CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 16878/09
Filip BRANDEJS
contre la République tchèque
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 9 octobre 2012 en une Chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Mark Villiger,
Karel Jungwiert,
Boštjan M. Zupančič,
Angelika Nußberger,
André Potocki,
Paul Lemmens, juges
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 25 mars 2009,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Filip Brandejs, est un ressortissant tchèque né en 1979 et détenu à la prison de Rýnovice.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
En 2003, le requérant fut condamné à une peine privative de liberté.
Pendant six ans, il était détenu à la prison de Rýnovice dans une pièce où il disposait de moins d’un mètre carré d’espace non-occupé.
En juin 2007, il fut contraint à subir le prélèvement d’un échantillon buccal aux fins de collecte d’ADN. Il fut alors menacé de violence. L’échantillon ADN fut mis dans une base de données nationale.
Le 28 novembre 2008, le défenseur public des droits tchèque informa le requérant du droit de solliciter la destruction des échantillons ADN s’il estimait que leur traitement et enregistrement étaient contraires à la loi ou à son droit à la vie privée. Toutefois, le 31 décembre 2008, le président de la police nationale rejeta la demande du requérant de détruire les échantillons ADN. Le prélèvement avait été effectué selon l’article 42e de la loi no 283/1991 sur la police, entré en vigueur le 30 juin 2006, et le traitement des données recueillies était conforme à la loi no 283/1991 sur la police et à la loi no 101/2000 sur la protection des données à caractère personnel.
Le 20 janvier 2009, le procureur régional répondit à la plainte du requérant concernant les conditions de détention. Il l’informa que le niveau d’éclairage dans sa cellule était suffisant au regard des exigences légales. En effet, le minimum requis était de 200 Lux alors que le niveau d’éclairage dans la pièce concernée s’élevait à 268 Lux au 8 janvier 2009. Le requérant avait raison qu’il était permis de fumer dans les parties communes ; le procureur allait informer le directeur de la prison afin d’empêcher de fumer dans ces endroits. Le procureur était conscient de la surpopulation carcérale. Compte tenu du libellé de l’article 17 § 6 du décret no 345/1999 et vu la surpopulation générale dans les prisons tchèques, la prison de Rýnovice n’avait pas méconnu la loi.
En mai 2009, la capacité de la cellule du requérant fut portée à 14 détenus pour 32 m2 (soit 2,3 m2 par détenu). Un lit superposé fut placé devant la fenêtre de sorte qu’elle ne pouvait pas être ouverte. Le requérant porta une plainte pénale et s’adressa également à la Cour constitutionnelle concernant ces faits.
Le 13 mai 2009, la police répondit à la plainte du requérant que les conditions de détention ne lui paraissaient pas moralement indignes du point de vue des victimes que le requérant avait lésées. Toutes les conditions légales étaient respectées car le requérant avait à sa disposition un lit et un endroit pour déposer ses affaires personnelles. Il fut souligné que le requérant était responsable, en raison de ses agissements illégaux, du fait d’être dans l’endroit concerné. La plainte fut transmise au département de la prévention de la prison.
Le 22 mai 2009, la Cour constitutionnelle informa le requérant qu’elle ne pouvait analyser sa déposition et indiqua les conditions de saisine. Le requérant explique qu’il ne pouvait se procurer un avocat en raison de sa situation financière. La haute juridiction l’informa également qu’il pouvait se retourner avec ses griefs concernant les conditions de détention à la direction de la prison, la direction générale du service pénitentiaire, le ministère de la Justice et enfin le défenseur public des droits.
B. Le droit interne pertinent
Les voies de recours internes
Les dispositions régissant les voies de recours internes sont décrites aux paragraphes 45-51 et 57 de l’arrêt Eremiášová et Pechová c. République tchèque (no 23944/04, 16 février 2012).
