COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE LE COMPTE, VAN LEUVEN ET DE MEYERE c. BELGIQUE
(Requête no 6878/75; 7238/75)
ARRÊT
STRASBOURG
23 juin 1981
En l’affaire Le Compte, Van Leuven et De Meyere,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 48 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM. G.WIARDA, président,
R. RYSSDAL,
H. MOSLER,
M. ZEKIA,
J. CREMONA,
Mme D. BINDSCHEDLER-ROBERT,
MM. D. EVRIGENIS,
G. LAGERGREN,
L. LIESCH,
F. GÖLCÜKLÜ,
F. MATSCHER,
J. PINHEIRO FARINHA,
E. GARCIA DE ENTERRIA,
L.-E. PETTITI,
B. WALSH,
M. SØRENSEN,
Sir Vincent EVANS,
MM. R. MACDONALD,
A. VANWELKENHUYZEN, juge ad hoc,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil du 26 au 28 novembre 1980, puis les 29 et 27 mai 1981,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire Le Compte, Van Leuven et De Meyere a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») et le gouvernement du Royaume de Belgique (« le Gouvernement »). A son origine se trouvent deux requêtes dirigées contre cet État et que trois ressortissants belges, les docteurs Herman Le Compte, Frans Van Leuven et Marc De Meyere, avaient introduites en 1974 et 1975, en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), devant la Commission qui en ordonna la jonction le 10 mars 1977.
2. La demande de la Commission et la requête du Gouvernement ont été déposées au greffe de la Cour dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47), les 14 mars et 23 avril 1980 respectivement. La première renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) et à la déclaration par laquelle le Royaume de Belgique a reconnu la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la seconde à l’article 48 (art. 48). Elles ont pour objet d’obtenir une décision de la Cour sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l’État défendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes des articles 6 et 11 (art. 6, art. 11).
3. M. W. Ganshof van der Meersch, juge élu de nationalité belge, était appelé à siéger de plein droit dans la Chambre de sept juges à constituer (article 32 de la Convention) (art. 32). Par une lettre du 21 mars 1980, il a cependant déclaré se récuser en application de l’article 24 par. 2 du règlement. Le 9 avril, le Gouvernement a nommé pour siéger en qualité de juge ad hoc M. A. Vanwelkenhuyzen, professeur à l’Université libre de Bruxelles (articles 43 de la Convention et 23 par. 1 du règlement) (art. 43) .
Le 29 avril, en présence du greffier, M. G. Balladore Pallieri, président de la Cour et membre de plein droit de la Chambre (article 21 par. 3b) du règlement), a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M. G. Wiarda, M. R. Ryssdal, Sir Gerald Fitzmaurice, Mme D. Bindschedler-Robert et M. L. Liesch (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4. M. Balladore Pallieri a assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement). Par l’intermédiaire du greffier, il a recueilli l’opinion de l’agent du Gouvernement, de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 23 mai 1980, il a décidé que l’agent aurait jusqu’au 15 août 1980 pour déposer un mémoire et que les délégués pourraient y répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le leur aurait communiqué.
Le mémoire du Gouvernement est parvenu au greffe le 20 août 1980. Le 22 octobre, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que les délégués y répondraient lors des débats et lui a adressé les observations de l’avocat des requérants sur le rapport de la Commission.
5. Le 1er octobre 1980, la Chambre a résolu, en vertu de l’article 48 du règlement, de se dessaisir, avec effet immédiat, au profit de la Cour plénière.
6. Le 7 octobre, le président de la Cour a fixé au 25 novembre la date d’ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement et délégués de la Commission par l’intermédiaire du greffier.
7. Les débats se sont déroulés en public le 25 novembre, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg; M. Wiarda, alors vice-président de la Cour, les a présidés en l’absence de M. Balladore Pallieri, empêché. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion consacrée à leur préparation. Élu juge le 29 septembre 1980 en remplacement de Sir Gerald Fitzmaurice, Sir Vincent Evans a occupé le siège de ce dernier (article 2 par. 3 du règlement).
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
M. J. NISET, conseiller juridique
au ministère de la justice, agent,
Me J. M. NELISSEN GRADE, conseil,
Me J. PUTZEYS,
Me S. GEHLEN, avocats
de l’Ordre des médecins,
M. F. VERHAEGEN, conseiller
au ministère de la santé publique,
M. F. VINCKENBOSCH, secrétaire d’administration
au ministère de la santé publique, conseillers;
– pour la Commission
M. G. SPERDUTI,
M. M. MELCHIOR, délégués,
Me J. BULTINCK, conseil des requérants
devant la Commission, assistant les délégués (article 29
par. 1, seconde phrase, du règlement de la Cour).
La Cour a ouï en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, Me Nelissen Grade pour le Gouvernement, M. Sperduti, M. Melchior et Me Bultinck pour la Commission. Elle a invité les comparants à déposer plusieurs pièces; la Commission les lui a fournies les 25 novembre 1980 et 26 janvier 1981.
FAITS
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE
A. Docteur Le Compte
8. Ressortissant belge né en 1929 et demeurant à Knokke-Heist, le Dr. Herman Le Compte est médecin.
1. La suspension prononcée en 1970
9. Le 28 octobre 1970, le conseil provincial de l’Ordre des médecins de Flandre occidentale, siégeant à Bruges, lui infligea une suspension du droit d’exercer la médecine, d’une durée de sixsemaines, pour avoir accordé à un journal belge un entretien constituant à ses yeux une publicité contraire à la dignité et à l’honneur de la profession. Le requérant forma opposition contrecette décision, rendue par défaut, mais le conseil provincial la confirma le 23 décembre 1970, à nouveau par défaut.
Le Dr Le Compte saisit alors le conseil d’appel de l’Ordre des médecins, qui le 10 mai 1971 déclara le recours irrecevable, puis la Cour de cassation qui rejeta son pourvoi le 7 avril 1972 car il l’avait introduit sans l’intervention d’un avocat à ladite Cour.
La suspension du droit d’exercer la médecine prit effet le 20 mai 1972, mais l’intéressé ne l’observa pas. Aussi le tribunal correctionnel de Furnes le condamna-t-il le 20 février 1973, enapplication de l’article 31 de l’arrêté royal no 79 du 10 novembre 1967 « relatif à l’Ordre des médecins », à un emprisonnement et à une amende.
La Cour d’appel de Gand confirma le jugement le 12 septembre 1973 et la Cour de cassation rejeta le 25 juin 1974 le pourvoi du Dr Le Compte.
2. La suspension prononcée en 1971
10. Parallèlement à cette première procédure, qui reste en dehors du présent litige (paragraphe 36 ci-dessous), s’en déroulait une seconde. En effet, le 30 juin 1971 le conseil provincial de l’Ordre des médecins, statuant par défaut, avait prononcé contre le requérant une nouvelle suspension du droit de pratiquer, pour une durée de trois mois: il lui reprochait d’avoir divulgué par voie de presse les décisions susmentionnées des organes juridictionnels de l’Ordre et ses propres critiques à leur égard, outrageant ainsi l’Ordre.
11. Le Dr Le Compte avait attaqué cette décision devant le conseil d’appel de l’Ordre, qui l’avait confirmée sans cependant retenir l’accusation d’outrage. Il avait ensuite saisi la Cour de cassation en soulevant les mêmes moyens.
Il soutenait d’abord que l’affiliation obligatoire à l’Ordre des médecins, sans laquelle on ne peut exercer l’art médical, et l’assujettissement aux organes juridictionnels dudit Ordreméconnaissaient le principe de la liberté d’association, garantie par les articles 20 de la Constitution et 11 (art. 11) de la Convention.
La Cour repoussa le moyen en déclarant:
« (…) l’inscription obligatoire au tableau d’un ordre qui, comme l’Ordre des médecins, est une institution de droit public ayant pour mission de veiller au respect des règles de la déontologie médicale et au maintien de l’honneur, de la discrétion, de la probité et de la dignité de ses membres, ne peut être considérée comme inconciliable avec la liberté d’association, prévue à l’article 20 de la Constitution; (…) le demandeur n’allègue pas que la règle critiquéeexcéderait les limites des restrictions que l’article 11 par. 2 (art. 11-2) de la Convention (…) autorise notamment pour la protection de la santé. »
Le requérant dénonçait en outre une violation des articles 92 et 94 de la Constitution: le premier attribue aux seuls tribunaux compétence pour décider des contestations portant sur des droits civils, le second interdit la création de tribunaux extraordinaires destinés à trancher de tels litiges; or la décision incriminée avait été prise par un organe juridictionnel, institué par l’arrêté royal no 79 et qui avait statué sur un droit civil, le droit d’exercer la médecine.
La Cour de cassation répondit que « les poursuites disciplinaires et la prononciation de sanctions disciplinaires sont, en principe, étrangères aux contestations dont l’article 92 de la Constitution réserva la connaissance exclusive aux cours et tribunaux ». Elle ajouta que les conseils de l’Ordre des médecins, n’ayant pas compétence pour statuer sur lesdites contestations, « ne sont pas des tribunaux extraordinaires dont la création est interdite par l’article 94 ». Elle nota enfin que l’article I par. 8 a) de la loi du 31 mars 1976 (paragraphe 20 ci-dessous) habilitait le Roi « à réviser et à adapter la législation relative à l’exercice des différentes branches de l’art de guérir » et que « le législateur se référait notamment à la loi du 25 juillet 1938 créant l’Ordre desmédecins, qui attribuait aux conseils de l’Ordre des compétences disciplinaires ».
L’intéressé alléguait en dernier lieu une infraction à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: la décision litigieuse avait été rendue sans instruction publique et par une juridictioncomposée de médecins, qu’on ne saurait considérer comme impartiale puisque les faits mis à la charge du Dr Le Compte étaient de nature à nuire à ses confrères.
La Cour se borna à relever que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne s’appliquait pas aux procédures disciplinaires.
Par un arrêt du 3 mai 1974, elle rejeta donc le pourvoi.
12. Le requérant ne respecta point la suspension du droit d’exercer l’art médical, définitive depuis cet arrêt. Aussi le tribunal correctionnel de Bruges le condamna-t-il, les 16 septembre et 15 octobre 1974, à des peines de prison et à des amendes. Le premier jugement fut frappé d’appel et le second, prononcé par défaut, d’opposition.
13. Depuis lors se sont multipliées les poursuites disciplinaires, pour la publicité donnée par le requérant à son différend avec l’Ordre, et pénales, pour ses refus de s’incliner devant les mesures adoptées par les conseils de l’Ordre.
A l’issue de l’une des premières, il s’est vu radier du tableau de l’Ordre avec effet au 26 décembre 1975. Il a introduit à ce sujet devant la Commission, le 6 mai 1976, une deuxième requête (no 7496/76) qu’elle a déclarée recevable le 4 décembre 1979 et qui n’entre pas en ligne de compte pour l’examen de la présente affaire.
Quant aux poursuites pénales, elles ont débouché en première instance sur des peines d’emprisonnement et des amendes.
