PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MICHELIOUDAKIS c. GRÈCE
(Requête no 54447/10)
ARRÊT
STRASBOURG
3 avril 2012
DÉFINITIF
03/07/2012
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Michelioudakis c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Anatoly Kovler,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Mirjana Lazarova Trajkovska,,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 mars 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 54447/10) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ioannis Michelioudakis (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 septembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me V. Chirdaris, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, M. I. Bakopoulos et Mme G. Kopa, auditeurs auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3. Le requérant alléguait une violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention quant à la durée d’une procédure pénale.
4. Le 2 décembre 2010, la chambre a décidé de communiquer la requête au Gouvernement conformément à l’article 54 § 2 b) du règlement de la Cour. En outre, elle a décidé d’informer les parties qu’elle considérait appropriée l’application de la procédure d’arrêt pilote (voir Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, §§ 231-239, CEDH 2006-VIII, et son dispositif, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 189-194, CEDH 2004-V, et son dispositif). Enfin, comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a été décidé que la recevabilité et le fond de la requête seraient examinés conjointement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1960 et réside à Athènes.
6. Le 5 février 2003, des poursuites pénales furent engagées contre lui pour instigation à faux témoignage. Le 21 mars 2003, le requérant déposa auprès du procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes son mémoire ampliatif répondant à l’accusation portée contre lui. Le 20 septembre 2004, le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes renvoya le requérant en jugement.
7. Après un ajournement ex officio, l’audience eut lieu le 15 février 2006, date à laquelle le tribunal correctionnel d’Athènes condamna le requérant à vingt-deux mois d’emprisonnement du chef de l’accusation précitée (jugement no 11465/2006). Le requérant interjeta appel.
8. L’audience fut fixée au 11 décembre 2006, date à laquelle elle fut ajournée au 2 mars 2007, suite à la demande de A.R., coaccusée du requérant. A cette date, la cour d’appel d’Athènes prononça son arrêt réduisant la peine imposée à neuf mois d’emprisonnement (arrêt no 2067/2007).
9. Le 10 mai 2007, le requérant se pourvut en cassation. A sa demande, l’audience fixée initialement au 6 mai 2008 fut ajournée au 4 novembre 2008, date à laquelle elle eut lieu.
10. Le 25 novembre 2008, la Cour de cassation cassa l’arrêt no 2067/2007 et renvoya l’affaire devant la cour d’appel (arrêt no 2510/2008).
11. Le 27 mars 2009, la cour d’appel d’Athènes réduisit la peine imposée à sept mois d’emprisonnement (arrêt no 2589/2009).
12. Le 25 septembre 2009, le requérant se pourvut en cassation.
13. Le 24 février 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi (arrêt no 378/2010).
14. Le 5 mars 2010, ledit arrêt fut mis au net et certifié conforme.
II. LES DROIT ET PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Les droit et documents internes
1. La loi d’accompagnement du Code civil
15. Les articles 104 et 105 de la loi d’accompagnement du Code civil se lisent comme suit :
Article 104
« L’Etat est responsable, conformément aux dispositions du code civil relatives aux personnes morales, des actes ou omissions de ses organes concernant des rapports de droit privé ou son patrimoine privé. »
Article 105
« L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
16. Ces dispositions établissent le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe. La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission.
17. Par un jugement no 15006/2008 du 31 octobre 2008, le tribunal administratif d’Athènes jugea ainsi :
« (…) l’Etat est tenu à dédommager autrui au titre de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, dès lors qu’il y a acte ou omission ou agissement matériel illégal de ses organes, c’est-à-dire lorsque l’acte ou l’omission ou l’agissement viole une règle de droit protégeant un droit précis d’un particulier ou intérêt précis et par conséquent lorsqu’elle viole l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales en vertu duquel est institué le droit de chaque individu à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. La responsabilité de l’Etat à indemniser existe indépendamment de la question de savoir si les organes du pouvoir judiciaire ont contribué à la violation de la disposition en question à cause du délai qu’ils ont mis pour fixer l’audience et juger les affaires devant les juridictions internes ou pour rendre les jugements afférents, car ce délai est fonction du mode d’organisation du système judiciaire (personnel, moyens techniques et infrastructures, organisation des procédures etc.) par l’Etat, qui doit l’organiser de manière à ce que les juridictions satisfassent aux exigences de la disposition précitée. L’éventuelle responsabilité individuelle des magistrats pour le retard apporté lors du jugement d’une affaire au-delà du temps raisonnable ainsi que l’indépendance individuelle et fonctionnelle des magistrats, prévue par la Constitution, ne suffisent pas à dispenser, dans ce cas, l’Etat de sa responsabilité civile. Cette dernière peut être fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, étant donné que le législateur grec n’a pas prévu de voie légale spécifique en vue de la réparation du préjudice subi à cause de ces retards, puisque dans le cas contraire, les personnes lésées auraient été dépourvues de la protection légale à l’égard des juridictions nationales accordée par l’article 20 § 1 de la Constitution (…) ».
18. Le tribunal administratif a statué ainsi dans le cadre d’une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du Code civil, qu’il a rejetée en l’espèce, et qui avait été introduite le 6 juillet 2006. Les parties n’ont pas fourni d’autres informations sur l’évolution de cette procédure.
2. Les mesures législatives récentes quant à la durée des procédures pénales
19. En vertu des lois nos 3160/2003 et 3346/2005, l’Etat grec a pris des mesures significatives dans le but d’accélérer les procédures pénales. Ces mesures ont déjà fait l’objet d’un examen au sein du Comité des Ministres (voir paragraphe 27 ci-dessous). En outre, le 23 décembre 2010, a été adoptée la loi no 3904/2010, intitulée « Rationalisation et amélioration de l’administration de la justice pénale et autres dispositions ». Cette loi prévoit un ensemble de mesures visant à la simplification et l’accélération des procédures pénales. Elle prévoit, entre autres, la médiation en matière pénale en ce qui concerne des infractions contre le patrimoine, qui sont commises sans emploi de violence. De plus, des mesures sont prévues en vue du raccourcissement des délais des procédures pénales préliminaires, en particulier lors de l’instruction des affaires. En l’occurrence, le nouvel article 31 § 3 du code de procédure pénale dispose que le délai entre l’information de l’autorité compétente sur la commission d’une infraction et l’engagement de poursuites pénales ne doit pas dépasser trois mois (article 8 de la loi no 3904/2010). De surcroît, les nouveaux articles 308 et 309 du code de procédure pénale prévoient le raccourcissement des délais pour l’adoption des ordonnances, tant par le procureur que par les chambres d’accusation dans le cadre de l’instruction des affaires (articles 15-18 de la loi no 3904/2010). En outre, en ce qui concerne les délits, le nouvel article 244 du code de procédure pénale restreint, avec certaines exceptions, l’enquête préliminaire uniquement aux actes pour lesquels est compétent le tribunal correctionnel composé de trois juges (article 13 de la loi no 3904/2010).
20. La loi no 3904/2010 prévoit aussi l’élargissement de la compétence des tribunaux correctionnels à juge unique dans le but d’alléger le rôle des tribunaux correctionnels composés de trois juges. Des mesures sont aussi introduites en vue de la limitation des ajournements d’audiences. En particulier, le nouvel article 349 du code de procédure pénale dispose que le tribunal compétent peut ordonner l’ajournement du procès uniquement pour des motifs de force majeure. Lorsque l’ajournement est accordé suite à la demande des parties, celles-ci peuvent se fonder uniquement sur des raisons médicales sérieuses qui doivent être dûment établies. Ledit ajournement ne doit pas dépasser un délai de trois mois. De plus, avant d’accorder l’ajournement, le tribunal compétent est censé examiner la possibilité d’interrompre l’audience pour une période de quinze jours. L’ajournement de l’audience peut être autorisé uniquement pour une seconde fois et conformément aux conditions précitées (article 20 de la loi no 3904/2010). Enfin, le nouvel article 375 du code de procédure pénale prévoit la fixation d’audiences spéciales pour les affaires de crime dans lesquelles l’accusé a déjà été mis en détention provisoire ainsi que pour les affaires ayant comme objet des crimes fiscaux.
