DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE GHAVTADZE c. GÉORGIE
(Requête no 23204/07)
ARRÊT
STRASBOURG
3 mars 2009
DÉFINITIF
03/06/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ghavtadze c. Géorgie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nona Tsotsoria, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 février 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23204/07) dirigée contre la Géorgie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Irakli Ghavtadze (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 avril 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me Lacha Avaliani, avocat à Tbilissi. Le gouvernement géorgien (« le Gouvernement ») était successivement représenté par MM. Mikheil Kékénadzé et David Tomadzé, agents.
3. Le requérant se plaignait du manque, voire de l’absence, de soins médicaux en détention.
4. Le 6 juin 2007, la Cour a décidé de traiter la requête par priorité et d’en donner connaissance au Gouvernement (article 54 § 2 b) du règlement). A la même date, elle a décidé que la recevabilité et le bien-fondé de la requête seraient examinés conjointement (article 29 § 3 de la Convention).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
a) Procédure pénale
5. Le requérant, né en 1982, fut arrêté le 19 octobre 2006. Il fut placé le 21 octobre 2006 à la prison no 5 de Tbilissi. Le 4 avril 2007, il fut condamné en première instance à une peine d’emprisonnement de onze ans et six mois ferme pour port et transport d’arme ainsi que brigandage. Le 4 juillet 2007, ce jugement fut réformé en appel et la peine de prison portée à huit ans et six mois. Le requérant se pourvut en cassation, la suite de la procédure n’étant pas connue.
b) Etat de santé du requérant
6. Il ressort du dossier qu’avant l’arrestation, le requérant utilisait des drogues par voie intraveineuse. Pour le reste, il affirme avoir été en bonne santé avant de contracter différentes maladies contagieuses à la prison no 5 de Tbilissi. A l’appui, il produit les résultats d’un test de dosage, réalisé le 10 octobre 2006 et démontrant l’absence des anticorps des hépatites B et C dans son sang.
i) Première hospitalisation entre les 22 janvier et 10 février 2007 (dossier médical no 124)
7. Le 22 janvier 2007, le requérant fut placé à l’hôpital pénitentiaire à la demande du médecin de la prison no 5 de Tbilissi, qui estima que l’intéressé présentait des signes de l’hépatite virale C aiguë. En effet, le requérant souffrait de douleurs sous costales, de nausées, de vomissements, de jaunissement de la peau et des yeux (l’ictère), de fièvre, etc.
8. Lors de son admission à l’hôpital, les médecins relevèrent que, depuis une semaine, le requérant, qui pesait alors 88,5 kg, avait une température élevée (39-40 Co) et que son état de santé avait commencé à se détériorer trois mois auparavant.
9. Le 23 janvier 2007, le requérant fut examiné par un hépatologue qui établit provisoirement le diagnostic d’hépatite virale C et prescrivit une cure de désintoxication, un traitement intensif par hépatoprotecteurs et vitamines ainsi qu’un traitement pour renforcer le système immunitaire. Il recommanda la réalisation de différents examens nécessaires, dont les analyses biochimique et sérologique du sang. Il constata que le requérant souffrait de subfébrilité depuis trois mois et que l’ictère avait fait apparition une semaine auparavant. La hausse de la température (39-40 Co) depuis une semaine avait causé de l’arthralgie (douleurs articulaires), adynamie et anorexie.
10. Examiné par un autre hépatologue le 24 janvier 2007, le requérant se vit prescrire la même série d’analyses et de traitements que la veille mais aussi une échographie de l’abdomen.
11. Le traitement préconisé par les hépatologues fut aussitôt mis en place et un certain nombre d’analyses réalisées.
12. L’analyse biochimique du sang du 26 janvier 2007, diligentée par le médecin en chef de l’hôpital pénitentiaire, montra notamment que les enzymes ALAT, ASAT et gamma GT dépassaient respectivement plus de 19 fois, 6 fois et 4 fois la limite supérieure de la normale et la bilirubine totale 5 fois la limite supérieure de la normale. L’analyse sérologique réalisée le 25 janvier 2007 démontra l’existence des anticorps de l’hépatite C dans le sang. L’échographie de l’abdomen, réalisée à une date indéterminée, montra l’existence d’une hépatomégalie et une dilatation de la rate.
13. Le 31 janvier 2007, l’hépatologue constata que l’état de santé du requérant s’améliorait tout en restant grave. Au vu des résultats des analyses, il établit définitivement le diagnostic d’hépatite virale C aiguë et recommanda la poursuite du traitement par hépatoprotecteurs, antioxydants et vitamines. Il prescrivit par ailleurs une radiographie du thorax, l’auscultation pulmonaire faisant apparaître des souffles bronchiques.
14. Les 5-7 février 2007, le requérant se plaignit de la démangeaison sur tout le corps (prurit), qui accompagne souvent l’ictère.
15. Le 8 février 2007, l’hépatologue constata en effet que la peau du requérant présentait des lésions dues au prurit et la présence d’ictère. Le requérant continuait de perdre du poids et ne dormait qu’une heure par nuit. Le niveau de la bilirubine indiquant la persistance de la cytolyse [perturbations liées à la destruction des hépatocytes, tissus du foie], le médecin conclut à l’existence de l’hépatite virale C aiguë avec syndrome de cholestase (diminution et parfois arrêt total de l’écoulement du liquide biliaire, dont les constituants peuvent éventuellement refluer dans le sang). Il ajouta au traitement précédemment prescrit un nouveau médicament pour soigner ce syndrome.
16. Le lendemain, le médecin traitant ne releva pas d’améliorations.
17. Toutefois, le 10 février 2007, le requérant fut renvoyé à la prison no 5 de Tbilissi avec un diagnostic d’hépatite virale C aiguë d’activité moyenne. Selon la note faite par le médecin traitant dans le dossier médical du requérant, ce retrait de l’hôpital « ne découlait pas d’une autorisation médicale ».
ii) Deuxième hospitalisation entre les 20 février et 31 mars 2007 (dossier médical no 285)
18. La peau du requérant étant fragilisée par le prurit (voir le paragraphe 15 ci-dessus) et le système immunitaire atteint, le requérant contracta la gale à la prison no 5 de Tbilissi. Différentes parties de son corps se couvrirent alors de boutons purulents. Quelques jours plus tard, les signes d’encéphalopathie apparurent et le requérant eut des difficultés à parler.
19. Le 15 février 2007, soit cinq jours après l’interruption de l’hospitalisation, le requérant fut visité en prison par des représentants du Centre de réhabilitation des victimes de la torture et de la violence, « Empathie ». L’intéressé se plaignit alors des conditions de détention insupportables, de la faiblesse générale, de l’ictère, des vertiges, des difficultés à manger, de l’insomnie, de la température élevée, des douleurs sous costales et de l’apparition de boutons sur différentes parties du corps. Toutefois, il n’eut pas accès à un médecin. Tel qu’il ressort du rapport établi à la suite de cette visite, le requérant, détenu dans une cellule ordinaire, fut emmené à l’unité médicale de la prison à la demande des médecins de l’« Empathie » pour être examiné. Ceux-ci conclurent qu’il était nécessaire de placer le requérant, sans délais, dans un établissement médical approprié pour examens, analyses et traitement.
20. Suite à la détérioration de l’état de santé du requérant les jours suivants, le 20 février 2007, le médecin de la prison demanda qu’il soit hospitalisé. L’hospitalisation eut lieu le jour même.
21. Les médecins de l’hôpital constatèrent alors l’hépatite virale C aiguë avec cholestase et la gale compliquée de pyodermie (dermatite purulente). En dehors des symptômes précédemment relevés (voir les paragraphes 7‑9 ci-dessus), les médecins observèrent des abcès purulents sur les fesses et sur les mains. Aucune pathologie pulmonaire ou respiratoire ne fut alors relevée.
22. Le traitement du requérant par hépatoprotecteurs, vitamines, antioxydants et antibiotiques reprit dès son hospitalisation.
23. Le 21 février 2007, le requérant fut examiné par un dermatologue qui releva des papules sur les mains, les jambes, les fesses, les organes génitaux extérieurs, dont certaines avec croûtes. Un traitement anti scabieux intensif fut alors prescrit. Ce médecin nota qu’en prison, le requérant avait suivi un traitement anti-scabieux d’une semaine par le benzoate de benzyle.
24. Le 22 février 2007, l’hépatologue estima nécessaire de vérifier les enzymes du foie pour déterminer le plan du traitement à suivre pour l’hépatite C.
25. Les 22 février, 16 et 20 mars 2007, l’analyse sanguine générale et l’analyse urinaire firent ressortir que différents indices étaient dans les normes. Le test de dosage du 9 mars 2007 montra les anticorps de l’hépatite C dans le sang.
26. Le 7 mars 2007, le dermatologue constata que les papules avaient disparu et seule la dermatite persistait. Il adapta alors le traitement à suivre.
27. Lors de son séjour à l’hôpital, le requérant fut examiné par un psychiatre et un neurologue qui ne relevèrent pas de pathologies particulières. Réalisée à une date indéterminée en mars 2007, la radiographie du thorax ne révéla aucune pathologie pulmonaire.