La loi no 283/1991 sur la police, version en vigueur du 30 juin 2006 au 1er janvier 2009
L’article 42e prévoyait, inter alia, que le policier qui ne pouvait, dans le cadre de ses activités, obtenir autrement les données personnelles permettant l’identification future d’une personne servant une peine d’emprisonnement pour une infraction pénale intentionnelle, pouvait prélever des échantillons biologiques permettant l’obtention d’informations génétiques. Le prélèvement impliquant une atteinte à l’intégrité physique ou lorsqu’il falait surmonter la résistance de la personne concernée devait être effectué par une personne travaillant dans le domaine de la santé et qualifiée pour l’effectuation d’une telle mesure. Le prélèvement d’échantillons biologiques devait être mis en œuvre de manière à ne pas mettre en risque la santé de la personne concernée. En cas d’impossibilité d’effectuation du prélèvement en raison de la résistance de la personne concernée et sauf s’il s’agissait d’un prélèvement du sang ou d’une mesure analogue portant atteinte à l’intégrité physique, le policier pouvait surmonter cette résistance suivant un avertissement sans succès. La manière de surmonter la résistance devait être proportionnée à l’intensité de la résistance.
Le décret no 345/1999 Rec. du ministère de la Justice établissant les règles applicables à l’exécution des peines privatives de liberté
L’article 17 § 6 prévoyait inter alia que la superficie des pièces utilisées pour la détention de plusieurs personnes condamnées devait être telle que chaque détenu disposait de 4m2. Il était possible de ne pas respecter cette règle uniquement lorsque le nombre total de personnes condamnées placées dans les prisons du même type dans l’ensemble du pays était tellement élevé qu’il n’était pas possible que chaque détenu dispose de 4m2 de superficie.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint des conditions de sa détention et en particulier de la surpopulation dans l’établissement pénitentiaire. Selon lui, il a été mis dans une pièce où il disposait, pendant des années, de moins d’un mètre carré d’espace non-occupé.
2. Le requérant se plaint également d’avoir été contraint à subir le prélèvement d’un échantillon buccal aux fins de collecte d’ADN. Cette mesure aurait constitué une atteinte à son intégrité physique et ne pouvait être mis en œuvre sans son consentement. De plus, il aurait alors été menacé de violence. La mesure a été mise en œuvre après quatre années de détention et ne pouvait donc plus être justifiée par le besoin de vérifier l’identité du requérant. Il se plaint également en substance du stockage de l’échantillon ADN dans une base de données nationale.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint, en premier lieu, des mauvaises conditions de détention à la prison de Rýnovice. Il invoque à cet égard l’article 3 de la Convention qui dispose :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2. Le requérant se plaint en outre du fait d’avoir été contraint à subir le prélèvement d’un échantillon buccal aux fins de collecte d’ADN et, en substance, du stockage de l’échantillon ADN prélevé dans une base de données nationale.
La Cour estime que le prélèvement d’un échantillon buccal et le stockage de l’échantillon ADN ainsi obtenu constituent deux ingérences distinctes susceptibles de porter atteinte aux droits du requérant garantis par la Convention.
i. Selon le requérant le prélèvement d’un échantillon buccal aux fins de collecte d’ADN a été accompagné de menaces de violence. Cet acte ayant eu lieu plus de six mois avant la saisine de la Cour, le grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
ii. En ce qui concerne le stockage de l’échantillon d’ADN du requérant, ce grief constitue également une ingérence avec le droit garanti par l’article 8 de la Convention (voir S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], no 30562/04 et 30566/04, §§ 70-77, CEDH 2008). Cependant, à supposer même que le requérant ne disposait d’aucune action en justice contre la décision du 31 décembre 2008, il ne s’est pas plaint du refus de détruire les échantillons obtenus devant la Cour constitutionnelle. Or, la Cour rappelle qu’il est en principe nécessaire de saisir la juridiction constitutionnelle avant de s’adresser à la Cour (voir, par exemple, Heglas c. République tchèque, no 5935/02, § 46, 1er mars 2007, Kröhnert c. République tchèque (déc.), no 60224/00, 9 octobre 2001, Manoussos c. République tchèque et Allemagne (déc.), 46468/99, 9 juillet 2002). Au demeurant, le requérant n’indique pas en quoi cette voie de recours ne serait pas effective en l’espèce. Ces difficultés financières prises ensemble avec l’exigence de représentation obligatoire par un avocat ne sauraient constituer en soi une justification valable et suffisante (voir mutatis mutandis Kröhnert c. République tchèque et Manoussos c. République tchèque et Allemagne précitées).
Il s’ensuit que ce grief doit être déclaré irrecevable au sens de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen du grief du requérant tiré d’une violation de l’article 3 de la Convention du fait des conditions de sa détention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Claudia WesterdiekDean Spielmann
GreffièrePrésident