QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE NORBERT SIKORSKI c. POLOGNE
(Requête no 17599/05)
ARRÊT
STRASBOURG
22 octobre 2009
DÉFINITIF
22/01/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Norbert Sikorski c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Giovanni Bonello,
Ljiljana Mijović,
David Thór Björgvinsson,
Ledi Bianku,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 octobre 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17599/05) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Norbert Sikorski (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 mai 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me Tomasz Paplaczyk, avocat à Koszalin. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait avoir subi un traitement contraire à l’article 3 de la Convention du fait de ses conditions de détention.
4. Le 27 octobre 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement sous l’angle de l’article 3 de la Convention et, de surcroît, de la lui communiquer d’office sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.
5. Le requérant et le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
6. Au vu de l’évolution du droit interne, le 4 août 2008, les parties ont été invitées à soumettre par écrit des observations complémentaires. Le requérant a présenté ses observations le 30 septembre 2008 et le Gouvernement a fait de même le 20 octobre 2008.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7. Le requérant, né en 1975, est incarcéré à la maison d’arrêt de Koszalin.
A. Conditions de détention du requérant
8. Le requérant fut arrêté le 6 octobre 2001 dans le cadre d’une procédure pénale intentée contre lui. Placé en détention provisoire dans un premier temps, il commença à une date non indiquée à purger une peine de prison d’une durée non précisée. Il ressort toutefois des éléments versés au dossier que celle-ci devrait s’achever le 8 octobre 2014. Le requérant fut incarcéré dans quatre établissements pénitentiaires différents.
9. Le 8 octobre 2001, il fut incarcéré à la maison d’arrêt de Koszalin. Il fut détenu dans cet établissement jusqu’en mai 2003, soit pendant environ un an et trois mois, sauf trois courts intervalles d’une durée totale d’environ quatre mois et trois semaines durant lesquels il fut incarcéré à la maison d’arrêt de Poznań (5 au 21 février 2002, 25 février au 8 avril 2003 et 13 mai au 6 août 2003).
10. Au mois de mai 2003, le requérant fut transféré à la prison de Goleniów où il fut incarcéré apparemment jusqu’au 14 décembre 2004, soit pendant environ un an et cinq mois.
11. Ensuite, le requérant fut transféré une nouvelle fois à la maison d’arrêt de Koszalin où il fut détenu jusqu’au mois de mars 2008, soit pendant environ trois ans et trois mois.
12. Il ressort des pièces versées au dossier qu’entre mars et juillet 2008, soit pendant environ quatre mois, le requérant fut incarcéré à la maison d’arrêt de Czarne.
13. Ensuite, le requérant fut transféré une nouvelle fois à la maison d’arrêt de Koszalin, établissement où il se trouve actuellement.
1. Version des faits présentée par le requérant
14. Le requérant donne la description suivante de ses conditions de détention.
15. Il relève que, depuis le début de son incarcération, il est détenu de façon continue dans des cellules surpeuplées. L’espace personnel dont il peut disposer au sein de celles-ci était et continue d’être inférieur à 3 m², à savoir la norme minimale garantie par la législation interne. Il souligne que tous les établissements pénitentiaires dans lesquels il a été incarcéré étaient surpeuplés, sans aucune exception. A l’appui de ses dires, il produit les attestations délivrées par l’administration pénitentiaire, dont il ressort qu’à l’époque de son incarcération dans les différents établissements le taux de surpopulation constaté au sein de ceux-ci se situait respectivement entre 114 et 126 % à la maison d’arrêt de Koszalin, entre 134 et 149 % à la maison d’arrêt de Poznań et entre 119 et 120 % à la prison de Goleniów.
16. S’agissant de la maison d’arrêt de Koszalin, le requérant précise qu’il est détenu, avec trois autres personnes, dans une cellule d’une surface d’environ 9,27 m². Ainsi, l’espace personnel dont il dispose mesure environ 2,32 m². Le requérant ajoute qu’en raison de cette promiscuité, lui-même ainsi que ses codétenus sont amenés à consommer leurs repas dans des conditions inadéquates, assis sur leur lit.
17. Le requérant indique ensuite que les possibilités de circuler en dehors de sa cellule étaient et continuent d’être très limitées. Dans tous les établissements, il disposait habituellement d’une heure de promenade journalière. Il précise toutefois qu’entre le 26 juin et le 12 août 2006, l’administration de la maison d’arrêt de Koszalin a réduit la durée de la promenade réglementaire à 30 minutes seulement en raison de travaux effectuées à cette époque dans une partie de l’établissement. Etant donné qu’au cours de cette période, la région avait été touchée par une vague de chaleur inhabituelle (températures pouvant atteindre 40o C), cette restriction supplémentaire à sa liberté de circuler en dehors de sa cellule s’est révélée particulièrement difficile à supporter, d’autant plus que l’administration n’avait prévu aucune mesure susceptible d’atténuer les désagréments qui en découlaient pour les détenus. De surcroît, pendant environ six mois, le requérant se trouva dans une cellule avec des fumeurs bien qu’il ait informé les autorités que lui-même ne fumait pas. Le requérant ajoute qu’il existe depuis peu à la maison d’arrêt de Koszalin des salles de détente et de sport communes où il peut lire, regarder la télévision et pratiquer des exercices physiques pendant environ 45 minutes supplémentaires par jour. En ce qui concerne les conditions d’hygiène, le requérant indique qu’en raison de la promiscuité, celles-ci étaient et continuent d’être préoccupantes. Il se réfère à cet égard à la lettre que lui a fait parvenir l’inspecteur de l’hygiène compétent en réponse à sa plainte dans laquelle il dénonçait les conditions d’hygiène inadéquates (paragraphe 31 ci-dessous).
18. Pour ce qui est de la maison d’arrêt de Poznań, le requérant indique qu’à l’époque où il y était incarcéré, l’ensemble des pièces communes, notamment les salles de détente et de sport, ont été transformées par l’administration en cellules. Etant donné qu’à l’époque concernée aucune activité éducative ou culturelle n’était proposée aux détenus, sa seule distraction était une promenade d’environ une heure par jour dans une cour fermée, remplie de prisonniers et couverte d’une grille de métal. Le requérant précise qu’il n’a jamais pu bénéficier des visites familiales mentionnées par le Gouvernement (paragraphe 24 ci-dessous) ni exercer une quelconque activité salariée.
19. S’agissant de la prison de Goleniów, le requérant souligne que les cellules au sein desquelles il a été incarcéré dans cet établissement étaient également surpeuplées et de surcroît mal éclairées. En effet, sachant que dans une cellule d’environ 16,52 m² seules 2 ampoules de 60 W étaient installées, il avait constamment l’impression d’être plongé dans une semi-obscurité. L’accès à la fenêtre était dans une large mesure obstrué par des lits superposés, de telle sorte que celle-ci n’avait jamais pu être ouverte correctement pour faciliter la circulation de l’air frais. Le requérant pouvait profiter des activités de loisir seulement une fois par semaine durant une heure, et pratiquer des activités sportives une fois par mois durant une heure et demie. De surcroît, il pouvait faire de l’exercice physique dans une salle de musculation deux fois par semaine pendant environ 45 minutes. Toutefois, les équipements sportifs mis à la disposition des détenus étaient anciens et non conformes aux normes de sécurité. Mis à part ces activités essentiellement physiques, aucune autre activité, culturelle ou éducative, n’avait jamais été proposée aux détenus par l’administration.
20. Enfin, à la prison de Czarne, le requérant a été incarcéré avec trois codétenus dans une cellule d’environ 9 m², mal éclairée et mal aérée. Etant donné que les toilettes n’étaient pas suffisamment séparées du reste de la cellule, les détenus devaient constamment supporter les mauvaises odeurs qui s’en dégageaient. Le requérant signale que, tout comme dans les autres établissements, cette même cellule servait aux détenus à la fois de salle à manger et de chambre à coucher.
2. Version des faits présentée par le Gouvernement
21. Le Gouvernement décrit comme suit les conditions de détention du requérant.
22. D’emblée, il signale qu’en l’espèce, il ne lui a pas été possible de déterminer la surface réellement occupée par le requérant au sein des différentes cellules. En effet, les données susceptibles d’indiquer le nombre de détenus réellement incarcérés avec le requérant n’ont pas été répertoriées par l’administration. De ce fait, l’espace dont celui-ci pouvait disposer dans ses cellules successives a été déterminé pour les besoins de la cause en fonction du nombre de lits se trouvant dans celles-ci à la date de présentation de ses observations. Le Gouvernementaffirme avoir recouru également aux informations contenues dans les rapports que l’administration a présentés au juge d’application des peines pour le tenir informé du taux de surpopulation observé au sein des différents établissements.
23. S’agissant de la maison d’arrêt de Koszalin, le Gouvernement convient que l’espace personnel dont le requérant dispose dans sa cellule est d’environ 2,32 m². Toutefois, il ajoute que la cellule en question bénéficie d’un éclairage et d’une ventilation adéquats et est équipée d’un poste de télévision. Le requérant peut circuler en dehors de sa cellule pendant une heure par jour. En outre, cinq fois par semaine pendant 45 minutes et deux fois par semaine pendant 60 minutes supplémentaires, il peut prendre part aux activités de loisir organisées dans l’une des trois salles communes dont dispose l’établissement. Il peut également emprunter des livres à la bibliothèque de la maison d’arrêt ainsi que participer aux différentes manifestations culturelles et éducatives régulièrement proposées par l’administration de l’établissement. Il peut également bénéficier de l’assistance spirituelle et morale des aumôniers de la prison.
24. Pour ce qui est de la maison d’arrêt de Poznań, les cellules dans lesquelles le requérant a été incarcéré au sein de cet établissement étaient toutes dotées de fenêtres d’une taille appropriée d’un m². Le requérant y a bénéficié d’une heure de promenade journalière. L’établissement en question disposait notamment d’une chapelle où des cérémonies religieuses de diverses confessions étaient célébrées, de trois salles de détente, d’une bibliothèque, d’une salle de sport, d’une cantine, d’un hôpital et d’une infirmerie. Par ailleurs, plusieurs fois par an, l’administration de l’établissement de Poznań organisait des « visites familiales » (rencontres entre les détenus et leurs familles organisées en plus des visites réglementaires). Enfin, la maison d’arrêt de Poznań accueille le plus grand nombre de détenus exerçant une activité salariée.
25. En ce qui concerne la prison de Goleniów, le Gouvernement fournit des informations plus détaillées au sujet de la surface des cellules occupées par le requérant. Il précise que, du 7 au 8 août 2003, le requérant a occupé une cellule mesurant environ 10,88 m² prévue pour quatre détenus. Ensuite, du 8 août 2003 au 17 mars 2004, il a été placé dans une cellule de 16,52 m² destinée à accueillir huit détenus. Du 17 mars au 8 juin 2004, il a été incarcéré dans une cellule de 19,07 m² susceptible d’héberger huit détenus. Le 8 juin 2004, le requérant a été placé durant quelques heures dans une cellule de 11,27 m² prévue pour cinq personnes. Enfin, du 8 juin au 4 août 2004, le requérant a été incarcéré dans une cellule d’une surface de 19,07 m² environ, susceptible d’héberger huit détenus. Il en résulte que l’espace personnel dont le requérant a pu disposer dans ses cellules successives mesurait respectivement environ 2,72 m², 2,06 m², 2,38 m², 2,25 m² et 2,38 m². Le Gouvernement indique que toutes les cellules de la prison de Goleniów étaient convenablement éclairées. En particulier, le rapport de 1 à 8 entre la taille des fenêtres et la surface des cellules, requis par l’ordonnance du ministre de l’Infrastructure du 12 avril 2002, a été respecté. Pendant une heure par jour le requérant pouvait faire une promenade en dehors de sa cellule. De surcroît, pendant environ deux à trois heures par semaine, il pouvait participer aux activités éducatives, culturelles et sportives proposées par l’administration.
B. Recours exercés par le requérant concernant ses conditions de détention
1. Plaintes adressées à l’administration pénitentiaire, au juge d’application des peines et à l’inspecteur de l’hygiène
26. Il ressort du dossier que, le 17 novembre 2004, le requérant se plaignit auprès de l’inspecteur des services pénitentiaires de Poznań de ses conditions de détention à la maison d’arrêt de Poznań. Dans un courrier adressé au requérant le 27 décembre 2004, l’inspecteur convint que l’établissement concerné était continuellement surpeuplé et que, dès lors, les autorités n’étaient pas en mesure d’assurer à chaque détenu l’espace personnel conforme à la norme de 3 m². L’inspecteur souligna que l’on observait une surpopulation carcérale depuis plusieurs années dans l’ensemble des établissements pénitentiaires du pays. Dans ce contexte, l’on ne pouvait considérer que, du fait de l’adoption de mesures restreignant la surface par détenu à la maison d’arrêt de Poznań, l’administration de cet établissement s’était rendue coupable d’une faute ou d’une négligence.
27. Les 15 et 18 mars 2005, le requérant se plaignit auprès de l’administration pénitentiaire de ses conditions de détention à la maison d’arrêt de Koszalin. Dans un courrier adressé au requérant le 6 avril 2005, l’inspecteur des services pénitentiaires de la région de Koszalin jugea la plainte du requérant infondée. Il rappela qu’en vertu de l’article 248 du code d’application des peines, le responsable de l’administration pénitentiaire était en droit de prendre des mesures en vue de réduire la surface par détenu en deçà de 3 m². L’inspecteur estima que le fait que la direction de la maison d’arrêt de Koszalin ait en l’espèce recouru à l’application de telles mesures était pleinement justifié au vu de la situation dans cet établissement.
