ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
17 mai 1990
Parties
Dans l’ affaire C-87/89,
1 ) Société nationale interprofessionnelle de la tomate ( Sonito ), société de droit français établie à Avignon ( France ),
2 ) Beaudoux, société de droit français établie à Lambesc ( France ),
3 ) Coopérative agricole de transformations et de ventes, établie à Camaret ( France ),
4 ) Cuisine et conserves des régions de France ( CCRF ), société de droit français établie à Casseneuil ( France ),
5 ) Conserve-Gard, société de droit français établie à Nîmes ( France ),
6 ) Conserveries du Midi, société de droit français établie à Sarrians ( France ),
7 ) Conserveries réunies de Bergerac, société de droit français établie à Bergerac ( France ),
8 ) Francal, société de droit français établie à Boé ( France ),
9 ) Gaston Jouval, société de droit français établie à Cavaillon ( France ),
10 ) Giraud Ainé, société de droit français établie à Sarrians ( France ),
11)Conserves P . Guintrand, société de droit français établie à Carpentras ( France ),
12 ) Larroche frères, société de droit français établie à Saint-Sylvestre-sur-le-Lot ( France ),
13 ) Conserves alimentaires Louis Martin, société de droit français établie à Monteux ( France ),
14)Otra, société de droit français établie à Tarascon ( France ),
15 ) Piquet Paul et Pierre, société de droit français établie à Monteux ( France ),
16 ) Promosud, société de droit français établie à Cahors ( France ),
17 ) Société de conserves alimentaires méridionales, provençales et italiennes ( Scampi ), société de droit français établie à Orange ( France ),
18)Société industrielle de transformation de produits agricoles ( Sitpa ), société de droit français établie à Auxonne ( France ),
représentées par Me Nicole Coutrelis, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l’ étude de Me Marc Loesch, 8, rue Zithe,
parties requérantes,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M . Patrick Hetsch, membre de son service juridique, en qualité d’ agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Georgios Kremlis, membre de son service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet un recours en annulation de la décision de la Commission du 17 janvier 1989 et un recours en réparation du préjudice causé par la Commission,
LA COUR ( sixième chambre ),
composée de MM . C . N . Kakouris, président de chambre, F . A . Schockweiler, G . F . Mancini, T . F . O’ Higgins et M . Díez de Velasco, juges,
avocat général : M . C . O . Lenz
greffier : M . J . A . Pompe, greffier adjoint
vu le rapport d’ audience et à la suite de la procédure orale du 7 février 1990,
ayant entendu l’ avocat général en ses conclusions présentées à l’ audience du 7 mars 1990,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l’arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 mars 1989, la Société nationale interprofessionnelle de la tomate ( ci-après « Sonito « ) et dix-sept entreprises membres de cette dernière ont introduit, en vertu de l’ article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours en annulation de la décision de la Commission, qui leur a été communiquée le 17 janvier 1989, par laquelle celle-ci a classé une plainte des requérantes, et, en vertu des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours en responsabilité non contractuelle de la Communauté .
2 Dans une plainte du 17 octobre 1986, Sonito a attiré l’ attention de la Commission sur des fraudes commises, dans le cadre du régime d’ aide à la transformation de tomates, par des transformateurs exerçant leur activité en Grèce et en Italie . Les données de transformation fournies par ces deux États membres pour les campagnes 1983/1984, 1984/1985 et 1985/1986 auraient été largement surévaluées, ce qui aurait causé un préjudice aux transformateurs français, tant au niveau de la concurrence qu’ au niveau de l’ abattement de l’ aide opéré pour les campagnes suivant celle au cours de laquelle le seuil de garantie prévu par la réglementation communautaire avait été dépassé . Sonito a estimé que la Commission pouvait introduire contre les États membres en cause un recours en constatation de manquement au titre de l’ article 169 du traité CEE et avait l’ obligation de corriger, conformément à la réglementation communautaire applicable, les données erronées fournies par les États membres .
3 Dans la lettre du 17 janvier 1989, la Commission a exposé qu’ elle ne disposait pas d’ éléments tendant à démontrer que l’ Italie ou la Grèce auraient manqué d’ accomplir les tâches de contrôle et de vérification qui leur incombaient et que les enquêtes menées par ses propres services n’ avaient pas permis de déceler l’ existence d’ irrégularités .
4 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d’ audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .
Sur le recours en annulation
5 Le recours introduit au titre de l’ article 173, deuxième alinéa, du traité CEE tend à l’ annulation à la fois de la décision de la Commission de ne pas donner suite à l’ invitation de Sonito d’ ouvrir une procédure en constatation de manquement contre l’ Italie et contre la Grèce, et de son refus d’ opérer une correction rétroactive des données fournies par les États membres et, en conséquence, des montants des aides accordées aux transformateurs français .
6 En ce qui concerne la décision de la Commission de ne pas ouvrir une procédure en constatation de manquement, il résulte de l’ économie de l’ article 169 du traité CEE que la Commission n’ est pas tenue d’ engager une procédure au sens de cette disposition, mais qu’ elle dispose d’ un pouvoir d’ appréciation discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d’ exiger de l’ institution qu’ elle prenne une position dans un sens déterminé et d’ introduire un recours en annulation contre son refus d’ agir .
7 En effet, c’ est seulement si elle estime que l’ État membre en cause a manqué à une de ses obligations que la Commission émet un avis motivé . En outre, dans le cas où cet État ne se conforme pas à cet avis dans le délai imparti, la Commission, en tout état de cause, a la faculté, mais non pas l’ obligation, de saisir la Cour de justice en vue de faire constater le manquement reproché ( voir, en dernier lieu, arrêt du 14 février 1989, Starfruit, 247/87, Rec . p . 0000 ).
