AFFAIRE REINHARDT ET SLIMANE-KAÏD c. FRANCE
(21/1997/805/1008 et 22/1997/806/1009)
ARRÊT
STRASBOURG
31 mars 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
Liste des agents de vente
Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
B-1000 Bruxelles)
Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher
(place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)
Pays-Bas : B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat
A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC La Haye)
SOMMAIRE[1]
Arrêt rendu par une grande chambre
France – durée d’une procédure pénale et équité de celle-ci devant la chambre criminelle de la Cour de cassation
I.OBJET DU LITIGE
Délimité par la décision de la Commission sur la recevabilité.
II.ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
A.Durée de la procédure
1. Période à considérer
En matière pénale : « délai raisonnable » débute dès l’instant où une personne se trouve « accusée » au sens de l’article 6 § 1 – rappel de la jurisprudence de la Cour.
Première requérante : huit ans, un mois et un peu plus d’une semaine.
Second requérant : huit ans, cinq mois et presque deux semaines.
2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
Rappel de la jurisprudence de la Cour.
Longueur de la procédure résulte pour l’essentiel d’un manque de célérité dans la conduite de l’information.
Conclusion : violation (unanimité).
B.Caractère équitable de la procédure en cassation
Cour recherche si, considérée dans sa globalité, la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation a revêtu un caractère « équitable ».
Communication avant l’audience du rapport et du projet d’arrêt du conseiller rapporteur à l’avocat général et non aux requérants – possibilité pour les conseils des requérants d’entendre à l’audience, le cas échéant, le volet dudit rapport consacré aux faits, à la procédure et aux moyens de cassation, mais confidentialité du volet contenant l’avis du conseiller rapporteur – dans le meilleur des cas, uniquement possible de connaître le sens dudit avis – déséquilibre ne s’accordant pas avec les exigences du procès équitable.
Absence de communication des conclusions de l’avocat général aux requérants pareillement sujette à caution.
Conclusion : violation (dix-neuf voix contre deux).
III.ARTICLE 50 DE LA CONVENTION
A.Dommage
Préjudices matériels : aucun lien de causalité établi – rejet (unanimité).
Dommage moral : suffisamment compensé par le constat de violation (vingt voix contre une).
B.Frais et dépens
Requérants ne chiffrent ni ne détaillent leurs demandes – rejet (unanimité).
RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
15.7.1982, Eckle c. Allemagne ; 27.11.1991, Kemmache c. France (nos 1 et 2) ; 25.6.1997, Van Orshoven c. Belgique
En l’affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France[2],
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 51 de son règlement A[3], en une grande chambre composée des juges dont le nom suit :
MM.R. Bernhardt, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
C. Russo,
J. De Meyer,
I. Foighel,
R. Pekkanen,
J.M. Morenilla,
SirJohn Freeland,
MM.A.B. Baka,
L. Wildhaber,
G. Mifsud Bonnici,
J. Makarczyk,
D. Gotchev,
B. Repik,
U. Lōhmus,
M. Voicu,
V. Butkevych,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 novembre 1997 et 26 février 1998,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. Les deux affaires ont été déférées à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») et par le gouvernement français (« le Gouvernement ») les 27 janvier et 14 mars 1997 respectivement, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A leur origine se trouvent deux requêtes (nos 23043/93 et 22921/93) dirigées contre la France et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Mohamed Slimane-Kaïd et MmeFrançoise Reinhardt, avaient saisi la Commission respectivement les 7 et 11 septembre 1993 en vertu de l’article 25. Initialement désignée par les lettres F. U.-R., Mme Reinhardt a consenti ultérieurement à la divulgation de son identité.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu’à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) et la requête du Gouvernement à l’article 48. Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de ces causes révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 6 de la Convention.
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement A, les requérants ont chacun exprimé le désir de participer à l’instance et ont désigné le même conseil (article 30).
3. Le 21 février 1997, le président de la Cour a estimé qu’il y avait lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de constituer une chambre unique pour l’examen des deux affaires (article 21 § 7 du règlement A).
4. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A ; le 21 février 1997, en présence du greffier, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, F. Matscher, B. Walsh, I. Foighel, J.M. Morenilla, J. Makarczyk et D. Gotchev (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A).
5. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, l’avocat des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires des requérants le 24 juillet 1997 et ceux du Gouvernement le 25 juillet 1997. Le 14 août 1997, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué n’entendait pas répondre par écrit.
6. Le 25 avril 1997, la chambre a décidé de se dessaisir en faveur d’une grande chambre (article 51 du règlement A). Etaient de plein droit membres de celle-ci, M. Ryssdal, président de la Cour, et M. Bernhardt, vice-président, les membres de la chambre originaire ainsi que les quatre suppléants de celle-ci, M. M. Voicu, Sir John Freeland, M. L. Wildhaber et M. F. Gölcüklü (article 51 § 2 a) et b)). Le 28 avril 1997, le président a tiré au sort en présence du greffier le nom des sept juges supplémentaires appelés à compléter la grande chambre, à savoir MM. C. Russo, J. De Meyer, R. Pekkanen, A.B. Baka, G. Mifsud Bonnici, B. Repik et U. Lōhmus (article 51 § 2 c)). Par la suite, M. Ryssdal, empêché, a été remplacé à la présidence de ladite grande chambre par M. Bernhardt (articles 21 § 6 et 51 § 6), et M. V. Butkevych a été appelé à compléter celle-ci.
7. Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 25 novembre 1997, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire, au cours de laquelle elle avait décidé de joindre les causes (article 37 § 4 du règlement A).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MM. M. Perrin de Brichambaut, directeur des affaires juridiques
au ministère des Affaires étrangères,agent,
J.-P. Dintilhac, avocat général à la Cour de cassation,
Mme M. Dubrocard, magistrat détaché à la direction
des affaires juridiques du ministère
des Affaires étrangères,
M. G. Bitti, membre du bureau des droits de l’homme
du service des affaires européennes
et internationales du ministère de la Justice,conseillers ;
– pour la Commission
M.J.-C. Soyer,délégué ;
–pour les requérants
MeF. Tissot, avocat à la cour d’appel de Versailles,conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations, M. Soyer, Me Tissot et M. Perrin de Brichambaut, ainsi que ces deux derniers et M. Dintilhac en leurs réponses aux questions de trois juges.
EN FAIT
I.LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. M. Slimane-Kaïd était président-directeur général des sociétés anonymes (S.A.) PROVEX et SERVEC qui se consacraient notamment, la première, à l’acquisition de matériel pour son exportation et, la seconde, à la carrosserie industrielle.
Le 26 janvier 1982, il avait en outre créé avec Mme Reinhardt une société à responsabilité limitée (S.A.R.L.) dénommée URKA dont le siège social était situé au domicile personnel de cette dernière et dont l’activité principale était la location et la vente de tout matériel, en France ou à l’étranger ; le 1er juillet 1982, il avait succédé à Mme Reinhardt dans les fonctions de gérant.
A. La genèse de l’affaire
9. Deux protocoles d’accord commercial prévoyaient d’une part la vente par la société IVECO de véhicules automobiles industriels à la S.A. PROVEX et, d’autre part, la mise en dépôt carrosserie de « châssis-cabines » au nom de la première chez le carrossier désigné soit par la seconde soit par la S.A. SERVEC. Il était prévu qu’à l’échéance du dépôt et après règlement, la société IVECO remettrait à ses cocontractantes les feuilles des mines des véhicules concernés ainsi que les certificats de ventes y relatifs.
10. Les faits exposés dans le présent paragraphe et le suivant ressortent des pièces de la procédure interne dont dispose la Cour.
Le 28 avril 1984, deux cent quatre-vingt-sept véhicules de la société IVECO furent déposés dans les locaux de la S.A. SERVEC. L’échéance des dépôts de ceux-ci était fixée aux 5 juin, 5 juillet, 5 août et 5 septembre 1984 ; à ces dates, les S.A. PROVEX et SERVEC devaient manifester leur intention d’acquérir lesdits véhicules et se faire consécutivement remettre les feuilles des mines de chacun et les certificats de ventes spécifiques à la société IVECO.
A la demande de cette dernière, un constat d’huissier fut dressé dans les locaux de la S.A. SERVEC le 11 mai 1984. Une expertise judiciaire eut lieu le 25 juillet 1984 et une saisie conservatoire fut effectuée le 28 août 1984. Il en ressort que cent cinquante-cinq des véhicules faisaient défaut à la première de ces dates, cent quatre-vingt-dix-huit à la deuxième et deux cent onze à la troisième. La société IVECO n’obtint la restitution que de quarante-trois véhicules ; les autres avaient été immatriculés et vendus.
11. Le 27 juillet 1984, le responsable de la société IVECO porta à la connaissance du service régional de police judiciaire (SRPJ) de Versailles certains de ces faits. Une enquête fut menée par l’inspecteur principal Renaud qui, dans son rapport du 24 septembre 1984, constata que les feuilles des mines et certificats de ventes remis par la S.A. PROVEX à la préfecture aux fins d’immatriculation de cent seize véhicules IVECO étaient des faux, fit état d’« éventuelles infractions à la législation sur les sociétés commerciales et les banqueroutes commises au sein des S.A. SERVEC/PROVEX » et conclut à la nécessité d’ouvrir une information.
B.L’information
1.La première information
a)L’inculpation de M. Slimane-Kaïd d’abus de confiance et délivrance de documents administratifs à l’aide de faux renseignements, certificats et attestations
12. Le 25 septembre 1984, un réquisitoire introductif fut pris par le procureur de la République de Chartres contre personne non dénommée pour abus de confiance et délivrance de documents administratifs à l’aide de faux renseignements, certificats et attestations. Le juge d’instruction Candau désigné le même jour donna, le 27 septembre 1984, commission rogatoire au directeur du SRPJ de Versailles pour « (…) continuer l’enquête à l’effet d’identifier les auteurs, coauteurs ou complices des faits (…) ».