3. Le rapport de la Commission nationale des droits de l’homme
21. Cette Commission a été instituée en 1998 et placée sous l’autorité du Premier ministre. Elle a comme objectif, parmi d’autres, l’élaboration et la publication de rapports relatifs à la protection des droits de l’homme, soit de sa propre initiative soit suite à l’invitation du Gouvernement, du Parlement ou d’organisations non-gouvernementales. Le 31 mars 2005, la Commission a adopté, à l’unanimité, un rapport contenant ses propositions en vue de résoudre le problème des durées excessives des procédures devant les juridictions grecques. Après avoir fait référence tant à la jurisprudence de la Cour sur la question de la durée des procédures judiciaires ainsi qu’aux documents adoptés sur le sujet par le Comité des Ministres, la Commission nationale des droits de l’homme a proposé, entre autres, l’institution d’un recours qui serait introduit devant la Cour de cassation ou devant une juridiction de degré supérieur à celui devant laquelle la procédure en cause se déroule. La juridiction compétente adresserait une injonction ou invitation à la juridiction inférieure pour accélérer l’examen du litige pendant devant elle. Ce recours devrait être effectif selon les critères établis par la jurisprudence de la Cour sur l’article 13 de la Convention.
22. La Commission a aussi proposé la possibilité d’indemnisation de la partie qui serait victime d’un retard excessif de la procédure judiciaire en cause. L’indemnité serait versée par une juridiction qui devrait prendre en compte, dans le cadre de son calcul, le comportement de la partie intéressée lors du déroulement de la procédure en cause.
23. La Commission a exprimé l’opinion que les retards excessifs des procédures judiciaires ne seraient pas dus principalement au manque de diligence de la part des juges compétents dans le traitement des affaires mais à des défauts fonctionnels de l’appareil judiciaire. En particulier, le rapport a mis en exergue les retards dans la fixation des audiences en raison principalement du nombre constamment croissant des recours par rapport au nombre de juges et de salles d’audience disponibles ainsi que du manque d’équipement nécessaire pour l’organisation adéquate des greffes des tribunaux.
24. En ce qui concerne en particulier la durée des procédures devant les juridictions pénales, la Commission a considéré, en faisant référence à la jurisprudence de la Cour, que la prise en compte de la durée éventuellement excessive d’une procédure pénale pour octroyer une réduction de la peine à l’intéressé serait aussi une mesure à adopter sous deux conditions : a) que les retards dans le déroulement de la procédure ne soient pas imputables à l’accusé, à son représentant ou aux témoins à décharge et b) que le principe de proportionnalité soit respecté.
B. Les textes du Conseil de l’Europe
25. Les documents pertinents adoptés par le Conseil de l’Europe quant aux mesures à prendre pour faire face aux problèmes structurels au sein des ordres juridiques internes sont relatés dans l’arrêt Yuriy Nikolayevich Ivanov c. Ukraine (no 40450/04, §§ 35-37, CEDH 2009‑… (extraits).
26. De surcroît, le 19 février 2010, à l’issue de la Conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme, réunie à Interlaken, une déclaration fut adoptée dont les parties pertinentes prévoient :
« D. Requêtes répétitives
7. La Conférence :
a) appelle les Etats parties à :
i. favoriser, lorsque cela est approprié, dans le cadre des garanties fournies par la Cour et, au besoin, avec l’aide de celle-ci, la conclusion de règlements amiables et l’adoption de déclarations unilatérales ;
ii. coopérer avec le Comité des Ministres, après un arrêt pilote définitif, afin de procéder à l’adoption et à la mise en œuvre effective des mesures générales, aptes à remédier efficacement aux problèmes structurels à l’origine des affaires répétitives ;
b) souligne la nécessité pour la Cour de mettre en place des standards clairs et prévisibles pour la procédure dite d’« arrêts pilotes » concernant la sélection des requêtes, la procédure à suivre et le traitement des affaires suspendues, et d’évaluer les effets de l’application de cette procédure et des procédures similaires ;
(…)
F. Surveillance de l’exécution des arrêts
11. La Conférence souligne qu’il est urgent que le Comité des Ministres :
a) développe les moyens permettant de rendre sa surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour plus efficace et transparente. Elle l’invite, à cet égard, à renforcer cette surveillance en donnant une priorité et une visibilité accrues non seulement aux affaires nécessitant des mesures individuelles urgentes, mais aussi aux affaires révélant d’importants problèmes structurels, en accordant une attention particulière à la nécessité de garantir des recours internes effectifs ;
(…) »
27. Dans sa Résolution ResDH(2005)66 relative aux affaires concernant la durée excessive des procédures pénales en Grèce et adoptée le 18 juillet 2005, le Comité des Ministres a admis ce qui suit :
« Le Comité des Ministres, en vertu des anciens articles 32 et 54 et de l’article 46, paragraphe 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales telle qu’amendée par le Protocole no 11 (ci-après dénommée «la Convention»),
Vu les décisions du Comité adoptée en vertu de l’ancien article 32 de la Convention dans les affaires Tarighi Wageh Dashti et Stamoulakatos no 1,
Vu les arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, dans l’affaire Philis no 2 et dans les autres affaires (voir Annexe), transmis au Comité des Ministres une fois définitifs en vertu des articles 44 et 46 et de l’ancien article 54 de la Convention;
Rappelant qu’à l’origine de toutes ces affaires se trouvent des requêtes dirigées contre la Grèce introduites soit devant la Commission européenne des Droits de l’Homme en vertu de l’ancien article 25, ou devant la Cour en vertu de l’article 34, et que la Commission européenne ou la Cour a déclaré recevables les griefs concernant la durée excessive des procédures pénales (avec constitution de partie civile dans l’affaire Anagnostopoulos) ;
Rappelant que le Comité des Ministres ou la Cour européenne a constaté dans toutes ces affaires des violations de l’article 6, paragraphe 1, en raison de la durée excessive des procédures pénales et a octroyé aux requérants certaines sommes au titre de la satisfaction équitable (voir Annexe) ;
Vu les Règles adoptées par le Comité des Ministres relatives à l’application de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention, lesquelles sont applicables par décision du Comité des Ministres aux affaires relevant des anciens articles 32 et 54 ;
Ayant invité le gouvernement grec à l’informer des mesures prises à la suite des décisions du Comité et des arrêts de la Cour européenne, eu égard à l’obligation qu’a la Grèce de s’y conformer selon les anciens articles 32 et 53 ainsi que l’article 46 de la Convention ;
S’étant assuré que le gouvernement grec avait versé aux requérants les sommes octroyées par la Cour européenne ou le Comité des Ministres au titre de la satisfaction équitable (voir l’Annexe) ;
Eu égard aux informations fournies par le gouvernement grec s’agissant des mesures de caractère général adoptées pour la prévention de nouvelles violations de même genre telles quelles constatées dans les présentes affaires (voir Annexe)
Déclare, après avoir examiné les informations fournies par le Gouvernement grec, qu’il a rempli ses fonctions en vertu des anciens articles 32 et 54 et l’article 46, paragraphe 2, de la Convention dans ces affaires.
Annexe I à la Résolution RésDH(2005)66
(…)
VIII. Mesures de caractère général
Suite aux violations constatées dans la présente affaire, la Grèce a pris plusieurs mesures en vue d’accélérer les procédures pénales. La principale réforme législative a consisté à adopter la loi 3160/2003 sur l’accélération des procédures pénales, largement inspirée de la jurisprudence de la Cour. D’autres mesures ont été adoptées par le biais de la loi 3346/2005. Les principaux changements introduits sont les suivants :
1. Modification des compétences, organisation et gestion des affaires des tribunaux
La loi 3346/2005 (article 2) a modifié le Code d’administration des tribunaux en décidant que dans les tribunaux de première instance et les cours d’appel d’Athènes, du Pirée et de Thessalonique (qui ont la plus grande charge de travail), des juges spécifiques seront affectés uniquement aux procédures pénales en vue d’accélérer leur traitement. Leur mandat initial d’un ou deux ans pourra être renouvelé d’un an.
