COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE SUNDAY TIMES c. ROYAUME-UNI (No 2)
(Requête no 13166/87)
ARRÊT
STRASBOURG
26 novembre 1991
En l’affaire Sunday Times c. Royaume-Uni (no 2)[*],
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 51 de son règlement[*] et composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir Vincent Evans,
MM. R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
S.K. Martens,
Mme E. Palm,
MM. I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
J.M. Morenilla,
F. Bigi,
A. Baka,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 juin et 24 octobre 1991,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour le 12 octobre 1990 par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission »), puis le 23 novembre 1990 par le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (« le Gouvernement »), dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A son origine se trouve une requête (no 13166/87) dirigée contre le Royaume-Uni et dont Times Newspapers Ltd, société enregistrée en Angleterre, et M. Andrew Neil, citoyen britannique, avaient saisi la Commission le 31 juillet 1987 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), larequête du Gouvernement à l’article 48 (art. 48). Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences de l’article 10 (art. 10) ainsi que, dans le cas de la demande, des articles 13 et 14 (art. 13, art. 14).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, les requérants ont manifesté le désir de participer à l’instance et désigné leurs conseils (article 30).
3. Le 15 octobre 1990, le président de la Cour a estimé qu’il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l’article 21 par. 6 du règlement et dans l’intérêt d’une bonneadministration de la justice, l’examen de la présente cause et de l’affaire Observer et Guardian[*].
La chambre ainsi constituée comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour(article 21 par. 3 b) du règlement). Le 26 octobre, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. J. Cremona, Mme D. Bindschedler-Robert, M. F. Matscher, M. R. Macdonald, M. C. Russo, M. R. Bernhardt et M. R. Pekkanen, en présence du greffier (articles 43[*] in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et les conseils des requérants sur la nécessité d’une procédure écrite (article 37 par. 1) et la date de l’audience (article 38).
Conformément à ses ordonnances et directives, le greffier a reçu le mémoire des requérants le 2 avril 1991, puis le 18 celui du Gouvernement. Par une lettre du 31 mai, le secrétaire de laCommission l’a avisé que le délégué s’exprimerait de vive voix.
5. Le 21 mars 1991, la chambre a décidé, en vertu de l’article 51 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière.
6. Le 25 mars 1991, le président a autorisé « Article 19 » (le Centre international contre la censure), en vertu de l’article 37 par. 2 du règlement, à présenter des observations écrites sur un aspect particulier de l’affaire. Elles sont arrivées le 15 mai, à l’expiration du délai fixé par lui.
7. Ainsi qu’il en avait disposé, les débats consacrés à la présente cause et à l’affaire Observer et Guardian se sont déroulés en public le 25 juin 1991, au Palais des Droits de l’Homme àStrasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
Mme A. Glover, conseiller juridique,
ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,
agent,
M. N. Bratza, Q.C.,
M. P. Havers, Barrister-at-Law, conseils,
Mme S. Evans, ministère de l’Intérieur,
M. D. Brummell, Treasury Solicitor, conseillers;
– pour la Commission
M. E. Busuttil, délégué;
– pour les requérants en l’espèce
M. A. Lester, Q.C.,
M. D. Pannick, Barrister-at-Law, conseils,
M. M. Kramer,
Mme K. Rimell, solicitors,
M. A. Whitaker, Legal Manager, Times Newspapers Ltd, conseiller;
– pour les requérants dans l’affaire Observer et Guardian
M. D. Browne, Q.C., conseil,
Mme J. McDermott, solicitor.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses aux questions du président, M. Bratza pour le Gouvernement, M. Busuttil pour la Commission, MM. Lester et Browne pour les requérants.
8. Le 5 août 1991, le greffier a reçu du Gouvernement ses observations sur les prétentions des intéressés au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention puis de ceux-ci, le 13 septembre, leur réponse auxdites observations et, les 4 et 7 octobre, des précisions sur leurs demandes. Par une lettre du 3 octobre, un adjoint au secrétaire de la Commission l’a informé que la question n’appelait pas de commentaires de la part du délégué.
EN FAIT
I. INTRODUCTION
A. Les requérants
9. Les requérants – désignés conjointement ci-après par « S.T. » – sont Times Newspapers Ltd, éditeur de l’hebdomadaire national britannique du dimanche The Sunday Times, et M. Andrew Neil, son rédacteur en chef. Ils reprochent aux juridictions anglaises de leur avoir imposé des interdictions provisoires de publier des éléments du livre Spycatcher et des informations émanant de son auteur, M. Peter Wright.
B. Les injonctions provisoires (interlocutory injunctions)
10. Dans un procès, quand le demandeur sollicite le prononcé d’une injonction permanente contre le défendeur, les tribunaux anglais jouissent du pouvoir discrétionnaire de lui en accorder une de caractère provisoire; imposant une restriction temporaire, valable jusqu’à la décision au principal, elle a pour but de sauvegarder ses intérêts dans l’intervalle. En général, il se voit alorsinviter à s’engager à verser des dommages et intérêts à la partie adverse au cas où celle-ci l’emporterait pour finir.
Les principes régissant la délivrance de telles injonctions ont été mentionnés dans les instances suivies en l’espèce; définis dans l’affaire American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd (AppealCases 1975, p. 396), ils peuvent se résumer ainsi.
a) Il n’appartient pas au tribunal, à ce stade, d’essayer de trancher des questions de fait controversées ou des points de droit délicats, exigeant une argumentation et une réflexion approfondies.
b) A moins que le dossier ne révèle pas en l’état l’existence de chances réelles, pour le demandeur, d’obtenir l’injonction permanente souhaitée par lui, le tribunal doit rechercher, à lalumière des circonstances de la cause, si la balance des avantages et inconvénients (balance of convenience) penche pour ou contre l’octroi de la mesure provisoire réclamée.
c) Il ne faut normalement pas prononcer d’injonction provisoire lorsqu’une indemnité fournirait au demandeur une réparation suffisante s’il gagnait le procès, mais rien ne s’oppose à ladélivrance de pareille injonction lorsqu’il en va autrement et que les dommages et intérêts à verser par le demandeur conformément à sa promesse, s’il succombait, procureraient au défendeur une compensation appropriée.
d) La question de la balance des avantages et inconvénients se pose s’il existe un doute quant à l’adéquation des possibilités d’indemnisation s’offrant à l’une des parties ou aux deux.
e) Si les autres facteurs paraissent s’équilibrer, la prudence commande d’opter pour des mesures aptes à préserver le statu quo.
C. Spycatcher
11. M. Peter Wright travailla pour le gouvernement britannique comme agent haut placé des services britanniques de sécurité (MI5) de 1955 à 1976, année où il résigna ses fonctions. Par la suite, sans autorisation préalable de ses anciens employeurs, il écrivit ses mémoires, sous le titre Spycatcher, et prit des dispositions pour les faire publier en Australie, où il vivait alors. Le livre traitait des structures, des méthodes et du personnel du MI5. En outre, il relatait des activités prétendument illégales des services de sécurité: l’auteur affirmait notamment que le MI5 en avait mené pour ébranler le gouvernement travailliste de 1974-1979; qu’il avait cambriolé et truffé de micros les ambassades de pays alliés et hostiles; qu’il avait conçu et opéré d’autres activités illégales et secrètes dans le pays comme à l’étranger; et que Sir Roger Hollis, qui le dirigeait vers la fin de la carrière de l’intéressé, était un agent soviétique.
Auparavant, M. Wright avait en vain cherché à persuader le gouvernement britannique de soumettre ces allégations à une enquête indépendante. Semblable enquête fut aussi demandée en 1987, notamment par diverses personnalités éminentes du gouvernement travailliste de 1974-1979, mais en pure perte.
12. Une partie du contenu de Spycatcher avait déjà paru dans certains livres de M. Chapman Pincher sur les services de sécurité. De plus, en juillet 1984 M. Wright avait accordé à la « Granada Television », chaîne privée fonctionnant au Royaume-Uni, une assez longue interview – qui fut rediffusée en décembre 1986 – au sujet du travail des services en question. Vers la même époque, leurs méthodes et secrets firent l’objet d’autres ouvrages et d’une autre émission télévisée, sans grande réaction du gouvernement.