13. Le 2 octobre 1984, M. Slimane-Kaïd fut placé en garde à vue et entendu. Le 4 octobre 1984, la commission rogatoire du 27 septembre 1984 fut retournée et M. Slimane-Kaïd fut inculpé des chefs d’abus de confiance, délivrance de documents administratifs à l’aide de faux renseignements, certificats et attestations et placé en détention provisoire (jusqu’au 8 janvier 1985, date d’une ordonnance du juge d’instruction le remettant en liberté sous contrôle judiciaire). Le même jour, le juge d’instruction donna commission rogatoire au directeur du SRPJ de Versailles aux fins de continuer l’enquête.
b)L’inculpation de M. Slimane-Kaïd de faux en écriture privée, de commerce ou de banque
14. Le 2 octobre 1984, le procureur de la République de Chartres délivra un réquisitoire supplétif contre M. Slimane-Kaïd pour faux en écriture privée, de commerce ou de banque, l’intéressé étant suspecté d’avoir falsifié les feuilles des mines et certificats de vente litigieux.
15. Le 12 octobre 1984, la société IVECO – qui s’était constituée partie civile le 9 octobre – fut entendue ainsi que, comme témoin, un administrateur de la S.A. PROVEX. Le même jour et le 15 octobre 1984, l’avocat de M. Slimane-Kaïd adressa un courrier au juge d’instruction portant versement de pièces au dossier. L’avocat de la société IVECO fit de même à cette dernière date.
16. M. Slimane-Kaïd fut interrogé les 15 et 16 octobre 1984 et un cadre de la société IVECO fut entendu le 17 octobre. Le 22 octobre, M. Slimane-Kaïd fut confronté à l’un des dirigeants de cette société et, le 9 novembre 1984, interrogé une nouvelle fois et inculpé de faux en écriture privée, de commerce ou de banque.
17. Le 10 novembre 1984, l’avocat de M. Slimane-Kaïd adressa au juge d’instruction un courrier portant versement de pièces au dossier. Celui de la société IVECO fit de même le 13 décembre 1984.
c)L’inculpation de M. Slimane-Kaïd d’abus de biens sociaux, délits assimilés à la banqueroute simple et frauduleuse, présentation et publication de bilan inexact et escroquerie
18. Les enquêteurs soupçonnant M. Slimane-Kaïd d’avoir commis d’autres infractions, une seconde enquête préliminaire fut ouverte le 3 octobre 1984 sur ses activités au sein des sociétés PROVEX, SERVEC et URKA.
19. Entre le 9 octobre 1984 et le 27 mars 1985, le SRPJ de Versailles procéda à diverses perquisitions et saisies, au domicile de M. Slimane-Kaïd et dans les locaux de la S.A. PROVEX, mais aussi le 16 octobre 1984 au domicile de Mme Reinhardt – alors que l’intéressée était en garde à vue –, siège social de la société URKA, et le 18 octobre 1984 dans un pavillon loué par cette dernière société. Le 14 novembre 1984, Mme Reinhardt fut entendue par un enquêteur de police.
20. Le 2 novembre 1984, le juge d’instruction avait pris une ordonnance de soit-communiqué. Le 11 décembre 1984, le procureur de la République de Chartres prit un réquisitoire supplétif contre M. Slimane-Kaïd pour abus de biens sociaux, délits assimilés à la banqueroute simple (non déclaration de l’état de cessation de paiement dans le délai légal) et frauduleuse (détournement d’une partie de l’actif social), présentation et publication de bilan inexact et escroquerie. Le 14 décembre 1984, l’intéressé fut inculpé de ces chefs.
d) L’inculpation de M. G. de faux en écriture privée, de commerce ou de banque
21. Le 19 décembre 1984, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire au directeur du SRPJ de Versailles aux fins de continuer l’enquête sur les faits relatifs à tous les chefs d’inculpation.
22. M. Slimane-Kaïd fut interrogé les 3 et 7 janvier 1985.
23. La commission rogatoire susmentionnée fut retournée après exécution, le 1er février 1985. Le même jour, M. G., qui était en garde à vue depuis le 30 janvier, fut inculpé de faux en écriture privée, de commerce ou de banque et placé sous contrôle judiciaire. Il était soupçonné d’avoir établi des factures de complaisance aux S.A. PROVEX et SERVEC et d’avoir fourni à M. Slimane-Kaïd des moyens ayant permis la commission par celui-ci du même délit.
24. Le 1er février 1985, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire au SRPJ de Versailles aux fins de continuer l’enquête relative aux faits dont MM. Slimane-Kaïd et G. étaient inculpés. Ladite commission rogatoire fut retournée le 7 février.
e)L’inculpation de Mme Reinhardt de complicité d’abus de biens sociaux et recel
25. En garde à vue depuis le 6 février 1985, Mme Reinhardt fut, le 7 février 1985, sur réquisitoire supplétif du même jour du procureur de la République de Chartres, inculpée de complicité d’abus de biens sociaux et recel d’abus de biens sociaux. Elle était soupçonnée d’avoir, de juillet à décembre 1983, remis à M. Slimane-Kaïd quatre chèques bancaires de la société URKA qu’elle avait signés en blanc et que M. Slimane-Kaïd devait libeller et endosser pour un montant total de 1 735 000 francs, et d’avoir bénéficié de sommes frauduleusement soustraites à ladite société.
f)La suite de l’information
26. Le 7 février 1985, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire au directeur du SRPJ de Versailles aux fin de continuer l’enquête relative aux faits dont MM. Slimane-Kaïd et G. et Mme Reinhardt étaient inculpés.
27. Le 25 mars 1985, l’avocat de M. Slimane-Kaïd adressa au juge d’instruction un courrier portant versement de pièces au dossier.
28. Le 31 mai 1985, la commission rogatoire du 7 février 1985 fut retournée.
29. M. Slimane-Kaïd et M. G. furent interrogés les 4 et 5 décembre 1985 respectivement, et Mme Reinhardt – qui avait été convoquée le 4 décembre devant le juge d’instruction mais n’avait pas comparu – le 11 février 1986.
30. Le 25 mars 1986, le juge d’instruction prit une ordonnance de soit-communiqué.
31. Le 16 juillet 1986, M. Slimane-Kaïd adressa au juge d’instruction un courrier aux fins de versement de pièces au dossier.
32. Par un réquisitoire supplétif du 21 juillet 1986, le procureur de la République de Chartres demanda au juge d’instruction de continuer l’information relative aux faits pour lesquels MM. Slimane-Kaïd et G. et Mme Reinhardt étaient inculpés et d’entendre les deux premiers ainsi que le dirigeant de la société VPL.
2.La seconde information
33. Le 25 septembre 1986, à la suite d’une plainte contre X avec constitution de partie civile de la société VPL (du 17 juillet 1986), pour abus de confiance et faux en écriture de commerce, le doyen des juges d’instruction de Chartres rendit une ordonnance de soit-communiqué.
34. Le 29 septembre 1986, le procureur de la République de Chartres prit un réquisitoire introductif contre X pour abus de confiance et faux en écriture de commerce. L’instruction fut confiée au juge Candau.
3.La conduite simultanée des deux informations et l’inculpation de M. Slimane-Kaïd d’abus de confiance et faux en écriture de commerce dans le cadre de la seconde
35. Le 7 janvier 1987, les deux instructions furent confiées à un nouveau magistrat, le juge Halphen. Celui-ci entendit le représentant de la société VPL le 5 février 1987.
36. Les 16 février et 18 mars 1987, M. Slimane-Kaïd et son avocat adressèrent des courriers au juge d’instruction aux fins de versement de pièces au dossier de la première procédure.
37. M. Slimane-Kaïd fut interrogé le 11 juin et le 8 juillet 1987.
38. Le 1er juillet, l’avocat de la société VPL avait envoyé au juge d’instruction des documents que ce dernier lui avait demandés par une lettre du 9 juin 1987.
39. Dans le cadre de la première information, le 10 septembre 1987, l’avocat de M. Slimane-Kaïd adressa un courrier au juge d’instruction aux fins d’auditions et d’investigations. Le 22 septembre 1987, l’avocat de la société IVECO versa des pièces au dossier.
40. Une commission rogatoire fut délivrée le 7 octobre 1987 au SRPJ de Versailles aux fins de continuer l’enquête relative aux faits reprochés aux trois prévenus.
41. Le 28 octobre 1987, le juge d’instruction rendit une ordonnance de commission d’experts aux fins d’expertiser les signatures apposées au bas des certificats de vente litigieux. Le rapport d’expertise fut déposé le 31 décembre 1987. Il fut notifié à la société IVECO le 29 avril 1988.
42. Le 11 avril 1988, M. Slimane-Kaïd adressa un courrier au juge d’instruction l’informant avoir changé d’avocat.
43. Le 25 avril 1988, la commission rogatoire du 7 octobre 1987 fut retournée.
44. Le 5 mai 1988, M. Slimane-Kaïd envoya une lettre au juge d’instruction l’informant avoir changé d’avocat.
45. Le 25 mai 1988, il fut interrogé et inculpé d’abus de confiance et faux en écriture de commerce dans le cadre de la seconde instruction.
46. Le 16 juin 1988, il adressa un courrier au juge d’instruction l’informant avoir changé d’avocat.
47. Le 29 juin 1988, il fut entendu une nouvelle fois par le juge d’instruction.
48. Les 7 et 22 juillet et le 26 septembre 1988, M. Slimane-Kaïd ou son avocat envoyèrent des lettres au juge d’instruction aux fins d’investigations supplémentaires ou de versement de pièces au dossier.
49. Le 5 décembre 1988, M. Slimane-Kaïd fut confronté au représentant de la société VPL.
50. Les 26 et 29 décembre 1988, 12 et 30 janvier, 27 et 28 février et 6 et 7 mars 1989, M. Slimane-Kaïd ou son avocat adressèrent des courriers au juge d’instruction aux fins d’investigations supplémentaires ou de versement de pièces au dossier.
51. Le 16 mars 1989, dans le cadre de la première information suivie contre M. Slimane-Kaïd, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire au commissaire de police de Chartres aux fins de « consulter les dossiers d’immatriculation des véhicules IVECO concernant le 1er semestre 1969 et le 1er semestre 1970 » et « de se saisir et plac[er] sous scellés les originaux des feuilles des mines ».
