ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
4 juin 2009 (*)
«Manquement d’État – Articles 43 CE et 48 CE – Opticiens – Conditions d´établissement – Ouverture et exploitation de magasins de matériel optique – Exécution incomplète d’un arrêt de la Cour – Somme forfaitaire»
Dans l’affaire C‑568/07,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 228 CE, introduit le 18 décembre 2007,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Zavvos et E. Traversa, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République hellénique, représentée par Mme E. Skandalou, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. K. Schiemann, J. Makarczyk, L. Bay Larsen et Mme C. Toader (rapporteur), juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 mars 2009,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour:
– de constater que, en ne prenant pas toutes les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du 21 avril 2005, Commission/Grèce (C‑140/03, Rec. p. I‑3177), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 48 CE;
– d’ordonner à la République hellénique de verser à la Commission l’astreinte proposée d’un montant de 70 956 euros par jour de retard dans l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce, précité, à compter du jour où sera rendu l’arrêt dans la présente affaire jusqu’à l’exécution complète dudit arrêt Commission/Grèce;
– d’ordonner à la République hellénique de verser à la Commission une somme forfaitaire, dont le montant sera obtenu en multipliant un montant journalier par le nombre de jours pendant lesquels se poursuit le manquement, à compter du jour où a été rendu l’arrêt Commission/Grèce, précité, jusqu’à la date à laquelle sera rendu l’arrêt dans la présente affaire; et
– de condamner la République hellénique aux dépens.
Le cadre juridique national
2 Le cadre juridique national est fixé par les lois suivantes: la loi n° 971/79, sur l’exercice de la profession d’opticien et sur les magasins d’articles d’optique (FEK A’ 223, ci-après la «loi n° 971/79»); la loi n° 2646/98, sur le développement du système national de soins sociaux et autres dispositions (FEK A’ 236, ci-après la «loi n° 2646/98»); la loi n° 3204/03, modifiant et complétant la législation sur le système national de santé et réglementant d’autres questions du ressort du ministère de la Santé et de la Prévoyance (FEK A’ 296, ci-après la «loi n° 3204/03»), ainsi que la loi n° 3661/08, du 19 mai 2008 (FEK A’ 89, ci-après la «loi n° 3661/08»).
3 Au moment des faits pertinents pour l’arrêt Commission/Grèce, précité, les articles 6, paragraphe 6, 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 1, de la loi n° 971/79 étaient libellés comme suit:
«Article 6
[…]
6. Sans préjudice des dispositions du paragraphe 3 du présent article (établissement dans des pharmacies) et du paragraphe 2 de l’article 8 (transfert à des membres de la famille), les magasins d’optique sont gérés personnellement par les titulaires de l’autorisation délivrée pour leur exploitation. Chaque opticien ne peut gérer qu’un seul magasin d’optique […].
Article 7
1. Les magasins d’optique ne peuvent être créés que par des titulaires d’une licence d’opticien et leur exploitation est subordonnée à la délivrance d’une autorisation par l’autorité publique compétente.
[…]
Article 8
1. L’autorisation d’exploitation d’un magasin d’optique est personnelle et incessible.
[…]»
4 L’article 27, paragraphe 4, de la loi n° 2646/98 disposait:
«Seuls les opticiens agréés peuvent créer une société en nom collectif ou en commandite pour exploiter un magasin d’optique, à condition que la personne qui possède l’autorisation d’exploiter le magasin participe pour au moins 50 % au capital de la société. Un opticien peut être associé de tout au plus une autre société, pour autant que l’autorisation de créer et d’exploiter le magasin d’optique soit délivrée au nom d’un autre opticien agréé.»
5 Les dispositions de l’article 6 de la loi n° 971/79 ont été modifiées par la loi n° 3204/03 au cours de la procédure dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Grèce, précité, en ce sens que les opticiens personnes physiques étaient désormais autorisés à exploiter plus d’un magasin d’optique, à condition, toutefois, que chaque magasin soit dirigé par un opticien diplômé agréé.
6 Les dispositions de l’article 7 de la loi n° 971/79 ont été également modifiées par la loi n° 3204/03, comme suit:
«1. Les magasins d’optique peuvent être créés par:
(a) les personnes agréées pour exercer la profession d’opticien et
(b) les sociétés, quelle que soit leur forme juridique, à la condition que:
1) dans une société en nom collectif, soit la majorité des associés et le gérant, soit la majorité des gérants [soient] des opticiens, agréés pour exercer la profession;
2) dans les sociétés à responsabilité limitée, plus de la moitié des associés, représentant plus de la moitié du capital social, [soient] des opticiens, agréés pour exercer la profession;
3) dans les sociétés anonymes, au moins 51 % du capital social [soit] détenu par des opticiens résidant dans un des pays de l’Union européenne.
