En l’affaire Ortenberg c. Autriche*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée,
conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde
des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »)
et aux clauses pertinentes de son règlement A**, en une chambre
composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
C. Russo,
A. Spielmann,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
Sir John Freeland,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 mai et
25 octobre 1994,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________
Notes du greffier
* L’affaire porte le n° 33/1993/428/507. Les deux premiers chiffres
en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la
place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur
celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Le règlement A s’applique à toutes les affaires déférées à la Cour
avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci,
aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole
(P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983
et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
_______________
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne
des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 9 septembre 1993, dans le
délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1,
art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête
(n° 12884/87) dirigée contre la République d’Autriche et dont une
ressortissante de cet Etat, Mme Margarete Ortenberg, avait saisi la
Commission le 10 septembre 1986 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48
(art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration autrichienne reconnaissant
la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a
pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits
de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences
de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du
règlement A, la requérante a exprimé le désir de participer à
l’instance et désigné son conseil (article 30), que le président a
autorisé à employer l’allemand (article 27 par. 3).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit
M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43 de la
Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour
(article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 24 septembre 1993, celui-ci
a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir
M. L.-E. Pettiti, M. R. Macdonald, M. C. Russo, M. N. Valticos,
M. R. Pekkanen, M. A.N. Loizou et Sir John Freeland, en présence du
greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du
règlement A) (art. 43). Ultérieurement, M. A. Spielmann, suppléant,
a remplacé M. Valticos, empêché (articles 22 paras. 1 et 2, et 24
par. 1 du règlement A).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du
règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier
adjoint, l’agent du gouvernement autrichien (« le Gouvernement »),
l’avocat de la requérante et le délégué de la Commission au sujet de
l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).
Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, les mémoires du
Gouvernement et de la requérante sont parvenus au greffier
le 25 février 1994. Les 8 et 28 avril, la Commission lui a fourni
divers documents qu’il avait demandés sur les instructions du
président.
5. Ainsi qu’en avait décidé ce dernier, les débats se sont
déroulés en public le 24 mai 1994, au Palais des Droits de l’Homme à
Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
M. W. Okresek, chef de la division des affaires
internationales, service constitutionnel,
chancellerie fédérale, agent,
Mme E. Bertagnoli, division des droits de l’homme,
département de droit international,
ministère fédéral des Affaires étrangères, conseiller;
– pour la Commission
M. F. Ermacora, délégué;
– pour la requérante
Me H. Blum, avocat, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Okresek, M. Ermacora
et Me Blum.
EN FAIT
I. Les circonstances de l’espèce
6. Ressortissante autrichienne, Mme Ortenberg est propriétaire
d’une maison d’habitation à Leonding, près de Linz (Haute-Autriche).
A. Les procédures administratives
7. Le 12 septembre 1980, le conseil municipal de Leonding adopta
un plan d’occupation des sols (Flächenwidmungsplan) qui qualifia de
constructible une zone comprenant cinq parcelles (725/3-7) jouxtant la
propriété de la requérante. Le 30 janvier 1981, il se prononça en
faveur d’un plan de réglementation des constructions (Bebauungsplan)
qui autorisa l’édification de maisons en terrasses sur ce terrain.
8. Par la suite, le maire de la ville accorda des permis de
construire à chaque propriétaire de parcelle. Mme Ortenberg interjeta
appel (Berufung) de ces décisions devant le conseil municipal,
contestant notamment la légalité des plans d’occupation des sols et de
réglementation des constructions et se plaignant des nuisances
importantes qui résulteraient pour elle des bâtiments envisagés. Le
conseil la débouta.
9. La requérante formula alors des réclamations administratives
(Vorstellungen) devant le gouvernement du Land de Haute-Autriche. Par
des décisions (Bescheide) des 27 mai (parcelle 725/7), 8 juillet
(parcelle 725/6), 3 septembre (parcelle 725/5), 14 octobre (parcelle
725/4) et 22 octobre 1982 (parcelle 725/3), ce dernier les rejeta,
faute de violation des droits subjectifs de voisinage de Mme Ortenberg,
prévus par les articles 23 par. 2 et 46 par. 3 de la loi de 1976 sur
les normes de construction du Land de Haute-Autriche
(Oberösterreichische Bauordnung – paragraphe 15 ci-dessous). Il
précisa que, selon les experts, les nuisances provoquées par le bruit,
la poussière et les odeurs ne dépasseraient pas les normes locales
applicables et que les maisons envisagées se conformaient au plan de
réglementation des constructions.