52. Le 20 mars 1989, l’avocat de la société VPL adressa un courrier au juge d’instruction et versa des pièces au dossier.
53. Le 30 mars 1989, le juge d’instruction auditionna un représentant de la société IVECO. Des pièces furent versées au dossier.
54. La commission rogatoire du 16 mars 1989 fut retournée le 13 avril 1989.
55. Le 5 juin 1989, l’avocat de M. Slimane-Kaïd adressa un courrier au juge d’instruction aux fins de versement de pièces au dossier de la première information. L’avocat de l’une des parties civiles fit de même le 16 juin 1989.
56. Le 26 juin 1989, le juge d’instruction entendit M. Slimane-Kaïd, lequel versa des pièces au dossier à cette occasion ainsi que par courrier du 7 juillet 1989.
57. Le 25 juillet 1989, le requérant formula une demande d’expertise comptable de la société IVECO. Réitérée le 26 juillet par l’avocat de l’intéressé, elle fut rejetée par une ordonnance du juge d’instruction du 28 juillet 1989. M. Slimane-Kaïd interjeta appel de celle-ci le 1er août 1989 et, sur réquisitoire du procureur général près la cour d’appel de Versailles du 19 septembre 1989, le président de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Versailles refusa, par une ordonnance du 26 septembre 1989, de saisir la chambre d’accusation.
58. Le 9 août 1989, l’avocat de la société IVECO avait adressé un courrier au juge d’instruction et versé des pièces au dossier. Le conseil du requérant fit de même le 19 septembre 1989, dans le cadre de la seconde information.
4.La jonction des procédures et leur règlement
59. Par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Chartres du 23 octobre 1989, le juge Halphen fut remplacé par la juge Defarge. Le 3 novembre, elle rendit une ordonnance de soit-communiqué aux fins de jonction des deux procédures, ce que requit le procureur de la République le même jour. Le 6 novembre 1989, elle prit deux ordonnances, l’une joignant lesdites procédures, l’autre communiquant le dossier au procureur de la République. Celui-ci, le 28 novembre 1989, adopta un réquisitoire définitif de renvoi de MM. Slimane-Kaïd et G. et de Mme Reinhardt devant le tribunal correctionnel. Le 14 décembre 1989, la juge Defarge ordonna ledit renvoi.
C.Le jugement
1.La procédure devant le tribunal correctionnel de Chartres
60. Le tribunal correctionnel de Chartres tint audience le 11 juin 1990.
Le 25 juin 1990, l’avocat de M. Slimane-Kaïd adressa au président du tribunal correctionnel un courrier accompagné de pièces versées au dossier. L’avocat de la société IVECO fit de même le 8 août 1990, et celui de M. Slimane-Kaïd une nouvelle fois, le 25 août.
Le 12 septembre 1990, le tribunal correctionnel décida de proroger son délibéré au 14 novembre 1990.
Les 22 et 25 octobre 1990 respectivement, la société IVECO et l’avocat de M. Slimane-Kaïd adressèrent un courrier portant versement de pièces au dossier au président dudit tribunal.
61. Le jugement fut prononcé le 14 novembre 1990. M. Slimane-Kaïd fut reconnu coupable d’abus de confiance, faux en écriture privée, de commerce ou de banque, escroqueries, présentation et publication de bilans inexacts et abus de biens sociaux, et condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement dont trois avec sursis simple, assortie d’une interdiction d’exercer une profession commerciale pendant dix ans. M. G. fut condamné à dix-huit mois d’emprisonnement pour faux en écriture privée, de commerce ou de banque et complicité de faux en écriture de commerce, et Mme Reinhardt à un an d’emprisonnement avec sursis pour complicité d’abus de biens sociaux. Le tribunal déclara en outre les sociétés IVECO et VPL irrecevables en leurs constitutions de partie civile.
2.La procédure devant la cour d’appel de Versailles
62. M. Slimane-Kaïd interjeta appel devant la cour d’appel de Versailles le 14 novembre 1990. Le ministère public, Mme Reinhardt, M. G. et la société IVECO firent de même les 15, 16, 20 et 26 novembre 1990 respectivement.
63. D’après le Gouvernement, les 22 janvier et 8 février 1991, la société VPL fut citée à comparaître mais les recherches s’avérèrent infructueuses. Mme Reinhardt, la société IVECO, le syndic au règlement judiciaire de la S.A. SERVEC – Me Pierrat – et M. Slimane-Kaïd furent cités les 8, 15 et 19 février et le 8 mars 1991 respectivement.
64. A l’audience du 21 mars 1991, Mme Reinhardt, M. Slimane-Kaïd et la société IVECO déposèrent leurs conclusions. L’affaire fut renvoyée au 3 octobre 1991 pour citation de M. G. et de la société VPL.
Le premier fut cité le 16 avril 1991 et, d’après le Gouvernement, la seconde le 25 septembre 1991, mais les recherches se révélèrent infructueuses.
65. Le 3 octobre 1991, l’audience fut renvoyée une dernière fois au 6 février 1992, pour citation de la société VPL et de Me Mariani, syndic au règlement judiciaire commun des S.A. PROVEX, S.A.R.L. PROVEX et S.A.R.L. URKA.
La société VPL fut citée les 5 novembre 1991 et 8 janvier 1992.
66. Par un arrêt du 2 avril 1992, la cour d’appel de Versailles relaxa M. Slimane-Kaïd du chef d’abus de biens sociaux et confirma la déclaration de culpabilité sur les autres chefs de prévention ainsi que la peine prononcée. Elle porta celle infligée à Mme Reinhardt à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis, ramena celle prononcée à l’encontre de M. G. à un an et confirma les autres dispositions du jugement de première instance.
3.La procédure devant la Cour de cassation
67. Mme Reinhardt et M. G. déposèrent leurs déclarations de pourvoi en cassation contre l’arrêt du 2 avril 1992 le jour même. M. Slimane-Kaïd et la société IVECO en firent autant les 3 et 6 avril. M. G. forma également un pourvoi.
Communiqué le 29 avril 1992 à la Cour de cassation, le dossier fut confié à un conseiller rapporteur le 2 juin 1992.
La société IVECO déposa un mémoire ampliatif le 31 août 1992. M. G. et Mme Reinhardt firent de même le 1er septembre 1992. Le 12 octobre 1992, la société IVECO déposa un mémoire et M. Slimane-Kaïd deux.
Le conseiller rapporteur déposa son rapport le 20 novembre 1992 et l’avocat général fut désigné le 30 novembre.
M. Slimane-Kaïd produisit un mémoire le 18 février 1993 et un autre le 9 mars 1993. La société VPL et Me Mariani firent de même le 11 mars 1993.
68. Selon le Gouvernement, il est probable que l’avocat général ne rédigea pas ses conclusions dans la mesure où celles-ci étaient destinées à être présentées oralement à l’audience.
Le Gouvernement soutient en outre que, à l’audience du 15 mars 1993 qui se déroula sans les représentants des requérants, la Cour de cassation entendit le conseiller rapporteur et l’avocat général en ses conclusions.
69. Par un arrêt du 15 mars 1993, se fondant sur le rapport du conseiller rapporteur, les mémoires des parties et les conclusions de l’avocat général, la Cour de cassation rejeta les pourvois des prévenus.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.L’organisation de la Cour de cassation
70. La Cour de cassation se compose du premier président, des présidents de chambre, des conseillers, des conseillers référendaires, du procureur général, du premier avocat général, des avocats généraux, du greffier en chef et des greffiers de chambre (article L. 121-1 du code de l’organisation judiciaire).
Elle se divise en cinq chambres civiles et une chambre criminelle, comprenant chacune un président de chambre, des conseillers, des conseillers référendaires, un ou plusieurs avocats généraux et un greffier de chambre (articles L. 121-3, R. 121-3 et R. 121-4 du code de l’organisation judiciaire). Les chambres se subdivisent ensuite en sections qui constituent en principe les formations de jugement.
B.Les principes régissant le fonctionnement de la chambre criminelle de la Cour de cassation
1.Le pourvoi en cassation
71. Les arrêts de la chambre d’accusation et les arrêts et jugements rendus en dernier ressort en matière criminelle, correctionnelle et de police peuvent être annulés en cas de violation de la loi, sur pourvoi en cassation formé par le ministère public près la juridiction qui a rendu ladite décision ou par la partie à laquelle il est fait grief (article 567 du code de procédure pénale).
En matière pénale, le procureur général près la Cour de cassation ne peut saisir ladite juridiction que d’un pourvoi « dans l’intérêt de la loi ». Il agit alors soit sur l’ordre formel du ministre de la Justice (article 620), soit d’office contre un arrêt ou jugement rendu en dernier ressort par une cour d’appel ou d’assises ou un tribunal correctionnel ou de police contre lequel aucune des parties ne s’est pourvue dans le délai déterminé (article 621) ; dans le cas d’une saisine d’office, si le pourvoi est accueilli, la cassation est prononcée, sans que les parties puissent s’en prévaloir et s’opposer à l’exécution de la décision annulée (ibidem).
2.Le rapport du conseiller rapporteur
72. Dès la transmission du dossier au greffe de la chambre criminelle de la Cour de cassation, le président de ladite chambre désigne un conseiller rapporteur (article 587 du code de procédure pénale) parmi les conseillers et les conseillers référendaires ; ces derniers ont voix délibérative dans le jugement des affaires qu’ils sont chargés de rapporter (article L. 131-7 du code de l’organisation judiciaire).
73. Le conseiller rapporteur prépare un rapport écrit dans lequel il procède à une étude approfondie de l’espèce, développe les déductions juridiques tirées de l’examen des moyens proposés, fait état des recherches de doctrine et de jurisprudence que l’étude de ces moyens l’a amené à faire et indique ses conclusions. Il met aussi au point un projet d’arrêt qui est distribué à chacun de ses collègues pour servir de base à la discussion au cours du délibéré.
