CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 33088/08
présentée par SAS ARCALIA
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 31 août 2010 en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Jean-Paul Costa,
Rait Maruste,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ganna Yudkivska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 1er juillet 2008,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, la société par actions simplifiées Arcalia, est une société française, domiciliée aux Mureaux. Elle est représentée devant la Cour par la société civile professionnelle (SCP) Vier-Barthélemy-Matuchansky, avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
L’administration fiscale soupçonna la société requérante de s’être volontairement soustraite à l’impôt. Le 30 avril 2007, elle saisit les juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Paris et Versailles d’une demande d’autorisation pour effectuer des visites domiciliaires dans les locaux de la requérante, sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales.
Par deux ordonnances délivrées le jour même, les juges des libertés et de la détention approuvèrent ces demandes et autorisèrent l’administration à effectuer des perquisitions et des saisies dans plusieurs locaux susceptibles d’être occupés par la société requérante ou par ses dirigeants.
Les visites eurent lieu le 3 mai 2007. Plusieurs documents relatifs à la fraude présumée furent saisis au domicile de l’un des dirigeants.
La requérante se pourvut en cassation contre ces ordonnances en alléguant notamment une violation des articles 6, 8 et 13 de la Convention.
Par un arrêt du 6 février 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima notamment que la procédure mise en place par l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales n’était pas contraire aux articles 6, 8 et 13 de la Convention dans la mesure où l’équité de la procédure était garantie par l’intervention d’un juge des libertés et de la détention, qui avait vérifié le bien-fondé de la requête introduite par l’administration, ainsi que par le contrôle effectif de la Cour de cassation. Elle souligna qu’en l’espèce, les juges des libertés et de la détention avaient souverainement apprécié l’existence de présomptions d’agissements frauduleux de la part de la requérante, ce qui justifiait les mesures autorisées.
Par courrier du 7 novembre 2008, l’administration informa la requérante qu’à la suite de l’adoption de la loi du 4 août 2008 créant une voie de recours contre les décisions par lesquelles les juges des libertés et de la détention autorisent des visites domiciliaires (voir la partie droit et pratique internes pertinents), celle-ci disposait désormais d’un délai de deux mois pour contester l’ordonnance du 13 décembre 2006 devant le premier président de la cour d’appel.
Le 9 janvier 2009, la requérante interjeta appel des deux ordonnances du 30 avril 2007. L’affaire est actuellement pendante devant la cour d’appel.
B. Le droit interne pertinent
Les dispositions de droit interne pertinent, notamment l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales dans sa version applicable au moment des faits, sont mentionnées dans l’arrêt Ravon et autres c. France (no 18497/03, §§ 12 à 14, 21 février 2008).
L’article 164 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a modifié l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Ses passages pertinents se lisent ainsi :
S’agissant de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant les visites et saisies :
« L’ordonnance peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel. Les parties ne sont pas tenues de constituer avoué.
Suivant les règles prévues par le code de procédure civile, cet appel doit être exclusivement formé par déclaration remise ou adressée, par pli recommandé ou, à compter du 1er janvier 2009, par voie électronique, au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter soit de la remise, soit de la réception, soit de la signification de l’ordonnance. Cet appel n’est pas suspensif.
Le greffe du tribunal de grande instance transmet sans délai le dossier de l’affaire au greffe de la cour d’appel ou les parties peuvent le consulter.
L’ordonnance du premier président de la cour d’appel est susceptible d’un pourvoi en cassation, selon les règles prévues par le code de procédure civile. Le délai du pourvoi en cassation est de quinze jours. »
S’agissant du procès verbal afférent à l’exécution de la visite domiciliaire :
« Le premier président de la cour d’appel connaît des recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie. Les parties ne sont pas tenues de constituer avoué.
Suivant les règles prévues par le code de procédure civile, ce recours doit être exclusivement formé par déclaration remise ou adressée, par pli recommandé ou, à compter du 1er janvier 2009, par voie électronique, au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter de la remise ou de la réception soit du procès-verbal, soit de l’inventaire, mentionnés au premier alinéa. Ce recours n’est pas suspensif.