B. Docteurs Van Leuven et De Meyere
14. Les Drs Frans Van Leuven et Marc De Meyere exercent la profession de médecin. Nés respectivement en 1931 et 1940, ils sont tous deux domiciliés à Merelbeke et de nationalité belge.
15. Le 20 janvier 1973, treize médecins établis à Merelbeke et environs déposèrent une plainte à leur encontre pour manquements à la déontologie; ils leur reprochaient en particulier d’avoirsystématiquement limité leurs honoraires aux montants remboursés par la Sécurité sociale, même lorsqu’ils assuraient le service de garde, et d’avoir distribué gratuitement à domicile une revue bimensuelle intitulée Gezond et qui ridiculisait les omnipraticiens. Le 14 mars 1973, le bureau du conseil provincial de l’Ordre entendit les requérants. Ils reconnurent avoir limité leurs honoraires en ce qui concernait leur propre clientèle, mais non au cours des services de garde. En outre, ils signalèrent qu’ils n’éditaient pas Gezond et contestèrent y avoir brocardé leurs confrères.
16. Le 19 mars 1973, un autre médecin porta plainte à son tour contre les requérants; il les accusait d’avoir, deux jours après leur comparution devant le bureau du conseil provincial, affichédans les salles d’attente de la maison médicale de Merelbeke un avis révélant au public l’existence et les motifs de la première plainte. Le 23 mai 1973, le bureau du conseil provincial entendit les requérants au sujet de cette seconde plainte. Ils affirmèrent avoir le droit d’informer le public de la situation, d’autant plus que celui-ci était déjà au courant.
17. Le conseil provincial de l’Ordre de Flandre orientale, siégeant à Gand, convoqua les Drs Van Leuven et De Meyere pour y répondre de plusieurs préventions.
Le 24 octobre 1973, il prononça contre eux une mesure de suspension du droit d’exercer l’art médical, d’une durée d’un mois, pour avoir travaillé aux tarifs de remboursement de la Sécurité sociale, collaboré à Gezond et fait dans celle-ci de la publicité offensante pour leurs confrères. Il infligea en outre au Dr Van Leuven une réprimande pour son attitude lors de sa comparution, le 14 mars 1973, devant le bureau du conseil provincial. Ces diverses décisions se fondaient sur les articles 6 par. 2 et 16 de l’arrêté royal no 79.
En revanche, le conseil provincial estima que l’affichage, dans les salles d’attente de la maison médicale, d’un avis contraire à la déontologie ne méritait pas de sanction, compte tenu de ce qu’il avait été retiré à la demande du bureau.
18. Les requérants saisirent le conseil d’appel.
Le 24 juin 1974, il déclara le recours recevable et confirma la décision du conseil provincial en tant qu’elle avait considéré comme établies les accusations relatives, d’une part, au travail auxtarifs de remboursement de la Sécurité sociale et, d’autre part, à la collaboration à Gezond. Pour les surplus, il annula la décision attaquée et, après avoir retenu le grief concernant l’affichage dans les salles d’attente et l’avoir confondu avec les deux autres, frappa les Drs Van Leuven et De Meyere d’une suspension du droit de pratiquer pour une durée de quinze jours.
19. Le 25 avril 1975, La Cour de cassation débouta les requérants, qui avaient formé un pourvoi.
Elle rejeta le moyen tiré de la violation de l’article 11 (art. 11) de la Convention, estimant que la mission de l’Ordre des médecins « n’est point étrangère à la protection de la santé et quel’inscription obligatoire (…) au tableau d’un tel Ordre n’outrepasse pas les restrictions de la liberté d’association nécessaires à la protection de la santé ».
En outre, elle jugea irrecevable, pour défaut d’intérêt, le moyen selon lequel la limitation des honoraires aux tarifs de remboursement de la Sécurité sociale était conforme à la loi et à ladéontologie médicale; elle constata en effet que la suspension réprimait aussi d’autres infractions disciplinaires.
II. L’ORDRE DES MEDECINS
20. Créé par une loi du 25 juillet 1938, l’Ordre des médecins a été réorganisé par l’arrêté royal no 79 du 10 novembre 1967. Celui-ci se fondait sur la loi du 31 mars 1967 « attribuant certains pouvoirs au Roi en vue d’assurer la relance économique, l’accélération de la reconversion régionale et la stabilisation de l’équilibre budgétaire ». Elle habilitait le Roi à prendre, par arrêtésdélibérés en conseil des ministres, « toutes les dispositions utiles en vue (…) de promouvoir la qualité et d’assurer la dispensation normale des soins de santé par une révision et une adaptation de la législation relative à l’exercice des différentes branches de l’art de guérir » (article 1 par. 8 a)); elle précisait que ces arrêtés pouvaient « abroger, compléter, modifier ou remplacer lesdispositions légales en vigueur » (article 3).
21. L’article 2 de l’arrêté royal no 79 prévoit que « l’Ordre des médecins comprend tous les docteurs en médecine, chirurgie et accouchements, domiciliés en Belgique et inscrits au tableau del’Ordre de la province dans laquelle est situé leur domicile » et que « pour pouvoir pratiquer l’art médical en Belgique, tout médecin » – belge ou étranger – « doit être inscrit au tableau de l’Ordre ».
Les médecins militaires ne sont cependant tenus de figurer sur le tableau que s’ils pratiquent en dehors de leur emploi militaire.
22. À côté de l’Ordre, la Belgique connaît des associations privées vouées à la défense des intérêts professionnels des médecins. Les principales d’entre elles sont consultées et appelées à participer à des négociations collectives lorsque le gouvernement envisage d’adopter des décisions touchant à proposer des candidats pour la nomination des membres de certains organes et à désigner leurs représentants au sein de plusieurs autres, ainsi qu’à prendre elles-mêmes diverses mesures.
A. Organes
23. L’Ordre des médecins « jouit de la personnalité civile de droit public » (article 1, troisième alinéa, de l’arrêté royal no 79). Il possède trois types d’organes: les conseils provinciaux, lesconseils d’appel et le conseil national.
1. Conseils provinciaux
24. Les conseils provinciaux – il y en a dix – comptent un nombre, toujours pair et fixé par le Roi, de membres « effectifs » (titulaires) et de membres suppléants, praticiens de nationalité belge élus pour six ans par des médecins inscrits au tableau de l’Ordre. On y trouve aussi deux assesseurs – un effectif et un suppléant -, magistrats des tribunaux de première instance et nomméspour six ans par le Roi; l’assesseur a voix consultative (articles 5 et 8, par. 1er, de l’arrêté royal no 79).
L’article 6 de l’arrêté royal no 79 définit ainsi les attributions des conseils:
« 1o dresser le tableau de l’Ordre. Ils peuvent refuser ou différer l’inscription au tableau si le demandeur s’est rendu coupable soit d’un fait dont la gravité entraînerait pour un membre de l’Ordre la radiation du tableau, soit d’une faute grave qui entache l’honneur ou la dignité de la profession.
Si la commission médicale (…) a décidé et a porté à la connaissance de l’Ordre qu’un médecin ne remplit plus les conditions requises pour exercer l’art médical ou qu’il y a lieu, pour des raisons de déficience physique ou mentale, de lui imposer une limitation de l’exercice de l’art médical, le conseil provincial intéressé, dans le premier cas, omet le nom du médecin du tableau et, dans le second, subordonne le maintien de son nom au respect de la limitation imposée.
Le nom du médecin peut également être omis du tableau à sa demande.
La décision par laquelle une inscription au tableau est refusée ou différée, par laquelle le nom d’un médecin est omis du tableau ou par laquelle il est maintenu sous condition restrictive, doit être motivée;
2o veiller au respect des règles de la déontologie médicale et au maintien de l’honneur, de la discrétion, de la probité et de la dignité des membres de l’Ordre. Ils sont chargés à cette fin de réprimer disciplinairement les fautes des membres inscrits à leur tableau, commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de la profession ainsi que les fautes graves commises en dehors de l’activité professionnelle, lorsque ces fautes sont de nature à entacher l’honneur ou la dignité de la profession;
3o donner aux membres de l’Ordre, d’initiative ou à leur demande, des avis sur des questions de déontologie médicale (…); les avis sont transmis au conseil national pour approbation (…);
4o signaler aux autorités compétentes les actes d’exercice illégal de l’art médical, dont ils ont connaissance;
5o arbitrer en dernier ressort, à la demande conjointe des intéressés, les contestations relatives aux honoraires réclamés par le médecin à son client (…);
6o répondre à toute demande d’avis des cours et tribunaux relative à des contestations d’honoraires;
7o déterminer chaque année la cotisation (…) en y incluant le montant fixé par le conseil national pour chaque membre inscrit. »
25. Des conseils provinciaux se distinguent les commissions médicales instituées, en dehors de l’Ordre, dans chaque province et où siègent des praticiens de l’art médical et de l’art pharmaceutique ainsi que des membres des professions paramédicales et des fonctionnaires du ministère de la santé publique (article 36 de l’arrêté royal no 78). Elles remplissent une double mission. La première – générale – consiste à « proposer à l’autorité toutes mesures destinées à contribuer à la santé publique » et à « assurer la collaboration efficace des praticiens (…) [et] des membres des professions paramédicales à l’exécution des mesures édictées par l’autorité en vue de prévenir ou de combattre les maladies quarantenaires ou transmissibles ». La seconde – spéciale – présente de nombreux aspects: « vérifier et (…) viser les titres des praticiens »; « retirer le visa ou [en] subordonner [le] maintien à l’acceptation par l’intéressé [de certaines] limitations »; « veiller à ce que l’art médical [soit exercé] conformément aux lois et règlements », « rechercher et (…) signaler au parquet les cas d’exercice illégal »; définir les besoins en matière de services degarde et surveiller le fonctionnement de ces derniers; « informer les personnes de droit public ou de droit privé intéressées des décisions prises » quant à l’exercice de son activité par unpraticien; « faire connaître aux organes des Ordres intéressés les fautes professionnelles reprochées aux praticiens »; « surveiller les ventes publiques comprenant des médicaments » (article 37).
2. Conseils d’appel
26. Les deux conseils d’appel – l’un utilise le français, l’autre le néerlandais – siègent « dans l’agglomération bruxelloise ». Ils sont composés chacun de dix médecins de nationalité belge (cinqeffectifs et cinq suppléants), élus pour six ans par les conseils provinciaux en dehors de leurs membres, et de dix conseillers à la cour d’appel (cinq effectifs et cinq suppléants) nommés par le Roi pour la même durée. Le Roi désigne parmi ces magistrats le président, qui a voix prépondérante en cas de partage, et le rapporteur (article 12 par. 1 et 2 de l’arrêté royal no 79).
Les conseils d’appel connaissent des recours contre les décisions rendues par les conseils provinciaux en matière d’inscription au tableau ou en matière disciplinaire. Ils se prononcent en premier et dernier ressorts sur les réclamations relatives à la régularité de l’élection des membres des conseils provinciaux, des conseils d’appel ou du conseil national, ainsi que sur les affaires que les conseils provinciaux n’ont pas tranchées dans le délai prescrit. Ils statuent enfin sur tout conflit entre conseils provinciaux relatif au domicile d’un médecin (article 13).