[…]»
7 Après l’expiration du délai fixé par la Commission dans l’avis motivé du 4 juillet 2006, émis dans la présente affaire, la République hellénique a adopté la loi n° 3661/08 qui prévoit à son article 14:
«Les paragraphes 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de l’article 7 de la loi n° 971/79 […], dans la version modifiée par l’article 21, paragraphe 3, de la loi n° 3204/03 […], sont remplacés par le texte suivant:
Les magasins d’optique peuvent être créés par: A) des personnes physiques et B) des sociétés, quelle qu’en soit la forme. L’autorisation d’exercer la profession d’opticien n’est pas requise.
L’exploitation d’un magasin d’optique est subordonnée à la désignation d’un opticien agréé responsable sur le plan sanitaire, qui devra travailler exclusivement dans le magasin en cause. Le responsable sanitaire peut également être le propriétaire ou un associé de la société fondatrice, à condition qu’il soit opticien agréé et qu’il travaille dans le magasin.
Les personnes physiques et les sociétés peuvent créer et exploiter plusieurs magasins d’optique, chacun étant pourvu d’une autorisation séparée et d’un opticien responsable sanitaire différent.
[…]»
L’arrêt Commission/Grèce
8 Par l’arrêt Commission/Grèce, précité, la Cour a accueilli le premier grief de la Commission et constaté que, en adoptant et en maintenant en vigueur la loi n° 971/79, qui ne permet pas à un opticien personne physique diplômé d’exploiter plus d’un magasin d’optique, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 43 CE (ci-après le «premier grief accueilli»).
9 Par ce même arrêt, la Cour a également accueilli le second grief de la Commission et a constaté que, en adoptant et en maintenant en vigueur les lois n° 971/79 et n° 2646/98, qui subordonnent la possibilité pour une personne morale d’ouvrir un magasin d’optique en Grèce à condition:
– que l’autorisation de créer et d’exploiter le magasin d’optique soit délivrée au nom d’un opticien personne physique agréé, que la personne qui possède l’autorisation d’exploiter le magasin participe à raison de 50 % au moins au capital de la société ainsi qu’à ses bénéfices et pertes, que la société ait la forme d’une société en nom collectif ou d’une société en commandite, et
– que l’opticien en cause fasse partie de tout au plus une autre société propriétaire d’un magasin d’optique à la condition que l’autorisation de créer et d’exploiter le magasin soit délivrée au nom d’un autre opticien agréé,
la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 48 CE (ci-après le «second grief accueilli»).
La procédure précontentieuse
10 Par une lettre de mise en demeure datée du 13 décembre 2005, la Commission a considéré que les mesures prises par la République hellénique ne constituaient pas une exécution complète de l’arrêt Commission/Grèce, précité.
11 Dans sa réponse du 22 février 2006, cet État membre a fait valoir qu’il préparait un projet de loi visant à reconnaître à tous les types de société la possibilité d’ouvrir des magasins d’optique, sans exiger une participation majoritaire des opticiens.
12 Le 4 juillet 2006, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle invitait la République hellénique à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce, précité.
13 Par lettre du 8 septembre 2006, cet État membre a répondu qu’il soutenait une modification dudit projet de loi qui assurerait l’exécution complète de l’arrêt Commission/Grèce, précité.
14 Ledit État a informé la Commission, par lettre du 22 décembre 2006, que ladite modification du projet de loi avait été soumise au Parlement hellénique le 15 décembre 2006.
15 Estimant que les mesures nécessaires à l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce, précité, n’avaient pas été prises dans les délais impartis, la Commission a introduit le présent recours.
Les développements intervenus au cours de la présente procédure
16 Le 19 mai 2008, a été publiée au Journal officiel de la République hellénique la loi n° 3661/08, qui assure, selon la défenderesse, l’exécution complète de l’arrêt Commission/Grèce, précité.
17 Après avoir examiné le contenu de ladite loi, la Commission a informé la Cour, par lettre du 28 novembre 2008, qu’elle considérait que la République hellénique avait mis sa législation en conformité avec ledit arrêt.
18 Par conséquent, la Commission ne demande plus la fixation d’une astreinte. Toutefois, elle a maintenu sa demande quant au paiement d’une somme forfaitaire et au montant de celle-ci.
Sur le manquement
Argumentation des parties
19 La Commission estime que, à la date fixée dans l’avis motivé, la République hellénique n’avait exécuté que partiellement l’arrêt Commission/Grèce, précité.