Le dossier déposé par le conseiller rapporteur est transmis par le greffe, accompagné du rapport et du projet d’arrêt, à l’avocat général désigné par le procureur général pour suivre l’affaire. Une mention au rôle diffusé à l’ordre des avocats aux Conseils une semaine avant l’audience informe les conseils des parties du sens dudit rapport (irrecevabilité du pourvoi, rejet, ou cassation partielle ou totale).
En principe, sous peine d’irrecevabilité, aucun mémoire additionnel ne peut plus être déposé (article 590 du code de procédure pénale). Cette sanction est toutefois facultative et il semble que les exemples de sa mise en application sont rares (voir Y. Monnet, premier avocat général à la Cour de cassation, « Pourvoi en cassation », Juris-classeur procédure pénale, 1993, fascicule 40).
Le rôle du ministère public près la Cour de cassation
74. Le parquet de la Cour de cassation n’exerce pas l’action publique devant celle-ci. Hormis le cas du pourvoi « dans l’intérêt de la loi », il n’agit qu’en qualité de partie jointe à l’action pénale. Sa mission n’est pas de soutenir l’accusation mais de veiller à l’exacte application de la loi (voir « Pourvoi en cassation », article précité, et P. Malibert, « Ministère Public », Juris-classeur procédure pénale, 1994).
M. Charbonnier, avocat général à la Cour de cassation, précise ainsi que si les missions du ministère public consistent en principe en l’exercice de la répression et en la défense de la loi, le parquet de la Cour de cassation n’assume que la seconde. A ce titre, il lui appartient de veiller à ce que la loi soit correctement appliquée lorsqu’elle est claire et à ce qu’elle soit correctement interprétée lorsqu’elle est ambiguë (L. Charbonnier,
« Ministère public et Cour suprême », La semaine juridique, Doctrine (1991), Ed. G. n° 43).
75. Les fonctions du ministère public devant la Cour de cassation sont « personnellement confiées au procureur général » (article R. 132-1). Hormis éventuellement l’ordre de former un pourvoi « dans l’intérêt de la loi », le procureur général ne reçoit pas d’instruction pour l’accomplissement de ses fonctions (voir, par exemple, le discours prononcé lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire du 6 janvier 1995 par M. Jéol, premier avocat général à la Cour de cassation, La documentation française, Paris 1995, et « Ministère public et Cour suprême », article précité).
Celui-ci « affecte le premier avocat général et les avocats généraux à celle des chambres où il juge que leur service sera le plus utile » (article R. 132-2). Ces derniers « portent la parole, au nom du procureur général, devant les chambres auxquelles ils sont affectés » (article L. 132-3). Dans les causes importantes, leurs conclusions sont communiquées à ce dernier qui, s’il ne les approuve pas et que l’avocat général intéressé persiste, peut déléguer un autre avocat général ou porter lui-même la parole à l’audience (article R. 132-3). Il semble toutefois que ce texte n’a jamais reçu d’application et qu’en pratique, les avocats généraux sont donc libres de définir le sens de leurs conclusions (voir « Pourvoi en cassation », article précité).
Dans son allocution du 6 janvier 1995 (précitée), M. Jéol précise que « [le] travail [des avocats généraux], accompli après celui du rapporteur, a valeur de « contre-expertise ». Ou bien l’avocat général est d’accord avec le rapport : il rend plus sûre la décision à prendre. Ou bien, au contraire, il est en désaccord : il provoque un débat nécessaire. Dans tous les cas, son rôle relève un peu de la « maïeutique ».»
76. Les avocats généraux ne sont pas tenus de rédiger leurs conclusions.
L’audience
77. Le rôle des audiences est fixé par semaine ; un seul avocat général connaît de toutes les affaires inscrites au rôle de la semaine qui lui est impartie. Il en avise les avocats aux Conseils concernés qui, s’ils désirent plaider, doivent en informer le président préalablement à l’audience.
78. Quelques jours avant l’audience, une « conférence » préparatoire réunit le président et le doyen de la chambre et l’avocat général de semaine ; ceux-ci examinent systématiquement les affaires inscrites au rôle et confrontent leurs points de vue (voir « Pourvoi en cassation » et « Ministère public et Cour suprême », articles précités, ainsi que l’allocution du 10 janvier 1997 de M. Burgelin, procureur général près la Cour de
cassation, « L’avocat général à la Cour de cassation et la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme », Gazette du palais, 23–24 mai 1997). Il semble que la pratique veut qu’à l’issue de cette réunion, l’avocat général fasse connaître aux avocats présents en la cause le sens de ses propres conclusions (voir « L’avocat général à la Cour de cassation et laConvention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme », allocution précitée).
Parallèlement, le rapport du conseiller rapporteur fait l’objet d’un examen approfondi dans le cabinet du président et du doyen qui font connaître par écrit leur avis motivé. Cet avis ainsi que les conclusions de l’avocat général sont portés à la connaissance du conseiller rapporteur quelques jours avant l’audience (voir « Pourvoi en cassation », article précité).
79. Les audiences de la chambre criminelle sont publiques et se déroulent selon le même processus que celles devant les autres juridictions (article 601 du code de procédure pénale).
La procédure devant la Cour de cassation est néanmoins une procédure écrite ; les avocats des parties ne sont pas tenus de se présenter aux audiences. Devant la chambre criminelle, l’affaire n’est plaidée que dans le cas – peu fréquent – où les avocats des parties en ont expressément fait la demande.
A l’audience, le conseiller rapporteur a la parole le premier. Il lit son rapport mais sans faire connaître son avis. Plaident ensuite, le cas échéant, l’avocat du demandeur puis celui du défendeur ; ceux-ci ne peuvent présenter aucun moyen nouveau. L’avocat général a la parole en dernier ; il présente ses réquisitions, lesquelles sont purement juridiques et peuvent avoir trait à la prise d’un moyen d’office (article 602 du code de procédure pénale ; « Pourvoi en cassation », article précité). Il semble que, lorsqu’il s’agit d’une affaire plaidée, l’usage permet aux parties de répliquer auxdites réquisitions, oralement ou par une note en délibéré (voir les allocutions de MM. Jéol et Burgelin précitées).
5.Le délibéré et l’adoption de l’arrêt
80. L’audience publique suspendue, la formation de jugement délibère en chambre du conseil. Le rapporteur donne son avis ; les conseillers et le président s’expriment ensuite. Après le vote sur l’adoption des conclusions dudit rapport, il est procédé à l’examen du projet d’arrêt dont chaque conseiller a reçu une copie huit jours à l’avance (article 603 du code de procédure pénale ; voir aussi « Pourvoi en cassation », article précité).
L’avocat général assiste habituellement aux délibérations. A cet égard, dans son allocution précitée du 10 janvier 1997, M. Burgelin précise : « La pratique sur ce point est bien établie. S’il s’agit d’une affaire importante qui a été plaidée par les avocats de la cause, ce qui arrive exceptionnellement, l’avocat général quitte la salle d’audience avec les parties et le public afin de manifester avec force que les juges délibèrent seuls. S’il s’agit d’une affaire ordinaire, l’avocat général reste le plus souvent à son siège mais ne participe pas à la discussion. Sa présence résulte de nécessités purement pratiques, compte tenu du nombre souvent élevé d’affaires retenues par audience et n’a aucune signification particulière » (voir aussi le discours précité de M. Jéol).
81. L’arrêt adopté est ensuite mis en forme et prononcé en audience publique, le plus souvent dès après le délibéré.
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
82. M. Slimane-Kaïd a saisi la Commission le 7 septembre 1993. Il plaidait sur le terrain de l’article 5 § 2 de la Convention ne pas avoir été informé dans les plus courts délais des raisons de son arrestation et de toutes les accusations portées contre lui, et soutenait avoir fait l’objet d’une détention provisoire d’une durée excessive au regard des exigences de l’article 5 § 3. Il alléguait aussi une violation de l’article 6 § 3 d) résultant du fait qu’il ne fut ni présent lors des auditions des témoins ni confronté aux témoins à charge et faisait état de vices de procédure au stade de l’instruction de son affaire, de nature à affecter le droit à un procès équitable que garantit l’article 6 § 1. Il estimait par ailleurs ne pas avoir été jugé par un tribunal indépendant et impartial, en méconnaissance de l’article 6 §§ 1 et 3 b). Enfin, il se plaignait de ce que sa cause n’avait pas été entendue dans le délai raisonnable qu’exige l’article 6 § 1 et, sur le terrain de l’article 6 §§ 1 et 3 b), de n’avoir pas disposé des facilités nécessaires à la préparation de sa défense devant la Cour de cassation dans la mesure où le rapport du conseiller rapporteur et les conclusions de l’avocat général ne furent pas mis à sa disposition et où il ne put y répondre.
83. Dans sa requête du 11 septembre 1993, Mme Reinhardt formulait aussi ces deux derniers griefs. Elle alléguait en outre qu’elle n’avait ni été entendue par un tribunal indépendant et impartial dans le respect de l’égalité des armes au sens de l’article 6 § 1 de la Convention ni, en méconnaissance de l’article 6 § 3 b), disposé des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Elle ajoutait enfin que le fait qu’elle ne fut ni confrontée aux témoins à charge ni présente lors des auditions des témoins révélait une violation de l’article 6 § 3 d).
84. Le 22 janvier 1996, la Commission a retenu la requête de Mme Reinhardt (n° 22921/93) et celle de M. Slimane-Kaïd (n° 23043/93) en tant qu’elles visaient la durée respective des procédures litigieuses et l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions de l’avocat général aux requérants ; elle les a déclarées irrecevables pour le surplus. Dans ses deux rapports du 26 novembre 1996 (article 31), elle exprime l’opinion unanime qu’il y a eu violation de l’article 6 quant aux deux griefs susmentionnés. Le texte intégral de ses avis figure en annexe au présent arrêt[4].
CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR
85. Dans son mémoire, M. Slimane-Kaïd demande à la Cour de
« constater que l’Etat français a manqué à ses obligations découlant [des articles 5 et 6 de la Convention] et tenant à la durée de [sa] détention provisoire (…) ; au fait qu’il n’a pas été informé dans le plus court délai des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre lui ; au fait qu’il n’a pas bénéficié, dès l’instruction, des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; au fait que la procédure d’instruction a été viciée ; au fait que les juridictions de jugement n’ont été ni impartiales ni indépendantes ; au fait que la procédure suivie devant la Cour de cassation n’a pas été équitable ; au fait qu’il a été jugé bien avant le jour de l’évocation de sa cause par la chambre criminelle de la Cour de cassation ; au fait qu’il a été jugé par un autre président que celui qui présidait effectivement la chambre criminelle de la Cour de cassation à la date du 15 mars 1993 ; au fait qu’il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable ; au fait qu’il a été condamné à cinq ans de détention dont trois avec sursis et à une interdiction d’exercer une profession commerciale pendant dix ans, soit jusqu’à l’âge de soixante-deux ans ; au fait que la mystérieuse disparition des documents saisis rend impossible toute demande de révision du procès. »
86. Dans son mémoire, Mme Reinhardt invite la Cour à
« constater que l’Etat français a manqué à ses obligations découlant [de l’article 6 de la Convention] et tenant au fait qu’elle n’a pas été informée dans le plus court délai des raisons de toute accusation portée contre elle, puisque ce n’est que plus d’un an après son inculpation qu’elle a appris leurs motivations ; au fait qu’elle n’a pas bénéficié, dès l’instruction, des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; au fait que la procédure d’instruction a été viciée ; au fait que les juridictions de jugement n’ont été ni impartiales ni indépendantes ; au fait que la procédure suivie devant la Cour de cassation n’a pas été équitable ; au fait qu’elle a été jugée bien avant le jour de l’évocation de sa cause par la chambre criminelle de la Cour de cassation ; au fait qu’elle a été jugée par un autre président que celui qui a effectivement présidé la chambre criminelle de la Cour de cassation à la date du 15 mars 1993 ; au fait qu’elle n’a pas été jugée dans un délai raisonnable ; au fait que la mystérieuse disparition des documents saisis rend impossible toute demande de révision du procès. »
87. Quant au Gouvernement, il prie la Cour de
« bien vouloir rejeter [les] requête[s] (…) pour défaut manifeste de fondement, en [leurs] grief[s] tirés de l’article 6 § 1 de la Convention. »
EN DROIT
I. SUR L’OBJET DU LITIGE
88. Parmi les griefs présentement soulevés par Mme Reinhardt et M. Slimane-Kaïd (paragraphes 85 et 86 ci-dessus), seuls ont été retenus par la Commission ceux tirés de l’article 6 et relatifs à la durée de la procédure prise dans son ensemble et au caractère inéquitable de la procédure en cassation en raison de la transmission du rapport du conseiller rapporteur à l’avocat général et de l’absence de communication aux requérants des conclusions de ce dernier (paragraphe 84 ci-dessus). Or l’objet du litige dont la Cour est saisie se trouve délimité par la décision de la Commission sur la recevabilité (voir, par exemple, l’arrêt Van Orshoven c. Belgique du 25 juin 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, p. 1049, § 33). Il s’ensuit que les deux griefs susmentionnés forment l’unique objet du présent litige.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
89. Les requérants affirment ne pas avoir été jugés « dans un délai raisonnable » et tiennent pour inéquitable la procédure devant la Cour de cassation. Ils invoquent l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation pénale dirigée contre elle (…)
(…)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(…)
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
(…) »
Sur la durée de la procédure
La période à considérer
90. Nul ne conteste que la période à considérer à l’égard des deux requérants s’achève le 15 mars 1993, date de l’arrêt de la Cour de cassation (paragraphe 69 ci-dessus). En revanche, le point de départ de ladite période fait l’objet d’une discussion.
91. M. Slimane-Kaïd estime que la procédure a débuté dès le jour où le service régional de police judiciaire (SRPJ) de Versailles a demandé au tribunal de commerce de Chartres de lui fournir certains renseignements sur la société SERVEC, soit le 21 juillet 1984. Quant à Mme Reinhardt, elle soutient que la période à considérer en ce qui la concerne a débuté le 16 octobre 1984, jour de sa première garde à vue et de la perquisition de son domicile.
92. Le Gouvernement et la Commission retiennent le 2 octobre 1984, date à laquelle M. Slimane-Kaïd fut placé en garde à vue, et le 7 février 1985, date de l’inculpation de Mme Reinhardt.
93. La Cour rappelle qu’en matière pénale, le « délai raisonnable » de l’article 6 § 1 débute dès l’instant où une personne se trouve « accusée ». Il peut s’agir d’une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement, celle notamment de l’arrestation, de l’inculpation et de l’ouverture des enquêtes préliminaires. L’« accusation », au sens de l’article 6 § 1, peut alors se définir « comme la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale », idée qui correspond aussi à la notion de « répercussion importante sur la situation » du suspect (voir notamment l’arrêt Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982 , série A n° 51, p. 33, § 73).
La Cour constate que M. Slimane-Kaïd ne fut pas mis en cause avant la garde à vue à l’issue de laquelle il fut inculpé d’abus de confiance et délivrance de documents administratifs à l’aide de faux renseignements, certificats et attestations (paragraphes 12–13 ci-dessus). A son égard, la période à considérer a donc débuté le 2 octobre 1984 et la procédure a duré huit ans, cinq mois et presque deux semaines.
Quant à Mme Reinhardt, la garde à vue dont elle fit l’objet le 16 octobre 1984 s’inscrit dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte non contre elle mais contre M. Slimane-Kaïd. En outre, le domicile de l’intéressée étant le siège social d’une des sociétés dont M. Slimane-Kaïd assurait la gérance, il est vraisemblable que la perquisition qui y fut pratiquée le même jour visait à recueillir des preuves des faits dont ce dernier était soupçonné.
Aucune de ces deux mesures ne s’analyse donc en une « notification officielle » faite à la requérante du « reproche » d’avoir accompli une quelconque infraction pénale. En ce qui la concerne, la date à retenir est, au plus tard, le 6 février 1985, début de la garde à vue à l’issue de laquelle elle fut inculpée ; la procédure a en conséquence duré huit ans, un mois et un peu plus d’une semaine.
Le caractère raisonnable de la durée de la procédure
94. Mme Reinhardt et M. Slimane-Kaïd affirment que leurs causes ne présentaient aucune complexité particulière et que la lenteur de la procédure est exclusivement imputable aux juridictions d’instruction et de jugement qui, malgré les interventions de leurs avocats, seraient restées inactives.
95. Le Gouvernement met l’accent sur la complexité « en fait » de l’affaire, laquelle concernerait deux informations distinctes relatives à maintes infractions de nature économique et financière commises dans le cadre de sociétés aux intérêts imbriqués. Ce ne serait ainsi qu’au fur et à mesure de leurs investigations que les enquêteurs auraient été à même d’en découvrir les circonstances.
Par ailleurs, il conteste la réalité de certaines des périodes de latence relevées par la Commission au stade de l’information, celles-ci correspondant en vérité à l’exécution de mesures d’investigation et donc à une activité soutenue du juge d’instruction. S’il reconnaît néanmoins que la procédure d’instruction connut des « ralentissements », le Gouvernement précise que ceux-ci doivent être appréciés à l’aune de la complexité de l’affaire, du comportement des requérants et de la relative célérité avec laquelle les juridictions de jugement ont ensuite tranché l’affaire.
L’attitude de M. Slimane-Kaïd ne serait en effet pas exempte de reproches dans la mesure où l’intéressé et ses avocats auraient alourdi le travail du juge d’instruction en ne coordonnant pas leurs interventions, en produisant un nombre important de pièces et en sollicitant diverses mesures d’investigation. Quant à Mme Reinhardt, elle n’aurait pas requis la disjonction de sa cause de celle de M. Slimane-Kaïd et aurait causé un certain ralentissement en ne se rendant pas à une convocation du juge d’instruction. Enfin, les requérants auraient tous deux utilisé toutes les voies de recours que leur ouvrait le droit français.
Bref, l’article 6 § 1 n’aurait pas été méconnu.
96. Selon la Commission, la durée de la procédure ne résulte ni de la seule complexité de l’affaire ni du comportement des requérants, mais essentiellement de la manière dont l’instruction fut conduite. A ce dernier titre, l’interdépendance des accusations portées contre les requérants et des poursuites dirigées contre eux justifiait que les autorités examinent les causes de ceux-ci dans le cadre d’une seule et même procédure. Il y aurait néanmoins plusieurs délais qui, cumulés, auraient provoqué un retard d’environ deux ans et demi et pour lesquels le Gouvernement n’aurait fourni
aucune explication convaincante. La Commission se prononce donc en faveur du constat d’une violation de l’article 6 § 1.
97. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, par exemple, l’arrêt Kemmache c. France (nos 1 et 2) du 27 novembre 1991, série A n° 218, p. 27, § 60).
98. A l’origine de la présente espèce se trouvent les déclarations faites par le responsable de la société IVECO au service régional de police judiciaire (SRPJ) de Versailles, lesquelles mettaient en cause la S.A. PROVEX. Une enquête fut menée et une information ouverte contre personne non dénommée pour abus de confiance et délivrance de documents administratifs à l’aide de faux renseignements, certificats et attestations au cours de laquelle M. Slimane-Kaïd fut inculpé de ces chefs ; ce n’est qu’au fil du progrès des investigations et à la suite d’une seconde plainte contre X déposée par la société VPL que les tenants et les aboutissants de l’affaire
– laquelle a pour toile de fond la gestion des S.A. PROVEX et SERVEC et de la S.A.R.L. URKA ainsi que les relations entre celles-ci et les sociétés IVECO et VPL – furent établis. C’est graduellement que la lumière fut faite sur les nombreuses infractions en cause. Toutefois, si les circonstances susdécrites témoignent de la complexité de la tâche des autorités chargées des investigations, elles ne sauraient justifier à elles seules les cinq années que dura l’information.
