768 • L’application de la ConvEDH ou du droit de l’Union par les juges nationaux en France présente certaines particularités qu’il convient d’évoquer à titre préliminaire. Le système juridique français, comme déjà vu, est dit « moniste ». Il ne sépare pas l’ordre interne et l’ordre international puisqu’il prévoit à l’article 55 C° que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, … ». Il n’existe pas, au surplus, de recours spécifique de « conventionalité » de la loi devant l’organe de contrôle de la Constitution, à savoir le Conseil constitutionnel. C’est aux juges ordinaires, juge administratif ou juge judiciaire, à quelque niveau qu’il se trouve, de procéder à ce contrôle de « conventionalité » quitte à aller jusqu’à l’éviction de la loi nationale non conforme à la convention internationale que celle-ci soit le fait du droit européen ou du droit de l’Union.
A – Juges ordinaires et droit de l’Union européenne
769 • L’ordre juridique de l’Union a la particularité de ne pas se réduire ni à un système de droit international classique ni à une organisation de type fédéral. Il n’a jamais été question d’instaurer un ordre juridictionnel spécifique aux actions fondées sur le droit de l’Union et la CJUE n’est pas une juridiction fédérale douée du pouvoir d’annuler elle-même une législation nationale contraire au traité. Pour assumer cette particularité qu’on ne retrouve chez aucune autre organisation d’intégration régionale, il a semblé opportun d’affirmer très tôt les principes d’effet direct et de primauté du droit de l’UE qui amènent à ce que le droit de l’Union s’intègre immédiatement au droit interne de chacun des Etats membres. Il revient donc, en toute logique, au juge national d’en garantir l’application effective. Le juge interne est ainsi chargé d’interpréter et d’appliquer le droit de l’Union ou même titre que son droit national faisant de lui le juge de droit commun du droit de l’Union. Le juge de l’Union n’est ainsi pas chargé de vérifier la mise en œuvre du droit de l’Union par les autorités nationales (1). Il faut cependant noter un certain renouveau avec l’utilisation récente et nouvelle de l’article 7 TUE et le nouveau cadre de l’Union pour renforcer l’Etat de droit qui amène à un certain changement de perspective (2). Malgré cela, la compétence définie par les traités pour la CJUE n’est qu’une compétence d’attribution (art. 19 TUE qui la définit en termes généraux et articles 258 à 279 TFUE qui la définissent en en fonction du type de recours mis en œuvre). Pour interpréter et appliquer le droit de l’Union, le juge national dispose, en vertu du principe d’autonomie procédurale et institutionnelle, d’une compétence pleine même si celle-ci se révèle largement encadrée par des obligations découlant du droit de l’Union (3). Pour assurer une certaine uniformisation dans l’interprétation du droit, il est prévu la possibilité d’effectuer un renvoi préjudiciel à la CJUE (4).
1 – Un juge de l’Union qui n’est pas chargé de vérifier la mise en œuvre du droit de l’Union par les autorités nationales
i/ Un système juridictionnel qui n’est pas de type fédéral
Une absence de recours devant la CJUE visant à vérifier la mise en œuvre du droit de l’Union par les autorités nationales
770 • Les recours susceptibles d’être formés devant la CJUE sont, à la différence de ceux qui permettent de saisir d’autres juridictions internationales, très variés et avant tout orientées vers le respect du droit issu des traités par les institutions de l’Union et non par les Etats. Aucun de ces recours n’a pour objet de vérifier la mise en œuvre correcte des droits et libertés consacrés par les autorités nationales. Cette spécificité s’explique par la nature même de l’Union européenne, qui se veut être une organisation dite d’intégration que la Cour qualifie désormais d’ « Union de droit » (CJUE, 19 décembre 2013, Telefonica SA contre Commission européenne, Aff. n°C-274/12P, § 56) mais aussi de « nouvel ordre juridique, doté d’institutions propres» (CJUE, 28 avril 2015, Commission européenne contre Conseil de l’Union européenne, Aff. n°C-28/12, §39). Ainsi, si les recours attribués à la compétence de la CJUE visent principalement à mettre en cause les institutions de l’Union, c’est dans une mesure limitée, au titre du recours en constatation de manquement (art. 258 à 260 TFUE), que des recours pourront viser les États membres. De manière exceptionnelle, des personnes physiques ou morales pourront être attraites devant la Cour mais seulement lorsqu’elles ont conclu un contrat avec l’Union et à condition qu’une clause ait expressément prévu sa compétence.
Des recours devant la CJUE qui visent principalement à mettre en cause les institutions de l’Union
771 • Parmi les recours les plus marquants devant la CJUE figure en bonne place, le recours en annulation permet à la CJUE de contrôler et surveiller les actions des organes et institutions de l’UE. Le droit primaire prévoit que peuvent faire l’objet de recours en annulation les actes législatifs, les actes du Conseil, de la Commission et de la BCE, autres que les recommandations et les avis, et les actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques àl’égard des tiers (art. 264 TFUE). Sont également visés les actes des organes ou organismes de l’Union ayant de tels effets. Les Etats membres, les organes de l’Union ainsi que les personnes physiques et morales peuvent faire constater la « légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers » (art. 264 TFUE). À l’inverse du recours en annulation qui vise à contester un acte, le recours en carence vise une abstention d’agir incombant à une institution de l’Union. Ces deux voies de droit sont ainsi complémentaires dans le contentieux de la légalité. Le recours en carence permet aux Etats membres, aux autres institutions de l’UE et aux personnes physiques et morales de censurer les inactions du Parlement européen, du Conseil européen, du Conseil, de la Commission ou de la BCE ou autres organes et organismes de l’Union (depuis le Traité de Lisbonne) lorsqu’elles s’abstiennent de statuer en violation des traités (art. 265 TFUE). Les carences des autres institutions, en particulier celles de la CJUE et de la Cour des comptes, ne peuvent ainsi, a priori, pas être mises en cause. Il faut enfin citer les recours en indemnité qui mettent en cause la responsabilité extra contractuelle de l’Union en raison de dommages causés par ses organes ou ses agents dans l’exercice de leurs fonctions (art. 268 TFUE). La compétence de la CJUE est, en ce domaine, exclusive (CJUE, 29 juill. 2010, Françoise-Eléonor Hanssens-Ensch contre Communauté européenne, Aff. n°C-377/09, § 17, Rec. CJUE, I, p. 7751 ; CJUE, 18 avril 2013, Commission européenne contre Systran SA et Systran Luxembourg, Aff. n°C-103/11 P, § 60 ; CJUE, 10 juillet 2014, Kalliopi Nikolaou contre Cour des comptes, Aff.n°C-220/13 P, § 52). À la différence des articles relatifs aux recours concernant le contentieux de la légalité, l’article 268 TFUE ne désigne pas les requérants mais la jurisprudence révèle que les personnes admises à former de tels recours sont souvent des personnes physiques (CJUE, 19 avril 2012, Artegodan contre Commission européenne, Aff. n°C-221/10 P) ou morales (CJUE, 11 juin 2009, Transports Schiocchet Excursions contre Commission européenne, Aff. n° C-335/08, Rec. CJUE, I, p. 104) et qu’il pourrait aussi s’agir d’Etats membres ou d’Etat tiers.
