GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE DEL RÍO PRADA c. ESPAGNE
(Requête no 42750/09)
ARRÊT
STRASBOURG
21 octobre 2013
En l’affaire Del Río Prada c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Elisabeth Steiner,
George Nicolaou,
Luis López Guerra,
Ledi Bianku,
Ann Power-Forde,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Faris Vehabović, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mars 2013 et le 12 septembre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 42750/09) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont une ressortissante de cet État, Mme Inés del Río Prada (« la requérante »), a saisi la Cour le 3 août 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Devant la Cour, la requérante a été représentée par Me S. Swaroop, Me M. Muller, Me M. Ivers, avocats à Londres, ainsi que par Me D. Rouget, avocat à Bayonne, Me A. Izko Aramendia, avocate à Pampelune et Me U. Aiartza Azurtza, avocat à Saint-Sébastien. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Sanz Gandásegui, et son coagent, M. I. Salama Salama, avocats de l’État.
3. Dans sa requête, la requérante alléguait en particulier que, depuis le 3 juillet 2008, elle était maintenue en détention au mépris des exigences de « régularité » et de respect des « voies légales » posées par l’article 5 § 1 de la Convention. Invoquant l’article 7, elle se plaignait en outre de l’application à ses yeux rétroactive d’un revirement de jurisprudence opéré par le Tribunal suprême après sa condamnation, revirement qui aurait entraîné une prolongation de près de neuf ans de son incarcération.
4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour –« le règlement »). Le 19 novembre 2009, le président de la troisième section a résolu de communiquer la requête au Gouvernement. Il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire (article 29 § 1 de la Convention). Le 10 juillet 2012, une chambre de la troisième section composée de Josep Casadevall, président, Corneliu Bîrsan, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer, Ján Šikuta, Luis López Guerra et Nona Tsotsoria, juges, ainsi que de Santiago Quesada, greffier de section, a rendu un arrêt. À l’unanimité, elle a déclaré recevables les griefs tirés des articles 7 et 5 § 1 de la Convention et la requête irrecevable pour le surplus, puis a conclu à la violation des dispositions en question.
5. Le 4 octobre 2012, la Cour a reçu du Gouvernement une demande de renvoi devant la Grande Chambre. Le 22 octobre 2012, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l’affaire devant la Grande Chambre (article 43 de la Convention).
6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
7. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
8. En outre, des observations ont été soumises par Mme Róisín Pillay au nom de la Commission internationale des juristes, que le président de la Grande Chambre avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).
9. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 20 mars 2013 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MM.I. Salama Salama, coagent,
F. Sanz Gandásegui, agent,
J. Requena Juliani,
J. Nistal Buron, conseillers;
– pour la requérante
MM. M. Muller,
S. Swaroop,
M. Ivers, conseils,
D. Rouget,
A. Izko Aramendia,
U. Aiartza Azurtza, conseillers.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Muller, M. Swaroop, M. Ivers et M. Salama Salama, ainsi que M. Muller, M. Swaroop, M. Ivers et M. Sanz Gandásegui en leurs réponses à ses questions.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10. La requérante est née en 1958. Elle est incarcérée dans un centre pénitentiaire de la région de Galice.
11. À l’issue de huit procédures pénales distinctes suivies devant l’Audiencia Nacional[1], l’intéressée fut condamnée :
– par un arrêt 77/1988 du 18 décembre 1988, à une peine de huit ans d’emprisonnement pour appartenance à une organisation terroriste, à une peine de sept ans d’emprisonnement pour possession illicite d’armes, à une peine de huit ans d’emprisonnement pour possession d’explosifs, à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour faux, à une peine de six mois d’emprisonnement pour usage de faux document d’identité ;
– par un arrêt 8/1989 du 27 janvier 1989, à une peine de seize ans d’emprisonnement pour un délit de dégâts en concours avec six délits de lésions graves, un délit de lésions moins graves et neuf contraventions de lésions ;
– par un arrêt 43/1989 du 22 avril 1989, à deux peines de vingt-neuf ans d’emprisonnement pour un attentat mortel et un assassinat ;
– par un arrêt 54/1989 du 7 novembre 1989, à une peine de trente ans d’emprisonnement pour un attentat mortel, à onze peines de vingt-neuf ans d’emprisonnement pour onze assassinats, à soixante-dix-huit peines de vingt-quatre ans d’emprisonnement pour soixante-dix-huit tentatives d’assassinat, à une peine de onze ans d’emprisonnement pour un délit de dégâts. L’Audiencia Nacional indiqua qu’en application de l’article 70.2 du code pénal de 1973, la durée maximale de la peine d’emprisonnement à purger (condena) serait de trente ans ;
– par un arrêt 58/1989 du 25 novembre 1989, à trois peines de vingt‑neuf ans d’emprisonnement pour un attentat mortel et deux assassinats. L’Audiencia Nacional précisa que, conformément à l’article 70.2 du code pénal de 1973, la durée maximale de la peine d’emprisonnement à purger (condena) serait de trente ans ;
– par un arrêt 75/1990 du 10 décembre 1990, à une peine de trente ans d’emprisonnement pour un attentat mortel, à quatre peines de trente ans d’emprisonnement pour quatre assassinats, à onze peines de vingt ans d’emprisonnement pour onze tentatives d’assassinat, à une peine de huit ans d’emprisonnement pour terrorisme. L’arrêt indiquait qu’il serait tenu compte de la limite établie par l’article 70.2 du code pénal de 1973 aux fins de l’accomplissement des peines privatives de liberté ;
– par un arrêt 29/1995 du 18 avril 1995, à une peine de vingt-huit ans d’emprisonnement pour un attentat mortel et à une peine de vingt ans et un jour d’emprisonnement pour une tentative d’assassinat. L’arrêt renvoyait également aux limites prévues à l’article 70 du code pénal ;
– par un arrêt 24/2000 du 8 mai 2000, à une peine de trente ans d’emprisonnement pour un attentat en concours idéal avec une tentative d’assassinat, à une peine de vingt-neuf ans d’emprisonnement pour un assassinat, à dix-sept peines de vingt-quatre ans d’emprisonnement pour dix-sept tentatives d’assassinat, et à une peine de onze ans d’emprisonnement pour un délit de dégâts. Il y était indiqué que les peines prononcées seraient purgées dans les limites prévues à l’article 70.2 du code pénal de 1973. Appelée à se prononcer sur la question de savoir s’il fallait appliquer le code pénal de 1973 en vigueur au moment de la commission des faits délictueux ou le nouveau code pénal de 1995, l’Audiencia Nacional considéra que l’ancien code pénal de 1973 était plus favorable à l’accusée compte tenu de la durée maximale de la peine à purger fixée par l’article 70.2 de ce texte combinée avec le dispositif de remises de peine pour travail en détention instauré par son article 100.
12. La durée totale des peines prononcées pour ces infractions commises entre 1982 et 1987 s’élevait à plus de trois mille ans d’emprisonnement.
13. Maintenue en détention provisoire du 6 juillet 1987 au 13 février 1989, la requérante commença à purger sa première peine d’emprisonnement après condamnation le 14 février 1989.
14. Par une décision du 30 novembre 2000, l’Audiencia Nacional informa la requérante que la connexité juridique et chronologique des infractions pour lesquelles elle avait été condamnée permettait le cumul (acumulación) des peines prononcées, conformément à l’article 988 de la loi de procédure pénale (Ley de Enjuiciamiento Criminal) combiné avec l’article 70.2 du code pénal de 1973 en vigueur à l’époque de la commission des faits. L’Audiencia Nacional fixa à trente ans la durée maximale d’emprisonnement que la requérante devrait purger au titre de l’ensemble des peines privatives de liberté prononcées contre elle.
15. Par une décision du 15 février 2001, l’Audiencia Nacional fixa au 27 juin 2017 la date à laquelle la requérante aurait terminé de purger sa peine (liquidación de condena).
16. Le 24 avril 2008, après avoir pris en compte les 3 282 jours de remise de peine accordés à l’intéressée pour le travail qu’elle avait effectué en détention depuis 1987, le centre pénitentiaire de Murcie où celle-ci était incarcérée proposa à l’Audiencia Nacional de la remettre en liberté le 2 juillet 2008. Il ressort des pièces soumises à la Cour par le Gouvernement que la requérante s’était vu accorder des remises de peine ordinaires et extraordinaires en vertu de décisions prises par des juges de l’application des peines (Jueces de Vigilancia Penitenciaria en première instance et Audiencias Provinciales en appel) en 1993, 1994, 1997, 2002, 2003 et 2004 pour avoir entretenu le centre pénitentiaire, sa cellule ainsi que les espaces communs et pour avoir suivi des études universitaires.
17. Toutefois, le 19 mai 2008, l’Audiencia Nacional rejeta la proposition du 24 avril 2008 et demanda aux autorités pénitentiaires de fixer une autre date de remise en liberté en se fondant sur la nouvelle jurisprudence (dite « doctrine Parot ») issue de l’arrêt 197/2006 rendu par le Tribunal suprême le 28 février 2006. Selon cette nouvelle jurisprudence, les bénéfices pénitentiaires et les remises de peine devaient être imputés non plus sur la durée maximale d’emprisonnement de trente ans, mais successivement sur chacune des peines prononcées (voir « Le droit et la pratique internes pertinents », paragraphes 39-42 ci-dessous).
18. L’Audiencia Nacional précisa que cette nouvelle jurisprudence ne s’appliquait qu’aux personnes condamnées sur le fondement du code pénal de 1973 et justiciables de l’article 70.2 de ce texte. Relevant que la requérante se trouvait dans cette situation, elle jugea que la date de remise en liberté de l’intéressée devait être modifiée en conséquence.
19. La requérante forma un recours (súplica) contre cette décision. Dans son recours, elle soutenait notamment que l’application de l’arrêt précité du Tribunal suprême portait atteinte au principe de non-rétroactivité des règles pénales défavorables à l’accusé puisque, au lieu d’être imputées sur la peine à purger dont la durée maximale était de trente ans, les remises de peine pour travail en détention devaient désormais l’être sur chacune des peines prononcées. Elle alléguait que la durée de son incarcération s’en trouvait prolongée de près de neuf ans. Les suites de ce recours n’ont pas été portées à la connaissance de la Cour.
20. Par une ordonnance du 23 juin 2008 fondée sur une nouvelle proposition du centre pénitentiaire, l’Audiencia Nacional fixa au 27 juin 2017 la date de remise en liberté définitive de la requérante (licenciamiento definitivo).
21. L’intéressée exerça un recours (súplica) contre l’ordonnance du 23 juin 2008. Par une décision du 10 juillet 2008, l’Audiencia Nacional rejeta le recours de la requérante, précisant que la question qui se posait ne portait pas sur la durée maximale des peines d’emprisonnement, mais sur les modalités d’imputation des bénéfices pénitentiaires sur les peines en question en vue de la fixation d’une date de remise en liberté. Elle ajouta que les bénéfices pénitentiaires devaient désormais être imputés sur chaque peine prononcée prise isolément. Enfin, elle estima que le principe de non-rétroactivité n’avait pas été enfreint puisqu’on avait appliqué la loi pénale qui était en vigueur au moment de son application.
22. Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination), 17 (droit à la liberté), 24 (droit à une protection juridictionnelle effective) et 25 (principe de légalité) de la Constitution, la requérante forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par une décision du 17 février 2009, la haute juridiction déclara ce recours irrecevable au motif que la requérante n’avait pas justifié la pertinence de ses griefs du point de vue constitutionnel.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution
23. Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellées :
Article 9
« (…)
3. La Constitution garantit le principe de légalité, la hiérarchie des normes, la publicité des normes, la non-rétroactivité des dispositions répressives plus sévères ou restrictives des droits individuels, la sécurité juridique, la responsabilité des pouvoirs publics et l’interdiction de tout acte arbitraire de leur part. »
Article 14
« Les Espagnols sont égaux devant la loi ; ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur la naissance, la race, le sexe, la religion, les opinions, ou toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. »
Article 17
« 1. Toute personne a droit à la liberté et la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté si ce n’est conformément aux dispositions du présent article, et seulement dans les cas et les formes prévus par la loi.
(…) »
Article 24
« 1. Toute personne a droit à la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle puisse être mise dans l’impossibilité de se défendre.
(…) »
Article 25
« 1. Nul ne peut être condamné ou sanctionné pour une action ou une omission qui ne constituait pas un délit, une contravention ou une infraction administrative d’après la législation en vigueur au moment où elle a été commise.
2. Les peines privatives de liberté et les mesures de sûreté visent à la rééducation et à la réinsertion sociale ; elles ne peuvent consister en des travaux forcés. Les condamnés purgeant une peine d’emprisonnement jouissent des droits fondamentaux énumérés dans le présent chapitre, à l’exception de ceux qui sont expressément limités par le jugement de condamnation, le sens de la peine et la loi pénitentiaire. Ces condamnés ont droit en toutes circonstances à un travail rémunéré et aux prestations sociales y afférentes, ainsi qu’à l’accès à la culture et au plein développement de leur personnalité.
(…) »
B. Le droit applicable en vertu du code pénal de 1973
24. Les dispositions pertinentes du code pénal de 1973 en vigueur au moment de la commission des faits délictueux se lisaient ainsi :
Article 70
« Lorsque la totalité ou certaines des peines (penas) (…) ne peuvent être accomplies simultanément par le condamné, il sera fait application des règles suivantes :
1. Les peines (penas) seront imposées suivant l’ordre de leur gravité respective afin que le condamné les accomplisse les unes après les autres, dans la mesure du possible, l’exécution d’une peine débutant lorsque la peine précédente a fait l’objet d’une grâce ou a été purgée (…)
2. Nonobstant la règle précédente, la durée maximale de la peine à purger (condena) par le condamné ne peut excéder le triple de la durée de la plus grave des peines (penas) prononcées, celles-ci devenant caduques pour le surplus dès que cette durée maximale est atteinte, laquelle ne peut excéder trente ans.
Cette limite maximale s’applique même si les peines (penas) ont été prononcées dans le cadre de procédures distinctes dès lors que les faits délictueux auraient pu faire l’objet d’un même procès eu égard à leur connexité.»
Article 100 (tel que modifié par la loi organique [Ley Orgánica] no 8/1983)
« Tout détenu purgeant une peine de réclusion, d’emprisonnement ou d’arresto mayor[2] pourra se voir accorder, à partir du moment où le jugement de condamnation est devenu définitif, des remises de peine (pena) dès lors qu’il aura effectué un travail au cours de sa détention. Aux fins de l’accomplissement de la peine (pena) imposée, le détenu bénéficiera, après approbation du juge de l’application des peines (Juez de Vigilancia), d’une remise de peine d’un jour pour deux jours de travail effectué en détention, et la durée des remises accordées sera aussi prise en compte pour l’octroi de la libération conditionnelle. Ce bénéfice est également applicable, aux fins de l’extinction (liquidación) de la peine à purger (condena), aux prisonniers ayant fait l’objet d’une détention provisoire.
Ne peuvent bénéficier d’une remise de peine pour travail en détention :
1. Ceux qui se soustraient à l’exécution de la peine à purger (condena) ou tentent de s’y soustraire, même s’ils n’y parviennent pas.
2. Ceux qui font preuve de mauvaise conduite répétée au cours de l’accomplissement de la peine à purger (condena). »
25. La disposition pertinente de la loi de procédure pénale en vigueur au moment des faits était ainsi libellée :
Article 988
« (…) Lorsqu’une personne reconnue coupable de plusieurs infractions pénales a été condamnée dans le cadre de procédures distinctes pour des faits qui auraient pu faire l’objet d’un même procès en vertu de l’article 17 de laprésente loi, le juge ou le tribunal ayant rendu le dernier jugement de condamnation fixera, d’office ou à la demande du ministère public ou du condamné, la durée maximale d’accomplissement des peines imposées conformément à l’article 70.2 du code pénal. (…) »
26. Le droit aux remises de peine pour travail en détention était prévu par le règlement relatif à l’administration pénitentiaire du 2 février 1956, dont les dispositions pertinentes (articles 65-73) étaient applicables au moment de la commission des faits en vertu de la deuxième disposition transitoire du règlement pénitentiaire de 1981. Les dispositions pertinentes du règlement de 1956 se lisaient ainsi :
Article 65
« 1. Conformément à l’article 100 du code pénal, tout détenu purgeant une peine de réclusion, de presidio ou d’emprisonnement peut bénéficier, à partir du moment où le jugement de condamnation est devenu définitif, d’une remise de peine (pena) pour travail en détention.
(…)
3. Ne peuvent bénéficier d’une remise de peine pour travail en détention les détenus :
a) qui se soustraient à l’exécution de la peine à purger (condena) ou tentent de s’y soustraire, même s’ils n’y parviennent pas ;
b) qui font preuve de mauvaise conduite répétée au cours de l’accomplissement de la peine à purger (condena). Le présent alinéa est applicable aux détenus qui, n’ayant pas obtenu la rémission de fautes précédemment commises (…), commettent une nouvelle faute grave ou très grave. »
Article 66
« 1. Quel que soit le degré pénitentiaire auquel il est soumis, tout détenu peut se voir accorder des remises de peine pour travail en détention dès lors qu’il satisfait aux conditions légales. En pareil cas, le détenu concerné bénéficie, aux fins de sa libération définitive, d’une remise de peine d’un jour pour deux jours de travail effectué en détention. La durée des remises est aussi prise en compte pour l’octroi de la libération conditionnelle.
2. La commission du régime pénitentiaire de l’établissement concerné adresse une proposition au patronage de Nuestra Señora de la Merced. Après approbation de cette proposition, les jours travaillés seront comptabilisés en faveur du détenu de manière rétroactive, à partir du jour où il a commencé à travailler.[3] »
Article 68
« Qu’il soit rémunéré ou gratuit, intellectuel ou manuel, accompli dans l’enceinte pénitentiaire ou hors de celle-ci (…), le travail des détenus doit être utile. »
Article 71
« (…)
3. Des remises de peines extraordinaires peuvent être accordées pour des raisons spéciales de discipline et de productivité au travail (…), dans la limite d’un jour pour chaque jour travaillé et de cent soixante-quinze jours par année d’accomplissement effectif de la peine (…) »
Article 72
« Des remises de peine pour travail intellectuel pourront être accordées :
1) pour le suivi et la réussite d’études religieuses ou culturelles organisées par le centre de direction ;
2) pour l’affiliation à une association artistique, littéraire ou scientifique instituée par l’établissement pénitentiaire ;
3) pour l’exercice d’activités intellectuelles ;
4) pour la réalisation d’œuvres originales à caractère artistique, littéraire ou scientifique.
(…) »
Article 73
« Perdront le bénéfice des remises de peine pour travail en détention :
1) les détenus qui se soustrairont ou tenteront de se soustraire à l’exécution de la peine. Ils seront déchus pour l’avenir du droit aux remises de peine pour travail en détention.
2) les détenus ayant commis deux fautes graves ou très graves. (…)
Les jours de remise de peine déjà accordés seront pris en compte pour la réduction de la peine ou des peines correspondantes. »
27. L’article 98 du code pénal de 1973, qui régissait la libération conditionnelle des condamnés, était ainsi libellé :
« Peuvent bénéficier de la libération conditionnelle les condamnés à une peine supérieure à un an :
1) purgeant la dernière période de la peine à purger (condena) ;
2) ayant déjà purgé les trois quarts de la peine à purger ;
3) méritant l’octroi de ce bénéfice du fait leur conduite irréprochable ; et
4) présentant des garanties de réinsertion dans la société. »
28. L’article 59 du règlement pénitentiaire de 1981 (décret royal no 1201/1981), qui définissait les modalités de calcul de la durée de privation de liberté (à savoir les trois quarts de la peine) ouvrant droit à la libération conditionnelle, se lisait ainsi :
Article 59
« Pour le calcul des trois quarts de la peine (pena), il sera fait application des règles suivantes :
a) aux fins de l’octroi de la libération conditionnelle, la partie de la peine à purger (condena) ayant fait l’objet d’une grâce sera déduite de la durée totale de la peine (pena) prononcée comme si celle-ci était remplacée par une nouvelle peine d’une durée inférieure.
b) la règle énoncée ci-dessus est également applicable aux bénéfices pénitentiaires donnant lieu à une réduction de la peine à purger (condena).
c) en cas de condamnation à deux ou plusieurs peines privatives de liberté, celles-ci se cumulent pour ne former qu’une seule peine à purger (condena) aux fins de l’octroi de la libération conditionnelle (…) »
C. Le droit applicable après l’entrée en vigueur du code pénal de 1995
29. Promulgué le 23 novembre 1995, le code pénal de 1995 (loi organique no 10/1995) remplaça le code pénal de 1973. Il entra en vigueur le 24 mai 1996.
30. Le dispositif de remises de peine pour travail en détention fut supprimé par le nouveau code. Toutefois, les première et deuxième dispositions transitoires de ce texte prévoient que les détenus condamnés sur le fondement de l’ancien code pénal de 1973 pourront continuer à bénéficier de ce dispositif même si leur condamnation a été prononcée après l’entrée en vigueur du nouveau code. Les dispositions transitoires en question sont ainsi libellées :
Première disposition transitoire
« Les délits et contraventions commis avant l’entrée en vigueur du présent code seront jugés conformément au corpus législatif [le code pénal de 1973] et aux autres lois pénales spéciales abrogés par le présent code. Dès que celui-ci sera entré en vigueur, ses dispositions seront applicables à l’accusé si elles lui sont plus favorables. »
Deuxième disposition transitoire
« Pour déterminer quelle est la loi la plus favorable, il faut tenir compte de la peine applicable aux faits poursuivis au regard de l’ensemble des dispositions de l’un ou l’autre code. Les dispositions relatives aux remises de peine pour travail en détention ne s’appliquent qu’aux personnes condamnées sur le fondement de l’ancien code. Les personnes justiciables des dispositions du nouveau code ne peuvent en bénéficier (…) »
31. En vertu de la première disposition transitoire du règlement pénitentiaire de 1996 (décret royal no 190/1996), les articles 65-73 du règlement de 1956 restent applicables à l’exécution des peines prononcées sur le fondement du code pénal de 1973 et à la détermination de la loi pénale la plus douce.