99. S’agissant du comportement des requérants, la Cour relève que M. Slimane-Kaïd et ses avocats adressèrent diverses demandes et pièces aux juges d’instruction successifs sans qu’apparemment ils aient coordonné leurs interventions. Cela ne fut pas de nature à simplifier la tâche desdits juges et à accélérer la procédure. Toutefois, l’intéressé et ses conseils n’intervinrent de la sorte et répétitivement qu’à partir de 1988, alors que l’information durait déjà depuis plus de trois ans (paragraphes 42 et suivants ci-dessus), et il ne ressort pas du dossier que des retards notables aient ainsi été provoqués. On ne saurait d’ailleurs en principe reprocher à une personne mise en cause pénalement de produire devant les magistrats chargés de l’instruction de son dossier les éléments qu’elle juge de nature à la disculper ni de réclamer de ceux-ci qu’ils procèdent à certaines investigations.
Quant à Mme Reinhardt, elle ne se rendit pas, le 4 décembre 1985, à la convocation du juge d’instruction et ne fut en conséquence entendue que le 11 février 1986 (paragraphe 29 ci-dessus), mais le retard ainsi provoqué est minime au regard de la durée globale de la procédure.
Enfin, le fait que les requérants ont utilisé toutes les voies de recours que leur ouvrait le droit français a certes prolongé la procédure mais il ne saurait être retenu à la leur charge.
100. L’attitude des juridictions de jugement ne porte pas à critique puisque l’arrêt de la Cour de cassation fut prononcé le 15 mars 1993 (paragraphe 69 ci-dessus), soit trois ans et trois mois après le renvoi devant le tribunal correctionnel (paragraphe 59 ci-dessus).
Il en va différemment de celle des autorités impliquées dans l’information. Ainsi, la commission rogatoire délivrée le 7 février 1985 par le juge Candau au directeur du SRPJ de Versailles aux fins de continuer l’enquête ne fut-elle retournée que le 31 mai 1985 et ledit juge resta passif jusqu’au 4 décembre 1985 (paragraphes 28–29 ci-dessus) ; le procureur de la République ne donna suite à l’ordonnance de soit-communiqué du 25 mars 1986 que le 21 juillet suivant (paragraphes 30 et 32 ci-dessus) et, à l’exception de l’audition le 5 février 1987 du représentant de la société VPL, aucune mesure d’instruction ne fut prise entre le 29 septembre 1986 (date du réquisitoire contre X consécutif à la plainte déposée quatre jours plus tôt par la société VPL) et le 11 juin 1987 (date d’un interrogatoire de M. Slimane-Kaïd ; paragraphes 34–37 ci-dessus) ; la commission rogatoire délivrée le 7 octobre 1987 au SRPJ de Versailles ne fut retournée que le 25 avril 1988 et, sauf la désignation d’un expert le 28 octobre 1987 aux fins d’examiner les signatures apposées au bas des certificats de vente litigieux, le juge d’instruction resta inactif durant cette période et jusqu’au 25 mai 1988 ; par ailleurs, déposé le 31 décembre 1987, le rapport d’expertise ne fut notifié à la partie civile que le 29 avril 1988 (paragraphes 40–45 ci-dessus) ; enfin, à l’exception de la confrontation de M. Slimane-Kaïd au représentant de la société VPL, le 5 décembre 1988, aucune mesure d’instruction ne fut prise entre le 29 juin 1988 (date d’un interrogatoire de M. Slimane-Kaïd) et le 16 mars 1989 (date de la commission rogatoire délivrée au commissaire de police de Chartres ; paragraphes 47–51 ci-dessus).
En conséquence, bien que consciente des difficultés qu’ont pu rencontrer les enquêteurs, la Cour estime que la longueur de la procédure résulte pour l’essentiel d’un manque de céléritédans la conduite de l’information. Elle conclut ainsi, sans qu’il soit nécessaire de trancher la question de savoir s’il peut être reproché aux autorités de ne pas avoir disjoint la cause de Mme Reinhardt de celle de M. Slimane-Kaïd, qu’il y a eu, à l’égard des deux requérants, dépassement du « délai raisonnable » et donc violation de l’article 6 § 1.
Sur le caractère équitable de la procédure en cassation
101. Les requérants soutiennent que leurs causes n’ont pas été entendues équitablement par la Cour de cassation.
D’une part, ni eux-mêmes ni leurs conseils n’auraient reçu communication avant l’audience du rapport du conseiller rapporteur alors que ce document aurait été fourni à l’avocat général. La pratique invoquée par le Gouvernement – qui n’existait d’ailleurs pas à l’époque des faits – et selon laquelle le rôle diffusé huit jours avant l’audience à l’ordre des avocats aux Conseils mentionne le sens dudit rapport, ne permettrait aux parties que de savoir si le conseiller rapporteur recommande la cassation totale ou partielle, ou au contraire l’inadmissibilité ou le rejet du pourvoi ; elle ne serait donc pas de nature à remédier à une telle méconnaissance du principe du contradictoire.
D’autre part, ils n’auraient pas eu la possibilité de répliquer aux conclusions de l’avocat général. Or celui-ci représenterait la société devant la Cour de cassation de telle sorte que le principe susmentionné exigerait que la partie adverse puisse lui répliquer. A cet égard, ils reconnaissent que les avocats aux Conseils ont désormais la faculté, à l’audience, de répondre auxdites conclusions, mais précisent que la procédure est néanmoins « figée » par les écrits et que les plaidoiries devant la chambre criminelle sont fort rares.
102. Le Gouvernement rétorque que l’avocat général à la Cour de cassation n’est pas chargé des poursuites ; il exprimerait en toute indépendance son point de vue sur l’interprétation et l’application de la loi. Aucune question de « rupture d’égalité » entre celui-ci et le demandeur ne pourrait se poser puisque le magistrat ne serait pas « partie » au procès.
En tout état de cause, le rapport du conseiller rapporteur émanerait de l’un des membres de la formation de jugement et relèverait en conséquence du secret du délibéré, si bien que le principe du contradictoire n’exigerait pas qu’il soit communiqué aux parties. Celles-ci auraient d’ailleurs la faculté de prendre connaissance du volet dudit rapport relatif aux faits de la cause et aux moyens de cassation à l’occasion de sa lecture à l’audience. Quant à l’avis proprement dit, il ferait, dans sa substance, l’objet d’une inscription au rôle diffusé à l’ordre des avocats aux Conseils.
Une pratique constante voudrait en outre qu’avant l’audience les avocats présents en la cause soient informés du sens des conclusions de l’avocat général – lesquelles ne seraient généralement pas rédigées – et il serait admis que ceux-ci déposent ensuite une « note complémentaire » à leur mémoire initial.
Les conseils des requérants auraient donc été mis à même d’apprécier l’opportunité de plaider l’affaire devant la chambre criminelle, et les conséquences de leur choix de ne pas le faire ne sauraient être imputées aux autorités judiciaires. Il leur suffisait d’en demander l’autorisation au président de ladite chambre qui, conformément à l’usage, aurait répondu positivement. Ils auraient alors eu la parole en dernier, après le conseiller rapporteur et l’avocat général. Eu égard à la nature des conclusions de ce dernier et à la haute spécialisation des avocats aux Conseils ainsi qu’à la possibilité offerte à ceux-ci de déposer une note en délibéré, cela eût assuré le respect du principe du contradictoire.
103. Selon la Commission, l’opinion du ministère public près la Cour de cassation ne saurait passer pour neutre du point de vue des parties à l’instance : en recommandant l’admission ou le rejet du pourvoi d’un accusé, le magistrat du ministère public en devient l’allié ou l’adversaire objectif. La question du respect des principes de l’égalité des armes et du contradictoire serait donc pertinente en l’espèce.
La notification à l’avocat général du dossier du conseiller rapporteur contenant le rapport ainsi que le ou les projets d’arrêt alors que les requérants ne pouvaient être informés que du sens dudit rapport s’analyserait en une rupture de l’égalité des armes entre les seconds et le premier. L’absence de communication à Mme Reinhardt et M. Slimane-Kaïd des conclusions de l’avocat général aurait accentué ce déséquilibre. Le droit à une procédure contradictoire impliquerait en principe « la faculté pour les parties aux procès, pénal ou civil, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision et de la discuter » (rapport, paragraphe 31). Les parties devraient en outre avoir une « possibilité véritable » (ibidem) de commenter celles-ci. Or en l’espèce, s’ils avaient été présents à l’audience, les conseils des requérants n’auraient pu répliquer qu’ex abruptoauxdites conclusions. L’article 6 aurait donc été méconnu.
104. La Cour entend rechercher si, considérée dans sa globalité, la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation revêtit en l’espèce un caractère « équitable » au sens de l’article 6 § 1.
105. Il n’est pas contesté que bien avant l’audience, l’avocat général reçut communication du rapport du conseiller rapporteur et du projet d’arrêt préparé par celui-ci. Le Gouvernement l’indique lui-même, ledit rapport se compose de deux volets : le premier contient un exposé des faits, de la procédure et des moyens de cassation, et le second, une analyse juridique de l’affaire et un avis sur le mérite du pourvoi.
Ces documents ne furent pas transmis aux requérants ou à leurs conseils. De nos jours, une mention au rôle diffusé à l’ordre des avocats aux Conseils une semaine avant l’audience informe les avocats des parties du sens dudit avis (irrecevabilité du pourvoi, rejet, ou cassation totale ou partielle ; paragraphe 73 ci-dessus).
Les avocats de Mme Reinhardt et de M. Slimane-Kaïd auraient pu plaider l’affaire s’ils en avaient manifesté la volonté ; à l’audience, ils auraient eu la parole après le conseiller rapporteur, ce qui leur eût permis d’entendre le premier volet du rapport litigieux et de le commenter. Le deuxième volet de celui-ci ainsi que le projet d’arrêt – légitimement couverts par le secret du délibéré – restaient en tout état de cause confidentiels à leur égard ; dans le meilleur des cas, ils ne purent ainsi connaître que le sens de l’avis du conseiller rapporteur quelques jours avant l’audience.