28. Tout au long de l’hospitalisation, le requérant continua de se plaindre de douleurs sous costales, de subfébrilité et de douleurs aux vertèbres. Selon l’avis du médecin spécialiste desinfections, daté du 28 mars 2007, un examen d’Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) était nécessaire pour la recherche des origines de la subfébrilité qui perdurait déjà depuis quelques mois. Si cet examen excluait la spondylite, le requérant devrait subir d’autres examens dans un centre de septicémie pour que les causes de fébrilité permanente soient trouvées. Malgré l’accord de la famille du requérant de prendre en charge l’examen par résonnance magnétique, l’administration pénitentiaire ne donna pas son accord. En revanche, une radiographie des vertèbres fut réalisée. Ses résultats ne révélèrent pas de pathologies. Toutefois, le requérant rappelle que seule l’IRM permet de diagnostiquer la spondylite de façon précoce, la radiographie n’étant capable de la détecter qu’à un stade plus avancé.
29. Le 31 mars 2007, le requérant fut retiré de l’hôpital pénitentiaire et renvoyé à la prison no 5 de Tbilissi. Il n’est pas clair si l’autorisation des médecins fut obtenue préalablement à ce retrait et si les médecins prescrivirent la poursuite du traitement en prison.
30. Selon le requérant, les conditions de détention dans la prison no 5 de Tbilissi et un fond épidémique particulièrement élevé dans cet établissement aggravèrent davantage son état de santé fragile.
c) Troisième hospitalisation le 23 avril 2007 (dossier médical no 602)
31. Les 16 et 17 avril 2007, l’avocat du requérant saisit le ministre de la Justice, le directeur du département pénitentiaire du ministère de la Justice et le directeur de la prison no 5 de Tbilissi en les alertant du mauvais état de santé de son client qu’il affirma avoir rencontré le 13 avril 2007. L’avocat fit valoir que l’interruption de l’hospitalisation à deux reprises avait provoqué l’aggravation de l’état de santé du requérant. Il demanda que son client soit placé à l’hôpital pénitentiaire, que de nouvelles analyses de sang et l’IRM, jugée nécessaire par le médecin desmaladies infectieuses, soient réalisées.
32. Le 23 avril 2007, le médecin de la prison constata que le requérant souffrait de pleurésie exsudative, de faiblesse générale extrême et d’insuffisance respiratoire et qu’il avait la température élevée. Il demanda que le requérant soit hospitalisé en urgence. L’hospitalisation eut lieu le jour même.
33. La famille du requérant finança une expertise médicale indépendante qui, le 24 avril 2007, conclut que l’état de santé de l’intéressé était préoccupant, vu qu’il souffrait d’hépatite virale C aiguë. La forme chronique de la maladie n’étant pas encore atteinte, il fut estimé que le traitement approprié dans un établissement spécialisé était nécessaire afin de prévenir le passage au stade chronique, ce qui diminuerait considérablement les chances de guérison par la suite. L’examen du requérant par un pneumologue et la réalisation d’une IRM de la colonne vertébrale furent recommandés. Ayant étudié les documents médicaux en leur possession, les experts estimèrent par ailleurs que le requérant avait contracté la gale après son renvoi en prison le 10 février 2007.
34. Le 24 avril 2007, les médecins de l’hôpital établirent un diagnostic d’hépatite virale C subaiguë et de pleurésie (accumulation du liquide dans la plèvre) exsudative tuberculeuse. Le requérant toussait et avait du mal à respirer. Lors de son admission à l’hôpital pénitentiaire, aucun problème dermatologique ne fut observé.
35. Le 25 avril 2007, le requérant refusa de se soumettre à la ponction pleurale faisant savoir qu’il donnerait son accord plus tard. Le lendemain, après y avoir consenti, le requérant subit la ponction sous anesthésie locale. Deux litres de liquide clair furent évacués de la plèvre et on lui administra des antibiotiques. Le requérant commença alors à respirer librement et son état fut jugé satisfaisant. Une radiographie du thorax du 25 avril 2007 révéla des opacités d’intensité moyenne sous la troisième côte gauche. A partir du 29 avril 2007, le requérant eut à nouveau des difficultés à respirer. Les médecins constatèrent l’absence de respiration du côté pulmonaire gauche. Une nouvelle ponction pleurale fut par conséquent réalisée le 3 mai 2007.
36. L’analyse biochimique du sang du 3 mai 2007, réalisée à la demande du médecin en chef de l’hôpital pénitentiaire, montra que les enzymes ALAT, ASAT et gamma GT dépassaient respectivement 5 fois, 3 fois et 2 fois la limite supérieure de la normale et que la bilirubine totale était dans les normes.
37. Durant le mois de mai 2007, le requérant se plaignit de l’insuffisance respiratoire, des douleurs sous costales droites et des nausées. Le 4 mai 2007, il fut examiné par un hépatologue qui constata que l’intéressé souffrait de subfébrilité ainsi que du syndrome adynamique et anorexique avec une perte de poids rapide. Le 4 mai 2007, l’hépatologue recommanda d’intensifier le traitement par hépatoprotecteurs ainsi que par antioxydants et vitamines, étant donné que le requérant allait suivre un traitement antituberculeux et que celui-ci avait souvent des effets négatifs sur le foie. Le contrôle régulier des enzymes du foie fut également prescrit.
38. Le 7 mai 2007, le requérant commença un traitement antituberculeux dans le cadre du programme DOTS (voir le paragraphe 57 ci-dessous). Certains composants en furent toutefois exclus en raison de l’hépatite virale C.
39. Une radiographie du thorax du 11 mai 2007 révéla des opacités d’intensité moyenne s’étendant de la cinquième côte gauche jusqu’au diaphragme.
40. Selon les inscriptions faites les 16-18 mai 2007 dans le dossier médical, le requérant continuait le traitement antituberculeux et recevait par ailleurs les hépatoprotecteurs et vitamines.
41. Selon l’avis médical, émis le 17 mai 2007 par une spécialiste indépendante en hépatologie infectieuse, l’hépatite virale C dont souffrait le requérant n’était pas encore passée au stade chronique, la maladie ayant fait son apparition en janvier 2007. Selon ce médecin, le virus se multipliait toujours avec intensité et le déroulement de la maladie dans des conditions difficiles avait provoqué l’immunodéficience chez le requérant. Celui-ci avait ainsi contracté la gale et la tuberculose en prison. Le médecin estima que le requérant devait suivre un traitement de longue durée dans une clinique polyvalente où le traitement antituberculeux et le traitement hépatique seraient mis en compatibilité. Ceci permettrait d’éviter que le traitement tuberculeux ait, sur le plan hépatique, des conséquences irréversibles et dangereuses à la vie. Elle considéra par ailleurs que, chaque 4 du mois, le requérant devait subir les examens nécessaires afin que le degré d’altération des tissus du foie soit contrôlé et qu’en juillet 2007, un examen quantitatif devait avoir lieu pour déterminer l’évolution du virus et décider si oui ou non un traitement anti viral était nécessaire.
42. Le 17 mai 2007, l’avocat du requérant saisit le directeur du département pénitentiaire du ministère de la Justice et le médecin en chef de l’hôpital pénitentiaire où séjournait toujours le requérant. Il dénonça en premier lieu le retrait de son client de l’hôpital le 31 mars 2007, alors qu’il n’était pas guéri et que l’origine de la subfébrilité restait inconnue. Selon lui, le premier ainsi que le deuxième retrait de l’hôpital avait causé l’aggravation de l’état de santé du requérant. S’appuyant sur l’avis médical du 17 mai 2007, l’avocat demanda que les examens nécessaires aient lieu en juillet 2007 pour déterminer la charge virale dans le sang, que le contrôle mensuel des enzymes du foie soit mis en place, et qu’en fonction des résultats de ces analyses, la question du traitement antiviral soit décidée. L’avocat fit valoir que ceci était nécessaire à la sauvegarde de la vie de son client.
43. Une radiographie du thorax du 23 mai 2007 révéla des opacités d’intensité moyenne sous la sixième côte gauche avec des zones fibreuses.
44. Le 4 juin 2007, le requérant fut réexaminé par l’hépatologue qui constata que la température du corps était normalisée et que le requérant prenait du poids. Le traitement antituberculeux, qui se poursuivait, était régulièrement corrigé en fonction des symptômes. Le foie restait douloureux. L’hépatologue renouvela sa prescription du traitement par hépatoprotecteurs et vitamines en recommandant par ailleurs un traitement anti déshydratation. Il recommanda un examen de la cavité abdominale par ultrasons et la vérification des niveaux des enzymes du foie pour pouvoir réviser le traitement prescrit le cas échéant.
45. A partir du 5 juin 2007, le requérant présenta à nouveau des signes de subfébrilité et se plaignit de la faiblesse générale, de nausées, de douleurs sous costales et des difficultés à respirer.
46. Les résultats de l’analyse générale du sang, réalisée le 1er juillet 2007, furent dans les normes. Une radiographie du thorax réalisée en juillet 2007 révéla des opacités d’intensité moyenne s’étendant de la sixième côte gauche jusqu’au diaphragme.