32. Le code pénal de 1995 introduisit des nouvelles règles relatives à la durée maximale des peines d’emprisonnement et aux bénéfices pénitentiaires pouvant s’y appliquer. Ces règlesfurent modifiées par la loi organique no 7/2003 instituant des mesures de réforme destinées à garantir l’exécution intégrale et effective des peines. Les dispositions modifiées du code pénal, pertinentes dans la présente affaire, se lisent comme suit :
Article 75
« Lorsque la totalité ou certaines des peines (penas) sanctionnant diverses infractions ne peuvent être accomplies simultanément par le condamné, celui-ci devra les purger l’une après l’autre, dans la mesure du possible, suivant l’ordre de leur gravité respective. »
Article 76
« 1. Nonobstant l’article précédent, la durée maximale de la peine à purger (condena) par le condamné ne peut excéder le triple de la durée de la plus grave des peines (penas) prononcées, celles-ci devenant caduques pour le surplus dès que cette durée maximale est atteinte, laquelle ne peut excéder vingt ans. Par exception, cette durée maximale est portée à :
a) Vingt-cinq ans en cas de condamnation pour deux ou plusieurs infractions dont l’une est passible d’une peine d’emprisonnement de vingt ans au plus ;
b) Trente ans en cas de condamnation pour deux ou plusieurs infractions dont l’une est passible d’une peine d’emprisonnement de plus de vingt ans ;
c) Quarante ans en cas de condamnation pour deux ou plusieurs infractions dont au moins deux sont passibles d’une peine d’emprisonnement de plus de vingt ans ;
d) Quarante ans en cas de condamnation pour deux ou plusieurs infractions terroristes (…) dont l’une est passible d’une peine d’emprisonnement de plus de vingt ans.
2. Cette durée maximale s’applique même si les peines (penas) ont été prononcées dans le cadre de procédures distinctes dès lors que les faits poursuivis auraient pu faire l’objet d’un même procès eu égard à leur connexité ou au moment de leur commission. »
Article 78
« 1. Dans les cas où l’application des limites prévues à l’article 76 § 1 ramène la peine à purger à une durée inférieure à la moitié de la durée totale des peines prononcées, le juge ou la juridiction de jugement peut décider qu’il sera tenu compte de la totalité des peines (penas) prononcées en ce qui concerne les bénéfices pénitentiaires, les permissions de sortie, le classement au troisième degré pénitentiaire et le calcul de la durée de privation de liberté ouvrant droit à la libération conditionnelle.
2. Lorsque la durée de la peine à purger est inférieure à la moitié de la durée totale des peines prononcées, la prise en compte de la totalité de celles-ci est obligatoire dans les cas prévus aux alinéas a), b), c) et d) de l’article 76 § 1 du présent code.
(…) »
33. Selon l’exposé des motifs de la loi no 7/2003, l’article 78 du code pénal vise à renforcer l’efficacité de la répression pénale des crimes les plus graves :
« (…) l’article 78 du code pénal est modifié de façon que, pour les crimes les plus graves, il soit toujours tenu compte de la totalité des peines prononcées en ce qui concerne les bénéfices pénitentiaires, les permissions de sortie, le classement au troisième degré pénitentiaire et le calcul de la durée de privation de liberté ouvrant droit à la libération conditionnelle.
Cette modification tend à renforcer l’efficacité du dispositif pénal à l’encontre des personnes condamnées pour une multiplicité de crimes particulièrement graves, c’est-à-dire celles qui relèvent des limites prévues à l’article 76 du code pénal (à savoir vingt-cinq, trente ou quarante ans d’emprisonnement effectif) et dont la peine à purger est inférieure à la moitié de la durée totale des peines prononcées. Mais dans les cas où ces limites ne trouvent pas à s’appliquer, le juge ou la juridiction de jugement conservent leur plein pouvoir d’appréciation.
En application de cette règle, une personne condamnée à cent, deux cents ou trois cents ans d’emprisonnement accomplira réellement, effectivement et intégralement la durée maximale de la peine à purger (condena). »
34. L’article 90 du code pénal de 1995 (tel que modifié par la loi organique no 7/2003) régit la libération conditionnelle. Cette disposition subordonne l’octroi de la libération conditionnelle à des conditions similaires à celles prévues par le code pénal de 1973 (classement au troisième degré pénitentiaire, accomplissement des trois quarts de la peine, bonne conduite et pronostic favorable de réinsertion sociale), mais exige en outre que le condamné se soit acquitté des obligations découlant de sa responsabilité civile. Pour pouvoir bénéficier d’un pronostic favorable de réinsertion sociale, les personnes condamnées pour infractions terroristes ou commises en bandes organisées devront avoir manifesté par des signes non équivoques leur désaveu des objectifs et des méthodes du terrorisme et avoir activement collaboré avec les autorités. Pareil comportement pourra se concrétiser par une déclaration expresse de reniement des actes qu’elles ont commis et de renonciation à la violence, ainsi que par une demande explicite de pardon aux victimes. À la différence des nouvelles règles relatives à la durée maximale de la peine à purger et aux conditions d’application des bénéfices pénitentiaires en cas de condamnations multiples (articles 76 et 78 du code pénal), l’article 90 du code pénal s’applique immédiatement sans tenir compte du moment de la commission des faits ou de la date de la condamnation (disposition transitoire unique de la loi no 7/2003).
D. La jurisprudence du Tribunal suprême
1. La jurisprudence antérieure à la « doctrine Parot »
35. Dans une ordonnance du 25 mai 1990, le Tribunal suprême déclara que le cumul des peines prévu à l’article 70.2 du code pénal de 1973 et l’article 988 de la loi de procédure pénale n’était pas une modalité d’« exécution » de la peine mais une modalité de détermination de celle-ci, raison pour laquelle l’application de ce dispositif relevait de la compétence de la juridiction de jugement et non de celle du juge de l’application des peines (Jueces de Vigilancia Penitenciaria).
36. Par un arrêt du 8 mars 1994 (529/1994), le Tribunal suprême jugea que la durée maximale de la peine à purger prévue à l’article 70.2 du code pénal de 1973 (trente ans d’emprisonnement) s’analysait en une « nouvelle peine, résultante et autonome, à laquelle se rapportent les bénéfices pénitentiaires prévus par la loi, tels que la libération conditionnelle et les remises de peine ». Pour se prononcer ainsi, le Tribunal suprême releva que l’article 59 du règlement pénitentiaire de 1981 énonçait que le cumul de deux peines privatives de liberté devait être considéré comme une nouvelle peine aux fins de l’octroi de la libération conditionnelle.
37. Par un accord adopté en formation plénière le 18 juillet 1996 après l’entrée en vigueur du code pénal de 1995, la chambre criminelle du Tribunal suprême précisa que, aux fins de la détermination de la loi pénale la plus douce, il fallait tenir compte du dispositif de remises de peine institué par l’ancien code pénal de 1973 pour comparer les peines à purger respectivement fixées par ce code et par le nouveau code pénal de 1995. Elle ajouta que, en application de l’article 100 du code pénal de 1973, un condamné ayant purgé deux jours de détention était irrévocablement réputé en avoir purgé trois. Selon elle, l’application de cette règle de calcul créait un statut carcéral acquis pour la personne qui en bénéficiait.[4] Les juridictions espagnoles qui eurent à se conformer à ce critère pour comparer les peines à purger respectivement fixées par le nouveau et par l’ancien code pénal tinrent compte des remises de peine accordées en application de ce dernier texte. En conséquence, elles estimèrent que, dans les cas où le reliquat de la peine à purger après déduction des remises de peine accordées avant l’entrée en vigueur du nouveau code ne dépassait pas la durée de la peine prévue par ce texte, celui-ci ne pouvait être considéré comme étant plus favorable que l’ancien code. Cette approche fut confirmée par des décisions du Tribunal suprême, notamment les arrêts 557/1996 du 18 juillet 1996 et 1323/1997 du 29 octobre 1997.
38. Le Tribunal suprême maintint cette ligne jurisprudentielle d’interprétation de la durée maximale de la peine à purger telle que fixée par l’article 76 du nouveau code pénal de 1995. Dans un arrêt 1003/2005 rendu le 15 septembre 2005, il déclara que « cette limite s’analys[ait] en une nouvelle peine, résultante et autonome, à laquelle se rapport[ai]ent les bénéfices prévus par la loi, tels que la libération conditionnelle, les permissions de sortie, et le classement au troisième degré pénitentiaire ». De la même manière et dans les mêmes termes, il indiqua dans un arrêt 1223/2005 rendu le 14 octobre 2005 que la durée maximale de la peine à purger « s’analys[ait] en une nouvelle peine, résultante et autonome, à laquelle se rapport[ai]ent les bénéfices prévus par la loi, tels que la libération conditionnelle, sous réserve des exceptions prévues à l’article 78 du code pénal de 1995 ».
2. La « doctrine Parot »
39. Par un arrêt 197/2006 rendu le 28 février 2006, le Tribunal suprême établit une jurisprudence connue sous le nom de « doctrine Parot ». Dans cette affaire était en cause un terroriste membre de l’ETA (H. Parot) qui avait été condamné sur le fondement du code pénal de 1973. Réunie en formation plénière, la chambre criminelle du Tribunal suprême jugea que les remises de peines accordées aux détenus devaient être imputées sur chacune des peines prononcées et non plus sur la durée maximale d’incarcération de trente ans fixée par l’article 70.2 du code pénal de 1973. Pour se prononcer ainsi, la haute juridiction s’appuya notamment sur une interprétation littérale des articles 70.2 et 100 du code pénal de 1973 selon laquelle cette durée maximale d’incarcération ne s’analysait pas en une nouvelle peine distincte des peines prononcées ni en une peine distincte résultant de celles-ci, mais correspondait à la durée maximale d’incarcération d’un condamné dans un centre pénitentiaire. Ce raisonnement opérait une distinction entre la « peine » (pena) et la « peine à purger » (condena), la première de ces expressions désignant les peines prononcées considérées isolément, sur lesquelles devaient être imputées les remises de peine, la seconde désignant quant à elle la durée maximale d’incarcération. Le Tribunal suprême fit également valoir un argument téléologique. Les parties pertinentes de son raisonnement se lisent ainsi :
« (…) l’interprétation conjointe des deux premières règles de l’article 70 du code pénal de 1973 nous amène à considérer que la limite de trente ans ne devient pas une nouvelle peine, distincte de celles successivement imposées au condamné, ni une autre peine résultant des toutes les peines antérieures, mais que cette limite correspond à la durée maximale d’incarcération (máximo de cumplimiento) du condamné dans un centre pénitentiaire. Les raisons qui nous conduisent à cette interprétation sont les suivantes : a) premièrement, l’analyse littérale des dispositions pertinentes nous conduit à conclure que le code pénal ne considère nullement la durée maximale de trente ans comme une nouvelle peine sur laquelle les remises de peine accordées au condamné doivent être imputées, pour la simple raison qu’aucune des dispositions en question ne l’énonce ; b) tout au contraire, la peine (pena) et la peine à purger (condena) corrélative sont deux éléments distincts ; la terminologie du code pénal désigne la limite résultante par l’expression « peine à purger » (condena) et fixe différentes durées maximales pour la « peine à purger » (condena) en fonction des « peines » prononcées. Il s’agit là de deux modes de calcul distincts qui conduisent, conformément à la première règle, à l’exécution successive des différentes peines suivant l’ordre de leur gravité respective jusqu’à ce que soit atteinte l’une ou l’autre des limites fixées par le système (le triple de la durée de la plus grave des peines prononcées ou, en tout état de cause, la limite de trente ans évoquée ci-dessus) ; c) cette interprétation ressort également de la manière dont le code est formulé puisque, après l’exécution successive des peines dans les conditions susmentionnées, le condamné n’aura plus à purger [c’est-à-dire à accomplir] les peines suivantes [dans l’ordre précité] dès que les peines déjà imposées [accomplies] auront atteint cette durée maximale, laquelle ne peut excéder trente ans (…) ; e) d’un point de vue téléologique, il serait irrationnel que le cumul des peines conduise à confondre en une nouvelle et unique peine de trente ans une longue série de condamnations, ce qui reviendrait à assimiler indûment l’auteur d’une infraction isolée à l’auteur de multiples infractions (tel que celui qui est en cause dans la présente affaire). En effet, il ne serait pas logique que cette règle aboutisse à sanctionner de la même manière la commission d’un assassinat et la commission de deux cents assassinats ; f) si une mesure de grâce était sollicitée, elle ne pourrait pas s’appliquer à la peine à purger (condena) totale résultante, mais à une, à certaines ou à l’ensemble des différentes peines prononcées ; en pareil cas, l’instruction de cette demande incomberait à la juridiction de jugement, et non à l’organe judiciaire appelé à fixer la limite (le dernier), ce qui démontre que les peines ne se confondent pas. Au demeurant, la première règle de l’article 70 du code pénal de 1973 précise la manière dont doit se dérouler l’exécution successive des peines en pareille hypothèse, « l’exécution d’une peine débutant lorsque la peine précédente a fait l’objet d’une grâce» ; g) enfin, d’un point de vue procédural, l’article 988 de la loi de procédure pénale énonce clairement qu’il s’agit là de fixer une limite d’accomplissement aux peines imposées (au pluriel, conformément au libellé de la loi), « déterminant la durée maximale d’accomplissement de celles-ci » (selon le libellé très clair de cette disposition).
C’est pourquoi le terme parfois utilisé de « cumul (refundición) de peines à purger (condenas) » est très équivoque et inapproprié. Il n’y a pas confusion des peines en une peine unique, mais fixation, par un acte juridique, d’une limite à la durée totale d’accomplissement de plusieurs peines. C’est pourquoi les différentes peines imposées au condamné devront être exécutées par lui selon les caractéristiques qui sont les leurs, et compte tenu de tous les bénéfices auxquels il aura droit. Dans ces conditions, les remises de peine pour travail en détention prévues à l’article 100 du code pénal de 1973 pourront être prises en compte au titre de l’extinction des peines successivement accomplies par le condamné.
L’exécution de la peine totale à purger (condena) se déroulera de la manière suivante : elle commencera par les plus graves des peines prononcées, et les bénéfices et remises éventuels s’imputeront sur chacune des peines que le condamné sera en train de purger. Après l’extinction de la première [peine], le condamné commencera à purger la suivante, et ainsi de suite jusqu’à ce que soient atteintes les limites prévues à l’article 70.2 du code pénal de 1973, moment où la totalité des peines comprises dans la peine totale à purger (condena) seront éteintes.
Prenons l’exemple d’une personne condamnée à trois peines d’une durée respective de trente ans, quinze ans et dix ans. En vertu de la deuxième règle de l’article 70 du code pénal de 1973 (…), selon laquelle la durée maximale de la peine à purger ne peut excéder le triple de la durée de la peine la plus grave ni dépasser trente ans, le condamné en question devra purger une peine effective de trente ans. Dans ce cas, le condamné devra accomplir ses peines (la peine totale à purger) en commençant par la première, c’est-à-dire par la plus grave (à savoir la peine d’emprisonnement de trente ans). S’il bénéficie d’une remise (pour quelque motif que ce soit) de dix ans, sa peine se trouvera purgée – et éteinte – après vingt ans d’incarcération, à la suite de quoi il devra commencer à purger la peine suivante dans l’ordre de gravité des peines prononcées, c’est-à-dire la peine de quinze ans. Si cette dernière donne lieu à une remise de cinq ans, elle se trouvera purgée après dix ans. 20 + 10 = 30. Le condamné n’aura alors plus aucune peine à purger, les peines prononcées devenant caduques pour le surplus, comme le veut le code pénal applicable, dès que cette durée maximale est atteinte, laquelle ne peut excéder trente ans. »
40. Dans l’arrêt précité, le Tribunal suprême déclara qu’il n’existait pas de principe établi dans sa jurisprudence sur la question spécifique de l’interprétation de l’article 100 du code pénal de 1973 combiné avec l’article 70.2 du même texte. Il ne cita qu’une seule décision, celle du 8 mars 1994, dans laquelle il avait estimé que la durée maximale prévue à l’article 70.2 du code pénal de 1973 s’analysait en une « nouvelle peine autonome » (voir paragraphe 36 ci-dessus). Toutefois, il écarta la solution à laquelle il était parvenu dans cette décision, au motif que celle-ci était isolée et ne pouvait donc être invoquée à titre de précédent car elle n’avait jamais été appliquée de manière constante.
Il ajouta que, à supposer même que sa nouvelle interprétation de l’article 70 du code pénal de 1973 pût être considérée comme une remise en cause de la jurisprudence et de la pratique pénitentiaire antérieures, le principe d’égalité devant la loi (article 14 de la Constitution) ne faisait pas obstacle aux revirements jurisprudentiels sous réserve que ceux-ci fussent suffisamment motivés. En outre, il jugea que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale (articles 25 § 1 et 9 § 3 de la Constitution) n’avait pas vocation à s’appliquer à la jurisprudence.
41. L’arrêt 197/2006 fut adopté à une majorité de douze voix contre trois. Les trois magistrats dissidents y joignirent une opinion dissidente dans laquelle ils déclarèrent que les peines imposées successivement se transformaient ou se confondaient en une autre peine, de même nature mais distincte en ce qu’elle absorbait les différentes peines pour en former une seule. Ils indiquèrent que cette peine, qu’ils qualifièrent de « peine d’accomplissement », était celle qui résultait de l’application de la limite établie à l’article 70.2 du code pénal de 1973 qui, dès lors qu’elle était atteinte, entraînait l’extinction des peines excédentaires. Ils ajoutèrent que cette nouvelle « unité punitive » correspondait à la peine à purger par le condamné et que les remises de peine pour travail en détention devaient être imputées sur celle-ci, précisant que les remises en question avaient une incidence sur les peines imposées mais seulement après l’application à ces dernières des règles relatives à l’exécution successive des peines « aux fins de leur accomplissement ». Par ailleurs, les juges dissidents rappelèrent que, pour déterminer la loi pénale la plus douce après l’entrée en vigueur du code pénal de 1995, toutes les juridictions espagnoles – y compris le Tribunal suprême (accords adoptés par la plénière de la chambre criminelle le18 juillet 1996 et le 12 février 1999) – étaient parties du principe que les remises de peine devaient être imputées sur la peine découlant de l’application de l’article 70.2 du code pénal de 1973 (c’est-à-dire sur la limite de trente ans). Ils soulignèrent qu’en application de ce principe, pas moins de seize personnes reconnues coupables de terrorisme avaient récemment bénéficié de remises de peine pour travail en détention bien qu’elles eussent été condamnées à des peines d’emprisonnement d’une durée totale de plus de cent ans.
42. Les juges dissidents estimèrent en outre que, faute d’avoir été prévue par l’ancien code pénal de 1973, la méthode utilisée par la majorité s’analysait en une application rétroactive et implicite du nouvel article 78 du code pénal de 1995, tel que modifié par la loi organique 7/2003 instituant des mesures de réforme destinées à garantir l’exécution intégrale et effective des peines. Ils jugèrent par ailleurs que cette interprétation contra reum découlait d’une politique d’exécution intégrale des peines qui était étrangère au code pénal de 1973, qui pouvait être source d’inégalités et qui allait à l’encontre de la jurisprudence établie du Tribunal suprême (arrêts du 8 mars 1994, du 15 septembre 2005 et du 14 octobre 2005). Enfin, ils déclarèrent qu’aucune considération de politique criminelle ne pouvait justifier une telle rupture du principe de légalité, même dans le cas d’un terroriste sanguinaire et impénitent tel que celui qui était en cause dans l’affaire en question.
3. L’application de la « doctrine Parot »
43. Le Tribunal suprême confirma la « doctrine Parot » dans des arrêts postérieurs (voir, par exemple, l’arrêt 898/2008 du 11 décembre 2008). Dans un arrêt 343/2011 rendu le 3 mai 2011, il évoqua le revirement de jurisprudence opéré par l’arrêt 197/2006 dans les termes suivants :
« Dans la présente affaire, il était initialement prévu que l’auteur du pourvoi aurait intégralement purgé la durée maximale d’accomplissement de sa peine le 17 novembre 2023, et aucun changement n’a été apporté à cette situation. Ce sont les modalités d’application des bénéfices pénitentiaires qui ont été modifiées. Avant l’adoption de l’arrêt 197/2006 (précité), ceux-ci étaient imputés sur la durée maximale d’incarcération. Il a été jugé, dans l’arrêt en question et les suivants, que cette manière de procéder était erronée et qu’il convenait d’imputer lesdits bénéfices sur les peines effectivement imposées qui seraient exécutées les unes après les autres jusqu’à ce que soit atteinte la limite maximale prévue par la loi. »
44. Selon les informations fournies par le Gouvernement, la « doctrine Parot » a été appliquée à quatre-vingt-treize condamnés membres de l’ETA et à trente-sept autres auteurs de crimes très graves (trafic de stupéfiants, viols, assassinats).
E. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel
45. Dans un arrêt 174/1989 rendu le 30 octobre 1989, le Tribunal constitutionnel releva que les remises de peine pour travail en détention prévues à l’article 100 du code pénal de 1973 étaient validées périodiquement par les juges de l’application des peines (Jueces de Vigilancia Penitenciaria) sur proposition des centres pénitentiaires. Il précisa que les remises de peine déjà approuvées devaient être prises en compte par le juge du fond lorsque celui-ci était appelé à se prononcer sur l’extinction (liquidación) de la peine à purger (condena), et que le crédit de remise de peine déjà accordé en application de la loi ne pouvait faire l’objet d’une révocation ultérieure destinée à corriger d’éventuelles erreurs ou à permettre l’application d’une nouvelle interprétation. Il ajouta qu’une décision d’un juge de l’application des peines non frappée de recours devenait ferme et définitive, conformément au principe de sécurité juridique et au droit à l’intangibilité des décisions judiciaires définitives. Il estima que le droit aux remises de peine pour travail en détention ne revêtait pas un caractère conditionnel dans la loi pertinente, en voulant pour preuve que les détenus coupables de mauvaise conduite ou de tentative d’évasion n’en étaient déchus que pour l’avenir et conservaient le bénéfice de celles déjà accordées.
46. Dans un arrêt 72/1994 rendu le 3 mars 1994, le Tribunal constitutionnel précisa que les remises de peine pour travail en détention prévues à l’article 100 du code pénal de 1973 reflétaient le principe consacré par l’article 25 § 2 de la Constitution selon lequel les peines privatives de liberté devaient viser à la rééducation et la réinsertion sociale des condamnés.
47. Des personnes ayant subi les effets de la « doctrine Parot » introduisirent des recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Le ministère public prit fait et cause pour certains justiciables qui, dans ces recours, dénonçaient la violation des principes de légalité et de non-rétroactivité des interprétations de la loi défavorables aux condamnés. Dans ses conclusions, ilsoutenait que le principe de légalité – et le principe de non-rétroactivité qui en découlait – devait s’appliquer à l’exécution des peines. Dans une série d’arrêts du 29 mars 2012, la formation plénière du Tribunal constitutionnel se prononça sur le bien-fondé de ces recours.
48. Dans deux de ces arrêts (39/2012 et 57/2012), le Tribunal constitutionnel accorda l’amparo pour violation du droit à une protection juridictionnelle effective (article 24 § 1 de la Constitution) et du droit à la liberté (article 17 § 1 de la Constitution). Il considéra que les nouvelles modalités d’imputation des remises de peine résultant du revirement jurisprudentiel opéré par le Tribunal suprême en 2006 avaient remis en cause des décisions judiciaires définitives rendues à l’égard des intéressés. Il releva que l’Audiencia Nacional qui avait adopté les décisions en question avait estimé que le code pénal de 1973 (qui prévoyait une durée maximale d’incarcération de trente ans) était plus favorable pour les intéressés que le code pénal de 1995 (où cette limite est fixée à vingt-cinq ans) au motif que ceux-ci auraient perdu leur droit aux remises de peine à partir de l’entrée en vigueur du code pénal de 1995 si celui-ci leur avait été appliqué. Observant que l’Audiencia Nacional était partie du principe selon lequel les remises de peine prévues par l’ancien code devaient venir en déduction de la durée maximale d’incarcération (à savoir trente ans), il jugea que ces décisions judiciaires définitives ne pouvaient pas être modifiées par une nouvelle décision judiciaire appliquant une autre méthode d’imputation. Il en conclut qu’il y avait eu violation du droit à la protection juridictionnelle effective, et plus précisément du droit à ce que les décisions judiciaires définitives ne soient pas remises en cause (« droit à l’intangibilité des décisions judiciaires définitives » ou principe de la force de la chose jugée). S’agissant du droit à la liberté, il estima que, au regard du code pénal de 1973 et des modalités d’imputation des remises de peine appliquées dans les décisions judiciaires précitées, les intéressés avaient purgé leur peine, raison pour laquelle leur maintien en détention après la date de libération proposée par le centre pénitentiaire (conformément aux règles anciennement applicables) était dépourvu de base légale. Dans ces deux décisions, il renvoya à l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Grava c. Italie (no 43522/98, §§ 44-45, 10 juillet 2003).
49. Dans une troisième affaire (arrêt 62/2012), le Tribunal constitutionnel accorda l’amparo pour violation du droit à une protection juridictionnelle effective (article 24 § 1 de la Constitution) au motif que, en modifiant la date de libération définitive d’un détenu, l’Audiencia Nacional avait remis en cause une décision judiciaire ferme et définitive qu’elle avait elle-même rendue quelques jours auparavant.
50. Le Tribunal constitutionnel refusa l’amparo dans vingt-cinq affaires (arrêts 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 59, 61, 64, 65, 66, 67, 68 et 69/2012), au motif que les décisions par lesquelles les juridictions ordinaires avaient fixé la date de libération définitive des intéressés en se fondant sur le revirement jurisprudentiel opéré en 2006 n’avaient pas remis en cause les décisions définitives antérieures dont ils avaient fait l’objet. Celles-ci ne s’étaient pas prononcées explicitement sur la question des modalités d’imputation des remises de peine pour travail en détention, et cet élément n’avait été déterminant quant au choix du code pénal applicable.
51. Tant dans ses arrêts rendus en faveur des demandeurs que dans ses arrêts qui leur étaient défavorables, le Tribunal constitutionnel rejeta le grief tiré de l’article 25 de la Constitution (principe de légalité) au motif que la question de l’imputation des remises de peine pour travail en détention relevait de l’exécution de la peine et n’emportait en aucun cas application d’une peine plus lourde que celle prévue par la loi pénale applicable ou dépassement de la durée maximale d’incarcération. La haute juridiction renvoya à la jurisprudence de la Cour établissant une distinction entre les mesures constituant une « peine » et les mesures relatives à l’ « exécution » d’une peine aux fins de l’article 7 de la Convention (Hogben c. Royaume-Uni, no 11653/85, décision de la Commission du 3 mars 1986, Décisions et rapports (DR) 46, p. 231, Grava, précité, § 51, et Gurguchiani c. Espagne, no 16012/06, § 31, 15 décembre 2009).
52. Par exemple, dans les passages de son arrêt 39/2012 consacrés au principe de légalité, le Tribunal constitutionnel s’exprima ainsi :
« 3. (…) Il convient d’emblée d’observer que la question sous examen ne relève pas du domaine du droit fondamental consacré par l’article 25 § 1 de la Constitution – celui de l’interprétation et de l’application des incriminations, de la qualification des faits établis au regard de ces incriminations et de l’imposition des peines qui s’y attachent (…) – mais du domaine de l’exécution d’une peine privative de liberté puisque cette question porte sur l’imputation des remises de peine pour travail en détention et que l’interprétation que nous sommes appelés à examiner ne peut aboutir à l’accomplissement de peines plus lourdes que celles prévues par les incriminations pénales appliquées ou au dépassement de la durée maximale d’incarcération définie par la loi. Dans le même sens, et contrairement à ce que soutient le ministère public, la Cour européenne des droits de l’homme estime elle aussi que, même lorsqu’elles ont une incidence sur le droit à la liberté, les mesures portant sur l’exécution de la peine – et non sur la peine elle-même – ne relèvent pas du droit à la légalité pénale consacré par l’article 7 § 1 de la Convention dès lors qu’elles n’ont pas pour effet d’alourdir la peine infligée par rapport à celle prévue par la loi. Par un arrêt Grava c. Italie (§ 51) rendu le 10 juillet 2003, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée en ce sens dans une affaire où était en cause une remise de peine en citant mutatis mutandis Hogben c. Royaume-Uni (no 11653/85, décision de la Commission du 3 mars 1986, Décisions et rapports (DR) 46, pp. 231, 242, en matière de libération conditionnelle). Plus récemment, dans l’arrêt qu’elle a rendu le 15 décembre 2009 en l’affaire Gurguchiani c. Espagne (§ 31), la Cour s’est exprimée ainsi : « la Commission comme la Cour ont établi dans leur jurisprudence une distinction entre une mesure constituant en substance une « peine » et une mesure relative à l’«exécution » ou à l’«application » de la « peine ». En conséquence, lorsque la nature et le but d’une mesure concernent la remise d’une peine ou un changement dans le système de libération conditionnelle, cette mesure ne fait pas partie intégrante de la «peine » au sens de l’article 7 ».
Il convient également de rejeter le grief de violation du droit à la légalité pénale (article 25 § 1 de la Constitution) découlant – selon le requérant – de l’application rétroactive de l’article 78 du code pénal de 1995 (dans son libellé initial et dans celui résultant de la loi organique 7/2003), disposition par laquelle le législateur a autorisé le juge ou le tribunal auteur de la condamnation à « décider que les bénéfices pénitentiaires, les permissions de sortie, le classement au troisième degré pénitentiaire et le calcul du temps pour l’obtention de la libération conditionnelle s’appliquer[aient] à la totalité des peines imposées » dans certaines situations de cumul de peines (article 78 § 1 du code pénal). Le législateur a imposé la prise en compte de la totalité des peines infligées dans des situations de cumul de peines particulièrement lourdes. Cette obligation connaît cependant certaines exceptions (article 78 §§ 2 et 3 du code pénal actuellement en vigueur). Cela étant, les décisions critiquées et la jurisprudence du Tribunal suprême qui s’y trouve invoquée n’ont pas fait une application rétroactive de cette règle (laquelle n’est d’ailleurs pas applicable aux remises de peine pour travail en détention, puisque celles-ci ont été supprimées par le code pénal de 1995). Elles ont bien appliqué les dispositions qui étaient en vigueur au moment de la commission des faits pour lesquels le requérant a été condamné (articles 70.2 et 100 du code pénal de 1973), mais en leur donnant une nouvelle interprétation qui, bien que fondée sur la méthode de calcul expressément consacrée par l’article 78 du code pénal de 1995, était selon elles possible au regard du libellé des articles 70.2 et 100 du code pénal de 1973. Dans ces conditions, si l’on s’en tient au raisonnement suivi par les organes juridictionnels et aux règles applicables, le grief du requérant manque de fondement factuel puisqu’il faut qu’une règle de droit pénal ait été appliquée rétroactivement à des faits commis avant son entrée en vigueur pour tomber sous le coup de l’interdiction de la rétroactivité de la loi pénale plus sévère posée par l’article 25 § 1 de la Constitution (…) »
À propos du droit à la liberté, le Tribunal constitutionnel déclara notamment ce qui suit :
« 4. (…) Il ressort de notre jurisprudence que les remises de peine pour travail en détention ont une incidence directe sur le droit fondamental à la liberté garanti par l’article 17 § 1 de la Constitution, puisque la durée de la privation de liberté dépend notamment de leur application au regard de l’article 100 du code pénal de 1973 (…) Cette disposition prévoit que « le détenu bénéficiera, aux fins de l’accomplissement de la peine qui lui a été infligée et après approbation du juge de l’application des peines, d’une remise de peine d’un jour pour deux jours de travail effectué » selon un décompte périodique pratiqué par les juges d’application des peines sur proposition des centres pénitentiaires, les remises de peine étant par la suite prises en compte, aux fins de la purge de la peine, par la juridiction ayant prononcé la condamnation (…)
Nous avons en outre déclaré que les remises de peine pour travail en détention s’inscrivaient dans la ligne de l’article 25 § 2 de la Constitution et qu’elles se rattachaient à la finalité rééducative de la peine privative de liberté (…) Et s’il est constant que l’article 25 § 2 ne consacre aucun droit fondamental susceptible d’amparo, cette disposition édicte cependant une règle d’orientation de la politique pénale et pénitentiaire à l’intention du législateur ainsi qu’un principe d’interprétation des règles relatives au prononcé et à l’exécution des peines privatives de liberté, règle et principe qui sont consacrés par la Constitution (…)
Par ailleurs, après avoir relevé que le droit garanti par l’article 17 § 1 de la Constitution n’autorise la privation de liberté que « dans les cas et les formes prévus par la loi », nous avons conclu que l’on ne pouvait exclure que les modalités d’accomplissement de la peine relatives au calcul de la durée de l’incarcération puissent porter atteinte à ce droit en cas de non-respect des dispositions légales relatives à l’accomplissement successif ou simultané de différentes peines qui auraient pu donner lieu à une réduction de la durée de la détention du condamné, dès lors que le non-respect de ces règles conduit à une prolongation irrégulière de la détention et, par conséquent, de la privation de liberté (…) Dans le même sens, la Cour européenne des droits de l’homme a elle aussi conclu à la violation du droit à la liberté garanti par l’article 5 de la Convention dans une affaire où était en cause l’accomplissement d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure « à celle qui était la sanction [que le condamné] aurait dû subir selon le système juridique national et compte tenu des bénéfices auxquels il avait droit. Son surplus d’emprisonnement ne saurait partant s’analyser en une détention régulière aux sens de la Convention » (Grava c. Italie, CEDH 10 juillet 2003, § 45). »
Après avoir conclu à la violation du droit à une protection juridictionnelle effective, le Tribunal constitutionnel s’exprima dans les termes suivants concernant les conséquences de cette violation sous l’angle du droit à la liberté :
« 8. Toutefois, nous ne pouvons nous arrêter au seul constat de violation [de l’article 24 § 1 de la Constitution] opéré ci-dessus. Nous devons en outre tenir compte des conséquences de cette violation sous l’angle du droit à la liberté (article 17 § 1 de la Constitution).
En effet, compte tenu de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’ordonnance du 28 mai 1997 adoptée par l’organe juridictionnel responsable de l’application des peines (dont le rôle consistait à déterminer comment et quand la peine devait s’accomplir et s’éteindre) et de la situation juridique établie par la décision précitée en ce qui concerne le décompte des remises de peine pour travail en détention, la peine a été accomplie pendant des années selon les modalités prévues par l’ordonnance en question : application de l’ancien code pénal et des règles régissant les remises de peine pour travail en détention, selon lesquelles le condamné devait bénéficier d’un jour de remise pour deux jours travaillés, et prise en compte des jours de remise de peine à titre de période d’accomplissement effectif de la peine devant être imputée sur la durée maximale d’incarcération de trente ans résultant du cumul des peines. Cela s’est concrétisé par des actes non équivoques de l’administration pénitentiaire, à savoir l’établissement de tableaux de calculs où figurent les décomptes provisoires des peines – décomptes retenant les remises de peine pour travail en détention et effectués périodiquement par le juge d’application des peines sur proposition du centre pénitentiaire, et en particulier un tableau du 25 janvier 2006 qui a servi de base à la proposition de remise en liberté définitive du condamné à la date du 29 mars 2006 adressée à l’organe juridictionnel par le directeur du centre pénitentiaire.
Il s’ensuit que, en application de la législation en vigueur à l’époque de la commission du fait délictueux et selon le décompte des remises de peine pour travail en détention effectué conformément au critère ferme et intangible établi par l’organe juridictionnel responsable de l’application des peines, le requérant avait déjà purgé la peine qui lui avait été infligée. Partant, et bien que l’intéressé ait été régulièrement privé de liberté, il a subi une privation de liberté en dehors des cas prévus par la loi après avoir purgé sa peine dans les conditions exposées ci-dessus, car la base légale qui la justifiait avait disparu. Il s’ensuit que le surplus d’emprisonnement subi par le requérant s’analyse en une privation de liberté dépourvue de base légale et attentatoire au droit fondamental à la liberté garanti par l’article 17 § 1 de la Constitution (CEDH 10 juillet 2003, Grava c. Italie, §§ 44 et 45).
Dans un État de droit, il n’est pas admissible de prolonger la privation de liberté d’une personne qui a déjà purgé sa peine. En conséquence, il incombe aux organes juridictionnels ordinaires de prendre dans les plus brefs délais les mesures qui s’imposent pour mettre un terme à la violation du droit fondamental à la liberté et procéder à la libération immédiate du requérant. »
53. Les arrêts du Tribunal constitutionnel donnèrent lieu à des opinions séparées – concordantes ou dissidentes – de certains juges. Dans l’opinion dissidente qu’elle joignit à l’arrêt 40/2012, la juge A. Asua Batarrita déclara que l’application de la nouvelle interprétation de la règle de calcul de la durée de la peine à purger pendant la phase d’exécution de celle-ci remettait en cause une situation juridique acquise et déjouait les prévisions fondées sur l’interprétation constante des règles applicables. Elle rappela les caractéristiques du dispositif des remises de peine institué par le code pénal de 1973 et la distinction traditionnellement opérée entre la « durée nominale » et la « durée réelle » de la peine, distinction prise en compte par le juge lors de la fixation de la peine. Elle indiqua que les remises de peine pour travail en détention se distinguaient des autres « bénéfices pénitentiaires » tels que la libération conditionnelle. En plus, l’octroi de ces remises ne relevait pas du pouvoir discrétionnaire du juge car celui-ci n’était pas tenu par des critères tels que l’amélioration du comportement du condamné ou l’appréciation de sa dangerosité. Elle en conclut que les remises de peine pour travail en détention étaient d’application obligatoire selon la loi. Elle déclara que, au regard du code pénal de 1973, le principe de légalité devait s’appliquer non seulement aux délits mais aussi aux conséquences répressives découlant de leur commission, c’est-à-dire à la limite nominale des peines à purger et à leur limite effective après déduction des remises de peine pour travail en détention prévues à l’article 100 du code pénal de 1973. Relevant que les limites établies à l’article 70.2 du code pénal de 1973 combinées avec les remises de peine pour travail en détention avaient pour effet de ramener la durée maximale nominale de la peine (trente ans) à une durée d’accomplissement effectif plus courte (vingt ans), sauf en cas de mauvaise conduite ou de tentative d’évasion, elle jugea que la « doctrine Parot » avait établi une distinction artificielle entre « peine » (pena) et « peine à purger » (condena) qui n’avait aucune base dans le code pénal, et qu’elle avait subordonné l’application de la limite de trente ans à une nouvelle condition non prévue par l’article 70.2 du code pénal de 1973, selon laquelle l’accomplissement de la peine pendant cette période devait se faire « dans un établissement pénitentiaire », écartant ainsi l’application des règles sur les remises de peine pour travail en détention. Elle estima que cela revenait à infliger une peine nominale à purger de quarante-cinq ans (c’est-à-dire trente ans d’emprisonnement effectif plus quinze ans correspondant au travail effectué en détention).
Elle considéra que ni les arguments téléologiques ni les considérations de politique criminelle à l’origine de la « doctrine Parot » ne pouvaient justifier un tel revirement de jurisprudence sur l’interprétation d’une loi – le code pénal de 1973 – abrogée depuis plus de dix ans. Au vu de l’ensemble de ces considérations, elle conclut que l’interprétation à laquelle le Tribunal suprême s’était livré dans son arrêt de 2006 était imprévisible et qu’il y avait eu violation des articles 25 § 1 (principe de légalité), 17 § 1 (droit à la liberté) et 24 § 1 (droit à une protection juridictionnelle effective) de la Constitution.
54. Dans l’opinion concordante qu’il joignit à l’arrêt 39/2012, le juge P. Pérez Tremps se référa à la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 de la Convention et en particulier à l’exigence de prévisibilité de la loi (M. c. Allemagne, no 19359/04, § 90, CEDH 2009). Il précisa que cette exigence devait s’appliquer à la durée réelle et effective de la privation de liberté. Ayant relevé que la législation interprétée par le Tribunal suprême – le code pénal de 1973 – n’était plus en vigueur en 2006 et qu’elle ne pouvait déployer ses effets que dans la mesure où elle bénéficiait aux personnes condamnées, il en conclut qu’un revirement jurisprudentiel inopiné et imprévisible ne pouvait se concilier avec le droit à la liberté. Par ailleurs, il déclara douter que des dispositions législatives qui ne prévoyaient pas explicitement le mode de calcul des remises de peines et faisaient l’objet de deux interprétations diamétralement opposées satisfassent à l’exigence de qualité de la loi.
55. Dans l’opinion dissidente qu’il joignit à l’arrêt 41/2012, le juge E. Gay Montalvo déclara que l’application des articles 70.2 et 100 du code pénal de 1973 conformément à la « doctrine Parot » avait conduit à l’imposition d’une peine dépassant la limite maximale de trente ans, les jours de privation effective de liberté s’ajoutant à ceux que la loi réputait purgés pour d’autres motifs. Il en conclut qu’il y avait eu violation du principe de la légalité pénale d’une part et, d’autre part, du droit à la liberté en raison de la prolongation non prévue par la loi de la détention de l’intéressé.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
56. La requérante allègue que l’application à ses yeux rétroactive d’un revirement de jurisprudence opéré par le Tribunal suprême après sa condamnation a prolongé sa détention de près de neuf ans, au mépris de l’article 7 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
A. Arrêt de la chambre
57. Dans son arrêt du 10 juillet 2012, la chambre a conclu à la violation de l’article 7 de la Convention.
58. Elle s’est prononcée ainsi après avoir relevé, en premier lieu, que si les dispositions du code pénal de 1973 applicables aux remises de peine et à la durée maximale de la peine à purger – fixée par l’article 70 de ce texte à trente ans d’emprisonnement – présentaient une certaine ambigüité, les autorités pénitentiaires et les tribunaux espagnols avaient pour pratique de considérer cette durée maximale d’incarcération comme une nouvelle peine autonome sur laquelle devaient être imputés les bénéfices pénitentiaires tels que les remises de peine pour travail en détention. Elle en a conclu que, aux moments de la commission des faits poursuivis et de l’adoption de la décision de cumul et plafonnement des peines prononcées contre la requérante (à savoir le 30 novembre 2000), le droit espagnol pertinent, y compris jurisprudentiel, était dans son ensemble assez précis pour raisonnablement permettre à l’intéressée de prévoir la portée de la peine qui lui avait été infligée et les modalités de son exécution (paragraphe 55 de l’arrêt de la chambre, avec référence a contrario à l’arrêt Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 150, CEDH 2008).
