DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 5980/07
présentée par Abdullah ÖCALAN
contre la Turquie
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 6 juillet 2010 en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 19 janvier 2007,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, né en 1949, est actuellement détenu à la prison d’İmralı (Mudanya, Bursa, Turquie). Avant son arrestation, il était le chef du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), mouvement séparatiste armé.
Le requérant est représenté devant la Cour par Mes M. Muller, T. Otty et C. Vine, avocats à Londres, ainsi que par Mes İrfan Dündar, İbrahim Bilmez, Ömer Güneş et Faik Özgür Erol, avocats à Istanbul.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
A. Les circonstances de l’espèce
1. L’arrestation du requérant et le procès devant la cour de sûreté de l’Etat
Appréhendé le 15 février 1999 au Kenya et placé en garde à vue en Turquie le lendemain, le requérant fut mis en détention provisoire le 23 février 1999 par un juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara.
Par un acte d’accusation présenté le 24 avril 1999, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara reprocha à l’intéressé d’avoir mené des activités visant à provoquer la sécession d’une partie du territoire national. Il requit la peine capitale en vertu de l’article 125 du code pénal. Du 31 mai au 29 juin 1999, la cour de sûreté de l’Etat tint sur l’île d’İmralı huit audiences, auxquelles le requérant participa.
Devant les juges du fond, l’intéressé déclara, entre autres, qu’il réitérait les dépositions faites par lui devant le procureur et devant le juge assesseur. Dans ces dépositions, le requérant avait reconnu qu’il était le fondateur du PKK et son chef actuel. En sa qualité de fondateur et dirigeant du PKK, il avait été compétent en dernier ressort pour approuver les décisions prises au sein de cette organisation.
Au début, M. Öcalan et le PKK s’étaient assignés pour but la création d’un Etat kurde indépendant, mais, au fil du temps, ils avaient changé d’objectif et avaient recherché la participation des Kurdes au pouvoir. Au cours de la période 1973-1978, les activités du PKK s’étaient situées sur le plan politique. En 1977 et 1978, le PKK avait organisé des attaques armées contre les grands propriétaires terriens. A partir de 1979, après que le requérant fut passé au Liban, le PKK avait commencé à se préparer sur le plan paramilitaire. Depuis 1984, l’organisation menait une lutte armée à l’intérieur de la Turquie. Les responsables régionaux décidaient des attaques armées, dont le requérant confirmait les grandes lignes. M. Öcalan prenait par ailleurs les décisions stratégiques et tactiques pour l’ensemble de l’organisation. Les unités se chargeaient de l’exécution de ces décisions.
Le requérant reconnut aussi dans ses dépositions que l’évaluation par les autorités turques du nombre de morts et de blessés imputables aux agissements du PKK était proche de la réalité, que ce nombre pouvait même être plus élevé, et que les attaques avaient été perpétrées sur ses ordres et dans le cadre de la lutte armée menée par le PKK.
Le requérant confirma également devant les juges du fond qu’il était le plus haut responsable du PKK, qu’il dirigeait l’organisation et qu’il avait donné instruction aux membres de celle-ci de procéder à certains actes. Il déclara n’avoir fait l’objet ni de mauvais traitements ni d’insultes depuis son arrestation. Il se déclara aussi prêt à coopérer avec l’Etat turc afin de mettre un terme aux actes de violence liés au problème kurde et promit de faire cesser la lutte armée du PKK. Il affirma vouloir « œuvrer pour la paix et la fraternité et atteindre ce but au sein de la République turque ». Il précisa que si, dans un premier temps, il avait envisagé une lutte armée pour obtenir l’indépendance de la population d’origine kurde, c’était par réaction aux pressions politiquesexercées par le gouvernement sur cette population. Au vu de l’évolution de la situation, il avait changé de cap et limité ses revendications à une autonomie ou une reconnaissance des droits culturels des Kurdes au sein d’une société démocratique. Il déclara accepter la responsabilité politique pour la stratégie générale de son organisation, mais refuser la responsabilité pénale des actes de violence allant au-delà de la politique déclarée du PKK. Dans le but de mettre en évidence le rapprochement entre son organisation et le gouvernement, il sollicita l’audition, en tant que témoins à décharge, des responsables du gouvernement qui avaient mené des négociations avec le PKK. Cette demande ne fut pas accueillie par la cour de sûreté de l’Etat.