B. Les procédures juridictionnelles
10. Mme Ortenberg se pourvut devant la Cour constitutionnelle quant
aux parcelles 725/6 et 725/7, alléguant la violation de ses droits
constitutionnels et l’application de règlements illégaux (gesetzwidrige
Verordnungen).
Parallèlement, elle intenta trois recours (Beschwerden) devant
la Cour administrative (parcelles 725/3, 725/4 et 725/5). Elle
dénonçait une violation de ses droits subjectifs de voisinage, en
raison des nuisances dues à la construction d’une voie d’accès attenant
à sa propriété et qui n’auraient pas été correctement évaluées par les
experts, mais aussi du non-respect de certaines normes en matière de
construction.
11. Le 2 octobre 1985, la Cour constitutionnelle, doutant de la
conformité des plans d’occupation des sols et de réglementation des
constructions à la loi d’aménagement du Land de Haute-Autriche
(Oberösterreichisches Raumordnungsgesetz), suspendit la procédure
engagée devant elle et décida de procéder à un examen de leur légalité.
Elle indiqua notamment qu’aux termes de cette loi, un reclassement en
terrain constructible de la zone verte en question ne pouvait
s’envisager que s’il servait des intérêts publics prédominants, ce qui
n’avait pas été le cas en l’espèce.
Le 3 décembre 1985, la Cour administrative saisit également la
Cour constitutionnelle, lui demandant d’annuler les règlements relatifs
aux plans ci-dessus mentionnés, car ils valaient aussi pour les
parcelles 725/3, 725/4 et 725/5.
12. Le 19 mars 1986, la Cour constitutionnelle joignit l’ensemble
des procédures dont il s’agit et, statuant sur le renvoi de la Cour
administrative, conclut à la légalité des plans d’occupation des sols
et de réglementation des constructions. D’après elle, le terrain
jouxtant les parcelles en question, d’une superficie trois fois
supérieure, ayant été classé zone constructible dès 1971 par le conseil
municipal de Leonding, l’autorité administrative n’avait procédé qu’à
un élargissement minime de l’espace constructible, ce qui n’allait pas
à l’encontre de la loi d’aménagement du Land de Haute-Autriche.
Simultanément, la cour rejeta les recours de Mme Ortenberg,
faute de violation de ses droits constitutionnels, et la renvoya devant
la Cour administrative (parcelles 725/6 et 725/7).
13. Cette dernière débouta l’intéressée par des arrêts des
30 septembre (parcelle 725/5) et 14 octobre 1986 (parcelles 725/3 et
725/4), qui contenaient les motifs suivants:
« (…)
Le voisin disposant d’un droit subjectif fondé sur le droit
public au respect de la disposition mentionnée ci-dessus
[article 23 par. 2 de la loi de 1976 sur les normes de
construction du Land de Haute-Autriche] et qui, par principe,
doit être pris en compte lors de la procédure de délivrance du
permis de construire, (…) vu les circonstances de l’espèce,
il s’agissait de rechercher si l’intensification de la
circulation automobile, causée par la construction envisagée,
sur la voie d’accès devant longer le terrain de la requérante,
allait constituer pour cette dernière une source de nuisance
considérable (…)
Il ressort des conclusions portant sur la question du bruit,
figurant dans les observations de la sous-division du
gouvernement du Land de Haute-Autriche (du 23 mai 1982),
compétente en matière de protection contre les nuisances, que
la voie reliant le garage à la jonction avec la route du
Zaubertal a une longueur de 48 m, que la distance moyenne de
cette voie à l’habitation de la requérante est d’environ 25 m,
et qu’en présumant une vitesse moyenne de 5 km/h il faut
environ 35 secondes pour parcourir la distance entre le garage
et la jonction avec la voie publique (…)
(…)
(…) Compte tenu du fait que la requérante s’est abstenue
de contester par des déclarations concrètes, pendant la
procédure, les conclusions déjà exposées de l’expert, la cour
ne saurait attacher une importance fondamentale – au sens de
l’article 42 par. 2, alinéa 3 b) et c), de la loi sur la Cour
administrative, et justifiant de ce fait l’annulation de la
décision contestée – au fait que, contrairement à la demande
exprimée par la requérante, l’intensité du bruit de fond n’ait
pas été mesurée, ni aux insuffisances alléguées de l’expertise
médicale, d’autant moins que la requérante n’a pas établi les
raisons qui auraient amené les autorités compétentes, à
supposer qu’il en fût allé autrement, à conclure que le
surcroît de circulation automobile – dont la très faible
importance est incontestée – aurait entraîné une nuisance
considérable pour la requérante sur sa propriété (…)
Compte tenu de l’interdiction de présenter des éléments
nouveaux résultant de l’article 41 par. 1 de la loi sur la
Cour administrative, la cour ne saurait se prononcer sur
l’allégation de la requérante, selon laquelle la moyenne
horaire estimée à 40 véhicules automobiles circulant de jour
sur la route du Zaubertal est tout à fait surestimée.
