COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE KÖNIG c. ALLEMAGNE
(Requête no 6232/73)
ARRÊT
STRASBOURG
28 juin 1978
En l’affaire König,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 48 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM. G. BALLADORE PALLIERI, président,
G. WIARDA,
H. MOSLER,
M. ZEKIA,
P. O’DONOGHUE,
Mme H. PEDERSEN,
MM. THÓR VILHJÁLMSSON,
R. RYSSDAL,
W. GANSHOF VAN DER MEERSCH,
Mme D. BINDSCHEDLER-ROBERT,
D. EVRIGENIS,
P.-H. TEITGEN,
H. LIESCH,
F. GÖLCÜKLÜ,
F. MATSCHER,
J. PINHEIRO FARINHA,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier adjoint,
Après avoir délibéré en chambre du conseil les 18 et 19 novembre 1977, puis du 29 au 31 mai 1978,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire König a été déférée à la Cour par le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne (« le Gouvernement ») et la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission »). A son origine se trouve une requête dirigée contre la République fédérale d’Allemagne et dont un ressortissant allemand, le Dr Eberhard König, avait saisi la Commission le 3 juillet 1973 en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requête du Gouvernement, qui renvoyait à l’article 48 (art. 48) de la Convention, et la demande de la Commission, qui s’appuyait sur les articles 44 et 48, alinéa a) (art. 44, art. 48-a), ets’accompagnait du rapport prévu à l’article 31 (art. 31), ont été déposées au greffe de la Cour dans le délai de trois mois institué par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47), la première le28 février 1977, la seconde le 14 mars. Elles ont pour objet d’obtenir une décision de la Cour sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l’État défendeur, unmanquement aux obligations qui lui incombent aux termes de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
3. Le 23 mars, le président de la Cour a procédé, en présence du greffier adjoint, au tirage au sort des noms de cinq des sept juges appelés à former la Chambre compétente, M. H. Mosler, juge élu de nationalité allemande, et M. G. Balladore Pallieri, président de la Cour, siégeant d’office aux termes de l’article 43 (art. 43) de la Convention et de l’article 21 par. 3 b) du règlement respectivement. Les cinq juges ainsi désignés étaient M. M. Zekia, Mme H. Pedersen, Mme D. Bindschedler-Robert, M. D. Evrigenis et M. G. Lagergren (article 43 in fine de la Convention et article 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
En application de l’article 21 par. 5 du règlement, M. Balladore Pallieri a assumé la présidence de la Chambre.
4. Le président de la Chambre a recueilli par l’intermédiaire du greffier l’opinion de l’agent du Gouvernement, de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Par une ordonnance du 24 mars, il a décidé que le Gouvernement présenterait un mémoire dans un délai devant expirer le 15 juin 1977 et que les délégués auraient la faculté d’y répondre par écrit dans un délai de deux mois à compter de la réception dudit mémoire.
5. Réunie à huis clos le 23 avril à Strasbourg, la Chambre a décidé, en vertu de l’article 48 du règlement, de se dessaisir, avec effet immédiat, au profit de la Cour plénière, par le motif « que l’affaire soulev(ait) des questions graves qui touch(aient) à l’interprétation de la Convention (…) ».
6. Par une ordonnance du 6 juillet, le président de la Cour a prorogé jusqu’au 15 juillet le délai accordé au Gouvernement pour le dépôt de son mémoire. Celui-ci est arrivé au greffe le 18 juillet.
7. Les 2 août et 5 septembre, le Gouvernement a produit certains autres documents; il avait annoncé l’envoi de la plupart d’entre eux dans son mémoire du 18 juillet.
8. Le 20 septembre, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que les délégués avaient résolu de ne pas répondre par écrit audit mémoire.
9. Par une ordonnance du même jour, le président a fixé au 16 novembre la date d’ouverture des audiences, après avoir consulté l’agent du Gouvernement et les délégués de la Commission par l’intermédiaire du greffier.
10. Réunie en chambre du conseil le 29 septembre à Luxembourg, la Cour a décidé que si le Gouvernement le demandait, ses agent et conseils seraient autorisés à s’exprimer en allemand lors des débats, à charge pour lui d’assurer notamment l’interprétation en français ou en anglais de leurs plaidoiries et déclarations (article 27 par. 2 du règlement).
Le Gouvernement a en effet présenté une telle demande le 4 octobre.
11. Le 9 novembre, il a fourni certains renseignements à la Cour et déposé un autre document.
12. La Cour a tenu le 16 novembre, immédiatement avant le début des audiences, une réunion consacrée à leur préparation.
13. Les débats se sont déroulés en public les 16 et 17 novembre à Strasbourg, au Palais des Droits de l’Homme.
Ont comparu devant la Cour:
– pour le Gouvernement:
Mme I. MAIER, Ministerialdirigentin
au ministère fédéral de la justice, agent,
M. J. MEYER-LADEWIG, Ministerialrat
au ministère fédéral de la justice,
M. H. STÖCKER, Regierungsdirektor
au ministère fédéral de la justice, conseillers;
– pour la Commission:
M. J.E.S. FAWCETT, délégué principal,
M. G. SPERDUTI,
M. A. FROWEIN, délégués,
Me R. BURGER, ancien représentant du requérant
devant la Commission, assistant les délégués en vertu de
l’article 29 par. 1, deuxième phrase, du règlement de la
Cour (le 17 novembre seulement).
La Cour a ouï en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, Mme Maier pour le Gouvernement et, pour la Commission, M. Fawcett, M. Sperduti, M. Frowein et Me Burger.
14. Plusieurs document que la Cour avait demandés aux comparants lors des audiences ont été fournis le 17 novembre 1977 par la Commission et le 16 janvier 1978 par le Gouvernement.
Les 6 mars et 8 mai, le Gouvernement a communiqué à la Cour certaines informations complémentaires et quelques autres documents.
FAITS
15. Le requérant, ressortissant allemand né en 1918, avait embrassé en 1949 la profession de médecin spécialisé en oto-rhino-laryngologie. En 1960, il ouvrit à Bad Homburg (Hesse), en République fédérale d’Allemagne, une clinique qu’il exploita et dirigea lui-même. Propriétaire de cette dernière et seul médecin à y travailler, il y effectuait en particulier des opérations de chirurgie esthétique.
16. Poursuivi par l’ordre régional des médecins (Landesärztekammer) le 16 octobre 1962, pour manquement à la déontologie, devant le tribunal pour les professions médicales (Berufsgericht für Heilberufe) près le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Francfort, le Dr König fut déclaré le 9 juillet 1964 indigne de pratiquer. Le tribunal régional pour les professions médicales (Landesberufsgericht für Heilberufe) près la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) du Land de Hesse le débouta de son appel le 14 octobre 1970.
Parmi les accusations que le tribunal régional retint contre le requérant figuraient les suivantes: avoir offert à une esthéticienne 20% de ses honoraires et à une de ses patientes 100 DM pour tout client qu’elles lui amèneraient; avoir persuadé un patient de subir un traitement non couvert par la sécurité sociale en l’assurant qu’il pourrait dans ce cas employer des moyens plus efficaces; avoir refusé à un de ses clients d’établir une facture correspondant au prix réellement versé; avoir, en tant que spécialiste en oto-rhino-laryngologie, procédé à une intervention chirurgicale qui ne relevait pas de sa spécialité; avoir recouru pour ses opérations à l’assistance d’une esthéticienne; avoir donné à son cabinet une large publicité dans la presse quotidienne et hebdomadaire; avoir utilisé sur ses plaques, son papier à lettres et ses carnets d’ordonnances des formules contraires aux règles de la législation professionnelle.
17. En 1967, l’intéressé se vit retirer l’autorisation d’exploiter sa clinique puis, en 1971, celle de pratiquer. Des poursuites pénales furent engagées contre lui en 1972, notamment pour exercice illégal de la médecine.
Attaqués par lui en justice, les deux retraits font l’objet d’instances devant les juridictions administratives compétentes, respectivement depuis novembre 1967 et octobre 1971.
18. Le Dr König dénonce la durée des instances qu’il a introduites contre les retraits d’autorisation; quant à la procédure disciplinaire devant les tribunaux professionnels ou à la procédure pénale, il ne présente pas de griefs.
1. La profession médicale en République fédérale d’Allemagne
19. En République fédérale d’Allemagne, la profession médicale obéit en partie à la législation fédérale et en partie à celle des Länder. Les principales normes pertinentes en l’espèce figurent notamment dans la loi fédérale sur l’exercice de la profession médicale (Bundesärzteordnung, « la loi fédérale »), dans sa version du 4 février 1970 amendée en dernier lieu les 2 mars 1974 et 26 mars 1975, le règlement du 28 octobre 1970 relatif à l’octroi de l’autorisation de pratiquer (Approbationsordnung für Ärzte, « le règlement ») et la loi hessoise sur les représentants et tribunaux professionnels compétents pour les médecins, dentistes, vétérinaires et pharmaciens (Gesetz über die Berufsvertretungen und über die Berufsgerichtsbarkeit der Ärzte, Zahnärzte, Tierärzte und Apotheker, « la loi hessoise »), dans sa version du 18 avril 1966.
20. D’après le paragraphe 1 de l’article 1 de la loi fédérale, le médecin veille à la santé de chaque individu et de la population dans son ensemble; selon le paragraphe 2, il exerce une profession libérale et non une activité commerciale.
Pour pouvoir pratiquer à titre permanent, il faut une autorisation délivrée par les services qualifiés des Länder (articles 2 par. 1 et 12 de la loi fédérale, article 35 du règlement) et qui est octroyée sur demande lorsque l’intéressé:
« 1. est Allemand (…) ou étranger apatride (…),
2. ne s’est pas rendu coupable d’un comportement montrant qu’il est indigne ou n’offre pas les garanties suffisantes pour l’exercice de la profession (…),
3. n’est pas, pour cause d’infirmité, de faiblesse physique ou mentale ou de toxicomanie (Sucht), inapte ou impropre à exercer la profession (…),
4. après avoir étudié la médecine pendant au moins six ans, dont huit mois au minimum et douze au maximum de formation pratique dans des hôpitaux, a passé l’examen de médecin en un lieu où la présente loi est applicable.
(…) » (article 3 par. 1 de la loi fédérale)
Si la demande aboutit, un document (Approbationsurkunde) est délivré à l’intéressé, attestant la réunion des conditions légales et ajoutant:
« A dater de ce jour, l’autorisation d’exercer la profession de médecin lui est octroyée. Cet octroi autorise le médecin à exercer la profession médicale. » (article 36 du règlement et annexe 21 à ce dernier)
Si au contraire l’autorisation doit être refusée parce qu’une des conditions ne se trouve pas remplie, on entend au préalable le demandeur ou son représentant (l’article 3 par. 4 de la loi fédérale).
Une fois accordée, l’autorisation est retirée si telle de ces conditions manquait à l’époque ou vient à manquer après coup (article 5 de la loi fédérale).
21. Quiconque désire exploiter une clinique doit avoir une autorisation en vertu de la loi sur les professions industrielles, commerciales et artisanales (Gewerbeordnung); il y a droit s’ilsatisfait aux conditions prescrites par l’article 30 par. 1 de celle-ci (paragraphe 27 ci-dessous).
Comme la gestion d’une clinique constitue une activité commerciale, l’exploitant peut ne pas être lui-même médecin. Il lui incombe cependant de prendre, sur le plan du personnel et de l’organisation, toutes les mesures nécessaires au traitement des malades dans son établissement. Il doit donc engager un ou des médecins responsables des soins à dispenser à ses clients.
L’autorisation est rapportée s’il s’avère que les pièces justificatives dont dépend son octroi étaient inexactes ou que les conditions nécessaires n’ont jamais été réunies ou ont cessé de l’être(article 53 de la même loi, paragraphe 27 ci-dessous).
22. Il n’est pas contesté que, selon le droit allemand, le droit d’être autorisé à exercer la profession de médecin et celui d’être autorisé à exploiter une clinique privée sont des droits publics subjectifs protégés par l’article 12 de la Loi fondamentale, qui garantit la liberté d’exercer une profession. D’un autre côté, contrairement à la gestion d’une clinique privée l’exercice de la profession médicale n’est pas considéré en République fédérale comme une activité commerciale (paragraphe 20 ci-dessus); bien que cette profession ait également pour but de procurer un revenu, son premier objectif est désintéressé: venir en aide aux hommes.
Le traitement médical repose sur un contrat de droit privé entre médecin et patient. Pareil contrat sert à garantir le libre choix du médecin, à assurer entre celui-ci et le malade des relationsconfiantes et à préserver le secret médical. Il n’établit pourtant pas un système de prestations réciproques bien précises, car il oblige le médecin à fournir des services en principe illimités à quiconque cherche la guérison. En outre, la législation professionnelle interdit aux membres du corps médical de recourir à la publicité; elle va jusqu’à fixer en détail les dimensions et le texte de leurs plaques.
D’autre part, le médecin ne détermine pas à sa guise le montant de ses honoraires: il lui faut respecter le règlement même quand il ne travaille pas en qualité de médecin conventionné. Le gouvernement fédéral arrête par décret les taux minima et maxima applicables aux prestations médicales, en tenant compte des intérêts légitimes des médecins et des personnes ou organismes appelés à les rémunérer (article 11 de la loi fédérale).
Les personnes affiliées aux caisses d’assurance maladie de la sécurité sociale – environ 80% de la population – ont droit à un traitement médical conformément aux dispositions légales et accords en vigueur. La majorité des médecins sont agréés comme médecins conventionnés et astreints à leur donner des soins. D’après la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), un tel médecin ne gère pas un service public mais accomplit une tâche de droit public et se trouve intégré dans un système de droit public par son admission(Recueil des décisions de la Cour constitutionnelle, vol. 11, pp. 30 et s.).
23. Les médecins s’acquittent de leurs devoirs sous le contrôle, notamment, de leur ordre et des tribunaux pour les professions médicales, institutions régies par la législation des Länder.
24. Selon les articles 1 et 2 par. 1 de la loi hessoise, les ordres régionaux des médecins sont des corporations de droit public groupant tous les médecins du Land. Les praticiens qui ne se font pas inscrire à l’ordre compétent, ou n’exécutent pas les autres obligations leur incombant en vertu de ses statuts, peuvent se voir frapper d’une amende (article 7 de la loi hessoise).