59. La chambre a observé, en deuxième lieu, que dans le cas de la requérante, la nouvelle interprétation que le Tribunal suprême avait donnée en 2006 des modalités d’imputation des remises de peine avait abouti à prolonger rétroactivement de près de neuf ans la peine à purger par l’intéressée, les remises de peine pour travail en détention dont elle aurait pu bénéficier étant devenues inopérantes. Dans ces conditions, elle a jugé que cette mesure ne concernait pas seulement l’exécution de la peine infligée à la requérante, mais qu’elle avait aussi un impact décisif sur la portée de la « peine » au sens de l’article 7 (paragraphe 59 de l’arrêt de la chambre).
60. La chambre a noté, en troisième lieu, que le revirement jurisprudentiel opéré par le Tribunal suprême ne découlait pas d’une jurisprudence antérieure, et que le Gouvernement avait lui-même admis que la pratique pénitentiaire et judiciaire préexistante allait dans le sens le plus favorable à la requérante. Elle a précisé que ce revirement était intervenu après l’entrée en vigueur du nouveau code pénal de 1995, qui avait supprimé le dispositif des remises de peine pour travail en détention et établi de nouvelles règles – plus rigoureuses – pour l’application des bénéfices pénitentiaires s’agissant des détenus condamnés à plusieurs peines d’emprisonnement de longue durée. À cet égard, elle a souligné que les juridictions internes ne pouvaient appliquer rétroactivement et au détriment des personnes concernées la politique criminelle des changements législatifs intervenus après la commission de l’infraction (paragraphe 62 de l’arrêtde la chambre). Elle en a conclu que, à l’époque des faits et au moment de l’adoption de la décision portant cumul et plafonnement de toutes les peines prononcées à l’encontre de l’intéressée, il était difficile – voire impossible – pour celle-ci de prévoir que les modalités d’imputation des remises de peine feraient l’objet en 2006 d’un revirement de jurisprudence opéré par le Tribunal suprême, que ce revirement lui serait appliqué, et que la durée de son incarcération s’en trouverait notablement prolongée (paragraphe 63 de l’arrêt de la chambre).
B. Thèses des parties devant la Grande Chambre
1. Thèse de la requérante
61. La requérante soutient que la durée maximale de son incarcération – à savoir trente ans – telle que fixée par la décision de cumul et plafonnement des peines adoptée le 30 novembre 2000 s’analysait en une nouvelle peine résultant du cumul de celles-ci et/ou en la fixation finale de sa peine. Elle déclare souscrire à la conclusion de la chambre selon laquelle, pendant qu’elle purgeait sa peine d’emprisonnement, elle pouvait légitimement espérer, au regard de la pratique existante, que les remises de peine accordées en contrepartie du travail qu’elle effectuait en détention depuis 1987 seraient déduites de la durée maximale de trente ans d’incarcération.
62. Dans ces conditions, la requérante estime que l’application dans son affaire du revirement de jurisprudence opéré par l’arrêt 197/2006 du Tribunal suprême équivaut à l’imposition rétroactive d’une peine supplémentaire qui ne saurait s’analyser en une simple mesure d’exécution de la peine. Elle considère que, par l’effet de ce revirement, la peine de trente ans fixée par la décision du 30 novembre 2000 qui lui a été notifiée le même jour a cessé d’être considérée comme une nouvelle peine autonome et/ou comme la peine définitive et que les diverses peines qu’elle s’était vu infliger entre 1988 et 2000 (d’une durée totale de plus de trois mille ans d’emprisonnement) à l’issue des huit procès dirigés contre elle ont été d’une certaine manière rétablies. Elle allègue que, en imputant les remises de peine sur chacune des peines prononcées prise isolément, les tribunaux espagnols l’ont privée du bénéfice des remises de peine accordées et ont prolongé de neuf ans la durée de son incarcération. Ce faisant, les juridictions en question n’auraient pas simplement altéré les règles applicables aux remises de peine, mais auraient de surcroît redéfini et/ou modifié notablement la « peine » qui lui avait été notifiée.
63. Le revirement de jurisprudence opéré par le Tribunal suprême dans son arrêt 197/2006 n’aurait pas été raisonnablement prévisible au regard de la pratique et de la jurisprudence antérieures, et aurait privé les remises de peine pour travail en détention prévues par l’ancien code pénal de 1973 de tout effet utile pour les personnes se trouvant dans une situation analogue à celle de la requérante. L’arrêt en question aurait conduit à appliquer à l’intéressée la politique criminelle ayant inspiré le nouveau code pénal de 1995 en dépit de la volonté des auteurs de ce texte de maintenir le dispositif de remises de peine instauré par le code pénal 1973 au profit des personnes condamnées sur le fondement de celui-ci .
64. À titre subsidiaire, force serait de constater qu’à l’époque de la commission des faits poursuivis, le droit espagnol n’était pas formulé avec suffisamment de précision pour raisonnablement permettre à la requérante de discerner la portée de la peine infligée et les modalités d’exécution de celle-ci (Kafkaris, précité, § 150). En effet, le code pénal de 1973 aurait été ambigu en ce qu’il ne précisait pas si la durée maximale d’incarcération de trente ans constituait une nouvelle peine autonome, si les peines prononcées subsistaient après leur cumul, et sur quelle peine devaient être imputées les remises de peine accordées. L’arrêt 197/2006 n’aurait pas conduit à éclaircir la question de la fixation de la peine, le Tribunal suprême n’ayant pas expressément infirmé son ordonnance du 25 mai 1990 d’après laquelle le cumul des peines prévu par l’article 70.2 du code pénal de 1973 constituait une modalité de détermination de la peine.
Du reste, si l’ordonnance en question était demeurée en vigueur, l’Audiencia Nacional aurait dû choisir entre plusieurs peines potentiellement applicables aux fins de l’imputation des remises de peine, à savoir la peine de trente ans ou les peines prononcées prises isolément. Conformément à la jurisprudence Scoppola c. Italie (no 2) ([GC], no 10249/03, 17 septembre 2009), l’Audiencia Nacional aurait été tenue d’appliquer la loi pénale la plus douce au regard des circonstances particulières de l’affaire.
65. Par ailleurs, la distinction entre la peine et l’exécution de celle-ci ne serait pas toujours nette en pratique. Il incomberait au gouvernement qui s’en prévaut de démontrer qu’elle trouve à s’appliquer dans telle ou telle affaire, notamment lorsque le manque de netteté de cette distinction résulte de la manière dont l’État a rédigé ou appliqué ses lois. Il conviendrait de distinguer la présente affaire d’autres affaires portant sur des mesures discrétionnaires de libération anticipée ou des mesures qui n’emportent pas une redéfinition de la peine (Hogben [c. Royaume-Uni, no11653/85, décision de la Commission du 3 mars 1986, Décisions et rapports 46, p. 231], Hosein c. Royaume-Uni, no 26293/95, décision de la Commission du 28 février 1996, non publiée,Grava [c. Italie, no 43522/98, 10 juillet 2003], Uttley c. Royaume-Uni, (déc.), no 36946/03, 29 novembre 2005). Subsidiairement, du point de vue de la qualité de la loi, la présente affaire se rapprocherait de l’affaire Kafkaris en ce qu’elle ferait apparaître une incertitude quant à la portée et à la teneur de la peine, incertitude due en partie à la manière dont les règles relatives aux remises de peine ont été interprétées et appliquées. En tout état de cause, il ressortirait de l’arrêt Kafkaris que l’exigence de qualité de la loi s’applique tant à la portée de la peine qu’aux modalités de son exécution, notamment lorsque la substance et l’exécution de la peine sont étroitement liées.
66. Enfin, quant à la valeur de la jurisprudence en matière pénale, à supposer même qu’il soit légitime de modifier la jurisprudence des tribunaux pour répondre aux évolutions sociales, le Gouvernement n’aurait pas justifié des raisons pour lesquelles le revirement litigieux devait s’appliquer rétroactivement. En tout état de cause, ni le Gouvernement ni les tribunaux n’auraient déclaré que l’application du revirement jurisprudentiel de 2006 à la requérante répondait aux « nouvelles réalités sociales ».
2. Thèse du Gouvernement
67. Le Gouvernement rappelle que la requérante appartient à l’organisation criminelle ETA et qu’elle a participé à de nombreux attentats terroristes de 1982 jusqu’à sa détention en 1987. Il ajoute que, pour ces crimes, l’intéressée a été condamnée entre 1988 et 2000 à des peines d’une durée totale de plus de trois mille ans d’emprisonnement pour vingt-trois assassinats, cinquante-sept tentatives d’assassinat et d’autres infractions. Il avance que les divers jugements de condamnation dont la requérante a fait l’objet ont été prononcés sur le fondement du code pénal de 1973 en vigueur à l’époque de la commission des faits délictueux, qui définissait très clairement les infractions et les peines dont elles étaient passibles. Il précise que cinq de ces jugements de condamnation et la décision de cumul et plafonnement des peines adoptée le 30 novembre 2000 avaient fait expressément savoir à la requérante que, en application de l’article 70.2 du code pénal, la durée totale de la peine d’emprisonnement qu’elle devrait purger serait de trente ans. Par ailleurs, il fait observer que, au 15 février 2001, date de la décision de l’Audiencia Nacional fixant au 27 juin 2017 le terme de la peine à purger par la requérante, celle-ci avait déjà obtenu des remises de peine de plus de quatre ans en contrepartie du travail effectué en détention. L’intéressée aurait acquiescé à la date de libération fixée par l’Audiencia Nacional faute d’avoir fait appel de cette décision.
68. Il ressortirait de manière parfaitement claire du code pénal de 1973 que la durée maximale d’accomplissement de trente ans ne s’analysait pas en une nouvelle peine mais en une mesure de plafonnement des peines prononcées s’exécutant successivement suivant l’ordre de leur gravité respective, celles-ci devenant caduques pour le surplus. L’opération de cumul et de plafonnement des peines aurait eu pour seul but de fixer un terme à la durée d’exécution des différentes peines prononcées à l’issue des diverses procédures. Par ailleurs, pour ce qui est des remises de peine pour travail en détention, l’article 100 du code pénal de 1973 indiquerait tout aussi clairement qu’elles devaient être imputées sur la « peine imposée », c’est-à-dire sur chacune des peines imposées jusqu’à ce que soit atteinte la limite maximale d’accomplissement.
69. S’il est constant que, avant l’adoption de l’arrêt 197/2006 du Tribunal suprême, les centres pénitentiaires et les tribunaux espagnols avaient pour pratique d’imputer les remises de peines pour travail en détention sur la limite maximale de trente ans, cette pratique se rapporterait non pas à la détermination de la peine, mais à son exécution. Par ailleurs, cette pratique ne trouverait aucun appui dans la jurisprudence du Tribunal suprême en l’absence de principe établi sur la question des modalités d’imputation des remises de peine pour travail en détention. L’arrêt isolé rendu par la haute juridiction en 1994 sur ce point ne suffirait pas à faire jurisprudence d’après le droit espagnol. Le Tribunal suprême n’aurait fixé sa jurisprudence en la matière qu’à partir de l’arrêt 197/2006 adopté par sa chambre criminelle. En outre, cette jurisprudence aurait été approuvée par la formation plénière du Tribunal constitutionnel dans plusieurs arrêts rendus le 29 mars 2012 comportant de nombreuses références à la jurisprudence de la Cour relative à la distinction entre « peine » et « exécution » de la peine.
70. La chambre aurait considéré à tort que l’application de la « doctrine Parot » privait les remises de peine pour travail en détention accordées aux personnes condamnées sur le fondement de l’ancien code pénal de 1973 de tout effet utile. Les remises de peine continueraient à être imputées sur chaque peine prononcée prise isolément jusqu’à ce que soit atteinte la durée maximale d’accomplissement. La limite de trente ans ne serait atteinte avant que les remises de peine pour travail en détention accordées aient une incidence sur une fraction importante des peines prononcées que dans le cas des crimes les plus graves, parmi lesquels figurent ceux commis par la requérante. De la même manière, la chambre aurait jugé à tort que le Tribunal suprême avait appliqué rétroactivement la politique ayant inspiré les réformes législatives intervenues en 1995 et 2003. À cet égard, force serait de constater que les réformes en question ne font aucunement état des modalités d’imputation des remises de peine pour travail en détention, supprimées par le code pénal de 1995. Si la politique pénale à l’origine de la loi de 2003 avait été appliquée rétroactivement, la durée maximale d’emprisonnement à purger par la requérante aurait été de quarante ans.
71. Dans son arrêt, la chambre se serait écartée de la jurisprudence de la Cour portant sur la distinction à opérer entre les mesures constituant une « peine » et les mesures relatives à l’« exécution » d’une peine. Conformément à cette jurisprudence, une mesure ayant pour but la remise d’une peine ou un changement dans le système de libération conditionnelle ne ferait pas partie intégrante de la « peine » au sens de l’article 7 (Grava, précité, § 51, Uttley, décision précitée, et Kafkaris, précité, § 142 ; voir également Hogben, décision précitée). Dans l’affaire Kafkaris, la Cour aurait admis qu’une réforme de la législation pénitentiaire appliquée rétroactivement et excluant les condamnés à la réclusion à perpétuité du bénéfice éventuel des remises de peine pour travail en détention concernait l’exécution de la peine et non la peine imposée (§ 151). Dans la présente affaire, le droit pénitentiaire n’aurait pas été modifié. L’arrêt 197/2006 du Tribunal suprême relatif aux modalités d’imputation des remises de peine pour travail en détention aurait eu pour seul effet d’empêcher que la date de libération de la requérante ne soit avancée de neuf ans, non de prolonger la peine prononcée contre celle-ci.
72. La présente affaire se distinguerait de celles se rapportant manifestement à la peine et non à l’exécution de celle-ci (Scoppola, précité, Gurguchiani [c. Espagne, no 16012/06, 15 décembre 2009, et M. c. Allemagne [no 19359/04, CEDH 2009]). La mesure litigieuse aurait trait aux remises de peine ou au « régime de libération anticipée », non à la durée maximale d’accomplissement des peines prononcées, qui n’aurait pas été modifiée. Les remises de peine pour travail en détention ne poursuivraient pas les objectifs caractérisant la sanction pénale, mais feraient partie des mesures d’accomplissement de celle-ci en ce qu’elles autoriseraient la libération anticipée du détenu concerné avant qu’il ait purgé les peines prononcées contre lui pour autant qu’il ait fait preuve de sa volonté de réinsertion sociale par le travail ou l’accomplissement d’autres activités rémunérées. Dans ces conditions, les remises de peine pour travail en détention ne sauraient passer pour des mesures imposées à la suite d’une condamnation pour une « infraction pénale », car elles seraient plutôt des mesures se rapportant au comportement du détenu au cours de l’exécution de sa peine. Par ailleurs, elles ne présenteraient aucune « sévérité » car elles opéreraient toujours en faveur du détenu concerné, leur application ne pouvant conduire qu’à avancer la date de remise en liberté de celui-ci.
73. L’arrêt de la chambre irait à l’encontre de la jurisprudence de la Cour relative à la question de savoir dans quelle mesure un délinquant doit pouvoir prévoir, au moment de la commission des faits, la durée exacte de son emprisonnement. Les remises de peine pour travail en détention étant de nature purement pénitentiaire, on ne saurait reprocher au Tribunal suprême de s’être écarté de la pratique antérieurement suivie en matière d’imputation des remises de peine, le revirement opéré par la haute juridiction n’ayant eu aucune incidence sur les droits garantis par l’article 7. La Cour n’aurait jamais déclaré que l’exigence de prévisibilité s’étendait à la durée exacte de la peine à purger après décompte des bénéfices pénitentiaires, des remises de peine, des éventuelles grâces ou de tout autre élément se rattachant à l’exécution de la peine. Ces éléments seraient impossibles à prévoir et à calculer ex ante.
74. Enfin, les implications de l’arrêt de la chambre seraient contestables en ce qu’elles remettraient en cause la valeur et la fonction que la Cour aurait elle-même attribuées à la jurisprudence en matière pénale et pénitentiaire (Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, CEDH 2001‑II). La chambre aurait considéré qu’un arrêt isolé rendu en 1994, erroné bien que consacré par une pratique administrative, devait prévaloir sur une jurisprudence établie par le Tribunal suprême puis confirmée par le Tribunal constitutionnel, alors pourtant que celle-ci serait plus respectueuse du texte de la loi en vigueur au moment des faits. Or une interprétation judiciaire plus respectueuse de la lettre de la loi applicable ne saurait par principe être qualifiée d’imprévisible.
C. Observations du tiers intervenant
75. La Commission internationale de juristes rappelle que le principe de légalité des délits et des peines consacré par l’article 7 de la Convention ainsi que par d’autres instruments internationaux est un élément essentiel de la prééminence du droit. Elle avance que, conformément à ce principe, ainsi qu’à l’objet et au but de l’article 7 qui interdisent tout arbitraire dans l’application du droit, les notions autonomes de « loi » et de « peine » doivent recevoir une interprétation suffisamment large pour faire échec à l’application rétroactive déguisée d’une loi pénale ou d’une peine au détriment d’un condamné. Elle soutient que lorsque des modifications apportées à la loi ou à l’interprétation de celle-ci entraînent la remise en cause d’une peine ou d’une remise de peine impliquant une réévaluation importante de la peine dans un sens qui n’était pas prévisible au moment du prononcé de la peine initiale et qui est préjudiciable au condamné et à ses droits conventionnels, ces modifications portent par nature sur le contenu de la peine et non sur la procédure ou les modalités d’exécution de celle-ci, de sorte qu’elles tombent sous le coup de l’interdiction de la rétroactivité. La Commission internationale de juristes plaide que certaines normes qualifiées dans les ordres juridiques internes de règles de procédure pénale ou de règles d’exécution des peines ont des incidences importantes, imprévisibles et préjudiciables aux droits individuels et que, eu égard à leur nature, elles sont assimilables ou équivalentes à une loi pénale ou à une peine à effet rétroactif. Pour cette raison, l’interdiction de la rétroactivité devrait s’appliquer à de telles normes.
76. À l’appui de sa thèse selon laquelle le principe de non-rétroactivité doit s’appliquer aux règles procédurales ou d’exécution des peines affectant de manière importante les droits de l’accusé ou du condamné, la Commission internationale de juristes fait état de plusieurs éléments de droit international et de droit comparé (statuts et règlements de procédure des cours pénales internationales, législation et jurisprudence portugaises, françaises et néerlandaises).
D. Appréciation de la Cour
1. Principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour
a) Nullum crimen, nulla poena sine lege
77. La garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation même en temps de guerre ou autre danger public menaçant la vie de la nation. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 34, série A no 335-B, et C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 32, série A no 335-C, et Kafkaris, précité, § 137).
78. L’article 7 de la Convention ne se borne pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé (voir, en ce qui concerne l’application rétroactive d’une peine, Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 36, série A no 307‑A, Jamil c. France, 8 juin 1995, § 35, série A no 317‑B, Ecer et Zeyrek c. Turquie, nos 29295/95 et 29363/95, § 36, CEDH 2001‑II, et Mihai Toma c. Roumanie, no 1051/06, §§ 26-31, 24 janvier 2012). Il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines – « nullum crimen, nulla poena sine lege » – (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260-A). S’il interdit en particulier d’étendre le champ d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie (Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII ; pour un exemple d’application par analogie d’une peine, voir l’arrêt Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie [GC], nos 23536/94 et 24408/94, §§ 42-43, CEDH 1999‑IV).
79. Il s’ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef (Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Kafkaris, précité, § 140).
80. La tâche qui incombe à la Cour est donc, notamment, de s’assurer que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition (Coëme et autres, précité, § 145, et Achour c. France [GC], no67335/01, § 43, CEDH 2006‑IV).
b) Notion de « peine » et portée de la peine
81. La notion de « peine » contenue dans l’article 7 § 1 de la Convention possède, comme celles de « droits et obligations de caractère civil » et d’« accusation en matière pénale » figurant à l’article 6 § 1, une portée autonome. Pour rendre effective la protection offerte par l’article 7, la Cour doit demeurer libre d’aller au-delà des apparences et d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause (Welch, précité, § 27, et Jamil, précité, § 30).
82. Le libellé de l’article 7 § 1, seconde phrase, indique que le point de départ de toute appréciation de l’existence d’une « peine » consiste à déterminer si la mesure en question a été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale. D’autres éléments peuvent être jugés pertinents à cet égard : la nature et le but de la mesure en cause, sa qualification en droit interne, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (Welch, § 28, Jamil, § 31, Kafkaris, § 142, et M. c. Allemagne, § 120, tous précités). La gravité de la mesure n’est toutefois pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive peuvent avoir un impact substantiel sur la personne concernée (Welch, précité, § 32, et Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), no 29514/05, CEDH 2006‑XV).
83. Dans leur jurisprudence, la Commission européenne des droits de l’homme comme la Cour ont établi une distinction entre une mesure constituant en substance une « peine » et une mesure relative à l’« exécution » ou à l’« application » de la peine. Il résulte de cette jurisprudence que, lorsque la nature et le but d’une mesure concernent la remise d’une peine ou un changement dans le système de libération conditionnelle, cette mesure ne fait pas partie intégrante de la « peine » au sens de l’article 7 (voir, entre autres, Hogben, décision précitée, Hosein, décision précitée, L.-G.R. c. Suède, no 27032/95, décision de la Commission du 15 janvier 1997, non publiée, Grava, précité, § 51, Uttley, décision précitée, Kafkaris, précité, § 142, Monne c. France (déc.), no 39420/06, 1er avril 2008, M. c. Allemagne, précité, § 121, Giza c. Pologne (déc.), no 1997/11, § 31, 23 octobre 2012). Ainsi la Cour a-t-elle considéré, dans l’affaire Uttley, que des modifications apportées au régime de la libération conditionnelle après la condamnation du requérant n’avaient pas été « infligées » à celui-ci, mais faisaient partie du régime général applicable aux détenus, ajoutant que, loin d’être répressive, la « mesure » litigieuse visait par sa nature et sa finalité à permettre la libération anticipée, raison pour laquelle elle ne pouvait être considérée comme étant en soi « sévère ». La Cour a donc estimé que l’application au requérant des modifications apportées au régime de la libération conditionnelle ne faisait pas partie de la « peine » infligée à l’intéressé.