47. L’analyse biochimique du sang du 2 juillet 2007, réalisée à la demande du médecin en chef de l’hôpital pénitentiaire, montra les enzymes ALAT, ASAT et gamma GT respectivement 5 fois, 3 fois et 1,5 fois la limite supérieure de la normale et la bilirubine totale dans les normes.
48. Au 13 juillet 2007, le requérant, qui pesait alors 91 kg, continuait son traitement antituberculeux.
49. En juillet 2007, le toxicologue conclut que le requérant, qui avait fait usage de produits stupéfiants par le passé, ne présentait pas de signe d’abstinence et était en bonne santé.
50. Les 18 et 19 juillet 2007, le requérant refusa de prendre les médicaments prescrits dans le cadre du traitement antituberculeux. Il poursuivit toutefois ce traitement jusqu’en août 2007.La suite du traitement n’est pas connue.
51. L’analyse biochimique du sang du 3 septembre 2007 montra que les enzymes ALAT, ASAT et gamma GT dépassaient respectivement plus de 5 fois, 2,5 fois et 3 fois la limite supérieure de la normale et que la bilirubine totale était légèrement élevée.
II. LES DROIT ET DOCUMENT INTERNES PERTINENTS
52. Code de procédure pénale
Article 136 § 5
« Les conditions de détention de l’individu doivent garantir le respect de sa dignité et l’inviolabilité de sa personne, ainsi que la sauvegarde de sa santé et de sa capacité de défendre ses intérêts. Le traitement cruel de la personne arrêtée ou détenue ainsi que sa torture physique ou morale sont sanctionnés par la loi. »
53. Arrêté du ministre de la Santé et de la Protection sociale en date du 27 mars 2003 (no 72/N)
Pris en application de l’article 65 § 2 de la loi relative à la détention, cet arrêté approuve la liste des maladies graves et incurables qui peuvent conditionner la suspension de l’exécution d’unepeine de prison.
54. « Les droits de l’homme en Géorgie », rapport de la première moitié de 2007, présenté par le Médiateur de la République (Ombudsman) devant le Parlement géorgien
En septembre 2007, la prison no 5 de Tbilissi, dont la capacité d’hébergement était alors de 2 020 détenus, accueillait 4 668 personnes. Le 24 juillet 2007, les représentants du Médiateur de la République visitèrent les 4 cellules les plus surpeuplées de cet établissement. Dans la première cellule à 26 lits, il y avait 88 détenus ; la deuxième cellule à 26 lits hébergeait 67 détenus, dont 5 souffrant de tuberculose ; dans la quatrième cellule à 24 lits, il y avait 83 prisonniers ; et dans la cinquième cellule à 30 lits, 83 personnes étaient détenues, dont certaines étaient malades de tuberculose.
Selon ce rapport, des magasins d’alimentation avaient été créés dans certains établissements pénitentiaires, ce qui améliorait le régime de nutrition des détenus. Toutefois, parmi ces établissements, la prison no 5 de Tbilissi et l’hôpital pénitentiaire n’en bénéficiaient pas.
Le système de ventilation n’existait pratiquement dans aucun établissement pénitentiaire. En raison du surpeuplement, les détenus rencontraient des problèmes de manque d’air, particulièrement en été, ce qui rendait leurs conditions insupportables et portait atteinte à leur santé.
Dans la plupart des établissements, la situation était préoccupante du point de vue d’hygiène. Certains détenus étaient amenés à se doucher directement dans la cellule, le système de conduction d’eau étant en panne. Selon la pratique généralisée dans les établissements pénitentiaires, le détenu devait s’occuper de l’hygiène de sa cellule lui-même. Par conséquent, les détenus étaient amenés à nettoyer, avec les moyens du bord, les toilettes installées dans les cellules. Ils se rendaient par ailleurs mutuellement service pour se faire couper les cheveux, et faisaient eux-mêmes la lessive dans la cellule. Certains envoyaient le linge sale à leurs familles qui le rapportaient propre. Pour ce qui est de la prison no 5 de Tbilissi où le nombre de détenus était 2,5 fois supérieur à sa capacité d’hébergement, selon le Médiateur de la République, « parler d’une hygiène n’avait pas de sens. »
Dans son rapport, le Médiateur de la République recommanda aux autorités de régler les problèmes d’hygiène dans tous les établissements pénitentiaires, d’y installer des buanderies, de rendre les douches fonctionnelles et de fournir aux détenus les produits et affaires d’hygiène personnelle ainsi que de leur garantir un service de coiffure.
Selon le Médiateur de la République, l’étude des cas de décès en détention montre les défaillances du système de soins médicaux dans les établissements pénitentiaires. Notamment, dans les prisons, l’assistance médicale n’existe pas ou, lorsqu’elle existe, n’est pas facilement accessible et la qualité de soins fournis « ne résiste à aucun critique. » Après avoir exposé trois problèmes majeurs en matière de soins médicaux dans le système pénitentiaire (manque de réglementation des activités médicales pratiquées à l’égard des détenus et absence de licence de l’hôpital pénitentiaire en matière de pratique de soins médicaux ; pénurie en ressources humaines compétentes, certaines personnes pratiquant les soins dans le cadre du système pénitentiaire sans licence et manque de volonté), le Médiateur de la République conclut que le taux élevé de mortalité parmi les détenus n’était pas dû à des raisons objectives, mais « à l’absence de la politique d’Etat en la matière. »
55. « Les droits de l’homme en Géorgie », rapport de la seconde moitié de 2007, présenté par le Médiateur de la République (Ombudsman) devant le Parlement géorgien
Au 13 octobre 2007, 18 300 prisonniers étaient détenus dans 18 établissements pénitentiaires du pays, ceux-ci employant 90 médecins environ. Selon le Médiateur de la République, ce nombre de médecins était loin d’être suffisant.
Au 1er décembre 2007, la prison no 5 de Tbilissi hébergeait 5 276 personnes. Selon le rapport, cet établissement était touché par « un syndrome de caoutchouc », puisqu’il recevait autant de détenus que l’on y envoyait. Une nouvelle prison conforme aux standards internationaux avait été construite à Gldani (Tbilissi) qui devait décharger les établissements les plus surpeuplés.
En 2007, dans les établissements pénitentiaires géorgiens, 101 détenus décédèrent, dont 91 pour des raisons de santé. La tuberculose emporta le plus grand nombre de détenus (37). Lamajorité absolue des détenus malades décédés souffraient de plusieurs affections à la fois. Les maladies dites accessoires étaient suffisamment graves pour provoquer, indépendamment de la maladie principale, la mort ou l’atteinte sérieuse à la santé.
Parmi les maladies du foie et de la vésicule biliaire, l’hépatite occupait la première place. Le fait que les détenus souffraient d’hépatite fut découvert lors de l’autopsie des corps, étant donné que ces personnes n’avaient fait l’objet d’aucun dépistage de leur vivant. Les bilans médicaux post mortem laissent supposer que les hépatites dans les établissements pénitentiaires sont des hépatites de type viral et que l’hépatite C occupe la première place avant l’hépatite B. Les expertises médicales post mortem permirent également d’établir que la majorité des détenus souffrant d’hépatite avait déjà développé la cirrhose. Toutefois, officiellement, seul un prisonnier sur 101 décéda pour cause de cirrhose, ce diagnostic ayant été établi de son vivant. Dans d’autres cas, la cirrhose non diagnostiquée avait causé des hémorragies à l’œsophage et provoqué la mort d’un certain nombre de détenus. Sept détenus décédés avaient développé, en raison de la cirrhose, l’ascite (épanchement liquidien intra-abdominal ou une accumulation de liquide dans la cavité péritonéale), ce qui avait causé l’insuffisance respiratoire et des complications au niveau de différents organes. Sur 101 décédés, 40 souffraient de cachexie (affaiblissement profond de l’organisme : perte de poids, atrophie musculaire, etc. lié à une dénutrition très importante et constituant un symptôme de certaines maladies, dont des pathologies hépatiques).
Parmi les maladies respiratoires, la pleurésie occupait la deuxième place. Dans la plupart des cas, elle se présentait comme une complication de la pneumonie et se caractérisait par l’insuffisance respiratoire, la température élevée et autres complications systémiques.
Entre l’hospitalisation des détenus et le moment de leur décès, une période moyenne de 32 heures fut observée. Selon le Médiateur de la République, ceci démontrait que les détenus malades n’étaient pas hospitalisés à temps pour être guéris, mais étaient hospitalisés une fois leur état ayant atteint le seuil critique. L’une des raisons principales de mortalité des détenus résida, selon lui, dans ce manque de diligence de la part des autorités pénitentiaires.
III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX
56. Rapport du CPT, publié le 25 octobre 2007 à la suite de la visite des 21 mars-2 avril 2007
« 43. Prison No. 5 in Tbilisi had previously been visited by the CPT in May 2001, November 2003 and May 2004, and had been the subject of a number of urgent recommendations.
The aim of the targeted follow-up visit in 2007 was to review the implementation of those recommendations. The visit confirmed that the basement of the main detention building had been taken out of service, the metal shutters removed from cell windows, and female and juvenile prisoners transferred to other establishments. However, the overcrowding witnessed by the CPT in May 2004 (when the establishment was holding 2,222 inmates) had reached extraordinary levels: on the day of the delegation’s visit, the establishment was holding 4,316 adult male prisoners, for an official capacity of 1,018. Living space in the cells was frequently less than 0.5 m² per prisoner; the delegation saw up to 100 prisoners sharing a cell equipped with 20 beds and measuring some 45 m². The state of dilapidation of the cells in the main detention building was beyond description.