L’article 4 par. 1 de la loi hessoise définit ainsi les tâches de chaque ordre:
« 1. surveiller l’accomplissement des devoirs professionnels de (ses) membres (…),
2. promouvoir le perfectionnement professionnel de (ceux-ci),
3. assurer des relations agréables entre ses membres et aplanir les différends qui surgissent entre eux, ainsi qu’avec des tiers, dans l’exercice de la profession, sous réserve de la compétence d’autres organes,
4. aider le service officiel de santé dans l’accomplissement de ses tâches, (…). »
Autorités et ordres s’assistent mutuellement dans l’accomplissement de leurs tâches respectives (article 5 de la loi hessoise).
Les ordres se trouvent placés sous la tutelle de l’État, laquelle s’étend à l’observation des lois et des statuts. Le ministre compétent peut annuler les décisions contraires à ces textes (article 16 de la loi hessoise) et demander à tout moment aux ordres des renseignements sur leurs affaires (article 17 par. 1).
25. Si le conseil de l’ordre soupçonne un médecin d’avoir manqué à ses devoirs professionnels, il saisit le tribunal pour les professions médicales (articles 18 et 29 par. 3 de la loi hessoise).Ce dernier, constitué auprès du tribunal administratif du ressort, statue en première instance (article 20 par. 1). Il comprend trois membres: le président, ou son représentant, et deux assesseurs de la catégorie professionnelle de l’inculpé (article 21 par. 1).
Appel peut être interjeté contre sa décision devant le tribunal régional pour les professions médicales près la Cour administrative de Hesse (articles 41 et 20 par. 2), lequel compte cinq membres: le président, ou son représentant, deux autres conseillers à la Cour administrative et deux assesseurs de la catégorie professionnelle de l’inculpé (article 21 par. 2).
Les tribunaux professionnels peuvent prononcer les cinq sanctions suivantes, dont il leur est loisible d’infliger conjointement la deuxième, la troisième et la quatrième: avertissement, blâme,suspension provisoire du droit de vote au sein de l’ordre, amende jusqu’à concurrence de 10.000 DM et constatation que l’intéressé est indigne d’exercer la profession (article 19 paras. 1 et 3).
Pareille constatation n’emporte pas la perte automatique de l’autorisation de pratiquer. Bien qu’elle vise en définitive à exclure l’intéressé du corps médical, elle ne lie ni leRegierungspräsident, seul compétent pour retirer l’autorisation, ni les juridictions qui auraient à connaître de la légalité de ce retrait.
26. La décision de retrait d’une autorisation de pratiquer, de même que celle par laquelle le Regierungspräsident retire une autorisation d’exploiter une clinique privée, peut être contestée devant les juridictions administratives. Toutefois, avant de pouvoir saisir les tribunaux l’intéressé doit avoir formé en vain opposition (Widerspruch) auprès du Regierungspräsident.
2. Le retrait de l’autorisation d’exploiter la clinique – procédure devant la 4ème chambre du tribunal administratif de Francfort
27. Le 12 avril 1967, le Regierungspräsident de Wiesbaden retira au requérant, à la demande de l’ordre régional des médecins, l’autorisation d’exploiter sa clinique. Il lui reprochait de ne pas offrir les garanties suffisantes pour la direction de la clinique et de manquer de la circonspection et des connaissances nécessaires à la gestion technique et administrative de l’établissement. Il mentionnait une inspection de la clinique qui avait révélé, en novembre 1965, une série d’irrégularités: sur trente-quatre feuilles de maladie, dix-huit n’étaient pas correctement tenues; le personnel avait une formation insuffisante pour les tâches qui lui incombaient; l’équipement de la salle de traitement laissait à désirer; les instruments, dont quelques-uns commençaient à rouiller, étaient en partie mal conservés; la sécurité de l’installation de radiographie n’était pas assurée. En janvier 1967, des inspecteurs auraient constaté entre autres que la salle d’opération et ses installations n’avaient pas été nettoyées. Le Regierungspräsident invoquait aussi le témoignage de plusieurs personnes selon lesquelles, entre 1962 et octobre 1966, la clinique avait été dirigée en fait par une jeune employée, âgée en 1962 de dix-huit ans et non qualifiée. Celle-ci, qui surveillait le personnel et prenait soin des patients, aurait confirmé que l’on gardait dans le réfrigérateur de la clinique de la nourriture pour chiens et que le requérant tolérait la présence d’hommes dans les chambres en dehors des heures de visite. D’aprèselle, le Dr König l’avait en outre importunée à plusieurs reprises de même qu’une collègue.
La décision du Regierungspräsident se fondait sur les clauses ci-après de la loi relative aux professions industrielles, commerciales et artisanales:
Article 30 par. 1
« Les exploitants de cliniques, cliniques d’accouchement et cliniques psychiatriques privées doivent être munis d’une autorisation délivrée par l’autorité administrative supérieure. L’autorisation ne peut être refusée que:
a) si les faits montrent que l’exploitant n’offre pas les garanties suffisantes pour diriger ou administrer l’établissement;
(…) ».
Article 53 par. 2
« Les concessions (…) visées [à l’article] 30 (…) ne peuvent être retirées (…) que:
1. (…);
2. s’il s’avère dans la suite que l’exploitant ne possède pas les qualités requises pour l’octroi de la concession (…) ou que les locaux ou les installations techniques de l’établissement ne répondent plus aux conditions dont dépendait l’octroi de l’autorisation.
(…). »
28. Le 13 juillet 1967, le Dr König forma une opposition que le Regierungspräsident rejeta le 6 octobre. Il se pourvut alors, le 9 novembre, devant le tribunal administratif de Francfort dont la4ème chambre, compétente pour les litiges concernant le droit des professions industrielles, commerciales et artisanales, fut saisie de l’affaire le lendemain.
Ces recours ont suspendu l’exécution de la décision litigieuse.
29. Dès le 10 novembre, le tribunal demanda au Regierungspräsident quelles étaient ses observations; il les reçut le 8 février 1968, après une prorogation du délai accordé et un rappel.
Invité le 27 mars à les compléter, le Regierungspräsident le fit par écrit le 30 mai. Il y annonçait un examen psychiatrique de l’intéressé, dont le résultat serait communiqué ultérieurement autribunal. Celui-ci se renseigna sur ce point les 10 juin, 25 juillet et 9 août auprès du Regierungspräsident qui, tout en complétant ses observations antérieures, l’informa le 10 janvier 1969 que lerequérant n’avait pas consenti à subir un tel examen.
Le 16 janvier, le tribunal pria le Regierungspräsident de lui fournir des précisions sur un aspect de son mémoire; elles lui parvinrent le 2 avril.
30. Dans l’intervalle et jusqu’en janvier 1969, le tribunal avait essayé de se procurer, notamment auprès du Regierungspräsident (10 juin 1968) et des autorités communales compétentes (10 octobre), l’adresse de plusieurs personnes susceptibles d’être citées comme témoins.
Il tenta en outre, à partir du 8 janvier 1969, d’obtenir des dossiers concernant le requérant, dont ceux des tribunaux professionnels (paragraphe 16 ci-dessus).
Le 26 août 1969, il décida d’entendre seize témoins lors d’audiences prévues pour les 25 et 26 novembre. A cette fin, il rechercha, par exemple les 11 et 18 septembre, l’adresse de témoins et demanda la production d’autres dossiers relatifs à l’intéressé.
Le 27 novembre, il fixa au 2 décembre les débats contradictoires (mündliche Verhandlung) et la suite de l’audition des témoins, parmi lesquels un nommé Xymenes qui avait porté de graves accusations contre le Dr König devant l’ordre régional des médecins.
Le tribunal siégea les 2, 8 et 12 décembre. Il infligea des amendes (Ordnungsstrafen) de 100 et 500 DM à M. Xymenes pour n’avoir pas comparu.
Le 3 février 1970, il résolut de ne pas accueillir les recours (Beschwerden) que M. Xymenes avait exercés contre ces peines les 30 décembre 1969 et 2 janvier 1970, et de transmettre le dossier à la Cour administrative de Hesse. Après avoir invité les intéressés, le 17 février, à présenter leurs observations, celle-ci leva les deux amendes les 9 et 10 mars.
31. Le 17 avril 1970, le dossier retourna au tribunal administratif qui, le 14 mai, informa les parties de l’état de la procédure. Il leur demanda d’indiquer dans les meilleurs délais leurs moyens de preuve, relevant que plusieurs personnes avaient offert de témoigner sur le traitement médical qui leur avait été appliqué par le requérant. Il signala aussi qu’en ce qui le concernait les débats pourraient reprendre à la fin de juin ou au début de juillet car les juges non professionnels seraient alors disponibles.
Le 29 mai, le Dr König précisa qu’il renoncerait à désigner d’autres témoins si le Regierungspräsident en faisait autant. Le 8 juin, ce dernier indiqua toutefois un certain nombre de témoins supplémentaires; le 6 juillet, il soumit au tribunal un mémoire traitant des résultats des témoignages déjà recueillis.
Le tribunal communiqua le 13 juillet ce mémoire au requérant. Invité à y répondre, celui-ci réclama par écrit, le 24 septembre, l’audition de soixante-seize témoins au cas où le tribunal déciderait celle des témoins mentionnés par le Regierungspräsident.
Il s’ensuivit un nouvel échange de mémoires.
32. Le 25 février 1971, le Regierungspräsident avisa le tribunal que M. Xymenes se trouvait en détention à la maison d’arrêt de Constance, ce qui permettait de lui notifier sa citation à comparaître.
Après avoir mis le requérant au courant de cette situation, le tribunal écrivit le 14 avril aux autorités compétentes de Constance pour savoir si, et dans l’affirmative pour combien de temps,M. Xymenes séjournait à la maison d’arrêt. Celle-ci répondit le 27 avril que l’intéressé avait été remis en liberté.
33. Le 29 avril 1971, le juge-rapporteur ordonna le renvoi du dossier au président de la chambre pour qu’il fixât la date des audiences, mais probablement en raison d’une erreur du greffe cette instruction ne fût pas exécutée.
Le 24 mai, l’avocat du Dr König, Me Schmidt-Leichner, de Francfort, déclara se décharger de son mandat.
34. Ayant prié le tribunal, le 26 août 1971, de fixer sans délai des audiences, le requérant fut averti le 2 septembre que l’on saisirait du dossier le président de la chambre dès son retour de vacances. Une ordonnance du tribunal avait retenu à cet effet la date du 5 septembre.
Le 20 octobre, Mes Bossi, Breme et Ufer, de Munich, firent savoir au tribunal qu’ils représentaient désormais le Dr König.
A la suite d’une lettre du tribunal régional du travail (Landesarbeitsgericht) de Francfort, le dossier fut restitué le 21 octobre au juge-rapporteur.
35. Les 29 novembre 1971 et 12 janvier 1972, le tribunal essaya derechef, mais en vain, de prendre contact avec M. Xymenes pour savoir s’il pourrait déposer en janvier/février ou en février/mars 1972.
Le 21 février, il fixa au 28 mars une audience à laquelle il convoqua M. Xymenes. Ce dernier n’ayant pas comparu, il lui infligea le 29 mars une amende de 500 DM; il le somma en outre de se rendre à une nouvelle audience devant se dérouler le 31 mai.
M. Xymenes exerça le 8 avril un recours contre sa peine en se fondant sur un certificat médical mais le tribunal le débouta et transmit le dossier à la Cour administrative de Hesse. Celle-ci invita le médecin de l’intéressé, le 26 avril, à lui fournir de plus amples détails au sujet dudit certificat. Après les avoir reçus le 2 mai, elle leva l’amende le 18.
Le dossier revint le 29 au tribunal qui annula le jour même l’audience pour le 31, par le motif que la présence de M. Xymenes ne pouvait être assurée.
En vertu d’une ordonnance du 7 juin 1972, une nouvelle audience eut lieu le 11 juillet, à laquelle M. Xymenes ne se présenta pas davantage.
Le 13 juillet, le tribunal le condamna à une amende de 500 DM. Le 10 août, il fixa au 19 septembre la suite de l’audition des témoins. Le 22 août, il lança un mandat d’amener contre M. Xymenes qui déposa le 19 septembre.
36. À l’issue de cette dernière séance, le tribunal donna aux parties l’occasion de formuler par écrit, pour le 15 octobre, leurs observations quant au résultat des interrogatoires. Le Dr König se prévalut de cette faculté le 13 octobre.
Le 14 novembre, de nouveaux avocats avisèrent le tribunal que le requérant leur avait confié sa défense et le prièrent d’attendre leur mémoire. Celui-ci arriva le 12 février 1973; il commentait les témoignages déjà recueillis, renouvelait les offres de preuve antérieures et en formulait d’autres. Le même jour, Me Demme se présenta comme le nouvel avocat du requérant.Le tribunal communiqua le mémoire au Regierungspräsident le 22 février.
Entre-temps, le tribunal avait demandé au Dr König, le 30 janvier, de produire le dossier de deux de ses anciens patients. Le 22 février, il réitéra cette demande – car il n’avait reçu que des photocopies des pièces en question – et s’efforça d’atteindre un témoin de plus.
37. Le 30 mars 1973, le tribunal, tout en complétant son ordonnance du 26 août 1969 (paragraphe 30 ci-dessus), fixa au 17 avril la suite des auditions de témoins et des débats contradictoires. A l’issue de la séance du 17 avril, il indiqua qu’il rendrait une décision le 8 mai.
Après avoir essayé de se procurer l’adresse de témoins et pris connaissance, le 18 avril, d’un nouvel écrit du requérant, le tribunal ajourna cependant sine die, le 2 mai, le prononcé de sa décision; en même temps puis ultérieurement, il invita l’intéressé à lui fournir d’autres renseignements qui lui parvinrent les 14 mai et 9 juillet. Dans l’intervalle entre ces deux dates, il fit en outre rechercher l’adresse de plusieurs témoins.
Les parties développèrent leurs mémoires les 26 et 30 juillet 1973.
38. Le 16 août 1973, le tribunal décida un deuxième complément d’enquête et spécialement l’audition de cinq nouveaux témoins. Le lendemain, il expédia le dossier au tribunal cantonal(Amtsgericht) de Bad Kissingen afin que celui-ci entendît l’un d’eux; le 20 août, il fixa au 21 septembre l’audition de trois autres, mais le 22 août il la renvoya au 5 octobre à la demande du Dr König. Après le retour du dossier de Bad Kissingen, il chargea le tribunal cantonal d’Altena, le 19 septembre, d’interroger un autre témoin.