Le 8 juin 1999, le parquet présenta son réquisitoire (conclusions finales) et requit la condamnation du requérant à la peine capitale en vertu de l’article 125 du code pénal.
Le 18 juin 1999, la Grande Assemblée nationale de Turquie modifia l’article 143 de la Constitution et exclut les magistrats militaires (du siège comme du parquet) de la composition des cours de sûreté de l’Etat. Des modifications dans le même sens furent apportées le 22 juin 1999 à la loi sur les cours de sûreté de l’Etat. A l’audience du 23 juin 1999, le magistrat désigné pour remplacer le juge militaire siégea pour la première fois au sein de la cour de sûreté de l’Etat.
Le 23 juin 1999, les conseils du requérant exposèrent leurs moyens de défense quant au fond des accusations.
Le 29 juin 1999, la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara, après avoir entendu le requérant en dernier, le déclara coupable d’avoir mené des actions visant la sécession d’une partie du territoire de la Turquie et d’avoir formé et dirigé à cette fin une bande de terroristes armés, et elle le condamna à la peine capitale en application de l’article 125 du code pénal. Elle considéra que le requérant était le fondateur et le premier responsable de l’organisation illégale qu’était le PKK, lequel avait pour but la sécession d’une partie du territoire de la République de Turquie afin d’y former un Etat kurde doté d’un régime politique fondé sur l’idéologie marxiste-léniniste. La cour de sûreté de l’Etat jugea établi qu’à la suite de décisions prises par le requérant, et sur ses ordres et directives, le PKK avait procédé à plusieurs attaques armées, attentats à la bombe, sabotages et vols à main armée, et que, lors de ces actes de violence, des milliers de civils, de militaires, de policiers, de gardes de village et de fonctionnaires avaient trouvé la mort. Elle n’admit pas l’existence de circonstances atténuantes permettant de commuer la peine capitale en réclusion à perpétuité, compte tenu notamment du très grand nombre et de la gravité des actes de violence, qui avaient entraîné la mort de milliers de personnes, y compris des enfants, des femmes et des vieillards, et eu égard au danger important et imminent qu’avaient représenté ces actes pour le pays.
2. Le pourvoi en cassation
Le requérant forma un pourvoi en cassation contre la décision, laquelle, compte tenu de la gravité de la peine prononcée, fut également soumise d’office au contrôle de la Cour de cassation.
Par un arrêt adopté le 22 novembre 1999 et prononcé le 25 novembre 1999, la Cour de cassation confirma l’arrêt du 29 juin 1999 en toutes ses dispositions. Sur le fond, elle tint compte du fait que le requérant était le fondateur et le président du PKK. Elle se référa au but et à l’activité de cette organisation, qui visait la création d’un Etat kurde sur un territoire à faire céder par la Turquie à l’issue d’une lutte armée et qui, à cette fin, procédait à des attaques armées et à des sabotages contre les forces armées et les établissements industriels ou touristiques, dans le but d’affaiblir l’autorité de l’Etat. Le PKK avait également un front politique (ERNK) et un front armé (ARNK), qui fonctionnaient sous son contrôle. Ses principaux revenus étaient « l’impôt », « les amendes », les dons, les cotisations et l’argent provenant des vols à main armée et du trafic d’armes et de stupéfiants. Selon la Cour de cassation, le requérant dirigeait l’ensemble des trois formations. Dans les discours qu’il avait prononcés lors des conférences du parti, dans ses interventions audiovisuelles, dans ses instructions aux militants, M. Öcalan avait ordonné de recourir à des actes de violence, indiqué des tactiques de combat, prononcé des sanctions contre ceux qui ne respectaient pas ses consignes et incité la population civile à passer à l’acte. Les actes de violence perpétrés par le PKK de 1978 jusqu’à l’arrestation du requérant (soit au total 6 036 attaques armées, 3 071 attentats à la bombe, 388 vols à main armée et 1 046 enlèvements) avaient provoqué la mort de 4 472 civils, 3 874 militaires, 247 policiers et 1 225 gardes de village.