D. La procédure engagée en Australie
13. En septembre 1985, l’Attorney General d’Angleterre et du Pays de Galles (« l’Attorney General ») introduisit au nom du gouvernement britannique, devant l’Equity Division de la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud (Australie), une instance tendant à voir interdire la publication de Spycatcher ainsi que de tout renseignement y figurant et ayant sa source dans le travail de M. Wright pour les services de sécurité. Il se fondait non sur la notion de secret d’État, mais sur l’idée que la divulgation de tels renseignements par M. Wright constituerait un manquement, notamment, au devoir de discrétion résultant de son emploi passé. Le 17 septembre, l’intéressé et ses éditeurs, Heinemann Publishers Australia Pty Ltd, prirent l’engagement – qu’ilsrespectèrent – de ne rien publier en attendant l’examen de la demande du gouvernement.
Tout au long de la procédure en Australie, ce dernier s’attaqua au livre comme tel; il refusa d’indiquer quels passages il jugeait nuisibles à la sécurité nationale.
II. LA PROCÉDURE DE RÉFÉRÉ (INTERLOCUTORY PROCEEDINGS) EN ANGLETERRE ET LES ÉVÉNEMENTS AYANT MARQUÉ SON DÉROULEMENT
A. Les articles de l’Observer et du Guardian; les injonctions prononcées à leur suite
14. Alors que la procédure australienne demeurait pendante, l’hebdomadaire national britannique du dimanche l’Observer et le quotidien national britannique The Guardian publièrent dans leurs pages intérieures, les dimanche 22 et lundi 23 juin 1986 respectivement, de brefs articles signalant l’audience à venir et donnant certains détails du contenu du manuscrit de Spycatcher.Depuis quelque temps, les deux journaux menaient campagne en faveur d’une enquête indépendante relative au fonctionnement des services de sécurité. Les indications fournies incluaient les allégations ci-après d’agissements irréguliers, délictueux et inconstitutionnels d’agents du MI5:
a) le MI5 avait posé des micros clandestins lors de toutes les conférences diplomatiques organisées à Lancaster House, à Londres, dans les années 1950 et 1960, ainsi que lors des négociations de 1979 pour l’indépendance du Zimbabwe;
b) il avait fait de même chez des diplomates français, allemands, grecs et indonésiens, ainsi que dans la suite d’hôtel occupée par M. Khrouchtchev pendant sa visite en Grande-Bretagne vers 1950, et s’était, de manière routinière, rendu coupable de cambriolages et de poses de micros (en particulier de pénétrations par effraction dans des consulats soviétiques à l’étranger);
c) il avait en vain conspiré pour assassiner le président égyptien Nasser lors de la crise de Suez;
d) il avait comploté contre Harold Wilson pendant son mandat de premier ministre de 1974 à 1976;
e) il avait détourné (au mépris de ses instructions) une partie de ses crédits pour enquêter sur des groupes politiques de gauche en Grande-Bretagne.
Les articles de l’Observer et du Guardian, rédigés respectivement par MM. David Leigh et Paul Lashmar et par M. Richard Norton-Taylor, se fondaient sur les investigations menées par ceux-ci auprès de sources confidentielles, et non sur des communiqués de presse internationaux ou documents analogues accessibles à chacun. Cependant, une bonne partie des informations y figurant avait déjà paru ailleurs (paragraphe 12 ci-dessus). Les juridictions anglaises en inférèrent par la suite que les renseignements des journalistes émanaient très probablement des bureaux des éditeurs de Spycatcher ou des solicitors agissant en leur nom et au nom de l’auteur (voir la décision rendue le 21 décembre 1987 par le juge Scott, paragraphe 40 ci-dessous).
15. L’Attorney General engagea devant la Chancery Division de la High Court of Justice d’Angleterre et du Pays de Galles, pour manquement au devoir de discrétion, une action contre TheObserver Ltd, propriétaire et éditeur de l’Observer, M. Donald Trelford, rédacteur en chef, et MM. Leigh et Lashmar, ainsi que contre Guardian Newspapers Ltd, propriétaire et éditeur du Guardian, M. Peter Preston, rédacteur en chef, et M. Norton-Taylor.
Il demandait au tribunal d’interdire à titre permanent aux défendeurs – désignés conjointement ci-après par « O. et G. » – de publier tout renseignement tiré de Spycatcher. Il se fondait sur l’idée que les informations contenues dans les mémoires revêtaient un caractère confidentiel; or si un tiers entrait en possession de renseignements qu’il savait provenir d’un manquement au devoir de discrétion, il assumait envers leur source première la même obligation que leur bénéficiaire originel. Il fut admis que l’octroi de dommages et intérêts eût constitué pour l’Attorney General une réparation insuffisante et inadéquate; seule une injonction répondrait à son attente.
16. Les preuves produites à l’appui de la demande consistaient en deux attestations sous serment que Sir Robert Armstrong, secrétaire du Conseil des Ministres britannique, avait signées les 9 et 27 septembre 1985 pour la procédure pendante en Australie. Il y affirmait notamment que la publication de tout récit reposant sur des informations accessibles à M. Wright en sa qualité de membre des services de sécurité causerait des dommages incalculables, aussi bien aux services eux-mêmes qu’à leurs agents et aux autres personnes identifiées, en raison des indiscrétions qu’elle impliquait. Elle ébranlerait aussi la confiance des pays amis, ainsi que d’autres organisations et personnes, dans les services de sécurité et créerait le risque de voir d’autres agents ou ex-agents de ces derniers chercher à publier des renseignements analogues.
17. Le 27 juin 1986, l’Attorney General obtint le prononcé d’ordonnances sur requête qui prohibaient pareille publication jusqu’à l’issue des procès au fond. Saisi par O. et G., le juge Millett, siégeant dans la Chancery Division, décida, après une audience contradictoire qui eut lieu le 11 juillet, qu’elles resteraient en vigueur sous réserve de quelques modifications. Il accorda aux défendeurs la faculté d’en solliciter l’amendement ou la levée moyennant un préavis de vingt-quatre heures.
18. Les motifs sur lesquels il s’appuyait peuvent se résumer brièvement ainsi.
a) À divulguer des informations acquises en qualité de membre des services de sécurité, M. Wright enfreindrait son devoir de discrétion.
b) O. et G. voulaient publier d’autres renseignements – inédits ou non – provenant directement ou indirectement de M. Wright et révélant des activités prétendument illégales des services de sécurité.
c) Ni le droit à la liberté d’expression, ni celui d’empêcher la divulgation d’informations reçues sous le sceau du secret n’étaient absolus.
d) Appelé à résoudre un conflit entre deux intérêts publics – s’opposer à de telles divulgations ou les autoriser -, le tribunal devait avoir égard à toutes les considérations pertinentes, dont lesfaits suivants: il s’agissait d’une demande en référé et non du procès au principal; les injonctions sollicitées à ce stade n’étaient que temporaires; les refuser pourrait causer un tort irréparable et priver en pratique l’Attorney General de ses droits. Dans de telles circonstances, le tribunal devait trancher en faveur de l’interdiction sauf s’il constatait l’existence d’un moyen de défense d’ordre public et de nature à prospérer, par exemple si la publication projetée concernait des actes illégaux dont l’intérêt public exigeait la révélation. On pouvait voir dans cette démarche soit une exception aux principes « American Cyanamid » (paragraphe 10 ci-dessus), soit leur application à un cas d’espèce où chacune des deux parties invoquait l’intérêt général.
e) L’Attorney General en avait moins à la diffusion d’assertions concernant les services de sécurité qu’à leur origine: elles émanaient d’un ancien agent desdits services. Or voilà le fait précis que souhaitaient publier O. et G. Des preuves crédibles – les deux attestations sous serment de Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus) – étayaient la thèse selon laquelle l’apparence de confidentialité était indispensable au fonctionnement des services de sécurité, lesquels ne pourraient s’acquitter efficacement de leur tâche, avec les risques qui en résulteraient pour la sécurité nationale, si l’on savait leurs membres haut placés libres de divulguer ce qu’ils avaient appris durant leur carrière. Sans doute fallait-il encore examiner ces preuves pendant le procès au fond, mais le refus de prononcer une injonction provisoire ouvrirait la porte à une publication indirecte et priverait à jamais l’Attorney General des droits qu’il pouvait invoquer devant le tribunal. Si l’on se souvenait, notamment, que les activités illégales alléguées avaient eu lieu dans un passé assez lointain, aucun intérêt impérieux n’exigeait du reste de les révéler sans plus tarder plutôt qu’après le procès.
Par la suite, la cour d’appel (paragraphes 19 et 34 ci-dessous) puis, à l’unanimité, la commission de recours de la Chambre des Lords (paragraphes 35-36 ci-dessous) estimèrent que le juge Millett avait eu raison de rendre ces premières ordonnances sur requête.