(…)
Ni dans sa réclamation administrative contre cette décision
[du conseil municipal de Leonding] ni dans son recours, la
requérante n’a établi de manière concrète le bien-fondé de ses
réclamations. Aussi, le caractère substantiel de la violation
alléguée des règles de procédure, au sens de l’article 42
par. 2, alinéa 3, de la loi sur la Cour administrative, ne
pouvant être décelé, le présent recours fondé sur une
prétendue violation des règles de procédure (Verfahrensrüge)
ne saurait entraîner l’annulation de la décision contestée.
(…)
En conséquence, le présent recours s’avère non fondé dans
son ensemble et doit donc être rejeté, conformément à
l’article 42 par. 1 de la loi sur la Cour administrative.
(…) »
14. Le 28 octobre 1986, la Cour administrative rejeta également les
recours de Mme Ortenberg concernant les parcelles 725/6 et 725/7, qui
lui avaient aussi été soumis par la Cour constitutionnelle, en
reprenant les motifs exposés dans ses précédents arrêts
(paragraphe 13 ci-dessus).
II. Le droit interne pertinent
A. La loi sur les normes de construction du Land de Haute-
Autriche
15. Deux dispositions de la loi de 1976 sur les normes de
construction du Land de Haute-Autriche entrent en ligne de compte en
l’espèce:
Article 23
« (1) Tous les bâtiments doivent être planifiés et construits
de manière à respecter, compte tenu de l’état des
connaissances techniques, les exigences normales auxquelles de
pareils bâtiments doivent correspondre en matière de sécurité,
de solidité, de protection contre l’incendie, d’isolation
calorifuge et sonore, de santé, d’hygiène, de protection de
l’environnement et de la « Zivilisation », et de manière à ne
pas porter atteinte à l’aspect des lieux et du paysage (…)
(2) En particulier, tous les éléments d’une construction
doivent être planifiés et construits de manière à éviter, dans
la mesure du possible, toutes atteintes à l’environnement.
Sont ainsi qualifiées celles qui sont de nature à (…) créer
des nuisances considérables pour la collectivité et, en
particulier, pour les utilisateurs des bâtiments et le
voisinage, telles que (…) le bruit (…) »
Article 46
« (1) (…)
(2) Les voisins peuvent soulever des objections contre la
délivrance d’un permis de construire au motif que le projet de
construction est de nature à violer leurs droits subjectifs.
Ceux-ci peuvent être fondés sur le droit privé (objections de
droit privé) ou sur le droit public (objections de droit
public).
(3) Dans la procédure de délivrance du permis de construire,
les objections de droit public soulevées par les voisins ne
doivent être prises en compte que si elles reposent sur des
dispositions du droit de la construction, d’un plan
d’occupation des sols ou d’un plan de réglementation des
constructions qui ne servent pas seulement l’intérêt public,
mais aussi celui du voisinage. Elles incluent, en
particulier, l’ensemble des dispositions concernant le type de
construction, les utilisations possibles du terrain à bâtir,
la situation du projet de construction, les distances par
rapport aux parcelles limitrophes et bâtiments voisins, la
hauteur des bâtiments, leur exposition à la lumière et leur
aération ainsi que les dispositions concernant la protection
de la santé et celle du voisinage contre les nuisances. »
B. Les recours devant la Cour constitutionnelle
16. Sur requête (Beschwerde), la Cour constitutionnelle recherche
si une décision administrative (Bescheid) a porté atteinte à un droit
garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung)
contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité
international incompatible avec le droit autrichien (article 144
par. 1 de la Constitution fédérale – Bundesverfassungsgesetz).