La Cour de cassation estima que le PKK, fondé et dirigé par le requérant, représentait un danger sérieux, grave et imminent pour l’intégrité du pays. Elle considéra que les faits reprochés à M. Öcalan correspondaient bien à ceux constituant l’infraction définie à l’article 125 du code pénal et qu’il n’était pas nécessaire, pour l’application de cette disposition, que le requérant, fondateur et président du PKK et instigateur des actes de violence commis par cette organisation, eût lui-même utilisé une arme.
3. Commutation de la peine capitale en réclusion à perpétuité
En octobre 2001, l’article 38 de la Constitution fut modifié dans le sens que la peine capitale ne pourrait plus être prononcée ni exécutée sauf en temps de guerre ou de danger imminent de guerre, ou en cas d’actes terroristes.
Par la loi no 4771 publiée le 9 août 2002, la Grande Assemblée nationale de Turquie décida, entre autres, d’abolir la peine de mort en temps de paix.
Par un arrêt du 3 octobre 2002, la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara commua la peine capitale imposée au requérant en réclusion à perpétuité. Elle constata que les infractions reprochées au requérant et réprimées par l’article 125 du code pénal avaient été commises en temps de paix et constituaient des actes de terrorisme.
4. Arrêt de la Cour
Par un arrêt définitif de la Grande Chambre rendu le 12 mai 2005 (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, CEDH 2005‑IV), la Cour considéra que certaines difficultés rencontrées dans le cadre de la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat avaient eu un effet global tellement restrictif sur les droits de la défense que le principe du procès équitable, énoncé à l’article 6, avait été enfreint. Ces difficultés étaient les suivantes : le requérant n’avait pas été assisté par ses avocats lors de son interrogatoire durant la garde à vue ; il n’avait pas pu communiquer avec eux hors de portée d’ouïe de tiers ; il avait été dans l’impossibilité d’accéder directement au dossier jusqu’à un stade très avancé de la procédure ; des restrictions avaient été imposées au nombre et à la durée des visites de ses avocats ; enfin, ceux-ci n’avaient eu un accès approprié au dossier que tardivement. La Cour conclut également au défaut d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat du fait de la présence d’un juge militaire durant une partie de la procédure.
Quant aux mesures d’exécution d’ordre individuel au titre de l’article 46 de la Convention, la Cour, au paragraphe 210 de son arrêt du 12 mai 2005, formula les considérations suivantes :
« (…), lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné par un tribunal qui ne remplissait pas les conditions d’indépendance et d’impartialité exigées par la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée. Cependant, les mesures de réparation spécifiques à prendre, le cas échéant, par un Etat défendeur pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 46 de la Convention dépendent nécessairement des circonstances particulières de la cause et doivent être définies à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire concernée, compte dûment tenu de la jurisprudence de la Cour [..]. »
5. Exécution de l’arrêt de la Cour au plan national
Le 2 janvier 2006, le requérant saisit la 11e cour d’assises d’Ankara d’un recours tendant à la réouverture de la procédure pénale à l’issue de laquelle il avait été condamné à la réclusion à perpétuité.
Le 27 mars 2006, à la suite de cette démarche du requérant, les représentants de ce dernier demandèrent à la 11e cour d’assises d’Ankara soit d’engager une nouvelle procédure en appliquant directement l’article 90 de la Constitution, soit d’ajourner le jugement jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle sur la compatibilité constitutionnelle de l’article 311 § 2 du code de procédure pénale, qui excluait la réouverture de la procédure ou la révision du procès, entre autres, dans des affaires présentées à la Cour européenne des droits de l’homme avant le 4 février 2003.
Le 28 mars 2006, le parquet d’Ankara présenta son avis à la cour d’assises d’Ankara et estima que le recours du requérant était irrecevable en vertu de l’article 311 § 2 du code de procédure pénale. Le 11 avril 2006, les avocats du requérant, dans leur réplique à l’avis du procureur, réitérèrent leurs demandes.
Par décision du 5 mai 2006, la 11e cour d’assises d’Ankara rejeta le recours du requérant en se basant sur les exceptions ratione temporis prévues par l’article 311 § 2 du code de procédure pénale.
Le 22 mai 2006, les avocats du requérant s’opposèrent à cette décision. La 11e cour d’assises d’Ankara envoya le dossier à la 14e cour d’assises d’Istanbul, l’instance compétente pourexaminer cette opposition conformément à l’article 268 du code de procédure pénale.
