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CEDH, 23 mai 2002, Segi et autres et Gestoras Pro-Amnistia et autres contre 15 États membres, req. n° 6422/02  et n°9916/02

Citer : Revue générale du droit, 'CEDH, 23 mai 2002, Segi et autres et Gestoras Pro-Amnistia et autres contre 15 États membres, req. n° 6422/02  et n°9916/02, ' : Revue générale du droit on line, 2002, numéro 59483 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=59483)


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Décision citée par :
  • Christophe De Bernardinis, §2. Des rapports qui ont vocation à devenir directs pour matérialiser une garantie des droits et libertés commune


TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 6422/02
présentée par SEGI et autres
contre l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède

et

de la requête n° 9916/02
présentée par GESTORAS PRO-AMNISTIA et autres
contre l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant les 16 et 23 mai 2002 en une chambre composée de

MM.L. Caflisch, président,
G. Ress,
I. Cabral Barreto,
P. Kūris,
B. Zupančič,
J. Hedigan,
K. Traja, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites les 1er février et 2 mars 2002 respectivement,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants sont :

–  en ce qui concerne la requête 6422/02 : Segi, une association ayant ses sièges à Bayonne (France) et Saint-Sébastien (Espagne), et les deux porte-parole de l’association, Mlle AraitzZubimendi Izaga, ressortissante espagnole, membre au Parlement autonome basque, résidant à Hernani (province de Guipuzcoa), et M. Aritza Galarraga, ressortissant français demeurant à Senpere (département des Pyrénées-Atlantiques) ;

–  en ce qui concerne la requête 9916/02 : Gestoras Pro-Aminstía, une association dont le siège se trouve à Hernani (province de Guipuzcoa), et les deux porte-parole de l’association, M. Juan Mari Olano Olano, ressortissant espagnol, actuellement détenu à la maison d’arrêt de Gradignan (département de la Gironde), et M. Julen Zelarain Errasti, ressortissant espagnol, actuellement détenu à la prison de Soto del Real (province de Madrid).

Les requérants sont représentés devant la Cour par Me Didier Rouget, avocat à Bayonne.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

a)  Segi (« continuer ») a été créée le 16 juin 2001. Lors de son assemblée générale constitutive du 16 juin 2001, elle a désigné comme porte-parole Mlle Araitz Zubimendi Izaga et M. AritzaGalarraga. Ceux-ci sont habilités à agir au nom de l’association et à la représenter.

Segi se veut le mouvement de la jeunesse basque. Elle est présente par ses adhérents sur l’ensemble des provinces du Pays Basque en France et en Espagne. Son but est de défendre les revendications des jeunes, l’identité, la culture et la langue basques. Elle dit lutter par les voies démocratiques pour le respect des droits fondamentaux, collectifs et individuels. Elle agit pour le droit à l’autodétermination et milite pour une solution politique négociée au conflit basque. Elle lutte pour une société plus juste et plus solidaire en combattant les inégalités et les discriminations, racisme, le sexisme et l’homophobie. Elle combat l’oppression de la jeunesse, les trafics de stupéfiants, la précarité et la pauvreté, ainsi que les violences dont les jeunes sont victimes. Elle favorise l’expression sociale, culturelle et politique de la jeunesse en organisant des manifestations, des rassemblements, des fêtes et des concerts.

Par une décision du 5 février 2002, le juge central d’instruction n° 5 de l’Audiencia Nacional à Madrid ordonna à titre préventif la suspension des activités de l’association en tant que « partie intégrante de l’organisation terroriste basque ETA-EKIN ». Par ailleurs, par une décision du 11 mars 2002, il ordonna le placement en détention provisoire de onze dirigeants de cette association, dont le requérant Aritza Galarraga, sous l’accusation d’activités liées au terrorisme et punies par le code pénal espagnol ; il se référa à la position commune 2001/931/PESC du Conseil de l’Union européenne.

b) Quant à Gestoras Pro-Amnistía, elle est une organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme au Pays Basque, et notamment des prisonniers et exilés politiques.

