Article 11
Article 11-1
Liberté d’association
Adhésion obligatoire à une association de chasse: violation
article 1 du Protocole n° 1
article 1 al. 1 du Protocole n° 1
Respect des biens
Propriétaires contraints de permettre la chasse sur leurs terres: violation
[Extrait du communiqué de presse]
En fait – L’affaire concerne trois requêtes introduites à l’origine par dix ressortissants
français, Mme Marie-Jeanne Chassagnou, M. René Petit, Mme Simone Lasgrezas, MM. Léon
Dumont, Pierre et André Galland, Edouard (décédé) et Michel Petit, Michel Pinon et Mme
Joséphine Montion, nés respectivement en 1924, 1936, 1927,1924, 1926 et 1936, 1910
et 1947, 1947 et 1940. Mme Chassagnou, M. René Petit et Mme Lasgrezas sont domiciliés
dans les communes de Tourtoirac et de Chourgnac d’Ans, dans le département de la
Dordogne où ils exercent la profession d’agriculteurs. MM. Dumont, Galland, Petit et
Pinon, qui sont également agriculteurs, sont domiciliés sur le territoire des communes de
La Cellette et de Genouillac, dans le département de la Creuse. Mme Montion est
domiciliée à Salleboeuf, dans le département de la Gironde, où elle exerce la profession
de secrétaire. Tous les requérants sont propriétaires de biens fonciers, d’une surface
inférieure à 20 hectares d’un seul tenant pour ceux d’entre eux domiciliés en Dordogne
et en Gironde, et à 60 hectares pour ceux domiciliés dans la Creuse. En vertu d’une loi
du 10 juillet 1964, dite loi « Verdeille », relative à l’organisation des associations
communales de chasse agréées (ACCA), tous les requérants, qui sont des opposants à la
chasse, ont dû devenir membres des ACCA créées dans leur commune et leur faire
apport de leur droit de chasse sur leurs terrains pour que tous les chasseurs de la
commune puissent y chasser. Ils ne pouvaient se soustraire à cette adhésion obligatoire
et à cet apport forcé de leurs terrains que si la superficie de leurs fonds était supérieure
à un seuil, variable selon les départements concernés (20 hectares en Dordogne et
Gironde et 60 hectares dans la Creuse), ce qui n’était pas le cas. Les requérants
tentèrent d’obtenir devant les juridictions internes le retrait de leurs terrains du
périmètre des ACCA de leurs communes mais furent déboutées de leurs demandes, tant
par les jurisidictions civiles qu’administratives, en dernier lieu, par arrêt de la Cour de
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cassation du 16 mars 1994 (affaire Chassagnou, R. Petit et Lasgrezas) ou par arrêts du
Conseil d’Etat datés respectivement du 10 mars 1995 (affaire Dumont et autres) et du
10 mai 1995 (affaire Montion).
Les requérants se plaignent de ce que l’inclusion forcée de leurs terrains dans le
périmètre des ACCA en question et leur adhésion obligatoire à une association dont ils
réprouvent l’objet viole leur droit de propriété, leur droit à la liberté d’association et leur
droit à la liberté de pensée et de conscience, prévus par l’article 1 du Protocole n° 1 et
par les articles 11 et 9 de la Convention européenne. Ils se plaignent également d’une
discrimination contraire à l’article 14 de la Convention.
En droit
Article 1 du Protocole n° 1 quant à l’atteinte au droit de propriété des requérants: La
Cour relève qu’en l’occurrence, les requérants ne souhaitent pas chasser chez eux et
s’opposent à ce que des tiers puissent pénétrer sur leur fonds pour pratiquer la chasse.