Des recours en annulation des personnes physiques ou morales peu significatifs avant le Traité de Lisbonne
772 • Le recours en annulation est essentiel pour la protection des droits et libertés des citoyens de l’Union dans la mesure où il permet de retirer de l’ordre juridique des normes illégales et d’en supprimer leurs effets. Il permet aussi de contester les abus ou détournement de pouvoir dont le citoyen serait victime. Pour autant, ce recours n’est pas ouvert de manière significative aux personnes physiques et morales devant la CJUE qui sont notamment considérés comme des « requérants non privilégiés ». Si cela va à l’encontre d’une sanction effective des droits fondamentaux formellement reconnus par le droit de l’Union et si la doctrine a pu dénoncer plusieurs fois cet état de fait (voir, par ex., A. Van Waeyenberge et L. Fromont, « La protection juridictionnelle effective en Europe ou l’histoire d’une procession d’Echternach », CDE 2015, 1, p. 113), cela n’a pas empêché une approche restrictive en jurisprudence quant aux possibilités d’action. La possibilité pour les particuliers d’attaquer un acte de l’Union, autre que les actes ou les décisions dont ils étaient les destinataires, n’était possible, avant le Traité de Lisbonne, qu’à la condition de démontrer un intérêt individuel et direct. Si le lien direct a été interprété de manière souple par la CJUE, il n’en pas été de même quant à la condition de l’intérêt individuel. La jurisprudence a posé en principe que : « les sujets, autres que le destinataire d’une décision, ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire » (CJCE, 15 juillet 1963, Plaumann & Co. contre Commission de la Communauté économique européenne, Aff. n°C-25/62, Rec. CJCE, p. 199). Par exemple, si des autorités nationales suspendent des droits de douanes sur des importations, le requérant atteint par la décision en qualité d’importateur ne peut voir son recours recevable dans la mesure où il est touché « en raison d’une activité commerciale qui, à n’importe quel moment, peut être exercée par n’importe quel sujet, et qui n’est donc pas de nature à le caractériser par rapport à la décision attaquée d’une façon analogue à celle du destinataire » (Ibid.).
Des recours en annulation des personnes physiques ou morales toujours peu significatifs après le Traité de Lisbonne
773 • Compte tenu de la difficulté, pour les requérants, à satisfaire la condition liée à l’intérêt individuel et direct lorsque l’acte attaqué est de nature réglementaire et qu’il ne comporte pas de mesures d’exécution susceptibles d’être attaquées, le Traité de Lisbonne a prévu qu’il suffirait que de tels actes réglementaires, qui ne comportent pas de mesures d’exécution, concernent directement le requérant (art. 263 al. 4 TFUE). Mais suite à cela, les juges de l’Union ont opté pour une nouvelle interprétation restrictive. Le Tribunal de première instance a précisé que cet assouplissement ne valait qu’à l’égard des recours dirigés contre des actes réglementaires et non contre des actes législatifs (TPIUE, ord., 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami et autres contre Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, Aff. n°T-18/10, Rec. CJUE, II, p. 5599). Cela a été confirmé par la CJUE (CJUE, GC, 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami et autres contre Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, Aff. n°C-583/11, §52 à 61). L’acte réglementaire doit alors être défini comme un acte de portée générale non législatif (TPIUE, 7 mars 2013, Bilbaina de Alquitranes contre ECHA, Aff. n°T-93/10, §55) et qui ne comporte pas de mesures d’exécution au regard du requérant (CJUE, GC, 19 décembre 2013, Telefonica contre Commission européenne, Aff. n°C-274/12 P, §30 ; CJUE, GC, 28 avril 2015, T & L Sugars Ltd et Sidul Açúcares Unipessoal Lda contre Commission européenne, Aff. n°C-456/13 P, §32).
ii/ Une Cour de justice qui ne peut censurer le droit national même en cas de recours en manquement
Des recours en manquement pris à l’initiative de la Commission européenne
774 • Si les particuliers ne peuvent saisir la CJUE, ils peuvent néanmoins saisir la Commission européenne laquelle n’est toutefois pas tenue de donner une suite favorable compte tenu de son pouvoir discrétionnaire en la matière (environ 20 % des recours de la Commission font suite à des plaintes déposées par des particuliers). Cette dernière apprécie toujours de manière souveraine et discrétionnaire les suites à donner (CJUE, 21 janvier 2010, Commission européenne contre Allemagne, Aff. n°C-17/09, §20, Rec. CJUE, I, p. 4). Elle « peut » saisir la CJUE (art. 259, al. 2, du TFUE) mais rien ne l’y contraint, même une violation flagrante du droit de l’Union. Sa décision de ne pas engager une telle procédure n’est, en tout état de cause, pas constitutive d’une illégalité, de sorte qu’elle n’est pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union (TPIUE, 18 décembre 2009,
Jean Arizmendi et autres contre Conseil de l’Union européenne et Commission européenne, Affaires jointes T-440/03, T-121/04, T-171/04, T-208/04, T-365/04 et T-484/04, Rec. CJCE, II, p. 4883,§62 ; TPIUE, ord. 3 juillet 1997, Smanor et autres contre Commission européenne, Aff. n°T‑201/96, Rec. CJCE, II, p. 1081, § 30 et 31 ; CJCE, ord., 23 mai 1990, Asia Motor France contre Commission européenne, Aff. n°C‑72/90, Rec. CJCE, I, p. 2181, §13 à 15). Si les Etats membres peuvent saisir la CJUE (art. 259, al. 1 du TFUE), ils doivent, au préalable saisir la Commission (art. 259, al. 2 du TFUE) ce qui empêche le développement du contentieux dans la mesure où cette dernière doit estimer qu’il n’y a pas de manquement ou que des négociations bilatérales auraient permis d’aboutir à une solution satisfaisante.
Des recours en manquement qui ne peuvent déboucher que sur des arrêts déclaratoires
775 • Aucun des recours devant la CJUE n’a pour objet de vérifier la mise en œuvre correcte des règles par les autorités nationales. Le juge de l’Union n’est donc pas un juge fédéral au sens plein du terme. Le recours en manquement permet, certes, de sanctionner les Etats membres en cas de manquement aux obligations qui leur incombent mais la CJUE n’est pas autorisée à censurer le droit national contraire et encore moins à en tirer les conséquences elle-même. Elle ne peut que constater le manquement en établissant un arrêt qu’on qualifie alors de « déclaratoire ». En effet, la Cour ne fait que constater, elle ne peut pas annuler ou abroger un texte national et s’interdit de « s’ingérer directement dans la législation ou l’administration des États membres » (CJCE, 16 décembre 1960, Humblet contre Belgique, Aff. N°6/60, Rec. CJCE, p. 1125, point 2 du sommaire) comme pourrait le faire la Cour suprême d’un État fédéral qui est investie du pouvoir d’annuler des actes des États fédérés contraires au droit fédéral. Le juge s’interdit de prescrire, dans le même sens, par le biais d’injonctions, les mesures concrètes qu’il incomberait aux autorités nationales de prendre pour assurer l’exécution de l’arrêt ou remédier au manquement (CJCE, 14 avril 2005, Commission des Communautés européennes contre République fédérale d’Allemagne, Aff. n°C-104/02, Rec. CJUE, I, p. 2689, §50). L’exécution de l’arrêt dépend de la bonne volonté de l’Etat membre même si celui-ci a l’obligation « de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour » (TFUE, art. 260-1). Cette obligation pèse sur toutes les autorités de l’Etat, y compris les autorités juridictionnelles et la mise en œuvre de l’exécution d’un arrêt doit être entamée immédiatement et doit aboutir dans les plus brefs délais (CJUE, 25 juin 2013, Commission européenne contre République tchèque, Aff. n°C-241/11, § 44).