L’ordonnance du premier président de la cour d’appel est susceptible d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure civile. Le délai du pourvoi en cassation est de quinze jours. »
S’agissant des dispositions transitoires applicables en l’espèce :
« Pour les procédures de visite et de saisie prévues à l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales pour lesquelles le procès-verbal [de visite] a été remis ou réceptionné antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, un appel contre l’ordonnance [du juge des libertés et de la détention], alors même que cette ordonnance a fait l’objet d’un pourvoi ayant donné lieu à cette date à une décision de rejet du juge de cassation, ou un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie peut (…) être formé devant le premier président de la cour d’appel (…).
Dans [ce] cas (…), l’administration informe les personnes visées par l’ordonnance ou par les opérations de visite et de saisie de l’existence de ces voies de recours et du délai de deux mois ouvert à compter de la réception de cette information pour, le cas échéant, faire appel contre l’ordonnance ou former un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie. Cet appel et ce recours sont exclusifs de toute appréciation par le juge du fond de la régularité du déroulement des opérations de visite et de saisie (…). En l’absence d’information de la part de l’administration, ces personnes peuvent exercer, selon les mêmes modalités, cet appel ou ce recours sans condition de délai. »
GRIEFS
Invoquant les articles 6, 8 et 13 de la Convention, la requérante se plaint de ne pas avoir eu accès à un recours effectif pour contester la régularité des visites domiciliaires dont elle a été l’objet en application de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Elle fait notamment valoir qu’elle a été privée de l’accès à un tribunal dans la mesure où les procédures devant les juges des libertés et de la détention n’étaient pas contradictoires et qu’elle n’a pu contester de manière effective les ordonnances rendues à son encontre devant la Cour de cassation puisque cette juridiction ne jouissait pas d’une plénitude de juridiction.
Invoquant principalement l’article 6, la requérante se plaint de l’ineffectivité du contrôle opéré par les deux juges des libertés et de la détention sur les pièces fournies par l’administration fiscale à l’appui de sa demande. Elle estime notamment que la rapidité avec laquelle les deux ordonnances ont été rendues démontre l’absence d’examen approfondi des pièces produites.
EN DROIT
La Cour relève que les griefs de la requérante portent, d’une part, sur le défaut d’accès à un tribunal pour contester les ordonnances rendues par les juges des libertés et de la détention et, d’autre part, sur l’absence d’examen effectif, par ces mêmes magistrats de la demande d’autorisation formulée par l’administration fiscale.
La Cour constate que la loi du 4 août 2008 a mis en place un recours permettant de contester les ordonnances des juges des libertés et de la détention devant le premier président de la cour d’appel compétent, avant de pouvoir saisir la Cour de cassation. Par courrier du 7 novembre 2008, postérieur à l’introduction de cette requête, la requérante a été informée de la mise en place de cette voie de recours et de la possibilité qui lui était donnée, rétroactivement, de saisir la cour d’appel, ce qu’elle fit le 9 janvier 2009.
La procédure étant actuellement pendante devant la cour d’appel, qui jouit en la matière d’une plénitude de juridiction, il s’ensuit qu’il n’y a plus lieu d’examiner le grief de la requérante tiré du défaut d’accès à un tribunal. De même, la Cour constate que le second grief, tiré de l’ineffectivité du contrôle opéré par les juges des libertés et de la détention, ne saurait prospérer dans la mesure où la cour d’appel sera amenée à effectuer un second contrôle des pièces produites par l’administration fiscale à l’appui de sa demande d’autorisation pour diligenter une visite domiciliaire.
Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il ne se justifie plus, en l’état, de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention). En outre, aucun motif tiré du respect des droits de l’homme garantis par la Convention ou ses Protocoles n’exige de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) in fine de la Convention).
Partant, il convient de rayer l’affaire du rôle.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de rayer la requête du rôle.