MM. Juan Mari Olano Olano et Julen Zelarain Errasti ont été désignés comme porte-parole de l’association.

Par une décision du 19 décembre 2001, le juge central d’instruction n° 5 de l’Audiencia Nacional à Madrid suspendit à titre préventif les activités de cette association sous l’accusation d’être « partie intégrante de l’organisation indépendantiste basque ETA ». L’association a fait appel de cette décision.

Positions communes 2001/930/PESC et 2001/931PESC du 27 décembre 2001

Le 27 décembre 2001, les représentants des quinze Etats réunis au sein du Conseil de l’Union européenne adoptèrent, dans le cadre de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (dite PESC), deux positions communes :

–  la position commune 2001/930/PESC « relative à la lutte contre le terrorisme ». Elle contient des mesures de principe devant être prises par l’Union européenne et par les Etats membres afin de lutter contre le terrorisme. L’article 14 de cette position commune recommande aux Etats membres de devenir dès que possible parties aux conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme énumérés dans une annexe. Parmi ceux-ci figure la Convention européenne pour la répression du terrorisme du Conseil de l’Europe du 27 janvier 1977, entrée en vigueur le 4 août 1978 ;

–  la position commune 2001/931//PESC « relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme ».

Ces deux positions communes prirent effet le jour de leur adoption. Elles ont été publiées au Journal officiel des Communautés européennes (JOCE) le 28 décembre 2001.

La position commune 2001/931/PESC s’adresse à la fois à la Communauté européenne (articles 2 et 3, pour le gel des fonds, qui touche à la libre circulation des capitaux, matière communautaire) et aux Etats membres (article 4, pour la coopération policière et judiciaire dans le domaine pénal, matière non communautaire). En vertu de son article 1, la position commune s’applique aux « personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme » et dont la liste figure à l’annexe de la position commune. Dans la liste annexée figurent les deux associations requérantes. Toutefois, d’après cette liste, les associations requérantes sont soumises uniquement à l’article 4 de la position.

L’article 4 de la position commune 2001/931/PESC du 27 décembre 2001 dispose :

« Les Etats membres s’accordent mutuellement, par le biais de la coopération policière et judiciaire en matière pénale dans le cadre du titre VI du Traité sur l’Union européenne, l’assistance la plus large possible pour prévenir et combattre les actes de terrorisme. A cette fin, pour les enquêtes et les poursuites effectuées par leurs autorités concernant une des personnes, un des groupes ou une des entités dont la liste figure à l’annexe, ils exploitent pleinement, sur demande, les pouvoirs qu’ils détiennent conformément aux actes de l’Union européenne et à d’autres accords, arrangements et conventions internationaux liant les Etats membres. »

Le règlement du Conseil 2580/2001 du 27 décembre 2001 « concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme », a mis en œuvre les articles 2 et 3 de la position commune en ce qui concerne le gel des fonds.

B.  Eléments de droit communautaire et de droit de l’Union européenne

1.  La Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC)

Les dispositions concernant une Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC), désignée comme le deuxième pilier de l’Union européenne, ont été introduites par le Traité de l’Unioneuropéenne du 7 février 1992, dit Traité de Maastricht (« Traité UE »). Les Etats membres ont modifié ces dispositions en adoptant le 2 octobre 1997 le Traité d’Amsterdam entré en vigueur le 1er mai 1999. La PESC est donc actuellement prévue par le titre V du Traité UE.

Dans le cadre de la PESC, le Conseil, qui est formé par un représentant de chaque Etat membre au niveau ministériel, est habilité à engager le gouvernement de cet Etat membre (article 203 alinéa 1 du Traité CE), arrête différents types de décisions, notamment des actions communes (article 14 du Traité UE) ou de positions communes (article 15 du Traité UE). Ces positions communes définissent la position de l’Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique. Les Etats membres veillent à la conformité de leurs politiques nationales avec les positions communes.