8 En ce qui concerne le refus de la Commission d’ opérer une correction rétroactive du montant des aides allouées, il suffit de constater que les requérantes ne sauraient faire valoir que cet acte de refus les concerne directement et individuellement selon l’ article 173, deuxième alinéa, du traité CEE . En effet, la correction rétroactive demandée aurait dû être adoptée sous la forme d’ un règlement de portée générale, concernant, de façon objective, tous les opérateurs économiques de la Communauté en leur seule qualité de transformateurs de tomates .
9 Le recours en annulation doit, dès lors, être rejeté comme irrecevable en ce qui concerne tant la décision de la Commission de ne pas engager une procédure au titre de l’ article 169 du traité CEE contre l’ Italie et contre la Grèce que le refus de procéder à une correction rétroactive du montant des aides allouées .
Sur le recours en responsabilité non contractuelle
10 Les requérantes demandent la réparation de trois préjudices, à savoir la différence entre le montant de l’ aide effectivement perçue pendant les campagnes 1984/1985 à 1987/1988 et celui de l’ aide qu’ elles auraient dû percevoir en l’ absence d’ abattement, le préjudice commercial et, pour Sonito seulement, le remboursement des frais de procédure en Italie .
11 La Commission conteste la recevabilité du recours en responsabilité non contractuelle en faisant valoir que les requérantes mettent, en réalité, en cause des carences de contrôle et de poursuites dans le chef des seules autorités nationales . Or, les juridictions nationales seraient seules compétentes pour assurer la réparation de préjudices imputables aux autorités nationales .
12 A cet égard, il faut souligner que les requérantes font valoir des préjudices trouvant, d’ après elles, leur cause dans un comportement prétendument illégal, non pas des autorités nationales, mais de la Commission, consistant dans le défaut de correction des données fournies par certains États membres et, en conséquence, des aides allouées . En conséquence, cette exception d’ irrecevabilité doit être rejetée .
13 En ce qui concerne la demande en réparation du préjudice résultant de la différence entre l’ aide effectivement versée et celle à laquelle les requérantes prétendent avoir droit, la Commission invoque une deuxième exception d’ irrecevabilité spécifique en faisant valoir que l’ objet réel de ce recours équivaut au paiement des sommes résultant du retrait ou de l’ annulation des règlements successifs adoptés par la Commission; or, les requérantes n’ étant pas habilitées à poursuivre un tel objectif au moyen du recours au titre de l’ article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, ne pourraient pas non plus le faire au moyen du recours en responsabilité en vertu des articles 178 et 215, deuxième alinéa, de ce même traité .
14 A cet égard, il convient de rappeler que l’ action en indemnité au titre des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE a été instituée comme une voie autonome ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’ exercice conçues en vue de son objet . Elle se différencie, notamment, du recours en annulation en ce qu’ elle tend non pas à la suppression d’ une mesure déterminée, mais à la réparation d’ un préjudice causé par une institution ( voir arrêt du 26 février 1986, Krohn, 175/84, Rec . p . 763 ).
15 La demande en indemnité présentée par les requérantes doit, dès lors, être examinée dans le cadre de ce recours et peut être accueillie si elle est bien fondée, sans qu’ il soit nécessaire que la Commission adopte de nouveaux actes réglementaires ( arrêt du 4 octobre 1979, Interquell, 261/78 et 262/78, Rec . p . 3045 ). Dans ces conditions, elle doit être déclarée recevable .
16 Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’ engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la réunion d’ un ensemble de conditions en ce qui concerne l’ illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l’ existence d’ un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué .
17 En ce qui concerne la demande en réparation du préjudice consistant dans la différence entre l’ aide telle que prévue et effectivement perçue et celle qui aurait dû être versée et le préjudice commercial, il convient de relever que les requérantes n’ ont pas pu établir l’ existence d’ un comportement illégal de la part de la Commission . En effet, il résulte du dossier et des débats menés à l’ audience que cette dernière ne disposait, quant aux fraudes prétendument commises par les opérateurs économiques en Italie et en Grèce, que de données isolées et sujettes à caution qui lui avaient été communiquées par les autorités nationales . Les contrôles menés par les propres services de la Commission n’ avaient, quant à eux, pas mis en évidence l’ existence de fraudes du type de celles invoquées par les requérantes . Dans ces conditions, la Commission ne pouvait légalement procéder à une correction des données fournies et, en conséquence, à une adaptation rétroactive du montant des aides pour les campagnes 1984/1985 à 1987/1988 .
18 Pour ce qui est de la demande de remboursement des frais de procédure engagés en Italie, Sonito n’ a pas pu établir que la Commission avait une obligation de la soutenir dans le cadre de procédures qui, de toute façon, n’ auraient pas pu aboutir à l’ indemniser du préjudice essentiel dont elle se prétend victime, et qui consiste dans un manque à gagner, résultant du défaut de correction des montants d’ aide alloués .
19 Dans ces conditions, le recours en responsabilité non contractuelle doit être rejeté comme non fondé .
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
20 Aux termes de l’ article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens . Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens .
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR ( sixième chambre )
déclare et arrête :
1 ) Le recours en annulation est rejeté comme irrecevable .
2 ) Le recours en responsabilité non contractuelle est rejeté comme non fondé .
3 ) Les requérantes sont condamnées aux dépens .