28. Il ressort du dossier que, le 16 mai 2005, une nouvelle plainte du requérant similaire aux deux précédentes fut jugée infondée par l’administration pénitentiaire.
29. A une date non indiquée, le requérant sollicita auprès du juge d’application des peines l’octroi d’une autorisation temporaire de sortie. A l’appui de sa demande, il releva, entre autres, que l’exécution de sa peine était devenue insupportable en raison d’une grande promiscuité à la maison d’arrêt de Koszalin. Le 18 octobre 2005, le juge rejeta sa demande en relevant que la surpopulation carcérale ne pouvait constituer un motif valable pour solliciter l’admission au bénéficie de l’autorisation temporaire de sortie.
30. Le 23 juillet 2006, le requérant se plaignit auprès du juge d’application des peines que les autorités de la maison d’arrêt de Koszalin avaient réduit de moitié, soit de 30 minutes par jour, le temps pendant lequel les détenus étaient autorisés à circuler en dehors de leurs cellules. Dans un courrier du 20 septembre 2006, le juge informa le requérant que les restrictions en question, appliquées pendant environ deux mois, s’étaient révélées nécessaires en raison des travaux de rénovation conduits par l’administration dans la cour de promenade des détenus.
31. Le 23 octobre 2006, le requérant se plaignit auprès de l’inspecteur de l’hygiène de Koszalin des mauvaises conditions sanitaires dans sa cellule à la maison d’arrêt de Koszalin. Il dénonçait notamment les mauvaises odeurs qui se dégageaient des toilettes, qui n’étaient pas correctement séparées du reste de la cellule. En effet, seule une tôle provisoire d’une hauteur de 90 cm servait de cloison entre les deux parties de la pièce. Le requérant se plaignait que le fait de vivre dans de telles conditions était dégradant pour lui et attentatoire à son intimité. Dans un courrier du 22 novembre 2006, l’inspecteur de l’hygiène informa le requérant que le contrôle sanitaire conduit par les autorités avait confirmé l’existence des irrégularités signalées par l’intéressé. L’inspecteur précisa que celles-ci devraient être supprimées à l’issue des travaux de rénovation programmés par l’administration de l’établissement.
32. Le 18 juillet 2007, le requérant adressa une plainte au juge d’application des peines au sujet de ses conditions de détention. Dans un courrier du 6 septembre 2007, le juge l’informa que la surpopulation affectait l’ensemble des établissements pénitentiaires du pays et que, dès lors, les restrictions en matière de surface appliquées par l’administration étaient conformes à la loi. Le juge estima que les autorités entreprenaient régulièrement des démarches en vue d’améliorer les conditions de vie des détenus.
2. Action engagée par le requérant en vue de l’indemnisation du préjudice subi du fait de ses conditions d’incarcération à la maison d’arrêt de Koszalin
33. Le 5 mai 2005, le requérant engagea à l’encontre de l’Etat une action tendant à obtenir une indemnisation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention à la maison d’arrêt de Koszalin. Le requérant releva qu’il était incarcéré avec trois codétenus dans une cellule de 10 m². Il précisa qu’en raison de son incarcération dans une telle promiscuité, son bien-être mental avait été affecté de manière considérable étant donné qu’il se sentait frustré, irrité et déprimé. Le requérant ajouta que les conditions d’hygiène à la maison d’arrêt de Koszalin n’étaient pas conformes aux normes requises et que les cellules étaient trop petites et mal éclairées. Il sollicita 25 000 zlotys polonais (PLN) à titre de réparation.
34. Par un jugement du 18 mai 2006, le tribunal de district (Sąd Rejonowy) de Koszalin rejeta l’action du requérant. Le tribunal releva que durant son incarcération à la maison d’arrêt de Koszalin le requérant avait été placé dans différentes cellules. En particulier, du 14 mars au 5 mai 2005, il avait été incarcéré dans la cellule no157 avec trois codétenus qui suivaient différentes thérapies du fait de leurs troubles comportementaux liés à la consommation de drogue et d’alcool. Le tribunal indiqua que, depuis le mois de décembre 2004, le requérant se plaignait constamment auprès de l’administration du comportement agressif de ses codétenus et de leur manque d’hygiène. Le 5 mai 2005, l’administration décida de le transférer dans une autre cellule.
35. Le tribunal détermina ensuite que, le 31 janvier 2005, la direction de la maison d’arrêt avait informé le juge d’application des peines compétent du dépassement de la capacité d’accueil au sein de cet établissement et de l’adoption subséquente de mesures restreignant la surface par détenu en deçà de 3m².
36. Le tribunal se référa ensuite aux conclusions présentées au cours de la procédure par l’expert psychiatre au sujet de la santé mentale du requérant. Il en ressortait en particulier qu’en raison de son incarcération dans la cellule no 157 le requérant avait éprouvé des tensions et une absence du confort mental, qui étaient à l’origine de son comportement dépressif. L’expert releva qu’en 2002, on avait diagnostiqué chez le requérant une réaction dépressive à l’incarcération. A partir de cette date-là, son état s’était constamment dégradé jusqu’au 9 décembre 2003, jour où il fit une tentative de suicide. Bien qu’à l’issue du transfert du requérant dans une autre cellule son état se soit amélioré, l’expert ne pouvait exclure que ses tendances dépressives se reproduisent à l’avenir.
37. Ayant considéré l’ensemble des circonstances ci-dessus, le tribunal jugea qu’en l’espèce, le requérant n’avait pas réussi à établir l’existence d’un lien de causalité entre sa courte incarcération dans la cellule no 157 et la prétendue dégradation de son bien-être mental. Le tribunal estima que les désagréments subis par le requérant résultaient essentiellement de ses difficultés d’adaptation à la vie en milieu carcéral et que ceux-ci n’avaient pas affecté son bien-être physique ou mental de telle sorte qu’il faille lui octroyer une indemnisation. Le tribunal rappela que l’incarcération et la séparation d’avec les proches impliquaient habituellement des désagréments similaires à ceux éprouvés par le requérant en l’espèce.
38. A une date non indiquée, le requérant fit appel.
39. Par un jugement prononcé le 5 septembre 2006, le tribunal régional de Koszalin rejeta l’appel en souscrivant à l’argumentation du tribunal de première instance. Le tribunal régional souligna tout d’abord qu’un individu qui commet une infraction doit savoir qu’il risque d’être incarcéré avec des codétenus socialement inadaptés dans des conditions beaucoup moins avantageuses que celles dont il bénéficie en liberté. Le fait qu’en raison de circonstances objectivement justifiées, non imputables à l’administration, un détenu ait pu être incarcéré pendant une courte période dans des conditions inappropriées ne pouvait automatiquement signifier que les autorités avaient méconnu l’obligation à laquelle elles étaient tenues de protéger la sécurité personnelle des détenus et de leur garantir des conditions favorables à leur réinsertion sociale. S’agissant des allégations du requérant relatives à l’exiguïté de sa cellule, le tribunal estima qu’en l’espèce, du fait de l’adoption de mesures restreignant la surface habitable dans l’établissement, l’administration de celui-ci ne s’était rendue coupable d’aucune négligence susceptible de justifier l’octroi d’une réparation. En particulier, l’administration avait dûment respecté la procédure prévue à cet effet par l’article 110 § 2 du code d’application des peines. Enfin, en dernier lieu,le tribunal signala que le fait qu’en raison d’une mauvaise situation financière de l’Etat, l’administration n’ait pas été en mesure de garantir à chaque détenu des conditions de détention conformes au code d’application des peines ne pouvait en aucun cas constituer pour ces derniers une source de revenus supplémentaires.
3. Action engagée par le requérant en vue de l’indemnisation du préjudice subi du fait de son incarcération avec des fumeurs
40. A une date non indiquée, le requérant engagea une action tendant à obtenir l’indemnisation du préjudice subi du fait de son incarcération avec des fumeurs. A l’appui de celle-ci, le requérant releva qu’à plusieurs reprises il avait signalé à l’administration de la maison d’arrêt de Koszalin que lui-même ne fumait pas. Il souligna que l’exposition à la fumée du tabac avait aggravé son allergie et affaibli son système immunitaire. Le requérant sollicita 35 000 PLN à titre d’indemnisation.
41. Par un jugement du 30 mai 2006, le tribunal régional de Koszalin jugea l’action du requérant partiellement fondée et lui octroya une indemnité de 5 000 PLN. Le tribunal releva que,pendant environ six mois, le requérant avait dû cohabiter avec des fumeurs alors même qu’il avait signalé à l’administration que cela était préjudiciable à sa santé et sollicité son transfert dans une autre cellule réservée aux non-fumeurs. Pour fixer le montant de l’indemnisation, le tribunal tint compte de la durée relativement conséquente de l’incarcération du requérant dans des conditions inadéquates et du retard avec lequel les autorités avaient réagi à sa plainte, au mépris de leur devoir de diligence accrue à l’égard des personnes privées de liberté.
42. Il semblerait que la cour d’appel de Szczecin ait confirmé le jugement du tribunal régional de Koszalin le 10 janvier 2008.
4. Plainte introduite auprès du médiateur
43. Le 21 août 2005, le requérant se plaignit au médiateur de ses conditions de détention. En réponse à sa plainte, le médiateur indiqua que depuis 2000 le nombre de détenus incarcérés dans les établissements pénitentiaires polonais dépassait leur capacité d’accueil globale. Dans ces conditions, les autorités pénitentiaires étaient en droit d’adopter des mesures restreignant la surface dans les prisons en deçà de la norme minimale de 3 m² par détenu. Le médiateur déplora néanmoins la qualité insuffisante de la loi interne autorisant les autorités à recourir à l’adoption de telles mesures, au motif que ce texte n’indiquait pas avec une précision et une clarté suffisantes pendant combien de temps ces mesures pouvaient rester en vigueur. Le médiateur critiqua également la façon dont cette législation était concrètement appliquée par les autorités.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Constitution polonaise de 1997
44. L’article 40 de la Constitution polonaise dispose :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les peines corporelles sont interdites. »
B. Dispositions spécifiques relatives aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires
1. Code d’application des peines (Kodeks karny wykonawczy)
45. L’article 4 § 1 du code prévoit :
« Les peines, sanctions pénales, mesures de sûreté et mesures préventives doivent être appliquées avec humanité dans le respect de la dignité de la personne condamnée. Les tortures ainsi que les traitements inhumains ou dégradants sont prohibés ».
46. L’article 110 du code dispose :
« 1. Un détenu est placé soit dans une cellule individuelle soit avec des codétenus.
2. L’espace dont un détenu dispose dans sa cellule ne peut être inférieur à 3 m². »
47. L’article 248 du code est ainsi libellé :
« 1. Dans des cas jugés particulièrement justifiés, le directeur d’un établissement pénitentiaire peut décider que, pendant une période déterminée, les détenus disposeront dans leur cellule de moins de 3 m² par personne, et en informera le juge d’application des peines compétent.
2. Le ministre de la Justice déterminera, par voie d’ordonnance, les règles à suivre par les autorités compétentes en cas de dépassement de la capacité d’accueil globale dans l’ensemble des établissements pénitentiaires du pays (…) ».
2. Ordonnances du ministre de la Justice datant de 2000 et 2003
48. Le 26 octobre 2000, statuant en application de l’article 248 § 2 du code d’application des peines, le ministre de la Justice prononça une ordonnance instaurant les « Règles à suivre par les autorités compétentes en cas de dépassement de la capacité d’accueil globale dans l’ensemble des établissements pénitentiaires du pays » (Rozporzadzenie Ministra Sprawiedliwosci w sprawie trybu postepowania wlasciwych organow w wyapdku, gdy liczba osadzonych w zakladach karnych lub aresztach sledczych przekroczy w skali kraju ogolna pojemnosc tych zakladow).
49. Le 26 août 2003, le ministre de la Justice prononça une nouvelle ordonnance portant le même titre, laquelle abrogea et remplaça celle du 26 octobre 2000. Le paragraphe 1 alinéa 1 de cette ordonnance dispose :
« Dès lors que le nombre de personnes détenues dans les établissements pénitentiaires dépasse, dans l’ensemble du pays, leur capacité d’accueil globale, le directeur général des services pénitentiaires en informe, dans les7 jours à compter de la date du constat de dépassement, le ministre de la Justice, les directeurs régionaux des services pénitentiaires ainsi que les directeurs des établissements pénitentiaires. (…) »
50. Le paragraphe 2 de l’ordonnance prévoit :
« 1. Après avoir reçu l’information mentionnée au paragraphe 1 précité, les directeurs régionaux des services pénitentiaires ainsi que les directeurs des établissements pénitentiaires doivent prendre, chacun dans le cadre de leurs attributions, des mesures en vue de rendre habitables des locaux qui à l’origine n’étaient pas destinés à l’habitation.
2. Ne peuvent être transformés en cellules supplémentaires, comme mentionné à l’alinéa 1, des locaux considérés comme indispensables au bon fonctionnement d’un établissement pénitentiaire.
3. En cas de dépassement de la capacité d’accueil dans un établissement pénitentiaire donné, des détenus sont placés, pendant une période déterminée, dans les cellules supplémentaires obtenues grâce à la transformation de locaux qui n’étaient pas à l’origine destinés à loger des détenus.