C. Les recours devant la Cour administrative
17. Selon l’article 130 de la Constitution fédérale, la Cour
administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent
l’illégalité d’un acte administratif.
L’article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative
(Verwaltungsgerichtshofsgesetz) est ainsi libellé:
« Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité
résultant de l’incompétence de l’autorité défenderesse ou de
violations de règles de procédure (article 42 par. 2,
alinéas 2 et 3) (…), la Cour administrative examine la
décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par
ladite autorité et sous l’angle des griefs soulevés (…). Si
elle estime que des motifs, non encore révélés à l’une des
parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l’un de
ces griefs] (…), elle entend les parties à ce sujet et, au
besoin, suspend la procédure. »
Aux termes de l’article 42 par. 2 de la même loi,
« La Cour administrative annule la décision attaquée, si
celle-ci est illégale
1) par son contenu, [ou]
2) en raison de l’incompétence de l’autorité défenderesse,
[ou]
3) à cause d’un vice de procédure résultant:
a) de ce que l’autorité défenderesse a tenu pour établis
des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis
par le dossier, ou
b) de ce qu’il échet de les compléter sur un tel point, ou
c) de ce que l’autorité défenderesse a méconnu des règles
de procédure dont le respect aurait pu l’amener à prendre une
décision différente. »
18. La procédure consiste pour l’essentiel en un échange de
mémoires (article 36). Si l’une des parties le demande, la Cour
administrative peut tenir une audience contradictoire et, en principe,
publique (articles 39 et 40).
19. Si la cour annule la décision incriminée, « l’administration est
tenue (…) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d’assurer
sans délai, dans le cas d’espèce, la situation juridique correspondant
à l’opinion (Rechtsansicht) exprimée par la Cour administrative »
(article 63 par. 1).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
20. Mme Ortenberg a saisi la Commission le 10 septembre 1986.
Invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, elle se
plaignait de ne pas avoir eu accès à un tribunal doté de la plénitude
de juridiction et de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable.
Elle dénonçait en outre une atteinte à son droit de propriété, tel
qu’il est garanti par l’article 1 du Protocole n° 1 (P1-1).
21. Le 29 juin 1992, la Commission a retenu la requête
(n° 12884/87) quant au grief soulevé sur le terrain de l’article 6
par. 1 (art. 6-1) et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans
son rapport du 14 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut à
l’absence de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui
concerne l’accès à un tribunal (quinze voix contre une) et le caractère
équitable de la procédure (unanimité). Le texte intégral de son avis
et des deux opinions concordantes dont il s’accompagne figure en annexe
au présent arrêt*.
_______________
* Note du greffier: pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera
que dans l’édition imprimée (volume 295-B de la série A des
publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du
greffe.
_______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
22. Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire
« que l’article 6 (art. 6) de la Convention ne s’applique pas
en l’espèce et, en ordre subsidiaire, qu’il n’y a pas eu
violation du droit de la requérante à ce que sa cause fût
entendue par un tribunal ni de son droit à un procès équitable
garantis par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (…) ».
23. De son côté, la requérante prie la Cour
« 1) de constater que la requérante (…), dans la procédure
concernant la construction de maisons d’habitation sur le
terrain attenant à sa propriété et du fait des décisions
rendues par la Cour constitutionnelle et la Cour
administrative dans le cadre de cette procédure, a été lésée
dans
a) son droit à ce que sa cause fût entendue par un tribunal
au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention,
appelé à décider sur ses droits de caractère civil,
b) son droit à être entendue équitablement, au sens de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ainsi que
c) son droit au respect de ses biens, conformément à
l’article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (…)
2) d’accorder à la requérante, conformément à l’article 50
(art. 50) de la Convention, un dédommagement approprié d’un
montant de 1 140 000 schillings autrichiens, plus un montant
correspondant aux frais de procédure, et de condamner la
République d’Autriche à verser cette somme à la requérante
(…) ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE
LA CONVENTION
24. Mme Ortenberg se plaint de n’avoir pas eu accès à un tribunal
doté de la plénitude de juridiction ni bénéficié d’un procès équitable
et public. Elle invoque l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention, ainsi libellé:
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement [et] publiquement (…) par un tribunal (…)
qui décidera (…) des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil (…) »
A. Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
25. Le Gouvernement estime ce texte inapplicable en l’espèce. Le
droit des voisins de s’opposer à la délivrance d’un permis de
construire en vertu de l’article 46 par. 3 de la loi sur les normes de
construction du Land de Haute-Autriche (paragraphe 15 ci-dessus)
revêtirait un caractère essentiellement public. En effet, il viserait
à assurer le respect des dispositions légales et notamment celles qui
tendent à la protection de l’environnement. En outre, la délivrance
d’un permis de construire concernerait la relation entre une autorité
publique et un tiers, et n’affecterait pas directement le propriétaire
d’un terrain adjacent.