Selon l’article 23 du Traité UE, les décisions relevant de la PESC sont adoptées par les représentants des Etats membres, soit selon l’alinéa 1, à l’unanimité, soit selon l’alinéa 2, à la majorité qualifiée. Dans le cadre des décisions prises à la majorité qualifiée, si un Etat membre déclare que pour des raisons de politique nationale importantes et qu’il expose, il a l’intention de s’opposer à l’adoption d’une décision devant être prise à la majorité qualifiée, il n’est pas procédé au vote. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut demander que le Conseil européen soit saisi de la question en vue d’une décision à l’unanimité.

Dans les deux cas, unanimité ou majorité qualifiée, l’opposition d’un Etat fait échec à la prise d’une décision relevant de la PESC.

Les décisions relevant de la PESC ont donc un caractère intergouvernemental. Par sa participation à son élaboration et son adoption, chaque Etat engage sa responsabilité. Cette responsabilité est exercée conjointement par les Etats lorsqu’ils adoptent une décision PESC.

2.  La coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures

La coopération policière et judiciaire en matière pénale (dite Politique Justice et Affaires Intérieures, « JAI » ou troisième pilier) est aujourd’hui prévue par le titre VI du Traité UE, tel que modifié par le Traité d’Amsterdam. Dans le cadre de cette coopération, le Conseil peut arrêter des positions communes et promouvoir, sous la forme et selon les procédures appropriées, toute coopération utile à la poursuite des objectifs de l’Union.

3.  Nature juridique et contrôle juridictionnel des positions communes

Les actions de l’Union dans le domaine de la PESC et de la JAI  présentent un caractère intergouvernemental marqué. Les instruments de la PESC sont les actions communes et les positions communes.

Les positions communes visent à renforcer et mieux coordonner la coopération entre les Etats membres, lesquels sont censés suivre et défendre ces positions communes. Arrêtées par le Conseil de l’Union, elles sont des actes communautaires qui exigent que les Etats membres mènent des politiques nationales en accord avec la position définie par l’Union dans un domaine particulier. De ce fait, elles ne sont pas, en tant que telles, directement applicables dans les États membres, et leur mise en œuvre requiert l’adoption par chaque Etat membre de dispositions internes concrètes sous la forme juridique appropriée.

Les décisions prises par les représentants des Etats dans le domaine de la PESC ne sont pas susceptibles, au sein de l’Union européenne, d’un contrôle juridictionnel. En effet, en application de l’article 46 du Traité UE, la CJCE est incompétente pour contrôler la légalité des actes pris dans le domaine de la PESC.

Quant à la JAI, la CJCE ne peut être saisie que par le biais du recours préjudiciel dans les conditions prévues par l’article 35 du Traité UE.

GRIEFS

Se référant aux positions communes 2001/930/PESC et 2001/931/PESC adoptées le 27 décembre 2001 par le Conseil de l’Union européenne, les requérantes se plaignent de ne pas avoir la possibilité, en tant que requérants individuels, de contester, devant la CJCE, les décisions et mesures prises conjointement par les quinze Etats membres dans le cadre de ces positions communes.

Segi estime en particulier que ces positions communes violent directement et personnellement les droits qui lui sont reconnus par la Convention. Elle est en effet accusée par les Etatsmembres d’être une organisation terroriste. Son droit à la présomption d’innocence a été bafoué. Ses biens et leur usage sont menacés. Son droit à la liberté d’expression est violé. Sa liberté d’action comme association est directement remise en cause. Son droit à ce que sa cause soit examinée par un tribunal et son droit à un procès équitable sont niés. Son droit à un recours effectif est inexistant. Enfin, elle ne peut pas obtenir réparation du préjudice très grave qui lui a été causé par les positions communes prises le 27 décembre 2001 par les Etats. Segi demande à la Cour de constater la violation par les quinze Etats des articles 6, 6 § 2, 10, 11 et 13 de la Convention et 1 du Protocole n° 1.

Les deux autres requérants, porte-parole de cette association, demandent, quant à eux, de constater la violation par les quinze Etats des articles 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention.