84. Dans l’affaire Kafkaris, où des modifications apportées à la législation pénitentiaire avaient exclu du bénéfice des remises de peine tous les condamnés à la réclusion à perpétuité – parmi lesquels figurait le requérant, la Cour a estimé que ces modifications portaient sur l’exécution de la peine et non sur la peine imposée à l’intéressé, laquelle demeurait celle de l’emprisonnement à vie. Elle a précisé que, même si le changement apporté à la législation pénitentiaire et aux conditions de libération avait pu rendre l’emprisonnement du requérant plus rigoureux, il ne pouvait passer pour une mesure imposant une « peine » plus forte que celle infligée par la juridiction de jugement. Elle a rappelé à ce propos que les questions relatives à l’existence, aux modalités d’exécution ainsi qu’aux justifications d’un régime de libération relevaient du pouvoir reconnu aux États parties à la Convention de décider de leur politique criminelle (Achour, précité, § 44, et Kafkaris, précité, § 151).
85. Toutefois, la Cour a aussi reconnu que la distinction entre une mesure constituant une « peine » et une mesure relative à l’ « exécution » d’une peine n’était pas toujours nette en pratique (Kafkaris, § 142, Gurguchiani, § 31, et M. c. Allemagne, § 121, tous précités). Dans l’affaire Kafkaris, elle a admis que la manière dont le règlement pénitentiaire concernant les modalités d’exécution des peines avait été compris et appliqué par rapport à la peine perpétuelle que le requérant purgeait allait au-delà de la simple exécution. En effet, alors que la juridiction de jugement avait condamné le requérant à la réclusion à perpétuité pour le reste de sa vie, le règlement pénitentiaire précisait que cette peine s’entendait d’un emprisonnement pour une durée de vingt ans, les autorités pénitentiaires envisageant d’ailleurs la remise de la peine perpétuelle sur cette base. La Cour a estimé que « la distinction entre la portée d’une peine perpétuelle et les modalités de son exécution n’apparaissait donc pas d’emblée » (§ 148).
86. Dans l’affaire Gurguchiani, la Cour a estimé que le remplacement d’une peine d’emprisonnement – pendant la procédure d’exécution de celle‑ci – par une expulsion assortie d’une interdiction du territoire pour une durée de dix ans constituait une peine au même titre que celle fixée lors de la condamnation de l’intéressé.
87. Dans l’affaire M. c. Allemagne, la Cour a considéré que la prolongation de la détention de sûreté du requérant par les tribunaux de l’exécution des peines, en vertu d’une loi entrée en vigueur après que le requérant eut commis l’infraction, devait s’analyser en une peine supplémentaire prononcée contre lui rétroactivement.
88. La Cour tient à souligner que le terme « infligé » figurant à la seconde phrase de l’article 7 § 1 ne saurait être interprété comme excluant du champ d’application de cette disposition toutes les mesures pouvant intervenir après le prononcé de la peine. Elle rappelle à cet égard qu’il est d’une importance cruciale que la Convention soit interprétée et appliquée d’une manière qui en rende les garanties concrètes et effectives, et non pas théoriques et illusoires (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 175, CEDH 2012, et Scoppola, précité, § 104).
89. Au vu de ce qui précède, la Cour n’exclut pas que des mesures prises par le législateur, des autorités administratives ou des juridictions après le prononcé d’une peine définitive ou pendant l’exécution de celle-ci puissent conduire à une redéfinition ou à une modification de la portée de la « peine » infligée par le juge qui l’a prononcée. En pareil cas, la Cour estime que les mesures en question doivent tomber sous le coup de l’interdiction de la rétroactivité des peines consacrée par l’article 7 § 1 in fine de la Convention. S’il en allait différemment, les Étatsseraient libres d’adopter – par exemple en modifiant la loi ou en réinterprétant des règles établies – des mesures qui redéfiniraient rétroactivement et au détriment du condamné la portée de la peine infligée, alors même que celui-ci ne pouvait le prévoir au moment de la commission de l’infraction ou du prononcé de la peine. Dans de telles conditions, l’article 7 § 1 se verrait privé d’effet utile pour les condamnés dont la portée de la peine aurait été modifiée a posteriori, et à leur détriment. La Cour précise que pareilles modifications doivent être distinguées de celles qui peuvent être apportées aux modalités d’exécution de la peine, lesquelles ne relèvent pas du champ d’application de l’article 7 § 1 in fine.
90. Pour se prononcer sur la question de savoir si une mesure prise pendant l’exécution d’une peine porte uniquement sur les modalités d’exécution de celle-ci ou en affecte au contraire la portée, la Cour doit rechercher au cas par cas ce que la « peine » infligée impliquait réellement en droit interne à l’époque considérée ou, en d’autres termes, quelle en était la nature intrinsèque. Ce faisant, elle doit notamment avoir égard au droit interne dans son ensemble et à la manière dont il était appliqué à cette époque (Kafkaris, précité, § 145).
c) Prévisibilité de la loi pénale
91. La notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilité et de prévisibilité (Kokkinakis, précité, §§ 40-41, Cantoni, précité, § 29, Coëme et autres, précité, § 145, et E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51, 7 février 2002). Ces conditions qualitatives doivent être remplies tant pour la définition d’une infraction que pour la peine que celle-ci implique.
92. En raison même du caractère général des lois, le libellé de celles-ci ne peut pas présenter une précision absolue. L’une des techniques-types de réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu’à des listes exhaustives. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (Kokkinakis, précité, § 40, et Cantoni, précité, § 31). Dès lors, dans quelque système juridique que ce soit, aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, y compris une disposition de droit pénal, il existe inévitablement un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or, le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation (Kafkaris, précité, § 141).
93. La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes (ibidem). D’ailleurs, il est solidement établi dans la tradition juridique des États parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal (Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, série A no 176‑A). On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (S.W. c. Royaume-Uni, précité, § 36, et C.R. c. Royaume-Uni, précité, § 34, Streletz, Kessler et Krenz, précité, § 50, K.-H.W. c. Allemagne [GC], no 37201/97, § 85, 22 mars 2001, Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 71, CEDH 2008, et Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 185, CEDH 2010). L’absence d’une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible peut même conduire à un constat de violation de l’article 7 à l’égard d’un accusé (voir, pour ce qui est des éléments constitutifs de l’infraction, Pessino c. France, no 40403/02, §§ 35-36, 10 octobre 2006, et Dragotoniu et Militaru-Pidhorni c. Roumanie, nos 77193/01 et 77196/01, §§ 43-44, 24 mai 2007 ; voir, pour ce qui est de la peine, Alimuçaj c. Albanie, no 20134/05, §§ 154-162, 7 février 2012). S’il en allait autrement, l’objet et le but de cette disposition – qui veut que nul ne soit soumis à des poursuites, condamnations ou sanctions arbitraires – seraient méconnus.
2. Application des principes précités en l’espèce
94. La Cour relève d’emblée que la reconnaissance de la culpabilité de la requérante pour les infractions pénales commises par celle-ci et les diverses peines d’emprisonnement auxquelles elle a été condamnée avaient pour base légale le code pénal de 1973, loi pénale applicable à l’époque de la commission des faits délictueux (1982-1987), ce que l’intéressée n’a pas contesté.
95. La Cour observe que l’argumentation des parties porte essentiellement sur le calcul de la durée totale de la peine à purger par la requérante en application, d’une part, des règles de cumul et plafonnement des peines, et d’autre part, du dispositif des remises de peine pour travail en détention prévus par le code pénal de 1973. La Cour note à cet égard que, par une décision adoptée le 30 novembre 2000 sur le fondement de l’article 988 de la loi de procédure pénale et de l’article 70.2 du code pénal de 1973, l’Audiencia Nacional a fixé à trente ans la durée maximale d’emprisonnement que la requérante devrait purger au titre de l’ensemble des peines privatives de liberté prononcées contre elle (paragraphe 14 ci-dessus). Elle relève en outre que, après avoir déduit de la durée maximale d’emprisonnement de trente ans les remises de peine accordées à la requérante en contrepartie du travail effectué en détention, le centre pénitentiaire de Murcie a proposé le 24 avril 2008 à l’Audiencia Nacional de remettre l’intéressée en liberté de manière définitive le 2 juillet 2008 (paragraphe 16 ci-dessus). Elle constate aussi que, le 19 mai 2008, l’Audiencia Nacional a demandé aux autorités pénitentiaires de modifier la date prévue pour la remise en liberté de la requérante en procédant à un nouveau calcul fondé sur la nouvelle jurisprudence – la « doctrine Parot » – issue de l’arrêt 197/2006 adopté par le Tribunal suprême le 28 février 2006, selon laquelle les bénéfices et remises de peine applicables doivent être imputés successivement sur chacune des peines prononcées, jusqu’à ce que le détenu concerné ait purgé la peine maximale de trente ans (paragraphes 17-18 ci-dessus). Elle observe enfin que, en application de cette nouvelle jurisprudence, l’Audiencia Nacional a fixé au 27 juin 2017 la date de libération définitive de la requérante (paragraphe 20 ci-dessus).
a) Sur la portée de la peine infligée
96. En l’espèce, la Cour est appelée à rechercher ce que la « peine » infligée à la requérante impliquait en droit interne, en particulier sur la base du texte de la loi combiné avec la jurisprudence interprétative dont il s’accompagnait. Ce faisant, elle doit avoir égard aussi au droit interne dans son ensemble et à la manière dont il était appliqué à cette époque (Kafkaris,précité, § 145).
97. Il est constant que, selon l’article 70.2 du code pénal de 1973 applicable à l’époque de la commission des faits délictueux, la durée maximale de trente ans d’emprisonnement correspondait à la durée maximale de la peine à purger (condena) applicable en cas d’infractions connexes (paragraphe 24 ci-dessus). La notion de « peine à purger » (condena) semblait donc se distinguer de la notion de « peines » (penas) prononcées ou imposées dans les différents jugements de condamnation. Par ailleurs, l’article 100 du code pénal de 1973 relatif aux remises de peine pour travail en détention disposait que, aux fins de l’accomplissement de la « peine imposée », les détenus pourraient bénéficier d’une remise de peine d’un jour pour deux jours de travail effectué (paragraphe 24 ci-dessus). Cet article ne comportait toutefois aucune règle spécifique d’imputation des remises de peine en cas d’application de la règle de cumul et de plafonnement des peines prononcées prévue par l’article 70.2 du code pénal, situation où se trouvait la requérante dont les trois mille ans d’emprisonnement avaient été ramenés à trente ans en application de ce texte. La Cour observe que ce n’est que lors de l’élaboration de l’article 78 du nouveau code pénal de 1995 que le législateur a expressément prévu, en ce qui concerne l’application des bénéfices pénitentiaires, qu’il pourrait être tenu compte, dans des cas exceptionnels, de la durée totale des peines imposées et non de la durée maximale de la peine à purger fixée par la loi (paragraphe 32 ci-dessus).
98. La Cour doit aussi avoir égard à la jurisprudence et à la pratique interprétative auxquelles ont donné lieu les dispositions pertinentes du code pénal de 1973. Elle constate, comme l’admet le Gouvernement, qu’avant l’arrêt 197/2006 du Tribunal suprême, lorsqu’une personne était condamnée à plusieurs peines d’emprisonnement ayant fait l’objet d’une décision de cumul et plafonnement, les autorités pénitentiaires et les tribunaux espagnols imputaient les remises de peine pour travail en détention sur la durée maximale de la peine à purger établie à l’article 70.2 du code pénal de 1973. Les autorités pénitentiaires et judiciaires tenaient donc compte de la peine maximale de trente ans d’emprisonnement en ce qui concerne les remises de peine pour travail en détention. Pour sa part, le Tribunal suprême, par un arrêt adopté le 8 mars 1994 (paragraphe 36 ci-dessus) – le premier rendu sur cette question –, a qualifié la peine de trente ans, en tant que peine maximale à purger, de « peine nouvelle et autonome » sur laquelle devaient être imputés les bénéfices pénitentiaires prévus par la loi, tels que la libération conditionnelle et les remises de peine. Les juridictions espagnoles, y compris le Tribunal suprême, ont suivi la même approche pour comparer les peines à purger respectivement prévues par le code pénal de 1995 et l’ancien code pénal, en tenant compte des remises de peine déjà accordées en vertu de ce dernier texte, aux fins de la détermination de la loi pénale la plus douce (paragraphes 37, 41 et 48 ci-dessus). Enfin, jusqu’à l’adoption de l’arrêt 197/2006 par le Tribunal suprême, cette pratique a bénéficié à de nombreuses personnes condamnées sur le fondement du code pénal de 1973, dont les remises de peine pour travail en détention ont été imputées sur la durée maximale de trente ans (paragraphe 41 ci-dessus).
99. À l’instar de la chambre, la Grande Chambre estime qu’en dépit des ambiguïtés des dispositions pertinentes du code pénal de 1973 et du fait que le Tribunal suprême n’ait commencé à les dissiper qu’en 1994, il est constant que les autorités pénitentiaires et judiciaires espagnoles avaient pour pratique de considérer la peine à purger (condena) résultant de la durée maximale de trente ans d’emprisonnement établie à l’article 70.2 du code pénal de 1973 comme une peine nouvelle et autonome sur laquelle devaient être imputés certains bénéfices pénitentiaires tels que les remises de peine pour travail en détention.
100. Au regard de cette pratique, la requérante a pu croire, pendant qu’elle purgeait sa peine d’emprisonnement – et en particulier après la décision de cumul et plafonnement des peines prise le 30 novembre 2000 par l’Audiencia Nacional –, que la peine infligée était celle résultant de la durée maximale de trente ans dont il fallait encore déduire les remises de peine à accorderpour travail en détention. D’ailleurs, dans le dernier jugement de condamnation – en date du 8 mai 2000 – qu’elle a prononcé avant l’adoption de la décision de cumul, l’Audiencia Nacionalavait tenu compte de la durée maximale de la peine à purger prévue par le code pénal de 1973, combinée avec le dispositif de remises de peine pour travail en détention instauré par l’article 100 du même code, pour déterminer lequel de celui-ci (en vigueur à l’époque des faits) ou du code pénal de 1995 était le plus favorable à la requérante (paragraphe 11 ci-dessus). Dans ces circonstances, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, le fait que la requérante n’ait pas attaqué la décision du 15 février 2001 par laquelle l’Audiencia Nacional avait fixé au 27 juin 2017 le terme de la peine qu’elle devrait purger (liquidación de condena), ne saurait être déterminant, car cette décision ne prenait pas en compte les remises de peine déjà accordées et n’avait donc pas pour objet de statuer sur la méthode d’imputation de celles-ci par rapport à la peine à purger.
101. La Cour relève en outre que les remises de peine pour travail en détention étaient expressément prévues par une disposition légale (l’article 100 du code pénal de 1973), et non par des normes de nature réglementaire (comparer avec Kafkaris, précité). Qui plus est, c’est dans le même code que le législateur avait édicté les peines et prévu des remises de peine. La Courobserve par ailleurs que ces remises de peine donnaient lieu à une importante réduction de la durée de la peine à purger – pouvant représenter jusqu’à un tiers de la durée totale de celle-ci – et non, contrairement à la libération conditionnelle, à un simple allégement ou aménagement de ses conditions d’exécution (voir, par exemple, Hogben, décision précitée, Uttley, décisionprécitée ; voir, dans ce sens, l’opinion dissidente de la juge A. Asua Batarrita jointe à l’arrêt 40/2012 du Tribunal constitutionnel, paragraphe 53 ci-dessus). Après déduction des remises de peine pour travail en détention périodiquement validées par le juge de l’application des peines (Juez de Vigilancia Penitenciaria), la peine était totalement et définitivement purgée à la date de remise en liberté approuvée par la juridiction ayant prononcé la condamnation. Par ailleurs, contrairement à d’autres bénéfices ayant une incidence sur l’exécution de la peine, le droit aux remises de peine pour travail en détention n’était pas subordonné à une appréciation discrétionnaire du juge de l’application des peines : celui-ci fixait les remises de peine en se bornant à appliquer la loi, sur la base de propositions faites par les centres pénitentiaires, sans être tenu par des critères tels que la dangerosité du détenu ou les perspectives de réinsertion de celui-ci (paragraphe 53 ci-dessus ; comparer avec Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, §§ 98-99, CEDH 2012, et Macedo da Costa c. Luxembourg (déc.), no 26619/07, 5 juin 2012). À cet égard, il convient de noter que l’article 100 du code pénal de 1973 prévoyait une réduction automatique et obligatoire de la durée de la peine en contrepartie du travail effectué en détention, sauf dans deux hypothèses bien précises : lorsque la personne condamnée se soustrayait ou tentait de se soustraire à l’exécution de la peine, ou en cas de mauvaise conduite (caractérisée, selon l’article 65 du règlement relatif à l’administration pénitentiaire de 1956, par la commission de deux ou plusieurs fautes disciplinaires graves ou très graves, paragraphe 26 ci-dessus). Même dans ces deux hypothèses, le crédit des remises de peine déjà accordées par le juge ne pouvait être rétroactivement révoqué, car les jours de remise de peine déjà octroyés étaient réputés purgés et faisaient partie de la situation juridique acquise du détenu (paragraphes 26 et 45 ci-dessus). Il convient à cet égard de distinguer la présente espèce de l’affaire Kafkaris, où était en cause un dispositif de remises de peine dans lequel la remise ordinaire de cinq ans obtenue par les condamnés à perpétuité au début de leur incarcération était conditionnelle en ce qu’elle pouvait toujours être réduite en cas de mauvaise conduite (Kafkaris, précité, §§ 16 et 65).
102. La Cour juge aussi significatif que, tout en supprimant le dispositif de remises de peine pour travail en détention pour les futurs condamnés, le code pénal de 1995 ait autorisé par ses dispositions transitoires les personnes condamnées sur le fondement de l’ancien code pénal de 1973 – telles que la requérante – à continuer à bénéficier de ce régime dans la mesure où il leur était favorable (paragraphe 30 ci-dessus). En revanche, elle note que la loi no 7/2003 a durci les conditions d’octroi de la libération conditionnelle, y compris pour les personnes déjà condamnées avant son entrée en vigueur (paragraphe 34 ci-dessus). La Cour en déduit que, en choisissant de maintenir les effets des règles relatives aux remises de peine pour travail en détention à titre transitoire et aux fins de la détermination de la loi pénale la plus douce, le législateur espagnol a considéré que ces règles faisaient partie des dispositions de droit pénal matériel, c’est-à-dire de celles qui ont une incidence sur la fixation de la peine elle-même et non pas uniquement sur son exécution.
103. Au vu de ce qui précède, la Grande Chambre estime, à l’instar de la chambre, qu’à l’époque où la requérante a commis les infractions poursuivies et au moment de l’adoption de la décision de cumul et plafonnement, le droit espagnol pertinent pris dans son ensemble – y compris le droit jurisprudentiel – était formulé avec suffisamment de précision pour permettre à la requérante de discerner, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, la portée de la peine infligée au regard de la durée maximale de trente ans résultant de l’article 70.2 du code pénal de 1973 et du dispositif de remises de peine pour travail en détention prévu par l’article 100 du même texte (voir a contrario, Kafkaris, précité, § 150). La peine infligée à la requérante équivalait donc à une durée maximale de trente ans d’emprisonnement, étant entendu que les remises de peine pour travail en détention devaient être imputées sur cette peine.
b) Sur la question de savoir si l’application de la « doctrine Parot » à la requérante a modifié les seules modalités d’exécution de la peine ou si elle a modifié la portée de celle-ci
104. La Cour doit maintenant rechercher si l’application de la « doctrine Parot » à la requérante portait uniquement sur les modalités d’exécution de la peine infligée ou si elle en a au contraire affecté la portée. Elle note que, par ses décisions des 19 mai et 23 juin 2008, le tribunal ayant condamné la requérante – c’est-à-dire l’Audiencia Nacional – a rejeté la proposition de fixer au 2 juillet 2008 la date de remise en liberté définitive de la requérante que lui avait faite le centre pénitentiaire après avoir appliqué l’ancienne méthode d’imputation des remises de peine(paragraphes 17-18 et 20 ci‑dessus). S’appuyant sur la « doctrine Parot » issue de l’arrêt 197/2006 rendu par le Tribunal suprême le 28 février 2006 – soit bien après la commission des faits poursuivis et l’adoption de la décision de cumul et plafonnement des peines –, l’Audiencia Nacional a reporté cette date au 27 juin 2017 (paragraphe 20 ci-dessus). La Cour note que, dans son arrêt 197/2006, le Tribunal suprême s’est écarté de l’interprétation qu’il avait adoptée dans un précédent arrêt de 1994 (paragraphe 40 ci-dessus). À cet égard, elle relève que la majorité du Tribunal suprême a considéré que la nouvelle règle consistant à imputer les remises de peine pour travail en détention sur chacune des peines prononcées – et non plus sur la peine maximale à purger de trente ans – était plus conforme au libellé même des dispositions du code pénal de 1973, qui faisaient une distinction entre « peine » (pena ) et « peine à purger » (condena).
105. Si la Cour admet aisément que les juridictions internes sont mieux placées qu’elle pour interpréter et appliquer le droit national, elle rappelle que leur interprétation doit néanmoins être conforme au principe de la légalité des délits et des peines consacré par l’article 7 de la Convention.