19. Le 25 juillet 1986, la cour d’appel débouta O. et G. d’un recours formé par eux et confirma les ordonnances, sous réserve de légères modifications. Se référant aux principes « AmericanCyanamid » (paragraphe 10 ci-dessus), elle considéra que le juge Millett ne s’était pas fourvoyé et n’avait pas usé de son pouvoir d’appréciation sur une base erronée. Elle refusa l’autorisation de saisir la Chambre des Lords et déclara que l’affaire se prêtait à une décision à bref délai.
Telles qu’elle les amenda, les ordonnances (« les ordonnances Millett ») interdisaient à O. et G., jusqu’au procès au principal ou jusqu’à nouvel ordre,
« 1. de révéler ou publier, ou faire ou laisser révéler ou publier, à l’intention de quiconque, toute information recueillie par Peter Maurice Wright en sa qualité d’agent des services britanniques de sécurité et dont ils sav[ai]ent ou [avaient] des raisons de penser qu’elle prov[enait] ou [avait] été obtenue directement ou indirectement de lui;
2. d’attribuer à l’intéressé, nommément ou non, dans toute révélation ou publication de leur part destinée à qui que ce [fût], tout renseignement relatif aux services britanniques de sécurité. »
Elles contenaient les tempéraments suivants:
« 1. la présente ordonnance n’interdit pas de citer textuellement des affirmations de Peter Maurice Wright, soit qu’elles figurent dans des ouvrages déjà publiés de M. Chapman Pincher, soit qu’il les ait proférées en personne dans une ou plusieurs émissions de la chaîne de télévision ‘Granada’;
2. ne l’enfreindra pas la révélation ou publication de tout élément cité en audience publique devant la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud, sauf si le juge y siégeant la prohibe, ou qu’il ne sera pas interdit de publier après le procès en cours devant celle-ci dans l’affaire no 4382 de 1985;
3. ne l’enfreindra pas un compte rendu fidèle et objectif de débats a) de l’une quelconque des chambres du Parlement du Royaume-Uni si elle consent à leur publication; ou b) devant une juridiction du Royaume-Uni siégeant en audience publique. »
20. Le 6 novembre 1986, la commission de recours de la Chambre des Lords autorisa O. et G. à se pourvoir contre la décision de la cour d’appel. Ils se désistèrent par la suite à la lumière de son arrêt du 30 juillet 1987 (paragraphes 35-36 ci-dessous).
B. Le jugement de première instance en Australie
21. Le procès relatif à l’action intentée en Australie par le gouvernement britannique (paragraphe 13 ci-dessus) eut lieu en novembre et décembre 1986. Au Royaume-Uni et ailleurs, les media le rapportèrent en détail. Le 13 mars 1987, le juge Powell repoussa la demande de l’Attorney General contre M. Wright et ses éditeurs; il estima que beaucoup des informations données par Spycatcher n’étaient plus confidentielles et que la publication des autres ne léserait ni le gouvernement britannique ni les services de sécurité. Là-dessus, il rendit une ordonnance relevant les défendeurs de leur engagement de ne pas publier.
L’Attorney General saisit alors la cour d’appel de Nouvelle-Galles du Sud qui, après avoir tenu audience dans la semaine du 27 juillet 1987, réserva sa décision. Les intimés avaient à nouveau promis de ne pas publier jusqu’à l’issue du recours.
C. Les articles de presse ultérieurs concernant Spycatcher; l’affaire Independent
22. Le 27 avril 1987, un long résumé de certaines des allégations figurant dans Spycatcher parut dans le quotidien national britannique The Independent; il prétendait se fonder sur une copie du manuscrit. Plus tard dans la même journée, le London Evening Standard et le London Daily News publièrent des articles tirés de ce résumé.
Le lendemain, l’Attorney General sollicita devant la Queen’s Bench Division de la High Court l’autorisation de poursuivre les éditeurs et rédacteurs en chef de ces trois journaux pour contempt of court, c’est-à-dire à raison d’un comportement visant à entraver l’administration de la justice ou à lui nuire. Il l’obtint le 29 avril. Dans cette procédure (« l’affaire Independent »), il n’agissait pas – comme dans l’instance pendante contre O. et G. pour divulgation d’informations confidentielles – à titre de représentant du gouvernement, mais de manière indépendante et en sa qualité de « gardien de l’intérêt public à une bonne administration de la justice ».
Des articles analogues à ceux du 27 avril sortirent le 29 en Australie dans le Melbourne Age et le Canberra Times, puis le 3 mai aux États-Unis d’Amérique dans le Washington Post.
23. Le 29 avril 1987, O. et G. réclamèrent la levée des ordonnances Millett (paragraphe 19 ci-dessus). D’après eux, les circonstances avaient nettement changé depuis lors; ils en voulaient pour preuve ce que la procédure australienne avait laissé filtrer et les articles insérés dans la presse britannique le 27 avril.
Les débats relatifs à leurs demandes s’ouvrirent le 7 mai devant le vice-chancelier, Sir Nicolas Browne-Wilkinson, mais il les suspendit en attendant le règlement d’une question juridique préliminaire, soulevée dans l’affaire Independent (paragraphe 22 ci-dessus) et dont leur résultat lui semblait largement tributaire: « le fait, pour une personne, de se livrer à une publication en pleine connaissance d’une ordonnance rendue contre un tiers et que celui-ci enfreindrait s’il agissait de même, s’analyse-t-il en un délit de contempt of court au motif qu’il perturbe ou entrave le cours de la justice quant à ladite ordonnance? » Le 11 mai, à l’invitation du vice-chancelier, l’Attorney General poursuivit la procédure dans l’affaire Independent devant la Chancery Division de la High Court et le vice-chancelier résolut d’aborder la question préliminaire.
24. Le 14 mai 1987, Viking Penguin Incorporated, qui avait acheté aux éditeurs australiens de M. Wright les droits de publication de Spycatcher aux États-Unis, exprima l’intention d’y publier le livre.
25. Le 2 juin 1987, le vice-chancelier trancha la question préliminaire dans l’affaire Independent. Il jugea que les articles parus le 27 avril 1987 (paragraphe 22 ci-dessus) ne pouvaient, en droit, constituer un contempt of court: ils ne violaient pas les termes mêmes des ordonnances Millett et ni celles-ci, ni leur violation éventuelle par leurs destinataires ne concernaient directement les trois journaux en cause. L’Attorney General interjeta appel.
26. Le 15 juin 1987, O. et G. sollicitèrent la reprise de l’instruction de leur demande de levée desdites ordonnances en invoquant le projet de publication aux États-Unis (paragraphe 23 ci-dessus). La question fut toutefois tenue en suspens jusqu’à l’issue du recours formé par l’Attorney General dans l’affaire Independent, dont l’examen débuta le 22 juin.
D. Le Sunday Times commence à publier Spycatcher en feuilleton
27. Le 12 juillet 1987, le Sunday Times, qui avait acheté aux éditeurs australiens de M. Wright les droits de publication par épisodes dans la presse britannique et s’était procuré une copie du manuscrit auprès de Viking Penguin Incorporated, aux États-Unis, inséra dans ses dernières éditions, afin d’éviter le risque d’une action en référé, une première série d’extraits de Spycatcher. Il expliqua que l’opération était programmée pour coïncider avec la publication du livre aux États-Unis, prévue pour le 14 juillet.
Le 13 juillet, l’Attorney General assigna S.T. en justice, pour contempt of court, au motif que la publication déjouait le but des ordonnances Millett.
E. La publication de Spycatcher aux États-Unis d’Amérique
28. Le 14 juillet 1987, Viking Penguin Incorporated publia Spycatcher aux États-Unis d’Amérique; quelques exemplaires avaient été mis en vente dès la veille. Le livre connut d’emblée un énorme succès. Le gouvernement britannique, avisé qu’une action destinée à interdire la publication aux États-Unis n’aboutirait pas, n’entreprit rien en ce sens dans ce pays, ni au Canada où l’ouvrage devint aussi un « best-seller ».
29. Un grand nombre d’exemplaires de Spycatcher furent alors importés au Royaume-Uni, notamment par des citoyens britanniques qui l’avaient acheté soit lors d’un séjour aux États-Unis soit, par téléphone ou par courrier, auprès de librairies américaines. Les numéros de téléphone et adresses de telles maisons, prêtes à l’envoyer au Royaume-Uni, y étaient largement diffusés par voie de publicité. Le gouvernement britannique jugea préférable de ne pas user de son pouvoir d’empêcher pareilles importations, estimant que la mesure avait de fortes chances de resterinefficace. En revanche, il fit en sorte que l’on ne pût trouver le livre dans les librairies ou bibliothèques publiques au Royaume-Uni.