39. Auparavant, le requérant avait exercé le 22 août auprès du ministre de la justice de Hesse un recours hiérarchique (Dienstaufsichtsbeschwerde) dans lequel il déclarait en outre récuser »le tribunal administratif de Francfort ». Pour cette raison, le tribunal annula le 3 octobre l’audience qui devait se dérouler le 5.
Le 4 octobre, la 3ème chambre du tribunal administratif, qui paraissait compétente en la matière, pria le Dr König de préciser lequel des juges il visait, lui indiquant qu’il n’était pas possiblede récuser tous les membres d’une chambre.
L’intéressé répondit le 19 octobre qu’il limitait sa demande au juge-rapporteur de la 4ème chambre, auquel il reprochait certains termes de la commission rogatoire adressée le 19 septembre au tribunal cantonal d’Altena.
Le même jour, Me Schilling, mandaté par le requérant, dénonça auprès de la Cour constitutionnelle fédérale la durée de la procédure. Invité le 31 octobre à formuler ses observations, le tribunal le fit le 9 novembre et transmit le dossier à la Cour constitutionnelle le 15. Celle-ci statua le 28 novembre; elle refusa d’accueillir le recours, par le motif qu’il n’offrait pas de chances suffisantes de succès.
A nouveau en possession du dossier depuis le 10 décembre, le tribunal accepta le 8 janvier 1974 la récusation du juge-rapporteur.
40. Afin de permettre au ministre de la justice de Hesse de rendre sa décision sur le recours hiérarchique, le tribunal envoya ensuite le dossier à celui-ci qui le reçut le 14 janvier 1974 et leretourna le 8 mars. Le 22 mars, il le communiqua au parquet (Staatsanwaltschaft) de Hagen à la demande de celui-ci et du président du tribunal régional (Landgericht) de la même ville, lequel en avait besoin pour examiner un autre recours hiérarchique du Dr König.
41. Le 26 avril 1974, ce dernier pria le tribunal de ne pas interroger un témoin dont la convocation était prévue. Il réitéra cette demande le 28 mai; le 6 juin, le tribunal la rejeta et décida detenir audience le 30 juillet.
Quelques-uns seulement des témoins comparurent à cette date. Un témoin fut entendu chez lui le 14 août; un autre déposa par écrit.
Le dossier fut adressé le 14 août au ministre de la justice de Hesse pour les besoins de l’instance engagée par le Dr König devant la Commission le 3 juillet 1973. A cette occasion, le président de la 4ème chambre fit part de ses observations sur le résultat de l’enquête à laquelle le tribunal avait procédé; il estimait que les déclarations en partie contradictoires des témoins ne permettaient pas une conclusion nette sur l’activité du requérant en sa qualité de gérant de clinique; dès lors, la question se posait de savoir si sa conduite en tant que médecin devait aussi être prise en considération; toutefois, il n’appartenait pas à la 4ème chambre de se prononcer sur les reproches adressés au Dr König en cette dernière qualité, puisqu’ils faisaient l’objet d’un procès pendant devant la 2ème chambre.
42. Le 25 août, le requérant présenta des observations sur les dires d’un témoin et conclut à l’audition de sept autres. Une copie de ce mémoire, que le tribunal lui avait réclamée le 28, fut envoyée le 5 septembre au Regierungspräsident qui répondit le 7 octobre.
Le ministre de la justice de Hesse retourna le dossier au tribunal le 28 octobre.
43. Auparavant, le tribunal avait été avisé que l’intéressé avait confié en juillet sa défense à un autre avocat, Me Unruh. Celui-ci se déchargea de son mandat le 26 novembre et son successeur, Me Heldmann, qui s’était présenté pour le requérant le 18 octobre 1974, fit de même le 21 février 1975.
44. Le 10 février 1975, le président de la 4ème chambre eut un entretien avec le requérant. Celui-ci déclara qu’il avait loué les locaux de sa clinique en vue d’y installer une maison de retraite et qu’il ne la rouvrirait – en association avec un chirurgien – qu’une fois autorisé à nouveau à pratiquer. En outre, il exprima son accord pour que priorité fût donnée à la procédure en cours devant la 2ème chambre et relative à l’exercice de sa profession.
45. Aux fins de l’instance pendante devant la Commission, le dossier fut envoyé le 5 mai au ministre de la justice de Hesse. Restitué au tribunal le 26 juin, il fut communiqué le 4 juillet au nouvel avocat du Dr König, Me Cartus, de Karlsruhe, qui s’était présenté le 16 avril. Le tribunal lui avait accordé, pour le consulter, un délai de deux semaines, qu’il prolongea le 11 juillet jusqu’au 8 août.
Toutefois, le 18 juillet, l’intéressé informa le tribunal qu’il avait révoqué le mandat de Me Cartus et demanda qu’on lui retirât le dossier qu’il désirait étudier lui-même. Le tribunal s’adressa le 21 à Me Cartus qui retourna le dossier le 29.
Les 1er, 4 et 11 août, le requérant et son nouveau défenseur, Me Mattern, qui le représenta du 22 juillet au 14 août, prièrent le tribunal de leur remettre certains documents, dont des comptes rendus d’interrogatoire; il leur en expédia deux le 18.
Du 11 au 23 septembre, le dossier se trouva entre les mains de Me Unruh, à nouveau chargé de la défense du Dr König depuis le 11 septembre.
46. Le 6 novembre 1975, une deuxième demande en récusation, que le requérant avait adressée au ministre de la justice de Hesse le 10 octobre, fut versée au dossier (cf. aussi le paragraphe 67 ci-dessous).
Le 2 décembre, le président de la 4ème chambre écrivit à l’intéressé pour savoir s’il entendait récuser les membres de la chambre pour cause de partialité et, dans l’affirmative, lesquels d’entre eux.
Quant à la durée de la procédure, le président soulignait:
« Je tiens à relever que nous avons parlé à plusieurs reprises de l’opportunité de poursuivre la procédure relative à l’autorisation de diriger une clinique, procédure pendante devant la 4ème chambre. A ces occasions, vous êtes convenu avec moi qu’il fallait d’abord attendre la conclusion de la procédure relative à l’autorisation d’exercer la médecine parce qu’elle devait être considérée comme prioritaire. Vous avez aussi précisé que vous ne rouvririez pas votre clinique avant cette date bien que cela vous soit juridiquement possible. Si vous avez changé d’avis, veuillez me le faire savoir. »
L’avocat du Dr König répondit le 8 décembre que la demande visait en premier lieu la présidente de la 2ème chambre et le déroulement de la dernière audience devant celle-ci. Il invita le tribunal à ne pas se prononcer pour le moment sur le point de savoir si son client récusait la 4ème chambre.
Au sujet de la durée de la procédure, il déclara:
« La question de la conclusion de la procédure relative à l’autorisation d’exercer la médecine est actuellement prioritaire parce que dans cette procédure a été ordonnée l’exécution immédiate de la décision administrative. On sait que l’exécution immédiate de la décision de retrait de l’autorisation d’exploiter la clinique n’a pas été ordonnée; en conséquence, pour ce qui est des deux dernières phrases de votre lettre du 2 décembre 1975, il n’est pas actuellement nécessaire que la 4ème chambre du tribunal administratif de Francfort-sur-le-Main statue à bref délai. »
Le 25 avril 1976, le requérant révoqua le mandat de Me Unruh.
47. La procédure devant la 4ème chambre resta donc en suspens; elle ne reprit qu’après le prononcé, le 9 juin 1976, du jugement de la 2ème chambre.
Des audiences, prévues à l’origine pour le 17 mai 1977 puis ajournées à la demande du requérant, eurent lieu au mois de juin.
Le 22 juin 1977, la 4ème chambre débouta le requérant de son recours contre le retrait de l’autorisation d’exploiter sa clinique. Elle fonda son jugement sur les preuves recueillies entre novembre 1969 et août 1974 lors de l’audition de dix-sept témoins.
Le Dr König interjeta appel auprès de la Cour administrative de Hesse où l’affaire est toujours en instance devant la chambre (Senat) qui a statué le 2 mai 1978 sur son appel contre le jugement de la 2ème chambre du tribunal administratif (paragraphe 69 ci-dessous).
Devant la Cour administrative, le requérant est représenté par un autre avocat, Me Hofferbert, de Francfort.
48. D’après les statistiques présentées par le Gouvernement à titre purement indicatif au sujet de la procédure devant la 4ème chambre, 1.149 jours de procédure sont à attribuer à des actes du tribunal, 1.725 à des actes du requérant et de ses avocats et 555 à des actes de tiers dont les autorités administratives mises en cause, les autorités médicales et les témoins.
3. Le retrait de l’autorisation d’exercer la profession de médecin – procédure devant la 2ème chambre du tribunal administratif de Francfort
49. Le 12 mai 1971, le Regierungspräsident de Darmstadt retira au requérant l’autorisation de pratiquer et ordonna l’exécution immédiate de cette décision (article 80 par. 2, no 4, du code de procédure administrative, Verwaltungsgerichtsordnung). Sur la base des faits constatés par les tribunaux professionnels en 1964 et 1970 (paragraphe 16 ci-dessus), il estimait que le Dr König avait eu un comportement révélant son indignité et son manque de conscience professionnelle. Il se fondait sur les clauses ci-après de la loi fédérale:
Article 5 par. 2
« L’autorisation d’exercer la profession de médecin est révoquée si, postérieurement à son octroi, l’une des conditions énoncées à l’article 3 par. 1, première phrase, no 2, cesse de se trouver remplie. »
Article 3 par. 1
« L’autorisation d’exercer la profession de médecin est accordée sur demande si l’intéressé
1. (…);
2. ne s’est pas rendu coupable d’un comportement montrant qu’il est indigne ou n’offre pas les garanties suffisantes pour l’exercice de la profession (…). »
50. A la demande du requérant, et pour lui permettre d’envoyer ses patients chez des confrères, le tribunal administratif de Francfort rétablit le 1er juin 1971 l’effet suspensif de l’opposition contre la décision du Regierungspräsident, mais seulement jusqu’au 30; le Dr König s’en plaignit à la Cour administrative de Hesse qui le débouta le 6 juillet.
51. Le Regierungspräsident ayant repoussé, le 17 septembre 1971, l’opposition que le requérant avait formée le 18 mai contre la décision de retrait, l’intéressé se pourvut le 20 octobre 1971 devant le tribunal administratif de Darmstadt. Le 25, celui-ci renvoya l’affaire, pour raison de compétence, au tribunal administratif de Francfort dont la 2ème chambre, chargée entre autres des questions relevant du droit de la profession médicale, fut saisie.
52. Le 2 novembre 1971, le tribunal administratif de Francfort signifia le recours au Regierungspräsident, l’invitant à formuler ses observations et à produire les dossiers de ses services.
Présenté le 24 janvier 1972, le mémoire du Regierungspräsident fut communiqué le surlendemain à l’avocat du requérant. Le tribunal l’ayant interrogé le 24 avril sur le point de savoir s’il entendait y répondre, l’avocat sollicita une prolongation du délai jusqu’à la fin de mai.
Le contre-mémoire en question arriva le 26 juin et fut transmis au Regierungspräsident pour réplique. A la suite du dépôt, le 11 juillet, d’une volumineuse note complémentaire de l’avocat, leRegierungspräsident réclama le 27 le report de l’échéance du délai du 30 juillet à la mi-octobre, mais le 11 août le tribunal ne consentit à la différer que jusqu’au 15 septembre.
53. Le 5 septembre 1972, le tribunal décida l’intervention (Beiladung) de l’ordre régional des médecins. Après avoir invité les parties et l’ordre régional à lui fournir quelques précisions etprescrit la production de certains dossiers de caractère pénal, il suggéra le 14 septembre 1972 un règlement amiable du litige: le Dr König renoncerait à pratiquer à titre indépendant et à diriger sa clinique, tandis que le Regierungspräsident l’autoriserait à nouveau à pratiquer sous certaines conditions. Le requérant refusa cet arrangement le 12 octobre. Le tribunal en informa leRegierungspräsident quatre jours plus tard et lui rappela en même temps qu’il avait à déposer une réplique.
54. Celle-ci atteignit le tribunal le 16 janvier 1973; un mémoire de l’ordre régional des médecins suivit le 16 février.
Le Dr König ayant changé le 12 février d’avocat (paragraphe 36 ci-dessus), son nouveau conseil, Me Demme, consulta le dossier puis le retourna le 14 mars; le 2 mai, il renvoya aussi les dossiers administratifs que le tribunal lui avait communiqués le 20 mars à sa demande. Le 7 mai, il présenta un mémoire que le tribunal transmit, pour observations, au Regierungspräsident et à l’ordre régional.
55. Les 5 mai et 6 août 1973, le tribunal se renseigna auprès du tribunal cantonal et du parquet de Francfort sur l’état de la procédure pénale engagée contre le requérant le 27 juillet 1972(paragraphe 71 ci-dessous).
Le 9 août, le parquet avisa le tribunal qu’après une audience tenue dans l’intervalle ladite procédure avait été suspendue en vue de la comparution d’autres témoins et experts.
56. Le 14 septembre 1973, le président de la Cour administrative adressa une copie du recours hiérarchique du 22 août à la 2ème chambre que le Dr König avait mentionnée en récusant « le tribunal administratif de Francfort » (paragraphe 39 ci-dessus).
Le dossier fut attribué à la 3ème chambre pour qu’elle se prononçât sur la demande en récusation. Il était accompagné de déclarations des membres de la 2ème chambre; en particulier, le juge-rapporteur signalait que celle-ci souhaitait attendre le résultat des poursuites pénales, vu leur intérêt pour la question en litige devant elle.
Le 8 octobre, la 3ème chambre rejeta la demande par le motif que le requérant n’avait pas prouvé l’existence de raisons de nature à la justifier. Une fois cette sentence définitive, le dossier retourna, le 26, à la 2ème chambre.
57. Estimant que les poursuites pénales engagées contre le requérant (paragraphe 71 ci-dessous) présentait de l’importance pour l’instance en cours devant lui, le tribunal avait décidé, le 25 septembre 1973, de suspendre sa procédure pour attendre l’issue de ces poursuites pénales (article 94 du code de procédure administrative).
58. Le 19 octobre 1973, le Dr König s’était plaint à la Cour constitutionnelle de la durée des procédures pendantes devant les 2ème et 4ème chambres (paragraphe 39 ci-dessus). Invité par elle, le 31, à présenter ses observations, le président de la 2ème chambre répondit, le 6 novembre, que cette dernière entendait surseoir à statuer jusqu’à la fin de l’instance pénale.