3. Conseil national
27. Le conseil national comprend vingt membres (dix effectifs et dix suppléants) de nationalité belge, élus respectivement par chacun des conseils provinciaux parmi les médecins inscrits à son tableau, et douze membres (six effectifs et six suppléants) nommés par le Roi parmi les médecins que présentent, sur des listes de trois candidats, les facultés de médecine du pays.Présidé par un conseiller à la Cour de cassation choisi par le Roi, il comporte deux sections – l’une d’expression française, l’autre d’expression néerlandaise – qui élisent, chacune en son sein, un vice-président (article 14).
Il élabore « les principes généraux et les règles relatifs à la moralité, l’honneur, la discrétion, la probité, la dignité et le dévouement indispensables à l’exercice de la profession, qui constituent le code de déontologie médicale » et que peuvent rendre obligatoires des arrêtés royaux délibérés en conseil des ministres (un projet de code n’a pas reçu l’approbation du Roi). Il tient à jour un répertoire de celles des décisions disciplinaires des conseils provinciaux et d’appel qui ne sont plus susceptibles de recours. Il donne des avis motivés « sur des questions d’ordre général, sur des problèmes de principe ou sur des règles de déontologie médicale ». Il détermine le montant réclamé aux médecins comme cotisation pour l’Ordre. Plus généralement, il prend « toutes mesures nécessaires pour la réalisation de l’objet de l’Ordre » (article 15).
B. Procédure en matière disciplinaire
28. Définie principalement par l’arrêté royal du 6 février 1970 « réglant l’organisation et le fonctionnement des conseils de l’Ordre des médecins », la procédure relative aux questionsdisciplinaires, ainsi d’ailleurs qu’aux inscriptions au tableau, est toujours contradictoire. Elle peut se dérouler à trois niveaux: le conseil provincial statue en premier ressort, le conseil d’appel endernier ressort; quant à la Cour de cassation, elle se prononce sur la légalité des décisions et le respect des formes.
1. Devant les organes de l’Ordre
29. La procédure débute devant le conseil provincial qui « agit soit d’office, soit à la requête du conseil national, du Ministre qui a la Santé publique dans ses attributions, du procureur du Roiou de la commission médicale, soit sur plainte d’un médecin ou d’un tiers » (article 20 par. 1, premier alinéa, de l’arrêté royal no 79). Elle se poursuit devant le conseil d’appel si ce dernier setrouve saisi par le médecin intéressé, l’assesseur du conseil provincial ou le président du conseil national conjointement avec un vice-président; l’appel est suspensif (article 21).
30. L’instruction de l’affaire implique nécessairement la participation d’un magistrat de l’ordre judiciaire: devant le conseil provincial, celle de l’assesseur pour l’instruction préalable; devant le conseil d’appel, celle du rapporteur pour, le cas échéant, une instruction complémentaire (paragraphes 24 et 26 ci-dessus). De plus, le conseil d’appel peut toujours entendre le rapporteur du conseil provincial (articles 7 par. 1, 12 par. 2 et 20 de l’arrêté royal no 79).
31. Devant les conseils provinciaux et d’appel, la procédure revêt un caractère secret (article 24, par. 1er, troisième alinéa, de l’arrêté royal no 79 et article 19 de l’arrêté royal du 6 février 1970). Elle assure au médecin intéressé: le droit d’être informé dans le plus bref délai de l’ouverture d’une enquête à sa charge (article 24 de l’arrêté royal du 6 février 1970); des délais et des formes lui permettant de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (articles 25 et 31); des garanties quant à l’emploi des langues (articles 36 à 39).
Le médecin jouit aussi d’un droit de récusation contre les membres de l’organe appelé à statuer; il comparaît en personne et peut se faire assister par un ou plusieurs conseils qui, comme lui-même, ont la possibilité de prendre connaissance du dossier (articles 26, 31 et 40 à 43).
32. Les conseils provinciaux et d’appel sont tenus de statuer dans un délai raisonnable, de garder le secret de leurs délibérations et de motiver leur décision, l’intéressé devant être rapidement informé de celle-ci et des recours éventuellement introduits. Ils se prononcent à la majorité des voix. Toutefois, la radiation d’un médecin du tableau de l’Ordre ou sa suspension pour plus d’un an requièrent la majorité des deux tiers. Il en va de même pour les décisions des conseils d’appel appliquant une sanction alors que le conseil provincial n’en a infligé aucune ou aggravant celle adoptée par lui (article 25 in fine de l’arrêté royal no 79, articles 4, 12, 26, 32 et 33 de l’arrêté royal du 6 février 1970). Les sanctions que peuvent imposer les conseils provinciaux – de même que, éventuellement, les conseils d’appel – sont « l’avertissement, la censure, la réprimande, la suspension du droit d’exercer l’art médical pendant un terme qui ne peut excéder deux années et la radiation du tableau de l’Ordre » (article 16 de l’arrêté royal no 79).
2. Devant la Cour de cassation
33. Aux termes de l’article 23 de l’arrêté royal no 79, « les décisions rendues en dernier ressort par les conseils provinciaux ou les conseils d’appel peuvent être déférées à la Cour de cassation soit par le Ministre qui a la Santé publique dans ses attributions, soit par le président du conseil national conjointement avec un vice-président, soit par le médecin intéressé, pour contravention à la loi » – terme à entendre au sens large – « ou violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité ». La Cour reçoit le dossier complet de l’instance (décisions de premier degré et d’appel, mémoires et conclusions des parties, comportant un exposé détaillé des faits), mais elle ne saurait vérifier les constations de fait des conseils de l’Ordre, à moins que ne soit alléguée la violation d’une disposition relative à l’administration de la preuve. Il n’entre pas dans ses attributions de corriger les erreurs de fait que commettraient les conseils d’appel ni de contrôler la proportionnalité entre faute et sanction.
Le pourvoi est suspensif.
3. Communication de la décision
34. Les décisions disciplinaires devenues définitives sont communiquées au ministre de la santé publique et, pour les plus importantes d’entre elles (radiation du tableau de l’Ordre oususpension du droit d’exercer), à la commission médicale et au procureur général près la cour d’appel (article 27 de l’arrêté royal no 79 et article 35 de l’arrêté royal du 6 février 1970).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
35. Le Dr Le Compte a saisi la Commission le 28 octobre 1974, les Drs Van Leuven et De Meyere le 21 octobre 1975.
Les requérants soutenaient tous trois que l’obligation de s’affilier à l’Ordre des médecins et de se soumettre à ses organes disciplinaires méconnaissait l’article 11 (art. 11) de la Convention, considéré isolément ou combiné avec l’article 17 (art. 17+11). Ils alléguaient en outre qu’ils n’avaient pas bénéficié des garanties de l’article 6 (art. 6) au cours de la procédure disciplinaire et que les sanctions prononcées contre eux visaient à les empêcher de répandre des informations et des idées, violant ainsi l’article 10 (art. 10.
36. Les 6 octobre 1976 et 10 mars 1977 respectivement, la Commission a déclaré les requêtes recevables à deux exceptions près: elle a écarté, pour non-épuisement des voies de recours internes (article 27 par. 3) (art. 27-3), les griefs présentés par les trois requérants sur le terrain de l’article 10 (art. 10) et ceux du Dr Le Compte relatifs à la décision du conseil provincial de Flandre occidentale, du 28 octobre 1970 (paragraphe 9 ci-dessus).
Le 10 mars 1977, elle a ordonné la jonction des requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur.
Dans son rapport du 14 décembre 1979 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle exprime l’avis:
– à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu infraction à l’article 11 par. 1 (art. 11-1) de la Convention car l’Ordre des médecins ne constitue pas une association;
– par huit voix contre trois, que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’applique aux contestations qui ont abouti aux mesures disciplinaires prises à l’encontre des requérants;
– qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce que la cause des requérants n’a été entendue ni par un « tribunal impartial » (sept voix contre quatre) ni « publiquement » (huit voix contre trois).
Le rapport renferme trois opinions séparées, dont deux dissidentes.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
37. Dans son mémoire, le Gouvernement a conclu
« qu’il plaise à la Cour (…) de dire pour droit que les faits de la présente cause ne révèlent, de la part de l’État belge, aucune violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention européenne des Droits de l’Homme. »
EN DROIT
I. SUR LE GRIEF PRESENTE A L’ORIGINE QUANT A L’ARTICLE 10 (art. 10)
38. Les Drs Le Compte, Van Leuven et De Meyere invoquaient à l’origine l’article 10 (art. 10) en sus des articles 6 par. 1, 11 et 17 (art. 6-1, art. 11, art. 17): d’après eux, les sanctionsdisciplinaires dont les ont frappés les conseils provinciaux et d’appel avaient pour but de les empêcher de répandre des informations et des idées. Ils s’attaquaient de la sorte au contenu même des décisions prises à leur encontre et non à la procédure dont elles marquaient l’aboutissement ni à l’obligation de s’affilier à l’Ordre des médecins. Partant, il ne s’agissait pas là d’un simple moyen ou argument présenté, parmi d’autres, à l’appui des griefs qu’ils formulaient sur la base des articles 6 par. 1, 11 et 17 (art. 6-1, art. 11, art. 17), mais bien d’un grief distinct. Rejeté par laCommission pour non-épuisement des voies de recours internes (paragraphe 36 ci-dessus), il sort du cadre du litige déféré à la Cour (voir notamment l’arrêt Schiesser du 4 décembre 1979, série A no 34, p. 17, par. 41).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
39. Les requérants se prétendent victimes de violations de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), ainsi libellé:
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
40. Eu égard aux thèses respectives des comparants, le premier problème à résoudre a trait à l’applicabilité de ce paragraphe, affirmée par la majorité de la Commission mais niée par leGouvernement.
A. Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
41. L’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne vaut que pour l’examen des « contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil » et du « bien-fondé de toute accusation en matière pénale ».Certaines « causes » échappent à son empire faute de se ranger dans l’une de ces catégories; la Cour l’a constaté à plusieurs occasions (voir p. ex. l’arrêt Lawless du 1er juillet 1961, série A no3, p. 51, par. 12; l’arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A no 8, p. 43, par. 23; l’arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980, série A no 39, p. 40, par. 108).
42. Ainsi, le Gouvernement le souligne à juste titre en renvoyant à l’arrêt Engel du 8 juin 1976, les poursuites disciplinaires ne relèvent pas, comme telles, de la « matière pénale »; il peutpourtant en aller différemment dans des cas donnés (série A no 22, pp. 33-36, par. 80-85).
De même, pareilles poursuites ne conduisent pas d’ordinaire à une contestation sur des « droits et obligations de caractère civil » (ibidem, p. 37, par. 87 in fine). On ne saurait cependant exclure qu’il en soit autrement dans certaines circonstances. La Cour n’a pas eu jusqu’ici à trancher la question en termes exprès; dans l’affaire König, mentionnée par la Commission et le Gouvernement, le requérant se plaignait uniquement de la durée d’instances introduites par lui devant des juridictions administratives après qu’un organe de l’exécutif lui eut retiré l’autorisation de gérer sa clinique puis d’exercer la profession médicale (arrêt du 28 juin 1978, série A no 27, p. 8, par. 18, et p. 28, par. 85; voir en outre l’arrêt Engel précité, pp. 36-37, par. 87, premier alinéa).