Le 21 juillet 2006, la cour d’assises d’Istanbul refusa de confirmer la décision de la cour d’assises d’Ankara rejetant le recours du requérant sur la base des exceptions ratione temporiscontenues dans l’article 311 § 2 du code de procédure pénale. Elle tint compte sur ce point du caractère contraignant de l’arrêt de la Cour et des obligations incombant à la Turquie en vertu de l’article 46 de la Convention. Elle estima que ces obligations prévalaient sur les dispositions des lois ordinaires et, en vertu de l’article 90 (modifié) de la Constitution, décida de ne pas appliquer dans la présente affaire lesdites exceptions ratione temporis.
Quant au fond, la cour d’assises d’Istanbul, après avoir examiné les arguments présentés par les conseils du requérant et l’ensemble du dossier qui contenait tant les pièces de la procédure pénale nationale que l’arrêt de la Cour du 12 mai 2005, estima qu’aucune mesure d’instruction ni audience supplémentaire n’était nécessaire afin de parvenir à une décision. Se référant à la nature de l’infraction ainsi qu’aux éléments à charge versés au dossier, y compris les aveux du requérant, la cour d’assises d’Istanbul estima qu’à supposer que les violations de l’article 6 de la Convention constatées par la Cour n’aient pas été commises la condamnation du requérant aurait eu lieu sur la base des mêmes dispositions du code pénal. Elle conclut que les thèses des conseils du requérant selon lesquelles l’issue de la procédure serait différente dans l’hypothèse précitée étaient dénuées de fondement. La cour d’assises d’Istanbul rejeta en conséquence la demande du requérant d’être rejugé dans le cadre d’un nouveau procès.
6. Le contrôle du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur l’exécution de l’arrêt du 12 mai 2005
Dans leurs observations du 2 octobre 2006 et du 29 janvier 2007, les conseils du requérant contestèrent devant le Comité des Ministres le fait que la procédure nationale concernant l’exécution de l’arrêt de la Cour n’avait pas abouti à une révision ou à une réouverture du procès pénal et demandèrent au Comité des Ministres, entre autres, d’ordonner au gouvernement défendeur d’assurer au requérant un nouveau procès.
Le 15 février 2007, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, après avoir examiné toutes les données de l’affaire, conclut que la Turquie avait rempli les obligations qui lui incombaient au titre de l’article 46 et décida de clore l’examen de l’exécution de l’arrêt de la Cour européenne rendu le 12 mai 2005. Les passages pertinents de sa résolution concernant l’affaire du requérant se lisent ainsi :
« Le Comité des Ministres (…)
Rappelant que dans cette affaire, la question des mesures d’ordre individuel a déjà été abordée dans l’arrêt de la Cour européenne (…) (voir § 210 de l’arrêt de la Grande Chambre dans cette affaire) ;
Rappelant également la pratique constante du Comité des Ministres et des Etats membres dans le cadre de l’exécution des arrêts de la Cour, telle que réaffirmée notamment dans la Recommandation du Comité Rec(2000)2 sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme et dans son exposé des motifs ainsi que dans de nombreuses résolutions adoptées par le Comité dans le cadre de sa surveillance de l’exécution ;
Considérant en particulier qu’un examen judiciaire initial de la nécessité d’un nouveau procès afin de remédier aux violations constatées peut s’imposer afin de tenir compte des circonstances particulières de chaque affaire, et qu’un tel examen initial n’est pas tenu de respecter toutes les exigences de l’article 6 de la Convention ;
Considérant de plus que :
le requérant a demandé la réouverture des procédures nationales incriminées par la Cour ;
le tribunal turc compétent a examiné le fond de la requête et a, ce faisant, refusé, à la lumière de l’article 90 de la Constitution et des obligations de la Turquie en vertu de l’article 46 de la Convention, d’appliquer à cette affaire les limitations temporelles contenues dans l’article 311/2 du Code de procédure pénale ;
le tribunal compétent a conclu, s’agissant de la question de savoir si un nouveau procès était requis pour remédier aux violations établies par la Cour, que tel n’était pas le cas dans la mesure où ni les observations déposées au nom du requérant par ses avocats, ni un réexamen complet du dossier, n’avaient jeté de doutes sérieux sur le bien-fondé de la culpabilité incriminée ;