Prisoners rarely left these deplorable conditions: outdoor exercise was reportedly offered once to three times a week, and access to a shower was provided once or twice a month. The lack of sleep, poor hygiene and monotonous life caused a deterioration in the prisoners’ health. Because many of them had to share beds, lice and scabies were common, and respiratory diseases were easily transmitted. Under the circumstances, the scope for mass infection and the potential for violent incidents were very high. Many prisoners who currently go through the ordeal of imprisonment at Prison No. 5 will return to society psychologically shattered and physically diseased.
44. The above-described conditions of detention under which the vast majority of prisoners at Prison No. 5 were held amount to inhuman and degrading treatment and as such constitute an affront to a civilised society. (…)
In their letter of 11 May 2007, the Georgian authorities informed the Committee that several hundred inmates had been transferred from Prison No. 5 to Penitentiary establishment No. 2 in Rustavi, thus decreasing the number of inmates at the former establishment to 3,835. However, the solution of the problem of overcrowding would have to await the opening of the new penitentiary establishment in Tbilisi (Gldani), with an envisaged capacity of 4,000, the construction of which is expected to be completed by September 2007. (…)
76. (…) At Prison No. 5 in Tbilisi, the health-care staff team comprised three GPs, a dentist, a surgeon, a psychiatrist, a pulmonary specialist and eight nurses. Three of the nurses were present at night.
77. The delegation noted that the supply and range of medication available at the establishments visited had considerably improved in recent years. Nevertheless, a number of prisoners complained that they depended on their families for the acquisition of most of the necessary medication.
As to the equipment available at the establishments visited, it was generally limited to a stethoscope and an apparatus for measuring blood pressure; there were no facilities for taking X-rays or basic blood tests. This made the screening for transmissible diseases, including the detection of cases of tuberculosis, haphazard, particularly in the case at Prison No. 5 in Tbilisi, which is the major point of entry into the prison system (…).
78. Prisoners in need of hospitalisation were transferred to the Central Penitentiary Hospital, upon recommendation by the prison doctor. Some complaints were heard at the establishments visited of long delays in securing such transfers, due to a limited capacity. Inmates who could not be admitted to the Central Penitentiary Hospital depended financially on their families (including, apparently, to cover the cost of escort to the hospital). The CPT recommends that measures be taken to ensure that prisoners in need of hospital treatment are promptly transferred to appropriate medical facilities.
79. As a result of the insufficient number of doctors and nurses, the medical examination upon admission was superficial, if it took place at all. The only establishment at which prisoners were systematically screened upon arrival was Prison No. 5 in Tbilisi, where new arrivals were undressed and screened for injuries by a doctor or a nurse, and all cases of injuries and complaints of ill-treatment were immediately reported to the Prosecutor’s Office. However, in other aspects the initial medical examination was cursory and did not identify detained persons’ health-care needs. At the rest of the establishments visited, there was no routine medical examination on arrival. A prisoner could be seen by a doctor if he/she had a particular health complaint and specifically requested an examination.
The CPT recommends that the Georgian authorities take steps to ensure that all newly arrived prisoners are seen by a health-care staff member within 24 hours of their arrival. The medical examination on admission should be comprehensive, including appropriate screening for transmissible diseases. (…)
81. The CPT is concerned that the progress observed during the second periodic visit in the area of combating tuberculosis is jeopardised by the steep increase in the prison population and the ensuing problem of prison overcrowding. Despite the efforts of the ICRC, it was no longer possible to screen all new arrivals at Prison No. 5 in Tbilisi. Further, in the absence of routine medical examination upon arrival and the necessary laboratory equipment, no systematic screening for tuberculosis was performed at Prison No. 4 in Zugdidi, Prison No. 6 in Rustavi, Prison No. 7 in Tbilisi or Penitentiary establishment No. 2 in Rustavi.
The CPT calls upon the Georgian authorities to persevere in their efforts to combat tuberculosis in the prison system, through systematic screening and treatment of prisoners in accordance with the DOTS method for tuberculosis control.”
57. Guidelines for the Control of Tuberculosis in Prisons, World Health Organization (WHO) and International Committee of the Red Cross (ICRC)
“(…) The WHO recommended strategy for tuberculosis control (known by the “brand name” of DOTS, [Directly Observed Treatment, Short course]), which relies on the detection and cure of tuberculosis patients, with a priority for the infectious cases. The specific features of prisons and of prisoners necessitate specific approaches to implementation of the DOTS strategy. The prison health services must implement the DOTS strategy in close collaboration with national tuberculosis control programmes.
Practical guidelines are necessary for prison authorities to be able to implement the DOTS strategy. Policy-makers and decision-makers may be unaware of the extent of the problem of tuberculosis in prisons, the potential for spread to the wider community, and the emergence of drug-resistance. (…)
Risk of progression of infection to disease
Once infected with M. tuberculosis, a person stays infected for many years, probably for life. In the absence of HIV infection, the vast majority (90%) of people who are infected with M. tuberculosis do not develop tuberculosis disease. In these healthy, asymptomatic, but infected individuals, the only evidence of infection may be a positive tuberculin skin test. Infected persons can develop tuberculosis disease at any time. Disease can affect most tissues and organs, but especially the lungs. The chance of developing disease is greatest within 1-2 years after infection and then steadily lessens as time goes by. Various physical or emotional stresses may trigger progression of infection to disease. The most important trigger is weakening of immune resistance, especially by HIV infection. In many countries, HIV infection, alcohol abuse, and malnutrition are more prevalent in prisoners than in the general population. These factors and the stressful prison environment promote progression from infection to disease…”
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
58. Le requérant se plaint qu’il contracta différentes maladies en prison et que son état de santé fut fragilisé par le manque de soins médicaux nécessaires et les conditions de détention. Il invoque l’article 3 de la Convention qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. SUR LA RECEVABILITE
59. La Cour estime que les griefs du requérant ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Ils ne sont pas par ailleurs irrecevables pour un autre motif. Il convient dès lors de les déclarer recevables.
B. SUR LE FOND
1. Thèses des parties
a) Arguments du Gouvernement
60. Le Gouvernement affirme que le requérant ne contracta aucune maladie en prison. Il estime notamment qu’en tant que personne affectée par la toxicomanie intraveineuse, le requérant était prédisposé à avoir un système immunitaire déficient et aurait pu être porteur de différentes infections avant même son arrestation le 19 octobre 2006. Par exemple, vu la période d’incubation qui, pour l’hépatite C, est en principe de 150 jours, le requérant aurait bien pu contracter le virus en liberté et le développer ensuite en prison. Quant à la tuberculose, le Gouvernement se réfère aux considérations figurant dans les indications relatives au contrôle de la tuberculose en prison sous le chapitre « Risque de l’évolution de l’infection vers la maladie » (voir le paragraphe 57 ci-dessus) et estime fort probable que le requérant ait également été exposé à cette infection avant son arrestation.
61. En tout état de cause, le Gouvernement estime que le requérant n’a pas démontré avoir contracté les maladies précitées en détention et conclut que l’Etat ne porte aucune responsabilité à cet égard.
62. Pour le reste, à supposer même que l’état de santé du requérant se soit détérioré en détention, ceci ne peut être dû, selon le Gouvernement, qu’à l’inconfort que comporte inévitablement cette forme légitime de peine.
63. Le Gouvernement concède que le requérant souffrait de subfébrilité pendant trois mois avant que l’hépatite virale C fasse apparition en janvier 2007. Toutefois, pendant cette période, il aurait été pris en charge par des médecins et aurait fait l’objet de divers analyses et examens médicaux, dont l’examen par un médecin spécialiste. Par la suite, le requérant fut hospitalisé à chaque fois que nécessaire, il fit l’objet de nombreux examens et analyses et les soins médicaux adéquats et nécessaires lui furent dispensés. Selon le Gouvernement, les autorités avaient ainsi agi avec de la diligence voulue pour concilier les intérêts du requérant et ceux de la justice.
64. Notamment, selon le Gouvernement, grâce aux soins dispensés au requérant dans le cadre de la première hospitalisation, son état de santé concernant l’hépatite virale C s’améliora et, au moment de son renvoi en prison, il ne présentait plus de signes d’ictère, d’hépatomégalie et de présence de bile dans l’urine. Le requérant, qui souffrait toutefois de démangeaisons en raison de la cholestase, n’observa pas les règles d’hygiène en prison et contracta, pour cette raison, la pyodermie. A la prison no 5 de Tbilissi, entre les 10 et 20 février 2007, le requérant bénéficia de soins ambulatoires adéquats. Au vu de l’ensemble de ces considérations, le Gouvernement conclut que le retrait du requérant de l’hôpital pénitentiaire le 10 février 2007 n’était pascontraire à l’article 3 de la Convention. D’ailleurs, ce retrait constituait « une mesure inévitable visant à la protection de la vie et de l’intégrité » du requérant et aurait été autorisé par le personnel médical de l’hôpital pénitentiaire.
