comprennent : l’établissement de la requête et la rédaction de mémoires complémentaires devant la Cour ; la tenue de réunions préparatoires en vue de la rédaction de ces mémoires ainsi que les frais de consultation ; la préparation et la rédaction de mémoires et requêtes devant les juridictions françaises.
43. Le Gouvernement estime que le grief invoqué ne concernant que la procédure devant le Conseil d’État, seuls les frais engagés postérieurement à cette procédure, c’est-à-dire ceux engagés devant la Cour, pourront être retenus. Il considère en outre que les frais engagés devant la Cour doivent être justifiés et ne pas excéder un montant raisonnable, qui ne saurait aller au-delà de 15 à 20 000 FRF.
44. Lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle peut accorder à un requérant le paiement non seulement de ses frais et dépens devant les organes de la Convention, mais aussi de ceux qu’il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir notamment l’arrêt Hertel c. Suisse du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, § 63). En l’espèce, la Cour constate que la requérante n’a pas exposé de tels frais et dépens pendant la procédure litigieuse.
Pour ce qui est des frais et dépens devant la Commission puis la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, les arrêts Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, § 22, CEDH 1999-V, § 30 et Kress précité, § 102). En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 3 000 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde à la requérante.
D. Intérêts moratoires
45. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt est de 4,26 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1. Dit, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le grief de la requérante selon lequel elle n’a pas reçu préalablement à l’audience les conclusions du commissaire du Gouvernement et n’a pu lui répliquer à l’issue de celle-ci ;
2. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré ;
3. Dit, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne l’évocation de l’affaire par le Conseil d’État ;
4. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme suivante pour frais et dépens : 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;
b) que ce montant sera à majorer d’un intérêt simple de 4,26 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 mars 2002 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Erik FriberghChristos Rozakis
GreffierPrésident