F. L’issue de l’affaire Independent
30. Le 15 juillet 1987, la cour d’appel annonça qu’elle allait réformer la décision du vice-chancelier dans l’affaire Independent (paragraphe 25 ci-dessus). Ses motifs, communiqués le 17, étaient pour l’essentiel les suivants: les ordonnances Millett voulaient préserver la confidentialité des renseignements contenus dans Spycatcher, en attendant le résultat final des actions engagées contre O. et G.; le comportement de l’Independent, du London Evening Standard et du London Daily News pouvait, en droit, constituer un délit de contempt of court car la divulgation desdits renseignements supprimerait leur caractère confidentiel, priverait donc ces mêmes actions de leur objet et, dès lors, entraverait l’administration de la justice. La cour d’appel renvoya l’affaire à la High Court, qu’elle chargea de déterminer si les trois journaux avaient agi dans le dessein de provoquer pareille entrave (articles 2 par. 3 et 6 c) de la loi de 1981 sur le contempt of court).
31. Elle refusa aux intimés l’autorisation de saisir la Chambre des Lords et ils ne la demandèrent pas directement auprès de cette dernière. Ils ne s’adressèrent pas davantage à la HighCourt afin qu’elle modifiât les ordonnances Millett. L’arrêt de la cour d’appel aboutit à rendre celles-ci obligatoires pour tous les media britanniques, y compris le Sunday Times.
G. L’issue des procédures en référé dans les affaires Observer, Guardian et Sunday Times; le maintien des ordonnances Millett
32. S.T. indiqua clairement que sauf à se le voir interdire en justice, il publierait le deuxième épisode du feuilleton Spycatcher le 19 juillet 1987. Le 16, l’Attorney General sollicita une injonction prohibant l’insertion de nouveaux extraits dans les colonnes de l’hebdomadaire, car elle constituerait un contempt of court en raison de l’effet combiné des « ordonnances Millett » et de la décision finale en l’affaire Independent (paragraphe 30 ci-dessus).
Le vice-chancelier délivra le même jour une telle injonction, valable jusqu’au 21 juillet 1987. Il fut convenu qu’il examinerait, le 20, la requête d’O. et G. en mainlevée des « ordonnances Millett » (paragraphe 26 ci-dessus) et que S.T., lié en fait lui aussi par elles, aurait le droit de plaider à l’appui de ladite requête. Il fut en outre décidé que le vice-chancelier instruirait de surcroît la demande d’injonction contre S.T. formulée par l’Attorney General et qu’il la repousserait s’il rapportait les ordonnances Millett.
33. Après avoir ouï les comparants du 20 au 22 juillet 1987, le vice-chancelier statua à cette dernière date, révoquant les ordonnances et rejetant la demande d’injonction.
Les motifs de sa décision peuvent se résumer brièvement ainsi.
a) Eu égard notamment à la publication aux États-unis (paragraphes 28-29 ci-dessus), la situation avait subi un changement complet et il fallait rechercher si les injonctions se justifieraientdans les nouvelles circonstances.
b) Vu la jurisprudence, et malgré la transformation du contexte, il fallait présumer que l’Attorney General disposait encore d’arguments défendables pour arriver à l’octroi d’une ordonnance contre O. et G. au moment du procès au fond; les principes « American Cyanamid » ordinaires (paragraphe 10 ci-dessus) trouvaient donc à s’appliquer.
c) Comme une indemnité constituerait pour l’Attorney General une réparation inefficace et n’en fournirait aucune aux journaux, il y avait lieu de mettre en balance les avantages et inconvénients; la préservation de la confidentialité devait prévaloir sauf si un autre intérêt public pesait plus lourd.
d) Pour le maintien des injonctions jouaient les éléments suivants: il ne s’agissait que d’une procédure de référé; il n’y avait rien de neuf ou d’urgent au sujet des allégations de M. Wright; les ordonnances lieraient tous les media, de sorte que ne surgirait aucun problème de discrimination; des promesses de ne pas publier demeuraient en vigueur en Australie; lever les injonctions signifierait que les tribunaux étaient incapables de sauvegarder la confidentialité; les maintenir dissuaderait les personnes tentées d’imiter M. Wright.
e) En faveur de leur levée militaient les considérations ci-après: la publication aux États-Unis avait, dans une large mesure, privé d’objet les actions engagées par l’Attorney General; lespublications dans la presse, surtout quand elles concernaient des allégations d’agissements illégaux dans les services publics, ne devaient être interdites que si l’on ne pouvait l’éviter; les tribunaux perdraient tout crédit s’ils rendaient des ordonnances manifestement inaptes à atteindre leur but.
f) Les deux plateaux s’équilibraient assez bien et la décision n’était point évidente, mais non sans hésitation la balance penchait du côté de la levée des injonctions.
L’Attorney General attaqua aussitôt la décision du vice-chancelier; les ordonnances contre O. et G., mais non contre S.T. (paragraphe 32 ci-dessus), restèrent en vigueur pendant l’examen du recours.
34. Dans un arrêt du 24 juillet 1987, la cour d’appel déclara:
a) que le vice-chancelier ayant commis plusieurs erreurs de droit, elle pouvait exercer son propre pouvoir d’appréciation;
b) que la publication de Spycatcher aux États-Unis rendait inadéquat le maintien des ordonnances Millett dans leur forme originale;
c) qu’il convenait, en revanche, de les amender de manière à interdire la publication, à titre professionnel, de tout ou partie du livre ou d’autres affirmations de M. Wright, ou à lui attribuées, sur des questions de sécurité, tout en permettant « un résumé » de ses allégations « en termes très généraux ».
D’après les membres de la cour d’appel, le maintien des ordonnances aiderait à restaurer la confiance dans les services de sécurité, en montrant que des mémoires ne pouvaient paraître sans autorisation (Sir John Donaldson, Master of the Rolls), et à protéger les droits de l’Attorney General jusqu’au procès (Lord Justice Ralph Gibson); il cadrerait avec l’obligation, pour les tribunaux, de décourager la diffusion de textes écrits au mépris du devoir de discrétion (Lord Justice Russell).
La cour d’appel accorda aux parties le droit de saisir la Chambre des Lords.
35. Après avoir entendu les parties du 27 au 29 juillet 1987 (aucune d’elles n’approuva la solution de compromis adoptée par la cour d’appel), la commission de recours (AppellateCommittee) de la Chambre des Lords statua le 30 juillet. Par trois voix (Lord Brandon of Oakbrook, Lord Templeman et Lord Ackner) contre deux (Lord Bridge of Harwich, président sortant de la commission des affaires de sécurité, et Lord Oliver of Aylmerton), elle se prononça pour le maintien des ordonnances Millett. En réalité, elles demeurèrent en vigueur jusqu’à l’ouverture, le 23 novembre 1987, des audiences relatives au bien-fondé des actions intentées pour divulgation d’informations confidentielles (paragraphe 39 ci-dessous).
La majorité décida en outre d’en élargir la portée en supprimant une partie des tempéraments qui avaient permis de rendre compte à certaines conditions de la procédure australienne (paragraphe 19 ci-dessus), car les injonctions risquaient d’être tournées si des journaux anglais reproduisaient des passages de Spycatcher lus en audience publique. D’après le Gouvernement, cet amendement n’eut aucune incidence pratique sur les articles consacrés à ladite procédure.
36. Le 13 août 1987, les membres de la commission de recours donnèrent par écrit leurs motifs qui peuvent se résumer brièvement ainsi.
a) Lord Brandon of Oakbrook
i. Les actions de l’Attorney General contre O. et G. tendaient à sauvegarder un intérêt public important: préserver le plus possible le caractère secret des services de sécurité; comme le reconnaît l’article 10 par. 2 (art. 10-2) de la Convention, le droit à la liberté d’expression est sujet à certaines exceptions, dont la protection de la sécurité nationale.
ii. Purement temporaires, les interdictions litigieuses avaient pour but d’assurer le statu quo jusqu’au procès, et leur maintien ne préjugeait pas de la décision à prendre au principal sur la demande d’injonctions permanentes.
iii. On ne pouvait pas vraiment contester l’opinion, émise par les juridictions inférieures avant la publication aux États-Unis, selon laquelle l’Attorney General disposait d’arguments très valables pour obtenir de telles ordonnances au procès.
iv. Ladite publication avait certes affaibli ces arguments, mais ils restaient défendables; on ne savait trop si, en droit, elle avait eu pour résultat de relever la presse de son devoir de non-divulgation. Sans doute les dommages potentiels signalés par Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus) s’étaient-ils déjà réalisés pour la plupart, mais les tribunaux demeuraient peut-être à même d’arrêter des mesures aptes à limiter le risque de voir d’autres agents des services de sécurité provoquer à l’avenir des préjudices analogues, danger si grave qu’ils devaient s’évertuer à le minimiser.