Des recours en manquement qui permettent, aujourd’hui, au juge de s’affranchir des contraintes de l’autonomie procédurale et institutionnelle
776 • Dès lors qu’un recours en manquement est formé devant la CJUE, le délai d’instruction nécessaire peut provoquer des conséquences irréversibles. Pour éviter les lacunes dans la protection juridique et assurer la pleine efficacité de la future décision définitive, le juge de l’Union peut délivrer une injonction en référé à la demande de la Commission qui se traduit le plus souvent par un sursis à exécution, conduisant à suspendre l’application des dispositions nationales en cause (art. 278 et 279 TFUE). Si cette possibilité est très peu utilisée par la Cour, la pratique semble s’orienter vers une utilisation plus importante dans la prescription de mesures provisoires (voir, pour quelques exemples : CJCE, ord., 12 octobre 1990, Commission européenne contre Allemagne, affaire de la taxe sur les transports routiers, Aff. n°C-195/90 R ; CJCE, ord., 24 avril 1998, Commission européenne contre Malte, Aff. n°C-76/08 R ; CJUE, ord., 10 décembre 2009, Commission contre Italie, Aff. n°C-573/08 R ; CJUE, ord., 3 décembre 2014, Grèce contre Commission européenne, Aff. n°C-431/14 P-R). La CJUE dispose, de plus, de larges pouvoirs pour éviter la persistance de conséquences irréversibles. L’arrêt du 20 novembre 2017, « Commission européenne contre Pologne » (CJUE, GC, ord., 20 novembre 2017, Commission européenne contre Pologne, Aff. n°C-441/17 R) rendu qui plus est en grande chambre, apporte d’importantes précisions sur les compétences du juge des référés pour ordonner la cessation immédiate de l’application des mesures nationales contestées. Afin d’assurer l’efficacité de ses injonctions, le juge peut, notamment, assortir, le cas échéant, son ordonnance d’une astreinte voire de toutes mesures provisoires jugées utiles pour assurer le respect du droit de l’Union et prévenir les conséquences irréparables d’une violation de ce droit. Peu importe si la Cour ne peut prononcer de sanctions que sur la base de l’article 260 TFUE et d’une procédure spécifique en manquement, l’astreinte envisagée au titre de l’article 279 TFUE ne peut être considérée comme une sanction et l’importance est de ne pas priver l’ordonnance de référé de toute efficacité. Au-delà de la possibilité de prendre des mesures provisoires, certains arrêts pris par le juge conduisent à mettre en place une quasi-obligation d’adopter les mesures déterminées pour les Etats membres fautifs, le juge faisant en sorte d’orienter ostensiblement les Etats fautifs quant aux mesures à prendre (Cf. D. Simon, « Recours juridictionnels – Recours en constatation de manquement – Effets des arrêts de manquement – Procédures spécifiques », JurisClasseur Europe Traité, fasc. n°381, n°6 et 7, 1er mars 2011).
Des recours en manquement qui peuvent faire l’objet de sanctions pécuniaires après une procédure de « manquement en manquement »
777 • Jusqu’à une date récente, l’inexécution ou l’exécution incorrecte de l’arrêt en manquement ne pouvait faire l’objet de sanctions. Si le fait pour un Etat d’adopter des dispositions visant spécifiquement à maintenir la législation nationale déclarée contraire au droit de l’Union a pu être considérée comme une « violation caractérisée et inadmissible » de l’obligation d’exécution affectant les « bases essentielles de l’ordre juridique communautaire » (CJUE, 19 janvier 1993, Commission contre Italie, Aff. n°C-101/91, §23), la seule solution consistait dans l’introduction par la Commission d’une nouvelle procédure de manquement généralement qualifiée de « manquement sur manquement ». Il n’y a eu qu’un exercice exceptionnel de ces recours à l’origine (le 1er recours a été introduit en 1972 : CJCE, 13 juillet 1972, Commission des communautés européennes contre Italie, Aff. n°48/71, Rec. CJCE, p. 529) mais ceux-ci ont progressivement eu tendance à se multiplier. Cela n’a pas empêché le côté très peu efficace de la procédure avec l’inconvénient de repasser une seconde fois par l’ensemble des étapes de la procédure précontentieuse et contentieuse et de voir également perdurer la violation du droit de l’Union pendant de nombreuses années. Pour éviter cela, la CJUE s’est vu reconnaitre, par le Traité de Maastricht, la compétence d’infliger des sanctions pécuniaires sous forme d’amendes ou d’astreintes dans un arrêt de « manquement sur manquement » (art. 260 TFUE antérieurement fixé à l’art. 228-2 TCE), les deux types de sanctions pouvant alors se cumuler. Dans la célèbre affaire dite des « poissons sous taille », le juge de l’Union, a, par exemple, décidé d’infliger à la France une astreinte de 57 761 250 euros pour chaque période de six mois à compter du prononcé de l’arrêt et jusqu’à l’exécution complète du 1er manquement mais aussi le paiement d’une somme forfaitaire de 20 millions d’euros (CJUE, 12 juillet 2005, Commission européenne contre France, Aff. n°C-304/02).
Des recours en manquement de plus en plus efficaces
778 • Les sanctions peuvent être particulièrement élevées mais elles doivent avoir un caractère dissuasif et être rapporté aux capacités budgétaires importantes des États. Elles sont toujours appréhendées au regard de la durée du contentieux opposant la Commission à l’État incriminé. Dans l’exemple français précité, le contentieux en matière de pêche avait débuté en 1988 pour un premier constat en manquement en 1991 et une non-exécution jusqu’en 2002. La sanction fut efficace puisque la France s’est acquitté de ses obligations en 2006 soit 15 ans après le constat de manquement initial. De manière générale, une telle durée d’inexécution est exceptionnelle, les États ne peuvent négliger trop longtemps les sanctions pécuniaires prononcées par la CJUE surtout en ces périodes de rationalisation budgétaire. La Grèce, en 2000 (CJCE, 4 juillet 2000, Commission européenne contre Grèce, Aff. n° C-387/97, Rec. CJUE, p. 5047) et l’Espagne, en 2003 (CJCE, 25 novembre 2003, Commission contre Espagne, Aff. n° C-278/01, Rec. CJUE, p. 14141), avaient, au préalable, été condamnées au paiement d’astreintes. Depuis les condamnations se sont multipliées et la procédure fait preuve d’une nouvelle « vitalité » (L. Coutron, « Vitalité du recours en manquement sur manquement », RTDE 2015, p. 365) amenant à sanctionner, à nouveau, la France (CJCE, 14 mars 2006, Commission européenne contre France, Aff. n°C-177/04, Rec. CJCE, I, p. 2461), l’Italie (CJCE, 18 juillet 2006, Commission européenne contre Italie, Aff. n°C-119/04, Rec. CJCE, I, p. 6885 ; CJUE, 17 novembre 2011, Commission européenne contre Italie, Aff. n°C-496/09 ; CJUE, GC, 2 décembre 2014, Commission européenne contre Italie, Aff. n°C-196/13), la Grèce (CJCE, 4 juin 2009, Commission européenne contre Grèce, Aff. n°C-568/07 et Aff. n°C-109/08 ; CJCE, 7 juillet 2009, Commission européenne contre Grèce, Aff. n°C-369/07 ; CJUE, GC, 2 décembre 2014, Commission européenne contre Grèce, Aff. n°C-378/13), le Portugal (CJCE, 10 janvier 2008, Commission européenne contre Portugal, Aff. n°C-70/06, Rec. CJCE, I, p. 1 ; CJUE, GC, 15 janvier 2014, Commission européenne contre Portugal, Aff. n°C-292/11 P ; CJUE, 22 juin 2016, Commission européenne contre Portugal, Aff. n°C-557/14), le Royaume-Uni (CJUE, 18 décembre 2014, Commission européenne contre Royaume-Uni, Aff. n°C-640/13), l’Irlande (CJUE, 19 décembre 2012, Commission européenne contre Irlande, Aff. n°C-279/11 et Aff. n° C-374/11), la République tchèque (CJUE, GC, 25 juin 2013, Commission européenne contre République tchèque, Aff. n°C-241/11), la Belgique (CJUE, 17 octobre 2013, Commission européenne contre Belgique, Aff. n°C-533/11 ; CJUE, 08 juillet 2019, Commission européenne contre Belgique, Aff. n°C-543/17), la Suède (CJUE, 4 décembre 2014, Commission européenne contre Suède, Aff. n°C-243/13), l’Espagne (CJUE, GC, 11 décembre 2012, Commission européenne contre Espagne, Aff. n°C-610/10 ; CJUE, 13 juillet 2017, Commission européenne contre Espagne, Aff. n°C-388/16) ou encore le Luxembourg (CJUE, 28 novembre 2013, Commission européenne contre Luxembourg, Aff. n°C-576/11). A noter que, dès lors que l’État a pris les mesures qui apparaissent nécessaires, il n’est pas de la compétence de la Commission d’évaluer la comptabilité des mesures adoptées. Si la Commission a un doute sur la conformité des mesures, elle doit ouvrir une nouvelle procédure (CJUE, GC, 15 janvier 2014, Commission européenne contre Portugal, Aff. n°C-292/11 P précité).