106. La Cour relève par ailleurs que le calcul des remises de peine pour travail en détention octroyées à la requérante – c’est-à-dire le nombre de jours travaillés en détention et le nombre de jours déductibles – n’a jamais fait débat. Fixée par l’administration pénitentiaire, la durée de ces remises de peine – 3 282 jours au total – a été acceptée par toutes les juridictions ayant connu de l’affaire. Ainsi, dans sa décision par laquelle elle a fait application de la « doctrine Parot » établie par le Tribunal suprême, l’Audiencia Nacional n’a pas modifié le quantum des remises de peine pour travail en détention accordées à la requérante. Cette décision ne portait donc pas sur la question de savoir si la requérante méritait des remises de peine pour travail en détention, eu égard par exemple à son comportement ou à des circonstances liées à l’exécution de la peine. L’objet de la décision était de déterminer l’élément de la sanction sur lequel ces remises devaient être imputées.
107. La Cour constate que l’application de la « doctrine Parot » à la situation de la requérante a privé de tout effet utile les remises de peine pour travail en détention auxquelles celle-ci avait droit en application de la loi et de décisions définitives rendues par des juges de l’application des peines. En d’autres termes, la requérante ayant été condamnée initialement à de multiples et longues peines, la peine qu’elle doit purger est devenue une peine de trente ans d’emprisonnement effectif sur laquelle les remises de peine auxquelles elle était censée avoir droit n’ont eu aucune incidence. Il est significatif de noter que le Gouvernement n’a pas été en mesure de préciser si les remises de peine pour travail en détention accordées à la requérante ont eu– ou auront – un quelconque effet sur la durée de sa peine.
108. Dans ces conditions, bien que la Cour souscrive à la thèse du Gouvernement selon laquelle les modalités d’octroi des bénéfices pénitentiaires en tant que telles ne relèvent pas du champ d’application de l’article 7, elle estime que la manière dont les dispositions du code pénal de 1973 ont été appliquées en l’espèce allait au-delà de la simple politique pénitentiaire.
109. Eu égard à ce qui précède et à la lumière du droit espagnol pris dans son ensemble, la Cour considère que l’application en l’espèce des nouvelles modalités d’imputation des remises de peine pour travail en détention issues de la « doctrine Parot » ne saurait passer pour une mesure se rattachant exclusivement à l’exécution de la peine infligée à la requérante – comme le soutient le Gouvernement. En effet, cette mesure prise par le juge ayant condamné l’intéressée a aussi conduit à une redéfinition de la portée de la « peine » imposée. Par l’effet de la « doctrine Parot », la peine maximale de trente ans d’emprisonnement a perdu son caractère de peine autonome sur laquelle devaient être imputées les remises de peine pour travail en détention et s’est muée en une peine de trente ans d’emprisonnement qui, en réalité, n’était plus susceptible d’aucune remise de peine de ce type.
110. La mesure litigieuse tombe donc dans le champ d’application de la dernière phrase de l’article 7 § 1 de la Convention.
c) Sur la question de savoir si la « doctrine Parot » était raisonnablement prévisible
111. La Cour relève que l’Audiencia Nacional a appliqué la nouvelle règle d’imputation des remises de peine pour travail en détention issue de la « doctrine Parot » en lieu et place de celle qui était en vigueur au moment de la commission des infractions et de la condamnation, opération qui a provoqué la perte pour la requérante de toute possibilité réelle de bénéficier des remises de peine auxquelles elle avait pourtant droit en application de la loi.
112. Cette modification du système d’imputation des remises de peine est le résultat d’un revirement de jurisprudence opéré par le Tribunal suprême, et non pas d’une modification de la loi par le législateur. Dans ces conditions, il reste à déterminer si la nouvelle interprétation des dispositions pertinentes du code pénal de 1973, adoptée bien après la commission des faits poursuivis et les condamnations – et même après la décision de cumul et plafonnement des peines prise le 30 novembre 2000 – était raisonnablement prévisible par l’intéressée, c’est-à-dire si elle pouvait passer pour poursuivre une tendance perceptible dans l’évolution de la jurisprudence (S.W. c. Royaume-Uni, précité, § 43, et C.R. c. Royaume-Uni, précité, § 41). Pour cela, la Cour doit rechercher si la requérante pouvait s’attendre, au moment où ont été prononcées ses condamnations et encore au moment où elle a reçu notification de la décision de cumul et plafonnement des peines, au besoin après avoir recouru à des conseils éclairés, à ce que la peine infligée puisse se transformer en une peine de trente ans d’emprisonnement effectif, sans déduction des remises de peine pour travail en détention prévues par l’article 100 du code pénal de 1973.
Ce faisant, la Cour doit avoir égard au droit applicable à cette époque, notamment à la pratique jurisprudentielle et administrative antérieure à la « doctrine Parot » issue de l’arrêt rendu par le Tribunal suprême le 28 février 2006. À cet égard, la Cour observe que le seul précédent pertinent cité dans cet arrêt était un arrêt du 8 mars 1994, dans lequel le Tribunal suprême avait suivi l’approche inverse fondée sur le postulat selon lequel la peine maximale à purger de trente ans était une « peine nouvelle et autonome » sur laquelle devaient être imputées toutes les remises de peine prévues par la loi (paragraphe 36 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, le fait qu’un arrêt isolé ne fasse pas jurisprudence au regard du droit espagnol (paragraphe 40 ci-dessus) ne saurait être déterminant. Par ailleurs, ainsi que l’ont fait observer les juges dissidents dans l’arrêt du 28 février 2006, un accord adopté par la formation plénière de la chambre criminelle du Tribunal suprême le 18 juillet 1996 avait établi que les remises de peine accordées en vertu du code pénal de 1973 devraient être prises en compte aux fins de la comparaison des peines à purger respectivement prévues par l’ancien et le nouveau code pénal (paragraphes 37 et 41 ci-dessus). Après l’entrée en vigueur du code pénal de 1995, les juridictions espagnoles ont été appelées à déterminer au cas par cas, sur la base de ce critère, quel était le code pénal le plus clément compte tenu notamment des incidences du dispositif de remises de peine pour travail en détention sur la fixation de la peine.
113. En outre, le Gouvernement admet lui-même que, selon la pratique pénitentiaire et judiciaire antérieure à la « doctrine Parot », les remises de peine pour travail en détention étaient imputées sur la durée maximale de trente ans d’emprisonnement, et cela bien que la première décision du Tribunal suprême sur cette question n’ait été rendue qu’en 1994.
114. Par ailleurs, la Cour attache de l’importance au fait que le Tribunal suprême n’ait opéré le revirement de jurisprudence litigieux qu’en 2006, dix ans après l’abrogation de la loi sur laquelle celui-ci portait. Ce faisant, le Tribunal suprême a donné une nouvelle interprétation aux dispositions d’une loi qui n’était en soi plus en vigueur, à savoir le code pénal de 1973, abrogé par le code pénal de 1995. De plus, comme indiqué ci-dessus (paragraphe 102), en adoptant les dispositions transitoires du code pénal de 1995, le législateur visait à maintenir les effets du dispositif des remises de peine pour travail en détention instauré par le code pénal de 1973 à l’égard des personnes condamnées sur le fondement de ce texte – comme l’a été la requérante – précisément pour se conformer aux règles interdisant la rétroactivité de la loi plus sévère en matière pénale. Or, la nouvelle interprétation du Tribunal suprême, qui a privé de tout effet utile le bénéfice des remises de peine déjà accordées, a abouti en pratique à annuler les effets de ce dispositif au détriment de la requérante et d’autres personnes se trouvant dans une situation comparable.
115. Au demeurant, la Cour ne saurait souscrire à la thèse du Gouvernement selon laquelle l’interprétation du Tribunal suprême était prévisible en ce qu’elle était plus conforme à la lettre des dispositions du code pénal de 1973. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de déterminer quelle est l’interprétation correcte de ces dispositions en droit interne, mais d’établir si la nouvelle interprétation qui en a été donnée était raisonnablement prévisible par la requérante au regard du « droit » applicable à l’époque pertinente. Ce « droit», au sens matériel que revêt ce terme dans la Convention et qui inclut aussi le droit non écrit ou jurisprudentiel, avait été appliqué de manière constante par les autorités pénitentiaires et judiciaires pendant de nombreuses années, jusqu’au revirement jurisprudentiel opéré par la « doctrine Parot ». À la différence des interprétations judiciaires qui étaient en cause dans les affaires S.W c. Royaume-Uni et C.R. c. Royaume-Uni, précitées, le revirement litigieux ne s’analyse pas en une interprétation de la loi pénale se bornant à poursuivre une tendance perceptible dans l’évolution de la jurisprudence.
116. La Cour estime enfin que les considérations de politique criminelle sur lesquelles s’est appuyé le Tribunal suprême ne sauraient suffire à justifier un tel revirement de jurisprudence. Si la Cour reconnaît que le Tribunal suprême n’a pas fait une application rétroactive de la loi no 7/2003 portant modification du code pénal de 1995, il n’en demeure pas moins que les motifs de l’arrêt du Tribunal suprême font apparaître un objectif qui était le même que celui de la loi précitée. La Cour rappelle que cette loi visait à garantir l’exécution intégrale et effective de la peine maximale à purger par les personnes condamnées à de longues peines d’emprisonnement (paragraphe 33 ci-dessus). À cet égard, si la Cour admet que les États sont libres de modifier leur politique criminelle, notamment en renforçant la répression des crimes et délits (Achour, précité, § 44), il n’en reste pas moins qu’ils doivent respecter ce faisant les règles énoncées à l’article 7 (Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 75, CEDH 2013). Sur ce point, la Cour rappelle que l’article 7 de la Convention prohibe de manière absolue l’application rétroactive du droit pénal lorsqu’elle s’opère au détriment de l’intéressé.
117. À la lumière de tout ce qui précède, la Cour estime qu’au moment où ont été prononcées les condamnations de la requérante et où celle-ci a reçu notification de la décision de cumul et plafonnement des peines, rien n’indiquait l’existence d’une tendance perceptible dans l’évolution de la jurisprudence allant dans le sens de l’arrêt du Tribunal suprême du 28 février 2006. La requérante ne pouvait donc pas s’attendre au revirement opéré par le Tribunal suprême ni, en conséquence, à ce que l’Audiencia Nacional impute les remises de peine accordées non sur la peine maximale de trente ans, mais successivement sur chacune des peines prononcées. Comme la Cour l’a constaté ci-dessus (paragraphes 109 et 111), ce revirement de jurisprudence a eu pour effet de modifier au détriment de la requérante la portée de la peine infligée.
118. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
119. La requérante allègue que, depuis le 3 juillet 2008, elle est maintenue en détention au mépris des exigences de « régularité » et de respect des « voies légales ». Elle invoque l’article 5 de la Convention, dont les passages pertinents sont ainsi libellés :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(…) »
A. Arrêt de la chambre
120. Dans son arrêt, la chambre a estimé, eu égard aux considérations l’ayant conduite à conclure à la violation de l’article 7 de la Convention, que la requérante n’avait pu raisonnablement prévoir à l’époque des faits que la durée effective de sa privation de liberté serait prolongée de près de neuf ans et que les modalités d’imputation des remises de peine feraient l’objet d’un revirement jurisprudentiel qui lui serait appliqué de façon rétroactive. La chambre en a déduit que, depuis le 3 juillet 2008, le maintien en détention de l’intéressée n’était pas « régulier » et contrevenait donc à l’article 5 § 1 de la Convention (paragraphe 75 de l’arrêt).
B. Thèses des parties devant la Grande Chambre
1. Thèse de la requérante
121. La requérante soutient que l’article 5 § 1 de la Convention pose lui aussi des exigences de qualité de la loi et que celles-ci commandent qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment précise et prévisible dans son application. Par ailleurs, elle avance que l’article 5 s’applique au droit pour un condamné de bénéficier d’une remise en liberté anticipée dès lors que les dispositions instituant ce droit ne le subordonnent pas à une appréciation discrétionnaire mais s’appliquent à toute personne remplissant les conditions fixées par la loi pour en bénéficier (Grava, précité, §§ 31-46), indépendamment de la question de savoir si cette mesure relève de la peine ou de l’exécution de la peine au regard de l’article 7. Elle plaide que la prolongation de la peine et/ou de la durée effective de la peine n’était pas raisonnablement prévisible et, à titre subsidiaire, que la substance de la peine infligée et/ou les modalités d’exécution de celle-ci et/ou sa durée effective ne l’étaient pas davantage.
2. Thèse du Gouvernement
122. Le Gouvernement estime que l’arrêt de la chambre s’écarte de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 de la Convention, en particulier des arrêts Kafkaris et M. c. Allemagne, précités. Selon lui, il existe dans la présente affaire un lien de causalité parfait entre les peines infligées pour les crimes graves et nombreux commis par la requérante et la durée pendant laquelle elle a été privée de liberté. Les jugements de condamnation eux-mêmes auraient précisé que l’intéressée allait devoir purger trente ans d’emprisonnement, de même que la décision de cumul et plafonnement des peines prise en 2000 et la décision de 2001 ayant fixé au 27 juin 2017 la date de remise en liberté de la requérante.
C. Appréciation de la Cour
1. Principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour
123. Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention renferment une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ; une privation de liberté n’est donc pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs (M. c. Allemagne, précité, § 86). L’article 5 §1 a) permet de détenir quelqu’un « régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ». Par « condamnation » au sens de l’article 5 § 1 a), il faut entendre, eu égard au texte français, à la fois une déclaration de culpabilité, consécutive à l’établissement légal d’une infraction (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 100, série A no 39), et l’infliction d’une peine ou autre mesure privative de liberté (Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 35, série A no 50).
124. Par ailleurs, le mot « après » figurant à l’alinéa a) n’implique pas un simple ordre chronologique de succession entre « condamnation » et « détention » : la seconde doit en outre résulter de la première, se produire « à la suite et par suite » – ou « en vertu » – de celle-ci. En bref, il doit exister entre elles un lien de causalité suffisant (Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 42, série A no 114, Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 64, CEDH 2002‑IV, Kafkaris, précité, § 117, et M. c. Allemagne, précité, § 88). Toutefois, le lien entre la condamnation initiale et la prolongation de la privation de liberté se distend peu à peu avec l’écoulement du temps (Van Droogenbroeck, précité, § 40). Le lien de causalité exigé par l’alinéa a) pourrait finir par se rompre au cas où une décision de ne pas libérer ou de réincarcérer se fonderait sur des motifs incompatibles avec les objectifs visés par la décision initiale de la juridiction de jugement ou sur une appréciation non raisonnable eu égard à ces objectifs. En pareil cas, un internement régulier à l’origine se muerait en une privation de liberté arbitraire et, dès lors, incompatible avec l’article 5 (Weeks, précité, § 49, Grosskopf c. Allemagne, no 24478/03, § 44, 21 octobre 2010).
125. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 1 que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions énoncées aux alinéas a) à f) mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Ce terme impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi ; il la veut compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Kafkaris, précité, § 116, M. c. Allemagne, précité, § 90). La « qualité de la loi » implique qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application afin d’éviter tout danger d’arbitraire (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996‑III). Le critère de « légalité » fixé par la Convention exige donc que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 52, CEDH 2000‑III, M. c. Allemagne, précité, § 90, et Oshurko c. Ukraine, no 33108/05, § 98, 8 septembre 2011). Lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est essentiel que le droit interne définisse clairement les conditions de détention (Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 101, 23 février 2012).
126. La Cour rappelle enfin que même si l’article 5 § 1 a) de la Convention ne garantit pas, en soi, le droit pour un condamné de bénéficier de façon anticipée d’une remise en liberté conditionnelle ou définitive (Kalan c. Turquie (déc.), no 73561/01, 2 octobre 2001, et Çelikkaya c. Turquie (déc.), no 34026/03, 1er juin 2010), il peut en aller autrement lorsque les autorités compétentes ne disposent d’aucun pouvoir discrétionnaire et sont tenues d’appliquer une telle mesure à toute personne remplissant les conditions fixées par la loi pour en bénéficier (Grava, précité, § 43, Pilla c. Italie, no 64088/00, § 41, 2 mars 2006, et Şahin Karataş c. Turquie, no 16110/03, § 37, 17 juin 2008).
2. Application des principes précités en l’espèce
127. La Cour observe à titre préliminaire que, comme la requérante le souligne à juste titre, la distinction opérée sur le terrain de l’article 7 de la Convention entre la « peine » et l’« exécution » de la peine n’est pas déterminante dans le contexte de l’article 5 § 1 a). Des mesures relatives à l’exécution de la peine ou aux bénéfices pénitentiaires peuvent avoir une incidence sur le droit à la liberté garanti par l’article 5 § 1, puisque la durée effective de la privation de liberté d’un condamné dépend notamment de leur application (voir, par exemple, Grava, précité, §§ 45 et 51, et, en ce qui concerne le transfèrement de condamnés entre États, Szabó c. Suède (déc.), no 28578/03, 27 juin 2006). Si l’article 7 s’applique à la « peine » telle qu’elle est infligée par le juge prononçant la condamnation, l’article 5 s’applique à la détention qui en résulte.
128. En l’espèce, la Cour ne doute nullement que la requérante ait été condamnée, au terme d’une procédure prévue par la loi, par un tribunal compétent au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention. D’ailleurs, l’intéressée ne nie pas que sa détention ait été légale jusqu’au 2 juillet 2008, date initialement proposée par le centre pénitentiaire pour sa remise en liberté définitive. Il s’agit donc de savoir si le maintien en détention de la requérante après cette date est « régulier » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.
129. La Cour relève que, à l’issue de huit procès distincts, l’Audiencia Nacional a reconnu la requérante coupable de plusieurs infractions liées à des attentats terroristes. Pour ces faits, en application du code pénal en vigueur à l’époque de leur commission, l’intéressée a été condamnée à des peines privatives de liberté d’une durée totale de plus de trois mille ans (paragraphes 11-12 ci-dessus). Or, dans la plupart des jugements de condamnation prononcés par l’Audiencia Nacional ainsi que dans sa décision de cumul et plafonnement des peines en date du 30 novembre 2000, il est indiqué que la requérante devrait purger une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de trente ans en application de l’article 70.2 du code pénal de 1973(paragraphes 11 et 14 ci-dessus). La Cour constate que la détention de la requérante n’a pas encore atteint cette durée maximale. En soi, il existe un lien de causalité entre les condamnations prononcées contre la requérante et le maintien en détention de celle-ci après le 2 juillet 2008, qui résultent des verdicts de culpabilité et de la peine maximale à purger de trente ans d’emprisonnement fixée le 30 novembre 2000 (voir, mutatis mutandis, Kafkaris, précité, § 120).
130. La Cour doit toutefois se pencher sur la question de savoir si la « loi » autorisant la privation de liberté de la requérante au-delà du 2 juillet 2008 était suffisamment prévisible dans son application. L’exigence de prévisibilité doit être examinée au regard de la « loi » en vigueur au moment de la condamnation initiale et pendant toute la durée de la détention après condamnation. À la lumière des considérations qui l’ont conduite à conclure à la violation de l’article 7 de la Convention, la Cour estime que, aux moments où ont été prononcées les condamnations de la requérante, où elle a travaillé en détention et où elle a reçu notification de la décision de cumul et plafonnement des peines, elle ne pouvait raisonnablement prévoir que les modalités d’imputation des remises de peine pour travail en détention feraient l’objet d’un revirement jurisprudentiel opéré par le Tribunal suprême en 2006 et que ce revirement lui serait appliqué.
131. La Cour constate que l’application de ce revirement jurisprudentiel à la situation de la requérante a conduit à un report de près de neuf ans de la date de remise en liberté de l’intéressée. Celle-ci a donc purgé une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à celle qui était la sanction qu’elle aurait dû subir selon le système juridique national en vigueur lors de sa condamnation, compte tenu des remises de peine qui lui avaient déjà été accordées conformément à la loi (voir, mutatis mutandis, Grava, précité, § 45).
132. La Cour conclut que, depuis le 3 juillet 2008, la requérante fait l’objet d’une détention non « régulière », en violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
III. SUR L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
133. Les passages pertinents de l’article 46 de la Convention se lisent ainsi :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.
(…) »
A. Arrêt de la chambre
134. La chambre a estimé, eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et au besoin urgent de mettre fin à la violation des articles 7 et 5 § 1 de la Convention, qu’il incombait à l’Étatdéfendeur d’assurer la remise en liberté de la requérante dans les plus brefs délais (paragraphe 83 de l’arrêt).
B. Thèses des parties devant la Grande Chambre
1. Thèse de la requérante
135. La requérante soutient que le fait que la Cour n’ait jamais usé dans une affaire similaire de la faculté qu’elle se reconnaît à titre exceptionnel d’indiquer des mesures individuelles n’est pas pertinent. L’intéressée avance que la Cour est habilitée à indiquer les mesures à prendre et qu’elle peut décider, lorsque la nature même de la violation « n’offre pas réellement de choix parmi différentes sortes de mesures susceptibles d’y remédier », de n’indiquer qu’une seule mesure individuelle. Elle reproche aussi au Gouvernement de ne pas avoir indiqué quels remèdes autres que la remise en liberté seraient disponibles si la Cour devait conclure à la violation des articles 5 et 7 de la Convention.
2. Thèse du Gouvernement
136. Le Gouvernement soutient que dans des affaires similaires où était en cause l’application rétroactive de changements législatifs impliquant une prolongation de la détention d’une personne condamnée, la Cour n’a jamais fait usage de la faculté qu’elle se reconnaît à titre exceptionnel d’indiquer des mesures individuelles d’exécution de l’arrêt rendu par elle (M. c. Allemagne, précité). À cet égard, il fait observer que, bien qu’elle ait conclu dans l’arrêt Kafkaris (précité) à la violation de l’article 7 faute pour la législation de satisfaire aux exigences voulues, la Cour n’a donné aucune indication concernant la remise en liberté du requérant, qui était incarcéré au moment du prononcé de l’arrêt (Kafkaris c. Chypre (déc.), no 9644/09, 21 juin 2011).