65. Concernant la deuxième hospitalisation, le Gouvernement soutient que, le 19 février 2007, le requérant s’adressa au médecin de la prison en se plaignant d’adynamie, d’anorexie et de boutons sur le corps. Examiné par un hépatologue le 20 février 2007, son hospitalisation fut décidée et cette décision aussitôt exécutée. Après le retrait du requérant de l’hôpital pénitentiaire le 31 mars 2007, les soins ambulatoires adéquats lui furent dispensés au sein de la prison no 5 de Tbilissi et ce, jusqu’au 23 avril 2007. A cette dernière date, le requérant se plaignit d’insuffisance respiratoire, d’adynamie, de sueurs et de fièvre. Il aurait alors subi un examen par radiographie. Un diagnostic de pleurésie exsudative étant établi, le requérant fut hospitalisé sans délais.
66. Pour ce qui est de la pleurésie tuberculeuse, le Gouvernement rappelle que le requérant fut soumis à un traitement antituberculeux adéquat. A cet égard, il renvoie aux informations figurant au dossier médical no 602 (voir les paragraphes 31 et suivants ci-dessus). D’ailleurs, les indications relatives au contrôle de la tuberculose en prison (voir le paragraphe 57 ci-dessus)ne disposent pas que le traitement de la tuberculose nécessite l’hospitalisation.
67. Actuellement, l’état de santé du requérant serait stabilisé suite au traitement antituberculeux et aux soins administrés pour l’hépatite virale C. Grâce à la cure de désintoxication et au traitement par vitamines, le requérant aurait commencé à prendre du poids (voir les paragraphes 8 et 48 ci-dessus). Il présenterait toutefois des plaintes relatives à l’adynamie et à la faiblesse. Il ne souffrirait plus d’hépatomégalie et la radiographie des poumons montrerait des opacités d’intensité moyenne entre la sixième côte et le diaphragme. Selon le Gouvernement, à la fin du traitement antituberculeux, la question du traitement antiviral pour l’hépatite C sera examinée. A cet effet, la charge virale dans le sang et le génotype de l’hépatite C seraient déterminés. Ainsi, la détention du requérant est, selon le Gouvernement, conforme à l’arrêté ministériel du 27 mars 2003 (voir le paragraphe 53 ci-dessus) et compatible avec l’article 3 de la Convention.
68. En conclusion, le Gouvernement fait valoir que le traitement réservé au requérant n’a pas dépassé le seuil de gravité inhérent à une détention et que les allégations de l’intéressérelatives au manque de soins médicaux sont entièrement dépourvues de fondement.
b) Arguments du requérant
69. Le requérant réitère qu’il était en bonne santé avant son arrestation et rappelle que, selon le toxicologue l’ayant examiné en détention, il ne souffrait pas d’abstinence et était, de ce point de vue également, en bonne santé (voir les paragraphes 6 et 49 ci-dessus).
70. Le requérant estime que les décisions de son renvoi à la prison no 5 de Tbilissi les 10 février et 31 mars 2007, alors qu’il était sérieusement malade, sont contraires à l’article 3 de la Convention. Il affirme qu’en dehors des périodes d’hospitalisation, il ne bénéficia d’aucun traitement médical. Notamment, dans sa cellule de la prison no 5 de Tbilissi, il aurait été laissé dans des conditions insupportables et sans aucune surveillance médicale. Pour étayer cette thèse, et après avoir reçu les observations du Gouvernement, le requérant s’adressa à l’administration de la prison no 5 de Tbilissi en demandant que son dossier médical et autres documents relatifs à son traitement médical dans cet établissement lui soient communiqués. Le chef de l’unité médicale de la prison répondit le 20 novembre 2007 que la carte médicale correspondante avait été envoyée à l’hôpital pénitentiaire lors de la dernière hospitalisation du requérant et qu’aucun autre document médical n’était par ailleurs conservé à la prison.
71. Vu les conditions de détention dans la prison no 5 de Tbilissi, qui, à elles seules, étaient contraires à l’article 3 de la Convention, le requérant estime que le Gouvernement manque de tact et fait preuve de cynisme en affirmant qu’il avait contracté la pyodermie en raison de l’inobservation des règles d’hygiène. Le requérant souligne à cet égard qu’il fut détenu dans une cellule de 24 m² avec plusieurs dizaines d’autres prisonniers.
72. Le requérant produit l’avis médical rendu le 3 décembre 2007 par la présidente de l’association des médecins spécialistes – infections et hépatites – qui, après avoir examiné les trois dossiers médicaux tenus à l’hôpital pénitentiaire et autres éléments pertinents, conclut que l’hépatite virale C, qui est en principe en sa phase aiguë pendant les premiers six mois, était passéechez le requérant au stade chronique en raison des interruptions prématurées de l’hospitalisation et de la mise en place du traitement antituberculeux. Quant à la partie du traitement médical dispensé pour l’hépatite virale C, elle la qualifia d’adéquate tout en ajoutant qu’il aurait fallu que ce traitement soit continu, intégral et adapté aux évolutions des indices cliniques et des résultats des analyses. Elle considéra par ailleurs que d’autres analyses auraient dû être réalisées, seule l’analyse sérologique du sang ne permettant pas de déterminer la forme de l’hépatite C. Elle conclut que le requérant nécessitait un traitement médical bien géré et déterminé en fonction des résultats des analyses restant à réaliser.
73. Au 10 décembre 2007, le requérant, âgé de 25 ans, demeurait à l’hôpital pénitentiaire. En sus des maladies mentionnées ci-dessus, il souffrirait de névrose végétative.
2. Appréciation de la Cour
74. Comme la Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 3 de la Convention doit être considéré comme l’une des clauses primordiales de la Convention et comme consacrant l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 49, CEDH 2002-III). Contrastant avec les autres dispositions de la Convention, l’article 3 est libellé en termes absolus, ne prévoyant ni exceptions ni conditions, et d’après l’article 15 de la Convention, il ne souffre nulle dérogation (voir, entre autres, Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1855, § 79). La nature de l’infraction pour laquelle le requérant a été condamné est donc dépourvue de pertinence pour l’examen de la requête sous l’angle de l’article 3 (V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 69, CEDH 1999-IX ; Khoudobine c. Russie, no 59696/00, § 90, CEDH 2006‑…(extraits)).
75. Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence et dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, de sa durée et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Dybeku c. Albanie, no 41153/06, § 36, 18 décembre 2007 ; Mikadzé c. Russie, no 52697/99, § 108, 7 juin 2007). Pour qu’une peine ou le traitement dont elle s’accompagne soient « inhumains » ou « dégradants », la souffrance doit en tout cas aller au-delà de celle que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitime.
76. S’agissant en particulier de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’Etat l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX ; Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI; Tekin Yıldız c. Turquie, no22913/04, § 71, 10 novembre 2005). Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 30, CEDH 2001-VII ; İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII ;Gennadiy Naumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004). L’Etat est tenu, nonobstant les problèmes logistiques et financiers, d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Soukhovoy c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008 ; Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007).
77. Ainsi, les conditions de détention d’une personne malade doivent garantir la protection de sa santé, eu égard aux contingences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel, précité, loc.cit. ; Sarban c. Moldova, no 3456/05, § 77, 4 octobre 2005), l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’Etat de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté. La Cour ne saurait exclure que, dans des conditions particulièrement graves, l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer (Matencio c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004 ; Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 38, 15 janvier 2004).
78. Dans le cadre du cas d’espèce, il n’est pas contesté par les parties que le requérant nécessitait d’être soigné en raison de ses différentes maladies. La Cour devra donc examiner, au regard des principes énoncés ci-dessus, si le requérant bénéficia des soins médicaux suffisants et adéquats aux différents moments de sa détention et si son renvoi, à deux reprises, à la prison no 5 de Tbilissi était compatible avec l’article 3 de la Convention.
79. Pour ce qui est de l’hépatite virale C que le requérant affirme avoir contractée en prison, même si une telle hypothèse n’est pas à exclure, la Cour n’estime pas établi que l’intéressé fut exposé à ce virus pour la première fois en détention. En effet, il s’écoule parfois jusqu’à trois mois après l’exposition au virus de l’hépatite C avant que l’organisme ne développe d’anticorps à son endroit. Les résultats du test de dosage peuvent donc être faussement négatifs pendant cette période. Pour cette raison, les résultats du test de dosage du 10 octobre 2006, produits devant la Cour par le requérant et démontrant l’absence des anticorps de l’hépatite C dans son sang, ne saurait passer pour une preuve de contamination de l’intéressé en prison. Le requérant n’ayant présenté aucune autre preuve fiable à cet égard (par exemple, résultats du test PCR : réaction en chaîne de la polymérase), il n’est pas valablement démontré qu’il n’avait pas été en contact avec le virus de l’hépatite C avant même son arrestation le 19 octobre 2006.