iii/ Une Cour de justice qui n’exerçait pas initialement de recours en manquement pour violation de la Charte des droits fondamentaux
Une possibilité pourtant offerte, aujourd’hui, par les textes : l’article 51 CDFUE
779 • Malgré les avancées notables du recours en manquement et l’efficacité nouvelle des sanctions pécuniaires, le juge de l’Union n’a jamais été conduit à se prononcer sur l’hypothèse d’une violation par un Etat membre d’un des droits fondamentaux garantis par la Charte lorsqu’il agit dans le champ d’application du droit de l’Union, faute d’en avoir été saisie par la Commission (V. R. Tinière, Le recours en manquement et la protection des droits fondamentaux : RDLF 2011, chron. n° 04). La procédure peut être mise en œuvre à l’encontre de la violation de n’importe laquelle des obligations qui incombent aux Etats membres en vertu des traités, ce qui implique, depuis le traité de Lisbonne, la prise en considération de la CDFUE puisque cette dernière a la même valeur juridique contraignante que celle des traités. Pour autant, la Commission européenne semble se refuser à user de la Charte dans cette procédure. Elle agissait, de même, vis-à-vis des PGD pourtant consacrés par le Traité de Maastricht et confirmés par le Traité d’Amsterdam à l’ex-article 6-2 TUE (devenu art. 6-3 TUE) comme faisant partie du droit de l’Union (« L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire »). Mais l’inaction de la Commission était avant tout justifiée par le fait que la compétence de la Cour de justice, pour connaitre du respect des droits fondamentaux garantis au titre de l’article 6-2 par les Etats membres, était expressément exclue par l’ancien article 46 TUE (la compétence de la CJUE concernant le Traité UE n’étant applicable concernant « l’article 6 § 2, « [qu’]en ce qui concerne l’action des institutions, dans la mesure où la Cour est compétente en vertu des traités instituant les Communautés européennes et du présent traité […] »). L’ancien article 46 TUE a été supprimé par le Traité de Lisbonne et il dorénavant mis en avant que la Charte s’adresse non seulement aux institutions et organes de l’Union mais aussi aux Etats membres « lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union » (art. 51 CDFUE). La Commission reste cependant réticente à engager une procédure de manquement sur le fondement de la Charte.
Une possibilité au champ d’application néanmoins restreint
780 • La Charte est opposable aux Etats membres que lorsqu’ils décident de mettre en œuvre le droit de l’Union. La Cour de justice a d’abord eu une conception large de la notion de « mise en œuvre » en considérant, en réalité, que la Charte s’impose aux Etats dans le champ d’application de toute norme de droit de l’Union (CJUE, GC, 26 février 2013, Åklagaren contre Hans Åkerberg Fransson, Aff. n°C-617/10, AJDA 2013, p. 1154, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère, RFDA 2013, p. 1231, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci, RTDE 2013, p. 267, note D. Ritleng). Mais la Cour a, cependant, précisé, dans l’arrêt « Siragusa », que la notion de « mise en œuvre » de droit de l’Union implique un lien de rattachement suffisant, dépassant le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre pour que la Charte trouve à s’appliquer (CJUE, 6 mars 2014, Cruciano Siragusa contre Regione Sicilia – Soprintendenza Beni Culturali e Ambientali di Palermo, Aff. n°C-206/13; CJUE, 27 mars 2014, Emiliano Torralbo Marcos contre Korota SA et Fondo de Garantía Salarial, Aff. n°C-265/13). Ce lien de rattachement n’existe pas quand le droit de l’Union réserve une compétence aux Etats membres (CJUE, GC, 11 novembre 2014, Elisabeta Dano et Florin Dano contre Jobcenter Leipzig, Aff. n°C-333/13, §85 et suivants à propos de prestations spéciales dont la nature est définie par un règlement de l’Union). Une mesure de licenciement prétendument fondée sur l’obésité est aussi exclue du champ d’application du droit de l’Union, et donc de celui de la Charte, car le droit de l’Union ne consacre pas en tant que tel un principe général de non-discrimination en ce qui concerne l’emploi et le travail (CJUE, 18 décembre 2014, Fag og Arbejde (FOA) contre Kommunernes Landsforening (KL), Aff. n°C-354/13).
Un choix insuffisant tourné vers l’exercice d’un contrôle politique plutôt qu’un contrôle juridique : le cas « français »
781 • L’un des exemples les plus marquants témoignant de l’inaction de la Commission est celui relatif aux mesures collectives d’éloignement prises par le gouvernement français à l’égard des Roms. Malgré l’atteinte caractérisée à la liberté de circulation et de séjour sur le territoire des Etats membres, il n’y a pas eu de procédure en manquement. Le dialogue politique a permis un certain fléchissement de la politique française en la matière mais il n’a pas pour autant mis fin à la politique nationale d’expulsions. Celle-ci continue d’être dénoncée par des ONG comme Human Rights Watch ou Amnesty International, par le Haut-Commissaire de l’Organisation des Nations unies chargé des droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al-Hussein en 2015 notamment. Cette politique menée à l’égard des Roms et des gens du voyage, plus généralement, a aussi fait l’objet d’appréciations et de condamnations de la part des organes européens du côté de Strasbourg (Cf. C. Nivard, « Roms, France et Conseil de l’Europe », RDLF 2013, chron. n°25). Elle a fait ainsi l’objet d’une condamnation en 2013 dans l’arrêt « Winterstein » sur le fondement l’article 8 de la ConvEDH (CourEDH, 17 octobre 2013, Winterstein contre France, req. n° 27013/07, AJDA 2014, p. 147, chron. L. Burgorgue-Larsen, D. 2013, p. 2678, note J.-P. Marguénaud et J. Mouly, D. 2014, p. 238, obs. J.-F. Renucci, p. 445, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot). La persistance des évacuations non assorties de solutions durables a encore été dénoncé par le Conseil de l’Europe et le Commissaire aux droits de l’homme, Nils Muiznieks, dans un courrier adressé le 26 janvier 2016 à l’ancien Ministre de l’intérieur français, Bernard Cazeneuve (au même titre que six autres pays membres du Conseil de l’Europe, Albanie, Bulgarie, Hongrie, Italie, Serbie et Suède).