4. Au cas où le nombre de places obtenues après le réaménagement des cellules s’avérerait insuffisant, des détenus pourront être placés dans des conditions telles que chacun d’eux disposera d’une surface inférieure à 3 m² ».
C. Contrôle administratif et juridictionnel des conditions de détention par les autorités chargées de surveiller l’application des peines
51. En Pologne, l’administration pénitentiaire est placée sous l’autorité du ministre de la Justice.
52. L’article 6 du code d’application des peines dispose :
« 1. Un condamné peut solliciter auprès d’un tribunal l’ouverture d’une procédure à laquelle il peut participer en qualité de partie, tout comme il peut former un recours à l’encontre des décisions prononcées dans le cadre d’une procédure relative à l’application de sa peine, à moins que la loi n’en dispose autrement.
2. Un condamné peut formuler des requêtes, plaintes et demandes auprès des autorités chargées de l’application de sa peine.
(…) »
53. L’article 7 du code d’application des peines prévoit :
« 1. Un condamné peut porter plainte auprès d’un tribunal à l’encontre d’une décision prise par les autorités indiquées à l’article 2 al. 3-6 et 10 du code (à savoir le président d’un tribunal ou un juge compétent, un juge pénitentiaire, le directeur d’une prison ou d’une maison d’arrêt, le directeur régional ou le directeur général des services pénitentiaire ou un responsable d’un autre établissement pénitentiaire, une commission pénitentiaire, un curateur judiciaire ou toute autre autorité chargée par la loi d’appliquer les peines) au motif que cette décision est contraire à la loi, à moins que la loi n’en dispose autrement.
2. Les plaintes sont examinées par le tribunal compétent (…).
3. Un condamné peut former une plainte contre une décision, comme indiqué au paragraphe 1 ci-dessus, dans les sept jours à compter de la date du prononcé ou de la notification de la décision en question (…). La plainte est introduite auprès de l’autorité qui a adopté la décision ; cette autorité, lorsqu’elle estime que la plainte est infondée, la transmet sans délai avec le dossier au tribunal compétent.
4. Le tribunal compétent pour examiner la plainte peut suspendre l’exécution de la décision qui en fait l’objet. Le refus de suspendre l’exécution ne nécessite pas de motivation.
5. A l’issue de l’examen de la plainte, le tribunal maintient, annule ou modifie la décision qui en fait l’objet ; l’ordonnance du tribunal y relative est insusceptible de recours ».
54. L’article 32 du code d’application des peines se lit ainsi:
« Le juge d’application des peines est chargé de contrôler la légalité et la promptitude d’application des peines privatives de liberté, de l’arrestation, de la détention provisoire, de l’arrestation et de la mesure provisoire consistant enun placement dans un établissement fermé, des peines réglementaires et des mesures de contrainte par corps ayant pour finalité la privation de liberté ».
55. L’article 33 du code dispose :
« 1. Le juge d’application des peines visite les prisons, les maisons d’arrêt et les autres établissements dans lesquels sont placées les personnes privées de liberté. Il a le droit d’y entrer et d’y circuler à tout moment et sans aucune restriction ; il peut demander l’accès aux documents et exiger des explications de la part de l’administration de l’établissement.
2. Le juge d’application des peines a le droit de s’entretenir en toute confidentialité avec les personnes privées de liberté et d’examiner leurs plaintes, requêtes ou demandes ».
56. L’article 34 du code d’application des peines énonce :
« 1. Le juge d’application des peines annule une décision contraire à la loi prise par l’autorité indiquée à l’article 2 al. 5 et 6 lorsque cette décision concerne une personne privée de liberté.
2. Une décision du juge d’application des peines adoptée dans les conditions décrites au paragraphe 1 est susceptible de recours auprès du tribunal d’application des peines (sad penitencjarny) compétent.
3. Les dispositions de l’article 7 §§ 3 à 5 s’appliquent par analogie.
4. Au cas où il constaterait que la privation de liberté est irrégulière, le juge d’application des peines en informe sans délai l’autorité sous la responsabilité de laquelle se trouve la personne privée de liberté ou, dans le cas où cette personne purgerait une peine ou ferait l’objet d’une mesure prévue à l’article 32 du code, l’autorité qui a décidé de l’application de la peine ou de la mesure, ou encore, en cas de besoin, ordonne la libération de cette personne ».
57. L’article 35 du code d’application des peines prévoit :
« 1. Au cas où le juge pénitentiaire estime que, dans un domaine qui se situe en dehors de ses attributions, l’adoption d’une décision, notamment administrative, s’impose, il transmet ses observations et ses conclusions en la matière à une autorité compétente.
2. Dans un délai de 14 jours ou dans un autre délai imparti par le juge d’application des peines, l’autorité compétente informe ce dernier de la position qu’elle a adoptée. Au cas où le juge d’application des peines juge cette position insatisfaisante, il saisit du dossier une autorité hiérarchiquement supérieure ; cette dernière le tient informé du suivi de ce dossier.
3. En cas de négligences répétées dans le fonctionnement d’une prison, d’une maison d’arrêt ou d’un autre établissement pénitentiaire ou au cas où les conditions y régnant ne respecteraient pas les droits des personnes qui s’y trouvent, le juge d’application des peines s’adresse sans délai à l’autorité supérieure en l’invitant à prendre dans un délai imparti des mesures appropriées en vue de remédier aux carences constatées. Au cas où il ne serait pasremédié à celles-ci dans le délai imparti, le juge d’application des peines s’adresse au ministre compétent et l’invite à suspendre ou à mettre fin, entièrement ou partiellement, aux activités de l’établissement concerné. »
58. L’article 102 § 10 du code dispose :
« Toute personne condamnée a droit en particulier :
(…)
10) à présenter, auprès d’une autorité compétente, des requêtes, plaintes ou demandes, ou de soumettre celles-ci, hors de la présence des tiers, à l’administration pénitentiaire, aux responsables des services pénitentiaires, au juge d’application des peines, au parquet et au médiateur ; (…) »
D. Dispositions pertinentes du code civil et jurisprudence interne relative à la possibilité pour les détenus de solliciter l’octroi d’une réparation en cas de préjudice consécutif à l’incarcération dans des conditions ayant porté atteinte à leur dignité
1. Dispositions pertinentes du code civil
59. L’article 23 du code prévoit :
« Les droits de la personnalité, tels qu’en particulier le droit à la santé, à la liberté, à la réputation, à la liberté de conscience, au nom ou au patronyme, à l’image, au secret de la correspondance, à l’inviolabilité du domicile, à l’activité scientifique, artistique et à la recherche, bénéficient de la protection du droit civil indépendamment de celle qui leur est accordée en vertu d’autres dispositions de la loi ».
60. L’article 24 du code civil se lit ainsi :
« 1. Lorsque les droits de la personnalité dont un particulier s’estime titulaire sont susceptibles d’être violés par l’action d’un tiers, ce particulier peut demander à ce qu’il soit mis fin à cette action, sauf dans le cas où si celle-ci n’est pas illégale. Lorsqu’une violation des droits en question s’est déjà produite, la victime peut également demander à l’auteur de la violation d’accomplir une action indispensable pour effacer les conséquences de la violation, notamment de faire une déclaration appropriée. Conformément aux dispositions du présent code, la victime peut également demander l’octroi d’une indemnité pécuniaire ou exiger qu’une somme soit versée à un organisme de bienfaisance.
2. Au cas où une violation d’un droit de la personnalité aurait provoqué un préjudice matériel, il est possible d’en demander le dédommagement selon les principes généralement applicables.
(…) ».
61. L’article 417 du code dispose :
« 1. Le Trésor public ou une autre entité de l’administration territoriale ou encore une personne morale exerçant la puissance publique en vertu de la loi est tenu pour responsable des dommages causés par une action ou une abstention irrégulière, commise à l’occasion de l’exercice de la puissance publique.
2. Lorsque l’exercice de la puissance publique a été délégué, en vertu d’un accord, à une entité de l’administration territoriale ou à une autre personne morale, celui qui exerce la puissance publique répond des dommages occasionnés solidairement avec le Trésor public et celui qui a délégué ces attributions. »
62. L’article 444 § 1 du code civil se lit ainsi :
« En cas de dommage corporel ou de préjudice pour la santé, la réparation couvre toutes les dépenses occasionnées par le dommage ou le préjudice. »
63. L’article 445 § 1 du code civil prévoit :
« Dans les cas prévus par l’article précédent, le tribunal peut accorder à une personne lésée une somme adéquate au titre de la réparation du préjudice qu’elle a subi ».
64. L’article 448 du code civil dispose :
« En cas de violation d’un droit de la personnalité, le tribunal peut accorder au titulaire de ce droit une somme adéquate pour réparer le préjudice qu’il a subi ou, à sa demande, décider qu’une somme adéquate sera versée dans unbut social indiqué par la personne lésée, indépendamment de l’adoption d’autres mesures pouvant s’avérer indispensables pour effacer les effets de la violation. »
2. Jurisprudence pertinente de la Cour suprême et des juridictions civiles inférieures
65. Dans ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête, le Gouvernement s’est référé à un arrêt de la Cour suprême rendu le 28 février 2007. Il a en outre cité un certain nombre de jugements définitifs prononcés entre 2005 et 2008 dans des litiges concernant des détenus cherchant à se faire indemniser du préjudice qu’ils avaient subi du fait de leursconditions d’incarcération.
a) Arrêt de la Cour suprême du 28 février 2007 et son application subséquente par la juridiction de renvoi
66. A une date non indiquée, A.D., un détenu, a saisi les juridictions civiles d’une demande en indemnisation au titre du préjudice qu’il estimait avoir subi en raison de son incarcération dans des cellules surpeuplées et insalubres et de l’absence de traitement médical adéquat. A la suite du rejet de sa demande par les juridictions de première et de seconde instance, A.D. a formé un pourvoi en cassation.
67. Par un arrêt rendu le 28 février 2007, la Cour suprême a annulé les jugements prononcés par les juridictions inférieures et a renvoyé l’affaire pour réexamen ; elle a aussi défini les principes selon lesquels la juridiction de renvoi devait reconsidérer l’affaire.
68. La Cour suprême a jugé pour la première fois de manière explicite que l’incarcération dans des conditions inadéquates – notamment en cas de surpopulation carcérale – et non conformes aux normes applicables pouvait constituer un traitement dégradant de nature à porter atteinte à la dignité d’un détenu. Le fait qu’un détenu ait été l’objet d’un tel traitement était susceptible de donner lieu à une prétention sur le terrain de l’article 23 du code civil combiné avec l’article 445 de ce code, à savoir une demande d’indemnisation du préjudice engendré par une atteinte aux droits de la personnalité du détenu tels que le droit à la dignité et à l’intimité. La Cour suprême a signalé que les désagréments causés à des détenus par leur incarcération dans des conditions attentatoires à leur dignité ne pouvaient être assimilés à ceux dont s’accompagne habituellement l’exécution d’une peine de prison.
69. La Cour suprême a ensuite rappelé qu’en vertu de l’article 24 du code civil, la personne qui recherche la protection juridictionnelle de droits de la personnalité dont elle est titulaire n’est pas tenue de démontrer que l’auteur de l’action ayant porté atteinte à ces droits a commis une faute. En effet, l’article 24 du code civil met en place une présomption d’illégalité d’une telle action attentatoire aux droits de la personnalité d’autrui. Il en résulte qu’en cas de litige, il incombe au défendeur de prouver que son action n’était pas illégale, c’est-à-dire que les conditions de détention étaient conformes à la loi en vigueur, et que la détention n’a pas porté atteinte aux droits en question. Quant au demandeur, il est uniquement tenu de démontrer que ses conditions d’incarcération étaient inadéquates. La Cour suprême a souligné qu’une fois que les conditions ci-dessus étaient remplies, il incombait au juge de se prononcer sur la question de savoir si l’ampleur et la nature de l’atteinte portée aux droit de la personnalité du demandeur était susceptible de justifier l’octroi d’une indemnité.
70. A la suite de l’arrêt de la Cour suprême, l’affaire a été renvoyée pour réexamen à la cour d’appel de Wrocław. Toutefois, par un arrêt du 6 décembre 2007, cette dernière a rejeté la demande. Après avoir relevé que la surpopulation carcérale combinée avec des conditions sanitaires et matérielles inadéquates était susceptible de constituer un traitement dégradant portant atteinte aux droits de la personnalité d’un détenu, la cour d’appel a rappelé qu’en vertu de la jurisprudence bien établie de la Cour suprême, toute atteinte aux droits de la personnalité n’impliquait pas obligatoirement l’octroi d’une indemnisation. En effet, un tribunal saisi d’un tel cas devait d’abord apprécier l’ampleur de la faute à attribuer à la partie défenderesse. Or, s’agissant de la surpopulation carcérale, aucune faute ne pouvait être attribuée à l’administration pénitentiaire étant donné qu’en dépit du nombre insuffisant de places dans les établissements pénitentiaires, celle-ci avait l’obligation d’accueillir tout condamné devant purger sa peine. Tout en déplorant les taux élevés de surpopulation carcérale dans le pays, la cour d’appel a rappelé que les mesures restreignant la surface habitable dans des cellules ne pouvaient être appliquées que dans des circonstances exceptionnelles et pendant une période limitée. En définitive, la cour d’appel a estimé que des facteurs tels que le caractère généralisé de la surpopulation carcérale et l’impossibilité d’imputer à l’administration la mauvaise foi ou l’intention d’humilier l’intéressé s’opposaient à l’octroi d’une réparation dont le versement serait en l’espèce contraire au sens élémentaire de la justice.
b) Autres exemples de la jurisprudence interne des juridictions civiles inférieures
71. Le Gouvernement a présenté en premier lieu les copies de quatre jugements définitifs, dont celui prononcé dans l’affaire du requérant, par lesquels des détenus non fumeurs ont été indemnisés à hauteur de 2 000 PLN à 5 000 PLN du préjudice découlant de leur incarcération avec des fumeurs. Le premier de ces jugements a été prononcé le 13 décembre 2005 par la cour d’appel de Gdańsk.