20 La République hellénique conteste le manquement, soutenant que la loi n° 3204/03 avait éliminé toutes les restrictions à la liberté d’établissement des personnes physiques et avait assoupli les restrictions à la liberté d’établissement des personnes morales. D’une part, cette loi aurait supprimé l’interdiction faite aux personnes physiques d’exploiter plusieurs magasins d’optique et, d’autre part, elle aurait permis aux sociétés, quelle que soit leur forme, de détenir et d’exploiter des magasins d’optique.
21 La République hellénique admet toutefois, dans son mémoire en défense, que la loi n° 3204/03 avait maintenu une seule condition qui ne répondrait pas entièrement aux conditions du second grief accueilli par l’arrêt Commission/Grèce, précité, notamment que la majorité des associés d’une société exploitant un magasin d’optique doit être formée d’opticiens et, pour les sociétés anonymes, que 51 % au moins du capital social soit détenu par des opticiens.
22 Avec l’adoption de la loi n° 3661/08, la République hellénique estime avoir pris toutes les mesures nécessaires pour exécuter l’arrêt Commission/Grèce, précité.
23 Dans ses mémoires et lors de l’audience, la République hellénique a fait valoir que le retard survenu dans l’adoption des modifications législatives en question était dû, d’une part, à la tenue d’élections et, d’autre part, au fait que le Parlement aurait rejeté un premier projet de loi en ce sens.
Appréciation de la Cour
24 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêt du 9 décembre 2008, Commission/France, C‑121/07, non encore publié au Recueil, point 22).
25 Ainsi que la République hellénique l’a admis, les mesures législatives prises avant l’expiration du délai fixé par l’avis motivé n’assurent pas l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce, précité, en ce qui concerne le second grief accueilli par cet arrêt.
26 En outre, il est constant que la loi n° 3661/08 a été adoptée après l’expiration dudit délai et, partant, ses dispositions ne sauraient être prises en compte pour apprécier l’existence du manquement.
27 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas pris, à la date à laquelle a expiré le délai imparti dans l’avis motivé émis par la Commission en vertu de l’article 228 CE, toutes les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce, précité, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 228, paragraphe 1, CE.
Sur la sanction pécuniaire
Argumentation des parties
28 Par sa communication du 13 décembre 2005, relative à la mise en œuvre de l’article 228 CE [SEC(2005) 1658], la Commission expose la manière dont elle entend désormais s’acquitter de la tâche dont l’investit cet article.
29 Ainsi qu’annoncé au point 10 de cette communication, la Commission proposera désormais systématiquement la condamnation de l’État membre défaillant au paiement d’une somme forfaitaire et elle maintiendra une telle demande, sans plus se désister de son recours, même en cas de régularisation par l’État membre après la saisine de la Cour et avant l’arrêt rendu au titre de l’article 228 CE.
30 Se fondant sur l’arrêt du 12 juillet 2005, Commission/France (C‑304/02, Rec. p. I‑6263), ainsi que sur sa communication du 13 décembre 2005, la Commission avait, dans un premier temps, demandé à la Cour d’infliger à la République hellénique à la fois une astreinte et une somme forfaitaire.
31 Ainsi qu’il a été rappelé au point 17 du présent arrêt, la Commission a estimé que, en adoptant la loi n° 3661/08, la République hellénique avait mis sa législation en conformité avec l’arrêt Commission/Grèce, précité, et a conclu à ce qu’il plaise à la Cour condamner cet État membre seulement au paiement d’une somme forfaitaire.
32 Au cours de la procédure écrite et lors de l’audience, la Commission a soutenu que le montant de la somme forfaitaire devait être calculé en multipliant un montant forfaitaire de base, fixé à 200 euros par jour, par un coefficient de gravité et par un coefficient reflétant la capacité de paiement, qui serait de 4,38 pour la République hellénique.
33 À cet égard, la Commission propose le coefficient de gravité de 9 sur 20, compte tenu de l’importance des dispositions communautaires ayant fait l’objet de l’infraction et des effets de cette infraction sur les intérêts général et individuel.
34 Premièrement, en ce qui concerne l’importance des règles communautaires ayant fait l’objet de l’infraction en cause, la Commission souligne que la non-exécution de l’arrêt Commission/Grèce, précité, a fait perdurer une atteinte importante à une liberté fondamentale, en créant une discrimination entre les personnes physiques et morales qui n’est pas compatible avec les articles 43 CE et 48 CE.