Un choix insuffisant tourné vers l’exercice d’un contrôle politique plutôt qu’un contrôle juridique : le cas « hongrois »
782 • Le second exemple donné concerne la Hongrie qui a fait l’objet plusieurs procédures d’infractions à l’occasion de l’adoption de lois contraires aux droits fondamentaux garantis par la Charte (Cf. B. Delzangles, « Les affaires hongroises ou la disparition de la valeur « intégration » dans la jurisprudence de la Cour de justice », RTDE 2013, p. 201). Si certaines procédures ont amené à une réaction du gouvernement hongrois, il y a eu très peu de poursuites devant la Cour de justice. La première procédure a concerné une loi fondamentale modifiant l’âge de cessation de l’activité professionnelle des juges, des procureurs et des notaires en le faisant passer de 70 ans à 62 ans, ce qui entraînait le départ immédiat à la retraite de quelques 274 juges et procureurs. Cette politique de mise à la retraite d’office visait à mettre au pas juges et procureurs et portait atteinte au principe d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire. Comme l’Union n’a pas compétence dans le domaine de l’organisation des systèmes judiciaires nationaux, la Commission n’a pu poursuivre la Hongrie sur cette base. La seule raison qui a permis la poursuite a été l’application, en l’espèce, de la réglementation européenne relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, poursuite alors effectuée sur le fondement d’une violation du principe européen de non-discrimination fondée sur l’âge (CJUE, 6 novembre 2012, Commission européenne contre Hongrie, Aff. n°C-286/12). Malgré cet arrêt, la Commission n’a pas été en mesure d’imposer l’application de mesures qui auraient pu interdire cette politique générale, seuls certains juges ont pu réintégrer leurs fonctions, la plupart s’étant vus offrir une simple compensation financière. La seconde procédure concernait la décision du parlement hongrois de réformer le système de protection des données en établissant une autorité nationale chargée de cette protection. Cette nomination s’est faite en lieu et place de celle du commissaire initialement installé qui avait été nommé pour veiller aux respect des règles de la directive sur la protection des données à caractère personnel sur le territoire hongrois (Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281, p. 31)) obligeant ce dernier à quitter ses fonctions avant la fin de son mandat. La CJUE, sans remettre en cause le droit souverain de l’Etat hongrois de modifier sa législation interne et son système de contrôle de la protection des données, a refusé de valider le fait que la réforme hongroise aboutisse à la cessation de la fonction du commissaire en poste tout comme le fait qu’elle puisse ne pas garantir l’indépendance totale de l’autorité exerçant ce contrôle. Elle relie expressément l’exigence d’un contrôle par une autorité indépendante en la matière au droit primaire de l’Union et plus particulièrement à l’article 8 §3 de la Charte et de l’article 16 §2 TFUE même si le raisonnement n’est pas directement fondé sur la Charte (CJUE, GC, 8 avril 2014, Commission européenne contre Hongrie, Aff. n°C-288/12, §47).
iv/ Une Cour de justice qui change néanmoins de stratégie pour lutter contre les atteintes intolérables à l’Etat de droit dans les démocraties illibérales
Des recours en manquement récents fondés directement ou indirectement sur la Charte des droits fondamentaux
783 • Si l’option politique a toujours été privilégiée, la Commission européenne, devant les atteintes de plus en plus intolérables à l’Etat de droit en Pologne ou en Hongrie, a saisi le juge de l’Union pour qu’il introduise des recours en manquement dans le cas d’une violation spécifique du droit de l’Union à chaque fois que cela était juridiquement possible. A l’heure où nous écrivons, les procédures sont toujours en cours mais il faut ainsi citer le recours en manquement contre la loi hongroise sur l’enseignement supérieur qui a été jugé notamment incompatible avec les principes de la Charte (en l’occurrence la liberté académique, le droit à l’éducation et le droit à la liberté : Cf. CJUE, 7 décembre 2017, Commission européenne contre la Hongrie, Aff. n°C-66/18). Il y a eu aussi le recours en manquement pour non-respect des obligations juridiques relatives au mécanisme temporaire de relocalisation des personnes nécessitant une protection internationale et ceci, aux côtés de la République Tchèque et de la Pologne (CJUE, 22 décembre 2017, Commission européenne contre Hongrie, Aff. C-718/17, Commission européenne contre Pologne, Aff. n°C-715/17 et Commission européenne contre République Tchèque, Aff. n°C-719/17/17). Cette dernière affaire met en balance les obligations de solidarité des Etats membres en matière de droit des réfugiés et les exigences de protection de la sécurité intérieure. Elle est d’autant plus importante que le juge de l’Union a jugé récemment que la sécurité de l’Etat d’accueil pouvait justifier l’exclusion du statut de réfugié. Les dispositions de la directive sur les réfugiés permettant la révocation ou le refus de l’octroi du statut de réfugié à l’encontre de personnes représentant une menace pour la sécurité de l’Etat membre d’accueil étant conformes à la Convention de Genève (CJUE 14 mai 2019, M. contre Ministerstvo vnitra (Aff. n°C-391/16), X. (Aff. n°C‑77/17) et X. (Aff. n°C‑78/17) contre Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides).
L’efficacité et la rapidité de la réaction conjuguée du couple Commission/CJUE pour faire respecter l’Etat de droit en Pologne
784 • Il faut aussi citer, concernant cette fois-ci spécifiquement la Pologne, un recours en manquement concernant la réforme des juridictions de droit commun polonaises (CJUE, 15 mars 2018, Commission européenne contre Pologne, Aff. n°C-192/18), recours pris en raison de la discrimination entre les femmes et les hommes s’agissant de l’âge de départ à la retraite (qui serait contraire à l’article 157 TFUE) et de l’atteinte à l’indépendance des juridictions de droit commun, en raison des pouvoirs du ministre de la Justice de proroger discrétionnairement certains juges (qui serait contraire à l’article 19 TUE et l’article 47 CDFUE). Enfin, dans le même ordre d’idée, il faut évoquer le recours en manquement et l’ordonnance en référé du 17 décembre 2018 concernant la loi qui a abaissé l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême et qui a accordé au président de la République de Pologne le pouvoir discrétionnaire de prolonger la fonction judiciaire active des juges de cette juridiction (CJUE, 19 octobre 2018 et CJUE, 17 décembre 2018, Commission européenne contre Pologne, Aff. n°C-619/18 R). La Commission a lancé en urgence la procédure d’infraction amenant le juge de l’Union à bloquer à titre conservatoire et avec effet rétroactif la réforme polonaise, en attendant la remise de son arrêt. Ce fut une première pour la Cour qui a suffi à ce que le Parlement polonais amende sa loi en novembre 2018. La Cour considérant, dans son arrêt définitif (CJUE, 24 juin 2019, Commission européenne contre Pologne, Aff. n°619/18) que l’abaissement de l’âge de la retraite des juges n’est ni approprié, ni proportionné eu égard à l’ « indispensable liberté des juges à l’égard de toutes interventions ou pressions extérieures » (§75) qui exige « certaines garanties, dont l’inamovibilité, propres à protéger la personne de ceux qui ont pour tâche de juger » (Ibid.). La Cour jugeant, au surplus, que la mise en place d’un mécanisme qui permet au chef de l’Etat de décider seul de prolonger ou non la carrière d’un juge est « de nature à créer des doutes sérieux » (§82) quant au fait que la réforme ait été guidée par un objectif lié à la politique de l’emploi « et non par une volonté de procéder à une mise à l’écart d’un certain groupe de juges de cette juridiction » (Ibid.). Si la décision assez forte reste avant tout symbolique dans le sens où la loi avait déjà été amendée, elle souligne néanmoins l’efficacité et la rapidité de la réaction conjuguée du couple Commission/CJUE pour faire respecter l’Etat de droit.