26. Mme Ortenberg affirme en revanche qu’elle intenta les
procédures dont il s’agit afin d’éviter toute atteinte à ses droits
patrimoniaux et que leur issue eut donc une incidence directe sur ses
droits et obligations de caractère civil.
27. Tel est aussi en substance l’avis de la Commission.
28. La Cour rappelle que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) joue dès
lors que l’action a un objet « patrimonial » et se fonde sur une atteinte
alléguée à des droits eux aussi patrimoniaux (arrêt Editions Périscope
c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-B, p. 66, par. 40) ou que son
issue est « déterminante pour des droits et obligations de caractère
privé » (arrêt H. c. France du 24 octobre 1989, série A n° 162-A, p. 20,
par. 47).
Elle note que l’article 46 par. 2 de la loi sur les normes de
construction du Land de Haute-Autriche confère expressément aux voisins
la possibilité de s’opposer à la délivrance d’un permis de construire
en dénonçant une méconnaissance de leurs droits subjectifs, qui
« peuvent être fondés sur le droit privé (objections de droit privé) ou
sur le droit public (objections de droit public) »
(paragraphe 15 ci-dessus).
En l’occurrence, la requérante s’appuya sur le droit public et
allégua le non-respect des dispositions de l’article 23 par. 2 de la
loi précitée (paragraphe 15 ci-dessus). Ce faisant, elle voulut
néanmoins éviter une atteinte à ses droits patrimoniaux, car elle
estimait que les travaux sur le terrain attenant à sa propriété en
compromettraient la jouissance et en réduiraient la valeur marchande.
Compte tenu du lien étroit existant entre la procédure engagée
par l’intéressée et les répercussions de l’issue de ladite procédure
sur sa propriété, le droit en question revêtait un caractère « civil ».
Partant, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) trouve à s’appliquer.
B. Sur l’observation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
1. Le droit d’accès à un tribunal
29. D’après la requérante, ni la Cour constitutionnelle ni la Cour
administrative ne peuvent passer pour un « tribunal » au sens de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
La première ne disposerait pas d’un pouvoir de contrôle en fait
et en droit, et se serait limitée à procéder à un examen sommaire des
plans d’occupation des sols et de réglementation des constructions.
Quant à la seconde, elle posséderait un large pouvoir de
contrôle en droit, mais se trouverait liée en fait par les
constatations des autorités administratives, sauf dans les cas de
violation substantielle des règles de procédure prévus à l’article 42
par. 2, alinéa 3, de la loi sur la Cour administrative (paragraphe 17
ci-dessus). Ladite juridiction ne serait donc pas habilitée à
administrer directement les preuves, ni à établir elle-même les faits
ni à prendre en compte des éléments nouveaux. De plus, en cas
d’annulation d’une décision administrative, elle ne pourrait se
prononcer au lieu et place de l’autorité censurée, mais devrait
toujours lui renvoyer le dossier. Bref, elle n’exercerait qu’un
contrôle de légalité, que l’on ne saurait assimiler à un contentieux
de pleine juridiction.
30. Pour le Gouvernement, au contraire, la Cour administrative
jouit de compétences qui, combinées avec celles de la Cour
constitutionnelle, présentent une étendue suffisante aux fins de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1). En vertu de l’article 42 par. 2,
alinéa 3, de la loi sur la Cour administrative, elle disposerait d’un
large pouvoir de contrôle en ce qui concerne tant l’établissement des
faits que l’administration des preuves. En l’espèce, tout comme dans
l’affaire Zumtobel c. Autriche (arrêt du 21 septembre 1993, série A
n° 268-A), la Cour administrative aurait ainsi revu les faits en
détail. De plus, en cas d’annulation d’une décision administrative,
l’autorité censurée serait liée par l’avis de la Cour administrative
(article 63 par. 1 de la loi précitée – paragraphe 19 ci-dessus).