En revanche, c’est l’intégralité dudit rapport ainsi que le projet d’arrêt qui furent communiqués à l’avocat général. Or celui-ci n’est pas membre de la formation de jugement. Il a pour mission de veiller à ce que la loi soit correctement appliquée lorsqu’elle est claire, et correctement interprétée lorsqu’elle est ambiguë. Il « conseille » les juges quant à la solution à adopter dans chaque espèce et, avec l’autorité que lui confèrent ses fonctions, peut influencer leur décision dans un sens soit favorable, soit contraire à la thèse des demandeurs (paragraphes 74 et 75 ci-dessus).
Etant donné l’importance du rapport du conseiller rapporteur, principalement du second volet de celui-ci, le rôle de l’avocat général et les conséquences de l’issue de la procédure pour MmeReinhardt et M. Slimane-Kaïd, le déséquilibre ainsi créé, faute d’une communication identique du rapport aux conseils des requérants, ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable.
106. L’absence de communication des conclusions de l’avocat général aux requérants est pareillement sujette à caution.
De nos jours, certes, l’avocat général informe avant le jour de l’audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l’affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (paragraphe 79 ci-dessus). Eu égard au fait que seules des questions de pur droit sont discutées devant la Cour de cassation et que les parties y
sont représentées par des avocats hautement spécialisés, une telle pratique est de nature à offrir à celles-ci la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes. Il n’est toutefois pas avéré qu’elle existât à l’époque des faits de la cause.
107. Partant, eu égard aux circonstances susdécrites, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
III.SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 DE LA CONVENTION
108. Aux termes de l’article 50 de la Convention,
« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »
Dommages
109. M. Slimane-Kaïd demande 6 000 000 de francs français (FRF) en réparation d’un préjudice moral et des seize mois de détention qu’il a subis. Il soutient par ailleurs que la cessation d’activité des sociétés qu’il dirigeait – les S.A. SERVEC et PROVEX et la S.A.R.L. URKA – est une conséquence de sa détention provisoire et que leur dépôt de bilan lui fut imposé par les autorités judiciaires ; il sollicite le paiement d’un « minimum » de 41 923 576 FRF correspondant à des pertes de salaires et de dividendes et à des capitaux investis dans lesdites sociétés.
Mme Reinhardt invite la Cour à lui allouer 1 000 000 FRF pour préjudice moral. Elle réclame en outre un « minimum » de 6 720 000 FRF destiné à couvrir les salaires et dividendes dont elle aurait été privée du fait de la cessation d’activité de la S.A.R.L. URKA ainsi que la perte consécutive du fonds de commerce et de ses droits de retraite.
110. Selon le Gouvernement, les requérants ne fournissent pas d’éléments de nature à justifier les sommes « exorbitantes » dont ils sollicitent le versement ; seuls les préjudices occasionnés par les violations constatées seraient susceptibles d’êtres réparés. En outre, dans des affaires similaires, la Cour aurait estimé que le constat de violation de la Convention constituait une satisfaction équitable suffisante.
111. Le délégué de la Commission ne se prononce pas.
112. La Cour ne voit aucun lien de causalité entre les préjudices matériels invoqués par les requérants et l’atteinte à leur droit à un procès équitable ou le dépassement du « délai raisonnable ». Quant au dommage moral dont les intéressés font état, il se trouve suffisamment compensé par les conclusions figurant aux paragraphes 100 et 107 ci-dessus.
B.Frais et dépens
113. Les requérants sollicitent chacun le remboursement de leurs frais et dépens.
114. Le Gouvernement et le délégué de la Commission ne formulent aucune observation.
115. La Cour constate que les requérants ne chiffrent ni ne détaillent leurs demandes. En conséquence, elle rejette celles-ci.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce que la cause des requérants n’a pas été entendue dans un délai raisonnable ;
Dit, par dix-neuf voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce que la cause des requérants n’a pas été entendue équitablement par la Cour de cassation ;
Dit, par vingt voix contre une, que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante quant au dommage moral allégué ;
4.Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 31 mars 1998.
Signé : Rudolf Bernhardt
Président
Signé : Herbert Petzold
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 de la Convention et 53 § 2 du règlement A, l’exposé des opinions séparées suivantes :
–opinion concordante de M. Pettiti ;
–opinion partiellement dissidente de M. Thόr Vilhjálmsson ;
–opinion partiellement dissidente de M. De Meyer ;
–opinion partiellement dissidente de M. Foighel.
Paraphé : R. B.
Paraphé : H. P.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE PETTITI
Le vote a été unanime pour la première partie (durée de la procédure). Pour mieux situer la place de la deuxième partie de l’arrêt dans la jurisprudence de la Cour, je crois utile de rappeler que les requérants soutenaient que la non-communication de la totalité du rapport du conseiller rapporteur à leurs conseils constituait une méconnaissance du principe du contradictoire et que l’impossibilité pour les requérants ou leurs conseils de répliquer aux conclusions de l’avocat général était contraire au principe de l’égalité des armes.
La présence au délibéré de l’avocat général était également critiquée.
Dans sa décision, la Cour procède à un examen global de la procédure (paragraphe 104 de l’arrêt). Elle retient principalement l’atteinte au principe d’équité au sujet du rapport du conseiller rapporteur dans la mesure où celui-ci communique le texte à l’avocat général sans le communiquer aux conseils.
La Cour utilise, au paragraphe 105 de l’arrêt, la formule « à l’identique » en distinguant les deux volets du rapport. La partie « projet d’arrêt » garde sa confidentialité si elle est destinée seulement à la chambre. Le premier volet, qui contient un exposé des faits et des moyens, s’il est communiqué à l’avocat général, devrait l’être aussi aux conseils (suivant l’interprétation du paragraphe 106 de l’arrêt), ce qui n’avait pas été le cas dans l’affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd, pour laquelle il n’y avait pas eu de plaidoiries à l’audience. La Cour, aux paragraphes 74 et 75 de l’arrêt, rappelle le statut particulier de l’avocat général à la Cour de cassation, non partie à la procédure (partie « jointe » à la procédure pénale) et ne recevant pas d’instructions pour l’accomplissement de ses fonctions.
L’arrêt de la Cour note les modifications intervenues dans la pratique appliquée par la Cour de cassation en ce qui concerne l’audience avec plaidoiries.
Le présent arrêt ne comporte pas les mêmes formules que celles retenues en particulier dans les affaires belges similaires (celles dans lesquelles la Cour a constaté une violation) ; ainsi l’arrêt Borgers c. Belgique (affaire pénale) mentionnait-il des atteintes (apparentes ou alléguées) à l’indépendance et à l’impartialité, aux droits de la défense, à l’égalité des armes (paragraphes 24, 28 et 29). Mais cette affaire présentait des différences par rapport à l’affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd.
L’arrêt Vermeulen c. Belgique (affaire civile) retenait l’impossibilité pour le requérant de répondre aux conclusions de l’avocat général avant la clôture de l’audience (atteinte au respect du contradictoire ; paragraphe 33). Dans notre opinion dissidente, M. Gölcüklü, M. Matscher et moi-même avions notamment considéré qu’il n’y avait pas lieu de voir dans l’avocat général un adversaire de l’une ou l’autre partie.
Dans l’arrêt Van Orshoven c. Belgique (procédure civile concernant l’ordre des médecins), la Cour retient aussi l’impossibilité de répondre avant la clôture (sans viser la théorie de l’apparence et sans reprendre la formulation du paragraphe 37 de l’arrêt Vermeulen). Dans nos opinions séparées, M. Storme et moi-même relevions les spécificités du parquet près la Cour de cassation de Belgique.
La comparaison des arrêts apporte donc un éclairage complémentaire. En tout cas, la Cour n’a pas rapproché le rôle de l’avocat général près la Cour de cassation de celui de l’avocat général près la Cour de justice des Communautés européennes.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
(Traduction)
Je souscris à l’arrêt en l’espèce pour autant qu’il constate une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du dépassement du délai raisonnable.
J’estime en revanche qu’il n’y a pas eu violation de cet article quant à l’équité de l’audience.
La procédure suivie devant la chambre criminelle de la Cour de cassation française est spécifique. Selon moi, dans leur ensemble les règles appliquées et, en particulier, le rôle qu’assument le juge rapporteur et l’avocat général contribue à ce que les affaires soient examinées et les arrêts préparés de manière approfondie et équitable pour les défendeurs. Certes, seuls les points essentiels du rapport et des réquisitions du juge rapporteur sont communiqués aux conseils des défendeurs. Cette communication distingue néanmoins la présente affaire de causes antérieures ayant trait au rôle des avocats généraux tel que d’autres arrêts de notre Cour l’ont décrit. A mon sens, les informations ainsi fournies avant l’audience sont suffisantes. En l’occurrence, les conseils des défendeurs avaient la possibilité de demander une audience contradictoire et de s’y préparer. Ils y auraient eu le loisir de rétorquer aux réquisitions de l’avocat général, qui n’aurait pas assisté aux délibérations ultérieures. Sa présence au délibéré lorsqu’il n’y a pas d’audience ne risque pas de nuire au défendeur ni de donner une impression d’iniquité.
Les règles relatives à la procédure devant la Cour de cassation ont été élaborées au fil du temps. Je les trouve équilibrées, subtiles et dépourvues de partialité, même si elles ne sont pas vraiment familières aux avocats d’autres pays européens ayant des traditions et systèmes différents. J’ai aussi pour l’essentiel sur les questions juridiques qui se posent ici le même avis que dans mon opinion dissidente dans l’affaire Borgers.
J’appartiens donc à une minorité sur le point 2 du dispositif du présent arrêt.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE M. LE JUGE DE MEYER
I.Quant à la durée des procédures
En cette affaire il est certain que la durée des procédures a été excessive.
Elles ont, à mon avis, commencé dès qu’« une enquête fut menée et une information ouverte » quant aux faits dont il s’agissait[5], c’est-à-dire au plus tard le 1er août 1984, lorsque le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Chartres ordonna « l’ouverture d’une enquête préliminaire »[6] au sujet des activités des sociétés SERVEC et PROVEX[7], ce qui entraîna aussi, peu après, des investigations relatives à la société URKA[8].