72. En second lieu, le Gouvernement a présenté les copies d’un certain nombre de jugements définitifs, prononcés dans des litiges concernant des détenus sollicitant l’indemnisation dupréjudice engendré par diverses circonstances en rapport avec leurs conditions d’incarcération :
a) ainsi, il ressort d’un arrêt du 27 juillet 2006 de la cour d’appel de Varsovie que J.K. a obtenu une indemnité de 5 000 PLN pour le préjudice consécutif à son incarcération pendant environ 7 jours dans un établissement inadéquat (avec des détenus déjà condamnés) ;
b) un arrêt du 8 septembre 2006 de la cour d’appel de Łódź indique que R.D. a été indemnisé à hauteur de 7 500 PLN pour le préjudice consécutif au stress et l’angoisse subis à raison de son incarcération avec un codétenu porteur du virus du SIDA ; en accordant l’indemnité, la cour d’appel a tenu compte du fait que pendant 6 mois environ, les autorités ont négligé la demande du requérant qui souhaitait pouvoir bénéficier d’un examen de dépistage du SIDA ;
c) un jugement prononcé le 26 octobre 2006 par le tribunal régional de Kielce atteste de l’obtention par S.G. d’une indemnité de 10 000 PLN, dont 2 000 PLN pour compenser le préjudice engendré par la surpopulation carcérale et 8 000 PLN pour réparer le préjudice résultant d’une atteinte à la dignité consécutive à l’application à son égard de mesures de sûreté lors des funérailles de son père. Toutefois, le 23 février 2007, la cour d’appel de Cracovie a modifié le jugement en question en ramenant le montant de l’indemnité à 8 000 PLN. La cour d’appel a estimé que l’octroi d’une indemnité au titre de l’incarcération du requérant dans des conditions de surpopulation n’était pas justifié. En fait, dans la mesure où l’ordonnance de 2003 autorisait l’incarcération dans des conditions où les détenus disposaient de moins de 3 m² d’espace personnel, l’action de l’administration n’était pas entachée d’illégalité. Or seule une atteinte ou un risque d’atteinte au droit de la personnalité résultant d’une action ou d’une omission contraire à la loi pouvait donner lieu à réparation. A supposer même qu’en l’espèce, une telle atteinte ait pu être décelée, l’action de l’administration ne pouvait être qualifiée d’illégale puisqu’elle était fondée sur une disposition contraignante de la loi ;
d) deux autres affaires citées par le Gouvernement ont également donné lieu à réparation. Ainsi, par un jugement prononcé le 6 mars 2007 par le tribunal régional d’Olsztyn, S. L., un détenu victime d’une intoxication alimentaire lors de son incarcération, s’est vu octroyer à ce titre 500 PLN. Le second litige, terminé par un arrêt rendu le 29 mars 2007 par la cour d’appel de Szczecin, a abouti à l’octroi d’une indemnité de 5 000 PLN à M.P., un détenu maltraité par son codétenu ;
e) un jugement prononcé par le tribunal régional de Katowice le 6 septembre 2007 indique que W.W. s’est vu accorder une indemnité de 1 000 PLN pour le préjudice consécutif à son incarcération, pendant environ trois mois, dans une cellule d’une surface inferieure à celle légalement garantie et non équipée des toilettes convenablement séparées du reste de la cellule ;
f) par un jugement prononcé le 11 septembre 2007, le tribunal de district de Gliwice a accordé à P.K. 5000 PLN pour l’indemniser du préjudice consécutif à une atteinte aux droits de la personnalité, engendrée par son incarcération avec des fumeurs dans des cellules surpeuplées et non conformes aux normes d’hygiène. Il semblerait toutefois qu’en appel, le montant de l’indemnité octroyée ait été réduit de moitié ;
g) un jugement prononcé le 21 septembre 2007 par le tribunal de district de Częstochowa indique que M.B. a été indemnisé à hauteur de 3 000 PLN pour le préjudice subi du fait de son incarcération dans une cellule surpeuplée. Néanmoins, par un jugement du 4 décembre 2007, la cour d’appel de Częstochowa a réduit de moitié l’indemnité octroyée au plaignant, estimant que le montant initialement accordé était trop élevé du point de vue des « principes de vie dans la société » (zasady współżycia społecznego) ;
h) par un jugement du 17 octobre 2007, un certain Z. Rz. s’est vu octroyer par le tribunal régional de Łódź une indemnité de 3 600 PLN pour le préjudice subi du fait d’une atteinte à sa dignité consécutive à son incarcération dans une cellule surpeuplée ;
i) dans deux autres affaires, par des jugements prononcés respectivement le 29 décembre 2007 par le tribunal régional de Katowice à l’égard de H.T. et le 4 décembre 2007 par le tribunal régional de Częstochowa à l’égard de M.B., les plaignants ont été indemnisés respectivement à hauteur de 100 PLN et 1 500 PLN du préjudice subi du fait de leur incarcération dans des cellules surpeuplées dans des conditions non conformes aux normes d’hygiène ;
j) enfin, un jugement prononcé le 20 décembre 2007 par le tribunal régional de Gliwice atteste de l’octroi à D.A. d’une indemnité de 5 900 PLN au titre du préjudice découlant de son incarcération dans des cellules surpeuplées. Le tribunal régional a relevé en particulier que l’administration n’avait pas respecté la procédure prévue par l’article 248 § 1 du code d’application des peines étant donné qu’elle avait restreint la surface par détenu en deçà de 3m² sans en informer au préalable le juge d’application des peines compétent.
73. En troisième lieu, le Gouvernement a présenté les copies de huit jugements prononcés en 2008 en vertu desquels des détenus ont reçu des sommes allant de 1 000 PLN à 10 000 PLN en indemnisation du préjudice consécutif à leur incarcération dans des cellules surpeuplées et non conformes aux normes applicables. Les jugements en question montrent que les juridictions internes se sont largement référées à l’arrêt de la Cour suprême du 28 février 2007 et à celui de la Cour constitutionnelle du 26 mai 2008.
74. En dernier lieu, le Gouvernement a indiqué que cinq autres litiges similaires à ceux évoqués ci-dessus étaient pendants devant les juridictions internes.
E. Jurisprudence pertinente de la Cour constitutionnelle
1. Plainte introduite par le médiateur
75. Par une plainte formulée le 13 décembre 2005, le médiateur a prié la Cour constitutionnelle de déclarer que l’ordonnance du ministre de la Justice de 2003 (paragraphe 49 ci-dessus) était contraire tant à la Constitution qu’à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le médiateur a relevé que dans le code d’application des peines le législateur avait prévu la norme nationale minimale en matière de surface habitable que les autorités étaient tenues de garantir à chaque détenu. En même temps, le législateur a précisé que les autorités pouvaient déroger à la norme en question, mais uniquement dans des cas exceptionnels et pendant une période déterminée. Le législateur a prévu également que le ministre de la Justice devait déterminer, par voie d’ordonnance, les mesures que les autorités devraient adopter en vue de revenir, dans un laps de temps déterminé, à la norme applicable. Or, d’après le médiateur,l’ordonnance prise par le ministre de la Justice en 2003 ne respectait pas le but envisagé par le législateur étant donné qu’elle n’indiquait pas pendant combien de temps les détenus pouvaient être incarcérés dans des cellules d’une surface inférieure à la norme légale. De l’avis du médiateur, du fait de son libellé, l’ordonnance en question non seulement n’incitait pas les autorités à lutter contre la surpopulation carcérale mais, au contraire, elle contribuait à la provoquer et à la légitimer de telle sorte que ce phénomène était devenu chronique. Le médiateur a considéré que l’ordonnance précitée du ministre de la Justice était contraire tant aux principes inscrits dans la Constitution qu’à ceux énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme, documents qui exigent que chaque personne privée de liberté soit traitée dans le respect de sa dignité.
76. Cependant, le 18 avril 2006, le nouveau médiateur – successeur de celui qui avait initialement saisi la Cour constitutionnelle – a modifié la demande introduite par son prédécesseur. Il a limité la portée de celle-ci à la question de savoir si la disposition de l’alinéa 4 du paragraphe 2 de l’ordonnance du ministre de la Justice était conforme à la Constitution polonaise pour autant qu’elle pouvait être interprétée comme autorisant le placement des détenus – pendant une période indéterminée – dans des conditions ne respectant pas la norme minimale en matière de surface habitable.
77. Toutefois, le 19 avril 2006, à l’issue d’un entretien avec le médiateur, le ministre de la Justice a abrogé l’ordonnance du 26 août 2003 et l’a remplacée par un nouveau texte. Celui-ci reprend essentiellement les dispositions de l’ordonnance abrogée mis à part la modification apportée à l’alinéa 4 du paragraphe 2, qui se lit à présent comme suit :
« Au cas où le nombre des places obtenues après le réaménagement des cellules s’avérerait insuffisant, des détenus pourront être placés, pendant une période déterminée, dans des cellules où ils disposent de moins de 3 m² par personne ».
78. Jugeant suffisantes les modifications introduites par le ministre de la Justice dans la nouvelle ordonnance, le médiateur a retiré la demande initiale adressée à la Cour constitutionnelle.
2. Arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 mai 2008
79. Le 22 mai 2006, J.G., un détenu, a saisi la Cour constitutionnelle en l’invitant à déclarer que l’article 248 du code d’application des peines était contraire aux articles 40 (interdiction de la torture et des traitements ou peines inhumains et dégradants), 31.3 (interdiction de restreindre les droits et libertés constitutionnellement garantis de façon contraire au principe de proportionnalité) et 2 de la Constitution (qualité de la loi). Le plaignant critiquait la façon dont l’article concerné était libellé, et en particulier le fait qu’il autorisait l’incarcération des détenus, pendant une période non indiquée au préalable, dans des cellules dont la surface était inférieure à la norme légale.
80. Dans leurs observations présentées au cours de la procédure devant la Cour constitutionnelle, les autorités qui y ont participé (le procureur général, le médiateur, le président de la Diète) ainsi que la Fondation Helsinki agissant en tant qu’amicus curiae ont reconnu unanimement l’existence, au sein des établissements pénitentiaires polonais, du phénomène de surpopulation carcérale. En particulier, dans ses conclusions du 6 décembre 2007, le procureur général a relevé que ledit phénomène existait de manière continue depuis 2000 et que, selon les donnés dont il disposait, le taux de surpopulation avait atteint 118,9 % au 31 août 2007, ce qui signifiait qu’environ 15 000 places supplémentaires étaient encore nécessaires pour que chaque détenu puisse bénéficier de conditions de détention conformes à la norme prévue par la législation. Les autorités précitées ont également critiqué la qualité insuffisante de la législation nationale laquelle, selon eux, continuait à provoquer une surpopulation carcérale chronique en raison de l’imprécision de son libellé.
81. Par un arrêt du 26 mai 2008, la Cour constitutionnelle a jugé, d’une part, que l’article 248 § 1 du code d’application des peines était contraire aux articles 40, 41.4 (droit d’un détenu d’être traité avec humanité) et 2 de la Constitution et, d’autre part, qu’il n’était pas contraire à l’article 31.3 de la Constitution. La Cour constitutionnelle a estimé que la disposition concernée manquait de clarté et de précision et, de ce fait, était susceptible d’une interprétation trop large.