43. En l’occurrence, il se révèle indispensable d’établir si l’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’appliquait à tout ou partie de la procédure suivie devant les conseils provinciaux et d’appel, organesdisciplinaires, puis devant la Cour de cassation, institution judiciaire.
Gouvernement, Commission et requérants n’ont guère discuté le problème, au moins après les décisions de recevabilité des 6 octobre 1976 et 10 mars 1977, que sous l’angle des mots »contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil ». La Cour estime approprié de se placer elle aussi d’emblée sur ce terrain.
1. Sur l’existence de « contestations » relatives à des « droits et obligations de caractère civil »
44. Certains aspects du sens des mots « contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil » se dégagent des arrêts Ringeisen du 16 juillet 1971 et König du 28 juin 1978.
Selon le premier, ce membre de phrase couvre « toute procédure dont l’issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé », même si elle oppose un particulier à une autorité détentrice de la puissance publique; peu importe la nature « de la loi suivant laquelle la contestation doit être tranchée » et de l’organe compétent pour statuer (série A no 13, p. 39, par. 94).
La notion même de « droits et obligations de caractère civil » se trouvait au centre de l’affaire König. Parmi les droits en cause figurait celui « de continuer à exercer ses activités professionnelles » médicales après avoir « obtenu les autorisations nécessaires ». A la lumière des circonstances de l’espèce, la Cour l’a qualifié de droit privé, donc civil au regard de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (loc. cit., pp. 29-32, par. 88-91 et 93-95).
Les conséquences de cette jurisprudence sont encore largement étendues par l’arrêt Golder du 21 février 1975. La Cour y a conclu que « l’article 6 par. 1 (art. 6-1) garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits obligations de caractère civil » (série A no 18, p. 18, par. 36). Il en résulte, entre autres, que ce texte ne vaut pas seulement pour une procédure déjà entamée: peut aussi l’invoquer quiconque, estimant illégale une ingérence dans l’exercice de l’un de ses droits (de caractère civil), se plaint de n’avoir pas eu l’occasion de soumettre pareille contestation à un tribunal répondant aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
45. Dans la présente affaire un premier point mérite éclaircissement: peut-on parler d’une véritable « contestation », au sens de « deux prétentions ou demandes contradictoires » (plaidoirie du conseil du Gouvernement)?
L’esprit de la convention commande de ne pas prendre ce terme dans une acception trop technique et d’en donner une définition matérielle plutôt que formelle; la version anglaise de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’en renferme du reste pas le pendant (« In the determination of his civil rights and obligations »; comp. l’article 49 (art. 49): « dispute »).
Même si l’emploi du mot français « contestation » implique l’existence d’un différend, les pièces du dossier montrent clairement qu’il y en avait un. Les requérants se virent reprocher par l’Ordre des médecins des fautes disciplinaires dont ils se défendirent et qui les rendaient passibles de sanctions. Le conseil provincial compétent les en ayant déclarés coupables et ayant prononcé leur suspension – par défaut dans le cas du Dr le Compte (Flandre occidentale), après les avoir entendus en leurs moyens de fait et de droit dans celui des Drs Van Leuven et de Meyere (Flandre orientale) -, ils saisirent le conseil d’appel. Ils comparurent tous trois devant lui; assistés d’avocats, ils invoquaient entre autres les articles 6 par. 1 et 11 (art. 6-1, art. 11). Leur recours échoua pour l’essentiel, après quoi ils s’adressèrent à la Cour de cassation en s’appuyant derechef, notamment, sur la Convention (paragraphes 10-11 et 15-19 ci-dessus).
46. Encore faut-il que la « contestation » ait porté « sur [des] droits et obligations de caractère civil », c’est-à-dire que « l’issue de la procédure » ait été « déterminante » pour un tel droit (arrêt Ringeisen précité).
Selon les requérants, il s’agissait de leur droit de continuer à exercer leur profession; l’arrêt König du 28 juin 1978 aurait reconnu le « caractère civil » de pareil droit (loc. cit., pp. 31-32, par. 91 et 93).
D’après le Gouvernement, les décisions des conseils provinciaux et d’appel n’avaient en la matière qu’une « incidence indirecte ». Contrairement aux juridictions administratives allemandes dans l’affaire König, ces organes n’auraient pas contrôlé la régularité d’un acte antérieur de retrait du droit de pratiquer: il leur incombait plutôt de s’assurer de la réalité de manquements à ladéontologie, propres à justifier des sanctions disciplinaires. Une « contestation » sur le droit de continuer à exercer la profession médicale aurait surgi, tout au plus, « à un stade ultérieur »: quandles Drs Le Compte, Van Leuven et De Meyere combattirent devant la Cour de cassation, en les taxant d’illégales, les mesures adoptées à leur encontre. Le Gouvernement ajoute que ce droit ne revêt pas un « caractère civil »; il invite la Cour à s’écarter de la solution consacrée à cet égard par l’arrêt König.
47. Quant au point de savoir si la contestation portait sur le droit susmentionné, la Cour estime que l’article 6 par. 1 (art. 6-1), dans chacun de ses deux textes officiels (« contestation sur », « determination of »), ne se contente pas d’un lien ténu ni de répercussions lointaines: des droits et obligations de caractère civil doivent constituer l’objet – ou l’un des objets – de la »contestation », l’issue de la procédure être directement déterminante pour un tel droit.
Si la Cour marque ici son accord avec le Gouvernement, elle ne souscrit pas à l’opinion suivant laquelle il manquait en l’espèce semblable relation directe entre les procédures en question et le droit de continuer à exercer la profession médicale. La suspension prononcée par le conseil provincial le 30 juin 1971 contre le Dr Le Compte, puis le 24 octobre 1973 contre les Drs Van Leuven et De Meyere, tendait à leur ôter temporairement le droit de pratiquer. Ce droit se trouvait directement en cause devant le conseil d’appel et la Cour de cassation, auxquels il incombait d’examiner les griefs des intéressés contre la décision les frappant.
48. En outre, dans le chef de médecins pratiquant l’art de guérir à titre libéral, tels les requérants, le droit de continuer à exercer est mis en oeuvre dans des relations d’ordre privé avec leurs clients ou patients; en droit belge, elles revêtent de coutume la forme de relations contractuelles ou quasi contractuelles et, de toute façon, se nouent directement entre individus sur un plan personnel, sans qu’une autorité publique intervienne de manière essentielle ou déterminante dans leur établissement. Il s’agit dès lors d’un droit de caractère privé, nonobstant la nature spécifique et d’intérêt général de la profession de médecin et les devoirs particuliers qui s’y rattachent.
La Cour conclut ainsi à l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1); comme dans l’affaire König (arrêt précité, p. 32, par. 95), elle n’a pas à rechercher si la notion de « droits (…) de caractère civil » va au-delà de celle de droits de caractère privé.
49. Deux membres de la Commission, MM. Frowein et Polak, soulignent dans leur opinion dissidente que le présent litige ne concernait pas, comme l’affaire König, un retrait de l’autorisation de pratiquer, mais une suspension de durée relativement brève: trois mois pour le Dr Le Compte, quinze jours pour les Drs Van Leuven et De Meyere. Pareille suspension ne porterait pas atteinte à un droit de caractère civil; elle s’analyserait en une simple limitation inhérente à ce droit.
Cette thèse, à laquelle le Gouvernement se rallie « très subsidiairement » au paragraphe 19 de son mémoire, ne convainc pas la Cour. La suspension dont se plaignent les requérants constituait à n’en pas douter, à la différence de certaines autres sanctions disciplinaires qu’ils encouraient (avertissement, censure et réprimande – paragraphe 32 ci-dessus), une ingérence directe et substantielle dans l’exercice du droit de continuer à pratiquer l’art médical. Sa nature temporaire ne l’empêchait pas de porter atteinte à ce droit (comp., mutatis mutandis, l’arrêt Golder précité, p. 13, par. 26); les »contestations » visées à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) peuvent certes avoir pour enjeu l’existence même d’un droit « de caractère civil », mais aussi son étendue ou les modalités selon lesquelles son titulaire est libre d’en user.
50. Dès lors que la contestation des décisions prises à leur encontre doit être considérée comme relative à des « droits et obligations de caractère civil », les requérants avaient droit àl’examen de leur cause par « un tribunal » remplissant les conditions de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (arrêt Golder précité, p. 18, par. 36).
51. En fait, trois organes s’occupèrent de leur cas: le conseil provincial, le conseil d’appel et la Cour de cassation. La question se pose donc de savoir s’ils répondaient aux exigences del’article 6 par. 1 (art. 6-1).
a) La Cour ne croit pas indispensable de rechercher ce qu’il en était du conseil provincial. L’article 6 par. 1 (art. 6-1), s’il consacre le « droit à un tribunal » (paragraphe 44 ci-dessus), n’astreint pas pour autant les États contractants à soumettre les « contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil » à des procédures se déroulant à chacun de leurs stades devant des « tribunaux » conformes à ses diverses prescriptions. Des impératifs de souplesse et d’efficacité, entièrement compatibles avec la protection des droits de l’homme, peuvent justifier l’intervention préalable d’organes administratifs ou corporatifs, et a fortiori d’organes juridictionnels ne satisfaisant pas sous tous leurs aspects à ces mêmes prescriptions; un tel système peut se réclamer de la tradition juridique de beaucoup d’États membres du Conseil de l’Europe. Dans cette mesure, la Cour reconnaît la justesse des arguments du Gouvernement et de M. Sperduti dans son opinion dissidente.
b) Quand le conseil provincial leur eut infligé une suspension temporaire du droit d’exercer leur profession, les Drs Le Compte, Van Leuven et De Meyere recoururent au conseil d’appel qui se trouva ainsi saisi de la contestation sur le droit en cause.
D’après le Gouvernement, ledit conseil n’avait cependant pas à remplir les conditions de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) parce que sa décision pouvait donner lieu à un pourvoi devant la Cour de cassation dont la procédure, elle, les réunissait sans nul doute.
La Cour ne souscrit pas à cette argumentation. Pas plus pour les contestations civiles que pour les accusations pénales (arrêt Deweer du 27 février 1980, série A no 35, pp. 24-25, par. 48),l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne distingue entre points de fait et questions juridiques. A l’égal des secondes, les premiers revêtent une importance déterminante pour l’issue d’une procédure relative à des « droits et obligations de caractère civil ». Le « droit à un tribunal » (arrêt Golder précité, p. 18, par. 36) et à une solution juridictionnelle du litige (arrêt König précité, p. 34, par. 98 in fine) vaut donc pour eux autant que pour elles. Or il n’entre pas dans les compétences de la Cour de cassation de corriger les erreurs de fait ni de contrôler la proportionnalité entre faute et sanction(paragraphe 33 ci-dessus). Partant, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne s’est trouvé respecté que si le conseil d’appel répondait à ses exigences.