Quant à Gestoras Pro-Amnistía, elle se plaint en substance des mêmes violations, et invoque les articles 6, 6 § 2, 6 § 1 combiné avec l’article 3, 10, 11, 13 de la Convention et 1 du Protocole n° 1.

Les deux autres requérants, porte-parole de cette association, invoquent, quant à eux, les articles 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention.

EN DROIT

Segi se plaint d’être qualifiée par les quinze Etats membres de l’Union européenne d’organisation terroriste. Son droit à la présomption d’innocence a été bafoué. Ses biens et leur usage sont menacés. Son droit à la liberté d’expression est violé. Sa liberté d’action comme association est directement remise en cause. Son droit à ce que sa cause soit examinée par un tribunal et son droit à un procès équitable sont niés. Son droit à un recours effectif est inexistant. Enfin, elle ne peut pas obtenir réparation du préjudice très grave qui lui a été causé par les positions communes prises le 27 décembre 2001 par les Etats. Segi demande à la Cour de constater la violation par les quinze Etats des articles 6, 6 § 2, 10, 11 et 13 de la Convention et 1 du Protocole n° 1.

Les deux autres requérants, porte-parole de cette association, demandent, quant à eux, de constater la violation par les quinze Etats des articles 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention.

Quant à Gestoras Pro-Amnistía, elle allègue en substance les mêmes violations et invoque les articles 6 § 2, 6 § 1 combiné avec l’article 3, 10, 11, 13 de la Convention et 1 du Protocole n° 1.

Les deux autres requérants, porte-parole de cette association, invoquent, quant à eux, les articles 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention.

La Cour note que les présentes requêtes concernent les incidences prétendument contraires à certains droits garantis par la Convention découlant pour les requérants des positions communes 2001/930/PESC relative à la lutte contre le terrorisme, et 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, adoptées par la Conseil de l’Union européenne, toutes deux le 27 décembre 2001. Les requérants se prétendent victimes tant directes que potentielles de ces textes.

La Cour n’estime pas devoir se prononcer sur la question de savoir si les requérants ont épuisé les voies de recours que pourraient leur offrir l’Union européenne, tel le recours en réparation ou même le recours en annulation, à la lumière de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 3 mai 2002 rendu dans l’affaire Jégo-Quéré et Cie S.A. contre Commission des Communautés européennes (affaire T-177/01).

En effet, les requêtes sont de toute manière irrecevables pour les motifs qui suivent.

La Cour rappelle que l’article 34 de la Convention « exige qu’un individu requérant se prétende effectivement lésé par la violation qu’il allègue. [Cet article] n’institue pas au profit des particuliers une sorte d’actio popularis pour l’interprétation de la Convention ; il ne les autorise pas à se plaindre in abstracto d’une loi par cela seul qu’elle leur semble enfreindre la Convention. En principe, il ne suffit pas à un individu requérant de soutenir qu’une loi viole par sa simple existence les droits dont il jouit aux termes de la Convention ; elle doit avoir été appliquée à son détriment » (arrêt Klass et autres c. Allemagne du 6 septembre 1978, série A n° 28, § 33).

De plus, la Commission européenne des Droits de l’Homme a considéré que « Des termes « victime » et « violation », de même que de la philosophie sous-jacente à l’obligation de l’épuisement préalable des voies de recours internes prévue à l’ex article 26, découl[e] la constatation que, dans le système de protection des droits de l’homme imaginé par les auteurs de la Convention, l’exercice du droit de recours individuel ne saurait avoir pour objet de prévenir une violation de la Convention : en principe, les organes chargés, aux termes de l’article 19, d’assurer le respect des engagements résultant pour les Etats de la Convention, ne peuvent examiner et, le cas échéant, constater une violation qu’a posteriori, lorsque celle-ci a déjà eu lieu. (…) Ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le risque d’une violation future peut néanmoins conférer à un requérant la qualité de victime d’une violation de la Convention » (Noël Narvii Tauira et 18 autres c. France, requête n° 28204/95, décision de la Commission du 4 décembre 1995, Décisions et rapports (DR) 83-A, p. 130).