La Cour constitutionnelle décida le 28 novembre de ne pas retenir le recours. Elle releva notamment que la 2ème chambre, en refusant de fixer une date d’audience tant qu’elle ne connaîtrait pas le résultat de la procédure pénale, avait jusque-là usé correctement de son pouvoir discrétionnaire en la matière. Les neuf volumes du dossier lui avaient été expédiés le 19 novembre; ils revinrent au tribunal le 10 décembre.
59. Le 16 février 1974, le tribunal cantonal de Francfort informa la 2ème chambre que dans la procédure pénale il fallait encore faire procéder à des expertises détaillées et que les débats ne se dérouleraient pas avant le second semestre de l’année.
Le 26 mars, la 2ème chambre pria le tribunal cantonal de lui confirmer que le requérant demeurait accusé, notamment, d’avoir persisté à pratiquer malgré le retrait de l’autorisation nécessaire.
60. Saisie derechef par l’intéressé, la Cour constitutionnelle invita la 2ème chambre, le 11 avril 1974, à lui fournir un rapport complémentaire sur l’état de la procédure et, eu égard à la durée de celle-ci, à lui indiquer si l’on ne pouvait consentir au Dr König des concessions quant à l’exécution immédiate du retrait.
La présidente de la 2ème chambre répondit le jour même. A modifier la décision qui avait refusé de suspendre cette exécution immédiate, soulignait-elle, on exposerait à des dangers la santé des patients du requérant si les accusations portées contre lui se révélaient fondées. La chambre ne se croyait pas en mesure d’assumer un tel risque. En outre, l’expérience judiciaire ne permettait pas de penser que la chambre pouvait élucider plus vite que le tribunal cantonal, mais avec une égale sûreté, l’accusation d’après laquelle le Dr König avait persisté à pratiquer des opérations.
La Cour constitutionnelle décida le 30 mai de ne pas accueillir le recours, par le motif qu’il n’offrait pas assez de chances de succès. Sa décision parvint au tribunal administratif le 6 juin.
61. Auparavant, ce dernier avait avisé le requérant, le 25 avril 1974, qu’il persistait dans sa décision d’attendre l’issue des poursuites.
Le 8 mai, le tribunal cantonal avait confirmé à la 2ème chambre (paragraphe 59 ci-dessus) que le Dr König restait accusé d’avoir continué de pratiquer après le retrait de l’autorisation. Il avait ajouté qu’un jugement ne pouvait guère être rendu dans les six mois car le requérant avait récusé un des juges et une procédure importante de recours avait commencé.
62. Invoquant la durée de la procédure, l’intéressé demanda au tribunal administratif, le 11 juillet 1974, de rétablir l’effet suspensif de son recours contre la décision de retrait.
Le dossier fut cependant envoyé au ministre de la justice de Hesse qui l’avait réclamé le 29 juillet pour les besoins de l’instance en cours devant la Commission; il fit retour au tribunal le 24 octobre après le dépôt à Strasbourg des observations du Gouvernement sur la recevabilité.
Entre le 11 juillet et le 24 octobre, le requérant avait changé deux fois de conseil (paragraphe 43 ci-dessus); le second des avocats ainsi nommés par lui, Me Heldmann, disposa du dossier jusqu’au 16 décembre pour le consulter.
63. Le 3 janvier 1975, la 2ème chambre rejeta la demande du 11 juillet 1974. Le Dr König, qui avait retiré le mandat de son avocat (paragraphes 43 et 45 ci-dessus), se pourvut aussitôt enpersonne devant la Cour administrative de Hesse, mais elle le débouta le 4 novembre. S’appuyant sur les déclarations de témoins recueillies au cours de la procédure devant la 2ème chambre, la Cour estima que le requérant, s’il était autorisé à pratiquer, risquait de mettre en danger ses clients éventuels. Auparavant le Dr König avait attaqué la décision de la 2ème chambre devant la Cour constitutionnelle fédérale qui, pour non-épuisement des voies de recours, avait refusé de retenir la requête.
64. Une fois le dossier restitué au tribunal le 26 juin 1975, le président de la 2ème chambre et le juge-rapporteur convinrent le 30, afin d’accélérer les choses, de ne plus attendre le résultat des poursuites pénales ni de la procédure engagée devant la Cour administrative. Ils envisagèrent pour les débats la date du 3 septembre.
Toujours le 30 juin, le juge-rapporteur s’enquit auprès du tribunal cantonal de l’état desdites poursuites.
Le 10 juillet 1975, la Cour constitutionnelle décida de ne pas accueillir un nouveau recours introduit, au nom du Dr König, par Me von Stackelberg et qui dénonçait notamment la lenteur de la procédure. Elle estima notamment que les particularités, tant de fait que de droit, de la cause et l’indignité du requérant de pratiquer, constatée à titre définitif par le tribunal régional pour lesprofessions médicales, justifiaient que la 2ème chambre attendît la décision dans l’instance pénale et maintînt l’exécution immédiate du retrait de l’autorisation. Elle ajouta que du reste rien n’empêchait le Dr König de demander à nouveau, en invoquant principalement la durée de la procédure, que l’effet suspensif du recours contre ledit retrait fût rétabli.
65. Le 14 juillet 1975, la 2ème chambre décida de tenir les 2 et 3 septembre des audiences consacrées à l’administration des preuves et aux plaidoiries. Sa décision fut communiquée aux parties le surlendemain.
Les 28 et 31 juillet, la chambre fit rechercher l’adresse de quelques témoins. Le 14 août, elle fut informée que Me Mattern, l’avocat désigné par l’intéressé le 22 juillet (paragraphe 45 ci-dessus), avait cessé de le représenter. Six jours plus tard, le requérant déposa un mémoire; le Regierungspräsident en avait soumis un le 14 août.
66. Les débats eurent bien lieu les 2 et 3 septembre 1975. Après avoir entendu six témoins, le tribunal fixa au 12 novembre une deuxième audience qu’elle annula le 14 octobre car le dossier se trouvait à la Cour administrative de Hesse, appelée à statuer sur le recours du 3 janvier (paragraphe 63 ci-dessus).
67. Dans une lettre du 10 octobre, arrivée le 13 au ministère de la justice de Hesse, le Dr König avait réclamé le renvoi à un autre tribunal des causes pendantes devant les 2ème et 4ème chambres dont les juges, selon lui, ne pouvaient « plus être qualifiés d’impartiaux ».
Le 16, le ministre transmit la lettre au tribunal administratif de Francfort. Les 2ème et 4ème chambres en furent saisies le 6 novembre (cf. aussi le paragraphe 46 ci-dessus).
Le 13 novembre, la présidente de la 2ème chambre écrivit au requérant pour savoir s’il s’agissait d’une demande en récusation. L’avocat de l’intéressé, Me Unruh, qui le représenta à nouveau du 11 septembre 1975 au 25 avril 1976 (paragraphes 45 et 46 ci-dessus), lui répondit le 6 décembre que son client la récusait elle-même. Il sollicita en outre l’autorisation de consulter le dossier qui demeura à sa disposition au greffe jusqu’au 13 janvier 1976, mais il n’alla pas l’y chercher.
A cette dernière date, le dossier fut expédié au ministère de la justice de Hesse pour les besoins de l’instance en cours devant la Commission. Il fit retour le 17 février au tribunal qui rejeta lademande en récusation le 5 mars.
68. Le 15 avril 1976, la 2ème chambre décida d’entendre d’autres témoins le 12 mai.
Le 28 avril, elle refusa la remise demandée le 24 par l’avocat du Dr König; elle souligna que ce dernier avait insisté sur l’urgence d’une décision.
Avisée par lui le lendemain que des débats se dérouleraient le 12 mai dans l’affaire pénale, elle accepta le 6 mai de différer l’audience jusqu’au 9 juin.
Le 1er juin, le requérant réclama une nouvelle remise, affirmant qu’il lui fallait se préparer le 9 aux débats qui devaient reprendre au pénal le 10. La 2ème chambre rejeta la demande le 9 après avoir constaté qu’il avait eu assez de temps pour se préparer.
69. Le 9 juin 1976, après avoir entendu des témoins, le tribunal débouta l’intéressé de son recours contre le retrait de l’autorisation de pratiquer la médecine. Son jugement, qui s’appuie sur les témoignages de huit personnes entendues par lui en 1975 et dont la plupart avaient déjà déposé au sujet des mêmes faits devant la 4ème chambre, fut communiqué le 3 août au requérant dont l’avocat fit appel le 11.
Le 13 août, le dossier fut envoyé par le tribunal à la Cour administrative de Hesse, qui par un arrêt du 2 mai 1978 a rejeté le recours; cet arrêt n’est pas encore définitif.
70. D’après les statistiques présentées par le Gouvernement à titre purement indicatif au sujet de la procédure devant la 2ème chambre, 569 jours de procédure sont à attribuer à des actes du tribunal, 841 à des actes du requérant et de ses avocats et 311 à des actes de tiers dont les autorités administratives mises en causes, les autorités médicales et les témoins.
4. Les poursuites pénales contre le requérant
71. Les poursuites pénales contre le requérant ne se trouvent pas en cause, mais il y a lieu de les mentionner en raison de leur incidence sur le procès engagé devant la 2ème chambre du tribunal administratif de Francfort qui avait sursis à statuer dans l’attente de leur résultat (paragraphes 55-61 et 64 ci-dessus).
Elles tirent leur origine d’une dénonciation que le Regierungspräsident de Darmstadt avait déposée contre le Dr König, le 27 juillet 1972, auprès du parquet de Francfort pour exercice illégale de la médecine, lésions corporelles et escroquerie.
72. Le requérant, qui avait refusé le 10 août 1972 d’être interrogé par la police, fut déféré le 11 septembre au tribunal cantonal de Francfort, formé en tribunal d’échevins (Schöffengericht).L’acte d’accusation (Anklageschrift) lui reprochait d’avoir persisté, entre septembre 1971 et le début de juin 1972, à pratiquer malgré le retrait de l’autorisation nécessaire (infraction continue à la loi fédérale sur l’exercice de la profession médicale), et d’avoir de ce fait commis des escroqueries (article 263 du code pénal) ainsi que d’avoir provoqué, dans un cas, des lésions corporelles graves (articles 223 et 223 a) du code pénal).
73. Le 17 avril 1973, le tribunal tint une audience à l’issue de laquelle il ordonna de nombreuses mesures d’instruction. Un psychiatre et un psychologue exprimèrent leur avis sur l’une desvictimes prétendues, la seule que le parquet eût citée comme témoin; elle s’était constituée partie civile le 13 novembre 1972.
74. Le 14 février 1974, le tribunal décida de faire examiner le Dr König par un psychiatre à moins qu’il ne soumît lui-même, pour le 20 avril, un rapport d’expertise relatif à son état mental.
L’intéressé attaqua le 1er mars cette décision et celle du 17 avril 1973. Le 14 mars, il déclara récuser le président du tribunal d’échevins; un juge ayant rejeté cette demande le 6 mai, il le récusa le 15 en même temps que le président.
Le 26 mai, le tribunal cantonal rejeta le recours et la demande; il fixa au 1er août le terme du délai de présentation de l’expertise privée.
75. Le surlendemain, le requérant réitéra son recours du 1er mars tout en introduisant un recours hiérarchique contre le président du tribunal d’échevins. Le premier recours fut écarté par le tribunal régional de Francfort le 10 juin 1974; les pièces du dossier n’indiquent pas la suite réservée au second.
76. Le 29 juin, le Dr König récusa l’expert choisi par le tribunal et en proposa deux autres. Le 3 juillet, il compléta cette demande et se pourvut devant la Cour constitutionnelle fédérale contre les décisions des 14 février et 26 mai. Le 4, il invita le tribunal cantonal à surseoir à l’exécution de la première jusqu’à ce que ladite Cour eût statué. Le tribunal s’y refusa le 16 juillet; neuf jours plus tard lui fut communiquée la décision de la Cour constitutionnelle rejetant le recours du 3 juillet.
Le 7 août, le tribunal rejeta une demande du requérant tendant à un nouvel examen de la partie civile par un psychiatre.
77. Le 15 août 1974, le tribunal cantonal se dessaisit au profit du tribunal régional de Francfort: il estima que la peine susceptible d’être prononcée allait au-delà de celle qu’il avait compétence pour infliger.
Aux termes de l’article 24 par. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz), tel qu’il s’appliquait à l’époque, un tribunal cantonal ne pouvait « condamner ni à une peineprivative de liberté supérieure à trois ans, ni à une détention à titre de mesure de sûreté (Sicherungsverwahrung) ».
78. Le 10 octobre, la 18ème chambre correctionnelle (Strafkammer) du tribunal régional, à laquelle l’affaire avait été attribuée, fixa les débats (Hauptverhandlung) aux 4, 6 et 11 décembre.Le 25 octobre, elle joignit à la procédure en cours une nouvelle accusation que le parquet avait formulée le 7 août et qui reprochait au Dr König d’avoir pratiqué le 17 juillet 1972 à BadHomburg, malgré le retrait de l’autorisation nécessaire, et causé des lésions corporelles à son patient. Le 4 décembre, le requérant n’ayant pas comparu, le tribunal décerna contre lui un mandat d’arrêt et ajourna les audiences sine die.
79. Le 1er janvier 1975, l’affaire fut attribuée à la 1ère chambre qui toutefois comprenait les mêmes juges que la 18ème en 1974.
Le 2 janvier, la chambre ordonna l’audition de plusieurs témoins par voie de commissions rogatoires. Des témoins furent entendus en février et en mars par les tribunaux cantonaux de Coblence, Ahrensburg et Dusseldorf.
Le 24 mars, la chambre leva le mandat d’arrêt du 4 décembre.
Le 15 mai, son vice-président décida que les débats se dérouleraient à la mi-janvier 1976; il chargea en outre le tribunal cantonal d’Ahrensburg d’interroger à nouveau un témoin.
80. Le 20 juin 1975, le bureau du tribunal régional dessaisit la 1ère chambre, à compter du 23, de toutes les causes dont elle avait à connaître comme juridiction de première instance. Les poursuites pendantes contre le Dr König furent déférées à la 13ème chambre.
Le président de celle-ci reçut communication du dossier le 10 juillet. Le 8 août, il renvoya les audiences aux 3, 5, 10 et 12 février 1976, dates qu’il annula le 13 octobre 1975 parce que la chambre devait s’occuper d’une autre affaire importante.
81. Le 1er janvier 1976, toutes les affaires de première instance commençant par la lettre K, dont celle du requérant, furent attribuées à la 25ème chambre du tribunal régional conformément au plan de répartition pour 1976.