82. La Cour constitutionnelle a relevé qu’en raison de son libellé, l’article 248 § 1 du code d’application des peines avait permis aux autorités d’appliquer de façon continue des mesures réduisant la surface par détenu dans les établissements pénitentiaires en deçà de 3 m², ce qui avait engendré une surpopulation chronique au sein de ces établissements. La Cour constitutionnelle s’est exprimée comme suit :
« 6.5. De l’avis de la Cour constitutionnelle, tant le libellé de l’article 248 § 1 du code d’application des peines que son application en pratique par les autorités permettent de conclure que la disposition concernée est contraire aux articles 40 et 41. 4 de la Constitution. La surpopulation carcérale, en tant qu’effet de l’application de la disposition concernée du code d’application des peines, peut être constitutive d’un traitement inhumain à l’égard des détenus. Il est en effet difficile d’imaginer que l’incarcération dans une cellule où un détenu ne dispose même pas d’un espace de 3 m² (ce qui constitue par ailleurs l’une des normes les moins élevées d’Europe) puisse constituer un traitement respectueux de la dignité humaine. »
83. La Cour constitutionnelle a observé également que la surpopulation carcérale constituait un phénomène dangereux, susceptible de remettre en cause le processus de réinsertion des détenus. La Cour constitutionnelle s’est exprimée à cet égard en ces termes :
« Le postulat que les détenus doivent être traités avec humanité implique l’obligation pour les autorités d’adopter à leur égard des mesures de soutien et de réadaptation en vue de les préparer à la vie en liberté et de prévenir la récidive, ce qui en définitive permet d’atteindre les objectifs de la punition. »
84. La Cour constitutionnelle s’est référée à l’article 3 de la Convention de la manière suivante :
« 6.7. Lorsqu’elle procède à l’interprétation du contenu des dispositions de la Constitution, la Cour constitutionnelle a recours tant au contenu matériel de l’article 3 de la Convention qu’à l’acquis humanitaire constitué sur le fondement de la Convention. En revanche, la Cour ne se prononce pas sur la violation de la Convention elle-même, étant donné que cela ne relève pas de ses attributions. »
85. La Cour constitutionnelle a observé ensuite que la surpopulation carcérale en elle-même pouvait être qualifiée de traitement inhumain et dégradant et que, combinée avec d’autres facteurs, elle pouvait même provoquer des souffrances susceptibles d’être qualifiées de torture. La Cour constitutionnelle a remarqué en particulier que, dans un établissement touché par la surpopulation, les détenus étaient généralement privés de toute forme d’intimité, exposés à subir constamment la promiscuité avec d’autres détenus ayant souvent une attitude hostile voireagressive à leur égard. De l’avis de la Cour constitutionnelle, l’incarcération dans de telles conditions portait atteinte à la sécurité des détenus et, au lieu de faciliter leur réinsertion sociale, favorisait plutôt l’apparition de comportements pathologiques.
86. Dans la partie suivante de son arrêt, la Cour constitutionnelle a mis l’accent sur le caractère exceptionnel des mesures restreignant la surface habitable dans les établissements pénitentiaires. Elle s’est exprimée de la manière suivante :
« 6.6. La Cour constitutionnelle ne peut exclure que dans des situations réellement exceptionnelles (en particulier en cas de progression soudaine de la criminalité et d’augmentation du nombre de condamnations) les autorités puissent être amenées à recourir à l’application temporaire de mesures restreignant la surface habitable dans des prisons en deçà de 3 m² (conformément à l’article 110 § 2 du code d’application des peines). Toutefois, les principes d’application de telles mesures doivent être clairement et précisément définis. En particulier, les dispositions pertinentes ne doivent laisser de doute ni sur le caractère exceptionnel des situations dans lesquelles les mesures en question sont applicables, ni sur la durée maximale autorisée de l’incarcération d’un détenu dans une cellule d’une surface restreinte ni encore sur l’opportunité d’une incarcération répétée dans une telle cellule et les principes et la procédure applicables en pareil cas. »
87. Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle a critiqué la qualité insuffisante de l’article 248 § 1 du code d’application des peines. Elle a relevé en premier lieu que celui-ci n’indiquait pas quelle était la limite à l’application des restrictions en matière de surface habitable dans les établissements pénitentiaires. En second lieu, elle a estimé que l’article en question ne tenait pas suffisamment compte du caractère extraordinaire de ces mesures. La Cour constitutionnelle a rappelé que l’article concerné constituait une exception à la règle et, de ce fait, devait s’interpréter de façon étroite. Elle a relevé en troisième lieu que l’article incriminé autorisait l’application des mesures en question pendant une « période déterminée ». Toutefois, cette notion manquait de précision dans la mesure où elle n’indiquait ni la durée maximale pendant laquelle les mesures pouvaient être appliquées ni le nombre de fois où un même détenu pouvait en faire l’objet ni encore la durée à respecter entre les applications ultérieures de celles-ci à l’égard de ce même détenu. La Cour constitutionnelle a souligné qu’en raison de son libellé, la disposition incriminée avait permis aux autorités d’appliquer des mesures censées être transitoires de façon continue et a ainsi engendré une surpopulation chronique.
88. Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, la Cour constitutionnelle a déclaré ce qui suit :
« La Cour constitutionnelle a décidé en vertu de l’article 190.3 de la Constitution d’ajourner l’abrogation de l’article 248 § 1 en raison de la situation pénitentiaire en Pologne, à savoir la surpopulation chronique et le manque de place au sein des établissements pénitentiaires.
La décision d’ajourner l’abrogation de l’article 248 § 1 du code d’application des peines n’est pas pour autant motivée par la nécessité de procéder aux modifications législatives appropriées mais se justifie par le besoin d’adopter de nombreuses mesures de nature organisationnelle en vue d’éradiquer la surpopulation carcérale. Il serait également souhaitable de procéder à la révision de la politique pénale en vue d’une application plus généralisée d’autres mesures punitives non privatives de liberté.
L’abrogation avec effet immédiat de l’article 248 § 1 du code d’application des peines pourrait aggraver le dysfonctionnement déjà existant où, en raison de la promiscuité dans les établissements pénitentiaires, de nombreux condamnés ne peuvent purger leurs peines. Ce problème concerne actuellement environ 40 000 personnes. Or une telle situation où des condamnations prononcées régulièrement ne sont pas exécutées est susceptible d’affaiblir l’autorité de l’Etat.
Parallèlement à l’ajournement de l’abrogation de l’article 248 § 1 du code d’application des peines, la Cour constitutionnelle a décidé de récompenser le plaignant J.G. de son initiative et de lui accorder le privilège (przywilej korzysci) en vertu duquel le présent arrêt va s’appliquer à son égard avec effet immédiat dès sa parution au journal officiel ».
F. Normes du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
89. Les dispositions relatives aux normes du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (le CPT) sont largement citées dans l’arrêt Orchowski c. Pologne, requête no 17885/04.
III. MESURES PRISES PAR L’ÉTAT POUR REMÉDIER AU PROBLÈME DE LA SURPOPULATION CARCÉRALE
90. Le Gouvernement soutient que le problème de la surpopulation carcérale en Pologne est apparu en septembre 2000. La surpopulation a atteint son taux le plus élevé, 124 %, en novembre 2006. Néanmoins, à la suite de différentes mesures prises par les autorités depuis lors, le taux de surpopulation dans l’ensemble des établissements pénitentiaires a diminué. Ainsi, en septembre 2008, il se situait à environ 106,8 % de la capacité d’accueil globale et à environ 108,1 % en ce qui concerne les prisons et les maisons d’arrêt. En juin 2009, ces taux étaient respectivement de 103,2 % et 104 %.
A. Mesures législatives
91. En application de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 mai 2008, le ministère de la Justice a présenté le 15 décembre 2008 un projet de loi portant modification du code de procédure pénale et de certaines lois. Selon les informations fournies par le Gouvernement, l’amendement en question ferait à présent l’objet de consultations ministérielles. Ce texte abroge l’article 248 § 1 du code d’application des peines, jugé contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle, et amende l’article 110 de ce code. Il met en place un dispositif qui définit de manière explicite les situations dans lesquelles les mesures réduisant la surface habitable dans les établissements pénitentiaires en deçà du minimum de 3 m² par détenu pourront être appliquées par les autorités. L’amendement met l’accent sur le caractère exceptionnel de telles mesures. Il indique en particulier la période maximale autorisée pendant laquelle celles-ci peuvent être appliquées à l’égard d’un détenu donné (14 jours susceptibles d’une prolongation exceptionnelle pendant 14 jours supplémentaires – soit 28 jours au total), les intervalles à respecter par les autorités lors de l’application ultérieure de telles restrictions à l’égard de ce même détenu (6 mois), ainsi que la limite ultime aux restrictions (2 m²). L’amendement prévoit également le cadre procédural à suivre par les autorités compétentes en cas d’adoption de telles mesures. De surcroît, il prévoit certains aménagements censés faciliter la lutte contre la surpopulation carcérale, à savoir, d’une part, la possibilité pour le responsable d’un établissement pénitentiaire de suspendre l’incarcération en cas d’impossibilité de garantir à une personne condamnée un espace personnel conforme à la législation et, d’autre part, la possibilité de suspendre sous conditions l’exécution d’une peine de prison facultative ou obligatoire dans les cas où celle-ci n’aurait pas été appliquée pendant respectivement plus d’un an ou plus de deux ans.
92. Outre l’amendement ci-dessus, le Gouvernement a également procédé à l’adoption d’une série de mesures législatives. Celles-ci reflètent la volonté des autorités polonaises de modifier la politique pénale de l’Etat de façon à faciliter l’application plus généralisée de mesures de sûreté autres que la privation de liberté, ce qui serait susceptible de contribuer au désengorgement des établissements pénitentiaires. Ainsi, le 7 septembre 2007 a été promulguée la loi sur la surveillance électronique des détenus (Ustawa o wykonywaniu kary pozbawienia wolności poza zakładem karnym w systemie dozoru elektronicznego), censée entrer en vigueur le 9 septembre 2009. Cette loi met en place un système de surveillance des détenus condamnés à des peines de prison de courte durée, qui devrait être entièrement opérationnel dès le mois d’août 2014. De surcroît, le Gouvernement a élaboré deux projets de lois : le premier, du 18 août 2008, portant amendement du code pénal, du code de procédure pénale, du code d’application des peines, du code des impôts et de certaines lois, et le second, du 1er octobre 2008, portant amendement du code d’application des peines et de certaines lois. Ces projets de loi visent en particulier à faciliter l’application d’avantages tels que notamment la remise de peine sous conditions(warunkowe przedterminowe zwolnienie z odbycia reszty kary). L’une des nouveautés consiste en particulier à abandonner l’un des critères d’admission au bénéfice de la remise de peine, à savoir l’obligation pour un détenu de purger au préalable une partie de sa peine (selon les circonstances au moins six mois ou un an). En outre, il est prévu que le juge d’application des peines aura l’obligation d’accorder une remise de peine en cas de pronostic socio-criminel favorable au détenu. Le projet du 18 août 2008 met également en place certains aménagements censés faciliter l’application des mesures de sureté. Par ailleurs, il vise à encourager la pratique par les détenus de travaux d’intérêt général non rémunérés. Enfin, le projet du 1er octobre 2008 facilite le recours des tribunaux à l’application de peines d’amende au lieu de peines d’emprisonnement.
B. Autres mesures
93. Le 26 février 2006, le Gouvernement polonais a adopté un « Programme tendant à créer, entre 2006 et 2009, 17 000 places supplémentaires au sein des établissements pénitentiaires ». Selon les informations fournies par le Gouvernement, le coût de la mise en œuvre de ce programme est estimé à environ 1 695,9 millions PLN. Ainsi, grâce à cette initiative, entre 2006 et fin 2007, environ 8 544 places supplémentaires auraient été obtenues au sein des établissements pénitentiaires polonais. Le Gouvernement estime qu’à la fin de l’année 2008, environ 3 900 places supplémentaires pourront encore être créées, ce chiffre devant augmenter de 2 499 places supplémentaires d’ici fin 2009.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
94. Le requérant allègue avoir été victime d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en raison de ses conditions de détention. La disposition qu’il invoque est ainsi libellée :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
95. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception du Gouvernement tirée de l’incompatibilité ratione personae (perte de la qualité de victime)
a) Le Gouvernement
96. Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement soutient que la requête doit être déclarée irrecevable ratione personae. Il précise que le requérant est dorénavant incarcéré dans une cellule conforme aux normes applicables. En outre, il relève qu’en vertu du jugement prononcé le 30 mai 2006 par le tribunal régional de Koszalin, le requérant a déjà reçu 5 000 PLN à titre d’indemnisation du préjudice découlant de son incarcération avec des fumeurs. Dans ces conditions, le Gouvernement soutient que le requérant ne peut plus se prétendre victime d’une violation de la Convention.
b) Le requérant
97. Le requérant ne se prononce pas sur la question.
c) Appréciation de la Cour
98. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 69, série A no 51, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, et Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X). La Cour observe que le grief que le requérant a formulé en l’espèce porte sur une situation complexe qui s’étend sur une période de plus de sept ans et résulte du jeu combiné de différents facteurs dont un – la surpopulation carcérale – se révèle central. Dans ces conditions, le fait que le requérant ait été indemnisé au niveau interne du seul préjudice résultant de son incarcération avec des fumeurs ne permet pas de considérer que le préjudice qu’il aurait pu subir du fait de la situation qu’il stigmatise dans sa requête a été suffisamment reconnu et réparé au niveau interne.
99. Dès lors, la Cour estime que le requérant peut continuer de se prévaloir de sa qualité de victime et rejette l’exception du Gouvernement.
2. Sur l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes
a) Le Gouvernement
100. Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. En dehors des plaintes formulées auprès des autorités carcérales, le requérant n’aurait pas utilisé les autres recours qui étaient à sa disposition en droit interne.
101. Le Gouvernement relève en premier lieu que le requérant pouvait exercer les recours prévus dans le code d’application des peines. En particulier, il pouvait porter plainte, selon les modalités prévues à l’article 7 du code, auprès du tribunal d’application des peines (sąd penitencjarny) à l’encontre de toute décision contraire à la loi prise par une autorité pénitentiaire en rapport avec l’application de sa peine. De l’avis du Gouvernement, le requérant aurait pu exercer ce recours notamment à l’encontre de la décision de le placer dans une cellule ne respectant pas les normes applicables. Le Gouvernement relève en outre que, même en l’absence de toute décision formelle, le requérant pouvait contester les actions de l’administration carcérale, selon les modalités prévues par l’article 6 § 2 du code d’application des peines, en déposant des plaintes, requêtes ou demandes auprès des autorités indiquées par cette disposition, chargées de surveiller l’exécution de sa peine. Enfin, le requérant pouvait se plaindre au juge d’application des peines selon les modalités prévues par les articles 33 § 2 et 34 § 1 du code d’application des peines ou encore formuler des requêtes, plaintes ou demandes auprès des autorités indiquées à l’article 102 § 10 de ce code.