C’est ainsi que la Cour a admis la notion de victime potentielle dans les cas suivants : lorsque le requérant n’était pas en mesure de démontrer que la législation qu’il incriminait lui avait été effectivement appliquée, du fait du caractère secret de mesures qu’elle autorisait (arrêt Klass et autres précité) ; lorsqu’une loi réprimant les actes homosexuels était susceptible de s’appliquer à une certaine catégorie de la population, dont le requérant (arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni, du 22 octobre 1981, série A n° 45) ; enfin, en cas de mesures d’éloignement forcé d’étrangers déjà décidées mais non encore exécutées, et lorsque leur exécution exposerait les intéressés à subir, dans le pays de destination, des traitements contraires à l’article 3 (arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 161) ou violerait le droit au respect de la vie familiale (arrêt Beldjoudi c. France du 26 mars 1992, série A n° 234).

Pour que dans une telle situation, un requérant puisse se prétendre victime, il faut toutefois qu’il produise des indices raisonnables et convaincants de la probabilité de réalisation d’une violation en ce qui le concerne personnellement ; de simples suspicions ou conjectures sont insuffisantes à cet égard (décision Noël Narvii Tauira et 18 autres précitée, p. 131).

Il est vrai que ces principes jurisprudentiels développés par les organes de la Convention concernent les législations internes des Etats parties à la Convention. Toutefois, la Cour n’aperçoit pas d’obstacles majeurs s’opposant à leur application à des actes émanant d’un ordre juridique international comme celui de l’espèce.

Dans le cas présent, la Cour rappelle que les requérants se plaignent en substance de ce que les deux positions communes en question violent des droits et libertés qui leur sont reconnus par la Convention.

Elle relève que ces deux positions communes ont pour but la lutte contre le terrorisme par le bais de diverses mesures visant notamment à contrer le financement des réseaux terroristes et le recel de terroristes. Ces positions communes s’insèrent dans le cadre d’une action internationale plus large engagée par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans sa résolution 1373 (2001) arrêtant des stratégies pour lutter par tous les moyens contre le terrorisme et, en particulier, contre son financement. A cet égard, la Cour réaffirme l’importance de la lutte contre le terrorisme et le droit légitime des sociétés démocratiques de se protéger contre les agissements d’organisations terroristes (arrêt Zana c. Turquie du 25 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII, p. 2548, § 55 ; Mattei c. France (déc.), n° 40307/98, 15 mai 2001, non publiée).

La Cour note que les positions communes dont il s’agit ont été prises dans le cadre de la mise en œuvre de la PESC par les Etats membres de l’Union européenne et relèvent, en conséquence, du domaine de la coopération intergouvernementale.

S’agissant tout d’abord de la position commune 2001/930/PESC, la Cour observe qu’elle contient des mesures de principe à prendre par l’Union européenne et par les Etats membres afin de lutter contre le terrorisme. A cette fin, son article 14 recommande aux Etats membres de devenir dès que possible parties aux conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme énumérés dans une annexe. La Cour constate que cette position commune n’est pas directement applicable dans les Etats membres et ne peut servir de fondement direct à aucune action pénale ou administrative dirigée à l’encontre de particuliers, d’autant plus qu’elle ne mentionne aucune organisation ni aucune personne. Ainsi, en tant que telle, elle ne donne pas naissance à des obligations juridiquement contraignantes pour les requérants.

Quant à la position commune 2001/931/PESC, la Cour relève qu’elle s’adresse à la fois à la Communauté européenne (articles 2 et 3, pour le gel des fonds, qui touche à la libre circulation des capitaux, matière communautaire) et aux Etats membres (article 4, qui concerne la coopération policière et judiciaire dans le domaine pénal, matière non communautaire). Le règlement du Conseil 2580/2001 du 27 décembre 2001 a mis en œuvre les articles 2 et 3 en ce qui concerne le gel des fonds. Les requérants ne sont toutefois pas concernés par ce règlement dans la mesure où, d’après la liste figurant dans l’annexe à la position commune (2001/931), ils sont soumis uniquement à l’article 4. Et, dans l’hypothèse ou ils le seraient quand même, ils pourraient toujours saisir la Cour de justice des Communautés européennes.