Les débats s’ouvrirent devant cette chambre le 5 mai. Après vingt-trois jours d’audiences, elle rendit le 24 septembre une décision de non-lieu (Einstellung des Verfahrens) en vertu del’article 153 a) du code de procédure pénale.
Ainsi qu’il ressort de cette décision, le tribunal jugea minime la culpabilité du Dr König. Celui-ci s’étant engagé à payer 8.000 DM à la partie civile et 20.000 DM au Trésor, la chambre estima qu’il n’existait plus d’intérêt public à poursuivre la procédure. Constatant que le requérant avait versé les sommes en question au cours de l’audience même, la chambre conclut que sa décision de non-lieu était définitive.
PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION
82. Dans sa requête du 3 juillet 1973 à la Commission, le Dr König se plaignait de la lenteur de la procédure devant le tribunal administratif de Francfort et se prétendait victime d’une violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention.
Le 27 mai 1975, la Commission a déclaré la requête recevable.
83. Dans son rapport du 14 décembre 1976, la Commission a formulé l’avis:
– par dix voix contre six, que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention était applicable aux droits que le requérant faisait valoir devant les tribunaux administratifs;
– par neuf voix contre six, avec une abstention, qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Le rapport renferme diverses opinions séparées.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
84. Dans son mémoire du 18 juillet 1977, l’agent du Gouvernement a conclu:
« (…) je voudrais limiter d’abord ma demande à ce que la Cour dise que l’article 6 par. 1, première phrase (art. 6-1), de la Convention n’est pas applicable aux procédures intentées par le requérant devant les tribunaux administratifs contre le retrait de l’autorisation d’exercer la profession de médecin et contre le retrait de l’autorisation de diriger une clinique privée et que la République fédérale d’Allemagne n’a donc pas violé la Convention dans la présenteprocédure. »
A l’audience du 16 novembre 1977, l’agent du Gouvernement a invité la Cour à dire
« que la République fédérale d’Allemagne n’a pas violé l’article 6 (art. 6) de la Convention ».
EN DROIT
1. Sur la violation alléguée de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
85. La Cour rappelle que ni la procédure disciplinaire qui en l’espèce s’est déroulée devant les tribunaux professionnels contre le Dr König, ni la procédure pénale engagée contre lui ne sont en cause dans la présente affaire (paragraphe 18 ci-dessus). Le requérant se plaint de la durée des instances qu’il a introduites devant le tribunal administratif de Francfort (paragraphe 18 ci-dessus). Il allègue une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel:
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
Il incombe par conséquent à la Cour de rechercher si l’article 6 par. 1 (art. 6-1) est applicable en l’espèce et, dans l’affirmative, si le « délai raisonnable » qu’il mentionne a été respecté dans chacune des deux procédures judiciaires litigieuses.
a) Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
86. Pour la majorité de la Commission, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’applique aux droits que le requérant a invoqués devant le tribunal administratif de Francfort, à savoir le droit d’exploiter sa clinique et celui d’exercer sa profession de médecin; elle leur attribue en effet un « caractère civil ». Elle se répartit en deux groupes qui arrivent à la même conclusion, mais pour des raisons différentes.
Le Gouvernement conteste le bien-fondé de cette opinion.
87. La Cour relève d’abord un fait non controversé: d’après la législation de l’État en cause, les « contestations » dont le requérant a saisi les juridictions allemandes portent sur des « droits ». Ladivergence de vues entre la Commission et le Gouvernement concerne le seul point de savoir s’il s’agit, en l’espèce, de contestations sur des droits de caractère civil au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
88. Commission et Gouvernement s’accordent pour penser que la notion de « droits et obligations de caractère civil » ne peut être interprétée seulement par référence au droit interne de l’Étatdéfendeur.
Le problème de l’ »autonomie » du sens des termes de la Convention par rapport à leur sens en droit interne a déjà été posé à plusieurs reprises devant la Cour. Ainsi, elle a jugé que le mot « accusation », qui apparaît à l’article 6 par. 1 (art. 6-1), doit se comprendre « au sens de la Convention » (arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A no 8, p. 41, par. 18, à rapprocher du deuxième alinéa de la p. 28 et du premier alinéa de la p. 35; voir aussi arrêt Wemhoff du 27 juin 1968, série A no 7, pp. 26-27, par. 19; arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 45, par. 110; arrêt Engel et autres du 8 juin 1976, série A no 22, p. 34, par. 81). Elle a affirmé d’autre part, dans le contexte de l’affaire Engel et autres, l’ »autonomie » de la notion de « matière pénale » au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (arrêt Engel et autres précité, p. 34, par. 81). La Cour a aussi déjà reconnu, implicitement, celle du concept de « droits et obligations de caractère civil » (arrêt Ringeisen précité, p. 39, par. 94).
La Cour confirme cette jurisprudence en l’espèce. Elle estime en effet que le même principe d’autonomie s’applique au concept en question. Toute autre solution risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention (cf., mutatis mutandis, arrêt Engel et autres précité, p. 34, par. 81).
89. Si la Cour conclut ainsi à l’autonomie de la notion de « droits et obligations de caractère civil », elle ne juge pas pour autant dénuée d’intérêt, dans ce domaine, la législation de l’Étatconcerné. C’est en effet au regard non de la qualification juridique, mais du contenu matériel et des effets que lui confère le droit interne de l’État en cause, qu’un droit doit être considéré ou non comme étant de caractère civil au sens de cette expression dans la Convention. Il appartient à la Cour, dans l’exercice de son contrôle, de tenir compte aussi de l’objet et du but de la Convention ainsi que des systèmes de droit interne des autres États contractants (cf., mutatis mutandis, arrêt Engel et autres précité, p. 35, par. 82).
90. D’après le Gouvernement, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) vise les contestations de droit privé au sens classique, c’est-à-dire entre des particuliers, ou entre un particulier et l’État dans la mesure où ce dernier a agi comme personne privée, soumise au droit privé; en seraient exclus notamment les litiges opposant un particulier à l’État en tant que détenteur de la puissance publique.
En ce qui concerne le champ d’application de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), la Cour a jugé dans son arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971 qu’ »il n’est pas nécessaire », pour que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’applique à une contestation, que « les deux parties au litige soient des personnes privées. Le libellé de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) est beaucoup plus large; les termes français ‘contestations sur (des) droits et obligations de caractère civil’ couvrent toute procédure dont l’issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé. Le texte anglais, qui vise ‘the determination of (…) civil rights and obligations’, confirme cette interprétation. Peu importent dès lors la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit être tranchée (…) et celle de l’autorité compétente en la matière (…) » (série A no 13, p. 39, par. 94).
Si la contestation oppose un particulier à une autorité publique, il n’est donc pas décisif que celle-ci ait agi comme personne privée ou en tant que détentrice de la puissance publique.
En conséquence, pour savoir si une contestation porte sur la détermination d’un droit de caractère civil, seul compte le caractère du droit qui se trouve en cause.
91. La Cour rappelle tout d’abord que les recours du requérant devant les tribunaux administratifs allemands ne portent pas sur le droit d’être autorisé à exploiter une clinique et à exercer la profession de médecin (paragraphes 20, 21, 28 et 51 ci-dessus): contestant le retrait de ses autorisations ordonné par les autorités compétentes, le Dr König réclame le droit de continuer à exercer ses activités professionnelles pour lesquelles il avait obtenu les autorisations nécessaires. Si les procédures devant les juridictions administratives aboutissaient, le requérant ne se verrait pas accorder de nouvelles autorisations: la juridiction annulerait simplement les décisions de retrait prises par les Regierungspräsidenten de Wiesbaden et de Darmstadt (cf. article 42 du code allemand de procédure administrative).
Dès lors, il reste à rechercher si le droit du Dr König de continuer à exploiter une clinique privée et celui de continuer à exercer la profession médicale revêtent un caractère civil au sens del’article 6 par. 1 (art. 6-1).
92. En ce qui concerne l’exploitation d’une clinique privée, la Cour constate qu’il s’agit en République fédérale d’Allemagne d’une activité commerciale sous certains aspects, exercée dans un but lucratif et que le droit allemand qualifie de « Gewerbe ». Se déployant dans le secteur privé par la conclusion de contrats entre la clinique et les patients, elle se présente comme l’exercice d’un droit privé s’apparentant à certains égards au droit de propriété. Assurément, les cliniques privées sont soumises à un contrôle que les autorités assument dans l’intérêt public, notamment en vue de la protection de la santé; pareil contrôle, qui existe d’ailleurs généralement pour toutes les activités professionnelles privées dans les États membres du Conseil de l’Europe, ne saurait par lui-même emporter la conclusion que l’exploitation d’une clinique privée est une activité de droit public. En effet, la soumission d’une activité présentant dans le droit de l’État en cause les caractères d’une activité privée à des autorisations et des contrôles administratifs, et éventuellement à des retraits d’autorisation, institués par la loi dans l’intérêt de l’ordre et de la santé publics, n’est pas de nature à la transformer automatiquement en une activité de droit public. La Cour rappelle dans ce contexte, l’affaire Ringeisen dans laquelle le contrôle des autorités publiques visait un contrat de vente entre particuliers: elle a néanmoins conclu au caractère civil du droit en litige (arrêt précité, p. 39, par. 94).
93. La profession de médecin compte en République fédérale d’Allemagne parmi les professions libérales traditionnelles; l’article 1 par. 2 de la loi fédérale le précise du reste (cf. paragraphe 20 ci-dessus). Même conventionnée, la profession de médecin n’est pas un service public: une fois autorisé, le médecin est libre de pratiquer ou non, et il assure le traitement de ses patients sur la base d’un contrat passé avec eux. Sans doute, par delà le traitement de ses patients, le médecin « veille à la santé de la population dans son ensemble », comme le dit la loi susmentionnée. Cette responsabilité, qui incombe à la profession médicale envers la société tout entière, ne modifie pourtant pas le caractère privé de l’activité du médecin; malgré sa grande importance sociale, elle est accessoire dans l’activité du médecin et l’on en trouve l’équivalent dans d’autres professions de caractère indéniablement privé.
94. Dans ces conditions, il importe peu que les contestations concernent en l’occurrence des actes administratifs pris par les autorités compétentes dans l’exercice de la puissance publique.Que d’après le droit de l’État en cause il incombe à des tribunaux administratifs de les trancher – et cela dans une procédure qui laisse au tribunal la responsabilité de l’instruction et de la conduite du procès – n’apparaît pas non plus pertinent. Sous l’angle de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, seul compte le fait que les contestations dont il s’agit ont pour objet la détermination de droits de caractère privé.
95. Estimant ainsi que les droits mis en cause par les décisions de retrait et qui font l’objet des contestations devant les tribunaux administratifs sont des droits privés, la Cour conclut àl’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) sans qu’il lui faille en l’espèce se prononcer sur la question de savoir si la notion de « droits et obligations de caractère civil », au sens de cettedisposition, va au-delà des droits de caractère privé.
96. Devant la Commission, le requérant a plaidé à titre subsidiaire qu’il se trouve en réalité sous le coup d’une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, vu la nature des reproches qui ont entraîné les décisions dont il se plaint. La Commission a rejeté cette allégation dans sa décision sur la recevabilité de la requête; elle l’a rappelé dans son avis.
La Cour note d’abord que cette thèse du requérant avait trait aux mêmes faits que son assertion selon laquelle les contestations devant les juridictions allemandes portaient sur des droits de caractère civil. Il ne s’agissait donc pas d’un grief distinct, mais d’un moyen ou d’un simple argument juridique. Or la Cour, une fois régulièrement saisie, peut connaître de chacun des problèmes de droit qui surgissent en cours d’instance à propos des faits soumis à son contrôle par un État contractant ou par la Commission: maîtresse de la qualification juridique à donner aux faits, elle a compétence pour les examiner, si elle le juge nécessaire et au besoin d’office, à la lumière de l’ensemble de la Convention (cf. notamment arrêt du 23 juillet 1968 sur le fond de l’affaire « linguistique belge », série A no 6, p. 30, par. 1; arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, p. 29, par. 49; arrêt Handyside du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 20, par. 41; arrêt du 18 janvier 1978 dans l’affaire Irlande contre Royaume-Uni, série A no 25, p. 63, par. 157).
Toutefois, la Cour n’estime pas devoir rechercher si en l’espèce le paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1) entre en ligne de compte également à ce titre. En effet, bien que l’article 6 (art. 6) serévèle moins exigeant pour les contestations relatives à des droits de caractère civil que pour les accusations en matière pénale, cette différence ne présente pas ici d’intérêt: le « délai raisonnable », dont il reste à examiner s’il a été respecté par les juridictions allemandes, est un impératif pour toutes les procédures visées par l’article 6 (art. 6).
b) Sur l’observation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
97. D’après la Commission, la durée des procédures engagées par le requérant devant les juridictions administratives a dépassé le « délai raisonnable » de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Devant la Cour, l’agent du Gouvernement a admis que leur longueur constitue un fait grave. Il a d’ailleurs mentionné certains projets à l’étude en République fédérale d’Allemagne, tendant à accélérer la procédure devant les tribunaux administratifs. Tout en posant la question de savoir si, dans les circonstances de la cause, on peut parler d’une violation de la Convention, il s’en remet à la Cour pour apprécier si la durée des procédures était raisonnable.
98. Afin d’être en mesure de se prononcer, la Cour doit d’abord préciser la période à prendre en considération dans l’application de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
Selon le Gouvernement et la Commission, son point de départ est l’introduction des recours auprès du tribunal administratif de première instance. La Cour ne partage pas cette opinion.Comme elle l’a dit dans son arrêt Golder du 21 février 1975, « on conçoit (…) qu’en matière civile (le délai raisonnable) puisse commencer à courir, dans certaines hypothèses, avant même le dépôt de l’acte introduisant l’instance devant le ‘tribunal’ que le demandeur invite à trancher la ‘contestation’ » (série A no 18, p. 15, par. 32). Tel est le cas en l’espèce car le requérant n’a pu saisir le tribunal compétent avant d’avoir fait examiner, dans une procédure préliminaire (Vorverfahren) devant l’autorité administrative, la légalité et l’opportunité des actes administratifs incriminés (article 68 du code allemand de procédure administrative). Par conséquent, le délai raisonnable de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) a pour point de départ dans la présente affaire la date à laquelle le Dr König a formé opposition aux retraits d’autorisation.