102. Le Gouvernement affirme en second lieu qu’avant de saisir la Cour, le requérant pouvait engager une action indemnitaire sur le fondement de l’article 24 du code civil. Comme l’attesterait la jurisprudence interne mentionnée plus haut, notamment l’arrêt de la Cour suprême du 28 février 2007 et les autres jugements des tribunaux civils, l’action en question constituait un recours efficace au regard des griefs soulevés par le requérant. Le Gouvernement fait valoir premièrement que l’action fondée sur l’article 24 du code civil aurait permis au requérant d’obtenir réparation d’une violation de la Convention découlant de son incarcération dans des conditions inadéquates ; deuxièmement, elle lui offrait la possibilité d’agir afin qu’il soit mis fin à la situation illégale qui portait atteinte à ses droits protégés par la Convention. Ainsi, de l’avis du Gouvernement, au travers de l’action prévue par l’article 24 du code civil, le requérant pouvait solliciter notamment son transfert dans une autre cellule conforme aux normes prévues par la législation.
103. Le Gouvernement soutient troisièmement que le requérant pouvait porter plainte auprès de la Cour constitutionnelle et contester les dispositions pertinentes de la législation nationalequi autorisaient les autorités à restreindre la surface par détenu en deçà de la norme minimale de 3 m².
b) Le requérant
104. Le requérant rejette les arguments du Gouvernement et soutient avoir épuisé les voies de recours internes.
105. D’emblée, il relève que l’argument du Gouvernement selon lequel il aurait été tenu de porter plainte auprès du juge d’application des peines selon les modalités prévues par l’article 7 du code d’application des peines est dépourvu de pertinence compte tenu du fait qu’en l’espèce, aucune décision formelle relative aux conditions d’exécution de sa peine n’a jamais été prononcée. Le requérant considère par ailleurs que la procédure prévue par l’article 7 du code d’application des peines n’a pas vocation à s’appliquer aux situations pratiques en rapport avec la surpopulation carcérale. En tout état de cause, le Gouvernement n’aurait produit aucun exemple de cas similaire au sien où un détenu ayant recouru à la procédure prévue à l’article 7 du coded’application des peines aurait été transféré dans une cellule d’une surface conforme à la législation en vigueur. Le requérant signale qu’il a formulé de nombreuses plaintes auprès de l’administration pénitentiaire et qu’aucune n’a abouti. Par ailleurs, le fait qu’en l’espèce le juge d’application des peines ait été régulièrement informé par les autorités de la situation dans son établissement, conformément à l’article 248 du code d’application des peines, n’aurait eu aucune incidence positive ni sur son sort ni sur celui de ses codétenus.
106. Le requérant relève ensuite qu’il a utilisé sans succès l’action indemnitaire sur le fondement de l’article 24 du code civil combiné avec l’article 448 de ce code.
107. Enfin, il soutient qu’après avoir épuisé la voie de recours civil, il a déposé une plainte auprès de la Cour constitutionnelle, qui serait pendante. Il signale néanmoins que, dans les circonstances de la cause, le recours constitutionnel ne saurait de toute évidence être considéré comme un recours à épuiser aux fins de l’article 35 de la Convention. En effet, à supposer même qu’il aboutisse à l’annulation des dispositions de la loi au motif que celles-ci seraient contraires à la Constitution, le recours constitutionnel serait insusceptible d’avoir une quelconque incidence concrète et directe sur sa situation personnelle, en particulier d’améliorer ses conditions de détention.
c) Principes établis dans la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne la règle de l’épuisement des voies de recours internes
108. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose aux personnes désireuses d’intenter contre l’Etat une action devant un organe judiciaire ou arbitral international l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de leur pays. Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 48, série A no 24). La Cour rappelle de surcroît que le requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198). Cependant, rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs. Enfin, l’obligation pour le requérant d’épuiser les voies de recours internes, et donc l’effectivité du recours, s’apprécie normalement au jour de l’introduction de la requête devant la Cour (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001‑V).
109. L’article 35 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation.
110. La Cour souligne que l’article 35 § 1 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200). Par ailleurs, la règle qu’il énonce ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (Van Oosterwijck c. Belgique, 6 novembre 1980, § 35, série A no 40). Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants.
d) Application des principes susmentionnés à la présente affaire
111. En se référant à la présente affaire, la Cour relève qu’il ne saurait être exclu que, dans certaines circonstances, les voies de nature administrative puissent s’avérer efficaces s’agissantdes griefs relatifs à l’application de la réglementation relative au régime carcéral. Elle note toutefois qu’en l’espèce, en particulier le 17 novembre 2004 ainsi que les 15 et 18 mars 2005, soit avant l’introduction de sa requête à Strasbourg, le requérant s’est plaint auprès des responsables de l’administration pénitentiaire de ses conditions de détention dans les maisons d’arrêt de Poznań et de Koszalin. Toutefois, aucune de ces plaintes n’a abouti à un résultat favorable pour le requérant. En particulier, les autorités se sont contentées de lui rappeler que l’existence d’une surpopulation chronique justifiait l’application de mesures de restriction de la surface par détenu dans la cellule du requérant. Force est donc de constater que les plaintes formulées par le requérant auprès de l’administration pénitentiaire se sont révélées en l’espèce inefficaces.
112. Concernant les autres recours prévus par le code d’application des peines, tels que notamment la plainte auprès du juge d’application des peines, la Cour note qu’en l’espèce, le Gouvernement n’a pas démontré dans quelle mesure ceux-ci étaient réellement susceptibles de remédier au grief du requérant. Plus particulièrement, le Gouvernement n’a produit aucun exemple de cas comparable à celui du requérant de nature à montrer que l’utilisation de ces recours pouvait aboutir à l’amélioration des conditions matérielles de détention. La Cour note au passage que l’article 7 du code d’application des peines se réfère à « une décision prise par l’autorité pénitentiaire au mépris de la loi », ce qui implique que son application aux griefs concernant les conditions matérielles d’incarcération prête à controverse.
113. Pour ce qui est de l’action indemnitaire fondée sur les dispositions pertinentes du code civil polonais, la Cour note qu’en l’espèce, le requérant y a eu recours à deux reprises. Dans un premier temps, il a sollicité l’indemnisation du préjudice résultant de son incarcération dans des conditions inadéquates dans une cellule surpeuplée et, dans un second temps, il a demandé à être indemnisé du préjudice découlant de son incarcération avec des fumeurs. La Cour note que seule la seconde action a abouti à un résultat favorable. Toutefois, bien qu’elle soit consciente des efforts déployés par le requérant au niveau interne en vue d’obtenir réparation de son grief, en l’occurrence, vu les exigences de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut pour autant en tenir compte étant donné que les recours en question ont été exercés postérieurement à la date à laquelle elle a été saisie de la requête. La Cour rappelle dans ce contexte que la Convention prescrit l’épuisement des voies de recours internes préalablement à l’introduction de la requête à Strasbourg.
114. Dans ces conditions, la Cour doit s’interroger sur la question de savoir si, antérieurement à l’introduction de la présente requête, soit avant le 4 mai 2005, l’action indemnitaire invoquée par le Gouvernement constituait, au vu des circonstances de la cause, un recours adéquat présentant des chances raisonnables de succès.
115. La Cour observe à cet égard que le Gouvernement a produit un certain nombre d’exemples de la jurisprudence interne, dont l’arrêt rendu par la Cour suprême le 28 février 2007. Les jugements cités ont été prononcés à l’issue de litiges tendant à l’indemnisation du préjudice subi par des détenus du fait de diverses circonstances en rapport avec leur incarcération. Toutefois, parmi les exemples cités, la Cour ne décèle aucun jugement prononcé à une date antérieure à l’introduction de la requête et en vertu duquel un tribunal interne aurait, d’une part, constaté la violation des droits de la personnalité d’un détenu du fait de son incarcération dans des conditions inadéquates dans une cellule d’une surface non conforme à la législation applicable et,d’autre part, aurait accordé une réparation à ce titre.
116. La Cour observe néanmoins que la jurisprudence citée par le Gouvernement atteste de changements significatifs intervenus ultérieurement au niveau interne, notamment à la suite des arrêts rendus le 28 février 2007 et le 26 mai 2008 respectivement par la Cour suprême et la Cour constitutionnelle polonaises. Ainsi, il apparaît que, sous l’influence de ces deux hautes juridictions, les tribunaux internes sont dorénavant plus enclins à reconnaître que l’incarcération dans des conditions inadéquates dans une cellule non conforme aux normes garanties est susceptible de donner lieu à une demande d’indemnisation sur le terrain de l’article 24 du code civil combiné avec l’article 445 de ce code, et accordent aux détenus ayant subi de telles conditions des réparations à ce titre. La Cour ne peut que saluer cette approche qui transparaît de la récente jurisprudence des tribunaux polonais. Ainsi, au vu de celle-ci, elle relève que dorénavant il pourrait être exigé des requérants se plaignant d’avoir subi un traitement dégradant du fait de leurs conditions de détention qu’ils fassent usage de l’action indemnitaire fondée sur l’article 24 du code civil combiné avec l’article 445 de ce code afin de satisfaire à l’exigence d’épuisement des voies de recours internes. La Cour précise néanmoins qu’en principe, l’application de cette exigence doit se limiter aux seuls requérants qui ne seraient plus placés dans une situation de violation continue, c’est-à-dire ceux qui ont été mais ne sont plus détenus dans des conditions susceptibles de porter atteinte à leur dignité. La Cour relève à cet égard qu’en l’espèce, le Gouvernement défendeur a affirmé que l’action indemnitaire fondée sur l’article 24 du code civil polonais était également susceptible d’avoir, au delà d’un effet purement compensatoire, un effet « préventif » en ce sens qu’elle permettrait de mettre fin à l’incarcération dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention. La Cour observe néanmoins que devant elle, le Gouvernement a failli à démontrer qu’il existait au niveau interne une pratique bien établie en ce sens. Dans ces conditions, la Cour juge qu’à supposer même qu’en introduisant une action indemnitaire, le requérant ait pu obtenir une réparation pécuniaire, ce recours était insusceptible d’avoir une incidence sur ses conditions générales de détention. En effet, en raison de sa nature, l’action indemnitaire ne pouvait agir que sur les effets de la violation et non sur les circonstances à l’origine de celle-ci (Cenbauer c. Croatie (déc), no73786/01, 5 février 2004).
117. Vu ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce, il n’a pas été démontré qu’à l’époque des faits, la législation polonaise, telle qu’elle était appliquée par les juridictions nationales, offrait une base légale suffisante pour permettre au requérant de solliciter, à un degré suffisant de certitude, l’indemnisation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention. Pour la Cour, cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que le requérant ait pu ultérieurement introduire une telle action avec succès pour obtenir une indemnisation du seul chef de son incarcération avec des fumeurs.
118. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce, le requérant n’était pas tenu d’introduire une action indemnitaire en vertu de l’article 24 du code civil polonais combiné avec l’article 445 de ce code.
119. Enfin, pour autant que le Gouvernement soutient que le requérant aurait dû former un recours constitutionnel, la Cour rappelle qu’à l’occasion d’autres affaires, elle a déterminé les circonstances dans lesquelles il pouvait être exigé d’un requérant qu’il utilise ce recours aux fins de l’épuisement des voies de recours internes. Ainsi, il a été jugé que le recours constitutionnelpouvait constituer un recours efficace, au sens de la Convention, uniquement lorsque : a) une décision individuelle susceptible d’avoir violé la Convention a été adoptée en application directe d’une disposition de la législation nationale jugée inconstitutionnelle, et b) les dispositions procédurales applicables à la révision d’une telle décision individuelle permettent, à la suite de l’adoption d’un arrêt de la Cour constitutionnelle constatant l’inconstitutionnalité d’une loi, soit d’annuler ladite décision soit de rouvrir la procédure à l’issue de laquelle celle-ci a été adoptée (Szott-Medyńska c. Pologne (déc.), no 47414/99, 9 octobre 2003, et Pachla c. Pologne (déc.), no8812/02, 8 novembre 2005).
120. Or en ce qui concerne la présente affaire, la Cour estime qu’à supposer même que le premier critère ait pu être rempli dans le cas du requérant de telle sorte que, comme le démontre le cas de S.G. (paragraphes 79-85 ci-dessus), sa plainte ait pu aboutir à l’annulation de la loi pertinente pour contrariété à la Constitution, l’arrêt de la Cour constitutionnelle, qui est un juge dudroit et non des faits, était insusceptible d’avoir une incidence immédiate sur ses conditions de détention. En effet, les griefs formulés par le requérant ont trait essentiellement à une situation de fait, à savoir ses conditions matérielles d’incarcération dans un établissement touché par la surpopulation, et ne résultent pas d’une procédure interne quelconque. Bien que, dans le cas deS.G., la Cour constitutionnelle ait décidé de faire usage de ses attributions discrétionnaires et d’appliquer, à titre de privilège, son arrêt à l’égard de ce dernier dès sa parution au journal officiel,il n’a pas été indiqué que cette pratique de la Cour constitutionnelle aurait été suffisamment ancrée pour qu’on puisse avoir la certitude que dans chaque affaire similaire cette cour procèdeainsi.