C. Appréciation de la Cour
137. En vertu de l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l’exécution de ces arrêts. Il en découle notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l’État défendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de prendre des mesures individuelles et/ou, le cas échéant, générales dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer les conséquences, l’objectif étant de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalente à celle dans laquelle il se serait trouvé s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII, Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 85, CEDH 2009, et Scoppola, précité, § 147).
138. Certes, l’État défendeur reste libre en principe, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Scozzari et Giunta, précité, § 249). Toutefois, dans certaines situations particulières, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qui pourraient être prises pour mettre un terme à la situation ayant donné lieu à un constat de violation (Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 194, CEDH 2004‑V, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, §§ 255-258, CEDH 2012). Parfois même, lorsque la nature de la violation constatée n’offre pas réellement de choix parmi différentes sortes de mesures susceptibles d’y remédier, la Cour peut décider d’indiquer une seule mesure individuelle (Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, §§ 202-203, CEDH 2004‑II, Alexanian c. Russie, no 46468/06, §§ 239-240, 22 décembre 2008, et Fatullayev c. Azerbaïdjan, no 40984/07, §§ 176-177, 22 avril 2010).
139. La Grande Chambre souscrit à la conclusion de la chambre et estime que la présente espèce appartient à cette dernière catégorie d’affaires. Eu égard aux circonstances particulières de l’espèce et au besoin urgent de mettre fin aux violations constatées de la Convention, elle estime qu’il incombe à l’État défendeur d’assurer la remise en liberté de la requérante dans les plus brefs délais.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
140. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
141. La requérante sollicite une indemnité pour le dommage moral dont elle se dit victime ainsi que le remboursement des frais et dépens exposés. Le Gouvernement conteste la demande formulée au titre du dommage moral.
A. Arrêt de la chambre
142. Dans son arrêt, la chambre a octroyé à la requérante 30 000 euros (EUR) pour préjudice moral. Elle lui a accordé 1 500 EUR au titre des frais et dépens exposés pour les besoins de la procédure suivie devant elle.
B. Thèses des parties devant la Grande Chambre
1. Thèse de la requérante
143. La requérante réclame 60 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle dit avoir subi, ainsi que le remboursement des frais et dépens exposés pour les besoins de la procédure suivie devant la Grande Chambre, en sus de ceux déjà accordés par la chambre. Elle ne présente aucun justificatif pour les frais et dépens afférents à la procédure devant la Grande Chambre.
2. Thèse du Gouvernement
144. Le Gouvernement estime que l’on ne comprendrait guère que la Cour alloue une réparation à une personne condamnée pour des faits aussi meurtriers que ceux commis par la requérante, qui a été déclarée coupable à l’issue de procédures judiciaires répondant à toutes les exigences d’un procès équitable. À cet égard, il fait valoir que, dans l’arrêt Kafkaris c. Chypre[GC], no 21906/04, CEDH 2008, la Cour a considéré que le constat de violation de l’article 7 représentait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi, « eu égard à l’ensemble des circonstances ».
C. Appréciation de la Cour
1. Dommage moral
145. La Cour admet avoir considéré, dans l’arrêt Kafkaris, que le constat de violation représentait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi. Cela étant, elle rappelle avoir jugé, dans l’arrêt en question, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 5 § 1, et que son constat de violation de l’article 7 se rapportait uniquement à la qualité de la loi. Il en va autrement en l’espèce, où la Cour vient de conclure que le maintien en détention de la requérante après le 2 juillet 2008 constitue une violation de l’article 5 § 1, et que l’intéressée doit subir une peine plus forte que celle qui lui a été infligée, au mépris de l’article 7 de la Convention (voir, mutatis mutandis, M. c. Allemagne, no 19359/07, § 141, CEDH 2009). Cette situation n’a pu manquer de causer à la requérante un dommage moral que ne sauraient réparer ces seuls constats de violation.
146. Eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause et statuant en équité, la Cour alloue à la requérante 30 000 EUR de ce chef.
2. Frais et dépens
147. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI).
148. La Grande Chambre rappelle que la requérante s’est vu accorder 1 500 EUR pour les frais et dépens afférents à la procédure suivie devant la chambre. L’intéressée n’ayant pas présenté de justificatifs des frais et dépens exposés pour les besoins de la procédure suivie devant la Grande Chambre (comparer avec Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 193, CEDH 2010), il convient de lui allouer 1 500 EUR pour l’ensemble des frais et dépens.
3. Intérêts moratoires
149. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention ;
2. Dit, à l’unanimité, que, depuis le 3 juillet 2008, la requérante fait l’objet d’une détention non « régulière » en violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
3. Dit, par seize voix contre une, qu’il incombe à l’État défendeur d’assurer la remise en liberté de la requérante dans les plus brefs délais ;
4. Dit, par dix voix contre sept, que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 30 000 EUR (trente mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
5. Dit, à l’unanimité, que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;
6. Dit, à l’unanimité, qu’à compter de l’expiration dudit délai de trois mois et jusqu’au versement, les montants indiqués aux points 4 et 5 ci-dessus seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 21 octobre 2013.
Michael O’BoyleDean Spielmann
Greffier adjointPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion concordante du juge Nicolaou ;
– opinion partiellement dissidente commune aux juges Villiger, Steiner,
Power‑Forde, Lemmens et Griţco ;
– opinion partiellement dissidente commune aux juges Mahoney et Vehabović;
– opinion partiellement dissidente du juge Mahoney.
D.S.
M.O.’B.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE NICOLAOU
(Traduction)
1. J’ai voté avec la majorité sur toutes les questions que pose la présente affaire. Toutefois, si je conclus – comme la majorité – à la violation de l’article 7 de la Convention, je me fonde pour cela sur un raisonnement partiellement différent de celui de la majorité. Cette différence d’analyse n’est pas sans incidences sur les motifs qui m’ont conduit à la conclusion à laquelle je suis parvenu sur le grief tiré de l’article 5 § 1.
2. Les principaux éléments entrant selon moi en ligne de compte pour l’appréciation du grief tiré de l’article 7 peuvent être brièvement exposés. À l’issue de huit procès distincts, dont le premier s’est conclu le 18 décembre 1988 et le dernier le 8 mai 1990, la requérante a été reconnue coupable de nombreux crimes, extrêmement graves pour certains, commis à l’occasion d’activités terroristes menées pendant les années 1982 – 1987. Pour ces faits, l’intéressée a été condamnée à de multiples peines d’emprisonnement, se voyant notamment infliger de très nombreuses peines de trente ans pour meurtre. Si elle avait dû exécuter successivement chacune de ces peines, elle aurait dû être maintenue en détention plus de trois mille ans.
3. Chaque ordre juridique national réglemente à sa manière la question que pose l’exécution des peines multiples qui peuvent être prononcées à l’issue d’un même procès ou de procès distincts. Il est évidemment nécessaire de déterminer comment ces peines doivent être exécutées. Doivent-elles être purgées successivement, ou simultanément, faut-il prévoir un plafonnement de leur durée ? Les règles d’exécution des peines doivent prendre en compte les objectifs d’intérêt général que poursuit l’application de la loi pénale – notamment la protection de la vie – tout en laissant place à la justice et à l’humanité. Et lorsque la réclusion à perpétuité est prévue par la loi, des règles ménageant un équilibre entre les intérêts en jeu doivent être instaurées.
4. Quel que soit le régime mis en place par l’ordre juridique interne considéré, les principes et la jurisprudence de la Cour exigent qu’il soit ménagé une distinction entre, d’une part, les dispositions relatives aux peines prévues par la loi en vigueur au moment de la commission des infractions – dispositions qui doivent toujours être lues à la lumière d’une éventuelle loi pénale plus douce ultérieure puisque l’article 7 interdit que la peine effective dépasse la peine maximale telle que fixée par cette dernière loi (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, 17 septembre 2009) – et, d’autre part, les dispositions qui régissent les modalités d’application ou d’exécution des peines après condamnation, principalement celles qui gouvernent les remises de peine. Mais l’on sait que la distinction entre deux notions n’est pas toujours nette (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 142, CEDH 2008). En pareil cas, il est d’autant plus nécessaire de déterminer où il convient de tracer la frontière entre l’une et l’autre notion, et d’en expliquer les raisons. Il faudra également établir une autre distinction, sur laquelle je reviendrai plus tard.
5. À l’époque de la commission des crimes ici en cause, les faits relevaient du code pénal de 1973, notamment de son article 70.2. Les tribunaux interprétaient l’article en question comme disposant en premier lieu que, quelle que fût leur durée totale, les années d’emprisonnement imposées devaient être converties en une durée maximale d’emprisonnement à purger de trente ans et, en second lieu, que cette durée maximale constituait la seule base pertinente aux fins de l’application du dispositif de remises de peine. Selon l’article 100 du même code (tel que modifié par la loi no 8/1983), les détenus avaient droit à un jour de remise de peine pour deux jours travaillés en détention. Ce droit était certes subordonné à l’approbation du juge de l’application des peines, mais celle-ci était acquise aux détenus dès lors qu’ils n’avaient pas commis de faute. En l’espèce, lors des cinq derniers procès dirigés contre la requérante, la juridiction de jugement – l’Audiencia Nacional en l’occurrence – s’était posé la question de savoir comment les diverses peines prononcées devaient être envisagées. S’appuyant sur la pratique judicaire établie, elle avait conclu que l’intéressée devrait en définitive purger une peine d’emprisonnement de trente ans. À l’issue des huit procès dirigés contre la requérante, et en vertu du pouvoir que lui conférait l’article 988 de la loi de procédure pénale, l’Audiencia Nacional avait cherché à déterminer la peine que la requérante devrait finalement purger – au regard de l’article 70. 2 du code pénal de 1973 – au titre de l’ensemble des peines prononcées contre elle. Par une décision du 30 novembre 2000, elle avait fixé à trente ans la durée maximale d’incarcération que la requérante devrait subir, durée à laquelle devait s’appliquer, entre autres, le régime des remises de peine pour travail en détention.
6. Il importe de relever que, dans une ordonnance du 25 mai 1990 antérieure à la fixation définitive de la durée maximale d’incarcération à purger par la requérante, le Tribunal suprême avait lui-même déclaré que, conformément à l’article 988 de la loi de procédure pénale, l’application de l’article 70.2 du code pénal de 1973 relevait de la compétence de la juridiction de jugement (l’Audiencia Nacional). Pour se prononcer ainsi, il avait considéré que cette question se rapportait à la fixation de la peine, non à l’exécution de celle-ci, la question de l’exécution relevant elle-même de la compétence spécialement attribuée à un autre juge. Allant jusqu’au bout de cette logique, le Tribunal suprême valida dans un arrêt rendu le 8 mars 1994 la pratique judiciaire établie. Après une analyse approfondie de cette question, le Tribunal suprême déclara dans cet arrêt que la durée maximale de la peine à purger prévue à l’article 70.2 du code pénal était «une nouvelle peine, résultante et autonome, à laquelle se rapport[ai]ent les bénéfices pénitentiaires (beneficios) prévus par la loi, tels que la libération conditionnelle et les remises de peine » et souligna que cette interprétation se déduisait aussi de l’article 59 du règlement pénitentiaire de 1981. Il ressort de manière évidente de cette interprétation jurisprudentielle, selon laquelle tous les bénéfices pénitentiaires (beneficios) devaient être imputés sur la « nouvelle peine », que la peine maximale à purger par un condamné était un emprisonnement d’une durée de trente ans, de laquelle il fallait déduire les remises de peine éventuellement accordées. Par la suite, dans deux arrêts rendus les 15 septembre et 14 octobre 2005 où il ne revint pas spécifiquement sur cette question, le Tribunal suprême rappela en des termes quasi identiques que la durée d’incarcération calculée après conversion des peines initialement imposées s’analysait en une peine nouvelle et autonome résultant des peines en question et que les bénéfices pénitentiaires (beneficios) prévus par la loi s’appliquaient à cette peine nouvelle, non aux peines initialement prononcées.
7. Les questions qui se posent en l’espèce n’appellent pas d’observations sur la portée ou le caractère adéquat des dispositions légales pertinentes, ni même sur l’interprétation qui en a été faite par les autorités judiciaires. Il importe seulement de constater que, pour les personnes relevant de la juridiction de l’État défendeur, la loi pénale a fait l’objet d’une interprétation judiciaire authentique dont les effets dans le temps remontent à l’entrée en vigueur de l’article 70.2 du code pénal de 1973. L’arrêt adopté par le Tribunal suprême le 8 mars 1994 a validé l’interprétation qui avait déjà été donnée de cette disposition ainsi que la pratique judiciaire claire et constante qui en découlait et qui préexistait à la commission des crimes ici en cause. Il n’y a jamais eu la moindre incertitude à ce sujet. Quels que fussent le nombre d’infractions, la gravité de celles-ci et les peines prévues pour chacune d’elles, la peine d’emprisonnement effectivement encourue ne pouvait en aucun cas dépasser une durée maximale de trente ans, durée qui constituait la limite absolue de la peine définitive, nouvelle et autonome à laquelle devait s’appliquer, aux fins de l’exécution de cette peine, le régime de remises de peine qui devait lui-même conduire à une réduction de cette durée. C’était là le point crucial dans la présente affaire. Aucune modification ultérieurement apportée par la loi ou la jurisprudence à ce dispositif et ayant pour effet d’instaurer rétroactivement une peine plus lourde ne pouvait manquer de tomber sous le coup de la garantie accordée par l’article 7 de la Convention.
8. Force est de constater en l’espèce que les autorités avaient crédité la requérante d’un volume de travail qui lui aurait valu d’être libérée bien avant l’écoulement de cette période de trente ans si la loi n’avait pas changé. Mais le droit avait évolué entre-temps. Une nouvelle loi durcissant la répression des crimes les plus graves fut adoptée, puis survint le revirement de jurisprudence exposé ci-dessus. Entré en vigueur en 1996, le nouveau code pénal de 1995 introduisit de nouvelles règles, plus rigoureuses, relatives à la durée maximale des peines d’emprisonnement et supprima les remises de peine pour travail en détention. Toutefois, il contenait aussi des dispositions transitoires appliquant la loi pénale plus douce aux personnes déjà condamnées sur le fondement du code pénal de 1973. Par la suite, des normes plus rigoureuses destinées à garantir, pour les crimes les plus graves, l’exécution intégrale de la durée de l’emprisonnement résultant de la conversion des peines initialement fixées furent introduites par la loi no 7/2003. Appelé peu après à se prononcer sur les dispositions encore applicables du code pénal de 1973 relatives au droit aux remises de peine, le Tribunal suprême modifia l’interprétation qu’il avait donnée jusqu’alors du sens et du but de la peine résultant de la conversion. Par un arrêt adopté le 28 février 2006, il revint sur sa jurisprudence antérieure relative à l’interprétation de l’article 70.2 du code pénal de 1973, estimant que « la limite de trente ans ne dev[enait] pas une nouvelle peine, distincte de celles successivement imposées au condamné, ni une autre peine résultant de toutes les peines antérieures, mais que cette limite correspond[ait] à la durée maximale d’incarcération (máximo de cumplimiento) du condamné dans un centre pénitentiaire ».
9. Dans cet arrêt, le Tribunal suprême reconsidéra les diverses peines initialement prononcées contre le demandeur au recours, déclarant qu’elles n’avaient rien perdu de leur portée. Il en conclut que la peine prévue par l’article 70.2 ne pouvait plus être considérée comme étant la peine maximale effective réprimant la totalité des crimes commis par l’intéressé, et qu’elle correspondait seulement à la durée maximale d’incarcération effective à purger par lui déduction faite des remises de peine successivement appliquées – en tant que modalités d’exécution de la peine – aux peines initialement prononcées contre lui. Le Tribunal suprême opéra ce revirement de jurisprudence – connu sous le nom de « doctrine Parot » – sans se sentir lié par la jurisprudence antérieure et motiva sa nouvelle interprétation de manière détaillée. S’appuyant notamment sur le libellé des dispositions pertinentes du code pénal de 1973, il attacha une attention particulière aux termes pena (peine prononcée) et condena (peine à purger) et tira des conclusions de la différence entre ces deux termes. Comme je l’ai déjà indiqué, la Cour doit se garder d’exprimer une quelconque forme de prise de position entre des interprétations de droit interne. D’ailleurs, il importe peu que l’interprétation du Tribunal suprême ici en cause soit ou non valable, ou même justifiée. Il n’est pas davantage pertinent de rechercher s’il était exact que le Tribunal suprême était libre de s’écarter de son arrêt antérieur du 8 mars 1994 et fondé à le faire.
10. J’estime pour ma part que se posent en l’espèce deux questions pertinentes du point de vue du droit de la Convention. La première est celle de savoir s’il existait, au moment de la commission des crimes ici en cause, une politique judiciaire d’où résultait une pratique ferme et constante donnant à des dispositions légales un sens concret et certain. Force est de répondre à cette question par l’affirmative, surtout lorsqu’elle est envisagée sous l’angle de l’interprétation confirmée à un moment donné par le Tribunal suprême dans son arrêt du 8 mars 1994. De toute évidence, la nouvelle interprétation issue de l’arrêt rendu par le Tribunal suprême le 28 février 2006 ne résultait pas d’une clarification graduelle et prévisible de la jurisprudence au sens donné à cette expression par les arrêts S.W. c. Royaume-Uni et C.R. c. Royaume-Uni (22 novembre 1995, série A nos 335-B et 335-C respectivement) et la jurisprudence postérieure (citée au paragraphe 93 du présent arrêt). La seconde question est celle de savoir s’il était en tout état de cause possible d’apporter une modification rétroactive à l’interprétation des dispositions légales pertinentes. Si rien ne s’opposait à une modification de l’interprétation antérieurement donnée à la loi, la rétroactivité des effets d’un arrêt – que l’on retrouve dans d’autres États – est incompatible avec l’article 7 de la Convention, tout comme l’est la rétroactivité d’une loi (en cause dans l’arrêt Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, série A no 307-A).
11. Mes développements précédents concernaient la question posée sur le terrain de l’article 7. Selon moi, cette question portait exclusivement sur le point de savoir quelle était la peine maximale encourue par la requérante au moment de la commission de ses crimes. Je me suis efforcé d’expliquer les raisons pour lesquelles la peine « imposée » en l’espèce devait être identifiée, aux fins de l’article 7 § 1, à la peine maximale après conversion telle que définie par l’article 70.2 du code pénal de 1973. La manière dont cette peine était définie constitue l’axe de mon analyse de cette question. Bien que la recherche de cette définition eût pour objectif de déterminer les effets que celle-ci aurait sur les modalités d’application du dispositif de remises de peine pertinent, ce dispositif n’avait en soi aucune importance sur le terrain de l’article 7. Toutefois, il ne faudrait pas en déduire que le revirement de jurisprudence litigieux n’a eu aucune conséquence sur les droits de la requérante. Il a au contraire eu de réels effets sur les droits de l’intéressée, mais seulement sur ceux qu’elle tirait de l’article 5 § 1.
12. C’est à ce stade qu’une nouvelle distinction doit entrer en ligne de compte. Les dispositions régissant les modalités d’application ou d’exécution des peines sont en effet à distinguer non seulement des dispositions relevant de l’article 7, mais aussi de celles entrant dans le champ d’application de l’article 5 § 1. Il est possible que des modifications apportées au régime pénitentiaire général ayant des conséquences sur la manière dont la condamnation est exécutée puissent nuire à un détenu – comme dans les affaires Hogben c. Royaume-Uni, (no 11653/85, décision de la Commission du 3 mars 1986, Décisions et rapports 46, p. 231) et Uttley c. Royaume-Uni ((déc.), no 36946/03, 29 novembre 2005) – sans pour autant porter atteinte à l’article 7 ou à l’article 5 § 1. Toutefois, d’autres changements peuvent excéder ce cadre. En pareil cas, un problème se posera au regard de l’une ou l’autre de ces dispositions, ou sur le terrain de ces deux articles. Si une modification apportée au régime pénitentiaire général après le prononcé d’une condamnation définitive et régulière – c’est-à-dire la peine ayant effectivement été imposée – ne me semble pas pouvoir poser problème au regard de l’article 7, elle peut en revanche soulever la question de la régularité d’une partie de la détention sur le terrain de l’article 5 § 1.
13. Pour les raisons exposées ci-dessus, la modification rétroactivement apportée aux modalités d’application du dispositif de remises de peine pertinent n’est pas en soi contraire à l’article 7. En revanche, cette modification est incompatible avec l’article 5 § 1 en ce qu’elle a privé la requérante d’un droit acquis à une libération anticipée. En l’espèce, la majorité a attaché de l’importance au manque de prévisibilité de la loi au moment où la requérante a été condamnée et au moment où elle a été informée de la modification litigieuse (paragraphes 112 et 117 de l’arrêt). La majorité a fait de ce manque de prévisibilité une partie intégrante du raisonnement qui l’a conduite à conclure à la violation de l’article 7. Je ne puis souscrire à ce raisonnement. Avec tout le respect dû à la majorité, la modification apportée aux modalités d’application du dispositif de remises de peine après que la peine eut été fixée conformément à l’article 70.2 ne pose problème qu’au regard de l’article 5 § 1. Au regard de l’article 7, seules importent les modifications apportées – sous réserve de l’application de la loi pénale plus douce – à la peine maximale effective telle qu’elle était définie au moment de la commission de l’infraction. Pour le reste, je souscris bien volontiers au raisonnement suivi par la majorité en ce qui concerne l’article 5 § 1.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES VILLIGER, STEINER, POWER-FORDE, LEMMENS ET GRIŢCO
(Traduction)
Nous avons voté contre la majorité en ce qui concerne les dommages et intérêts alloués à la requérante au titre du préjudice moral. Nous sommes conscients que la Cour a pour pratique habituelle d’accorder une réparation pécuniaire en cas de constat de violation des droits de l’homme, particulièrement lorsque la violation constatée par elle porte sur le droit à la liberté (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 253, CEDH 2009).