80. En tout état de cause, la Cour note que le diagnostic de l’hépatite virale C aiguë fut établi par les autorités pénitentiaires dès janvier 2007. Les parties s’accordent à dire que, depuis trois mois avant janvier 2007, l’état de santé du requérant était considéré comme insatisfaisant, puisqu’il souffrait de subfébrilité persistante (voir les paragraphes 8, 9 et 63 ci-dessus). Pourtant, il ne ressort pas du dossier que, pendant les trois mois en question, les causes de cette subfébrilité aient été recherchées ni que le requérant ait bénéficié d’un traitement médical quelconque à cet égard. Ce n’est lorsque l’intéressé souffrit, durant une semaine, de fièvre élevée (39-40 Co), de nausées et vomissements, et que l’ictère fit apparition, que les autorités médicales de la prison no 5 de Tbilissi jugèrent nécessaire son hospitalisation. Dans ces conditions, il ne semble pas, contrairement à ce que soutient le Gouvernement (voir le paragraphe 63 ci-dessus), qu’avant l’aggravation sérieuse de son état de santé en janvier 2007, le requérant ait été pris en charge par le personnel médical de la prison. En tout cas, le Gouvernement n’apporte aucune preuve documentaire à cet égard (cf., Ostrovar c. Moldova, no 35207/03, § 86, 13 septembre 2005).
81. La Cour note avec satisfaction qu’à la suite de l’hospitalisation du requérant le 22 janvier 2007 d’abord et le 20 février 2007 ensuite, les médecins de l’hôpital pénitentiaire prirent l’intéressé en charge dans les meilleurs délais en lui prescrivant une cure de désintoxication, un traitement par hépatoprotecteurs, antioxydants et vitamines ainsi qu’un traitement pour renforcer son système immunitaire. Ils firent également réaliser un certain nombre d’analyses sanguines dont les résultats confirmèrent le diagnostic de l’hépatite virale C aiguë (voir les paragraphes 9-13 et 22 ci-dessus). En principe, à partir de ce moment, le traitement par hépatoprotecteurs, qui protègent le tissu hépatique sans pouvoir éliminer le virus, ne pouvait plus être considéré comme suffisant.
82. Toutefois, ainsi qu’il ressort du dossier, une fois le stade de premiers soins passé et le diagnostic définitivement établi, la nécessité de réalisation d’autres analyses ne fut pas examinée(mesure de la charge virale dite « virémie quantitative », détermination du génotype viral, biopsie montrant l’état du tissu hépatique, etc.). Or sans connaître l’ampleur des lésions hépatiques, le génotype du virus C et la quantité de celui-ci dans le sang, il n’est pas possible de prescrire un traitement antiviral adéquat et d’apprécier les chances de guérison, chaque génotype répondant différemment aux soins administrés. L’absence de ces examens et de traitement antiviral correspondant ne fut pas expliquée par le Gouvernement. En tout état de cause, avant l’apparition de la pleurésie tuberculeuse en avril 2007, rien ne semblait empêcher la mise en œuvre d’un tel traitement.
83. Il est vrai qu’après l’apparition de la pleurésie tuberculeuse, la tâche des autorités pénitentiaires se compliqua, dans la mesure où il convenait de traiter cette maladie sans que ceci ait des incidences néfastes sur le foie. Or il ne ressort pas du dossier qu’à un moment quelconque, ces autorités se soient penchées sur la possibilité de mise en place d’une thérapie polyvalente et de la gestion coordonnée de soins pour prendre en charge les deux maladies à la fois et éviter que le traitement de l’une provoque l’aggravation de l’autre. La spécialiste en hépatologie infectieuse avait pourtant recommandé cette approche médicale polyvalente dans son avis du 17 mai 2007, recommandation qui, à ce jour, ne semble pas avoir été prise en compte (voir le paragraphe 41 ci-dessus). Au contraire, les autorités choisirent de soigner la tuberculose en mettant en attente le traitement visant à éliminer le virus de l’hépatite C.
84. Une telle approche traduit, aux yeux de la Cour, l’insuffisance manifeste de soins médicaux pour ce qui est de l’hépatite virale C. Cette insuffisance ainsi que les interruptions injustifiées de l’hospitalisation (voir les paragraphes 90 et suivants ci-dessous) provoquèrent le passage au stade chronique de la maladie (voir les paragraphes 33, 41 et 72 ci-dessus). Or l’hépatite C chronique constitue une cause majeure de cirrhose et de cancer primitif du foie.
85. Pour ce qui est de la pleurésie tuberculeuse, la Cour note que l’auscultation pulmonaire du 31 janvier 2007 lors de la première hospitalisation du requérant révéla des souffles bronchiques et la réalisation d’une radiographie du thorax fut estimée nécessaire (voir le paragraphe 13 in fine ci-dessus). Etant donné le retrait du requérant de l’hôpital sans autorisation médicale, il ne semble pas que cette radiographie ait été réalisée. Toutefois, lors de la deuxième hospitalisation dix jours après, aucune pathologie pulmonaire et respiratoire ne fut relevée à l’auscultation, la radiographie pratiquée en mars 2007 confirmant ce diagnostic (voir les paragraphes 21 et 27 in fine ci-dessus). Or, suite à son deuxième retrait de l’hôpital et à son placement à la prison no 5 de Tbilissi, le requérant se trouva infecté par la tuberculose, le médecin de la prison constatant le 23 avril 2007 l’existence d’un liquide dans la plèvre (voir les paragraphes 32 et 34 ci-dessus).
86. La Cour partage l’avis du Gouvernement qu’un organisme peut héberger, pendant un certain temps, le bacille de Koch sans qu’il y ait les manifestations cliniques de la maladie. Toutefois, pour valablement affirmer que le requérant était porteur du bacille de Koch avant même son arrestation, il aurait été opportun que les autorités fassent réaliser, à l’entrée du requérant en prison, le test Mantoux, un examen bactériologique, une radiographie des poumons ou autres examens de dépistage nécessaires. Or il apparaît que l’administration pénitentiaire géorgienne ne pratique pas de tels contrôles lors de l’entrée des détenus en prison (voir le paragraphe 56 ci-dessus). On ne saurait donc exclure que le requérant ne fut pas en contact avec l’infection avant son arrestation et qu’il fut exposé à la tuberculose en détention, étant donné le surpeuplement sévère de la prison no 5 de Tbilissi au moment pertinent des faits, l’absence d’hygiène et d’accès aisé au médecin dans cet établissement et le fait que l’administration de cette prison ne prenait apparemment pas le soin de séparer les détenus malades de tuberculose des détenus en bonne santé (voir les paragraphes 54 et 56 ci-dessus). Ajouté à cela le fait que la radiographie du thorax pratiquée en mars 2007 ne révéla aucune pathologie pulmonaire chez le requérant, la Cour estime probable que l’intéressé contracta la tuberculose dans la prison no 5 de Tbilissi (cf., Staïkov c. Bulgarie, no 49438/99, § 81, 12 octobre 2006 ; Yakovenko c. Ukraine, no 15825/06, §§ 28 et 95, 25 octobre 2007 ; Hummatov c. Azerbaïdjan, nos 9852/03 et 13413/04, § 111, 29 novembre 2007). Ce d’autant plus que, pour la tuberculose, les facteurs de risque sont, entre autres, la malnutrition, l’immunodépression et la toxicomanie intraveineuse, autant de conditions qui, en l’espèce, semblent avoir été réunies.
87. Pour ce qui est des soins dispensés au requérant après l’apparition de la pleurésie tuberculeuse, la Cour note que des ponctions pléurales furent pratiquées à temps pour vider la plèvre, voir l’aspect du liquide et soulager le requérant éprouvant des gênes respiratoires. Par ailleurs, les autorités mirent en place un traitement antituberculeux pour éliminer l’infection et donc la cause de la pleurésie. Toutefois, il ne ressort pas du dossier que le requérant ait fait l’objet de traitements plus poussés pour éviter la récidive d’épanchement du liquide dans la plèvre, qui se traduit par des difficultés respiratoires (voir les paragraphes 35 in fine et 45 ci-dessus).
88. En ce qui concerne la gale que le requérant contracta suite à son deuxième retrait de l’hôpital pénitentiaire, la Cour note que, dans la prison no 5 de Tbilissi, l’intéressé bénéficia, pendant une semaine, d’un traitement par le benzoate de benzyle. Ce traitement ne pouvant toutefois pas remédier à la pyodermie et étant même contre indiqué dans les cas de lésions de la peau, la gale compliquée fut prise en charge par les médecins de l’hôpital pénitentiaire dès l’hospitalisation du requérant le 20 février 2007. Le traitement prescrit s’avéra effectif et aboutit à la guérison assez vite (voir les paragraphes 23, 26 et 34 in fine ci-dessus).
89. La Cour estime dès lors que le traitement médical dispensé au requérant pour soigner la gale compliquée de pyodermie fut suffisant et adéquat. Cela ne change pourtant rien au fait que, de toute évidence (voir les paragraphes 54-56 ci-dessus), à la prison no 5 de Tbilissi, le requérant fut détenu dans des conditions d’insalubrité, de non respect des règles d’hygiène de base (voir le paragraphe 93 ci-dessous), et qu’il fut ainsi exposé à une maladie contagieuse comme la gale (Nevmerjitsky c. Ukraine, no 54825/00, § 87, CEDH 2005‑II (extraits)).