Quant à la période à laquelle s’applique l’article 6 (art. 6), la Cour a jugé qu’en matière pénale elle couvre l’ensemble de la procédure en cause, y compris les instances de recours (cf. arrêt Wemhoff précité, pp. 26 et 27, paras. 18 et 20; arrêt Neumeister précité, p. 41, par. 19; arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 13-15, paras. 25 et 26). Il n’en va pas autrement – le Gouvernement l’admet d’ailleurs – dans le cas de contestations sur des droits et obligations de caractère civil, pour lesquelles l’article 6 par. 1 (art. 6-1) exige également qu’une décision intervienne, en première instance, en appel ou en cassation.
99. Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure relevant de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention doit s’apprécier dans chaque espèce suivant les circonstances de la cause.En recherchant si la durée d’un procès pénal a été raisonnable, la Cour a pris en considération notamment la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et la manière dont l’affaire a été conduite par les autorités administratives et judiciaires (cf. arrêt Neumeister précité, pp. 42-43, paras. 20-21; arrêt Ringeisen précité, p. 45, par. 110). En accord avec les comparants, elle estime que c’est sur la base des mêmes critères qu’il faut examiner en l’espèce si la durée des procédures devant les juridictions administratives a dépassé le délai raisonnable de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
100. Avant de passer à cet examen, la Cour tient à souligner qu’il ne lui appartient pas de juger le système allemand de procédure devant les tribunaux administratifs, qui est de longue tradition ainsi que l’a relevé l’agent du Gouvernement. Sans doute le système actuel peut-il sembler complexe en raison du nombre des instances et des recours, mais la Cour n’ignore pas que cette situation s’explique par le souci, éminemment respectable, de renforcer les garanties des droits individuels. Si le résultat constitue un enchevêtrement de procédures, il appartient à l’Etat seul d’en tirer les conséquences et, le cas échéant, de simplifier le système en vue du respect de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
(i) La procédure relative au retrait de l’autorisation d’exploiter la clinique
101. Commencée le 13 juillet 1967, lorsque le requérant fit opposition contre le retrait d’autorisation (paragraphe 28 ci-dessus), la procédure n’est toujours pas terminée: la Cour administrative de Hesse n’a pas encore statué sur l’appel du Dr König contre le jugement rendu par la 4ème chambre du tribunal administratif de Francfort le 22 juin 1977.
102. Que plus de dix ans et dix mois se soient écoulés sans qu’on ait tranché le fond de l’affaire, et qu’il ait fallu attendre presque dix ans le jugement en première instance, est certes grave, comme l’admet d’ailleurs le Gouvernement.
Il est exact – et à cet égard la Cour partage l’opinion du Gouvernement – que la 4ème chambre du tribunal administratif a rencontré de grandes difficultés pour retrouver des témoins dontplusieurs avaient changé entre-temps de nom ou d’adresse (paragraphes 30, 32, 35, 36, 37 et 41 ci-dessus). C’était le cas en particulier du témoin Xymenes que la chambre n’a pu entendre que trente-trois mois après la première convocation (paragraphes 30, 32 et 35 ci-dessus). Cependant, le Gouvernement n’a nullement prétendu que l’affaire était exceptionnellement complexe en fait ou en droit.
La Cour conçoit qu’il ait existé une certaine interdépendance entre cette affaire et celle du retrait de l’autorisation de pratiquer, pendante devant la 2ème chambre du même tribunal, car l’activité du requérant en tant que directeur de clinique se confondait, dans une large mesure, avec son activité de médecin. Cependant, cela n’a guère pu être une source de complications. Au contraire, la 4ème chambre a disposé du dossier du tribunal régional pour les professions médicales qui, le 14 octobre 1970, avait déclaré le Dr König indigne de pratiquer (paragraphes 16 et 30 ci-dessus). La Cour note à ce sujet que, d’après l’agent du Gouvernement lui-même, une meilleure coordination entre les deux chambres aurait été souhaitable.
103. Par contre, le Gouvernement a longuement insisté sur le comportement du requérant durant la procédure: à son avis, le Dr König est, par sa façon de défendre ses intérêts, personnellement responsable de la moitié environ de la durée de la procédure. Le Gouvernement a invoqué en particulier le changement fréquent d’avocats, la juxtaposition de diverses procédures de recours et les nouvelles offres de preuves à différents stades.
Le changement répété d’avocats – ce qui était assurément le droit du Dr König – a eu des conséquences sur le déroulement de l’instance, car les différents avocats ont nécessairement eu besoin de quelque temps pour prendre connaissance du dossier. Encore faut-il noter qu’en pratique les retards signalés par le Gouvernement s’élèvent au total à quelques mois (paragraphes 36 et 45 ci-dessus). La Cour fait observer d’autre part que le Dr König s’est séparé de son premier avocat le 24 mai 1971 seulement, donc après environ quatre ans de procédure (paragraphe 33 ci-dessus). Elle estime également que certains retards ont nécessairement résulté des divers recours du requérant et du chevauchement de procédures qu’ils ont causé. Elle constatecependant que lesdits recours sont tous intervenus après le mois de juillet 1973, soit après six ans de procédure et alors que le Dr König se trouvait depuis deux ans déjà privé de l’autorisationde pratiquer. En effet, la première des deux demandes en récusation, qui a été englobée, comme la deuxième, dans un recours hiérarchique et a du reste été accueillie, date du 22 août 1973 (paragraphe 39 ci-dessus); ce n’est que deux ans plus tard, le 10 octobre 1975, que le Dr König présenta – sans succès – la seconde (paragraphe 46 ci-dessus). Toutefois, avant même la décision sur la première il avait saisi, le 19 octobre 1973, la Cour constitutionnelle fédérale d’un recours contre la durée de la procédure, qu’au demeurant il avait dénoncée dès le 3 juillet dans sa requête à la Commission (paragraphes 1, 39 et 41 ci-dessus). Enfin il avait formé un autre recours hiérarchique devant le président du tribunal régional de Hagen en avril 1974, c’est-à-dire avant que les trois procédures de 1973 ne fussent terminées (paragraphe 40 ci-dessus). Il est certain que ce chevauchement n’a pas facilité la tâche de la 4ème chambre, bien qu’une véritable interruption de procédure n’ait été provoquée dans le cadre de la loi que par les demandes en récusation de 1973 et 1975.
La Cour est aussi disposée à suivre le Gouvernement d’après lequel le requérant, en produisant de nouveaux moyens de preuve après l’audition de témoins, a rendu malaisée l’instruction de l’affaire. Il ressort du dossier qu’après l’ordonnance du 26 août 1969 le Dr König a demandé l’audition d’autres témoins les 24 septembre 1970, 12 février 1973 et 25 août 1974 (paragraphes 31, 36 et 42 ci-dessus); sa première offre était soumise à une condition: il y renoncerait si le Regierungspräsident de son côté ne proposait pas d’autres témoins (paragraphe 31 ci-dessus).Finalement, si le tribunal a complété son ordonnance du 26 août 1969 les 30 mars et 16 août 1973, seule la deuxième de ces décisions semble avoir entraîné une nouvelle offre de preuve du Dr König (paragraphes 37, 38 et 42).
104. En présence de l’étonnante longueur de la procédure, la Cour a examiné dans chacun de ses détails la conduite du procès par la 4ème chambre.
Si elle ne saurait reprocher au tribunal d’avoir insisté sur l’audition de M. Xymenes ni d’avoir complété, après trois ans et sept mois, son ordonnance du 26 août 1969, elle constate avec la Commission que l’échange de mémoires par lequel s’est ouverte la procédure a duré jusqu’au 2 avril 1969, soit près de dix-sept mois. La première mesure d’instruction, en dehors de la recherche d’adresses de certains témoins et de la demande des dossiers envoyée aux tribunaux professionnels (paragraphes 29 et 30 ci-dessus), n’intervient que le 26 août 1969, date à laquelle la 3ème chambre rend son ordonnance relative aux preuves à apporter (paragraphe 30 ci-dessus). La Commission souligne d’ailleurs, à juste titre, que la chambre a attendu dix-sept mois avant de réclamer les dossiers des tribunaux professionnels malgré l’interdépendance existant entre l’affaire qui lui était soumise et celle du retrait de l’autorisation de pratiquer.
D’autre part, l’envoi du dossier aux autorités et juridictions devant lesquelles le requérant avait exercé ses divers recours, a entraîné des pertes de temps non négligeables (paragraphes 30, 31, 35, 38, 39, 40, 41, 42 et 45 ci-dessus). Dans la mesure où il était nécessaire que l’autorité compétente pût disposer du dossier complet, il aurait été souhaitable d’envisager la possibilité d’en établir une copie.
En outre, force est de constater que la 4ème chambre a décidé le 10 février 1975, soit plus de sept ans après avoir été saisie, d’attendre pour statuer le résultat de la procédure concernant le retrait de l’autorisation de pratiquer, pendante depuis plus de trois ans devant la 2ème chambre du même tribunal (paragraphes 44 et 51 ci-dessus). Cette décision intervient après trois ordonnances relatives aux preuves à fournir par les parties et l’audition de nombreux témoins. A cet égard, le Gouvernement a admis que, rétrospectivement, on pouvait douter que le tribunal eût mené l’instruction comme il aurait fallu. En effet, la Cour ne parvient pas à discerner ce que la 4ème chambre, qui a pu rejeter le recours du requérant en 1977 sur la base des témoignages recueillis entre novembre 1969 et août 1974 (paragraphe 47 ci-dessus), escomptait de l’issue de la procédure engagée devant la 2ème chambre. Dans ce contexte, la Cour retient que cette dernière procédure avait été suspendue le 25 septembre 1973, dans l’attente du résultat des poursuites pénales, et n’avait repris que le 30 juin 1975. La Cour estime que dans les circonstances de la cause cette prolongation de la procédure par la 4ème chambre n’était pas suffisamment justifiée compte tenu même de l’acquiescement du requérant (paragraphes 44 et 46 ci-dessus).
105. Appréciant l’ensemble des divers éléments, la Cour conclut que les retards entraînés par les difficultés de l’instruction et le comportement du requérant ne justifient pas à eux seuls la durée de la procédure. Sans attacher une importance décisive à telle action du tribunal plutôt qu’à telle autre, elle est en effet d’avis que c’est dans la conduite du procès qu’il faut chercher la cause principale de la durée de la procédure. Elle constate qu’il aurait été possible pour la 4ème chambre de terminer plus tôt sa procédure. Considérant que celle-ci a commencé le 13 juillet 1967 et s’est achevée le 22 juin 1977, la Cour conclut que le « délai raisonnable » de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) a été dépassé.
Le Gouvernement a insisté sur ce que le recours du Dr König a suspendu l’exécution du retrait de l’autorisation d’exploiter sa clinique (paragraphe 28 ci-dessus) et que cette particularité de la procédure a pu présenter des avantages pour lui. La Cour reconnaît que pareil effet suspensif pourrait se répercuter sur l’interprétation de la notion de « délai raisonnable ». Cependant, la durée totale de la procédure et l’incertitude prolongée dans laquelle le requérant s’est trouvé ne permettent pas à la Cour de s’écarter, en raison de l’effet suspensif du recours, de l’appréciation qu’elle vient de formuler.
(ii) La procédure relative au retrait de l’autorisation de pratiquer
106. Cette procédure a débuté le 18 mai 1971 par l’opposition que le requérant forma contre le retrait de l’autorisation de pratiquer. La 2ème chambre du tribunal administratif de Francfort a rendu son jugement le 9 juin 1976, soit après plus de cinq ans de procédure, et la Cour administrative de Hesse son arrêt le 2 mai 1978.
107. Si la durée de ladite procédure n’est pas aussi longue que celle du procès relatif au retrait de l’autorisation d’exploiter la clinique, elle ne paraît pas à la Cour moins grave que cette dernière.
La cause dont il s’agit semble moins complexe que celle dont était saisie la 4ème chambre du tribunal administratif: non seulement la 2ème chambre n’a pas eu autant de peine à entendre les témoins convoqués, mais encore l’instruction a été facilitée du fait que le tribunal régional pour les professions médicales avait, dès le 14 octobre 1970, déclaré le Dr König indigne de pratiquer (paragraphe 16 ci-dessus).
Quant à l’interdépendance des deux procédures, invoquée par le Gouvernement, il convient de relever qu’elle n’a pu compliquer la tâche de la 2ème chambre: bien au contraire, cette dernière a pu profiter des résultats de l’instruction de la 4ème chambre qui était déjà saisie depuis près de quatre ans quand le Dr König attaqua le retrait de l’autorisation de pratiquer.
108. Le comportement du Dr König dans la procédure devant la 2ème chambre ne se distingue que sur quelques points de celui qu’il a adopté devant la 4ème chambre.
La Cour note d’abord que le requérant a changé d’avocat pour la première fois le 12 février 1973, soit après seize mois de procédure (paragraphe 54 ci-dessus). D’autre part, il a présenté deux demandes en récusation qui étaient englobées, avec celles visant la 4ème chambre, dans des recours hiérarchiques: la première le 22 août 1973, après environ deux ans de procédure, la seconde le 10 octobre 1975 (paragraphes 56 et 67 ci-dessus). En outre, il a introduit trois recours constitutionnels contre la durée de la procédure: le premier le 19 octobre 1973, le deuxième probablement en avril 1974 et le dernier le 10 juillet 1975 (paragraphes 58, 60 et 64 ci-dessus). Avant la première saisine de la Cour constitutionnelle fédérale, il avait du reste dénoncé, dans sa requête du 3 juillet 1973 à la Commission, la durée des deux procès. Quant à la manière de présenter ses moyens de preuve, le requérant ne semble pas avoir procédé comme il l’a fait devant la 4ème chambre.
Néanmoins, le comportement du Dr König a assurément entraîné des retards. La Cour relève en particulier que ceux que le Gouvernement a signalés comme causés par les changements d’avocat semblent ici plus importants (paragraphes 54, 62 et 67 ci-dessus).
109. En ce qui concerne la procédure suivie par le tribunal administratif de Francfort, le fait de ne pas avoir joint l’affaire du retrait de l’autorisation de pratiquer et celle relative au retrait del’autorisation d’exploiter la clinique a certainement prolongé les deux procès. La Cour note d’ailleurs qu’en appel les deux affaires ont été attribuées à la même chambre de la Cour administrative de Hesse.
110. Examinant ensuite la conduite du procès par la 2ème chambre elle-même, la Cour observe que celle-ci s’est peu souciée de faire progresser la procédure.