Considérant également que la peine de mort prononcée à l’encontre du requérant a été commuée en peine d’emprisonnement à vie ;
Ayant examiné les observations soumises par le requérant et par le gouvernement au sujet des procédures susvisées ;
Concluant que la procédure de réexamen ci-dessus décrite est conforme aux obligations de la Turquie en vertu de l’article 46 de la Convention en ce qui concerne les mesures individuelles ;
Notant dans ce contexte les informations soumises par les avocats du requérant selon lesquelles ils ont déposé une requête devant la Cour européenne concernant la procédure nationale de réexamen du cas du requérant mentionnée ci-dessus, mais rappelant que la décision du Comité des Ministres en vertu de l’article 46, paragraphe 2, ne préjuge en rien l’examen par la Cour des nouveaux griefs ;
Considérant en ce qui concerne les mesures générales que l’Etat défendeur a été appelé à adopter sans retard afin de prévenir de nouvelles violations semblables de la Convention, que de telles mesures ont été adoptées ainsi que décrit dans la partie II de l’Annexe à cette résolution
DÉCLARE qu’il a rempli ses fonctions en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention dans la présente affaire et DÉCIDE d’en clore l’examen. »
B. Le droit et la pratique internes pertinents
L’article 90 § 5 de la Constitution de la République de Turquie se lit comme suit :
« Les accords internationaux dûment entrés en vigueur ont force de loi. (…) En cas de conflit entre des accords internationaux dans le domaine des libertés et droits fondamentaux dûment entrés en vigueur et des dispositions du droit interne, qui résulterait de différences entre des dispositions portant sur le même sujet, les clauses des accords internationaux l’emportent ».
L’article 327 du code de procédure pénale turc énumère les cas où « une affaire qui a abouti à un jugement passé en force de chose jugée peut faire l’objet d’un nouveau procès en faveur du condamné ».
Cette disposition a été modifiée par l’article 3 de la loi no 4793, entrée en vigueur le 3 février 2003, lequel a ajouté un sixième cas de réouverture :
« Lorsqu’il est établi par un arrêt définitif de la Cour européenne des Droits de l’Homme qu’une décision pénale a été prononcée en violation de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et de ses protocoles additionnels, la réouverture du procès peut être demandée dans un délai d’un an à partir de la date à laquelle l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme est devenu définitif. »
Selon l’article transitoire no 1 de cette loi, l’article 3 ne joue que dans les deux hypothèses suivantes : celle où la Cour rendra un arrêt définitif avant l’entrée en vigueur de la loi ; celle où la Cour rendra un arrêt définitif au sujet d’une requête introduite après l’entrée en vigueur de la loi.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint en premier lieu que les juridictions nationales, en refusant, à la suite d’un constat de violation de l’article 6 de la Convention par la Cour européenne des droits de l’homme, de rouvrir la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation et d’exécuter ainsi correctement l’arrêt de la Cour, ont commis une nouvelle violation de la même disposition. Il invoque aussi sur ce point les articles 13, 14 et 46 de la Convention.
2. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint en deuxième lieu de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable devant la cour d’assises qui a rejeté définitivement sa demande de réouverture de la procédure pénale. Il allègue à titre principal que la cour d’assises n’a pas tenu d’audience et qu’elle n’a pas procédé à un examen détaillé de cette affaire complexe. Le requérant ajoute qu’il n’a pas pu consulter suffisamment ses conseils dans le cadre de la procédure de demande de révision et, ainsi, qu’il n’a pas eu la possibilité de faire redresser les lacunes de la procédure qui a abouti à sa condamnation.
EN DROIT
I. GRIEFS SELON LESQUELS L’ARRÊT DU 12 MAI 2005 N’AURAIT PAS ÉTÉ CORRECTEMENT EXÉCUTÉ
Invoquant les articles 6, 13, 14 et 46 de la Convention, le requérant se plaint en premier lieu que les juridictions nationales ont refusé de lui assurer un nouveau procès et qu’elles n’ont donc pas correctement exécuté l’arrêt du 12 mai 2005 par lequel la Cour a constaté une violation de l’article 6 de la Convention.