Le juge de l’Union, gardien de l’indépendance des juges nationaux ?
785 • La décision positive prise dans le conflit avec la Pologne a été permise par une nouvelle approche dans l’office du juge, notamment fondée sur le respect de la CDFUE pour défendre les valeurs de l’Union et, conséquemment, l’indépendance des juges nationaux (voir, en ce sens, S. Platon, « La justice européenne au secours de l’Etat de droit ? la Cour de justice de l’Union européenne, gardienne de l’indépendance des juges nationaux », https://revue-jade.eu, 24 mai 2018). Ce dernier s’était prononcé précédemment sur la Cour administrative suprême portugaise à propos de leur diminution de salaire et de leur perte conséquente d’indépendance portant atteinte aux articles 19 TUE et 47 CDFUE (CJUE, GC, 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, Aff. n°C-64/16). La question aurait pu être jugée comme étant purement interne puisque ne procédant pas d’une règlementation de l’Union mais, comme celle-ci est apparue lien avec les mesures d’austérité imposées par l’Union pour réduire le déficit public au Portugal, elle a été considérée comme pouvant relever du contrôle du juge de l’Union. La Cour avait déjà admis que la CDFUE était applicable à de telles mesures même en tenant compte de la marge d’appréciation de l’Etat membre pour déterminer lesdites mesures (CJUE, GC, 13 juin 2017, Florescu et autres contre Casa Judeteana de Pensii Sibiu, Aff. n°C‑258/14). Dans l’arrêt concernant la Cour administrative suprême portugaise, la Cour a insisté sur la nécessité, en vertu des dispositions mentionnées, de l’indépendance du juge national pour pouvoir assurer l’application correcte du droit de l’Union et pour pouvoir être impliqué dans le mécanisme de collaboration préjudicielle permettant de garantir l’application uniforme du droit de l’Union.
2 – Le renouveau de l’article 7 TUE et le nouveau cadre de l’Union pour renforcer l’Etat de droit : vers un changement de perspective
i/ Les insuffisances de la procédure prévue à l’article 7 TUE
Une procédure longue et complexe
786 • En premier point, c’est le Traité de l’Union européenne qui a dressé la liste des principes, à la fois communs aux Etats membres et sur lesquels l’Union est fondée : « principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’Etat de droit » (article 6-1 TUE). C’est l’individu qui est, ainsi, placé au centre de la construction européenne, peu importe les différences politiques ou culturelles liées à l’identité nationale. Le respect de ces valeurs tout comme la volonté de les promouvoir en commun apparait comme une condition d’appartenance de tout Etat à l’UE (Cf. article 49 TUE où « Tout Etat européen qui respecte les principes énoncés à l’article 6 paragraphe 1, peut demander à devenir membre de l’Union »). L’article 7 TUE, qui a été introduit à l’origine par le traité d’Amsterdam en 1997 dans la perspective de l’élargissement à l’Est et dans le but d’éviter une quelconque transgression ou accommodation quant aux respect des droits fondamentaux et des principes de l’Etat de droit, donne aux autorités européennes les moyens permettant de garantir que tout Etat membre respecte ces valeurs communes. Il confère au Conseil de l’Union, sur proposition d’1/3 des Etats membres ou de la Commission, le pouvoir de sanctionner tout Etat membre jugé « coupable » de violation grave et persistante des valeurs fondamentales de l’Union. Le Conseil de l’UE, peut, en particulier, décider de suspendre, à la majorité qualifiée, certains des droits d’un Etat membre découlant de l’application des traités, y compris les droits de vote des représentants du gouvernement au sein du Conseil. Lorsque la situation change dans un Etat membre et que ce dernier change sa législation, les mesures prises au titre de l’article 7 TUE peuvent être retirées ou modifiées selon les mêmes règles de majorité que la procédure d’adoption. Une procédure préventive a été rajouté par le Traité de Nice. Cette dernière permet au Conseil de l’Union, sur proposition motivée d’1/3 des Etats membres, du Parlement européen ou de la Commission, de constater qu’il existe un « risque clair de violation grave » des valeurs fondamentales de l’Union par un Etat membre. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’Etat membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure. Les deux procédures (préventive et de sanction) sont différentes et n’ont aucun lien entre elles, le constat de risque de violation n’est pas un préalable juridiquement nécessaire au constat de violation. Un point commun réside néanmoins dans les conditions particulièrement restrictives et contraignantes qui existent pour parvenir à une décision. L’unanimité au sein du Conseil de l’union est requise pour déterminer s’il existe une violation sérieuse et persistante, et une majorité des 4/5èmedes membres du Conseil de l’Union est requise pour constater « un risque clair de violation grave ». L’approbation du Parlement européen devant être données dans les deux cas (majorité des 2/3). Contrairement à la Charte des droits fondamentaux le mécanisme de l’article 7 TUE ne concerne pas seulement les actions menées par l’Etat membre dans la mise en œuvre du droit de l’Union, cela concerne aussi l’action nationale et autonome des Etats membres pour ne pas remettre en cause les fondements mêmes de l’Union et la confiance entre ses Etats membres.
Une procédure à caractère politique
787 • Il n’existe aucune obligation juridique pesant sur le Conseil de l’Union de procéder à l’un des deux constats (de risque ou de violation), même dans l’hypothèse où il conclurait à une violation des valeurs de l’article 2 TUE. Après avoir constaté la gravité et le caractère persistant de la violation, le Conseil de l’Union peut, et non pas doit, décider de la mise en œuvre de sanctions. La procédure de l’article 7 TUE sert à faire disparaitre la violation par une approche politique globale, elle n’a pas vocation à résoudre des cas individuels de violation. Le constat du risque et de la violation doit aller au-delà des cas de situations individuelles et atteindre la dimension d’un problème systématique (Cf. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur l’article 7 du Traité sur l’Union Européenne [28.10.2003]. COM (2003) 606 final). Quant aux conditions de fond de mise en œuvre, il faut noter que, concernant le mécanisme de prévention, le caractère « clair » de la violation exclue les risques éventuels contrairement au caractère « grave » de la violation qui suppose, lui, la réalisation matérielle du risque. Le risque clair peut-être identifié à travers l’adoption d’une loi en Etat d’urgence ou en situation de crise qui suspend les garanties de procédure, la violation grave existerait en cas d’utilisation effective ce qui suppose un contrôle poussé et une surveillance constante des autorités européennes dès les premiers signaux d’alerte. Pour le mécanisme de sanction, le caractère « grave » de la violation s’analyse à travers l’objet de la violation vis à vis minorités nationales, ethniques ou religieuses ou le résultat de la violation eu égard notamment aux principes de l’article 6-1 TUE. Le caractère persistant de la violation peut, quant à lui, s’analyser à travers la durée de la violation mais aussi à travers les plaintes ou recours judiciaires dont la pratique politique ou administrative fait l’objet. Les condamnations par les instances ou juridictions internationales sont autant d’éléments pouvant appuyer ce caractère persistant (Cf. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur l’article 7 du Traité sur l’Union européenne précité).