v. Il existait un seul moyen de bien apprécier la valeur de la thèse de l’Attorney General et de ménager un juste équilibre entre les intérêts publics en jeu: organiser un procès sur le fond, au cours duquel des preuves seraient produites et soumises à une discussion contradictoire.
vi. Un retrait immédiat des injonctions réduirait cette même thèse à néant au stade de la procédure de référé, sans que l’Attorney General eût eu l’occasion de l’exposer en s’appuyant sur des preuves appropriées.
vii. Leur maintien jusqu’au procès ne ferait, en cas de rejet des demandes de l’Attorney General, que retarder, sans l’empêcher, l’exercice du droit des journaux à publier des informations qui, d’ailleurs, se rapportaient à des événements remontant à un passé lointain.
viii. Entre une solution ne pouvant nuire à la cause de la presse que de manière temporaire et nullement irréparable, et une autre qui pouvait porter à celle de l’Attorney General un préjudice définitif, les intérêts généraux de la justice obligeaient à préférer la première.
b) Lord Templeman (qui marquait son accord avec Lord Brandon et Lord Ackner)
i. Le recours concernait un conflit entre le droit du public à être protégé par les services de sécurité et son droit à recevoir de la presse des informations complètes. Il amenait dès lors à prendre en compte la Convention; il s’agissait de savoir si l’ingérence découlant des ordonnances était, le 30 juillet 1987, nécessaire dans une société démocratique pour un ou plusieurs des motifs énumérés à l’article 10 par. 2 (art. 10-2).
ii. Au regard de la Convention, les interdictions s’analysaient en mesures nécessaires à la sécurité nationale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles et pour garantir l’autorité du pouvoir judiciaire. Elles empêcheraient de léser les services de sécurité, notamment par la diffusion à grande échelle, aujourd’hui et demain, d’accusations auxquelles leurs membres ne pouvaient répondre. Leur levée eût doté la presse du pouvoir de se soustraire à une ordonnance judiciaire destinée à protéger la confidentialité des renseignements recueillis par un agent desdits services.
c) Lord Ackner (qui approuvait Lord Templeman)
i. Les membres de la commission de recours estimaient tous: que l’Attorney General disposait d’arguments défendables pour demander une injonction permanente; que des dommages-intérêts n’offriraient aucune utilité pour l’État: si les ordonnances Millett ne demeuraient pas en vigueur, il perdrait à jamais toute chance de voir prononcer des interdictions permanentes lors du procès; que le maintien desdites ordonnances ne constituait pas un « muselage définitif » de la presse: si elle gagnait le procès, elle acquerrait la faculté de publier des textes dénués pour l’instant de toute urgence; qu’il existait un intérêt public, réel et digne de protection, à un fonctionnement efficace des services de sécurité; qu’il commandait – les journaux ne le contestaient pas – de décourager l’utilisation du marché britannique pour répandre les mémoires non autorisés d’agents de ces services.
ii. Il y aurait donc déni de justice à refuser de maintenir les ordonnances jusqu’au procès: on balayerait sans débat l’élément intérêt public et priverait l’Attorney General, de manière prématurée et permanente, de la protection des tribunaux.
d) Lord Bridge of Harwich
i. La thèse favorable au maintien des ordonnances Millett – appropriées à l’origine – n’aurait pas plus de force au moment du procès que dans l’immédiat; il serait absurde de les proroger à titre temporaire si l’on ne pouvait démontrer que des interdictions permanentes se justifiaient.
ii. Le public ayant désormais libre accès aux allégations de Spycatcher, les ordonnances ne pouvaient manifestement plus servir l’intérêt de la sécurité nationale en protégeant des informations sensibles.
iii. L’Attorney General pouvait probablement encore invoquer l’existence d’une obligation formelle à la charge des journaux, mais il s’agissait de savoir si les ordonnances Millett restaient aptes à protéger un intérêt de sécurité nationale assez impérieux pour légitimer l’atteinte à la liberté d’expression qui en résultait. L’argument tiré de l’effet dissuasif de leur maintien ne pesait pas lourd.
iv. Essayer de priver le public britannique d’informations librement accessibles ailleurs constituait un net pas en arrière vers la censure, caractéristique d’un régime totalitaire, et conduirait, si l’on persistait, à la condamnation et à l’humiliation du Gouvernement par la Cour européenne des Droits de l’Homme.
e) Lord Oliver of Aylmerton
i. L’ordonnance initiale du juge Millett était entièrement fondée.
ii. Au début, les interdictions visaient à préserver la confidentialité d’allégations alors non publiées, mais la publication de Spycatcher l’avait définitivement réduite à néant. On pouvait se demander s’il se justifiait de recourir à des injonctions contre les journaux (qui n’avaient contribué en rien à cette publication) pour atteindre l’ultime but qu’elles pouvaient servir: punir M. Wright et fournir un exemple pour d’autres.
iii. Les journaux avaient présenté leur défense en partant de l’idée que l’Attorney General disposait toujours d’arguments solides pour obtenir des injonctions durables, et l’opinion selon laquelle le nouveau et délicat point de droit soulevé ne devrait pas se trancher sans un complément de discussion au procès ne manquait pas de valeur. Toutefois, eu égard à l’accessibilité générale des renseignements figurant dans Spycatcher, on n’apercevait guère le moyen de plaider avec succès que les journaux devaient se voir interdire en permanence de les publier, et lathèse de l’Attorney General avait peu de chances de se renforcer dans l’intervalle. Il ne subsistait donc aucune raison plausible de prononcer de telles interdictions au moment du procès, de sorte qu’il fallait lever les ordonnances Millett.
H. L’issue de la procédure en Australie; la poursuite de la publication de Spycatcher
37. Par un arrêt du 24 septembre 1987, la cour d’appel de Nouvelle-Galles du Sud rejeta le recours de l’Attorney General (paragraphe 21 ci-dessus); d’après la majorité, aucune juridictionaustralienne n’avait compétence pour en connaître car il s’analysait en une tentative visant à faire appliquer indirectement le droit public d’un État étranger, ou trancher le point de savoir si la publication nuirait à l’intérêt public au Royaume-Uni.
L’Attorney General saisit la High Court d’Australie. En raison de la publication de Spycatcher aux États-Unis et ailleurs, elle refusa de la prohiber en Australie en attendant l’audience; l’ouvrage y parut le 13 octobre. Elle repoussa le pourvoi le 2 juin 1988: selon le droit international, les cours et tribunaux d’Australie ne pouvaient accueillir une demande – telle celle de l’Attorney General – destinée à sauvegarder les intérêts du gouvernement britannique concernant ses services de sécurité.
D’autres procédures, engagées par l’Attorney General aux fins d’injonctions à adresser à des journaux, aboutirent à Hong-Kong mais non en Nouvelle-Zélande.
38. Entre-temps, la publication et la diffusion de Spycatcher et de son contenu se poursuivaient à grande échelle, non seulement aux États-Unis (environ 715 000 exemplaires imprimés, presque tous vendus au 31 octobre 1987) et au Canada (environ 100 000 exemplaires imprimés), mais aussi en Australie (145 000 exemplaires imprimés, dont la moitié écoulés en un mois) et en Irlande (30 000 exemplaires imprimés et distribués). Près de 100 000 exemplaires furent envoyés dans divers pays européens autres que le Royaume-Uni, un certain nombre expédiésd’Australie vers des pays d’Asie. Le livre fit l’objet d’émissions radiodiffusées en anglais au Danemark et en Suède ainsi que de traductions en douze langues, dont dix européennes.
III. LE PROCÈS AU FOND EN ANGLETERRE
A. La divulgation d’informations confidentielles
39. Le 27 octobre 1987, l’Attorney General assigna S.T. en justice pour divulgation d’informations confidentielles; outre la délivrance d’injonctions, il sollicitait un jugement déclaratoire et le versement des bénéfices engrangés par le défendeur (account of profits). Les débats relatifs au bien-fondé de cette action et de celles de l’intéressé contre O. et G. (paragraphe 15 ci-dessus) – dans lesquelles, par un amendement du 30 octobre, il réclamait à présent un jugement déclaratoire en sus d’une injonction – eurent lieu devant le juge Scott, de la High Court, en novembre-décembre 1987. Celui-ci entendit les témoins de chacune des parties, dont Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus). En outre, il maintint les injonctions provisoires en attendant de statuer au principal.