35 Deuxièmement, la Commission estime que les conséquences de l’infraction pour les intérêts général et individuel sont particulièrement graves car les dispositions législatives en cause auraient eu pour objectif principal de protéger le marché hellénique et d’en empêcher l’accès aux sociétés d’optique établies dans les États membres. Partant, le maintien desdites dispositions aurait constitué une entrave très importante au fonctionnement du marché intérieur, dans la mesure où il aurait contribué à son morcellement.
36 Troisièmement, concernant les circonstances aggravantes et atténuantes, la Commission estime que la République hellénique, pendant plusieurs années consécutives et alors qu’elle avait parfaitement connaissance tant de la législation communautaire que de l’arrêt Commission/Grèce, précité, a cherché à préserver le régime de protection en faveur d’une certaine catégorie de professionnels, interdisant l’accès des personnes morales d’autres États membres audit marché. Elle aurait ainsi fait fi des mises en demeure et des rappels réitérés de la Commission, qu’elle aurait ignorés sur le fond.
37 La République hellénique soutient, principalement, que l’imposition d’une somme forfaitaire est injustifiée, car elle aurait pris les mesures législatives nécessaires et exécuté l’arrêt Commission/Grèce, précité, de sa propre initiative, dans un délai à la fois bref et raisonnable.
38 À titre subsidiaire, cet État membre conteste le coefficient de gravité proposé par la Commission et, en résumé, insiste sur le fait que la législation hellénique litigieuse ne poursuivait pas un objectif protectionniste, mais répondait à des raisons impérieuses d’intérêt général concernant la santé publique.
39 Le retard intervenu dans l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce, précité, ne serait pas dû à des intentions dilatoires, mais à des difficultés internes liées à la procédure législative et à la tenue d’élections.
40 Étant donné l’objet de l’affaire et le contenu de l’article 14 de la loi n° 3661/08, il n’y aurait aucun risque concret de récidive.
41 De plus, selon la République hellénique, l’infraction n’est pas très grave, car elle ne concernait, même avant l’adoption de la loi n° 3661/08, qu’une partie du second grief accueilli par l’arrêt Commission/Grèce, précité.
Appréciation de la Cour
Sur l’astreinte
42 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’imposition éventuelle d’une astreinte en vertu de l’article 228 CE ne se justifie, en principe, que pour autant que perdure le manquement tiré de l’inexécution d’un précédent arrêt de la Cour (voir en ce sens, notamment, arrêts du 18 juillet 2006, Commission/Italie, C‑119/04, Rec. p. I‑6885, points 45 et 46, ainsi que du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C‑503/04, Rec. p. I-6153, point 40).
43 Eu égard au fait que la Commission admet que la loi n° 3661/08 assure la complète exécution de l’arrêt Commission/Grèce, précité, il n’y a pas lieu de condamner la République hellénique au paiement d’une astreinte.
Sur la somme forfaitaire
44 En ce qui concerne l’imposition éventuelle d’une somme forfaitaire, il convient de rappeler que celle-ci doit, dans chaque cas d’espèce, demeurer fonction de l’ensemble des éléments pertinents ayant trait tant aux caractéristiques du manquement constaté qu’à l’attitude propre à l’État membre concerné par la procédure initiée sur le fondement de l’article 228 CE (voir, notamment, arrêt du 9 décembre 2008, Commission/France, précité, point 62).
45 Si l’imposition d’une astreinte semble particulièrement adaptée pour inciter un État membre à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle mesure, aurait tendance à persister, l’imposition d’une somme forfaitaire repose davantage sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période depuis l’arrêt qui l’a initialement constaté (arrêt du 12 juillet 2005, Commission/France, précité, point 81).
46 Il appartient à la Cour, dans chaque affaire et en fonction des circonstances de l’espèce dont elle se trouve saisie ainsi que du niveau de persuasion et de dissuasion qui lui paraît requis, d’arrêter les sanctions pécuniaires appropriées pour assurer l’exécution la plus rapide possible de l’arrêt ayant précédemment constaté un manquement et prévenir la répétition d’infractions analogues au droit communautaire (voir arrêt du 9 décembre 2008, Commission/France, précité, point 59).
47 En toute hypothèse, si la Cour décide de l’imposition d’une somme forfaitaire, il lui appartient, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, de fixer celle-ci de sorte qu’elle soit, d’une part, adaptée aux circonstances et, d’autre part, proportionnée au manquement constaté ainsi qu’à la capacité de paiement de l’État membre concerné (voir arrêt du 25 novembre 2003, Commission/Espagne, C‑278/01, Rec. p. I‑14141, point 41).