La grande majorité des infractions pour lesquelles la peine minimale prévue par la loi est inférieure à 3 mois de détention seront désormais examinées par les tribunaux de première instance formés d’un juge unique. Les juridictions répressives supérieures sont ainsi débarrassées de la charge de travail excessive représentée par les multiples infractions mineures (article 8 de la loi 3160/2003, modifiant l’article 114 du Code de procédure pénale (CPP).
La loi 3160/2003 a créé 237 nouveaux postes de juges des tribunaux pénaux et civils à compter du 1er juillet 2003 (article 58, paragraphe 3) et la loi 3258/2004 a créé 24 nouveaux postes de juges des tribunaux pénaux et civils à compter du 29 juillet 2004 (article 3, paragraphe 1). En outre, depuis 2000 la Cour d’appel d’Athènes, dont l’arriéré était au cœur des présentes affaires, a été relogée dans un nouvel édifice comprenant 22 salles d’audience et 500 bureaux (contre 10 salles d’audience et 150 bureaux auparavant).
Enfin, un projet d’informatisation de toutes les juridictions pénales est en cours. La priorité a été donnée aux tribunaux de première instance des grandes villes d’Athènes, du Pirée et de Thessalonique, ainsi qu’au parquet d’Athènes. Ce projet vise également à établir une liaison directe entre le parquet et les tribunaux et à améliorer les bases de données juridiques des tribunaux afin que les juges puissent y accéder plus rapidement et plus facilement.
2. Modifications concernant les enquêtes préliminaires et l’action publique
Nouveaux délais pour les enquêtes préliminaires
Un délai a été fixé pour les enquêtes préliminaires. Ce stade initial de l’action pénale ne doit pas dépasser 4 mois. Cette période peut être prolongée de 4 mois supplémentaires pour des « raisons exceptionnelles » (article 2, paragraphe 2, de la loi 3160/2003, nouvel article 31, paragraphe 3, CPP). Lors de l’enquête préliminaire, conformément à la jurisprudence de la Cour, le prévenu ou l’accusé a le droit d’être présent avec un avocat, de garder le silence et dispose de 48 heures pour préparer sa déclaration (article 2, paragraphe 1, de la loi 3160/2003, modifiant l’article 31, paragraphe 2, CPP).
Après l’inculpation, la période d’enquête ne doit pas excéder 6 mois. Cette période peut être prolongée de 4 mois, seulement pour des « raisons exceptionnelles » (article 11, paragraphe 3, de la loi 3160/2003, nouvel article 243, paragraphe 4, CPP). Dans les affaires concernant des infractions majeures, l’enquête peut être terminée ou interrompue à la demande du parquet (article 12, paragraphe 1, de la loi 3160/2003 modifiant l’article 245, paragraphe 1, CPP). Les procédures pénales exceptionnelles peuvent désormais progresser rapidement parce que le procureur près la Cour de cassation peut les traiter en priorité et ordonner une enquête judiciaire et un procès (article 4 de la loi 3160/2003 modifiant l’article 35 CPP).
Extension du pouvoir du procureur de clore des poursuites
En vertu de la précédente législation, un procureur pouvait classer une affaire sans suite s’il parvenait à la conclusion que la plainte n’était pas recevable ou était manifestement infondée. En vertu de la nouvelle loi (article 5 de la loi 3160/2003, amendant l’article 43 CPP), un procureur peut désormais également clore une affaire si, après une enquête préliminaire, il conclut dans une décision motivée qu’il n’y a pas de preuve suffisante pour engager des poursuites. Cette disposition vise à empêcher que les autorités judiciaires soient submergées de requêtes non fondées et que les tribunaux pénaux statuent sur des affaires dans lesquelles les accusations ne sont pas étayées par des preuves suffisantes.
3. Nouvelles règles concernant les procédures pénales
Limitation des ajournements
En vertu de la loi 3160/2003 et de la loi 3346/2005 (modifiant l’article 349, paragraphe 1, CPP), l’ajournement d’un procès n’est autorisé que pour des « raisons importantes » spécialement décrites dans la décision judiciaire concernée. Un tribunal pénal peut interrompre un procès pendant quinze jours uniquement pour une raison importante. L’interruption (plus courte que l’ajournement) du procès n’est autorisée en principe que deux fois. L’interruption du procès n’est autorisée une seconde fois à condition que le tribunal fournisse des raisons particulières dans sa décision montrant que le problème qui se pose est d’une telle importance qu’il ne peut pas être traité par le tribunal pendant le procès. Il est interdit d’ajourner un procès une troisième fois sauf si une décision de justice « détaillée et motivée » déclare que le procès ne peut se dérouler.
Nouvelles règles concernant la présence de l’inculpé à l’audience
En outre, afin de limiter les reports d’audience, la loi 3160/2003 et la loi 3346/2005 (amendant l’article 340 CPP) ont élargi les catégories d’infractions (pour comprendre désormais toutes les infractions mineures) pour lesquelles la présence de l’inculpé au procès n’est pas obligatoire étant donné qu’il peut se faire représenter par un avocat. Le tribunal conserve le pouvoir d’ordonner la présence de l’inculpé, surtout s’il considère que l’argumentation de celui-ci est importante pour l’affaire en question. Le Gouvernement grec souhaite souligner que cette disposition s’inspire de l’article 6, paragraphe 3c, de la Convention et de la jurisprudence correspondante de la Cour (voir le rapport introductif des projets de loi correspondants).
4. Autres mesures visant à réduire l’arriéré des tribunaux
La loi 3346/2005 (article 31) réglemente la prescription et l’arrêt des poursuites concernant certaines infractions mineures punissables d’une peine maximale d’un an de détention et/ou d’une amende, si elles ont été commises avant la publication de la loi en question (17 juin 2005). De plus, la loi 3160/2003 (article 56) et la loi 3346/2005 (article 27) étendent les catégories d’infraction – concernant essentiellement les droits de propriété – pour lesquels l’inculpé n’est pas sanctionné si, avant le début de la procédure d’examen des preuves (evidentiary procedure) en première instance, il verse à la victime le capital et les intérêts dus pour les dommages causés, et si la victime ou ses héritiers en prennent acte.
Le gouvernement estime que les mesures adoptées par la Grèce permettront de prévenir de nouvelles violations semblables à celles constatées dans les présentes affaires et que, par conséquent, la Grèce a rempli de manière satisfaisante ses obligations en vertu de l’article 46 (anciens articles 32 et 53) de la Convention. »
28. La Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)74 concerne principalement les durées excessives de procédures devant les juridictions administratives grecques et l’absence de recours effectifs (adoptée par le Comité des Ministres le 6 juin 2007, lors de la 997e réunion des Délégués des Ministres). Le Comité des Ministres s’est aussi référé à d’autres procédures judiciaires :
« Soulignant cependant que la création de nouveaux recours internes ne va pas effacer l’obligation de poursuivre avec diligence l’adoption des mesures générales nécessaires afin de remédier au problème systémique des durées excessives de procédures en Grèce, notamment des procédures devant les juridictions administratives et devant le Conseil d’Etat (…) »
C. Le droit comparé
29. Selon des éléments de droit comparé disponibles à la Cour sur les législations des Etats membres du Conseil de l’Europe, la plupart d’eux prévoient un ou plusieurs recours pour faire face au problème systémique des délais excessifs dans les procédures pénales. La Cour constate que du point de vue préventif des mécanismes sont créés en vue de faire accélérer la procédure pénale. En outre, des recours permettant, d’une part, la réduction de la peine à imposer et, d’autre part, le dédommagement pécuniaire du justiciable pour la durée excessive de la procédure judiciaire, sont aussi prévus afin de redresser de façon appropriée la violation en matière de durée excessive des procédures judiciaires.