40. Dans sa décision, qu’il rendit le 21 décembre 1987, figuraient les observations et conclusions suivantes.
a) À l’appui de sa demande d’injonctions permanentes, l’Attorney General invoquait le souci non plus de préserver le caractère confidentiel de certaines informations, mais de promouvoir l’efficacité et la réputation des services de sécurité.
b) Lorsque l’on cherchait à contraindre au secret un journal entré en possession de renseignements réputés confidentiels, l’étendue de cette obligation dépendait du poids relatif des intérêts qu’elle était censée protéger et de ceux que servirait une divulgation.
c) Il fallait prendre en compte l’article 10 (art. 10) de la Convention et les arrêts de la Cour européenne; il en ressortait qu’une restriction à la liberté d’expression dans l’intérêt de la sécurité nationale ne pouvait passer pour nécessaire si elle ne correspondait pas à un « besoin social impérieux » et n’apparaissait pas « proportionnée aux buts légitimes poursuivis ».
d) M. Wright avait envers l’État le devoir de ne dévoiler aucune information obtenue par lui au cours de sa carrière au sein du MI5. Il y avait failli en écrivant Spycatcher et en le présentant à la publication; l’édition et la diffusion subséquentes du livre s’analysaient en une violation supplémentaire, de sorte que l’Attorney General aurait droit à une ordonnance interdisant à M. Wright, ou à tout agent de l’intéressé, de publier Spycatcher au Royaume-Uni.
e) O. et G. n’avaient pas enfreint l’obligation de discrétion qu’ils avaient assumée en recueillant les révélations non autorisées de M. Wright: leurs articles respectifs des 22 et 23 juin 1986(paragraphe 14 ci-dessus) parlaient de manière honnête, et en termes généraux, du procès à venir en Australie; de surcroît, la divulgation de deux des affirmations de M. Wright se justifiait par un motif supplémentaire, tiré de l’allégation d’irrégularités (« iniquity »).
f) S.T., lui, avait manqué à ladite obligation en publiant la première série d’extraits du livre le 12 juillet 1987 (paragraphe 27 ci-dessus): on y trouvait des passages qui ne soulevaient pas de questions d’intérêt public l’emportant sur celles de sécurité nationale.
g) S.T. devait verser les bénéfices réalisés par lui grâce à la publication de ce premier épisode.
h) Il y avait lieu de débouter l’Attorney General de ses demandes d’injonctions permanentes, car la publication et la diffusion à l’échelle mondiale de Spycatcher depuis juillet 1987 avaient eu pour résultat de relever les journaux et autres tiers de toute obligation de discrétion quant aux renseignements figurant dans l’ouvrage; à cet égard, une mise en balance des éléments de sécurité nationale invoqués et de l’intérêt public à la liberté de la presse montrait que ce dernier prédominait.
i) L’Attorney General n’avait pas droit à une injonction générale qui prohibât la publication future d’informations provenant de M. Wright ou d’autres membres des services de sécurité.
Après avoir ouï les parties, le juge Scott prononça de nouvelles interdictions temporaires valables jusqu’à un arrêt de la cour d’appel; elles comprenaient une disposition autorisant à rendre compte de la procédure australienne (paragraphes 19 et 35 ci-dessus).
41. Sur recours de l’Attorney General et recours incident de S.T., la cour d’appel, composée de Sir John Donaldson, Master of the Rolls, du Lord Justice Dillon et du Lord Justice Bingham, confirma la décision du juge Scott le 10 février 1988.
Néanmoins, Sir John Donaldson marqua son désaccord avec l’opinion de ce dernier selon laquelle l’Observer et le Guardian n’avaient pas manqué à leur obligation de discrétion et la demande d’injonction formée contre eux en juin 1986 n’était pas « proportionnée au but légitime poursuivi ». Le Lord Justice Bingham, lui, désapprouva le juge Scott d’avoir estimé que S.T. avait failli à son obligation en publiant la première série d’extraits de Spycatcher, qu’il devait abandonner ses bénéfices et que l’Attorney General avait droit, dans les circonstances existant en juillet 1987, à des ordonnances empêchant d’insérer de nouveaux épisodes.
Après audition des parties, la cour d’appel prononça elle aussi de nouvelles interdictions temporaires, valables jusqu’à l’arrêt de la Chambre des Lords; elle autorisa O., G. et S.T. à en demander l’amendement ou la levée en cas de retard anormal.
42. A son tour, la commission de recours de la Chambre des Lords – Lord Keith of Kinkel, Lord Brightman, Lord Griffiths, Lord Goff of Chieveley et Lord Jauncey of Tullichettle – confirma la décision du juge Scott le 13 octobre 1988. Rejetant un pourvoi de l’Attorney General et un pourvoi incident de S.T., elle considéra:
« i. qu’une obligation de discrétion pouvait découler d’un contrat ou du principe d’équité (equity) et qu’une personne ayant acquis des informations dans des circonstances emportant pareille obligation devait être empêchée de les divulguer à autrui; qu’une telle obligation incombait à un tiers possédant des renseignements réputés confidentiels, sauf si elle se trouvait éteinte parce qu’ils étaient devenus accessibles au grand public ou si un intérêt publicsupérieur exigeait leur divulgation; que pour obtenir une ordonnance destinée à mettre obstacle à la révélation de secrets gouvernementaux, l’État devait prouver que celle-ci risquait de nuire ou avait nui à l’intérêt public; que les injonctions ne correspondaient plus à une nécessité, le contenu de Spycatcher ayant perdu tout caractère secret par sa diffusion à l’échelle mondiale et tout particulier désireux de se procurer un exemplaire du livre le pouvant aisément; que, dès lors, il y avait lieu de les lever;
ii. (avec l’opinion dissidente de Lord Griffiths) que les articles des 22 et 23 juin [1986] ne renfermaient pas d’informations préjudiciables à l’intérêt public; qu’en les publiant l’Observer et le Guardian n’avaient pas violé leur obligation de discrétion; que l’État n’aurait donc pas eu droit à une injonction permanente contre eux;
iii. qu’en publiant le premier épisode de Spycatcher le 12 juillet 1987, le Sunday Times avait méconnu son obligation de discrétion; qu’il ne pouvait exciper ni d’une publication antérieure, ni de la révélation d’agissements illégaux; que la parution imminente de l’ouvrage aux États-Unis ne constituait pas une justification; que, partant, le Sunday Times devait verser les bénéfices résultant de son infraction;
iv. que l’atteinte à l’intérêt général ne pouvait pas s’aggraver, car les renseignements fournis par Spycatcher étaient dorénavant dans le domaine public et ne présentaient plus aucun caractère secret; qu’il ne fallait pas interdire à l’Observer et au Guardian de diffuser le contenu du livre, ni (Lord Griffiths marquant ici son désaccord) au Sunday Times d’en publier de nouveaux épisodes;
v. que les agents et ex-agents des services de sécurité avaient envers l’État, leur vie durant, un devoir de discrétion et que comme dans leur grande majorité ils ne révéleraient pas à la presse de renseignements confidentiels, il ne convenait pas d’imposer à celle-ci une interdiction générale d’encore publier des informations livrées par l’un d’entre eux au sujet des assertions de Spycatcher. »
B. Contempt of court
43. Le procès au fond relatif aux accusations de contempt of court portées par l’Attorney General contre l’Independent, le London Evening Standard, le London Daily News (paragraphe 22 ci-dessus), S.T. (paragraphe 27 ci-dessus) et certains autres journaux se déroula devant le juge Morritt, de la High Court, en avril 1989. Le 8 mai celui-ci constata, notamment, une telle infraction à la charge de l’Independent et de S.T., à chacun desquels il infligea une amende de 50 000 livres.
44. Le 27 février 1990, la cour d’appel rejeta leur recours contre la déclaration de culpabilité mais conclut qu’il ne fallait pas prononcer d’amende. La commission de recours de la Chambre des Lords repoussa, le 11 avril 1991, un pourvoi de S.T. contre ladite déclaration.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
45. Dans sa requête du 31 juillet 1987 à la Commission (no 13166/87), S.T. alléguait que les interdictions temporaires en cause portaient une atteinte injustifiée à sa liberté d’expression, garantie par l’article 10 (art. 10) de la Convention. Il soutenait en outre qu’au mépris de l’article 13 (art. 13), aucun recours effectif devant une « instance » nationale ne s’offrait à lui pour son grief tiré de l’article 10 (art. 10) et qu’il avait subi une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14).
46. La Commission a retenu la requête le 5 octobre 1989. Dans son rapport du 12 juillet 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu infraction à l’article 10 (art. 10) mais non aux articles 13 et 14 (art. 13, art. 14).
Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt[*].