31. La Cour le rappelle: il faut, sur le terrain de l’article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention, que la décision d’une autorité
administrative qui ne remplit pas elle-même les conditions posées par
cet article subisse le contrôle ultérieur d’un « organe judiciaire de
pleine juridiction » (arrêt Albert et Le Compte c. Belgique du
10 février 1983, série A n° 58, p. 16, par. 29).
32. Telle n’est pas la Cour constitutionnelle. En l’occurrence,
elle ne pouvait examiner que la légalité des plans d’occupation des
sols et de réglementation des constructions ce qui, de l’aveu même du
Gouvernement, ne lui permit pas d’étudier l’ensemble des faits de la
cause. Elle ne possédait donc pas la compétence exigée par
l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
33. Quant au contrôle exercé par la Cour administrative, son
ampleur doit s’apprécier à la lumière de la circonstance que la
délivrance du permis de construire ne s’analyse pas en un acte purement
discrétionnaire de l’administration: il reste soumis aux règles
énoncées par les articles 23 et 46 de la loi sur les normes de
construction du Land de Haute-Autriche (paragraphe 15 ci-dessus). Il
revenait à la Cour administrative de s’assurer de l’observation de ces
textes. A cet égard, le présent litige se distingue de l’affaire
Obermeier c. Autriche (arrêt du 28 juin 1990, série A n° 179) et se
rapproche davantage de l’affaire Zumtobel (arrêt précité).
34. Avec la Commission, la Cour note que, dans ses arrêts de 1986
(paragraphe 13 ci-dessus), la Cour administrative procéda à un examen
approfondi, point par point, des griefs de la requérante, sans jamais
se voir contrainte de décliner sa compétence pour y répondre. Elle
étudia notamment en détail la question de savoir si la circulation sur
la voie d’accès allait constituer une « nuisance considérable », avant
de conclure de manière motivée à l’absence de violation des règles de
procédure au sens de l’article 42 par. 2, alinéa 3 b) et c), de la loi
sur la Cour administrative.
Compte tenu du fait qu’il s’agit d’une décision d’opportunité
de l’administration et eu égard à la nature des griefs de
Mme Ortenberg, le contrôle de la Cour administrative a, en l’espèce,
répondu aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. Le droit à un procès équitable
35. La requérante se plaint ensuite de ne pas avoir bénéficié d’un
procès équitable.
36. La Cour constitutionnelle ne se trouve pas en cause, faute de
constituer aux fins de la présente affaire un « tribunal » au sens de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphe 32 ci-dessus).
37. Il n’en va pas de même de la Cour administrative. Toutefois,
la Cour européenne constate, avec le Gouvernement, que Mme Ortenberg
ne fournit aucun élément de nature à jeter un doute sur le caractère
équitable de la procédure suivie en l’espèce devant cette juridiction.
3. Le droit à un procès public
38. La requérante reproche à la Cour administrative de n’avoir pas
tenu d’audience.
39. La Cour constate que le grief n’a pas été soulevé devant la
Commission. Partant, elle n’a pas compétence pour l’examiner.
4. Conclusion
40. En résumé, il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1
(art. 6-1).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N° 1
(P1-1)
41. Dans son mémoire, Mme Ortenberg dénonce en outre une atteinte
à son droit de propriété, contraire à l’article 1 du Protocole n° 1
(P1-1).
42. Déclaré irrecevable par la Commission, le 29 juin 1992, pour
tardiveté (articles 26 et 27 par. 3 de la Convention – paragraphe 21
ci-dessus) (art. 26, art. 27-3), le grief sort du cadre du litige
déféré à la Cour. Dès lors, celle-ci n’a pas compétence pour en
connaître.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention quant à l’accès à un tribunal;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention en ce qui concerne le caractère
équitable de la procédure;
3. Dit qu’elle n’a pas compétence pour examiner le grief tiré de
l’absence d’audience devant la Cour administrative;
4. Dit qu’elle n’a pas compétence pour connaître du grief soulevé
sur le terrain de l’article 1 du Protocole n° 1 (P1-1).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience
publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg,
le 25 novembre 1994.
Signé: Rolv RYSSDAL
Président
Signé: Herbert PETZOLD
Greffier f.f.