2. Sur l’existence d’ »accusations en matière pénale »
52. En se prononçant sur la recevabilité des requêtes, la Commission a déclaré que les organes de l’Ordre n’avaient pas eu à décider du bien-fondé d’accusations en matière pénale; elle lerappelle au paragraphe 67 de son rapport.
53. La Cour estime superflu de trancher la question, que les comparants n’ont guère abordée devant elle: comme dans l’affaire König (arrêt précité, pp. 32-33, par. 96), celles des règles de l’article 6 (art. 6) dont les requérants allèguent la violation valent en matière civile aussi bien que dans le domaine pénal.
B. Sur l’observation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
54. Eu égard à la conclusion figurant au paragraphe 51 ci-dessus, il y a lieu de s’assurer que conseil d’appel et Cour de cassation réunissaient tous deux les conditions de l’article 6 par. 1(art. 6-1) dans le cadre de leurs attributions: le premier parce que lui seul a procédé à un examen complet de mesures touchant à un droit de caractère civil, la seconde parce qu’elle a exercé un contrôle final de la légalité de ces mesures. Il faut donc rechercher si chacun d’eux constituait bien un »tribunal », « établi par la loi », « indépendant » et « impartial », et s’il a entendu « publiquement » la cause des requérants.
55. Si la Cour de cassation présente à l’évidence les caractères d’un tribunal, malgré les limites de sa compétence (paragraphes 33 et 51 ci-dessus), il importe de vérifier s’il en va de même du conseil d’appel. Son rôle juridictionnel (paragraphe 26 ci-dessus) ne suffit pas. D’après la jurisprudence de la Cour (arrêt Neumeister précité, p. 44; arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, p. 41, par. 78; arrêt Ringeisen précité, p. 39, par. 95), seul mérite l’appellation de tribunal un organe répondant à une série d’autres exigences – indépendance à l’égard de l’exécutif comme des parties en cause, durée du mandat des membres, garanties offertes par la procédure – dont plusieurs figurent dans le texte même de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Aux yeux de la Cour, tel est le cas en l’occurrence sous réserve des précisions figurant plus loin.
56. Instituée par la Constitution (article 95), la Cour de cassation est manifestement établie par la loi. Quant au conseil d’appel, la Cour note, avec la Commission et le Gouvernement, quecomme chacun des organes de l’Ordre des médecins il a été créé par une loi du 25 juillet 1938 et réorganisé par l’arrêté royal no 79 du 10 novembre 1967, lequel se fondait sur une loi du 31 mars 1967 attribuant certains pouvoirs au Roi (paragraphe 20 ci-dessus).
57. L’indépendance de la Cour de cassation ne saurait être mise en doute (arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 19, par. 35). Aux yeux de la Cour, qui rejoint sur ce point laCommission et le Gouvernement, il en va de même du conseil d’appel. En effet, sa composition assure une parité complète entre praticiens de l’art médical et magistrats de l’ordre judiciaire, et sa présidence incombe à l’un de ces derniers, désigné par le Roi, et détenteur d’une voix prépondérante en cas de partage. La durée du mandat des membres du conseil (six ans) offre d’ailleurs une garantie supplémentaire à cet égard (paragraphe 26 ci-dessus).
58. La Cour de cassation ne soulève aucune difficulté au titre de l’impartialité (arrêt Delcourt précité, p. 19, par. 35).
En ce qui concerne le conseil d’appel, la Commission exprime l’avis qu’il ne constituait pas en l’espèce un tribunal impartial: si ses membres magistrats devaient être réputés neutres, il fallait en revanche considérer ses membres médecins comme défavorables aux requérants, puisqu’ils avaient des intérêts très proches de ceux d’une des parties à la procédure.
La Cour ne partage pas cette opinion relative à la composition de la juridiction. La présence – déjà relevée – de magistrats occupant la moitié des sièges, dont celui de président avec voix prépondérante (paragraphe 26 ci-dessus), donne un gage certain d’impartialité et le système de l’élection des membres médecins par le conseil provincial ne saurait suffire à étayer une accusation de partialité (comp., mutatis mutandis, l’arrêt Ringeisen précité, p. 40, par. 97).
Quant à l’impartialité personnelle de chacun des membres, elle doit se présumer jusqu’à preuve du contraire; or, ainsi que le souligne le Gouvernement, aucun des requérants n’a usé de son droit de récusation (paragraphe 31 ci-dessus).
59. Devant le conseil d’appel, l’arrêté royal du 6 février 1970 exclut de manière générale et absolue toute publicité tant pour les audiences que pour le prononcé de la décision (paragraphes 31 et 34 ci-dessus).
Certes, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ménage des exceptions à la règle de publicité – au moins pour les débats -, mais il les subordonne à certaines conditions. Or il ne ressort pas du dossier que l’une quelconque de celles-ci se trouvât remplie en l’espèce. La nature même des manquements reprochés aux requérants et de leurs propres griefs contre l’Ordre ne relevait pas de l’exercice de l’art de guérir. Partant, ni le respect du secret professionnel ni la protection de la vie privée de ces médecins ou de patients n’entraient en jeu; la Cour ne souscrit pas à la thèse contraire du Gouvernement. Rien ne donne non plus à penser que d’autres motifs, parmi ceux qu’énumère l’article 6 par. 1, deuxième phrase (art. 6-1), auraient pu justifier le huis clos; le Gouvernement n’invoque du reste aucun d’entre eux.
Les Drs Le Compte, Van Leuven et de Meyere avaient donc droit à la publicité de l’instance. A la vérité, ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne les auraient empêchés d’y renoncer de leur plein gré, expressément ou tacitement (comp. l’arrêt Deweer précité, p. 26, par. 49); une procédure disciplinaire de ce genre se déroulant dans le secret avec l’accord de l’intéressé n’enfreint pas la Convention. En l’espèce, toutefois, les requérants souhaitaient et réclamaient manifestement un procès public. L’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne permettait pas de leur refuser puisque l’on ne se trouvait dans aucun des cas énumérés par sa seconde phrase.
60. La publicité de la procédure devant la Cour de cassation de Belgique ne saurait suffire à combler la lacune constatée. En effet, la haute juridiction « ne connaît pas du fond des affaires »(articles 95 de la Constitution et 23 de l’arrêté royal no 79), de sorte que de nombreux aspects des « contestations » relatives aux « droits et obligations de caractère civil » échappent à soncontrôle (paragraphes 33 et 51 ci-dessus). Pour de tels aspects, qui existaient en l’espèce, il n’y a eu ni débats publics ni décision rendue en public comme le veut l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
61. En résumé, la cause des requérants n’a pas été entendue « publiquement » par un tribunal jouissant de la plénitude de juridiction. Sur ce point, il y a eu méconnaissance de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) dans les circonstances de l’affaire.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 11 (art. 11)
62. Les requérants allèguent une violation de l’article 11 (art. 11), ainsi libellé:
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article (art. 11) n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »
L’obligation de s’affilier à l’Ordre des médecins (paragraphe 21 ci-dessus) entraverait la liberté d’association – qui impliquerait celle de ne pas s’associer – et excéderait les limites desrestrictions autorisées par le paragraphe 2 de l’article 11 (art. 11-2); en outre, la création même de l’Ordre tendrait à supprimer ladite liberté.
63. Dans son rapport, la Commission unanime exprime l’avis, conforme en substance à la thèse du Gouvernement, qu’en raison de sa nature juridique et de sa fonction proprement publique, l’Ordre ne revêt pas le caractère d’une association au sens de l’article 11 par. 1 (art. 11-1).
64. La Cour constate d’abord que l’Ordre belge des médecins est une institution de droit public. Fondé par le législateur et non par des particuliers, il demeure intégré aux structures de l’Étatet des magistrats nommés par le Roi siègent dans la plupart de ses organes. Il poursuit un but d’intérêt général, la protection de la santé, en assurant de par la loi un certain contrôle public de l’exercice de l’art médical. Dans le cadre de cette compétence, il lui incombe notamment de dresser le tableau de l’Ordre. Pour accomplir les tâches que lui a confiées l’État belge, il jouit en vertu de la loi de prérogatives exorbitantes du droit commun, tant administratives que normatives ou disciplinaires, et utilise ainsi des procédés de la puissance publique (paragraphes 20-34 ci-dessus).
65. Eu égard à ces divers éléments considérés dans leur ensemble, l’Ordre ne saurait s’analyser en une association au sens de l’article 11 (art. 11). Encore faut-il que sa création par l’Étatbelge n’empêche pas les praticiens de fonder entre eux des associations professionnelles ou d’y adhérer, sans quoi il y aurait violation. Des régimes totalitaires ont recouru – et recourent – àl’encadrement, par la contrainte, des professions dans des organisations hermétiques et exclusives se substituant aux associations professionnelles et aux syndicats traditionnels. Les auteurs de la Convention ont entendu prévenir de tels abus (Recueil des Travaux préparatoires, vol. II, pp. 117-119).
La Cour relève que la Belgique connaît plusieurs associations vouées à la défense des intérêts professionnels des médecins et auxquelles ces derniers ont toute latitude d’adhérer ou non (paragraphe 22 ci-dessus). Dans ces conditions, l’existence de l’Ordre et son corollaire – l’obligation des médecins de s’inscrire à son tableau et de se soumettre à l’autorité de ses organes – n’ont manifestement ni pour objet ni pour effet de limiter, et encore moins de supprimer, le droit garanti à l’article 11 par. 1 (art. 11-1).
66. En l’absence d’atteinte à la liberté protégée par le paragraphe 1 de l’article 11 (art. 11-1), il n’y a pas lieu de se placer sur le terrain du paragraphe 2 (art. 11-2) ni de rechercher si la Convention consacre la liberté de ne pas s’associer.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
67. A l’audience, l’avocat des requérants a prié la Cour, si elle constatait une violation de la Convention, d’accorder au titre de l’article 50 (art. 50) une satisfaction équitable à ses clients. Il atoutefois ajouté qu’il ne lui était « pas encore possible d’établir le montant exact d’un éventuel dédommagement, vu la possibilité d’une réparation, ne fût-ce que partielle, sur le plan du droit interne belge ».
Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur l’application de l’article 50 (art. 50).
68. Bien que soulevée en vertu de l’article 47 bis du règlement, la question ne se trouve donc pas en état. En conséquence, la Cour doit la réserver; dans les circonstances de la cause, elle estime qu’il échet de la renvoyer à la Chambre conformément à l’article 50 par. 4 du règlement.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par quinze voix contre cinq, que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s’appliquait en l’espèce;
2. Dit, par seize voix contre quatre, qu’il y a eu méconnaissance de cette disposition en tant que la cause des requérants n’a pas été entendue publiquement par un tribunal jouissant de la plénitude de juridiction;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a eu violation ni du même article (art. 6) quant aux autres griefs des requérants, ni de l’article 11 (art. 11);
4. Dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état;
a) en conséquence, la réserve en entier;
b) la renvoie à la Chambre en vertu de l’article 50 par. 4 du règlement.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le vingt-trois juin mil neuf cent quatre-vingt-un.