90. Enfin, la Cour doit examiner la question de retrait du requérant de l’hôpital pénitentiaire à deux reprises. Elle considère à cet égard que le renvoi en prison d’un détenu malade ayant été placé à l’hôpital pénitentiaire pour y recevoir de soins n’est pas à lui seul constitutif d’une violation de l’article 3 de la Convention. En effet, la question est de savoir si, avant d’être renvoyé en prison, l’intéressé bénéficia des soins médicaux nécessaires et adéquats, si ce renvoi était justifié au regard de son état de santé et si, une fois en prison, il continua, le cas échéant, d’être médicalement suivi.
91. Ayant examiné les éléments en sa possession, la Cour considère que les deux premiers courts séjours du requérant à l’hôpital pénitentiaire n’étaient pas suffisants pour remédier à ses problèmes de santé et que l’interruption de l’hospitalisation à deux reprises, et donc celle de soins, n’était pas justifiée.
92. Notamment, alors même que les causes de subfébrilité persistante n’étaient pas déterminées, et que le requérant souffrait d’hépatite virale C aiguë avec syndrome de cholestase, d’ictère et de prurit, le 10 février 2007, il fut renvoyé à la prison no 5 de Tbilissi pour être placé dans une cellule ordinaire (voir le paragraphe 19 ci-dessus). Or les jours précédant ce renvoi, les médecins qualifiaient son état de grave (voir les paragraphes 13‑16 ci‑dessus). Ils n’avaient pas d’ailleurs autorisé, contrairement à ce que soutient le Gouvernement (voir les paragraphes 17 et 64 ci-dessus), ce retrait qui, aux yeux de la Cour, était d’autant plus injustifié qu’à l’époque pertinente, la prison no 5 de Tbilissi, en manque de personnel médical, n’offrait aucune condition pour la détention d’un prisonnier malade comme le requérant. Le Gouvernement n’explique pas en quoi cette mesure de retrait n’était pas sérieusement dommageable à la santé du requérant, mais au contraire, nécessaire « à la protection de sa vie et de son intégrité » (voir le paragraphe 64 ci-dessus). Bien au contraire, l’interruption de l’hospitalisation le 10 février 2007 fragilisa davantage l’état de santé du requérant qui, dix jours après, dut être réadmis à l’hôpital pénitentiaire en urgence.
93. Notamment, vu les conditions d’hygiène dans la prison no 5 de Tbilissi (voir les paragraphes 54 et 56 ci-dessus) et les lésions sur la peau provoquées par le prurit, le requérant contracta la gale. La Cour ne partage pas l’avis du Gouvernement qui, tout en concédant ce fait, trouve la cause de la pyodermie dans l’inobservation des règles d’hygiène par le requérant. En effet, si un prisonnier est censé observer ces règles, faut-il encore qu’il en possède les moyens et qu’il soit détenu dans des conditions d’hygiène générale appropriées. Or il ressort des constats du CPT, qui fournissent une base fiable à cette fin (Dougoz v. Greece, no. 40907/98, § 46, ECHR 2001-II ; Kehayov c. Bulgarie, no 41035/98, § 66, 18 janvier 2005 ; Ostrovar, précité, § 80), qu’à l’époque pertinente des faits, la prison no 5 de Tbilissi offrait, en moyenne, une place pour quatre détenus et que ses cellules étaient insalubres et humides. Le degré de délabrement des celles-ci n’était pas par ailleurs « descriptible » (voir le paragraphe 56 ci-dessus). Par conséquent, la Cour n’estime pas que, dans des conditions de délabrement, d’humidité et d’insalubrité généralisées, la cellule du requérant, quel que soit son emplacement, ait pu constituer l’unique exception dans la prison no 5 de Tbilissi et qu’à la différence de l’ensemble de l’établissement, elle ait pu être convenablement aérée et entretenue. En tout état de cause, le Gouvernement ne produit aucune preuve pour démontrer le contraire. Il est dès lors très fortement probable que le requérant, alors qu’il était sérieusement malade, fut détenu dans des conditions insalubres avec un nombre de détenus dépassant largement la capacité d’hébergement de la cellule.
94. Quant au deuxième retrait de l’hôpital le 31 mars 2007, la Cour note qu’à cette date, le requérant avait guéri de la gale mais souffrait toujours d’hépatite virale C aiguë et se plaignait de douleurs sous costales et de subfébrilité. Il ne ressort pas du dossier que, dans ces conditions, les médecins aient autorisé son renvoi en prison. Ce deuxième placement à la prison no 5 de Tbilissi se solda en avril 2007 par une nouvelle maladie contagieuse, pleurésie tuberculeuse, et le requérant dut être réadmis à l’hôpital trois semaines plus tard. La déficience du système immunitaire, invoquée par le Gouvernement pour expliquer l’origine des différentes maladies du requérant, aurait dû constituer, aux yeux de la Cour, une raison de plus pour que les autorités pénitentiaires agissent en concertation avec les médecins avant de décider de retirer l’intéressé de l’hôpital pour le placer dans une prison connue pour ses conditions de détention inappropriées à tous égards.
95. En dehors du fait que la prison no 5 de Tbilissi ne pouvait pas offrir au requérant les conditions adaptées à son état, il ressort du rapport pertinent du CPT que l’unité médicale de cet établissement n’employait pas d’hépatologue. Le Gouvernement ne démontre pas par ailleurs qu’à la suite de son placement à la prison no 5 de Tbilissi les 10 février et 31 mars 2007, le requérant y bénéficia de soins médicaux quelconques (Ostrovar, précité, § 86). Sollicitée par le requérant, l’administration de cet établissement ne fut pas davantage en mesure de fournir des preuves à cet égard (voir le paragraphe 70 in fine ci-dessus).
96. Aux yeux de la Cour, il n’est pas compatible avec l’article 3 de la Convention qu’un détenu ne soit hospitalisé que lorsque les symptômes de sa maladie atteignent leur paroxysme et qu’il soit, avant même la guérison, renvoyé dans une prison où il ne peut pas bénéficier de soins. La Cour estime donc que le retrait du requérant de l’hôpital pénitentiaire les 10 février et 31 mars 2007 constituaient des mesures contraires à cette disposition.
97. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que les autorités géorgiennes compétentes manquèrent à leur obligation positive de protéger la santé du requérant mais aussi de lui dispenser les soins médicaux suffisants et adéquats en ce qui concerne l’hépatite virale C et la pleurésie tuberculeuse.
98. Il y a dès lors eu violation de l’article 3 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION
99. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
Selon l’article 46 de la Convention,
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
A. ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
100. Avant de statuer sur la demande de satisfaction équitable du requérant, la Cour estime nécessaire de se pencher sur les conséquences pouvant être tirées du présent arrêt pour l’Etat défendeur sur le terrain de l’article 46 de la Convention.
101. Aux termes de cette disposition, les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l’exécution de ces arrêts. Il en découle notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l’Etat défendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés, là où il y a lieu, les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à intégrer dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences.
102. En principe, l’Etat défendeur demeure libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII ; Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, §§ 198 et 202, CEDH 2004‑II). Toutefois, une fois un défaut à caractère structurel identifié, il incombe aux autorités nationales, sous le contrôle du Comité des Ministres, de prendre, rétroactivement s’il le faut, les mesures de redressement nécessaires conformément au principe de subsidiarité de la Convention (voir, parmi d’autres, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 192 et 193, CEDH 2004‑V ; Xenides-Arestis c. Turquie, no 46347/99, §§ 39 et 40, 22 décembre 2005 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 233, CEDH 2006 ; Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999-V ; Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, §§ 89 et suivants, CEDH 2005‑X), de manière que la Cour n’ait pas à réitérer son constat de violation dans une longue série d’affaires comparables (Dybeku, précité, §§ 63 et 64, 18 décembre 2007 ; Driza c. Albanie, no 33771/02, § 123 in fine, CEDH 2007‑… (extraits) ; Gülmez c. Turquie, no 16330/02, §§ 62 et suivants, 20 mai 2008).
103. A ce propos, la Cour rappelle les termes de la résolution du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 12 mai 2004 (Res(2004)3) dans laquelle, après avoir souligné l’intérêt d’aider l’Etat concerné à identifier les problèmes sous-jacents et les mesures d’exécution nécessaires (septième paragraphe du préambule), il invite la Cour « à identifier dans les arrêts où elle constate une violation de la Convention ce qui, d’après elle, révèle un problème structurel sous-jacent et la source de ce problème, en particulier lorsqu’il est susceptible de donner lieu à de nombreuses requêtes, de façon à aider les Etats à trouver la solution appropriée et le Comité des Ministres à surveiller l’exécution des arrêts » (paragraphe I de la résolution).
104. En ce qui concerne la présente requête, force est de constater qu’il ne s’agit pas là d’un cas unique. En effet, actuellement, une quarantaine de requêtes portant sur le manque de soins médicaux dans les établissements pénitentiaires géorgiens sont pendantes devant la Cour. Plus de trente parmi celles-ci furent d’ores et déjà portées à la connaissance du gouvernement défendeur en application des articles 39, 40 et/ou 54 §§ 2 a) et b) du règlement de la Cour. Dans près de dix-huit affaires, les requérants souffrent, parmi d’autres maladies, d’hépatite virale C. Sans préjuger le bien-fondé de ces requêtes, aux yeux de la Cour, leur nombre permet d’estimer que le problème de soins médicaux en détention, et, en particulier, celui de prise en charge médicale adéquate des détenus souffrant des maladies contagieuses, relève d’une situation à caractère structurel. C’est là non seulement un facteur aggravant quant à la responsabilité de l’Etat au regard de la Convention, mais également une menace pour l’effectivité à l’avenir du dispositif mis en place par la Convention.