La première audience, destinée à l’audition de témoins et aux plaidoiries, n’a été fixée que le 14 juillet 1975 (paragraphe 65 ci-dessus). Les seules mesures d’instruction du tribunal entre le25 octobre 1971, date à laquelle la 2ème chambre a été saisie, et juillet 1975 – telles qu’elles ressortent du dossier – étaient, au 2 novembre 1971, la demande adressée au Regierungspräsident de présenter les dossiers de la cause et, au 5 septembre 1972, l’ordonnance pour la production des dossiers de caractère pénal et la décision de faire intervenir l’ordre régional des médecins (paragraphes 52 et 53 ci-dessus). Certes, le tribunal avait suggéré le 14 septembre 1972 un règlement amiable du litige, mais moins d’un mois après le Dr König a refusé cet arrangement (paragraphe 53 ci-dessus). La Cour relève au demeurant, avec la Commission, que la 2ème chambre a attendu plus de dix mois avant de décider l’intervention de l’ordre régional des médecins, dont les demandes avaient pourtant déclenché la procédure devant les tribunaux professionnels puis conduit au retrait des autorisations (paragraphes 16, 49 et 53 ci-dessus).
D’autre part, des retards importants ont découlé de l’envoi du dossier aux autorités et juridictions auxquelles le requérant avait adressé ses différents recours (paragraphes 56, 58, 62, 64, 66 et 67 ci-dessus). Sur ce point, la Cour renvoie à ses constatations relatives à la procédure devant la 4ème chambre (paragraphe 104 ci-dessus).
Cependant, la cause principale de la durée de cette procédure réside dans la suspension décidée le 25 septembre 1973, et maintenue jusqu’au 30 juin 1975, pour attendre le résultat des poursuites pénales ouvertes contre le Dr König dès le 27 juillet 1972.
Bien qu’une condamnation du Dr König eût pu se répercuter sur l’instruction de l’affaire pendante devant la 2ème chambre, la Cour constate que les accusations formulées contre le requérant se référaient à des événements peut-être en partie antérieurs à la décision du Regierungspräsident sur l’opposition, mais en tout cas postérieurs au retrait de l’autorisation de pratiquer (paragraphes 49, 51, 71 et 72 ci-dessus). D’autre part, si la 2ème chambre s’est renseignée à plusieurs reprises sur l’état de la procédure pénale, elle n’a pas tiré en temps voulu les conséquences des informations qui lui furent données. La Cour relève en effet que la 2ème chambre savait dès le 16 février 1974 que les débats devant le tribunal pénal ne pouvaient se dérouler avant le second semestre de l’année; le 8 mai, ledit tribunal avait précisé qu’un jugement ne pouvait guère être rendu dans les six mois, car le requérant avait récusé un des juges et une importante procédure de recours avait été engagée (paragraphes 59 et 61 ci-dessus). Malgré ces incertitudes qui pesaient sur le procès pénal, la 2ème chambre a mis encore plus d’un an pour décider le 30 juin 1975 de ne plus attendre le résultat de la procédure pénale.
De l’avis de la Cour, la suspension de la procédure par la 2ème chambre pendant plus de vingt-et-un mois n’était pas justifiée dans les circonstances de la cause.
111. Appréciant l’ensemble des divers éléments et considérant l’enjeu du litige, à savoir l’existence professionnelle même du Dr König, la Cour estime que, nonobstant les retards imputables au comportement du requérant, l’instruction de l’affaire n’a pas été menée avec la rapidité nécessaire.
La Cour a prêté attention aux arguments que l’agent du Gouvernement a tirés de ce qu’il a appelé la protection juridique provisoire (einstweiliger Rechtsschutz). Le requérant a en effet demandé à deux reprises, en 1971 et en 1974, que fût rétabli l’effet suspensif de son recours contre le retrait de l’autorisation de pratiquer (paragraphes 50, 62 et 63 ci-dessus). Par des décisions motivées et qui touchaient au fond de l’affaire, la 2ème chambre puis la Cour administrative de Hesse ont rejeté ces demandes dont la seconde, d’ailleurs, après une procédure d’une durée totale de plus de quinze mois. La Cour n’exclut pas que l’existence d’une telle procédure puisse avoir une incidence sur l’appréciation de la durée d’une procédure principale. Toutefois, compte tenu des circonstances relevées, elle ne saurait influer, en l’occurrence, sur l’appréciation globale des éléments que la Cour a pris en considération.
En conséquence, la Cour estime que dans le cas d’espèce le « délai raisonnable » de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention a été dépassé.
2. Sur l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention
112. D’après l’article 50 (art. 50) de la Convention, si la Cour déclare « qu’une décision prise ou une mesure ordonnée » par une autorité quelconque d’un État contractant « se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit interne (dudit État) ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou (…) mesure », la Cour « accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable ».
Le règlement de la Cour précise que quand celle-ci « constate une violation de la Convention, elle statue par le même arrêt sur l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention si laquestion, après avoir été soulevée en vertu de l’article 47 bis du (…) règlement, est en état; sinon, elle la réserve en tout ou partie et détermine la procédure ultérieure » (article 50 par. 3, première phrase, combiné avec l’article 48 par. 3).
113. A l’audience du 17 novembre 1977, la Cour a invité les comparants, en vertu de l’article 47 bis de son règlement, à formuler leurs observations sur la question de l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention en l’espèce.
De la réponse de Me Burger, il ressort que le Dr König ne demande pas de réparation « pour la totalité du préjudice qu’il a subi du fait de l’interruption de son activité et de médecin et d’exploitant de clinique pour une durée qui s’étend maintenant déjà au-delà de dix ans ». En fait, le requérant laisse à la Cour le soin d’apprécier « l’indemnité qu’il pourrait, le cas échéant, attendre en application de l’article 50 (art. 50) », ainsi que la question de savoir si cette indemnité devrait « inclure les frais exposés dans (les) (…) procédures » devant la Commission et la Cour.
De son côté, l’agent du Gouvernement a déclaré réserver sa position.
114. La Cour constate que le requérant ne demande pas de réparation pour la totalité du préjudice matériel prétendument subi; il compte cependant se voir octroyer une satisfaction équitable si la Cour conclut à l’existence d’une violation de la Convention, mais n’indique pas pour le moment le montant de ses prétentions.
Les renseignements fournis à ce sujet par le requérant et les observations de l’agent du Gouvernement montrent que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention n’est pas en état; il échet donc de la réserver et de statuer sur la procédure ultérieure la concernant.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. dit, par quinze voix contre une, que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) est d’application à la procédure relative au retrait de l’autorisation pour le requérant d’exploiter sa clinique;
2. dit, par quatorze voix contre deux, que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) est d’application à la procédure relative au retrait de l’autorisation pour le requérant de pratiquer;
3. dit, par quinze voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) quant à la durée de la procédure relative au retrait de l’autorisation d’exploiter la clinique;
4. dit, par quinze voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) quant à la durée de la procédure relative au retrait de l’autorisation de pratiquer;
5. dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) n’est pas en état;
en conséquence
a) réserve en entier la question de l’application de l’article 50 (art. 50);
b) invite les délégués de la Commission à transmettre à la Cour les demandes éventuelles du requérant et, le cas échéant, leurs observations, dans le délai de trois mois à compter du prononcé du présent arrêt;
c) décide que le Gouvernement aura la faculté d’y répondre dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle le greffier les lui aura communiquées;
d) réserve la procédure à suivre ultérieurement sur cette question.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le vingt-huit juin mil neuf cent soixante-dix-huit.
Pour le Greffier
Herbert PETZOLD
Greffier adjoint
Au présent arrêt se trouve joint, conformément à l’article 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et à l’article 50 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées des juges suivants:
M. G. WIARDA,
M. F. MATSCHER,
M. J. PINHEIRO FARINHA.
G. B. P.
H. P.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE WIARDA
Je partage l’opinion exprimée dans l’arrêt, à la seule exception des motifs concernant l’application de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention aux procédures devant le tribunal administratif de Francfort, relatives au retrait des autorisations d’exploiter une clinique et d’exercer la profession de médecin.
Selon la motivation de l’arrêt, les droits en cause dans ces affaires étaient le droit de continuer à exploiter une clinique privée et celui de continuer à exercer la profession de médecin; ces deux droits sont qualifiés de droits de caractère privé, par conséquent de droits de caractère civil au sens de la Convention.
Je partage l’opinion que, quelle que soit l’étendue de la notion de droits et obligations de caractère civil au sens de la Convention, les droits et obligations de caractère privé au sens classique y sont en tout cas compris, mais à mes yeux le droit d’exploiter une clinique et celui d’exercer la profession de médecin ne peuvent pas être qualifiés de droit de caractère privé au sens classique de cette notion.
A mon avis, la qualification d’un droit subjectif dépend de la qualification des règles du droit objectif dans lesquelles ce droit subjectif trouve son origine.
En droit (objectif) allemand, le droit (subjectif) d’exploiter une clinique privée et celui d’exercer la profession de médecin dépendent seulement de l’obtention et de la conservation des autorisations exigées par la loi à cet égard; or ce n’est pas dans le droit (objectif) privé, mais dans le droit (objectif) public (administratif) que l’on trouve les conditions qui doivent être remplies pour obtenir et conserver ces autorisations. Pour cette raison je pense que l’on doit qualifier ces droits non de droits de caractère civil, mais de droits de caractère public.
Cela ne veut pas dire que je ne peux pas suivre la conclusion à laquelle est arrivée la Cour.
Selon l’arrêt Ringeisen, la question de savoir si une contestation doit être considérée comme une contestation « sur (des) droits et obligations de caractère civil » ne dépend pas de la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit être tranchée, ni de celle de l’autorité compétente, mais du caractère des droits et obligations pour lesquels l’issue de la procédure est déterminante.
Dans la présente affaire, l’issue des procédures que le Dr König a engagées devant le tribunal administratif de Francfort était déterminante pour la conservation ou le rétablissement de sa situation comme propriétaire et gérant d’une clinique privée et comme médecin, et pour la conservation ou le rétablissement de l’ensemble des droits et obligations attachés à cette situation.
Cet ensemble de droits et obligations avait un caractère mixte. Le droit public y jouait son rôle (Gewerbeordnung, Bundesärzteordnung), mais la partie réglée par le droit privé était à mon avis prépondérante. Le Dr König était propriétaire de sa clinique ainsi que de son cabinet de médecin et profitait de ses droits de propriété par l’usage qu’il en faisait. La clinique, le cabinet, la clientèle représentaient un certain « goodwill » qui, lui aussi, avait le caractère d’un droit privé semblable à certains égards au droit de propriété. L’exploitation de la clinique et l’exercice de saprofession, considérés sous l’aspect juridique, se déployaient par la conclusion de contrats.
Quant à cet ensemble de droits et d’obligations en majeure partie réglé par le droit privé, le retrait des autorisations dont le Dr König avait besoin pour continuer à exploiter sa clinique et àexercer sa profession signifiait une ingérence qui en ôtait à maints égards la valeur qu’ils représentaient.
La justification de ces retraits constituait l’enjeu des procédures devant le tribunal administratif de Francfort, qui sont à la base de cette affaire.
C’est pour cette raison qu’il me semble justifié de qualifier les contestations en cause de « contestations sur (des) droits et obligations de caractère civil » au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE MATSCHER
A. Je ne suis pas en mesure, pour le moment, de donner une définition abstraite et exhaustive de la notion de « droits et obligations de caractère civil » au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Je voudrais pourtant essayer d’expliquer les raisons qui, à mon grand regret, ne me permettent pas de me rallier à la définition que la Cour vient de donner de cette notion, même en se limitant aux exigences du présent arrêt.
Je crois que le point de départ doit être la constatation que le libellé de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’est pas clair et univoque. Pour en dégager le sens il faut donc recourir aux moyensd’interprétation reconnus par le droit international.
L’interprétation littérale et grammaticale ne nous mène pas loin.
Sur l’historique de l’article 6 (art. 6), il y a une littérature abondante. Elle nous montre qu’il ne se dégage pas des travaux préparatoires des idées très concrètes et précises sur la portée decette disposition. L’opinion (qui avait déjà été exprimée dans l’arrêt Ringeisen et qui a été reprise au paragraphe 90 du présent arrêt), selon laquelle une confrontation des deux textes officiels peut orienter l’interprétation dans un certain sens, ne trouve, à mon avis, aucun appui dans les matériaux de la Convention.
L’interprétation téléologique sur laquelle l’arrêt paraît se fonder principalement, sans le dire dans des termes exprès, trouve ses limites dans le système de la Convention. L’idée de base d’une telle interprétation est que la Convention a été faite principalement pour protéger l’individu contre la puissance publique, pour lui donner certaines garanties vis-à-vis de celle-ci. Par conséquent, elle devrait toujours s’appliquer lorsque la situation de l’individu vis-à-vis de la puissance publique est en cause. Cependant, pour pouvoir formuler des déductions concrètes de ce principe il faudrait avant tout prouver que l’on est en présence d’un droit que la Convention a eu l’intention de garantir d’une certaine manière, sinon l’on risque de passer le seuil de l’interprétation téléologique et de s’aventurer sur le terrain de la politique législative.
Cette preuve que la situation juridique du requérant dans la présente affaire serait elle aussi visée par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, la motivation de l’arrêt ne la fournit pas.
A titre préliminaire, l’arrêt confirme l’interprétation « autonome » des termes d’une convention internationale en général et de la notion de « droits et obligations de caractère civil » au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en particulier. C’est un principe auquel je souscris entièrement (même si je dois remarquer que la définition que la Cour a donnée de ce principe ne me paraît pas dépourvue de toute équivoque). D’après moi, interprétation autonome veut dire avant tout que l’interprétation des clauses d’une convention internationale ne doit pas être faite exclusivement à la lumière du sens et de la portée que les termes en question possèdent dans la législation interne de l’État contractant concerné, mais qu’il faut se référer « d’une part aux objectifs et au système de la Convention et d’autre part aux principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des systèmes de droit nationaux » (arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 14 octobre 1976, Recueil 1976, p. 1552). Pour le dire d’une autre manière, il faut essayer de dégager le « dénominateur commun » qui est subjacent aux termes en question, car il est légitime de supposer que – à défaut d’une définition légale dans la Convention elle-même – tel est le sens que les États contractants ont voulu donner à ceux-ci. Ce « dénominateur commun », on le trouvera moyennant une analyse comparative des législations internes des États contractants. Dès lors, le résultat d’une telle opération ne pourra jamais être une notion qui s’écarte complètement des systèmes de droit des États en question. Cependant, l’arrêt ne me semble pas suffisamment tenir compte de cette exigence. Il n’arrive à sa conclusion, c’est-à-dire à l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dans l’espèce formant l’objet de la présente requête, que par deux ordres d’affirmations fort contestables à mes yeux:
1. Les activités d’un médecin, soit comme praticien, soit comme directeur d’une clinique privée, auraient un caractère « de droit privé » en raison du fait, semble-t-il, que ces activités serésumeraient principalement (du point de vue juridique) dans l’entretien de relations de droit privé avec ses clients (paragraphes 92 et 93 de l’arrêt).