Gérard Wiarda,
Président
Marc-André Eissen,
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 50 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
– opinion concordante commune à M. Cremona et Mme Bindschedler Robert;
– opinion dissidente de M. Liesch;
– opinion partiellement dissidente de M. Matscher;
– opinion dissidente de M. Pinheiro Farinha;
– opinion concordante de M. Pettiti;
– opinion dissidente de Sir Vincent Evans;
– opinion dissidente de M. Thór Vilhjálmsson.
G.W.
M.-A. E.
OPINION SEPAREE COMMUNE A M. CREMONA ET Mme BINDSCHEDLER-ROBERT, JUGES
(Traduction)
Comme la majorité de nos collègues, nous sommes parvenus à la conclusion qu’il y a en l’espèce violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, mais pour des motifs différents deceux sur lesquels ils se fondent.
La première question qu’il importe, à notre avis, d’examiner est la suivante: quel était l’objet essentiel de la procédure interne dans la présente affaire? Il s’agissait d’établir si les requérantsavaient observé les règles de la déontologie médicale applicables dans leur pays, règles qui visent en général à maintenir et défendre la probité et la dignité de la profession de médecin. Selon nous, cela ne constitue pas en soi l’examen d’une contestation sur un « droit (…) de caractère civil » (determination of a « civil right ») des requérants au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1).
Mais naturellement il serait à la fois irréaliste et, pensons-nous, inexact de séparer cela des sanctions en fin de compte applicables selon la législation pertinente en cas de constatation denon-conformité avec ces règles, et les deux aspects doivent en réalité être examinés comme un tout. Mais même ainsi, le fait qu’une sanction puisse éventuellement affecter l’exercice continu de leur profession par les requérants ne transforme pas encore cela en examen d’une contestation sur leurs « droits (…) de caractère civil » en tant que tels; aussi ne nous estimons-nous pas en mesure de souscrire à la conclusion adoptée en ce sens par la majorité et devons-nous nous dissocier des arguments et considérations qui y conduisent ou en découlent dans l’opinion de la majorité.
Il s’agit ici de procédures manifestement disciplinaires (au cours desquelles les requérants ont été en fait accusés, déclarés coupables et punis) pour des infractions entraînant des sanctions qui, pour les plus graves, revêtent assurément de l’importance. Ce fait présente déjà une certaine connotation pénale qui requiert un examen attentif du point de savoir si nous ne sommes pas en réalité ici, dans les circonstances de la cause, en présence de ce qui était une véritable accusation en matière pénale dans le sens admis dans l’arrêt Engel. A cet égard, nous voudrions respectueusement ajouter que l’on ne semble pas avoir donné à cet arrêt, qui incontestablement entre en ligne de compte, l’importance qu’il méritait en l’espèce. Effectivement, lorsque la majorité voit l’objet de la procédure en l’espèce dans le droit de continuer à exercer la profession médicale, elle ne fait en réalité que donner un poids prépondérant à l’aspect de sanction ou plutôt à son résultat.
Dans l’affaire Engel, la Cour a dit en substance que les procédures disciplinaires (et celles en question l’étaient sans conteste) échappent en principe à l’empire de l’article 6 § 1 (art. 6-1),mais qu’il existe des situations où sous le couvert d’une accusation qualifiée de disciplinaire par le droit national se dissimule en réalité une véritable accusation pénale. A cet égard, indiquait l’arrêt, bien que dans une affaire donnée la nature de l’infraction puisse permettre à l’État d’utiliser contre l’intéressé le droit disciplinaire plutôt que le droit pénal, le contrôle de la Cour « se révélerait en général illusoire s’il ne prenait pas également en considération le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé » (série A no 22, p. 35, § 82). Dans cette affaire, la Cour devait examiner, à propos du droit disciplinaire applicable aux forces armées, des sanctions équivalant à des privations de liberté; elle notait que « Dans une société attachée à la prééminence du droit, ressortissent à la ‘matière pénale’ les privations de liberté susceptibles d’être infligées à titre répressif, hormis celles qui par leur nature, leur durée ou leurs modalités d’exécution ne sauraient causer un préjudice important » (ibidem).
Nous sommes d’avis qu’il doit en aller de même lorsque, comme en l’espèce, la sanction encourue, même en appel, est, entre autres, la radiation du tableau, c’est-à-dire le retrait total du droit des requérants d’exercer à l’avenir leur profession, retrait dont la sévérité n’a sûrement pas besoin d’être soulignée (cf. la sanction pénale prévue par certaines législations et consistant enl’interdiction de l’exercice d’un commerce ou d’une profession, mais qui d’habitude est seulement temporaire).
A la lumière de ce qui précède, nous estimons être ici en présence d’une véritable accusation en matière pénale. Considérant la manière dont elle a été examinée, nous constatons nous aussi que les exigences de l’article 6 § 1 (art. 6-1) n’ont pas été respectées en l’espèce et qu’il en résulte par conséquent une violation dudit article (art. 6-1).
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE LIESCH
Je suis au regret de ne pas pouvoir suivre mes éminents collègues lorsqu’ils concluent que dans l’affaire Le Compte l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme est applicable.
L’interprétation des termes « contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil » a donné lieu à une moisson assez riche; le sens et la portée n’en sont cependant pas encoredéfinitivement acquis.
L’arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971 a affirmé que « les termes français ‘contestations sur (des) droits et obligations de caractère civil’ couvrent toute procédure dont l’issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé »; que « le texte anglais, qui vise ‘the determination of … civil rights and obligations’, confirme cette interprétation » (série A no 13, p. 39, § 94).
L’arrêt Golder du 21 février 1975 a permis à la Cour de relever que toute personne a le droit à ce qu’un tribunal répondant aux exigences de l’article 6 § 1 (art. 6-1) connaisse de toutecontestation relative à ses droits et obligations de caractère civil (série A no 18, p. 18, § 36).
Finalement, dans l’arrêt König du 28 juin 1978 la Cour a reconnu le « caractère civil » du droit de continuer à exercer la profession médicale et à exploiter une clinique (série A no 27, pp. 31-32,§§ 91-93).
Il me paraît surabondant de développer derechef les arguments exposés par M. le juge Matscher, auxquels je souscris entièrement pour autant que l’applicabilité de l’article 6 § 1 (art. 6-1) est en cause.
Des considérations quelque peu différentes m’amènent à une conclusion identique.
Dans la présente affaire, la majorité de la Cour « estime que l’article 6 § 1 (art. 6-1), dans chacun de ses deux textes officiels (‘contestation sur’, ‘determination of’), ne se contente pas d’unlien ténu ni de répercussions lointaines: des droits et obligations de caractère civil doivent constituer l’objet – ou l’un des objets – de la ‘contestation’, l’issue de la procédure être directementdéterminante pour un tel droit » (§ 47).
Désormais donc, toute procédure disciplinaire dont l’issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé, qu’il s’agisse de médecins, de notaires, de magistrats, d’avocatsou d’huissiers, est du domaine d’application de l’article 6 (art. 6), dès lors que la sanction prononcée touche à un droit privé, fût-il représenté par une simple amende. Inversement les peinesdisciplinaires de l’avertissement et de la réprimande, non assorties d’une peine pécuniaire, ne semblent pas, aux yeux de la majorité de la Cour, être couvertes par la disposition de l’article 6 § 1 (art. 6-1), encore que ces sanctions puissent avoir une incidence sur le plan moral, donc privé.
La procédure engagée contre les requérants avait pour objet la constatation de fautes disciplinaires passibles, en cas de preuve positive, de sanctions; elle portait sur la discipline, sur uneattitude jugée reprochable par les organes disciplinaires.
L’objet proprement dit se limitait dès lors à la démonstration d’une prétendue violation d’une règle déontologique légalement imposée.
Alors que seul compte le droit qui se trouve en cause (arrêt König, p. 30, § 90 in fine) et que le caractère civil dépend de la nature et de l’objet de l’action (ibid., pp. 29-30, §§ 88 à 90), forceest de constater que les procédures disciplinaires engagées contre les requérants, à la différence de celle exercée contre le Dr König qui, elle, concernait directement des droits de caractèreprivé – l’exercice de l’art médical et l’exploitation d’une clinique privée -, ne peuvent être considérées comme ayant pour objet la détermination d’un droit ou d’une obligation de caractère civil.
En effet, le cadre de toute instance est circonscrit par l’objet du litige; il appartient à la juridiction saisie d’examiner dans l’ensemble de ce contrat judiciaire les prétentions juridiques des parties en cause. On ne peut nier que de ce rapport juridique vont naître des droits et obligations au profit et à la charge des parties. Toutefois, l’origine de ces droits et obligations en matière privée est directe, elle s’y trouve en germe, tandis qu’en matière disciplinaire le caractère civil de la sanction, « issue de la procédure », ne se révélera qu’à la suite de la constatation préalable de la faute professionnelle, objet du procès, entraînant, s’il y a lieu, des conséquences de caractère privé.
En l’espèce, l’obligation de prime abord et directement en cause – le droit des requérants d’exercer la médecine ne se trouvait pas en discussion – était celle du respect des règles déontologiques, de normes à caractère public, dont la violation n’a eu des répercussions indirectes, accessoires que dans un stade ultérieur lorsqu’il s’agissait de déterminer la sanction à prononcer.
La procédure en question, contrairement à l’avis de la Cour (§ 47), ne tendait pas à ôter aux médecins le droit de pratiquer, alors qu’elle n’avait pas pour effet direct et nécessaire lasuspension incriminée; l’issue de la procédure aurait pu être tout autre et se résumer en un simple avertissement. Il me paraît dès lors erroné d’affirmer que le droit de pratiquer se trouvaitdirectement en cause.
L’analogie avec l’arrêt König me semble boiteuse. La différence résulte du fait que dans l’affaire Le Compte la suspension – à caractère privé – a été prononcée après la constatation d’unefaute professionnelle dans le chef de leurs auteurs, tandis que dans l’affaire König l’incapacité d’exercer l’art de guérir et d’exploiter une clinique, droit civil de fait touchant au droit de propriété, faisait l’objet d’un retrait total après les vérifications requises.
De tout ce qui précède il résulte, selon mon opinion, que l’article 6 § 1 (art. 6-1) n’était pas applicable en l’espèce.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE MATSCHER
A.
1. Pour des raisons analogues à celles que j’ai expliquées dans mon opinion séparée jointe à l’arrêt König (série A no 27, pp. 45 et s.), je ne suis pas en mesure, à regret, de partager non plus l’avis de la majorité de la Cour dans la présente affaire, en tant qu’elle conclut à une violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention.