Toutefois, la présente affaire est à distinguer de l’affaire A. et autres c. Royaume-Uni, où la Cour a jugé que la participation ou la tentative de participation de l’un quelconque des intéressés à des actes de violence terroriste n’avait pas été établie. En effet, la requérante en l’espèce a au contraire été reconnue coupable d’avoir perpétré des crimes terroristes – meurtres, tentatives de meurtre et lésions corporelles graves –ayant causé de nombreuses victimes. Compte tenu de ce contexte, nous préférerons nous en tenir ici à l’approche suivie par la Cour dans l’arrêt McCann et autres c. Royaume-Uni (27 septembre 1995, § 219, série A no 324). Par conséquent, eu égard aux particularités du contexte dans lequel l’affaire s’inscrit, nous considérons qu’il n’y a pas lieu d’accorder à l’intéressée une somme au titre du préjudice moral allégué. Nous estimons que les constats de violation auxquels la Cour est parvenue, combinés avec la mesure qu’elle a indiquée au gouvernement défendeur sur le fondement de l’article 46, constituent en soi une satisfaction équitable suffisante à cet égard.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES MAHONEY ET VEHABOVIĆ
(Traduction)
Sur l’article 7
Nous ne partageons pas l’avis de la majorité de la Grande Chambre selon lequel les faits dont la requérante se plaint emportent violation de l’article 7 § 1, ainsi libellé :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.»
La présente affaire soulève un question précise, celle de savoir si la deuxième clause de cette disposition a été violée du fait de l’application à la requérante, plusieurs années après sa condamnation pour différents crimes violents extrêmement graves, d’une nouvelle jurisprudence – la « doctrine Parot » – modifiant la méthode d’imputation des remises de peine pour travail ou études en détention utilisée jusqu’alors et ayant pour effet concret de priver l’intéressée de l’espérance d’une libération anticipée fondée sur les remises de peine obtenues par elle. Notre désaccord avec la majorité porte sur un point précis, celui de savoir si la mesure dont se plaint la requérante a entraîné une modification de sa « peine » – au sens de l’article 7 § 1 – susceptible de relever de la garantie consacrée par cette disposition.
Au paragraphe 83 du présent arrêt, il est rappelé que la jurisprudence de la Convention a toujours distingué entre, d’une part, les mesures constituant en substance une « peine » et, d’autre part, les mesures relatives à l’« exécution » ou à l’« application » de la peine.
Dans une décision d’irrecevabilité ancienne rendue en l’affaire Hogben c. Royaume-Uni, (no 11653/85, décision de la Commission du 3 mars 1986, Décisions et rapports 46, p. 231), où un requérant détenu dénonçait la prolongation de la durée initiale de son incarcération par suite d’un changement intervenu dans la politique des libérations conditionnelles de l’État défendeur, la Commission européenne des droits de l’homme s’est exprimée ainsi :
« La Commission rappelle que le requérant a été condamné à la réclusion à vie en 1969 pour un meurtre commis au cours d’un vol à main armée. Il est clair que la peine prévue pour cette infraction au moment où elle a été commise était la prison à perpétuité et qu’il ne se pose dès lors à cet égard aucun problème sur le terrain de l’article 7.
De plus, selon la Commission, la « peine » au sens de l’article 7 § 1 doit être considérée comme étant celle de la réclusion à vie. Il est néanmoins exact que, par suite du changement intervenu dans la politique des libérations conditionnelles, le requérant ne remplira les conditions voulues pour cette libération qu’après avoir purgé 20 ans de prison. Certes, il peut se faire que sa détention sera alors effectivement plus rigoureuse que s’il avait rempli plus tôt les conditions d’une libération conditionnelle, mais ce genre de question concerne l’exécution de la peine et non la « peine » elle-même, qui demeure celle de la réclusion à vie. En conséquence, on ne saurait dire que la « peine » infligée soit plus lourde que celle qui avait été prévue par le juge au fond. »
On n’aperçoit guère de différence de nature entre les caractéristiques de l’affaire précitée et celles de la présente affaire, où la peine à purger en définitive par la requérante pour une série de crimes commis en Espagne – trente ans d’emprisonnement – est demeurée la même, bien que la date à laquelle l’intéressée aurait pu prétendre à une libération anticipée eût été modifiée par la suite, à son détriment.
De même, dans l’affaire Uttley c. Royaume-Uni ((déc.), no 36946/03, 29 novembre 2005), le requérant se plaignait en substance de ce qu’une modification apportée au régime de la libération anticipée par une loi adoptée en 1991 avait eu pour effet d’ajouter à la condamnation prononcée contre lui en 1995 une peine complémentaire ou additionnelle excédant la peine applicable à l’époque de la commission des faits – antérieure à 1983 – pour lesquels il avait été condamné. Renvoyant aux affaires Hogben (précitée) et Grava c. Italie (no 43522/98, §§ 44-45, 10 juillet 2003), la Cour s’est exprimée ainsi :
« Si (…) les conditions assortissant la remise en liberté obtenue par le requérant à l’issue de huit ans de détention peuvent passer pour « rigoureuses » en ce qu’elles restreignent inévitablement sa liberté d’action, elles ne s’analysent pas en un élément de la « peine » au sens de l’article 7, mais en un élément du régime de remise en liberté dont les détenus peuvent bénéficier avant d’avoir purgé la totalité de leur condamnation.
En conséquence, l’application à l’intéressé du régime de libération anticipée institué par la loi de 1991 ne fait pas partie de la « peine » prononcée contre lui, raison pour laquelle il n’y a pas lieu de comparer le régime de libération anticipée applicable avant 1983 avec celui entré en vigueur après 1991. »
La Grande Chambre a confirmé le raisonnement exposé ci-dessus dans l’affaire Kafkaris c. Chypre ([GC], no 21906/04, CEDH 2008) où, comme il est rappelé au paragraphe 84 du présent arrêt, des modifications apportées au droit pénitentiaire avaient privé les détenus condamnés à la réclusion à perpétuité – au nombre desquels figurait le requérant – du droit aux remises de peine. Au paragraphe 151 de l’arrêt adopté dans cette affaire, elle s’est exprimée ainsi :
« (…) [P]our ce qui est du fait que, le droit pénitentiaire ayant été modifié (…), le requérant, condamné à la réclusion à perpétuité, ne peut plus prétendre à une remise de peine, la Cour relève que cette question se rapporte à l’exécution de la peine et non à la « peine » imposée à l’intéressé, laquelle demeure celle de l’emprisonnement à vie. Même si le changement apporté à la législation pénitentiaire et aux conditions de libération ont pu rendre l’emprisonnement du requérant en effet plus rigoureux, on ne peut y voir une mesure imposant une « peine » plus forte que celle infligée par la juridiction de jugement (…). La Cour rappelle à ce propos que les questions relatives à l’existence, aux modalités d’exécution ainsi qu’aux justifications d’un régime de libération relèvent du pouvoir qu’ont les États membres de décider de leur politique criminelle (…). Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention à cet égard (…). »
Nous ne voyons ici aucune raison de nous écarter de ce raisonnement en l’espèce, d’autant que, dans les affaires Kafkaris et Uttley, le « droit » au bénéfice des remises de peine avait été totalement supprimé. En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 7 à la présente affaire, il importe peu selon nous que la suppression du « droit » au bénéfice des remises de peine résulte d’une nouvelle interprétation jurisprudentielle des dispositions pertinentes de la législation espagnole plutôt que d’une modification apportée à la loi elle-même, comme c’était le cas dans les affaires Kafkaris et Uttley.
Nous reconnaissons volontiers que la Cour doit demeurer libre d’aller au-delà des apparences et d’apprécier elle-même si telle ou telle mesure s’analyse au fond en une « peine »(paragraphe 81 du présent arrêt), et que le terme « infligé » figurant à la seconde clause de l’article 7 § 1 ne saurait être interprété comme excluant du champ d’application de cette disposition les mesures adoptées à l’égard des détenus après le prononcé de leur peine (paragraphe 88 de l’arrêt).
De même, nous comprenons fort bien les considérations humanitaires sous-tendant le raisonnement suivi par la majorité, et avons bien conscience que les faits de la cause revêtent un caractère exceptionnel et préoccupant du point de vue de l’équité du traitement des détenus, surtout ceux ayant pour perspective de passer une grande partie de leur vie en détention.
Cela étant, et en dépit du caractère exceptionnel des faits de la cause, nous ne partageons pas l’avis de la majorité selon lequel la frontière entre la « peine » infligée à la requérante pour ses crimes (à laquelle l’article 7 de la Convention est applicable) et les mesures ultérieures prises pour l’exécution de cette peine (auxquelles la garantie accordée par l’article 7 de la Convention ne s’applique pas) a été franchie du fait de l’application de la « doctrine Parot » au calcul de la date de remise en liberté de l’intéressée. S’il est parfois malaisé de déterminer la frontière entre ces deux notions (la notion de peine et la notion de mesure gouvernant l’exécution de la peine), il n’en est pas pour autant justifié d’estomper cette frontière au point de l’effacer, même lorsqu’un régime d’exécution des peines pose – comme en l’espèce – de sérieux problèmes du point de vue de la sécurité juridique et du respect des espérances légitimes. Notre divergence de vues avec la majorité porte sur la question de savoir de quel côté de la frontière se situe la mesure contestée par la requérante.
Pour conclure à l’applicabilité de la seconde clause de l’article 7 § 1 à la mesure litigieuse, la majorité se fonde sur la distinction entre la « portée de la peine » et les « modalités de son exécution » que la Cour avait établie dans l’arrêt Kafkaris, dans le cadre du constat d’un manque de précision de la loi chypriote applicable au moment de la commission du délit (paragraphes 81 et suivants du présent arrêt).
Sur le plan des principes, le présent arrêt semble faire d’une modification ultérieurement intervenue dans la « portée de la peine » au détriment du condamné un critère déterminant de l’applicabilité de l’article 7. En l’espèce, il a été considéré que la « portée de la peine » prononcée contre la requérante avait été modifiée, au détriment de celle-ci, par une nouvelle interprétation jurisprudentielle de la disposition légale régissant la réduction de la durée de la peine pour travail en détention (paragraphes 109, 111 et 117 de l’arrêt).
Même à accepter le recours à la notion de « portée de la peine » – qu’il faut vraisemblablement comprendre comme étant plus large que la notion de « peine » –, nous ne sommes pas convaincus par les raisons pour lesquelles la majorité croit devoir distinguer les circonstances de l’espèce de celles des affaires précédentes et traiter la présente affaire selon une logique et un raisonnement qui ne sont pas ceux employés dans la jurisprudence constante de la Cour.
Pour nous, le présent arrêt ne signifie pas que la simple prolongation – par une modification apportée à un régime de remises de peine ou de libération conditionnelle – de la durée d’incarcération qu’un détenu pouvait prévoir de purger au moment de sa condamnation est le facteur déterminant l’applicabilité de l’article 7. Il ne s’agit pas ici de la prolongation de la « peine » en ce sens. Pareille lecture de l’arrêt impliquerait que toute modification imprévisible d’un régime de remises de peine ou de libération conditionnelle – qu’elle résulte d’un texte législatif ou réglementaire, ou d’une pratique administrative ou encore du développement de la jurisprudence – soit tenue pour attentatoire à l’article 7 dès lors que la durée réelle de la détention se trouve prolongée par rapport à la durée prévisible de celle-ci.
Toutefois, la majorité relève que « la requérante a pu croire, pendant qu’elle purgeait sa peine d’emprisonnement – et en particulier après la décision de cumul et plafonnement des peines prise le 30 novembre 2000 par l’Audiencia Nacional –, que la peine infligée était celle résultant de la durée maximale de trente ans dont il fallait encore déduire les remises de peine à accorder pour travail en détention », et que « [l]a requérante ne pouvait donc pas s’attendre (…) à ce que l’Audiencia Nacional impute les remises de peine accordées non sur la peine maximale de trente ans, mais successivement sur chacune des peines prononcées » (paragraphes 100 et 117 de l’arrêt). Selon le raisonnement suivi par la majorité, la modification – jurisprudentielle – du régime de libération anticipée (due en l’occurrence à l’adoption d’une nouvelle méthode d’imputation des remises de peine pour travail en détention) a eu pour effet d’« alourdir » la « peine » infligée à la requérante. Or comme semble le suggérer le paragraphe 103 in fine de l’arrêt, ce raisonnement équivaut à intégrer dans la définition de la « peine » l’existence et les modalités du régime de remises de peine en vigueur au moment du prononcé de la condamnation en tant qu’éléments déterminant la durée potentielle de la peine.
Il est vrai que les personnes reconnues coupables d’infractions et condamnées à l’emprisonnement envisagent leur peine et le régime de remises de peine ou de libération conditionnelle applicable comme formant un tout dès qu’elles commencent à purger leur peine en ce sens qu’elles évaluent leurs chances d’être remises en liberté, les moyens d’obtenir leur libération ainsi que la date prévisible de celle-ci et prévoient d’adopter un certain comportement en détention à cet effet. Dans le langage courant, l’on dirait que ces personnes considèrent leur peine et les possibilités de remises de peine, de libération conditionnelle ou anticipée et le régime auquel celles-ci sont soumises comme un « package ».
Toutefois, il ressort très clairement de la jurisprudence constante de la Cour que les États contractants peuvent, après la commission de l’infraction et même après le prononcé de la condamnation, apporter des modifications à leur régime pénitentiaire – pour autant que celles-ci portent sur les modalités d’exécution des peines – ayant des effets négatifs sur la libération anticipée de détenus, donc sur la durée de leur détention, sans que ces mesures ne relèvent de la garantie spécifique prévue par l’article 7 de la Convention. Comme le montre l’arrêt Kafkaris, pareils changements peuvent aller jusqu’à priver totalement, par la voie d’une modification législative, une catégorie entière de détenus de tout « droit » au bénéfice des remises de peine. L’application à la requérante de la « doctrine Parot » a eu pour elle le même effet en pratique. Pourtant, le présent arrêt n’indique nulle part qu’il constitue un revirement de jurisprudence ou qu’il entend s’écarter de la jurisprudence existante.
En outre, bien que cette considération ait aussi été prise en compte par la majorité (paragraphe 101 de l’arrêt), nous ne sommes pas certains que la différence entre un droit aux remises de peine prévu par la loi et automatiquement accordé – comme en l’espèce – à tout détenu satisfaisant à certaines conditions (de travail en détention, par exemple) et l’octroi discrétionnaire d’une libération conditionnelle pour bonne conduite soit en elle-même déterminante. Les États contractants disposent d’une marge d’appréciation en matière d’établissement de leur régime pénitentiaire, notamment en ce qui concerne l’exécution des peines. Ils peuvent choisir des mesures destinées à récompenser la bonne conduite des détenus, mettre en place des dispositifs tendant à faciliter leur réinsertion dans la société ou des mécanismes octroyant des crédits automatiques en vue d’une libération conditionnelle, etc. Il appartient aux États contractants de décider si les mesures qu’ils ont choisies doivent revêtir un caractère automatique ou discrétionnaire et être soumises à un régime administratif, judiciaire ou mixte. Nous ne comprenons pas comment le fait de définir une condition d’octroi d’une libération anticipée comme étant la conséquence automatique d’un événement déterminé plutôt que comme une faculté discrétionnaire ou subordonnée à l’appréciation du comportement d’un détenu ou de la dangerosité de celui-ci puisse constituer en lui-même un facteur déterminant l’applicabilité de l’article 7.
Selon notre analyse, fondée sur la jurisprudence actuelle de la Cour, la décision critiquée en l’espèce est une mesure relative à l’exécution de la peine qui régit les modalités et la date d’octroi d’une libération anticipée, non une « peine » en tant que telle. Par conséquent, bien que des questions puissent se poser sur le terrain de l’équité du traitement des détenus, notamment du point de vue de la sécurité juridique et du respect des espérances légitimes, l’article 7 et la garantie très spécifique qu’il institue ne sont pas en cause.
Il est vrai que la Cour suprême a imposé une nouvelle méthode de calcul de réduction de la durée des peines en adoptant la « doctrine Parot » au prix du revirement d’une jurisprudence constante, et qu’il en est résulté en définitive pour la requérante une prolongation considérable de la durée de sa détention. Toutefois, cette conséquence négative ne figure pas au nombre des anomalies que l’article 7 vise à prévenir. Si la détention de l’intéressée s’en trouve « effectivement plus rigoureuse » (pour reprendre l’expression employée dans la décision Hogben) que si elle avait bénéficié de l’interprétation jurisprudentielle et de la politique antérieures d’application des dispositions pertinentes de la loi de 1973, les conséquences négatives qui en découlent pour elle ont trait à l’exécution de sa condamnation, non à sa « peine », qui demeure celle de l’emprisonnement pour une durée de trente ans. En conséquence, on ne saurait dire que la « peine » en question a été alourdie par rapport à la peine initialement prononcée. La décision critiquée porte exclusivement sur les modalités d’exécution de la peine et ne soulève pas de question sous l’angle du principe nulla poena sine lege, le principe fondamental qui se trouve au cœur de l’article 7. La loi pénale applicable est demeurée la même, tout comme la peine d’emprisonnement infligée à l’intéressée, même si, après rectification par les juridictions espagnoles d’une interprétation jugée erronée de la loi en question qui a conduit à une fausse application de celle-ci des années durant, la requérante s’est vu appliquer une nouvelle méthode de calcul de la réduction de la durée de son incarcération. C’est sur ce point crucial que les circonstances de l’espèce se distinguent nettement d’autres affaires relevant selon la Cour du champ d’application de l’article 7.
En résumé, nous ne pensons pas que la « peine » – au sens de l’article 7 – infligée à la requérante ait été alourdie par la décision dont elle se plaint, même si cette décision a eu un effet considérable sur la durée pendant laquelle elle devra rester incarcérée avant de parvenir au terme de sa condamnation. La seconde clause de l’article 7 § 1 ne s’applique pas aux mesures relatives à l’exécution de la peine et aux modalités de calcul et d’octroi des jours de remise de peine. Nous sommes préoccupés par le fait que la majorité semble avoir étendu la notion de « peine », même entendue comme étant « la portée de la peine », au-delà de sa signification naturelle et légitime dans le but d’intégrer dans le champ d’application de l’article 7 ce qu’elle perçoit comme étant une injustice faite à des détenus.
Sur l’article 5
Tout autre est la question de savoir si les faits dénoncés relèvent du champ d’application de l’article 5 et, dans l’affirmative, s’il a été satisfait aux exigences posées par cette disposition. Nous souscrivons sur ce point au raisonnement exposé dans le présent arrêt.
Sur l’article 41
Sur la question de savoir si, dans les circonstances particulières de l’espèce, « il y a lieu » – puisque telle est la condition à laquelle l’article 41 de la Convention subordonne l’octroi d’une satisfaction équitable – d’accorder à la requérante une somme à titre de satisfaction équitable en réparation des violations de la Convention constatées par la Cour, nous souscrivons pleinement aux conclusions et au raisonnement exposés dans l’opinion séparée que les juges Villiger, Steiner, Power-Forde, Lemmens et Griţco ont jointe au présent arrêt.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DU JUGE MAHONEY
(Traduction)
Ayant voté contre le constat de violation de l’article 7 opéré par la majorité, je crois aussi devoir voter contre le troisième point du dispositif enjoignant à l’État défendeur d’assurer la remise en liberté de la requérante dans les plus brefs délais. J’estime en effet que le seul constat d’une violation de l’article 5 § 1 de la Convention découlant de la « qualité » insuffisante de la loi espagnole pertinente ne peut justifier pareille injonction.
En tout état de cause, la présente affaire n’est en rien comparable à certaines affaires dont la Cour a eu à connaître auparavant – notamment les affaires Assanidzé c. Géorgie ([GC], no 71503/01, §§ 202-203, CEDH 2004-II) et Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie ([GC], no 48787/99, §§ 488-490, CEDH 2004-VII), dans lesquelles elle a constaté que les privations de liberté litigieuses étaient non seulement incompatibles avec les garanties procédurales prévues par la Convention mais aussi consécutives à des dénis de justice flagrants, totalement arbitraires et attentatoires à l’État de droit. Je ne pense pas non plus que le troisième point du dispositif puisse trouver un quelconque appui dans les arrêts Alexanian c. Russie (no 46468/06, §§ 239-240, 22 décembre 2008) et Fatullayev c. Azerbaïdjan (no 40984/07, §§ 175-177, 22 avril 2000) cités dans le présent arrêt (au paragraphe 138, in fine), dans lesquels la Cour a qualifié les détentions litigieuses d’« inacceptables », l’une parce qu’elle « ne poursuivait aucun des objectifs autorisés par l’article 5 », l’autre parce qu’elle résultait de condamnations pénales « ne justifiant pas le prononcé de peines d’emprisonnement ».
[1]. Juridiction siégeant à Madrid compétente notamment en matière de terrorisme.
[2] Peine d’emprisonnement d’une durée d’un mois et un jour à six mois.
[3] Par une disposition transitoire du règlement pénitentiaire de 1981 la compétence attribuée au patronage de Nuestra Señora de la Merced a été transférée aux juges de l’application des peines (Jueces de Vigilancia Penitenciaria).
[4] Interprétation de la deuxième disposition transitoire du code pénal de 1995. Voir également l’accord adopté par la chambre criminelle du Tribunal suprême en formation plénière le 12 février 1999, concernant l’application de la nouvelle limite de la peine à purger telle que fixée par l’article 76 du nouveau code pénal de 1995.