Même si le requérant a aussi invoqué les articles 6, 13 et 14 de la Convention, la Cour estime que les circonstances de l’affaire lui commandent d’examiner les griefs de l’intéressé sous l’angle de l’article 46 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
A. Les principes
La Cour rappelle qu’un constat de violation dans ses arrêts est essentiellement déclaratoire (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 58, série A no 31, Lyons et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 15227/03, CEDH 2003-IX et Krčmář et autres c. République tchèque (déc.), no 69190/01, 30 mars 2004) et que, par l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 61, CEDH 2009‑…).
Il en découle notamment que l’Etat défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences, l’objectif étant de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalente à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII, Assanidzé c. Georgie [GC], no 71503/01, § 198, CEDH 2004-II, Leyla Zana et Autres c. Turquie (déc.), no 2932/04, 29 septembre 2008). Cependant, si la restitution est la règle, il peut y avoir des circonstances dans lesquelles l’Etat responsable se voit exonéré – en tout ou en partie – de l’obligation de restitution, sous réserve toutefois qu’il en établisse dûment l’existence (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 86).
La Cour n’a pas compétence pour examiner si une Partie contractante s’est conformée aux obligations que lui impose un de ses arrêts (Mehemi c. France (no 2), no 53470/99, § 43, CEDH 2003‑IV). Le rôle du Comité des Ministres dans ce domaine ne signifie pas pour autant que les mesures prises par un Etat défendeur en vue de remédier à la violation constatée par la Cour ne puissent pas soulever un problème nouveau, non tranché par l’arrêt (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2) [GC], précité, § 62 ; Mehemi (no 2), précité, § 43) et, dès lors, faire l’objet d’une nouvelle requête dont la Cour pourrait avoir à connaître (Lyons et autres, précitée, p. 431 ; Hertel c. Suisse (déc.), no 53440/99, CEDH 2002-I).
Par ailleurs, l’Etat défendeur reste libre en principe, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 88, Scozzari et Giunta, précité, § 249, et Lyons et autres, précitée, p. 431). Cependant, dans certaines situations particulières, il est arrivé que la Cour estime utile d’indiquer à un Etat défendeur le type de mesures à prendre pour mettre un terme à la situation – souvent structurelle – qui avait donné lieu à un constat de violation (Popov c. Russie, no 26853/04, § 263, 13 juillet 2006). Parfois même, la nature de la violation constatée ne laisse pas de choix quant aux mesures à prendre (Assanidzé, précité, § 202).
La Cour n’a pas compétence pour ordonner, en particulier, la réouverture d’une procédure (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 89, Saïdi c. France, 20 septembre 1993, § 47, série A no 261-C, et Pelladoah c. Pays-Bas, 22 septembre 1994, § 44, série A no 297-B). Toutefois, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, la Cour peut indiquer qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003, Claes et autres c. Belgique, nos 46825/99, 47132/99, 47502/99, 49010/99, 49104/99, 49195/99 et 49716/99, § 53, 2 juin 2005).
La Cour a aussi estimé, justement dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire du requérant, que « les mesures de réparation spécifiques à prendre, le cas échéant, par un Etat défendeur pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 46 de la Convention, dépendent nécessairement des circonstances particulières de la cause et doivent être définies à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire concernée, compte dûment tenu de la jurisprudence de la Cour » (Öcalan c. Turquie [GC], précité, § 210). En employant l’expression « le cas échéant », la Cour n’a pas exclu que les circonstances particulières de l’affaire puissent exempter l’Etat concerné de la prise de toute mesure de réparation spécifique à l’égard d’un requérant.
B. L’application à la présente affaire
La Cour observe que le présent grief concerne uniquement l’exécution par les autorités nationales de l’arrêt du 12 mai 2005, dans la mesure où celui-ci concluait à la violation de l’article 6 de la Convention en raison du manque d’équité de la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat et de l’absence d’indépendance et d’impartialité de cette juridiction.