En effet, il était à prévoir que la doctrine de l’arrêt König, qui avait donné à la notion de « contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil » un sens et une portée qui ne sont pas ceux de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, tels que je les conçois, ne tarderait pas à provoquer des difficultés toujours croissantes pour une interprétation raisonnable de cettedisposition, une interprétation qui soit à la fois conciliable avec le texte et le sens de la disposition en question et qui puisse en même temps servir les intérêts spécifiques des justiciables et les intérêts généraux de la Convention en ce qui concerne les droits qu’elle se propose de protéger. La présente affaire en est une première preuve. On aurait donc pu penser qu’elle donnerait à la Cour l’occasion de reméditer le bien-fondé de sa conception sur la notion de « contestations sur [des] droits (…) de caractère civil ». Pourtant elle ne s’est pas limitée à confirmer, en substance,cette doctrine; elle l’a même élargie en jetant, de cette manière, les bases au surgissement de problèmes encore plus grands.
Il n’y a pas de doute que le présent arrêt, comme d’ailleurs aussi l’arrêt König, s’inspire du noble sentiment d’offrir à l’individu une protection contre les ingérences des pouvoirs publics, corporatifs et sociaux dans un domaine particulièrement important comme celui de l’exercice d’une profession. Que la Convention soit défectueuse à cet égard, c’est une constatation que moi-même j’ai mise en relief à maintes reprises. Mais, d’après ma conception de la fonction juridictionnelle, il échappe aux attributions d’une cour internationale de sanctionner des droits que les auteurs de la Convention n’ont pas voulu inclure dans celle-ci. Un remède valable à cette situation non satisfaisante ne pourrait donc pas être atteint par une interprétation judiciaire, d’autant plus qu’une telle interprétation risque de bouleverser le système de la Convention dans une de ses parties les plus délicates; il ne peut être que l’oeuvre du législateur, c’est-à-dire des États contractants qui devraient procéder à un amendement de la Convention.
Il ne me paraît pas nécessaire de répéter ici les arguments que j’avais développés dans mon opinion séparée précitée et qui, dans leur essence, sont valables aussi pour la présente affaire,laquelle possède avec l’affaire König un fond commun sans pourtant s’identifier complètement à celle-ci.
2. L’arrêt König a dit (§§ 91-93) que le droit de continuer à exercer la profession de médecin était un droit civil au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1) en raison, semble-t-il, de ce que les activités d’un médecin se résumeraient principalement (du point de vue juridique) dans le fait d’entretenir des relations de droit privé avec ses patients. Par là, une procédure administrative tendant au retrait de l’autorisation de pratiquer serait relative à une « contestation sur un droit de caractère civil », l’issue de cette procédure étant « déterminante » pour le droit en question.
Je ne voudrais pas revenir sur le caractère fort discutable d’une telle déduction et je me borne à renvoyer aux arguments qui, à cet égard, ont été développés dans mon opinion séparée précitée (voir p. 46).
Au moins, dans l’arrêt König (§ 95), la Cour a pu affirmer que le retrait de l’autorisation de pratiquer avait constitué l’objet (ou l’un des objets) des procédures administratives qui avaient été intentées à l’encontre du requérant. Dès lors, dans la mesure où l’on peut considérer comme un droit de caractère civil le droit d’exercer une certaine profession, même réglementée par le droitpublic – ce que je conteste -, une procédure tendant au retrait de ce droit aurait vraiment pour objet, elle aussi, un droit de caractère civil.
Dans la présente affaire, cela n’était nullement le cas. En effet, le droit des requérants de continuer à exercer la médecine n’avait été ni l’objet ni l’un des objets des procédures devant les organes de l’Ordre des médecins et devant la Cour de cassation. Le seul objet des procédures en question était de savoir si les requérants avaient enfreint les règles de la déontologie médicale et, dans l’affirmative, de leur infliger la sanction correspondante, consistant en une suspension du droit d’exercer la médecine. Ce n’est que cette sanction qui a atteint leur situation professionnelle et qui, par là, a eu une incidence indirecte sur les relations de droit privé que les requérants auraient pu entretenir avec leurs patients. Or, la Cour elle-même le relève à juste titre, des « répercussions lointaines » sur un droit civil, d’une mesure prise au cours d’une procédure, ne suffisent pas à conférer à celle-ci le caractère d’une procédure (sur une contestation) de droit civil.
S’agissant d’une sanction pour infraction aux règles de la déontologie médicale, on pourrait, à la rigueur, qualifier l’affaire de pénale. D’ailleurs, l’arrêt lui-même semble recommander une telle interprétation lorsqu’il parle (au § 45) de « fautes disciplinaires » dont les requérants auraient été « déclarés coupables ». Pourtant, pour d’autres raisons, il ne croit pas devoir suivre cette « piste » (§§ 52 et 53).
3. D’autre part, l’arrêt n’est pas non plus en mesure de définir d’une manière suffisamment claire et précise la nature du lien qui devrait exister entre un droit civil et une procédure déterminée pour pouvoir qualifier celle-ci comme étant relative à une « contestation sur un droit (…) de caractère civil ». Les formules vagues et ambiguës dont l’arrêt se sert à cet égard en sont la preuve: il faut que la contestation « ait porté sur » des droits et obligations de caractère civil, que l’issue de la procédure « ait été déterminante » pour un tel droit (§ 46); des droits et obligations de caractère civil doivent « constituer l’objet – ou l’un des objets » – de la contestation, l’issue de la procédure être « directement déterminante » pour un tel droit (§ 47); ce droit doit se trouver « directement en cause » (§ 47); la suspension doit constituer une « ingérence directe et substantielle » dans l’exercice du droit en question (§ 49); la contestation doit être considérée comme « relative » à des droits et obligations de caractère civil (§ 50); etc.
De telles formules ne sont appropriées ni pour servir de guide aux États contractants en vue d’adapter leurs législations aux exigences des organes de la Convention, ni pour éclairer lesjusticiables sur les chances d’une requête. En somme, elles ne favorisent pas la sécurité juridique, principe qui, à juste titre, a été maintes fois invoqué dans les arrêts de la Cour.
4. Le fait que les requérants ont exercé la médecine à titre de profession libérale peut-il vraiment être déterminant pour qualifier le droit en question de « privé » (§ 48)? La situation n’aurait-elle pas été essentiellement la même pour les requérants – en ce qui concerne les droits dont ils invoquent la protection par la Convention – s’ils avaient été des médecins fonctionnaires d’un service de santé ou des médecins employés dans une clinique privée? En effet, ils ne s’affirment pas victimes d’une ingérence dans leur droit de nouer des relations contractuelles avec leurs patients; ils se plaignent uniquement de l’entrave à leur droit d’exercer leur profession tout court. Alors, peut-il en aller différemment pour le droit d’exercer d’autres professions, qu’elles soient « libérales » ou non?
En outre, il ne me paraît pas non plus possible – à moins que l’on ne veuille s’appuyer sur la doctrine des droits acquis, dont la science juridique a reconnu depuis longtemps qu’elle n’était pasd’une application générale – de distinguer, pour l’applicabilité de l’article 6 § 1 (art. 6-1), entre l’octroi et le retrait du droit d’exercer une profession. L’arrêt König (§ 91), sur lequel se fonde le présent arrêt, a opéré une telle distinction (voir la réfutation de cette thèse dans mon opinion séparée, p. 47).
Il résulte nécessairement de la doctrine de l’arrêt König, élargie par le présent arrêt, que le droit d’exercer une profession quelconque, même dans la mesure où ce droit est réglementéessentiellement par le droit public, serait un « droit civil » au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1). Dès lors, toute procédure, qu’elle soit administrative ou disciplinaire, ayant pour objet ou pour incidence indirecte l’octroi ou le retrait du droit d’exercer une profession, porterait sur une « contestation sur un droit (…) de caractère civil » et devrait donc répondre, au moins en dernier ressort, aux exigences de l’article 6 § 1 (art. 6-1). La conséquence d’une telle conception, qui me paraît inéluctable d’après la doctrine de l’arrêt König et du présent arrêt – malgré toutes les réservesque les deux arrêts s’empressent d’exprimer çà et là -, est que, sous cet aspect, le droit de la majorité des États contractants se trouverait dans une situation irrégulière vis-à-vis de laConvention.
D’autre part, une conséquence de cette sorte ne me paraît pas admissible et elle ne serait pas non plus compréhensible pour les États contractants. Elle a donc pour moi plutôt la valeur d’un argument ad absurdum. Or, dans une telle situation, il faut remonter aux causes de ce résultat inacceptable. Pour moi, il n’y a pas de doute qu’elles résident dans le fait de vouloir introduire de force dans la veste de l’article 6 § 1 (art. 6-1) des situations juridiques pour lesquelles, de toute évidence, elle n’a pas été cousue.
5. Bien sûr, pour éluder de telles conséquences l’arrêt s’efforce de tempérer les implications de sa doctrine, en l’occurrence en envisageant la possibilité d’une renonciation à la publicité dela procédure. C’est là un expédient fort peu valable: lorsqu’une procédure est organisée de manière à se dérouler en public, en général une partie n’a pas la faculté de renoncer à la publicité,car celle-ci n’est pas prévue dans l’intérêt exclusif d’une partie, mais dans un intérêt qui dépasse celui des parties, donc dans l’intérêt de la juridiction en général; lorsque, au contraire, la publicité est exclue, comme c’est le cas, à juste titre, pour les affaires disciplinaires, une « renonciation » de la part d’une partie serait dépourvue de tout sens.
Je note, en passant, que la référence (§ 59 du présent arrêt) à l’affaire Deweer (série A no 35, § 49) ne me paraît pas pertinente: la renonciation au droit de faire décider par un tribunal, répondant aux exigences de l’article 6 § 1 (art. 6-1), le bien-fondé d’un droit matériel contesté, en recourant à un arrangement ou à une composition amiable, ou à l’arbitrage, est tout autre chose, et il est reconnu en doctrine que ce droit de renonciation n’implique nullement le droit des parties d’arranger une procédure, une fois qu’elle a été intentée par elles ou contre elles (interdiction de la « procédure conventionnée »).
Pour ma part, je ne crois pas que l’on puisse aménager l’article 6 § 1 (art. 6-1) de cette sorte. Lorsqu’une affaire lui est soumise, il doit être appliqué in toto et la constatation que son application intégrale s’avérerait impossible ou déraisonnée constitue, à mes yeux, la preuve de son inapplicabilité à une affaire déterminée ou à une classe déterminée d’affaires.
En général, je voudrais marquer mon opposition très ferme à toute tentative d’application éclectique des garanties de l’article 6 § 1 (art. 6-1). Un tel procédé, outre qu’il serait incompatible et avec la lettre et avec l’esprit de cette disposition pourrait s’avérer extrêmement dangereux pour les intérêts des justiciables.
6. En définitive, l’arrêt conclut à la violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) dans un de ses aspects qui, pour la présente affaire, ont une importance tout à fait secondaire et marginale: le défaut de publicité dans une procédure disciplinaire. Il est bien vrai que les requérants ont fait valoir aussi ce grief, mais dans un but qui est entièrement étranger à celui qui est inhérent à la garantie de publicité au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1). Et pour arriver à ce résultat d’une portée tellement réduite, l’arrêt a dû développer des thèses qui laisseront perplexes les États contractants et, en tout cas, ouvriront la porte à une insécurité juridique toujours croissante dans une matière aussi délicate que celle des garanties judiciaires prévues par la Convention. C’est pour cela que, à regret, je ne peux pas m’y associer.