105. Dans ces conditions, la Cour estime que des mesures générales au niveau national s’imposent sans aucun doute dans le cadre de l’exécution du présent arrêt. Des mesures législatives et administratives nécessaires doivent ainsi être adoptées rapidement afin de prévenir la transmission des maladies contagieuses dans le système pénitentiaire géorgien, d’instaurer un système de dépistage dès l’admission des détenus en prison et de garantir la prise en charge de ces maladies de façon rapide et effective dans des conditions appropriées.
106. Pour ce qui est des mesures individuelles que l’Etat défendeur devra adopter sous le contrôle du Comité des Ministres, la Cour note qu’en l’espèce, la nature même de la violation constatée n’offre pas réellement de choix parmi différentes mesures susceptibles d’y remédier (voir, Assanidzé, précité, § 202). Dans ces conditions, et eu égard aux circonstances spécifiques de la présente requête, la Cour estime que l’Etat défendeur devra garantir, dans les meilleurs délais, le placement du requérant dans un établissement capable de lui dispenser un traitement médical adéquat pour son hépatite virale C parallèlement à la tuberculose pulmonaire dont il souffre.
B. ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
A) Dommage
107. A titre du dommage moral, le requérant réclame 50 000 euros. Il met à cet égard l’accent sur le fait qu’il contracta différentes maladies graves en prison et que certaines d’entre elles passèrent au stade chronique en raison du manque de soins médicaux.
108. Le Gouvernement reprend ses arguments exposés aux paragraphes 60-68 ci-dessus pour démontrer que les droits garantis par la Convention ne furent pas méconnus en l’espèce et que le requérant ne subit par conséquent aucun dommage moral.
109. La Cour ne partage pas cet avis. Elle ne doute pas qu’en raison de la violation constatée, le requérant endura des souffrances et subit un préjudice moral certain, auquel le constat de violation de la Convention figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier.
110. Par conséquent, statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour alloue au requérant 9 000 EUR au titre du dommage moral.
111. Pour ce qui est du dommage matériel, le requérant réclame une somme de 7 000 euros. Notamment, il ressort des documents qu’il produit devant la Cour que, le 20 avril 2007, sa famille versa 1 500 laris géorgiens (704 Euros[1], « EUR ») à un centre des expertises judiciaires pour faire réaliser l’expertise médicale du 24 avril 2007 (voir le paragraphe 33 ci-dessus). Entre les 4 juin et 30 novembre 2007, la famille effectua des versements au profit du compte bancaire du requérant d’un montant total de 1 044,05 laris (490 EUR). Selon le relevé du compte en question, cette somme fut dépensée entre les 5 juin et 28 novembre 2007, par petits montants, au profit d’une société à responsabilité limitée « Skhivi ». Selon le requérant, ces dépenses correspondent au financement de l’achat de la nourriture et autres objets de première nécessité dans le magasin du système pénitentiaire. Le 4 mai 2007, le requérant versa 37,92 laris (17 EUR) au laboratoire ayant réalisé l’analyse du sang du 3 mai 2007 à la demande du médecin en chef de l’hôpital pénitentiaire (voir le paragraphe 36 ci-dessus).
112. Se référant à la jurisprudence de la Cour (König c. Allemagne (article 50), 10 mars 1980, § 18 ; Airey c. Irlande (article 50), 6 février 1981, § 12, série A no 41), le Gouvernement estime qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la violation alléguée et les achats effectués par le requérant dans le magasin du système pénitentiaire. Par ailleurs, selon lui, l’Etat ne saurait être tenu responsable du financement par le requérant de l’expertise médicale du 24 avril 2007. Le Gouvernement ne s’exprime pas concernant le financement de l’analyse du sang du 3 mai 2007.
113. Pour ce qui est des dépenses effectuées entre les 5 juin et 28 novembre 2007, la Cour note que le requérant était alors détenu à l’hôpital pénitentiaire qui, selon le Médiateur de la République, ne possédait pas un magasin d’alimentation, à la différence d’autres établissements pénitentiaires (voir le paragraphe 54 ci-dessus). Il n’est dès lors pas démontré que les dépenses faites au profit de la société à responsabilité limitée en question servirent, comme soutient le requérant, à financer l’achat de la nourriture et autres objets de première nécessité dans un magasin du système pénitentiaire. A supposer même que tel fût le cas, la Cour n’estime pas que ces dépenses aient été conditionnées par la violation constatée ci-dessus (cf., Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 65, 2 décembre 2004).
114. Pour ce qui est du financement de l’expertise médicale indépendante du 24 avril 2007, le requérant n’explique pas en quoi la réalisation de cette expertise était nécessaire vu que son rapport ne contenait pas de diagnostics différents de ceux émanant des autorités et que les médecins de l’hôpital pénitentiaire avaient fait le nécessaire pour examiner l’intéressé et établir différents diagnostics pertinents le 24 avril 2007, soit le lendemain de son hospitalisation (voir les paragraphes 32 et 34 ci-dessus). Il n’y a donc pas lieu d’allouer au requérant une somme pourle financement de l’expertise médicale concernée. En revanche, le somme versée pour faire réaliser l’analyse de sang diligentée par le médecin en chef de l’hôpital pénitentiaire constitue, aux yeux de la Cour, la perte matérielle effectivement subie en conséquence directe de la violation constatée (Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV). La Cour alloue dès lors au requérant 17 EUR au titre du dommage matériel.
b) Frais et dépens
115. Le requérant soutient, avec les documents pertinents à l’appui, qu’il supporta les frais postaux d’un montant de 297 laris (139 EUR) pour saisir la Cour et produire devant elle différents documents par courrier recommandé. Il produit par ailleurs copie du contrat conclu le 10 avril 2007 avec Me Avaliani, aux termes duquel il doit lui verser, pour l’avoir représenté devant la Cour, une somme de 5 000 laris (2 347 EUR).
116. Le Gouvernement rejette cette dernière demande en reprochant au requérant de ne pas avoir indiqué le nombre d’heures de travail effectuées et, par conséquent, le coût de chacune des tâches accomplies par Me Avaliani. Il n’est donc pas démontré, pour le Gouvernement, que les frais d’honoraires, qui sont par ailleurs excessifs, furent réellement encourus.
117. Toutefois, le Gouvernement admet que le requérant dut supporter certains frais réels pour assurer la défense de ses intérêts et s’en remet à la Cour pour en déterminer le montant qui, conformément à sa jurisprudence, constituerait à cet égard une compensation juste et raisonnable.
118. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle il ne peut être décidé du remboursement des frais que dans la mesure où ils ont été réellement et nécessairement encourus afin de prévenir ou redresser le fait jugé constitutif d’une violation de la Convention (voir, entre autres, Donadzé c. Géorgie, no 74644/01, § 48, 7 mars 2006 ; Gourguénidzé c. Géorgie, no 71678/01, § 83, 17 octobre 2006). En outre, conformément à l’article 60 § 2 du règlement, toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 170, CEDH 2006-… (extraits)).
119. Pour ce qui est des frais postaux, la Cour estime que la demande du requérant est valablement étayée et qu’il convient de lui allouer à ce titre la somme de 139 EUR qu’il réclame.
120. Quant aux honoraires d’avocat, la Cour note que le contrat présenté devant elle ne contient ni des données chiffrées et ventilées ni aucune indication quant au nombre d’heures de travail effectuées par l’avocat (cf., Svipsta, précité, § 171). Admettant toutefois que le requérant est tenu de rétribuer son représentant (Koendjbiharie c. Pays-Bas, 25 octobre 1990, § 35, série A no 185‑B), la Cour estime nécessaire d’évaluer le niveau des honoraires à rembourser par rapport à leur caractère raisonnable (voir, parmi beaucoup d’autres, Naus c. Pologne, no 7224/04, § 82, 16 septembre 2008).
121. Par conséquent, statuant en équité et à l’aide des critères susmentionnés (voir les paragraphes 118 et 120 ci-dessus), la Cour octroie au requérant 1 500 EUR pour le travail réellement accompli par Me Avaliani dans le cadre de sa représentation dans la présente affaire.
c) Intérêts moratoires
122. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1. Déclare, la requête recevable ;
2.Dit, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit garantir, dans les meilleurs délais, le placement du requérant dans un établissement capable de lui dispenser un traitement médical adéquat pour son hépatite virale C, parallèlement à la tuberculose pulmonaire dont il souffre ;
b) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en laris géorgiens au taux applicable à la date du règlement :
i. 17 EUR (dix-sept euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 9 000 EUR (neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral;
iii. 1 639 EUR (mille six cent trente-neuf euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
c) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 mars 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Tulkens
Présidente
Françoise Elens-Passos
Greffière adjointe