Or, opposants éthiques à la chasse, ils sont obligés de supporter tous les ans sur leur
fonds la présence d’hommes en armes et de chiens de chasse. A n’en pas douter, cette
limitation apportée à la libre disposition du droit d’usage constitue une ingérence dans la
jouissance des droits que les requérants tirent de leur qualité de propriétaire. La Cour
estime, en ce qui concerne le but de cette ingérence, qu’il est assurément dans l’intérêt
général d’éviter une pratique anarchique de la chasse et de favoriser une gestion
rationnelle du patrimoine cynégétique. Après avoir relevé qu’aucune des options
évoquées par le Gouvernement (possibilité de clore son terrain ou demandes qu’auraient
pu présenter les requérants afin d’obtenir le classement de leurs terrains en réserves de
chasse ou réserves naturelles) n’était susceptible en pratique de dispenser les
requérants de l’obligation légale d’apporter leur fonds aux ACCA, la Cour a considéré que
les contreparties légales mentionnées par le Gouvernement, ne sauraient être
considérées comme représentant une juste indemnisation de la perte du droit d’usage. Il
est clair que dans l’esprit de la loi Verdeille de 1964, la privation du droit de chasse
exclusif de chaque propriétaire soumis à apport devait être compensée par la possibilité
concomitante de chasser sur l’ensemble du territoire de la commune soumis à l’emprise
de l’ACCA. Cependant, cette compensation n’a de réalité et d’intérêt que pour autant que
tous les propriétaires concernés soient chasseurs ou acceptent la chasse. Or, la loi
de1964 n’a envisagé aucune mesure de compensation en faveur des propriétaires
opposés à la chasse qui, par définition, ne souhaitent tirer aucun avantage ou profit d’un
droit de chasse qu’ils refusent d’exercer. La Cour relève que l’apport forcé du droit de
chasse, attribut en droit français du droit de propriété, est dérogatoire au principe posé
par l’article L. 222-1 du code rural, selon lequel nul ne saurait chasser sur la propriété
d’autrui sans le consentement du propriétaire. La Cour observe en outre que, suite à
l’adoption de la loi Verdeille en 1964, qui excluait dès l’origine les départements du Bas-
Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, seuls 29 départements, sur les 93 départements
concernés en France métropolitaine, ont été soumis au régime de la création obligatoire
d’ACCA, que le régime des ACCA facultatives ne s’applique que dans 851 communes, et
que la loi ne vise que les petites propriétés, à l’exclusion tant des grandes propriétés
privées que des domaines appartenant à l’Etat. En conclusion, nonobstant les buts
légitimes recherchés par la loi de 1964 au moment de son adoption, la Cour estime que
le système de l’apport forcé qu’elle prévoit aboutit à placer les requérants dans une
situation qui rompt le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de
propriété et les exigences de l’intérêt général : obliger les petits propriétaires à faire
apport de leur droit de chasse sur leurs terrains pour que des tiers en fassent un usage
totalement contraire à leurs convictions se révèle une charge démesurée qui ne se
justifie pas sous l’angle du second alinéa de l’article 1 du Protocole n° 1. Il y a donc
violation de cette disposition.
Conclusion: violation (douze voix contre cinq).
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Article 1 du Protocole n° 1, combiné avec l’article 14 de la Convention: La Cour observe
que l’Etat défendeur cherche à justifier la différence de traitement entre les petits et les
grands propriétaires en invoquant la nécessité d’assurer le regroupement des petites
parcelles pour favoriser une gestion rationnelle des ressources cynégétiques. La Cour
considère qu’en l’espèce le gouvernement défendeur n’a pas expliqué de manière
convaincante comment l’intérêt général pouvait être servi par l’obligation faite aux seuls
petits propriétaires de faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains. Dans la
mesure où la différence de traitement opérée entre les grands et les petits propriétaires
a pour conséquence de réserver seulement aux premiers la faculté d’affecter leur terrain
à un usage conforme à leur choix de conscience, elle constitue une discrimination fondée
sur la fortune foncière au sens de l’article 14 de la Convention. Il y a donc violation de
l’article 1 du Protocole n° 1, combiné avec l’article 14 de la Convention.
Conclusion: violation (quatorze voix contre trois).
Article 11 de la Convention pris isolément: Selon la Cour, la notion d’« association »
possède une portée autonome: la qualification en droit national n’a qu’une valeur
relative et ne constitue qu’un simple point de départ. Il est vrai que les ACCA doivent
leur existence à la volonté du législateur, mais la Cour relève qu’il n’en demeure pas
moins que les ACCA sont des associations constituées conformément à la loi du 1er
juillet 1901. En outre, il ne saurait être soutenu que les ACCA jouissent en vertu de la loi
Verdeille de prérogatives exorbitantes du droit commun, tant administratives que
normatives ou disciplinaires ou qu’elles utilisent des procédés de la puissance publique.
La Cour estime donc que les ACCA sont bien des « associations » au sens de l’article 11.