Une procédure dont le contrôle n’est pas confié à la CJUE
788 • Les éléments de procédure requis témoignent de l’extrême prudence du législateur quant à la possible activation de la procédure. Il faut une très forte volonté politique pour que la procédure arrive à son terme ce qui fait souvent défaut au sein de l’UE sans parler des risques d’aggravation de la situation dans les Etats où les valeurs de l’UE sont mises en cause. Bien que la mise en œuvre de l’article 7 TUE ait été souvent demandée par la société civile ou les parlementaires européens (Cf. Résolution du Parlement européen [2006/2200(INI)], 14 février 2007, §228 à propos de la complicité de certains Etats membres dans l’affaire des prisons secrètes de la CIA après les attentats du 11 septembre, la Pologne ayant même été, par ailleurs, condamné par la CourEDH : CourEDH, 24 juillet 2014, Al Nashiri contre Pologne, req. n°28761/11), la résolution du conflit a toujours été effectuée par une solution diplomatique. Si le Parlement européen peut effectuer un contrôle démocratique du mécanisme de l’article 7 TUE à travers l’avis conforme que celui-ci doit donner avant la décision du Conseil de l’Union, les autorités européennes n’ont pas souhaité confier à la CJUE le soin de procéder à un contrôle juridictionnel de la constatation qu’il existe une violation grave et persistante des valeurs communes ou un risque clair d’une violation grave de ces valeurs. Cette dernière ne peut donc vérifier si les institutions communautaires ont légalement agi pour assurer le respect par les Etats membres des principes énoncés à l’article 6-1 TUE ni pour connaître de la légalité des actes adoptés sur la base de l’article 7 UE, à l’exception des questions relatives aux prescriptions de procédure contenues dans ledit article dont la Cour peut connaître uniquement à la demande de l’État membre concerné (article 269 TFUE). En conséquence, les requérants individuels ne peuvent, non plus, déclencher la procédure. Le TPICE a pu juger qu’il n’était pas compétent pour connaître d’un recours en carence introduit par une personne physique ou morale à l’encontre du Royaume d’Espagne en vue de faire contrôler l’action des institutions pour garantir le respect des principes de l’article 6-1 TUE ou la légalité des actes adoptés conformément à l’article 7 UE (TPICE, ord., 2 avril 2004, Luis Bertelli Gálvez contre Commission des Communautés européennes, Aff. n°T-337/03, Rec. CJCE, II, p. 1041, §16).
ii/ Une utilisation nouvelle de l’article 7 TUE porteuse d’espoir
Le nouveau cadre pour renforcer l’Etat de droit adopté par la Commission en 2014
789 • Le mécanisme qui a été établi par la Commission en 2014 vise à pouvoir traiter, de manière plus efficace, tous les cas où une « menace systémique envers l’Etat de droit » (Communication de la commission, un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’Etat de droit, COM (2014) 158) pourrait être constatée dans quelque Etat membre que ce soit. Ce mécanisme contient trois phases. La première phase est une phase d’évaluation où la Commission doit rassembler et examiner toutes les informations utiles et apprécier s’il existe des indices clairs de menace systémique dans l’Etat membre concerné (la Commission pouvant être accompagnée d’autres organes de l’Union comme l’Agence des droits fondamentaux de l’Union ou des organes du Conseil de l’Europe comme la Commission de Venise ou encore des réseaux judiciaires, tels que le réseau des présidents des Cours suprêmes de l’UE). Un avis sera adressé au gouvernement en cas de menace avérée. La seconde phase est une phase de recommandation dans le cas où les mesures envisagées n’auraient pas été prises, la Commission pouvant, dans sa recommandation relative à l’Etat de droit, recommander toute mesure qui serait de nature à solutionner la situation dans un certain délai. Enfin, la troisième phase est une phase de suivi où, faute de suite satisfaisante donnée à sa recommandation, la Commission peut demander au Conseil de l’Union (en cas de menace) ou au Conseil européen (en cas de violation systémique) la mise en œuvre de l’article 7 TUE. La communication de la Commission fait dépendre le déclenchement de la procédure de l’existence d’une menace systémique pour l’Etat de droit. En ce sens, elle donne, pour la première fois, en fixant ce nouveau cadre, une définition objective de l’Etat de droit en soulignant le consensus des Etats membres sur les éléments clés que recouvrent la notion : la légalité, qui suppose une procédure d’adoption des textes de loi, responsable, démocratique et pluraliste ; la sécurité juridique ; l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ;des juridictions indépendantes et impartiales ;un contrôle juridictionnel effectif, y compris le respect des droits fondamentaux ou encore l’égalité devant la loi. Par contre, elle ne prévoit pas de définition de ce qu’elle appelle « la menace systémique » même si celle-ci peut s’analyser en une attaque en règle du système en place par « l’adoption de nouvelles mesures ou de l’existence de pratiques répandues des autorités publiques, et de l’absence de voies de recours à l’échelon national » (Communication de la commission, un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’Etat de droit précitée, p. 7 ; Voir. D. Kochenov et L. Pech, « Ni panacée, ni gadget : le nouveau cadre de l’Union européenne pour renforcer l’Etat de droit », RTDE 2015, p. 689). Au final, on peut dire que ce nouveau cadre « offre un outil d’alerte précoce dont la finalité première est de permettre à la Commission d’entamer un dialogue structuré avec l’Etat membre concerné afin d’éviter toute escalade lorsque des menaces systémiques pèsent sur les valeurs de l’Union, et particulièrement sur le respect de l’Etat de droit » (D. Kochenov et L. Pech « Renforcer le respect de l’Etat de droit dans l’UE : Regards critiques sur les nouveaux mécanismes proposés par la Commission et le Conseil », Question d’Europe n°356, www.robert-schuman.eu).
Les cas hongrois et polonais : une première approche timide
790 • La procédure adoptée par la Commission en 2014 n’a pas forcément suscité l’enthousiasme auprès des Etats membres. Si l’on met de côté l’exception britannique, elle a été présenté comme ayant un côté surabondant par rapport à la procédure préventive de l’article 7 TUE déjà existante et a notamment été jugé contraire au principe d’attribution qui régit les compétences de l’Union (Service juridique du Conseil de l’Union, avis n°10296/14, 14 mai 2014, §28). Le Conseil de l’Union n’a pas spécialement appuyé la proposition puisqu’il a adopté, en lieu et place, le principe d’un « dialogue entre tous les Etats membres, au sein du Conseil, en vue de défendre et de sauvegarder l’Etat de droit dans le cadre des traités » (Conseil de l’Union, communiqué de presse n° 16936/14, 3362èmesession, Affaires générales, Bruxelles, 16 décembre 2014, p. 21), dialogue « fondé sur les principes d’objectivité, de non-discrimination, et d’égalité de traitement entre tous les Etats membres » (Ibid.). Ce dialogue devant être par ailleurs « mené sur la base d’une approche non-partisane et fondée sur des éléments probants » (Ibid.). La réponse du Conseil de l’Union s’inscrit dans une démarche classique qui a toujours été marquée par les réticences des Etats membres quant à confier un droit de regard sur l’Etat de droit et les conditions de son respect à des institutions ou organismes supranationaux. Pour autant, l’ancienne « Commission Juncker » a fait savoir par l’intermédiaire de l’ancien premier vice-président notamment en charge de l’Etat de droit et de la Charte des droits fondamentaux, Frans Timmermans, qu’elle serait amenée à privilégier ce cadre en cas de violation avérée d’un Etat membre (Commission Statement : EU framework for democracy, rule of law and fundamental rights, SPEECH/15/4402,12 février 2015). Elle ne l’a pas fait pendant l’année 2015 où elle s’est contentée de privilégier la procédure d’infraction en dépit des pressions exercées par le Parlement européen (Résolution du Parlement européen du 10 juin 2015 (2015/2700(RSP)) et du 16 décembre 2015 (2015/2935(RSP)) sur la situation en Hongrie) pour répondre aux provocations du Premier ministre hongrois Viktor Orbán (qui a notamment évoqué le rétablissement de la peine de mort, …).