30. En ce qui concerne l’accélération de la procédure pénale, la Cour constate, en premier lieu, qu’un nombre important des Etats membres du Conseil de l’Europe prévoit des recours pour faire accélérer la procédure pénale (par exemple : Allemagne, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Hongrie, Italie, Lituanie, ex-République yougoslave de Macédoine, Pologne, Portugal, République Tchèque, Royaume-Uni, Russie, la Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suisse, Turquie). La Cour relève une diversité quant aux modalités d’exercice des recours d’accélération. Ceux-ci sont, en principe, facultatifs mais ils peuvent aussi être obligatoires (par exemple : Allemagne ou Danemark). L’initiative de demander l’accélération de procédure peut être confiée à différentes personnes : aux parties (par exemple : Espagne, Estonie, Finlande, France, Lituanie, Pologne, Turquie), aux tribunaux (Danemark, Finlande, France), aux avocats (Danemark), aux parquets (Danemark).
31. Suite à un recours, la procédure peut être accélérée de différentes manières ; le tribunal compétent peut indiquer des mesures à prendre et les délais dans lesquels ces mesures doivent être prises (par exemple : Slovaquie). Au Royaume-Uni, il est possible de rendre publique la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, de donner des instructions pour accélérer la procédure ou de libérer sous caution une personne en détention provisoire concernée par la durée excessive d’une procédure. En Russie, en plus des mesures à prendre, le tribunal peut fixer la date d’audience. En Slovénie, il y a deux mécanismes : un recours en surveillance et la notion de date limite. En Suisse, si l’autorité de recours constate un retard injustifié, elle peut donner des instructions aux autorités concernées en leur impartissant des délais pour s’exécuter. En ce qui concerne les mécanismes d’accélération de procédure, ils peuvent être mis en œuvre à certains stades de la procédure, par exemple, en Estonie après neuf mois de non activité judiciaire dans une affaire.
32. S’agissant des conséquences de la durée excessive d’une procédure pénale, la Cour constate que dans plusieurs Etats membres le juge est compétent pour réduire la peine à imposer en guise de satisfaction équitable pour la durée de procédure (par exemple : Allemagne, Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Hongrie, Islande, Luxembourg, ex-République yougoslave de Macédoine, Malte, Moldova, Portugal, République Tchèque, Royaume-Uni, Slovaquie, Suisse). Les Etats qui permettent de réduire la peine en raison de la durée excessive de procédure se divisent entre ceux qui ont prévu ladite réduction dans leur législation (par exemple : Espagne, Portugal, ex-République yougoslave de Macédoine ou Pologne) et ceux qui laissent une éventuelle réduction de peine à la décision d’un juge chargé de l’affaire (par exemple : Allemagne, Chypre, Estonie, Luxembourg, Slovaquie). A titre d’exemple, en Espagne, la juridiction pénale compétente peut infliger à l’accusé une peine bien moins sévère que celle qui aurait pu lui être imposée en raison de la gravité du délit, en tenant compte de la période de temps écoulée depuis la commission dudit délit. La Loi organique 5/2010 prévoit que les délais extraordinaires et injustifiés dans la conduite de la procédure sont pris en compte en ce sens, à condition que ceux-ci ne soient pas imputables à la personne inculpée et n’aient pas de rapport de proportionnalité avec la complexité de l’affaire. En outre, en Estonie, la jurisprudence bien établie de la Cour Suprême confirme que la durée excessive de la procédure peut constituer un motif pour une réduction de peine, et même pour terminer la procédure ou acquitter l’accusé.
33. S’agissant, enfin, du dédommagement pécuniaire, la Cour constate qu’un grand nombre des Etats membres du Conseil de l’Europe consacre la possibilité de demander une compensation, en cas de non respect du délai raisonnable (par exemple : Allemagne, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Espagne, Finlande, France, Islande, Italie, Lituanie, Luxembourg, ex-République yougoslave de Macédoine, Malte, Moldova, Pologne, Portugal, République Tchèque, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suisse).
34. En particulier, en Allemagne, une loi de 2011 sur les recours en cas de retards dans l’administration de la justice, prévoit le dédommagement pécuniaire du justiciable pour la durée excessive de la procédure avec des montants qui doivent être en conformité avec la jurisprudence de la Cour (maximum 1 200 euros per annum).
35. En Espagne, les articles 292 et suivants de la loi organique du Pouvoir judiciaire offrent la possibilité au justiciable de saisir le ministère de la Justice, une fois la procédure judiciaire terminée, d’une demande en réparation pour fonctionnement anormal de la justice. Selon la jurisprudence administrative en la matière, la durée déraisonnable de la procédure est assimilée à un fonctionnement anormal de l’administration de la justice. Cette voie de recours existe en parallèle avec la possibilité pour toute personne estimant que la procédure à laquelle elle est partie souffre de délais excessifs, d’en saisir la juridiction chargée de l’affaire et, en dernier lieu, le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo sur le fondement de l’article 24 § 2 de la Constitution.
36. Enfin, en Italie, la loi Pinto du 24 mars 2001 prévoit des dédommagements pour les justiciables après trois ans de procédure en première instance, deux ans de procédure en deuxième instance et un an de procédure devant la Cour de cassation. Le montant de compensation n’est pas indiqué par la loi, mais par la jurisprudence. La cour d’appel doit décider sur la demande dans les quatre mois suivant l’introduction de la requête. Ce délai n’est pas toujours respecté et la compensation ne couvre pas tout le dommage subi (voir Scordino c. Italie (no 1) [GC], no36813/97, CEDH 2006‑V).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
37. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, disposition dont la partie pertinente est ainsi libellée :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…), qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Sur la recevabilité
38. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève de plus qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Période à prendre en considération
39. La période à prendre en considération a débuté le 5 février 2003, date à laquelle des poursuites pénales ont été engagées contre le requérant et s’est achevée le 5 mars 2010, date à laquelle l’arrêt no 378/2010 de la Cour de cassation fut mis au net et certifié conforme. Elle s’est donc étalée sur sept ans et un mois pour trois degrés de juridiction.
2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
40. Le Gouvernement allègue qu’il n’y a pas eu de retards excessifs dans le déroulement de la procédure en cause. De plus, il argue que le requérant ainsi que A.R., sa coaccusée, étaient responsables pour certains retards dans la procédure. En particulier, le Gouvernement relève que le 11 décembre 2006, A.R. a sollicité l’ajournement de l’audience devant la cour d’appel qui fut reportée au 2 mars 2007. De surcroît, le Gouvernement note que le 6 mai 2008, suite à la demande du requérant d’ajourner l’audience devant la Cour de cassation, celle-ci a été fixée au 4 novembre 2008. De l’avis du Gouvernement ces délais ne sauraient être imputables aux autorités internes.
41. Le requérant conteste les thèses du Gouvernement.
42. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier notamment à la lumière de la complexité de l’affaire et du comportement du requérant et des autorités compétentes ainsi que de l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II).
43. En particulier, la Cour relève que le comportement du requérant constitue un élément objectif, non imputable à l’Etat défendeur et qui entre en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable de l’article 6 § 1 (I.A. c. France, 23 septembre 1998, § 121, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII ; De Clerck c. Belgique, no 34316/02, § 60, 25 septembre 2007). Quant à la responsabilité des autorités judiciaires en la matière, la Cour réaffirme qu’il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur une contestation en matière pénale dans un délai raisonnable (voir Vlachos c. Grèce, no 20643/06, § 20, 18 septembre 2008).
44. La Cour a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Pélissier et Sassi, précité ; Parousis c. Grèce, no 34769/06, § 19, 4 juin 2009 : plus de cinq ans pour trois instances ; Vlachos, précité, § 16 : six ans et huit mois pour trois instances ; Serafimidis c. Grèce[comité], no 12929/08, § 15, 25 novembre 2010 : six ans et deux mois pour trois instances).
45. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, elle considère que le Gouvernement n’a pas exposé de faits ou arguments pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. En particulier, la Cour constate qu’il s’agissait en l’espèce d’une affaire d’instigation à faux témoignage qui ne soulevait pas de questions de fait ou de droit complexes. La Cour convient avec le Gouvernement que les autorités nationales ne sont pas responsables pour les ajournements des audiences les 11 décembre 2006 devant la cour d’appel et 6 mai 2008 devant la Cour de cassation. Cependant, au vu de la jurisprudence pertinente (voir paragraphe 44 ci-dessus) et du fait que la durée globale de la procédure a dépassé sept ans, la Cour considère que celle-ci a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 à cet égard.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
46. Le requérant se plaint également du fait qu’en Grèce il n’existe aucune juridiction à laquelle l’on puisse s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque l’article 13 de la Convention, disposition ainsi libellée :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
47. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
48. Le Gouvernement affirme que suite à l’arrêt Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce (no 50973/08, 21 décembre 2010) ayant conclu à un problème systémique de l’ordre juridique grec quant à la durée des procédures administratives, les autorités internes élaborent actuellement un projet de loi prévoyant des recours en vue d’accélérer les procédures judiciaires, si besoin est, et d’indemniser les victimes de violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard. Le Gouvernement soutient aussi que le requérant aurait pu introduire devant le tribunal administratif, sur le fondement des articles 104 et 105 de la loi d’accompagnement du code civil et, en invoquant la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, une action en dommages-intérêts contre l’Etat. Il note que par son jugement no 15006/2008, le tribunal administratif d’Athènes a accueilli une telle action pour le dépassement du délai raisonnable de la procédure après avoir examiné les allégations du demandeur à la lumière de la jurisprudence de la Cour.
49. Le requérant conteste les thèses du Gouvernement.
50. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).
51. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure pénale (voir, parmi d’autres, Kouroupis c. Grèce, no 36432/05, § 20 et, plus récemment, Vihos c. Grèce, no 34692/08, § 37, 10 février2011). La Cour observe que le Gouvernement n’affirme pas que l’ordre juridique hellénique ait entre-temps été doté d’une telle voie de recours. Elle estime pour autant nécessaire de se pencher en particulier sur l’argument du Gouvernement tiré de la possibilité pour le requérant de saisir les juridictions administratives d’une action en dommages-intérêts fondée sur les articles 104 et 105 de la loi d’accompagnement du code civil.
52. La Cour rappelle en ce sens qu’en matière de « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, un recours purement indemnitaire – tel le recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice dont il est question en l’espèce – est en principe susceptible de constituer une voie de recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 (voir Mifsud c. France, [GC] (déc.), no 57220/00, 11 septembre 2002; Broca et Texier-Micault c. France (déc.), nos 27928/02 et 31694/02, 21 octobre 2003).
53. En l’occurrence, la Cour n’est toutefois pas convaincue que le recours invoqué par le Gouvernement était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique et répondait donc aux exigences de l’article 13 de la Convention. D’une part, elle relève que la décision fournie par le Gouvernement, à l’appui de sa thèse, est un simple jugement rendu par un tribunal de première instance (voir paragraphe 17 ci-dessus). Outre le fait qu’il s’agit d’un précédent récent, la Cour ne peut pas spéculer sur les chances que ce précédent soit confirmé par les juridictions administratives d’appel, voire par le Conseil d’Etat, au cas où cette question leur serait soumise à l’avenir (voir Shore Technologies c. Luxembourg, no 35704/06, § 27, 31 juillet 2008, et Depauw c. Belgique (déc.), no 2115/04, CEDH 2007-V (extraits)). Or, comme la Cour l’a déjà souligné, une voie de recours doit exister avec un degré suffisant de certitude, sans quoi lui manquent l’accessibilité et l’effectivité nécessaires (voir parmi d’autres, Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 120, CEDH 2010 (extraits). De plus, la Cour ne perd pas de vue que la procédure dans le cas invoqué par le Gouvernement a duré deux ans et quatre mois (voir paragraphe 18 ci-dessus), ce qui peut faire douter de son efficacité. La Cour note aussi que la décision invoquée par le Gouvernement remonte à 2008 et, tel qu’il ressort du dossier, il n’y a pas eu d’évolution depuis ni à l’égard de cette procédure, ni à l’égard d’une autre procédure soulevant la même question.
54. Dans ces conditions, la Cour estime que la voie de recours mentionnée par le Gouvernement ne répondait pas aux exigences de l’article 13 de la Convention. La Cour n’exclut toutefois pas que l’exercice de ce recours puisse conduire, au terme de l’évolution de la jurisprudence, à un résultat conforme aux prescriptions de l’article 13 de la Convention (Tsoukalas c. Grèce, no 12286/08, § 43, 22 juillet 2010, et, mutatis mutandis, Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, §§ 49 et s., 11 février 2010 ; Depauw, décision précitée).
Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
55. La Cour relève d’emblée que la durée excessive des procédures devant les juridictions pénales est un problème persistant en Grèce qui a conduit à de nombreux constats de violation de la Convention à Strasbourg. Elle note que durant la période allant de 2001 à 2011, la Cour a adopté plus de trois cents arrêts concluant à la durée excessive de procédures judiciaires, dont une partie était afférente à des procédures pénales. Par ailleurs, la Cour a déjà constaté à plusieurs reprises des violations de l’article 13 de la Convention du fait que les intéressés n’avaient pas pu bénéficier d’un recours effectif interne par lequel ils auraient pu faire valoir leur droit à « une audience dans un délai raisonnable ». Ceci est par ailleurs relevé dans la Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)74 du Comité des Ministres qui concerne principalement la question de la durée excessive de procédures administratives en Grèce, mais se réfère en même temps de manière générale aux procédures judiciaires. La Cour juge donc opportun d’examiner la présente affaire sur le terrain de l’article 46 de la Convention. Ladite disposition est ainsi libellée :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
A. Thèses des parties
56. Le Gouvernement n’estime pas que la durée des procédures pénales en Grèce révèle un problème structurel de l’ordre juridique grec en ce sens. Il relève notamment que la plupart des affaires relatives à la durée excessive de procédures pénales concernent plutôt les juridictions d’Athènes et sont, par conséquent, bien délimitées d’un point de vue territorial. De plus, le Gouvernement affirme que l’existence d’une pratique administrative incompatible avec la Convention ne peut pas être confirmée en ce qui concerne la durée des procédures pénales. Selon le Gouvernement, le constat d’une telle pratique présuppose le cumul de deux conditions, à savoir l’existence de violations similaires ou analogues de la Convention, suffisamment nombreuses et liées entre elles ainsi qu’une tolérance officielle de la part des autorités compétentes, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
57. Enfin, le Gouvernement relève qu’au fil des dix dernières années, les autorités grecques ont pris un ensemble de mesures tant au niveau administratif que législatif afin de permettre l’accélération des procédures devant les juridictions pénales. En particulier, il admet dans un premier temps que, malgré l’adoption de mesures à caractère général, notamment en vertu des lois nos 3160/2003 et 3346/2005 pour remédier à la durée excessive des procédures pénales, progrès qui a été reconnu par la Résolution ResDH(2005)66 du Comité des ministres (voir paragraphe 27 ci-dessus), un problème a persisté à cet égard. Ainsi, la Cour a continué, après 2005, à constater des violations de la Convention à ce sujet. Dans un second temps, le Gouvernement relève qu’il y a eu des initiatives plus récentes pour accélérer les procédures devant les juridictions pénales : en vertu notamment des lois nos 3514/2006, 3659/2008 et 3869/2010, plusieurs postes ont été créés : ceux de conseillers près de la Cour de cassation, de procureurs adjoints près la même juridiction, de présidents et procureurs près les cours d’appels, de juges et procureurs près les tribunaux de première instance et de juges de paix. De surcroît, au cours de la même période, plusieurs palais de justice ont été construits et le ministère de la Justice a entrepris des initiatives pour la modernisation et l’informatisation des services des greffes auprès des juridictions.