48 Par conséquent, afin de statuer sur la demande d’imposition d’une somme forfaitaire, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des circonstances de cette affaire, et notamment de l’attitude de la République hellénique, de la durée et de la gravité de l’infraction.
49 Ainsi, s’agissant, en premier lieu, de l’attitude de cet État membre, il est constant que celui-ci n’a pleinement exécuté le second grief accueilli par l’arrêt Commission/Grèce, précité, que par l’adoption de la loi n° 3661/08, alors que l’action requise pour éliminer complètement les entraves constatées par cet arrêt ne présentait pas de difficulté particulière.
50 À cet égard, les justifications invoquées par la République hellénique selon lesquelles le retard dans l’exécution dudit arrêt serait dû à des difficultés internes, liées à la procédure législative ou à la tenue d’élections, ne sauraient être acceptées. Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit communautaire (voir, notamment, arrêt Commission/Allemagne, précité, point 38).
51 S’agissant, en deuxième lieu, de la durée du manquement, il importe de rappeler que, si l’article 228 CE ne précise pas le délai dans lequel l’exécution d’un arrêt doit intervenir, il est toutefois constant que la mise en œuvre de l’exécution doit être entamée immédiatement et qu’elle doit aboutir dans les délais les plus brefs possibles (voir arrêt du 6 novembre 1985, Commission/Italie, 131/84, Rec. p. 3531, point 7).
52 Dans la présente affaire, il y a lieu de relever que presque 37 mois se sont écoulés depuis la date du prononcé de l’arrêt Commission/Grèce, précité, jusqu’à la date à laquelle la République hellénique a mis sa législation totalement en conformité avec ledit arrêt.
53 Force est donc de constater que le manquement reproché à la République hellénique a perduré pendant une période de temps significative, compte tenu surtout du faible degré de complexité qu’aurait impliqué l’exécution intégrale de l’arrêt Commission/Grèce, précité.
54 En ce qui concerne, en troisième lieu, la gravité de l’infraction, il convient de noter que le présent manquement a fait persister une restriction importante à la liberté d’établissement.
55 En effet, dans l’arrêt Commission/Grèce, précité, la Cour a estimé que la législation litigieuse violait le principe fondamental consacré par l’article 43 CE, en ne permettant aux sociétés installées dans d’autres États membres d’ouvrir et d’exploiter des magasins d’optique que si la majorité des associés était formée d’opticiens ou si, selon le cas, les propriétaires de la majorité du capital étaient des opticiens.
56 À cet égard, il importe de constater qu’un manquement tel que celui en l’espèce peut affecter substantiellement les intérêts des sociétés et des opticiens établis dans un autre État membre qui chercheraient à ouvrir un magasin d’optique en Grèce.
57 Eu égard à ce qui précède, la Cour estime justifié d’infliger à la République hellénique le paiement d’une somme forfaitaire.
58 En ce qui concerne le montant de ladite somme forfaitaire, il importe de tenir compte, en sus des considérations visées aux points 49 à 56 du présent arrêt, des éléments supplémentaires suivants.
59 Ainsi, il y a lieu de rappeler que, avant même que ne soit prononcé l’arrêt Commission/Grèce, précité, la République hellénique avait partiellement mis fin au manquement constaté par ledit arrêt. En effet, la défenderesse avait modifié les dispositions litigieuses relatives à l’impossibilité des opticiens personnes physiques d’exploiter plus d’un magasin d’optique, et avait éliminé la plupart des conditions liées à l’ouverture et à l’exploitation des magasins d’optique par les personnes morales.
60 Il convient également de constater que, en adoptant la loi n° 3661/08, la République hellénique s’est conformée intégralement aux exigences de l’arrêt Commission/Grèce, précité, en cours d’instance dans la présente affaire.
61 Eu égard à tout ce qui précède, il est fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en fixant à un million d’euros le montant de la somme forfaitaire que la République hellénique devra acquitter.
62 Il y a donc lieu de condamner la République hellénique à payer à la Commission, sur le compte «Ressources propres de la Communauté européenne», une somme forfaitaire d’un million d’euros.
Sur les dépens
63 En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) En n’ayant pas pris, à la date à laquelle a expiré le délai imparti dans l’avis motivé émis par la Commission des Communautés européennes en vertu de l’article 228 CE, toutes les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du 21 avril 2005, Commission/Grèce (C‑140/03), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 228, paragraphe 1, CE.
2) La République hellénique est condamnée à payer à la Commission des Communautés européennes, sur le compte «Ressources propres de la Communauté européenne», une somme forfaitaire d’un million d’euros.
3) La République hellénique est condamnée aux dépens.