B.
Je souscris entièrement au présent arrêt dans la mesure où il conclut à l’absence d’atteinte à la liberté d’association au sens de l’article 11 (art. 11) de la Convention.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PINHEIRO FARINHA
Avec un profond regret, je ne peux me rallier à l’opinion de mes collègues de la majorité en ce qui concerne la violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne des Droits del’Homme.
En effet:
1. Je crois que dans l’exercice de la profession médicale, la spiritualité prédomine sur la matérialité, de sorte que le droit mis en cause par la suspension du droit d’exercer l’art médical est un droit de caractère public, et non civil (je l’ai déjà dit, mutatis mutandis, dans mon opinion séparée dans l’affaire König).
2. Je suis d’accord avec la majorité (paragraphe 47 de l’arrêt) quand elle estime que « l’article 6 § 1 (art. 6-1), dans chacun de ses deux textes officiels (‘contestation sur’, ‘determination of’), ne se contente pas d’un lien ténu ni de répercussions lointaines: des droits et obligations de caractère civil doivent constituer l’objet – ou l’un des objets – de la ‘contestation’, l’issue de la procédure être directement déterminante pour un tel droit ».
Mais je crois que devant les organes disciplinaires de l’Ordre on n’a pas discuté les conséquences du comportement des Drs Le Compte, Van Leuven et De Meyere sur les relations de droitprivé établies avec leurs clients.
La contestation devant les organes disciplinaires (conseils provinciaux et d’appel) puis la Cour de cassation a porté seulement sur la matière déontologique qui échappe au droit civil.
3. J’accepte l’affirmation suivante de la majorité (paragraphe 42 de l’arrêt): « De même, pareilles poursuites [disciplinaires] ne conduisent pas d’ordinaire à une contestation sur des ‘droits et obligations de caractère civil’ (…). On ne saurait cependant exclure qu’il en soit autrement dans certaines circonstances ».
Cela veut dire qu’en règle générale, la procédure disciplinaire échappe aux exigences de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention.
Quand l’applicabilité de l’article 6 § 1 (art. 6-1) à la procédure disciplinaire se vérifiera-t-elle?
A mon avis, ce n’est pas le résultat de la procédure, la sanction qui viendra à être infligée, qui détermine l’applicabilité ou inapplicabilité du paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1).
C’est de l’objet de la procédure, dont la causa petendi est un des éléments, que dépend l’applicabilité du paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1).
La relation procédurale est une relation juridique dynamique (Manuel Andrade, Liçoes do Processo Civil, p. 363) ou, plus précisément, une relation progressive car elle s’avance graduellement vers le dernier résultat auquel tend la procédure, et c’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas attendre la décision pour savoir si celle-ci tranche une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil ».
Il ne me paraît pas que la procédure disciplinaire doive ou non respecter le paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1) selon que viennent à être imposées une suspension de l’exercice de la médecine – applicabilité – ou d’autres sanctions disciplinaires telles qu’un avertissement, une censure ou une réprimande à l’issue d’une procédure qui pourrait s’éloigner des normes de la Convention. Cela porterait l’incertitude jusqu’à la décision finale.
Dans la présente affaire, la cause des requérants se situe seulement dans la violation des règles déontologiques, d’où, à mon avis, l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 (art. 6-1).
4. En conclusion, j’estime qu’il n’y a violation ni de l’article 6 § 1 (art. 6-1) ni de l’article 11 (art. 11) de la Convention.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE PETTITI
J’ai voté avec la majorité de la Cour sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 (art. 6-1). Toutefois, je dois indiquer l’interprétation que je donne sur ce point au regard de la publicité. La procédure au stade de la cassation comportait la publicité, mais à l’intérieur de l’examen d’un pourvoi qui aboutissait à un simple contrôle de légalité.
C’est dans la mesure où la loi belge ne prévoit pas de recours de plein contentieux que la question de publicité au sens de l’article 6 (art. 6) se posait.
Le plein contentieux est en effet nécessaire pour veiller à ce que la juridiction ordinale n’opère pas un détournement de compétence en sanctionnant par exemple à titre disciplinaire un comportement qui relèverait d’une prise de position syndicale ou corporative; ce contrôle étant la contrepartie du privilège de juridiction conféré aux Ordres.
Si la procédure ordinale comporte au dernier degré de juridiction le recours de plein contentieux, la publicité à ce seul stade respecte suffisamment la règle de l’article (art. 6).
Il ne faut pas méconnaître en effet le caractère original de la procédure disciplinaire ni son insertion dans une tradition qui doit respecter la finalité de professions attachées à la mission du service public de la santé ou à la mission de justice. Le principe du jugement par les pairs est une nécessité intrinsèque pour protéger le secret de l’acte professionnel, la réception de la confidence de tiers, la sauvegarde de l’honneur des membres de la profession libérale.
La publicité des débats devant le conseil de l’Ordre et devant l’instance d’appel, alors que la culpabilité n’est pas encore appréciée en dernier ressort, aurait un retentissement préjudiciablesur la carrière de l’intéressé dans l’hypothèse où son innocence serait finalement reconnue. Laisser le choix du huis clos ou de la publicité à celui qui est poursuivi n’est pas une sauvegardesuffisante. A l’extrême rigueur, dans la recherche de solutions nouvelles, législatives ou réglementaires, la publicité pourrait être envisagée en instance d’appel faute de recours de pleincontentieux mais l’accès à l’audience étant alors réservé aux seuls membres de la profession.
Mais la solution qui allie le mieux le respect de la tradition des professions et des juridictions ordinales et le respect des règles du procès équitable au regard de la Convention européenneest, à mon sens, celle qui, dans une procédure comportant un recours terminal de plein contentieux, ne prévoit la publicité qu’à ce dernier stade.
OPINION DISSIDENTE DE SIR VINCENT EVANS, JUGE
(Traduction)
1. Je souscris à l’arrêt de la Cour quant à la non-violation de l’article 11 (art. 11) de la Convention.
2. Je regrette, en revanche, de ne pouvoir partager l’opinion de la majorité de la Cour, pour laquelle il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1). Selon moi, il ne s’applique pas en l’espèce, parce que la procédure dont se plaignent les requérants ne concernait l’examen (determination) ni d’une contestation sur des droits et obligations de caractère civil ni du bien-fondé d’uneaccusation en matière pénale, au sens dudit article (art. 6-1).
3. La Cour a considéré la notion de « droits et obligations de caractère civil », figurant à l’article 6 (art. 6), comme relative à des droits de caractère privé, bien qu’elle ait réservé la question de savoir si la notion, au sens de cette disposition, va au-delà de celle de tels droits (arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 39, § 94; arrêt König du 28 juin 1978, série A no 27, p. 32, § 95; paragraphes 44 et 48 du présent arrêt).
4. L’interprétation des termes « civil rights and obligations » comme se rapportant à des droits et obligations de caractère privé cadre avec le texte français de l’article 6 (art. 6) (« droits etobligations de caractère civil »); elle est corroborée par les travaux préparatoires de l’article (art. 6): ils viennent à l’appui de l’idée que ces termes doivent recevoir un sens restrictif, notammentpour les questions relevant du droit public, y compris le droit administratif. J’adhère aussi à la proposition d’après laquelle il ne suffit pas que la contestation ou la procédure ait un lien ténu avec des droits et obligations de caractère civil ou des répercussions lointaines sur eux: de tels droits et obligations doivent constituer l’objet de la « contestation », l’issue de la procédure être directement déterminante pour un tel droit (paragraphe 47 de l’arrêt). Mon désaccord avec la majorité de la Cour porte sur sa conclusion : l’examen d’une contestation sur un droit de caractère privé aurait été l’objet de la contestation ou de la procédure en l’espèce.
5. La procédure en question a été menée en vertu d’arrêtés royaux régissant en Belgique l’Ordre des médecins et attribuant à cette fin des pouvoirs disciplinaires aux organes de l’Ordre pour « veiller au respect des règles de la déontologie médicale et au maintien de l’honneur, de la discrétion, de la probité et de la dignité des membres de l’Ordre » (paragraphe 24 de l’arrêt). La procédure devant les conseils provinciaux et d’appel, puis devant la Cour de cassation, avait donc trait à des questions de droit public. Son objet était disciplinaire – veiller au respect de règlesdéontologiques; il ne s’agissait pas d’examiner une contestation sur des droits de caractère privé. Que son aboutissement pût incidemment toucher à des droits de caractère privé ne suffisait pas, à mes yeux, à la faire relever de l’article 6 § 1 (art. 6-1).
6. L’arrêt a pour conséquence d’étendre l’application de l’article 6 § 1 (art. 6-1) à des procédures d’un type que, selon moi, celui-ci n’était pas destiné à couvrir et auquel ses exigences,notamment en matière de publicité, ne sont pas toujours adaptées. Par exemple, dans des affaires disciplinaires il peut ne pas toujours s’avérer nécessaire dans l’intérêt général ou souhaitable dans l’intérêt de l’individu en cause que la décision soit rendue publique, en particulier s’il a été reconnu non coupable d’une faute professionnelle. L’application de l’article 6 § 1 (art. 6-1) auxprocédures disciplinaires peut aussi donner lieu à des difficultés exagérées concernant la composition des organes disciplinaires des ordres professionnels et parce que de tels organes ne sont pas toujours « établis par la loi ».
7. Il reste à rechercher si la procédure disciplinaire dont il s’agit impliquait l’examen du bien-fondé d’une accusation en matière pénale contre les requérants. La Cour a estimé superflu de trancher la question (paragraphe 53 de l’arrêt), ayant constaté que ladite procédure avait trait à l’examen d’une contestation sur des droits et obligations de caractère civil. Ainsi que la Cour l’a noté, la Commission a déclaré, en se prononçant sur la recevabilité des requêtes, que les organes disciplinaires de l’Ordre n’avaient pas eu à décider du bien-fondé d’accusations en matière pénale (paragraphe 52 de l’arrêt). Je n’aperçois aucun motif de me trouver en désaccord avec elle. Dans l’affaire Engel et autres, bien que la procédure incriminée eût obéi au droit disciplinaire la Cour a jugé que les accusations portées contre certains des requérants relevaient de la « matière pénale » car elles tendaient à l’infliction de lourdes peines privatives de liberté (série A no 22, p. 36, § 85). Dans la présente affaire, ni les infractions reprochées aux intéressés ni les sanctions prononcées par les organes disciplinaires ne revêtaient un caractère pénal. Sans doute lerefus du Dr Le Compte de se conformer aux mesures adoptées par l’Ordre a-t-il conduit à le poursuivre ultérieurement au pénal et à le condamner à des peines d’emprisonnement et à des amendes, mais aucun grief n’a été dirigé contre la procédure devant les tribunaux répressifs belges, pour non-respect des exigences de l’article 6 (art. 6).
8. Pour ces raisons, je conclus à l’absence de violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
(Traduction)
Je me rallie à l’opinion dissidente de Sir Vincent Evans, juge.