58. Le requérant constate l’existence d’un problème systémique dû à la durée excessive des procédures pénales en Grèce. Il relève aussi l’omission des autorités grecques d’introduire un recours effectif pour remédier au dysfonctionnement de l’ordre juridique interne.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
59. La Cour rappelle que, tel qu’interprété à la lumière de l’article 1 de la Convention, l’article 46 crée pour l’Etat défendeur l’obligation juridique de mettre en œuvre, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou individuelles qui s’imposent pour sauvegarder le droit du requérant dont la Cour a constaté la violation. Des mesures de ce type doivent aussi être prises à l’égard d’autres personnes dans la même situation que l’intéressé, l’Etat étant censé mettre un terme aux problèmes à l’origine des constats opérés par la Cour (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII ; S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 134, 4 décembre 2008).
60. Afin de faciliter une mise en œuvre effective de ses arrêts suivant le principe ci-dessus, la Cour peut adopter une procédure d’arrêt pilote lui permettant de mettre clairement en lumière, dans son arrêt, l’existence de problèmes structurels à l’origine des violations et d’indiquer les mesures ou actions particulières que l’Etat défendeur devra prendre pour y remédier (Hutten-Czapska, précité, §§ 231-239 et son dispositif, et Broniowski, précité, §§ 189-194 et son dispositif). Lorsqu’elle adopte pareille démarche, elle tient cependant dûment compte des attributions respectives des organes de la Convention : en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention, il appartient au Comité des Ministres d’évaluer la mise en œuvre des mesures individuelles ou générales prises en exécution de l’arrêt de la Cour (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 31443/96, § 42, CEDH 2005‑IX).
61. Un autre but important poursuivi par la procédure d’arrêt pilote est d’inciter l’Etat défendeur à trouver, au niveau national, une solution aux nombreuses affaires individuelles nées du même problème structurel, donnant ainsi effet au principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention (Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 127, CEDH 2009 (extraits). En effet, la Cour ne s’acquitte pas forcément au mieux de sa tâche, qui consiste selon l’article 19 de la Convention à « assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (…) Convention et de ses Protocoles », en répétant les mêmes conclusions dans un grand nombre d’affaires (voir, mutatis mutandis, E.G. c. Pologne (déc.), no 50425/99, § 27, CEDH 2008 (extraits)).
62. La procédure d’arrêt pilote a pour objet de faciliter la résolution la plus rapide et la plus effective d’un dysfonctionnement affectant la protection du droit conventionnel en cause dans l’ordre juridique interne (Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), no 50003/99, § 34, CEDH 2007 (extraits)). Si elle doit tendre principalement au règlement de ces dysfonctionnements et à la mise en place, le cas échéant, de recours internes effectifs permettant de dénoncer les violations commises, l’action de l’Etat défendeur peut aussi comprendre l’adoption de solutions ad hoctelles que des règlements amiables avec les requérants ou des offres unilatérales d’indemnisation, en conformité avec les exigences de la Convention (Bourdov (no 2), précité, § 127).
2. Application des principes susmentionnés à la présente affaire
a) Quant à l’application de la procédure d’arrêt pilote
63. La Cour relève que la présente affaire peut se distinguer à certains égards de certaines « affaires pilotes » antérieures, telles par exemple Hutten-Czapska et Broniowski (arrêts précités). En effet, les personnes se trouvant dans la même situation que le requérant ne relèvent pas forcément d’une « catégorie précise de citoyens » (voir, à titre de comparaison, les arrêts Hutten-Czapska, § 229, et Broniowski, § 189, précités). De plus, les deux arrêts susmentionnés étaient les premiers à constater l’existence de problèmes structurels à l’origine de nombreuses requêtes introduites après celles auxquelles ils se rapportaient. Dans la présente affaire, un grand nombre d’arrêts mettant amplement en lumière le problème de la durée excessive des procédures devant les juridictions pénales en Grèce ont précédé son introduction devant la Cour.
64. Par contre, la Cour note que la présente affaire est similaire, du point de vue des questions posées et des personnes concernées, à celles déjà examinées par la Cour dans d’autres« affaires pilotes » antérieures (voir Bourdov (no 2), précité ; Scordino c. Italie (no 1), précité ; Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, CEDH 2005‑X). Partant, elle estime qu’il y a lieu d’appliquer en l’espèce la procédure d’arrêt pilote, compte tenu notamment du caractère chronique et persistant des problèmes en question et du nombre important de personnes qu’ils touchent en Grèce (voir, notamment, paragraphes 66-69 ci-dessous). La Cour relève aussi le besoin urgent d’offrir aux personnes concernées un redressement rapide et approprié à l’échelon national (voir Bourdov (no 2), précité, §§ 129-130).
b) Quant à l’existence ou non d’une pratique incompatible avec la Convention
65. La Cour observe, d’emblée que le problème de la durée excessive en ce qui concerne la Grèce est tout particulièrement épineux à l’égard des procédures administratives. Ainsi, le 6 juin 2007, dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)74, le Comité des Ministres a fait état du grand nombre d’arrêts de la Cour constatant de la part de la Grèce une violation de l’article 6 § 1 de la Convention relative à des durées excessives de procédures devant les juridictions administratives. En outre, la Cour a confirmé, dans un arrêt où elle a appliqué la procédure d’arrêt pilote, le dysfonctionnement de l’ordre juridique grec consistant en la durée excessive des procédures devant les juridictions administratives et l’absence en droit interne d’un recours permettant aux intéressés d’obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable. Dans le même arrêt, la Cour a considéré que les autorités internes devaient mettre en place sans retard un recours ou une combinaison de recours au niveau national, qui garantiraient réellement une réparation effective des violations de la Convention résultant de durées excessives des procédures devant les juridictions administratives (Vassilios Athanasiou et autres, précité, §§ 52, 53 et 57).
66. Il n’en reste pas moins que le problème de la durée excessive des procédures judiciaires en Grèce n’épargne pas celles initiées devant les juridictions pénales. Il convient de rappeler sur ce point que dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)74, le Comité des Ministres a fait référence à l’obligation pesant sur les autorités internes de poursuivre avec diligence l’adoption des mesures générales nécessaires afin de remédier au problème systémique des durées excessives de procédures en Grèce (voir paragraphe 28 ci-dessus).
67. La Cour prend aussi note des mesures prises par les autorités internes, au fil des dernières années, et visant à la rationalisation de la procédure devant les juridictions pénales dans le but de raccourcir les délais pour l’examen des affaires. De l’avis de la Cour, des mesures telles que l’augmentation du nombre de magistrats, la construction de nouveaux palais de justice, l’informatisation des services des greffes auprès des juridictions nationales sont importantes dans la perspective du renforcement et de la modernisation de l’appareil judiciaire afin de rendre son fonctionnement plus effectif. La Cour relève aussi que suite aux initiatives législatives de 2003 et 2005, des mesures visant à organiser et gérer de façon plus rationnelle les affaires des tribunaux, limiter les ajournements et accélérer les enquêtes préliminaires et l’action publique ont été mises en œuvre (voir paragraphe 27 ci-dessus). De surcroît, la Cour constate avec satisfaction l’adoption de la loi no 3904/2010 qui comporte un faisceau de dispositions visant à la simplification et l’accélération des procédures pénales, ce qui aurait l’effet bénéfique d’alléger le rôle des juridictions pénales (voir paragraphes 19 et 20 ci-dessus). Toutefois, malgré les différentes initiatives législatives au niveau du droit interne, qui montrent que les autorités compétentes ne restent pas indifférentes face au problème aigu de la durée excessive des procédures judiciaires, il ne ressort pas des observations du Gouvernement que l’ordre juridique interne s’est à ce jour doté d’un ou plusieurs recours pouvant permettre aux intéressés d’obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable en matière pénale.