La Cour est d’avis que l’ingérence dans le droit à la liberté d’association « négative »,
c’est-à-dire le droit de ne pas faire partie d’une association contre sa volonté, était en
l’espèce prévue par la loi et poursuivait un but légitime, à savoir celui de la protection
des droits et libertés d’autrui. En l’occurrence, le Gouvernement fait état de la nécessité
de protéger ou de favoriser un exercice démocratique de la chasse. A supposer même
que le droit français consacre un « droit » ou une « liberté » de chasse, la Cour relève
qu’un tel droit ou liberté ne fait pas partie de ceux reconnus par la Convention qui, par
contre, garantit expressément la liberté d’association. Quant à la question de savoir si
l’ingérence était proportionnelle au but légitime poursuivi, la Cour note que les
requérants sont des opposants éthiques à la pratique de la chasse et que leurs
convictions à cet égard atteignent un certain degré de force, de cohérence et
d’importance et méritent de ce fait respect dans une société démocratique. Partant, la
Cour estime que l’obligation faite à des opposants à la chasse d’adhérer à une
association de chasse peut à première vue sembler incompatible avec l’article 11. La
Cour relève qu’en l’espèce les requérants n’ont raisonnablement pas la possibilité de se
soustraire à cette affiliation: pourvu que leurs terrains soient situés sur le territoire d’une
ACCA et qu’ils ne soient pas propriétaires de terrains d’une superficie leur permettant de
faire opposition, leur affiliation est obligatoire. La Cour observe ensuite que la loi exclut
expressément de son champ d’application tous les terrains faisant partie du domaine
public de l’Etat, des départements et des communes, des forêts domaniales ou des
emprises des chemins de fer. En d’autres termes, la nécessité de mettre en commun des
terrains pour l’exercice de la chasse ne s’impose qu’à un nombre restreint de
propriétaires privés et cela sans que leurs opinions ne soient prises en considération de
quelque manière que ce soit. Au vu de ce qui précède, les motifs avancés par le
Gouvernement ne suffisent pas à montrer qu’il était nécessaire d’astreindre les
requérants à devenir membres des ACCA de leurs communes, en dépit de leurs
convictions personnelles. Au regard de la nécessité de protéger les droits et libertés
d’autrui pour l’exercice démocratique de la chasse, une obligation d’adhésion aux ACCA
qui pèse uniquement sur les propriétaires dans une commune sur quatre en France ne
peut passer pour proportionnée au but légitime poursuivi. La Cour n’aperçoit pas
davantage pourquoi il serait nécessaire de ne mettre en commun que les petites
propriétés tandis que les grandes, tant publiques que privées, seraient mises à l’abri
d’un exercice démocratique de la chasse. Contraindre de par la loi un individu à une
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adhésion profondément contraire à ses propres convictions et l’obliger, du fait de cette
adhésion, à apporter le terrain dont il est propriétaire pour que l’association en question
réalise des objectifs qu’il désapprouve va au delà de ce qui est nécessaire pour assurer
un juste équilibre entre des intérêts contradictoires et ne saurait être considéré comme
proportionné au but poursuivi. Il y a donc violation de l’article 11.
Conclusion: violation (douze voix contre cinq).
Article 11, combiné avec l’article 14 de la Convention: La Cour estime que l’examen du
grief tiré de l’article 11, lu en combinaison avec l’article 14, est en substance analogue à
celui qui a été mené au regard de l’article 1 du Protocole n° 1 et elle ne voit aucune
raison de s’écarter de sa conclusion précédente. La Cour estime que le gouvernement
défendeur n’a avancé aucune justification objective et raisonnable de la différence de
traitement contestée, qui oblige les petits propriétaires à être membres des ACCA et
permet aux grands propriétaires d’échapper à cette affiliation obligatoire, qu’ils exercent
leur droit de chasse exclusif sur leur propriété ou qu’ils préfèrent, en raison de leurs
convictions, affecter celle-ci à l’instauration d’un refuge ou d’une réserve naturelle. En
conclusion, il y a violation de l’article 11 combiné avec l’article 14 de la Convention.
Conclusion: violation (seize voix contre une).
Article 9 de la Convention: Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue en
ce qui concerne la violation de l’article 1 du Protocole n° 1 et de l’article 11, tant pris
isolément que combinés avec l’article 14 de la Convention, la Cour n’estime pas
nécessaire de procéder à un examen séparé de l’affaire sous l’angle de l’article 9 de la
Convention.
Conclusion: Pas nécessaire d’examiner (seize voix contre une).
Article 41 de la Convention: 30 000 FF à chacun des requérants pour préjudice moral;
demandes pour dommage matériel rejetées.