C’est ce moment-là qu’il convenait de retenir comme point de départ des procédures, aussi bien en ce qui concerne Mme Reinhardt qu’en ce qui concerne M. Slimane-Kaïd, mis en garde à vue, lui le 2 octobre 1984[9], elle le 16 octobre 1984[10], l’un et l’autre dans le cadre de ces enquêtes.
La date de la « notification officielle, par l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale »[11] importe moins que celle de l’« ouverture des enquêtes préliminaires »[12], lorsque celle-ci est antérieure à celle-là, ce qui est normalement le cas et ce qui le fut aussi en l’espèce.
II.Quant au caractère équitable de la procédure en cassation
On ne m’a pas convaincu que le droit des requérants à un procès équitable ait été violé.
La Cour a toujours admis que, dans un système judiciaire tel que ceux qui existent en France et en Belgique, les membres du parquet de la Cour de cassation exercent leurs fonctions en toute indépendance, impartialité et objectivité et ne peuvent en aucune manière, sauf dans des cas exceptionnels, étrangers à la présente affaire, être considérés comme parties aux causes faisant l’objet d’un pourvoi[9].
Pourtant, depuis l’arrêt Borgers, elle a déjà plus d’une fois condamné leur présence au délibéré[10], ainsi que le fait qu’à l’audience ils ont la parole en dernier, sans communication préalable de leurs conclusions aux parties[11].
Cette fois-ci, elle désapprouve aussi le fait qu’ils reçoivent, en vue de l’audience, communication des rapports et projets d’arrêt des conseillers rapporteurs, sans que ces documents soient transmis aux parties[12].
Quel mal y a-t-il à tout cela ? En quoi cela porterait-il atteinte au caractère équitable du procès ? Les magistrats du parquet de la Cour de cassation ne sont-ils pas, aussi bien que ceux du siège, et notamment les conseillers rapporteurs, indépendants, impartiaux et objectifs, en droit et en fait ? Ne doivent-ils pas être présumés tels jusqu’à preuve du contraire[13] ?
A-t-on pu prétendre ou a-t-on quelque raison de penser qu’en l’espèce M. Culie, conseiller rapporteur, et M. Libouban, avocat général, auraient manqué d’indépendance ou auraient méconnu le devoir d’impartialité et d’objectivité inhérent à leurs fonctions[14] ? En tout cas, il n’a pas été démontré, ni même allégué, que les appréhensions qu’auraient pu avoir les intéressés à cet égard eussent pu « passer pour objectivement justifiées »[15].
Il est intéressant d’observer que la Cour se garde bien de répéter, dans le présent arrêt, certains mauvais arguments invoqués dans des arrêts antérieures et encore repris par la Commission dans cette affaire-ci[16].
Elle évite d’encore considérer la question sous l’angle des « exigences des droits de la défense et de l’égalité des armes »[17] ou du « droit à une procédure contradictoire »[18] et s’abstient pareillement d’invoquer le « rôle des apparences dans l’appréciation de leur respect »[19]. Elle ne laisse donc plus entendre que lesdites exigences puissent être applicables aux rapports entre le parquet de cassation et les parties ou que les apparences puissent avoir à jouer un rôle en la matière. Mais c’est au fond toujours sur la base d’apparences, qui ne peuvent tromper ceux qui savent de quoi il s’agit[20], qu’elle estime qu’il y a eu atteinte au droit des requérants à un procès équitable, alors qu’« en regardant au-delà des apparences », on « n’aperçoit aucune réalité contraire à ce droit »[21].
Elle ne redit pas davantage qu’« en recommandant l’admission ou le rejet du pourvoi d’un accusé », le magistrat du ministère public « en devient l’allié ou l’adversaire objectif »[22]. L’existence même de cette double possibilité démontre bien qu’il est neutre. Cette neutralité, il la perd aussi peu, lorsqu’il conclut dans un sens ou dans l’autre[23], que le conseiller rapporteur lorsqu’il formule son avis et que la Cour de cassation elle-même lorsqu’elle rend son arrêt. Pourrait-on dire qu’elle aussi deviendrait ainsi l’« allié objectif » de la partie « gagnante » et l’« adversaire objectif » de la partie « perdante » ?
En réalité, le conseiller rapporteur et l’avocat général ne peuvent pas être dissociés de la Cour elle-même. Le rapport et le projet d’arrêt de l’un et les conclusions de l’autre se situent en dehors et au-dessus du débat des parties : ce sont des éléments du processus d’élaboration de la décision, préparatoires au délibéré proprement dit. Le fait qu’ils se les communiquent mutuellement avant l’audience, sans en faire part aux parties, ne porte en aucune manière atteinte au caractère équitable de la procédure.
Cette situation est très différente de celle dans laquelle il s’agit d’observations d’une « autorité de poursuite », telle que, dans la présente affaire, le parquet du Tribunal correctionnel de Chartres et celui de la Cour d’appel de Versailles, ou telle que, dans l’affaire Bulut, le procureur général près la Cour suprême d’Autriche[24] : il est manifeste qu’on ne peut pas permettre à l’accusation de porter quoi que ce soit à la connaissance du tribunal à l’insu de la défense.
Par ailleurs, il ne s’agissait pas, en l’espèce, d’observations d’une juridiction inférieure ayant connu de l’affaire à un stade antérieur, comme celles qui avaient été transmises, dans l’affaire Nideröst-Huber, par le tribunal cantonal de Schwyz au Tribunal fédéral[25] : cela aussi ne peut être admissible que pour autant que les parties reçoivent communication de ces observations.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE M. LE JUGE FOIGHEL
(Traduction)
Je suis au regret de ne pouvoir souscrire à l’avis de la majorité selon lequel le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante quant au dommage moral allégué.
Au paragraphe 113, la majorité de la Cour n’explique pas pourquoi elle s’abstient d’ordonner au titre de l’article 50 une satisfaction équitable sous forme d’indemnisation financière.
On ne saurait raisonnablement affirmer que les requérants n’ont pas subi de préjudice moral.
En n’accordant aucune réparation financière, la Cour amoindrit la gravité des violations qu’elle constate et restreint son aptitude à assurer le respect de la Convention.
[1]. Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
[2]Notes du greffier
. Cette affaire a pour origine deux affaires distinctes portant respectivement les nos 21/1997/805/1008 et 22/1997/806/1009. Dans les deux affaires, les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
[3]. Le règlement A s’applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
[4]1. Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figureront que dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se les procurer auprès du greffe.
[5]. Paragraphe 98 de l’arrêt.
[6]. Paragraphe 20 du rapport de la Commission concernant le cas de M. Slimane-Kaïd. Selon le mémoire de celui-ci, une enquête avait déjà été entamée par le service régional de police judiciaire de Versailles le 21 juillet 1984 (voir p. 6, § 23, dudit mémoire).
[7]. Paragraphes 17 à 19 du rapport de la Commission concernant M. Slimane-Kaïd.
[8]. Paragraphes 17 à 19 du rapport de la Commission concernant le cas de Mme Reinhardt.
[9]. Paragraphes 13 et 92 de l’arrêt.
[10]. Paragraphes 19 et 91 de l’arrêt.
[11]. Paragraphe 93 de l’arrêt.
[12]. Ibidem. Voir aussi les arrêts Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A n° 35, p. 24, § 46, et Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 33, § 73.
[9]. Voir les arrêts Delcourt c. Belgique du 17 janvier 1970, série A n° 11, pp. 15–18, §§ 29–38, Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, série A n° 214-B, p. 31, § 24, Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, p. 233, § 30, et Van Orshoven c. Belgique du 25 juin 1997, Recueil 1997-III, p. 1051, § 38.
[10]. Voir les arrêts Borgers précité, p. 32, § 28, et Vermeulen précité, p. 234, § 34.
[11]. Voir les arrêts Borgers précité, p. 32, § 27, et Vermeulen précité, p. 234, § 33, et Van Orshoven précité, p. 1051, § 41, ainsi que les paragraphes 79 et 106 du présent arrêt.
[12]. Paragraphes 73 et 105 de l’arrêt.
[13]. Leur rôle n’est guère différent de celui des avocats généraux à la Cour de justice et au Tribunal de première instance des Communautés Européennes ni de celui des commissaires du gouvernement au Conseil d’Etat de France. Il ne faut surtout pas se laisser induire en erreur par les titres attachés à certaines fonctions : à cet égard, il n’est pas sans intérêt d’observer qu’au Tribunal de première instance des Communautés Européennes les fonctions d’avocat général sont exercées par des juges de celui-ci, désignés par le président.
[14]. Voir l’arrêt Delcourt précité, p. 19, § 38.
[15]15. Voir, mutatis mutandis, les arrêts Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A n° 154, p. 21, § 48, Padovani c. Italie du 26 février 1993, série A n° 257-B, p. 20, § 28, et Remli c. France du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, p. 574, § 46, ainsi que les arrêts Fey c. Autriche du 24 février 1993, série A n° 255-A, p. 12, § 30, et Nortier c. Pays-Bas du 24 août 1993, série A n° 267, p. 15, § 33.
[16]. Voir le paragraphe 103 de l’arrêt.
[17]. Arrêt Borgers précité, p. 32, §§ 26 et 29.
[18]. Arrêt Vermeulen précité, p. 234, § 33.
[19]. Arrêt Borgers précité, p. 32, § 29.
[20]. Faudra-t-il donc aussi dire qu’à Westminster il n’y a pas non plus de procès équitable à la Chambre des lords, parce que ses juges, les Law Lords, sont aussi législateurs et parce que leur président, le Lord Chancelier, est non seulement aussi président de cette Chambre, mais en même temps, de surcroît, membre du gouvernement de Sa Majesté?
[21]. Arrêt Delcourt précité, p. 17, § 31.
[22]. Arrêt Borgers précité, pp. 31–32, § 26.
[23]. Voir l’arrêt Delcourt précité, p. 18, § 33.
[24]. Arrêt Bulut c. Autriche du 22 février 1996, Recueil 1996-II, pp. 352 et 359 à 360, §§ 14 et 47 à 50.
[25]. Arrêt Nideröst-Huber c. Suisse du 18 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 105 et 108 à 109, §§ 10 et 24 à 32.