Cependant, ce raisonnement me paraît confondre les relations particulières entre le médecin et ses patients, qui sont indubitablement de droit privé (dans la mesure où il ne s’agit pas d’un médecin fonctionnaire), et la situation professionnelle du médecin, laquelle – soit qu’il s’agisse du service médical organisé par l’État, soit qu’il s’agisse de la médecine comme professionlibérale – est soumise (à des degrés différents, en ce qui concerne les deux types) dans la majorité sinon dans la totalité des États à un régime de droit public.
Ainsi, lorsqu’elle dit que la situation professionnelle du médecin serait à qualifier comme un droit civil au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, la Cour crée une notion de « droit civil » qui n’est pas seulement « autonome » au sens de la Convention, mais qui ne trouve aucun fondement dans les systèmes de droit de la grande majorité des États contractants.
2. En transposant à la présente affaire les conclusions de l’arrêt Ringeisen (série A no 13, p. 39, par. 94), la Cour constate (paragraphe 90 de l’arrêt) que « toute procédure dont l’issue estdéterminante pour des droits et obligations de caractère privé » serait à considérer elle-même comme une contestation sur un droit de caractère civil au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de laConvention. Cela est, à mes yeux, une affirmation trop vague, trop élastique, pour permettre des déductions précises. En fait, que veut dire « être déterminant pour des droits et obligations de caractère privé »?
Dans l’affaire Ringeisen, la conclusion que la Cour avait tirée de cette affirmation me paraît acceptable et peut-être même justifiée car, dans cette espèce, la procédure administrative portaitdirectement sur un contrat incontestablement de droit privé et n’avait aucun autre objet.
Dans l’affaire König, la situation est foncièrement différente: les procédures administratives n’ont pas eu pour objet une ou plusieurs relations de droit privé concrètes entre le Dr König et ses patients, elles n’étaient pas destinées à « déterminer » ces relations (elles n’avaient qu’une incidence indirecte sur celles-ci). Les procédures administratives en question visaient uniquement la situation professionnelle du Dr König en tant que praticien et en tant que directeur d’une clinique privée. (Il n’y aurait une analogie entre l’affaire König et l’affaire Ringeisen que si cette dernière avait porté sur le statut de M. Ringeisen en tant qu’agent immobilier, ce qui n’était pas le cas).
A cet égard, et contrairement à ce qui semble être l’opinion de la Cour (paragraphe 91 de l’arrêt), je ne crois pas non plus que l’on puisse faire une distinction (sous l’angle de l’article 6 de la Convention) (art. 6) entre l’octroi et le retrait d’une autorisation (d’exercer la médecine ou de diriger une clinique). Le statut professionnel ou le régime d’une activité économique forme un tout inséparable. L’octroi de l’autorisation requise pour exercer et son retrait ne sont que deux aspects partiels de ce statut ou régime: l’octroi se résume dans la constatation de l’existence des conditions requises, tandis que le retrait en constate la cessation. L’une et l’autre ont, du point de vue qualitatif, la même incidence sur des situations de droit privé. Pour conclure, je n’ai pas l’impression que les auteurs de la Convention aient eu l’intention de faire tomber sous le coup de l’article 6 (art. 6) de la Convention toutes les contestations sur des situations indubitablement de droit public, par le seul motif que l’issue d’une telle contestation peut avoir une incidence sur les relations de droit privé de l’individu en question. En tout cas, dans la majorité des Étatsmembres de la Convention les procédures y relatives ne sont pas organisées de la manière prévue par l’article 6 (art. 6) (décision par un tribunal, audience publique, jugement rendu publiquement), c’est-à-dire que, suivant les conclusions du présent arrêt, tous ces États – même s’ils possèdent un système de contentieux administratif très développé – se trouveraient, dès la ratification de la Convention, dans une situation irrégulière vis-à-vis de l’article 6 (art. 6) de celle-ci. Ce dernier argument me semble plaider nettement en faveur de l’exclusion de ce type decontestations du contexte de l’article 6 (art. 6) de la Convention.
Il reste une objection à réfuter: dans les discussions relatives à la portée de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, on entend souvent l’argument selon lequel l’individu aurait davantagebesoin des garanties procédurales de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) dans ses contestations avec la puissance publique que pour les querelles avec ses voisins. On ne pourrait donc pas supposer que la Convention avait pour but d’instituer un système de garanties spécialement pour celles-ci, mais non pour celles-là.
Mon explication de cet état de choses est la suivante: l’histoire du droit (au moins du droit continental) nous enseigne très clairement que les principes de la procédure orale, de la publicité et de la décision par un tribunal indépendant en matière civile ne sont qu’un corollaire de ces mêmes principes en matière pénale. Lorsque l’on a revendiqué, dès la Révolution française de 1789 et au cours des révolutions européennes de 1848, une procédure qui correspondait à ces principes, on n’avait en vue que la procédure pénale. Pour que la procédure fût orale et publique en matière civile, personne ne serait monté sur les barricades! En introduisant ces principes également pour la procédure en matière civile – et en les garantissant parfois même dans les chartes constitutionnelles -, on n’a fait que suivre l’exemple de la procédure pénale. D’ailleurs, l’expérience des tribunaux judiciaires nous le démontre aussi, l’importance de ces principes est toujours restée relativement réduite en matière civile (tout en reconnaissant, spécialement pour certains d’entre eux, leur valeur pour la procédure civile).
Je crois qu’il faut se placer principalement dans cet ordre d’idées pour comprendre les raisons qui ont amené les auteurs de la Convention eux aussi à ne pas limiter les garanties de l’article 6 (art. 6) aux matières pénales – tout en conservant à ces dernières leur objectif primordial -, mais à les étendre à toutes les matières qui, d’après la conception prédominante dans la majorité des États contractants, relevaient de la compétence des tribunaux.
J’admets que c’est une notion relativement étroite des « droits civils » qui découle de cette prise en considération de la dimension historique de la Convention, mais je crois qu’elle correspond au sens et à la portée de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), de lege lata.
Je ne nie pas non plus que, de lege ferenda, un élargissement de la protection des droits de l’individu et des garanties procédurales y relatives, également vis-à-vis de la puissance publique, soit un idéal auquel il faut aspirer, spécialement eu égard à l’ingérence toujours croissante de celle-ci dans tous les domaines. En reconnaissant le bien-fondé de cette aspiration, la Cour, dont la tâche est d’assurer le respect des droits garantis par la Convention, a la faculté de recourir à une interprétation même extensive de ces garanties (c’est ce qu’elle a fait, avec raison me semble-t-il, dans l’affaire Ringeisen), dans la mesure où cette interprétation reste couverte par la Convention elle-même. D’autre part, il appartient aux États contractants de faire éventuellement un pas au-delà de la Convention lorsqu’ils en constatent la nécessité et lorsqu’ils s’accordent sur un amendement de la Convention.
Peut-être dépasse-t-on également la fonction d’un arrêt (ou, plus exactement, d’une opinion séparée) en se livrant à des considérations de lege ferenda et en réfléchissant aux conséquences que pourrait entraîner une interprétation trop extensive de la notion de droits civils. Qu’il me soit permis de faire quelques brèves réflexions.
Pour de nombreuses matières qui, en suivant la ligne tracée par la Cour dans la présente affaire, seraient elles aussi de « droit civil » (toutes sortes d’autorisations ou de concessions pour autant que ces autorisations ou concessions ont une incidence sur des situations de droit privé), j’ai des doutes sur l’utilité qu’il y a à les soumettre, dans tous les cas, à une procédure qui correspondrait parfaitement aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Pour certaines d’entre elles (notamment pour les affaires professionnelles et disciplinaires), une telle procédure (publique et se déroulant nécessairement devant un tribunal) ne serait peut-être guère conforme aux intérêts des personnes en cause.
Je reconnais entièrement la nécessité qu’au sujet de ces matières aussi il soit décidé équitablement, dans un délai raisonnable, en suivant une procédure qui donne à l’intéressé toute possibilité de faire valoir ses droits, et que la décision de l’autorité compétente (lorsqu’elle est d’ordre administratif) soit soumise au contrôle d’un organe indépendant (c’est-à-dire au contrôle d’un tribunal). D’autre part, je ne vois pas du tout pourquoi la procédure en question devrait dans tous les cas correspondre également aux autres exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (procédure orale et publique, jugement rendu publiquement).
Des constatations qui précèdent, il semble se dégager, de lege ferenda, la nécessité d’une révision de l’article 6 (art. 6) de la Convention, qui devrait opérer la distinction suivante (que ne permet pas la disposition présente de cet article) (art. 6):
a) matières pénales et matières civiles (c’est-à-dire les matières traditionnellement judiciaires): droit à toutes les garanties prévues à l’article 6 (art. 6);
b) contestations sur les autres matières (les matières administratives): droit à une procédure réglée par la loi et qui garantisse l’audition équitable des parties, décision dans un délai raisonnable, droit au contrôle judiciaire de la décision administrative.
B. C’était une conséquence logique de mon vote négatif au sujet des questions 1 et 2, de donner une réponse négative également aux questions 3 et 4, telles qu’elles apparaissent formulées dans le dispositif de l’arrêt. Pourtant, je tiens à souligner que je partage l’avis unanime de la Cour en estimant que, aussi bien en ce qui concerne la procédure relative au retrait de l’autorisation d’exploiter la clinique qu’en ce qui concerne la procédure relative au retrait de l’autorisation de pratiquer, le « délai raisonnable » dont parle l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n’a pas été respecté (pour autant que cette disposition fût applicable en l’espèce).
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE PINHEIRO FARINHA
1. Je m’écarte du raisonnement de la Cour à propos de deux paragraphes de l’arrêt et du point 2 du dispositif.
2. En ce qui concerne le paragraphe 93 de l’arrêt, tout en partageant l’avis que la profession de médecin compte parmi les professions libérales traditionnelles en République fédérale d’Allemagne; que, même conventionnée, la profession de médecin n’est pas un service public; que le médecin, libre de pratiquer ou non, assure le traitement de ses patients sur la base d’un contrat; que l’activité du médecin a un caractère privé, je ne peux manquer de relever ce qui suit:
a) d’après le paragraphe 1 de l’article 1 de la loi fédérale, le médecin veille à la santé de chaque individu et de la population dans son ensemble; selon le paragraphe 2, il exerce une profession libérale et non une activité commerciale (paragraphe 20 de l’arrêt);
b) pour pouvoir pratiquer à titre permanent, il faut une autorisation délivrée par les services qualifiés des Länder (articles 2 par. 1 et 12 de la loi fédérale, article 35 du règlement) et qui estoctroyée sur demande lorsque l’intéressé:
1. (…)
2. ne s’est pas rendu coupable d’un comportement montrant qu’il est indigne ou n’offre pas des garanties suffisantes pour l’exercice de la profession,
3. (…)
4. (…) (paragraphe 20 de l’arrêt);
c) une fois accordée, l’autorisation est retirée si telle de ces conditions manquait à l’époque ou vient à manquer après coup (article 5 de la loi fédérale; paragraphe 20 de l’arrêt);
d) bien que la profession médicale ait également pour but de procurer un revenu, son premier objectif est désintéressé: venir en aide aux hommes (paragraphe 22 de l’arrêt).
Or, considérant ces citations et ayant encore présent à l’esprit le serment d’Hippocrate – où le médecin affirme, entre autres: « Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté (…). Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire » – je suis amené à conclure que la situation est complètement différente entre, d’une part, l’exploitation de la clinique (activité commerciale; paragraphe 21 de l’arrêt) et, d’autre part, l’exercice de la profession de médecin, dans laquelle la spiritualité prédomine sur la matérialité, car « les devoirs de dignité, de désintéressement et d’indépendance que doivent observer les membres des professions libérales, s’imposent d’une manière très stricte aux médecins » (J. Savatier, La profession libérale. Étude juridique et pratique, Paris, L.G.D.J., 1947, cité dans Encyclopédie Dalloz, III, 425).
3. En ce qui concerne le paragraphe 95 de l’arrêt, je m’écarte du raisonnement de la Cour sur la décision de retrait de l’autorisation de pratiquer. Je voudrais souligner que je souscris auxparagraphes 94 et 95 sur la décision de retrait de l’autorisation d’exploiter la clinique.
J’estime que le droit mis en cause par le retrait de l’autorisation de pratiquer est un droit de caractère public, et non civil.
Il ne me semble pas que l’on puisse faire une distinction, sous l’angle de l’article 6 (art. 6) de la Convention, entre l’octroi et le retrait d’une autorisation.
Il faut tenir compte de ce que la procédure administrative n’a pas eu pour objet direct une ou plusieurs relations concrètes de droit privé entre le Dr König et ses patients, mais l’aptitude de celui-ci, en général, à exercer comme médecin.
Parce que le droit public ne prend pas en considération les actions, mais seulement les buts que l’on prétend atteindre (G. Balladore Pallieri, La doctrine de l’État, vol. II – édition portugaise – page 213), que le retrait de l’autorisation d’exercer la médecine visait non à réglementer des relations concrètes entre le Dr König et ses clients, celles-ci étant de droit privé, mais surtout à sauvegarder la santé de la population dans son ensemble, et que l’autorité administrative a constaté que le Dr König ne remplissait plus certaines conditions d’ordre public, exorbitantes du droit privé, je dirais, contrairement à la Cour, que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’est pas applicable à la procédure relative au retrait de l’autorisation de pratiquer.
4. Je m’estime obligé d’accepter la décision de la majorité de la Cour, selon laquelle l’article 6 par. 1 (art. 6-1) est d’application à la procédure relative au retrait de l’autorisation de pratiquer, et de voter sur son application quant à la durée de la procédure.
Non suivi par la Cour sur le premier aspect – celui de l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention -, je suis d’accord avec la décision et ses fondements.
Je désire pourtant indiquer expressément que j’aurais voté dans le sens de la non-violation de la Convention, pour inapplicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) dans le procès relatif à l’autorisation de « pratiquer », s’il n’y avait pas eu la décision prise antérieurement sur l’applicabilité.