121. Enfin, la Cour observe qu’il ressort du dossier, et notamment des déclarations émanant des différentes autorités nationales, d’ailleurs non remises en cause par le Gouvernement, que la surpopulation carcérale non seulement engendre d’autres problèmes en ce qui concerne les conditions de détention mais de surcroît qu’elle s’apparente à un phénomène structurel et ne concerne pas exclusivement le cas particulier du requérant (voir notamment Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 56, 1er juin 2006). Au vu de ces circonstances, la Cour considère qu’en l’espèce, il n’a pas été démontré que, si le requérant s’était prévalu des recours indiqués par le Gouvernement, cela seul aurait suffi à remédier à la situation se trouvant à l’origine de son grief tiré de l’article 3 de la Convention.
122. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception du Gouvernement.
123. La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Le Gouvernement
124. Le Gouvernement considère que le grief du requérant n’est pas fondé. Il relève que, pour apprécier si le seuil de gravité requis par l’article 3 a été atteint dans un cas donné, il convient de tenir compte des effets cumulatifs des conditions de détention ainsi que des allégations spécifiques d’un requérant. Or à son avis les conditions de détention du requérant, considérées globalement, étaient en l’espèce acceptables. En particulier, les cellules dans lesquelles ce dernier a été incarcéré auraient été convenablement éclairées et aérées. Le requérant, comme tout autre détenu, aurait pu participer aux différentes activités culturelles et éducatives proposées par les autorités. Le Gouvernement estime qu’en l’espèce, nul ne saurait prétendre que les autorités aient agi avec l’intention d’avilir ou de rabaisser le requérant. Au vu de ce qui précède, le Gouvernement affirme que les conditions de détention du requérant n’ont pas porté atteinte à sa dignité et que, dès lors, celui-ci n’a pas subi d’inconvénients plus graves que ceux dont s’accompagne habituellement l’exécution d’une peine de prison. Le Gouvernement réitère en dernier lieu qu’en ce qui concerne le grief du requérant relatif à son incarcération avec des fumeurs, l’intéressé a été déjà indemnisé de ce chef au niveau interne.
2. Le requérant
125. Le requérant considère que, contrairement aux affirmations du Gouvernement, les conditions dans lesquelles il a été détenu étaient inacceptables. Il met l’accent sur le fait que pendant la quasi-totalité de son incarcération il a dû subir une grande promiscuité étant donné qu’il ne disposait même pas des 3 m² d’espace personnel garantis par la législation polonaise. Par ailleurs, sachant qu’il était enfermé pendant pratiquement 23 heures par jour, ce manque flagrant d’espace n’aurait pas été compensé par une possibilité suffisante de circuler en dehors de la cellule. Le requérant considère que les désagréments qu’il a subis du fait de la surpopulation et de l’absence de conditions d’hygiène adéquates ont constitué une sanction supplémentaire par rapport à la peine qui lui a été infligée en vertu de la loi. Il ajoute que son incarcération dans des conditions aussi déplorables a eu une incidence négative sur son bien-être physique et mental. Il rappelle que les conditions d’exécution d’une peine de prison non seulement doivent respecter la dignité des détenus mais aussi sont censées faciliter leur réinsertion dans la société. Or pour ce qui le concerne, on pourrait difficilement affirmer que ces impératifs ont été respectés par les autorités.
3. Principes établis dans la jurisprudence de la Cour
126. La Cour rappelle d’emblée que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances ou le comportement de la victime (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).
127. Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. En outre, lorsqu’elle recherche si un traitement est « dégradant » au sens de l’article 3, la Cour examine si le but était d’humilier et de rabaisser l’intéressé et si, considérée dans ses effets, la mesure a ou non atteint la personnalité de celui-ci de manière incompatible avec l’article 3. Néanmoins, même l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001‑III, et Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 101, CEDH 2001‑VIII).
128. S’agissant plus particulièrement des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (voir en ce sens Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, CEDH 2001‑II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (voir, entre autres, Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005). En outre, dans certains cas, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no53254/99, 7 avril 2005).
129. S’agissant en particulier de ce dernier facteur, la Cour relève que lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, étaient concernés les cas de figure où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007, Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007, Kadikis c. Lithuanie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006, et Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 102, 28 mars 2006). En revanche, lorsque le manque de l’espace n’était pas aussi flagrant, la Cour a pris en considération d’autres aspects des conditions matérielles de détention pour apprécier la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention. Il s’agissait en particulier de facteurs tels que la possibilité pour un requérant de bénéficier d’un accès aux toilettes dans des conditions respectueuses de son intimité, la ventilation, l’accès à la lumière naturelle, l’état des appareils de chauffage ainsi que la conformité avec les normesd’hygiène. Ainsi, même dans les cas où un espace personnel plus important, compris entre 3 m² et 4 m², était accordé au requérant dans une cellule, la Cour a néanmoins conclu à la violation de l’article 3 en prenant en compte l’exiguïté combinée avec l’absence établie de ventilation et d’éclairage appropriés (Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008, Babouchkinec. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007, Trepachkine c. Russie, no 36898/03, § 94, 19 juillet 2007, et Peers précité, §§ 70-72).
130. La Cour relève que les mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un détenu certains inconvénients. Toutefois, la souffrance et l’humiliation infligées dans le cadre del’exécution d’une peine de prison ne doivent en aucun cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitime.
131. La Cour rappelle également que l’incarcération ne fait pas perdre à un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention. Au contraire, dans certains cas, la personne incarcérée peut avoir besoin d’une protection accrue en raison de la vulnérabilité de sa situation et parce qu’elle se trouve entièrement sous la responsabilité de l’Etat. La Cour rappelle dans ce contexte que l’article 3 fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, CEDH 2000‑XI).
4. Application des principes susmentionnés à la présente affaire
a. Surpopulation carcérale
132. En l’espèce, la Cour se doit de tenir compte des déclarations de la Cour constitutionnelle et de celles des autres autorités polonaises dans lesquelles celles-ci avaient reconnu la nature systémique du problème de la surpopulation carcérale en Pologne (voir, §§ 80 et 88 ci-dessus). Dans ce contexte, la Cour se réfère à l’arrêt du 26 mai 2008, dans lequel la Cour constitutionnelle a jugé « qu’il pouvait difficilement être affirmé que l’incarcération dans une cellule où un détenu ne disposait même pas d’un espace de 3 m² eût pu constituer un traitement respectueux de la dignité humaine (article 41 § 4 de la Constitution polonaise) ». La Cour constitutionnelle a en outre jugé que, du fait de la nature sérieuse et chronique de la surpopulation carcérale observée au sein des établissements pénitentiaires polonais, ce phénomène, à lui seul, était susceptible d’être qualifié de traitement inhumain et dégradant (article 40 de la Constitution). La Cour note dans ce contexte que la formulation de l’article 40 de la Constitution, référé par la Cour constitutionnelle, est quasiment identique à celle de l’article 3 de la Convention. Par conséquent, en ayant égard au principe de subsidiarité, la Cour considère que ledit constat de la Cour constitutionnelle polonaise peut en l’espèce être utilisé comme un critère de départ pour apprécier la compatibilité avec l’article 3 de la Convention des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires polonais. Il s’ensuit qu’à chaque fois que la Cour sera saisie par un détenu se plaignant d’une incarcération prolongée dans une cellule où il ne dispose pas d’un espace personnel d’au moins 3 m², il existera une forte présomption que l’article 3 de la Convention a été violé.
133. La Cour considère que, en appliquant les principes susmentionnés au cas d’espèce, il convient de tenir compte du facteur qui est en l’occurrence central, à savoir l’ampleur de l’espace personnel accordé au requérant dans les différents établissements pénitentiaires où il a été incarcéré.
134. La Cour observe que, depuis le 6 octobre 2001, soit depuis environ sept ans et huit mois, le requérant fait l’objet d’une incarcération continue. Durant cette période, il a été détenu dans quatre établissements pénitentiaires différents. La Cour note ensuite que dans la procédure devant elle le requérant a déclaré avoir passé la totalité de son incarcération dans des cellules surpeuplées au sein desquelles il ne pouvait disposer des 3 m² d’espace personnel garantis par la législation interne. Plus précisément, le requérant a indiqué avoir disposé respectivement d’environ 2,32 m² d’espace personnel à la maison d’arrêt de Poznań, de 2,06 m² à 2,72 m² à la prison de Goleniów, d’environ 2,32 m² à la maison d’arrêt de Koszalin et enfin d’environ 2,25 m² à la prison de Czarne. La Cour observe qu’il ressort des attestations délivrées par les autorités carcérales que le requérant a présentées en vue d’étayer ses affirmations au sujet de l’exiguïtédans les différents établissements qu’aux dates correspondant aux périodes où il y a été incarcéré, le taux de surpopulation se situait entre 119 % et 149 % de la capacité d’accueil globale. De même, les lettres envoyées au requérant par l’administration carcérale en réponse à ses plaintes portant sur ses conditions de détention font état du dépassement de la capacité d’accueil dans les différents établissements.
135. La Cour relève qu’en l’espèce, non seulement le Gouvernement n’a pas été en mesure de contester les affirmations du requérant au sujet de la surpopulation carcérale que ce dernier avait subie mais, de surcroît, dans ses observations présentées le 6 mars 2007, il a convenu que depuis le 14 décembre 2004, soit environ deux ans et trois mois à l’époque, le requérant était incarcéré de manière continue à la maison d’arrêt de Koszalin dans une cellule où il disposait seulement de 2,37 m² d’espace personnel. Le Gouvernement a en outre présenté des données qui indiquent qu’à la maison d’arrêt de Goleniów, le requérant a été incarcéré pendant environ un an dans des cellules où l’espace accordé à chaque détenu était compris entre 2,06 m² et 2,72 m². Par ailleurs, il semblerait que durant huit de ces douze mois, le requérant a dû vivre dans une cellule où les conditions étaient particulièrement pénibles étant donné que l’espace accordé àchaque détenu ne dépassait pas 2,06 m².
136. En s’appuyant sur les déclarations des parties, la Cour conclut qu’en l’espèce, il a pu être établi au-delà de tout doute raisonnable que pendant une période considérable, à savoir pendant au moins de plus de deux ans, le requérant a dû subir à la maison d’arrêt de Koszalin une grande promiscuité étant donné que l’espace personnel dont il pouvait disposer était inférieur au minimum « humanitaire » garanti au niveau interne, à savoir 3 m² par détenu. La Cour considère par ailleurs qu’au delà des circonstances qui en l’espèce ont pu être établies de façon certaine, les documents attestant des taux de surpopulation dans les différents établissements au sein desquels le requérant a été et continue d’être incarcéré créent une forte présomption en faveur de ses affirmations selon lesquelles cette norme minimale nationale a été méconnue durant la totalité de son incarcération. La Cour souhaite rappeler dans ce contexte que le standard en matière de surface habitable dans des établissements pénitentiaires, recommandé par Comité contre la torture du Conseil de l’Europe, est de 4 m² et dépasse la norme garantie en l’espèce au niveau national. La Cour signale au passage que ne saurait jouer en faveur du Gouvernement son argument consistant à dire qu’en l’espèce, en l’absence de données recueillies par les autorités, la surface réellement occupée par le requérant dans ses différentes cellules ne peut être établie de manière certaine. En effet, la Cour estime qu’il est du ressort des autorités nationales de mener des études appropriées et de recueillir les données susceptibles de démontrer qu’une situation dont un requérant se plaint à Strasbourg est conforme à la Convention.
b. Autres facteurs
137. La Cour observe ensuite que l’exiguïté dont le requérant se plaint semble être encore aggravée par le fait que les possibilités de circuler en dehors de sa cellule étaient limitées de manière significative. En effet, il ressort des déclarations concordantes des parties que, dans l’ensemble des établissements pénitentiaires concernés, le requérant ne pouvait en principe passer en dehors sa cellule qu’une heure par jour. La Cour prend parallèlement note des affirmations du requérant selon lesquelles les conditions dans lesquelles il pouvait faire sa promenade journalière à la maison d’arrêt de Poznań étaient peu réconfortantes en raison de l’exiguïté de la cour de promenade. Au vu des éléments du dossier, qui indiquent que le taux de surpopulation dans cet établissement s’élevait à l’époque concernée à 149 % de sa capacité d’accueil globale, la Cour considère que les dires du requérant peuvent être considérés comme crédibles.
138. La Cour note également qu’il ressort des déclarations des parties qu’à la maison d’arrêt de Poznań, où il a été incarcéré pendant environ cinq mois, le requérant n’a bénéficié d’aucune activité en plus de l’heure de promenade réglementaire et a donc été confiné dans sa cellule pendant 23 heures par jour. Pour ce qui est des autres établissements pénitentiaires, la Cour relève que le temps pendant lequel le requérant pouvait circuler en dehors de la cellule était un peu plus long étant donné que, pendant environ 2 à 3 heures par semaine à la prison de Goleniów et pendant environ 45 minutes par jour à la maison d’arrêt de Koszalin, il pouvait faire des exercices physiques dans des salles de sport ou participer à des activités dans une salle de détente commune. Néanmoins, en dépit de ces aménagements, la Cour constate que le temps que le requérant a passé enfermé dans sa cellule était considérable et ne pouvait dès lorscontrebalancer les inconvénients que celui-ci devait subir de manière continue en raison de la promiscuité régnant à l’intérieur des cellules.