68. En outre, la Cour note que dans la période postérieure à l’adoption de la Résolution intérimaire de 2007, elle a prononcé plus de quarante arrêts concluant à des violations de l’article 6 § 1 quant à la durée de procédures devant les juridictions pénales (voir, parmi d’autres, Peca c. Grèce, no 14846/05, §§ 9 et 14, 21 juin 2007 ; Raspoptsis c. Grèce, no 1262/05, §§ 12 et 19, 27 septembre 2007 ; Katsivardelos c. Grèce, no 2075/06, §§ 17 et 20, 25 octobre 2007 ; Luan Metushi c. Grèce, no 34643/05, §§ 9 et 14, 25 octobre 2007 ; Behar Metushi c. Grèce, no 34148/05, §§ 9 et 14, 25 octobre 2007 ; Tsivis c. Grèce, no 11553/05, §§ 24 et 27, 6 décembre 2007 ; Gikas c. Grèce, no 903/06, §§ 13 et 20, 6 mars 2008 ; Sekseni c. Grèce, no 41515/05, §§ 15 et 19, 6 mars 2008 ; Korfiatis c. Grèce, no 34025/06, §§ 13 et 17, 20 mars 2008 ; Kouroupis, précité, §§ 10 et 14 ; Terzoglou c. Grèce, no 15280/06, §§ 13 et 17, 27 mars 2008 ; Charalambidis c. Grèce, no 4723/07, §§ 17 et 21, 31 juillet 2008 ; Vlachos, précité, §§ 16 et 21 ; Chrysoula Aggelopoulou c. Grèce, no 30293/05, §§ 15 et 19, 4 décembre 2008 ; Dellis c. Grèce, no 24977/07, §§ 14 et 20, 16 avril 2009 Vlastos c. Grèce, no 28803/07, §§ 23 et 29, 16 avril 2009 ; Kanakis c. Grèce, no 16634/07, §§ 14 et 18, 16 avril 2009 ; Tsotsos c. Grèce, no 25109/07, §§ 22 et 24, 30 avril2009 ; Roïdakis c. Grèce (no 2), no 50914/06, §§ 19 et 24, 28 mai 2009 ; Parousis c. Grèce, précité, §§ 19 et 23 ; Sarantidou c. Grèce, no 2002/07, §§ 19 et 25, 2 juillet 2009 ; Ekonomi c. Grèce, no 39870/06, §§ 14 et 17, 2 juillet 2009 ; Velisiotis c. Grèce, no 39614/07, §§ 16 et 20, 29 octobre 2009 ; Triantaris c. Grèce, no 44536/07, §§ 14 et 18, 5 novembre 2009 ; Georginis-Giorginis c. Grèce, no 3271/08, §§ 11 et 15, 17 décembre 2009 ; Evgeniou-Hatzidimitriou c. Grèce, no 26487/07, §§ 13 et 16, 1er avril 2010 Sarantidis et autres c. Grèce, no 51446/07, §§ 12 et 18, 22 avril 2010 ; Serafimidis, précité, §§ 15 et 21 ; Evaggelou c. Grèce, no 44078/07, §§ 25 et 29, 13 janvier 2011; Lorandou c. Grèce [comité], no 5716/08, §§ 29 et 34, 13 janvier 2011 ; Drakos c. Grèce, no 48289/07, §§ 26 et 31, 13 janvier 2011; Chaïkalis c. Grèce [comité], no 32362/08, §§ 17 et 23, 3 février 2011 ; Vihos, précité, § 29 ; Nomikou c. Grèce [comité], no 54617/09, §§ 15 et 19, 10 mai 2011 ; Loggos c. Grèce [comité], no 47039/09, § 10, 10 mai 2011 ; Soulioti c. Grèce [comité], no 41447/08, § 20, 2 février 2012).
69. Il convient sur ce point de relever que dans un nombre important d’affaires afférentes à des procédures pénales, la Cour a constaté des durées particulièrement longues en première instance (voir, entre autres, Katsivardelos, § 20 ; Chrysoula Aggelopoulou, § 25 ; Vlastos, § 28 ; Tsotsos, § 24 ; Sarantidou, § 24 ; Velisiotis, § 20 ; Triantaris, § 18 ; Sarantidis et autres, § 17 ; Lorandou, § 33, précités). D’ailleurs, la Cour a, à plusieurs reprises, constaté la fixation des audiences en appel à des dates particulièrement lointaines par rapport à la date d’introduction des recours d’appel (voir, parmi d’autres, Peca, § 14 ; Behar Metushi, § 14 ; Gikas, §§ 7 et 8 ; Sekseni, § 19 ; Terzoglou, § 17 ; Vlachos, § 20 ; Parousis, § 23 ; Ekonomi, § 17 ; Serafimidis, § 20, précités).
70. Qui plus est, la Cour observe que dans la période postérieure à l’adoption de la Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)74, à chaque fois qu’un des requérants dans les affaires susmentionnées (voir paragraphe 68 ci-dessus) a soulevé un grief sous l’angle de l’article 13 de la Convention, elle a conclu à une violation de cette disposition du fait que les intéressés n’avaient pas pu bénéficier d’un recours effectif interne par l’intermédiaire duquel ils auraient pu faire valoir leur droit à « une audience dans un délai raisonnable » (voir, entre autres, Kouroupis, § 20 ; Chrysoula Aggelopoulou, § 25 ; Ekonomi, § 23 ; Evaggelou, § 35 ; Lorandou, § 27 ; Drakos, § 48 ; Vihos, § 37 ; Nomikou, § 24 ; Loggos, § 19, précités).
71. Enfin, le caractère structurel du problème identifié dans la présente affaire est confirmé par le fait que plus de deux cent cinquante affaires contre la Grèce et afférentes, totalement ou partiellement, à la durée de procédures judiciaires sont actuellement pendantes devant elle. Parmi ces affaires, plus de cinquante concernent exclusivement des procédures devant les juridictions pénales.
72. Aux yeux de la Cour, les retards importants et récurrents dans l’administration de la justice représentent un phénomène particulièrement préoccupant à même de compromettre la confiance du public dans l’efficacité du système judiciaire. Ainsi, en principe, il ne saurait être exclu que, dans des cas exceptionnels, le maintien d’une procédure en instance pour une période excessive soit susceptible de porter atteinte même au droit d’accès à un tribunal. En particulier, l’absence injustifiée de décision par la juridiction saisie pour une période particulièrement prolongée peut par la force des choses s’assimiler à un déni de justice ; le recours exercé par l’intéressé peut ainsi se voir privé de toute son efficacité, lorsque la juridiction concernée ne parvient pas à trancher le litige en temps utile, comme l’exigent les circonstances et l’enjeu de chaque affaire particulière (Vassilios Athanasiou et autres, précité, § 52).
73. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la situation constatée en l’espèce doit être jugée refléter une pratique incompatible avec la Convention (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999‑V; Bourdov (no 2), précité, § 135).
c) Quant aux mesures générales à adopter
74. Il appartient en principe à l’Etat défendeur de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention (voir Scozzari et Giunta, précité, § 249). La Cour relève sur ce point que, dans le respect des exigences de la Convention, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la façon de garantir aux individus le recours exigé par l’article 13 et de se conformer à l’obligation qui découle de cette disposition de la Convention. La Cour a également insisté sur le principe de subsidiarité afin que les justiciables ne soient plus systématiquement contraints de lui soumettre des requêtes qui auraient pu être instruites d’abord et, selon elle, de manière plus appropriée, au sein des ordres juridiques internes (Kudła, §§ 154-155, et Scordino (no 1), § 188, précités).
75. En l’occurrence, en ce qui concerne la ou les voies de recours internes à adopter pour faire face au problème systémique identifié dans la présente affaire, la Cour rappelle que le meilleur remède dans l’absolu est, comme dans de nombreux domaines, la prévention. La Cour a affirmé à maintes reprises que l’article 6 § 1 astreint les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent satisfaire à chacune de ses exigences, notamment en ce qui concerne le délai raisonnable (voir, parmi de nombreux autres, Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 74, CEDH 2006‑V, et Bottazzi, précité, § 22). Lorsque le système judiciaire s’avère défaillant à cet égard, un recours permettant de faire accélérer la procédure afin d’empêcher la survenance d’une durée excessive constitue la solution la plus efficace. Un tel recours présente un avantage incontestable par rapport à un recours uniquement indemnitaire car il évite également d’avoir à constater des violations successives pour la même procédure et ne se limite pas à agir uniquement a posteriori comme le fait un recours indemnitaire (Scordino (no 1), précité, § 183).