Le 2 février 1989, S.T. a saisi la Commission d’une requête distincte – encore pendante devant elle – relative au constat selon lequel il avait manqué à son devoir de discrétion en publiant, le 12 juillet 1987, le premier extrait de Spycatcher (paragraphe 42 iii. ci-dessus). A l’audience du 25 juin 1991, il a informé la Cour qu’il allait en déposer une troisième, dirigée contre le constat d’un contempt of court de sa part (paragraphe 44 ci-dessus).
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
47. A l’audience du 25 juin 1991, S.T. a invité la Cour à dire que la prorogation des ordonnances le 30 juillet 1987 avait méconnu l’article 10 (art. 10); à enjoindre au Gouvernement de lui rembourser les frais et dépens encourus par lui en Angleterre et à Strasbourg; à préciser que le critère établi dans American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd ne cadrait pas avec ce texte.
Pour son compte, le Gouvernement a demandé à la Cour de conclure, ainsi qu’il l’en avait priée dans son mémoire, à l’absence de violation des droits garantis à S.T. par les articles 10, 13 et 14 (art. 10, art. 13, art. 14).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 10 (art. 10) DE LA CONVENTION
A. Introduction
48. S.T. invoque l’article 10 (art. 10) de la Convention, aux termes duquel:
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
L’infraction litigieuse résulterait des interdictions provisoires frappant à l’origine O. et G. mais qui, à la suite de l’affaire Independent, lièrent de fait aussi S.T. en vertu de la doctrine ducontempt of court (paragraphes 17-19 et 30-31 ci-dessus). Le grief vise les restrictions en vigueur du 30 juillet 1987 au 13 octobre 1988, et non celles que S.T. avait subies (paragraphe 32 ci-dessus) ou aurait pu subir auparavant.
Si le Gouvernement combat cette thèse, la Commission unanime y souscrit.
49. Lesdites restrictions constituaient à n’en pas douter, nul ne le conteste, une « ingérence » dans l’exercice de la liberté d’expression de S.T., garantie par le paragraphe 1 de l’article 10 (art. 10-1).
S.T. ne soutient pas qu’elle ne fût pas « prévue par la loi » ou ne tendît pas à une ou des fins légitimes au regard de l’article 10 par. 2 (art. 10-2). La Cour ne discerne aucune raison d’en juger autrement. Pour les motifs développés dans son arrêt Observer et Guardian de ce jour (série A no 216, pp. 27-29, paras. 50-57), elle estime que les ordonnances Millett étaient « prévues par la loi » et que leurs objectifs consistaient, d’abord, à « garantir l’autorité du pouvoir judiciaire », en second lieu à protéger la « sécurité nationale ». Elle se borne à une précision: rien dans le dossier ne donne à penser que les principes du droit du contempt of court, en vertu desquels les ordonnances Millett s’imposaient à S.T., ne répondaient pas aux exigences des mots « prévues par la loi ».En outre, conçus pour empêcher un comportement visant à entraver l’administration de la justice, ou à lui nuire (paragraphe 22 ci-dessus), ils avaient pour but manifeste de « garantir l’autorité du pouvoir judiciaire ».
B. L’ingérence était-elle « nécessaire dans une société démocratique »?
1. Principes généraux
50. La controverse se concentre sur le point de savoir si l’immixtion incriminée pouvait passer pour « nécessaire dans une société démocratique ». En la matière, les arrêts de la Cour relatifs àl’article 10 (art. 10) – de Handyside (7 décembre 1976, série A no 24) à Oberschlick (23 mai 1991, série A no 204), en passant, notamment, par Sunday Times (26 avril 1979, série A no 30) et Lingens (8 juillet 1986, série A no 103) – énoncent les principes fondamentaux suivants:
a) La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique; sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2), elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Telle que la consacre l’article 10 (art. 10), elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante.
b) Ces principes revêtent une importance particulière pour la presse: si elle ne doit pas franchir les bornes fixées en vue, notamment, de préserver la « sécurité nationale » ou de « garantir l’autorité du pouvoir judiciaire », il lui incombe néanmoins de communiquer des informations et des idées sur des questions d’intérêt public. A sa fonction qui consiste à en diffuser, s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir. S’il en était autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de « chien de garde ».
c) L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 par. 2 (art. 10-2), implique un « besoin social impérieux ». Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante.La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10 (art. 10).
d) Elle n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 (art. 10) les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable; il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ».
51. Les observations formulées en l’espèce par « Article 19 » (paragraphe 6 ci-dessus) amènent la Cour à préciser, afin d’éviter toute ambiguïté, que l’article 10 (art. 10) de la Convention n’interdit pas en elle-même toute restriction préalable à la publication. En témoignent les termes « conditions », « restrictions », « empêche » et « prévention » qui y figurent, mais aussi les arrêts Sunday Times du 26 avril 1979 et Markt Intern Verlag GmbH et Klaus Beermann du 20 novembre 1989 (série A no 165). De telles restrictions présentent pourtant de si grands dangers qu’elles appellent de la part de la Cour l’examen le plus scrupuleux. Il en va spécialement ainsi dans le cas de la presse: l’information est un bien périssable et en retarder la publication, même pour une brève période, risque fort de la priver de toute valeur et de tout intérêt.
2. Application en l’espèce des principes susmentionnés
52. S.T. allègue que l’ingérence incriminée n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ». Il souligne en particulier qu’une fois Spycatcher publié aux États-Unis d’Amérique le 14 juillet 1987 (paragraphe 28 ci-dessus), son contenu avait perdu son caractère confidentiel. En outre, toute personne résidant au Royaume-Uni pouvait se procurer l’ouvrage à l’étranger, le Gouvernement n’ayant pas tenté d’en interdire l’importation (paragraphe 29 ci-dessus).
53. D’après ce dernier, les interdictions provisoires restaient néanmoins « nécessaires », au sens de l’article 10 (art. 10), pendant la période du 30 juillet 1987 au 13 octobre 1988, pour garantir l’autorité du pouvoir judiciaire et défendre par là même les intérêts de la sécurité nationale. A preuve la conclusion à laquelle la Chambre des Lords avait abouti en juillet 1987: malgré la publication aux États-Unis, a) la thèse de l’Attorney General en faveur d’injonctions permanentes contre S.T. demeurait valable, et l’on ne pourrait en juger équitablement que si l’on apportait des restrictions à la publication jusqu’au procès au principal; b) on continuerait à servir les intérêts de la sécurité nationale en empêchant de vulgariser la substance du livre par voie de presse, et l’intérêt général en décourageant la publication non autorisée de mémoires où figuraient des renseignements confidentiels.
54. Le risque de voir la publication d’éléments tirés de Spycatcher, si elle se poursuivait, nuire à l’examen des demandes d’interdictions permanentes de l’Attorney General constituait sans doute, pour la garantie de l’autorité du pouvoir judiciaire, un motif « pertinent » de prolonger les injonctions litigieuses, mais en l’occurrence la Cour ne l’estime pas « suffisant » aux fins de l’article 10 (art. 10).
A la vérité, la Chambre des Lords prit en compte les exigences de la Convention, bien que celle-ci ne se trouve pas incorporée au droit interne (paragraphe 36 ci-dessus), et il existe une certaine différence entre l’importation sporadique d’exemplaires de Spycatcher au Royaume-Uni et la publication à grande échelle de son contenu dans la presse. Cependant, même si le procès au fond avait débouché sur l’octroi des interdictions permanentes sollicitées par l’Attorney General, elles auraient porté sur des informations dont la confidentialité avait de toute manière disparu – indépendamment d’éventuelles révélations ultérieures de S.T. – avec la publication aux États-Unis. Considéré sous l’angle du respect des droits procéduraux de l’Attorney General,l’intérêt de protéger cette confidentialité avait, sous l’angle de la Convention, cessé d’exister au 30 juillet 1987 (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Weber du 22 mai 1990, série A no 177, p. 23, par. 51).
55. Quant aux impératifs de la sécurité nationale, la Cour constate que les arguments de l’Attorney General connurent en la matière, pour emprunter les termes du juge Scott, « une curieuse métamorphose » (Attorney General v. Guardian Newspapers Ltd (no. 2), Appeal Cases 1990, vol. 1, p. 140F). Ainsi qu’il ressort du témoignage de Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus), les injonctions sollicitées avaient à l’origine pour but, entre autres, de garder secrets des renseignements qui devaient le rester. Or au 30 juillet 1987 ils ne l’étaient plus et comme le releva Lord Brandon of Oakbrook (paragraphe 36 a) iv. ci-dessus), les dommages potentiels signalés par Sir Robert Armstrong s’étaient déjà réalisés pour la plupart. Désormais, les ordonnances ne tendaient donc plus qu’à promouvoir l’efficacité et la réputation des services de sécurité, notamment en préservant la confiance dont ils jouissaient dans l’opinion, en montrant bien qu’on ne laisserait pas leurs anciens membres publier des mémoires sans autorisation et en dissuadant les personnes qui pourraient éprouver l’envie d’imiter M. Wright.