L’article 4 tend précisément à renforcer la coopération judiciaire et policière des Etats membres de l’Union européenne en matière de lutte contre le terrorisme. Dans ce but, il appelle les Etats membres à s’accorder mutuellement, par le biais de la coopération policière et judiciaire en matière pénale dans le cadre du titre VI du Traité UE, l’assistance la plus large possible pour prévenir et combattre les actes de terrorisme. A cette fin, les Etats membres peuvent exploiter pleinement, sur demande, les pouvoirs qu’ils détiennent conformément aux actes de l’Unioneuropéenne et à d’autres accords, arrangements et conventions internationaux qui les lient. La Cour note que la coopération internationale qui y est prônée est très semblable à celle prévue dans de nombreux autres instruments internationaux, notamment du Conseil de l’Europe, adoptés dans le domaine de la coopération judiciaire. Elle reconnaît que l’article 4 pourrait servir de base juridique à des mesures concrètes pouvant affecter les requérants, notamment dans le cadre de la coopération policière des Etats menée au sein d’organes communautaires tel Europol. Toutefois, l’article 4 n’ajoute pas de nouveaux pouvoirs pouvant être exercés à l’encontre des requérants. Il contient uniquement pour les Etats membres une obligation de coopération judiciaire et policière, coopération qui, en tant que telle, ne s’adresse pas aux individus ni n’affecte directement ces derniers.

Au demeurant, des mesures concrètes comme celles qui ont été adoptées ou qui viendraient à l’être seraient assujetties au contrôle juridictionnel établi dans chaque ordre juridique concerné, qu’il soit international ou national. Ceci est vrai plus spécifiquement pour les mesures pouvant donner lieu à des contestations au regard des articles 10 et 11 de la Convention. Il en va également de la sorte pour des actes communautaires comme, par exemple, le règlement du Conseil 2580/2001 cité ci-dessus (relevant du contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes) ou d’autres instruments internationaux liant les Etats membres ou même d’éventuelles décisions prises par les juridictions internes faisant référence aux positions communes. A cela s’ajoute le fait que les requérants n’apportent aucun élément permettant de conclure qu’ils ont fait l’objet de mesures particulières à leur encontre en application de cette disposition. Le seul fait que deux des requérants (Segi et Gestoras Pro-Amnistia) figurent dans la liste à laquelle il est fait référence dans cette disposition en tant que « groupes ou entités impliqués dans des actes de terrorisme » peut être gênant, mais constitue un lien beaucoup trop ténu pour justifier l’application de la Convention. En effet, la référence en question, limitée à l’article 4 de la position commune, n’équivaut pas à la mise en accusation des « groupes ou entités » visés et encore moins à l’établissement de leur culpabilité. En définitive, les associations requérantes ne sont concernées que par la coopération renforcée des Etats membres sur la base des pouvoirs déjà existants et, de ce fait, doivent être  distinguées des personnes présumées être réellement impliquées dans le terrorisme et visées aux articles 2 et 3 de la position commune.

S’agissant plus particulièrement de l’article 8 de la Convention, invoqué par les requérants personnes physiques, la Cour note que ces derniers  ne figurent pas dans la liste annexée à la position commune 2001/931/PESC.

En conséquence, la Cour considère que la situation dénoncée ne confère pas aux associations requérantes et a fortiori à leurs porte-parole la qualité de victimes d’une violation de la Convention au sens de l’article 34 de la Convention.

Il s’ensuit que les requêtes doivent être déclarées irrecevables, en application des articles 34 et 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare les requêtes irrecevables.

Lucius Caflisch
Président

 

Vincent Berger

Greffier

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