76. La Cour a de nombreuses fois attribué à certains recours un caractère « effectif », dans la mesure où ils accélèrent la procédure devant la juridiction concernée (voir, parmi d’autres, Tomé Mota c. Portugal (déc.), no 32082/96, CEDH 1999-IX ; Gonzalez Marin c. Espagne (déc.), no 39521/98, CEDH 1999-VII ; Bacchini c. Suisse (déc.), no 62915/00, 21 juin 2005 ; Kunz c. Suisse (déc.), no 623/02, 21 juin 2005 ; Fehr et Lauterburg c. Suisse (déc.), nos 708/02 et 1095/02, 21 juin 2005). La Cour note de plus que, selon les éléments de droit comparé qui lui sont disponibles, un nombre conséquent d’Etats membres prévoit des recours permettant l’accélération de la procédure pénale. De plus, elle constate une diversité des modalités d’exercice des recours d’accélération tant à l’égard de leur caractère facultatif ou obligatoire qu’aux personnes ou autorités qui peuvent les intenter et aux modalités selon lesquelles l’accélération de la procédure peut être atteinte (voir paragraphes 30-31 ci-dessus).
77. Il n’en reste pas moins que, dans le cadre de la marge d’appréciation qui est reconnue à l’Etat défendeur, l’introduction d’autres types de recours pouvant redresser la violation de façon appropriée en matière de durée excessive des procédures judiciaires n’est pas exclue. Outre l’adoption d’un recours indemnitaire qui doit correspondre aux critères d’effectivité prévue par la jurisprudence (voir, en ce sens, Scordino (no 1), précité, §§ 194-206, et Bourdov (no 2), précité, § 99), la Cour relève qu’en cas de condamnation de l’intéressé, la réduction de la peine imposée en raison de la durée excessive d’une procédure pénale d’une manière expresse et mesurable peut aussi constituer une réparation satisfaisante à cet égard (voir, entre autres, Scordino c. Italie (no 1), précité, § 186 ; Malkov c. Estonie, no 31407/07, §§ 60-61, 4 février 2010 ; Freimanis et Līdums c. Lettonie, nos 73443/01 et 74860/01, § 68, 9 février 2006 ; Beck c. Norvège, no 26390/95, § 27, 26 juin 2001, Wejrup c. Danemark (déc.), no 49126/99, CEDH 2002‑IV). En s’appuyant sur les éléments de droit comparé qui lui sont disponibles, la Cour relève qu’un nombre important d’Etats membres prévoient déjà des recours permettant la réduction de la peine à imposer ou/et le dédommagement pécuniaire à titre de compensation pour la durée excessive de la procédure pénale. La réduction de peine peut être introduite au droit interne par voie soit législative soit jurisprudentielle (voir paragraphe 32 ci-dessus). Quant à la possibilité de compensation pécuniaire, la Cour relève dans ce cas aussi une diversité dans les modalités d’application dudit recours (voir paragraphes 33-36 ci-dessus).
78. Au vu des considérations qui précèdent, la Cour, tout en reconnaissant les développements récents de l’ordre juridique grec visant tant à la modernisation de l’appareil judiciaire qu’à la simplification et l’accélération des procédures judiciaires, considère que les autorités nationales doivent sans retard mettre en place un recours ou une combinaison de recours au niveau national qui garantissent réellement une réparation effective des violations de la Convention résultant de durées excessives des procédures devant les juridictions pénales. La Cour considère qu’un tel recours devra être conforme aux principes de la Convention et être ouvert dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle celui-ci sera devenu définitif, couvrant également les affaires de durée de procédures pénales actuellement pendantes devant la Cour.
d) Quant à la procédure à suivre dans des affaires similaires
79. La Cour rappelle qu’elle peut se prononcer dans l’arrêt pilote sur la procédure à suivre dans l’examen de toutes les affaires similaires (voir, mutatis mutandis, Broniowski, précité, § 198, et Xenides-Arestis c. Turquie, no 46347/99, § 50, 22 décembre 2005). Elle note que, selon Gouvernement, l’ajournement de l’examen de toutes les affaires pénales serait conforme au principe de subsidiarité et encouragerait les autorités nationales à mettre en œuvre les recours appropriés.
80. La Cour note que dans l’arrêt Vassilios Athanasiou et autres précité, elle n’a pas considéré nécessaire d’ajourner l’examen de toutes les affaires relatives à la durée de procédures administratives. Elle a notamment relevé ne pas souhaiter que la mise en œuvre de mesures générales soit au détriment de l’examen en temps utile des requêtes pendantes ayant le même objet (Vassilios Athanasiou et autres, précité, § 58). La Cour constate que, s’agissant de la durée des procédures pénales devant les juridictions grecques, le nombre des affaires y relatives qui sont actuellement pendantes devant elle est considérablement inférieur à celui déjà relevé dans l’arrêt Vassilios Athanasiou et autres précité, et afférent aux affaires relatives à la durée de procédures administratives (voir paragraphe 71 ci-dessus, et Vassilios Athanasiou et autres précité, § 51). Partant, l’ajournement des affaires pénales ne se ferait pas au détriment de l’examen en temps utile par la Cour d’un nombre conséquent de requêtes. La Cour considère donc qu’en attendant que les autorités internes adoptent les mesures nécessaires sur le plan national, les procédures contradictoires dans toutes les affaires ayant pour unique objet la durée de procédures pénales devant les juridictions grecques seront ajournées pendant une période d’un an à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif. Réserve est faite de la faculté pour la Cour, à tout moment, de déclarer irrecevable une affaire de ce type ou de la rayer de son rôle à la suite d’un accord amiable entre les parties ou d’un règlement du litige par d’autres moyens, conformément aux articles 37 et 39 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
81. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
82. Le requérant réclame une somme de 20 000 euros (EUR) pour le dommage moral subi en raison des violations des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.
83. Le Gouvernement considère la somme réclamée excessive. Il estime qu’une indemnité éventuelle pour dommage moral ne devrait pas dépasser 1 000 EUR.
84. La Cour rappelle qu’elle a constaté une violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention. Statuant en équité, et étant donné que la procédure litigieuse a durée plus de sept ans pour trois degrés de juridiction, elle accorde au requérant 3 000 EUR au titre du dommage moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
85. Pour les frais et dépens pour la procédure devant la Cour, le requérant demande la somme de 1 230 EUR, facture à l’appui.
86. Le Gouvernement considère la somme demandée excessive.
87. La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
88. En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable la somme réclamée, à savoir 1 230 EUR, et l’accorde au requérant au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt.
C. Intérêts moratoires
89. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit que les violations ci-dessus découlent d’un dysfonctionnement de l’ordre juridique interne consistant en la durée excessive des procédures devant les juridictions pénales et en l’absence en droit interne d’un recours permettant aux intéressés d’obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable ;
5. Dit que l’Etat défendeur devra, dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, mettre en place un recours ou un ensemble de recours internes effectifs apte à offrir un redressement adéquat et suffisant dans les cas de dépassement du délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, quant aux procédures devant les juridictions pénales, et ce conformément aux principes de la Convention tels qu’établis dans la jurisprudence de la Cour ;
6. Dit que, en attendant l’adoption des mesures ci-dessus, la Cour ajournera, pendant une durée de un an à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif, la procédure dans toutes les affaires ayant pour unique objet la durée de procédures pénales devant les juridictions grecques, réserve faite de la faculté pour la Cour, à tout moment, de déclarer irrecevable une affaire de ce type ou de la rayer du rôle à la suite d’un accord amiable entre les parties ou d’un règlement du litige par d’autres moyens, au sens respectivement de l’article 37 et de l’article 39 de la Convention ;
7. Dit
a) que, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, l’Etat défendeur devra verser au requérant 3 000 EUR (trois mille euros) au titre du dommage moral subi et 1 230 EUR (mille deux cent trente euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt sur ces sommes ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces sommes seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 avril 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Nina Vajić
Présidente
André Wampach
Greffier adjoint