La Cour ne trouve pas ces objectifs suffisants pour justifier l’ingérence incriminée. On peut d’abord se demander si les actions intentées à S.T. étaient capables de contribuer à les atteindre mieux que n’y avaient réussi les mesures adoptées contre M. Wright lui-même. En outre, vu la possibilité d’une action en versement de bénéfices (paragraphes 39-42 ci-dessus), la Cour partage les doutes de Lord Oliver of Aylmerton (paragraphe 36 e) ii. ci-dessus) sur le point de savoir s’il était normal, pour punir M. Wright et fournir un exemple aux autres, d’adresser des injonctions à des personnes, tel S.T., étrangères à la publication de Spycatcher. Surtout, le maintien des restrictions après juillet 1987 empêchait les journaux d’exercer leur droit, et de remplir leur devoir, de donner des renseignements – déjà accessibles – sur une matière présentant un intérêt public légitime.
56. En conclusion, ladite ingérence n’était pas « nécessaire dans une société démocratique », de sorte qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION, COMBINE AVEC L’ARTICLE 10 (art. 14+10)
57. S.T. se plaint de ne pas avoir eu, comme les éditeurs aux États-Unis et ailleurs en dehors du Royaume-Uni, la liberté de communiquer à ses lecteurs les informations et idées contenues dans Spycatcher. Il aurait subi de ce fait une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 10 (art. 14+10). Le premier d’entre eux (art. 14) est ainsi libellé:
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
58. Avec le Gouvernement et la Commission, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter le grief.
L’article 14 (art. 14) interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (voir, par exemple, l’arrêt Fredin du 18 février 1991, série A no 192, p. 19, par. 60). Si et dans la mesure où les éditeurs étrangers ne devaient pas supporter les mêmes restrictions que S.T., c’est parce qu’ils ne se trouvaient pas dans une situation comparable à la sienne: ils ne relevaient pas de la juridiction des tribunaux anglais.
59. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 14, combiné avec l’article 10 (art. 14+10).
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13) DE LA CONVENTION
60. S.T. prétend que nul recours effectif ne s’ouvrait à lui en Angleterre pour ses doléances: les articles 10 et 14 (art. 10, art. 14) de la Convention et les normes en découlant ne feraient point partie intégrante du droit anglais et il ne contiendrait pas de dispositions équivalentes, les principes établis dans American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd (paragraphe 10 ci-dessus) étant moins stricts. Il en résulterait, au détriment de S.T., une infraction à l’article 13 (art. 13), aux termes duquel:
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
61. Comme le Gouvernement et la Commission, la Cour considère qu’il faut écarter cette allégation.
Sur le terrain de la Convention, S.T. s’en prend pour l’essentiel à l’atteinte injustifiée à sa liberté d’expression que constituaient, d’après lui, les injonctions provisoires prononcées à son encontre. Or il est clair non seulement qu’il pouvait soulever ce problème en substance devant les tribunaux internes, mais qu’il les en a saisis. Il échet aussi de rappeler qu’aux fins de l’article 13 (art. 13), l’efficacité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’un résultat favorable (arrêt Soering du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 48, par. 122).
Quant aux arguments avancés, la Cour a constaté plusieurs fois l’absence d’obligation d’incorporer la Convention aux systèmes juridiques nationaux (voir par exemple l’arrêt James et autres du 21 février 1986, série A no 98, p. 47, par. 84). En outre, l’article 13 (art. 13) ne va pas jusqu’à exiger un recours par lequel on puisse attaquer devant une « instance » nationale les lois d’un État contractant comme contraires en tant que telles à la Convention (ibidem, p. 47, par. 85).
62. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
63. Selon l’article 50 (art. 50) de la Convention,
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
S.T. ne sollicite aucune indemnité pour dommage, mais le remboursement de ses frais et dépens dans les procédures suivies au Royaume-Uni et à Strasbourg, soit au total 224 340 £ 67.
La Cour a examiné la question à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence et des observations respectives du Gouvernement et des requérants.
A. Procédures internes
64. La demande relative aux frais et dépens imputables aux procédures internes (audiences de 1987 devant le vice-chancelier, la cour d’appel et la Chambre des Lords, paragraphes 32-36 ci-dessus) s’élève à 84 219 £ 80, à savoir:
– honoraires des solicitors des requérants: 36 143 £ 50;
– débours des solicitors: 9 507 £ 53;
– honoraires des avocats: 30 590 £ 00;
– frais et intérêts payés à l’Attorney General par les requérants: 7 978 £ 77.
65. Au sujet de ces prétentions, la Cour formule les remarques ci-après.
a) Avec le Gouvernement, elle estime que le volume des honoraires destinés aux solicitors ne saurait passer pour « raisonnable » aux fins de l’article 50 (art. 50).
b) Sans être en mesure de se lancer dans des calculs détaillés, elle partage les doutes du Gouvernement sur la possibilité de réputer « nécessaires » tous les débours. Elle doit donc réduire la somme à octroyer à ce titre.
c) Elle considère en outre que les revendications présentées pour honoraires d’avocats excèdent ce que l’on peut juger raisonnable entre parties.
66. En conséquence, elle accorde aux requérants 50 000 £ pour leurs frais et dépens, y compris le montant versé à l’Attorney General.
B. Procédures suivies à Strasbourg
67. La demande relative aux frais et dépens imputables aux procédures menées devant les organes de la Convention atteint 140 120 £ 87, à savoir:
– honoraires des solicitors des requérants: 82 779 £ 30;
– débours des solicitors: 16 791 £ 57;
– honoraires des avocats: 40 550 £ 00.
68. Elle appelle de la part de la Cour les observations suivantes.
a) D’après le Gouvernement, la Cour devrait opérer un abattement si elle n’apercevait aucune violation des articles 13 et 14 (art. 13, art. 14). Toutefois, elle ne croit pas indiqué de pratiquer une réduction substantielle pour ce motif, car le gros du travail des conseillers des requérants concernait l’article 10 (art. 10) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Granger du 28 mars 1990, série A no174, p. 21, par. 55).
b) Les remarques qui figurent au paragraphe 65 ci-dessus quant aux honoraires des solicitors, à leurs débours et aux honoraires des avocats s’appliquent aussi aux instances suivies à Strasbourg.
69. En conséquence, la Cour leur alloue 50 000 £.
C. Conclusion
70. La somme globale à verser aux requérants s’élève dès lors à 100 000 £, à majorer de tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13), ni de l’article 14 combiné avec l’article 10 (art. 14+10);
3. Dit que le Royaume-Uni doit verser conjointement aux requérants dans les trois mois, pour frais et dépens, la somme de 100 000 £ (cent mille livres), plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 26 novembre 1991.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
– opinion séparée de M. De Meyer, approuvée par MM. Pettiti, Russo, Foighel et Bigi, sur les restrictions préalables;
– opinion séparée de M. De Meyer, approuvée par M. Pettiti, sur les recours internes;
– opinion séparée de M. Valticos.
R. R.
M.-A. E.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER (sur les restrictions préalables), APPROUVEE PAR MM. LES JUGES PETTITI, RUSSO, FOIGHEL ET BIGI
(Traduction)
Je souscris au résultat, mais ne puis adhérer aux motifs de la Cour concernant les restrictions préalables; mes raisons sont celles indiquées dans mon opinion relative à l’affaire Observer et Guardian[*].
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER (sur les recours internes), APPROUVEE PAR M. LE JUGE PETTITI
(Traduction)
Pour les motifs indiqués dans mon opinion séparée relative à l’affaire Observer et Guardian[*], je ne puis souscrire au troisième alinéa du paragraphe 61 du présent arrêt.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE VALTICOS
Les observations qui figurent dans mon opinion séparée en l’affaire Observer et Guardian[*] valent aussi pour le paragraphe 61 du présent arrêt.
[*] Note du greffier
L’affaire porte le n° 50/1990/241/312. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
[*] Note du greffier
Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s’appliquent en l’espèce.
[*] Note du greffier
Affaire n° 51/1990/242/313.
[*] Note du greffier
Tel que l’a modifié l’article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
[*] Note du greffier
Pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (volume 217 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
[*] Série A n° 216, p. 46.
[*] Série A n° 216, p. 47.
[*] Série A n° 216, p. 48.