La Cour rappelle à cet égard que le Comité des Ministres, par l’adoption de la Résolution ResDH(2007)1) du 14 février 2007, a mis fin à sa surveillance de l’exécution de l’arrêt de la Cour du 12 mai 2005 après avoir pris en compte tous les éléments du dossier : le Comité des Ministres s’est référé aux dispositions spécifiques de l’arrêt du 12 mai 2005 concernant les mesures de réparation individuelles et aux circonstances particulières de l’affaire ; il a également pris en compte la décision de la cour d’assises d’Istanbul du 21 juillet 2006 de procéder à un réexamen complet du dossier, mais de refuser un nouveau procès au requérant au motif que le bien-fondé de sa culpabilité ne faisait aucun doute. Après avoir recueilli les observations de la partie requérante et du Gouvernement sur l’exécution de l’arrêt en question, le Comité des Ministres a finalement conclu que le réexamen effectué par la cour d’assises d’Istanbul était conforme aux obligations incombant à la Turquie en vertu de l’article 46 de la Convention en ce qui concerne les mesures individuelles. En conséquence, il a déclaré qu’il avait rempli ses fonctions en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention dans la présente affaire et a décidé d’en clore l’examen.
Dans ce contexte, la Cour constate que tant les autorités nationales que le Comité des Ministres, hormis les actes d’exécution concernant l’arrêt de la Cour du 12 mai 2005 que ces instances ont effectués, n’ont été saisis d’aucun élément nouveau, en fait comme en droit, qui n’aurait pas été examiné et tranché par l’arrêt en question. De même, la procédure d’exécution litigieuse n’a donné lieu à aucun fait nouveau.
Sur ce point, la présente espèce se distingue, entre autres, de l’affaire Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2) (précité, notamment §§ 65 et 67) dans laquelle le Comité des Ministres avait mis fin à sa surveillance de l’exécution de l’arrêt initial de la Cour dans cette affaire sans avoir pris en compte l’arrêt du Tribunal fédéral qui avait rejeté la demande de révision de l’association requérante – dont le Gouvernement ne l’avait pas informé – et qui était partiellement fondé sur l’existence d’éléments nouveaux.
Il s’ensuit que la Cour ne saurait examiner le présent grief sans empiéter sur les compétences du Comité des Ministres tirées de l’article 46 de la Convention. Partant, elle estime que le grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3, et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
II. GRIEF SELON LEQUEL LA PROCÉDURE NATIONALE DE L’EXÉCUTION DE L’ARRÊT AURAIT MÉCONNU L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
Le requérant se plaint en deuxième lieu que la procédure concernant la demande de révision de la procédure pénale formée par lui à la suite de l’arrêt Öcalan c. Turquie [GC] rendu par la Cour le 12 mai 2005 a enfreint les dispositions de l’article 6, dont le passage pertinent en l’espèce est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) »
La Cour examinera tout d’abord si l’article 6 s’applique à la procédure en cause. Elle rappelle à cet égard sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 6 n’est pas applicable à une procédure tendant à la réouverture d’une procédure pénale car la personne qui, une fois sa condamnation passée en force de chose jugée, demande pareille réouverture n’est pas « accusée d’une infraction » au sens dudit article (Fischer c. Autriche (déc.), no 27569/02, CEDH 2003‑VI ; Dankevich c. Ukraine (déc.), no 40679/98, 25 mai 1999, Sonnleitner c. Autriche (déc.), no34813/97, 6 janvier 2000, et Kucera c. Autriche (déc.), no 40072/98, 20 mars 2001).
De la même manière, l’article 6 n’est pas applicable à un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi introduit aux fins d’annulation d’une condamnation passée en force de chose jugée à la suite d’un constat de violation par la Cour, la personne en cause n’étant pas davantage « accusée d’une infraction » dans une telle procédure (Fischer c. Autriche (déc.), précitée).
La Cour considère que la procédure de réexamen du dossier appliquée en l’espèce, qui consiste à examiner la demande du requérant d’être rejugé dans le cadre d’un nouveau procès à la suite d’un constat de violation par la Cour européenne des droits de l’homme, est similaire, ou du moins comparable, à la procédure en réouverture d’une procédure pénale ou en révision du procès prévue par le droit turc. Elle est introduite par une personne dont la condamnation est devenue définitive et vise à faire statuer non pas sur une « accusation en matière pénale » mais sur la question de savoir si les conditions permettant la réouverture de la procédure pénale sont réunies. La Cour conclut donc que l’article 6 ne s’applique pas à la procédure en question.
Il s’ensuit que ce grief aussi est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejeté, en application de l’article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Françoise Tulkens
Présidente
Stanley Naismith
Greffier