139. Pour autant que les conditions d’hygiène constituent un autre élément pertinent, la Cour considère que la situation du requérant à cet égard doit être appréciée de manière réaliste à la lumière de l’élément qui est en l’espèce central, à savoir la forte surpopulation carcérale. Ainsi, la Cour relève que le requérant a été enfermé pendant quasiment la journée entière, avec plusieurs autres détenus, dans un espace très restreint, à savoir une cellule non climatisée où se trouvaient également les toilettes, semble-t‑il pas toujours suffisamment séparées du reste de la cellule. Si de surcroît l’on tient compte du fait que cette même pièce servait à la fois de chambre à coucher et de salle à manger, où les détenus devaient prendre leurs repas dans des conditions inadéquates, il ne peut prêter à controverse que les conditions d’hygiène à l’intérieur d’une telle cellule, même initialement acceptables, étaient susceptibles de devenir très rapidement préoccupantes. De l’avis de la Cour, l’ensemble de ces éléments, considérés à la lumière du facteur central qui est le manque significatif d’espace personnel accordé au requérant dans sa cellule, indiquent de manière convaincante que les conditions de détentions subies par ce dernier ont dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention (Novosselov c. Russie, no 66460/01, § 44, 2 juin 2005).
c. Conclusion
140. En conclusion, la Cour estime que les faits établis – la longue incarcération du requérant dans une grande exiguïté non compensée par la possibilité de circuler librement en dehors de la cellule et combinée avec des conditions d’hygiène préoccupantes, à quoi s’ajoute la passivité des autorités internes qui ne se sont pas efforcées d’améliorer sa situation de manière effective – permettent de conclure qu’en l’espèce, le requérant a subi une épreuve d’une intensité qui a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à l’incarcération.
141. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
142. En l’espèce, la Cour a considéré que la situation à l’origine du grief du requérant était susceptible de se prêter également à un examen sous l’angle de l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
143. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné précédemment et doit donc aussi être déclaré recevable.
B. Sur le fond
144. Eu égard à la solution à laquelle elle est parvenue sur le terrain de l’article 3 de la Convention, la Cour n’estime pas nécessaire en l’espèce d’examiner l’affaire également sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Néanmoins, elle rappelle que, dans son arrêt du 26 mai 2008, la Cour constitutionnelle polonaise a conclu au caractère inconstitutionnel de la loi polonaise quipermet aux autorités de restreindre, en deçà de 3 m² par détenu, la surface disponible dans les établissements pénitentiaires. La Cour tient à préciser qu’en ce qui concerne la présente affaire, ce constat à lui seul lui aurait suffi pour conclure à la violation de l’article 8 de la Convention à raison du non-respect de la condition relative à la qualité de la « loi » au sens du paragraphe 2 de cette disposition.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
145. Avant de statuer sur les prétentions au titre de la satisfaction équitable formulées par le requérant en vertu de l’article 41 de la Convention, eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour se propose d’examiner quelles conséquences peuvent être tirées de l’article 46 de la Convention pour l’Etat défendeur.
146. Aux termes de l’article 46 de la Convention :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
A. Les arguments des parties
1. Le requérant
147. Devant la Cour, le requérant soutient que la surpopulation carcérale en Pologne est dans une large mesure engendrée par une législation nationale défaillante et qu’elle s’apparente à un problème de nature systémique, susceptible de générer d’autres requêtes similaires à la sienne.
2. Le Gouvernement
148. En l’espèce, le Gouvernement consent à reconnaître la nature systémique de la surpopulation carcérale. Il précise toutefois non seulement que ce phénomène a été identifié par les autorités nationales mais aussi qu’il a déjà été résolu au niveau interne. A cet égard, il se réfère aux différentes mesures d’ordre législatif et pratique que les autorités nationales ont adoptées en vue d’améliorer la situation dans les prisons (paragraphes 91-93 ci-dessus). Il souligne qu’au vu du fait que les mesures en question ont abouti à une réduction substantielle de la surpopulation carcérale, la Cour n’a plus besoin de statuer sur la question des mesures générales. Le Gouvernement déclare que, tant l’abrogation de la loi nationale défaillante et le remplacement de celle-ci par un nouveau texte que l’existence au niveau interne d’un recours effectif permettant de solliciter une réparation en cas d’incarcération dans des conditions portant atteinte à la dignité, permettent de conclure que la situation à l’origine de la présente affaire n’est plus susceptible de donner lieu à l’avenir à de nombreuses autres requêtes similaires. Le Gouvernement précise de surcroît que la situation nationale susceptible de donner lieu à un constat de violation de l’article 3 de la Convention dans d’autres requêtes similaires éventuelles n’est pas de nature continue. En effet, les autorités internes appliquent un système consistant à transférer les détenus selon un principe de rotation entre les différents établissements (rotacyjny system odbywania kary), ce qui leur permet de désengorger dans des cas urgents les établissements dont le taux de surpopulation est particulièrement élevé. En dernier lieu, le Gouvernement souligne que les réformes entreprises au niveau interne pour remédier au problème de la surpopulation carcérale nécessitent des efforts considérables, tant au niveau organisationnel que budgétaire, et qu’elles constituent un processus à long terme.
3. L’appréciation de la Cour
149. La Cour observe qu’environ cent soixante requêtes dirigées contre la Pologne et soulevant le problème de la compatibilité avec l’article 3 de la Convention de l’incarcération dans desconditions inadéquates, en particulier en cas de surpopulation carcérale, sont actuellement pendantes devant elle. Environ quatre-vingt-quinze de ces requêtes ont été déjà portées à la connaissance du Gouvernement polonais.
150. La Cour note de surcroît que tant la gravité que le caractère structurel de la surpopulation carcérale ont été reconnus par la Cour constitutionnelle polonaise dans son arrêt du 26 mai 2008 et par l’ensemble des autorités nationales qui ont participé à la procédure devant celle-ci, à savoir le procureur général, le président de la Diète et le médiateur, ainsi que par le Gouvernement en l’espèce.
151. Les données statistiques indiquées plus haut ainsi que le contenu des déclarations de la Cour constitutionnelle et des autorités internes polonaises font apparaître que la violation des droits du requérant protégés par la Convention n’est pas un incident isolé mais tire son origine d’un problème systémique résultant d’un dysfonctionnement de l’administration carcérale légitimépar une législation défaillante qui a touché et est susceptible de toucher de nombreuses personnes (mutatis mutandis Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 189, CEDH 2004-V).
152. La Cour observe plus particulièrement que la surpopulation observée dans les établissements pénitentiaires polonais depuis un certain nombre d’années, à savoir depuis 2000 et au moins jusqu’à la première moitié de l’année 2008, révèle l’existence d’un problème structurel consistant en « une pratique incompatible avec la Convention » (voir, mutatis mutandis, Broniowski précité, §§ 190-191, ainsi que Scordino c. Italie (no1) [GC], no36813/97, §§ 229-231, CEDH 2006‑V, et Bottazzi c. Italie [GC], no34884/97, § 22, CEDH 1999-V, en ce qui concerne les affaires italiennes de durée de procédure).
153. La Cour réitère dans ce contexte que, lorsqu’elle constate une violation, l’Etat défendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à intégrer dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences. L’Etat défendeur demeure libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII, et Broniowski précité, § 192).
154. La Cour note qu’en vertu de l’arrêt de la Cour constitutionnelle polonaise du 26 mai 2008, les autorités nationales ont été placées dans l’obligation de mettre la situation nationale en conformité avec la Constitution, notamment avec ses dispositions pertinentes qui prohibent en termes absolus la torture et les traitements inhumains et dégradants. En particulier, la Cour constitutionnelle a estimé qu’au-delà des modifications législatives, les autorités devraient entreprendre toute une série de mesures d’ordre organisationnel en vue d’éradiquer la surpopulation dans les établissements pénitentiaires. Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle a mis l’accent en particulier sur la nécessité pour les autorités de revoir leur politique pénale, et notamment d’envisager une application plus généralisée de mesures punitives non privatives de liberté.
155. La Cour observe également que, dans son arrêt récemment adopté dans l’affaire Kauczor c. Pologne (no 45219/06, 3 février 2009), elle a constaté en s’appuyant sur les conclusions du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe que la durée excessive des détentions provisoires en Pologne révélait un problème structurel consistant en une pratique contraire à l’article 5 § 3 de la Convention (Kauczor précité, § 62). La Cour note que la solution du problème de la surpopulation carcérale en Pologne est intrinsèquement liée à celle du problème identifié dans l’affaire Kauczor.
156. La Cour observe également que, depuis un certain nombre d’années, les autorités nationales semblent avoir négligé l’existence de la surpopulation carcérale et de conditions de détention inadéquates. Parallèlement, elles semblent s’être contentées de légitimer le problème existant en utilisant une loi interne jugée ultérieurement contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle polonaise. Comme cette juridiction l’a relevé à juste titre, pareilles interprétation et application erronées de la loi interne, dont l’imprécision a permis aux autorités d’appliquer de manière arbitraire pendant une période non indiquée au préalable des mesures restreignant l’espace personnel par détenu en deçà de 3 m², ont transformé en un phénomène chronique une situation censée être passagère et exceptionnelle.
157. La Cour note néanmoins que certaines mesures ont été récemment adoptées par les autorités polonaises en vue de remédier au problème des conditions de détention inadéquates, en particulier à la surpopulation carcérale et aux autres inconvénients générés par celle-ci. En vertu de l’article 46 de la Convention, c’est au Comité des Ministres qu’il appartiendra d’évaluer les mesures générales prises par la Pologne et leur mise en œuvre pour ce qui est de la surveillance de l’exécution de l’arrêt de la Cour. Cependant, la Cour se félicite des efforts accomplis par les autorités nationales et estime que les démarches entreprises par celles-ci sont susceptibles de contribuer à réduire l’ampleur de ce phénomène et à désengorger les établissements pénitentiaires polonais. En parallèle, elle tient à préciser que les aménagements effectués sont insusceptibles de remédier aux violations s’étant produites antérieurement. La Cour considère également que, comme le Gouvernement lui-même l’a déclaré, pour que le problème systémique identifié puisse être éradiqué de façon définitive, des efforts conséquents et durables doivent être déployés à long terme par les autorités nationales afin de parvenir à une situation où chaque détenu pourra bénéficier de conditions de détention conformes à la Convention.
158. La Cour est consciente que la solution du problème structurel dénoncé par le requérant peut nécessiter la mobilisation de moyens financiers considérables. Toutefois, elle rappelle qu’au vu du caractère intangible du droit protégé par l’article 3 de la Convention, la question financière ne saurait justifier l’absence totale de toute mesure étatique destinée à améliorer la situation carcérale (voir, en ce sens, Nazarenko c. Ukraine, no 39483/98, 29 avril 2003) ; en tout état de cause, l’Etat est tenu d’organiser son système pénitentiaire de telle sorte que la dignité des détenus soit respectée (Mamedova c. Russie, précité, § 63). En particulier, lorsque l’Etat n’est pas en mesure de garantir à chaque détenu des conditions de détention conformes à l’article 3 de la Convention, il doit agir en vue de réduire le nombre de personnes incarcérées, notamment en appliquant plus aisément des mesures punitives non privatives de liberté.
159. En dernier lieu, la Cour prend note d’une pratique qui se dégage de la jurisprudence récente des juridictions civiles polonaise et qui atteste de la possibilité pour les personnes ayant été incarcérées dans des conditions portant atteinte à leur dignité de rechercher l’octroi d’une réparation de ce chef. La Cour relève à cet égard qu’il est important que les principes établis dans l’arrêt rendu par la Cour suprême polonaise le 26 février 2007 soient dûment appliqués par les juridictions civiles inférieures. La Cour tient néanmoins à souligner que l’action indemnitaire fondée sur l’article 24 du code civil combiné avec l’article 445 de ce code ne peut en principe valoir que pour les personnes qui étaient mais qui ne sont plus détenues dans des cellules surpeuplées dans des conditions portant atteinte à leur dignité.
160. La Cour observe en tout état de cause qu’une décision d’une juridiction civile est insusceptible d’apporter une solution globale au problème des conditions de détention inadéquates compte tenu du fait qu’elle ne peut agir sur les circonstances qui en sont à l’origine.
161. Pour ces motifs, la Cour souhaite plutôt encourager l’Etat à mettre en place un système efficace de recours auprès de l’administration pénitentiaire et des autorités chargées de surveiller l’exécution des peines, notamment le juge d’application des peines, lesquelles sont mieux à même que les tribunaux de prendre rapidement des mesures appropriées, notamment d’ordonner le transfert d’un détenu en vue de son placement durable dans une cellule conforme aux normes prévues par la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
162. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
163. Le requérant réclame à titre de satisfaction équitable le paiement de 50 euros (EUR) par jour d’incarcération, dans des conditions portant atteinte à sa dignité, dans des cellules ne respectant pas les normes requises. A son avis, une telle somme serait à même de compenser le préjudice moral causé par la violation de la Convention.
164. Le Gouvernement estime que la somme sollicitée par le requérant est susceptible de se monter à 100 000 EUR, somme qui est manifestement exorbitante.
165. La Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 500 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
166. Le requérant n’a présenté aucune demande à ce titre.
C. Intérêts moratoires
167. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 8 de la Convention ;
4. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) pour dommage moral, somme à convertir en zlotys polonais, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 octobre 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Nicolas Bratza
Président
Lawrence Early
Greffier