Les cas hongrois et polonais : une procédure enclenchée en 2016
791 • C’est l’année 2016 qui a donné lieu à une première application du nouveau mécanisme pour des indices clairs d’une menace systémique de l’Etat de droit en Pologne contrôlé par le parti ultraconservateur PiS depuis les élections législatives du 25 octobre 2015. Elle débute la procédure le 13 janvier 2016 par l’ouverture d’une enquête préliminaire quant au refus de la part des autorités polonaises de se soumettre aux décisions du Tribunal constitutionnel et d’exercer un étroit contrôle sur son fonctionnement et ses pouvoirs. Après un dialogue stérile avec les autorités polonaises et en l’absence d’action concrète pour remédier aux violations, la Commission a émis le 1er juin 2016 un avis non public concernant l’Etat de droit en Pologne (IP/16/2015), auquel les autorités polonaises étaient invitées à répondre. La carence persistante des autorités polonaises amena la Commission à adopter une recommandation publique le 27 juillet 2016 (Recommandation (UE) 2016/1374 de la Commission du 27 juillet 2016 concernant l’État de droit en Pologne, C/2016/5703) où est dressé, de façon assez précise, les mesures à mettre en œuvre pour mettre fin à la menace systémique. Au lieu de saisir le Conseil de l’Union au titre de l’article 7 TUE dans la suite logique de la procédure, la Commission adopta une nouvelle recommandation le 21 décembre 2016 visant à accroitre la pression sur les autorités polonaises (Recommandation (UE) 2017/146 de la Commission du 21 décembre 2016 concernant l’État de droit en Pologne complétant la recommandation (UE) 2016/1374, C/2016/8950). Le Parlement européen a fait également part de ses préoccupations à travers des débats et le vote de deux résolutions (Résolution du Parlement européen du 13 avril 2016 sur la situation en Pologne (2015/3031(RSP)) et Résolution du Parlement européen du 14 septembre 2016 sur les récentes évolutions en Pologne et leurs conséquences sur les droits fondamentaux inscrits dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2016/2774(RSP)). Le Conseil de l’Union a, quant à lui, accepté par deux fois la demande de la Commission d’évoquer la situation de l’Etat de droit en Pologne, le 16 mai 2017 et le 25 septembre 2017. Le 26 juillet 2017, la Commission menace la Pologne d’utiliser l’article 7 TUE en raison de nouvelles réformes controversées de la justice touchant le Conseil national de la magistrature, chargé de la nomination et de la déontologie des juges, et de la Cour suprême, l’équivalent de la Cour de cassation amenant à une politisation définitive du système judiciaire.
Les cas hongrois et polonais : une première mise en application aux effets négatifs
792 • Le 20 décembre 2017, après des mois de mise en garde, l’article 7 est enclenché envers la Pologne (Proposition de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’état de droit COM/2017/0835 final – 2017/0360 (NLE)). La décision a été présentée par l’ancien premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, « le cœur lourd », selon ses propres mots, aux chefs d’Etat et de gouvernement, leur demandant d’activer l’article 7 TUE à l’encontre de la Pologne afin de constater « un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs de l’UE ». Le 12 septembre 2018, c’est au tour de la Hongrie d’être mis en cause mais, cette fois, par une décision du Parlement européen qui, à une large majorité (plus des 2/3 des suffrages exprimés), a recommandé au Conseil européen l’activation de la procédure. Mais comme le note Martin Michelot, « le retentissement médiatique créé par la mise en oeuvre de ces procédures semble toutefois trancher avec les résultats qui en découlent » (M. Michelot, « Les procédures de « l’article 7 » contre la Pologne et la Hongrie : quels effets concrets ? », https://institutdelors.eu, 22 mars 2019). Il y a en effet un certain blocage de la procédure depuis qu’elle se trouve dorénavant dépendante de l’action du Conseil de l’Union qui doit faire constater le « risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2 ». Sur la base des recommandations correctives de la Commission et l’application des décisions de la CJUE, le déclenchement de l’article 7 TUE contre la Pologne a donné lieu à trois auditions du gouvernement polonais devant le Commission des affaires générales (26 juin, 18 septembre et 11 décembre 2018). La 1ère audition du gouvernement hongrois, quant à elle, a eu lieu le 16 septembre. La présidence roumaine du Conseil de l’Union, de façon assez discutable et dans le viseur aussi de la Commission, n’a pas jugé, à la suite des trois auditions du gouvernement polonais, donné, pour l’instant suite à la procédure. Le Conseil de l’Union se contentant, finalement, de renvoyer la prise de décision à plus tard (Cf. relevé des conclusions du Conseil affaires générales du 9 avril 2019 : doc 8130/19, p. 6 cité par R. Tinière, « La délicate question de la détermination des sanctions pour violation de l’Etat de droit », RTDE 2019, p. 293 et suiv.). On peut ainsi dire que l’« arme de dissuasion massive qu’est censé être l’article 7 TUE, n’est finalement pas si dissuasive. Car, pour qu’il y ait dissuasion, encore faut-il que la menace puisse être mise à exécution de façon crédible » (R. Tinière, « La délicate question de la détermination des sanctions pour violation de l’Etat de droit », précité).
Vers une approche nouvelle et plus efficace qui pourrait être fondée sur une certaine complémentarité des différentes catégories de sanctions (1)
793 • C’est la combinaison entre les recours devant la CJUE et les procédures en infraction devant la Commission qui ont abouti à un recul, même mineur, de l’Etat polonais, en ce qui concerne la réforme de son système judiciaire. On fait ici référence à la demande en référé de la Commission traitée en urgence par la CJUE qui a ordonné, ensuite, la suspension temporaire de la mesure en attendant son arrêt au fond. Il faut aussi parler de la possibilité désormais acté par le juge de l’Union, de remettre en cause le principe de confiance mutuelle entre les Etats à travers la question des mandats d’arrêt européens. Le juge acceptant que le pays d’envoi puisse se livrer, pour suspendre l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, à une analyse, dans le pays d’accueil, des risques d’atteinte au droit à un procès équitable et plus particulièrement à travers l’existence d’un tribunal indépendant (Cf. La réponse de la CJUE à une question préjudicielle de la Haute Cour irlandaise à propos de la demande d’extradition d’un citoyen polonais détenu en Irlande : CJUE, GC, 25 juillet 2018, L. M. (Minister for Justice and Equality), Aff. n°C-216-18 PPU). Cette approche pourrait être développée en dehors des hypothèses d’exécution des mandats d’arrêt européens (Cf. R. Tinière « La délicate question de la détermination des sanctions pour violation de l’Etat de droit », précité et S. Platon, « Les fonctions du standard de l’Etat de droit en droit de l’Union européenne – Sébastien Platon », RTDE 2019, p. 305 et suiv.).
Vers une approche nouvelle et plus efficace qui pourrait être fondée sur une certaine complémentarité des différentes catégories de sanctions (2)
794 • Il y a aussi, enfin, la possibilité, dans le cas où la violation de l’Etat de droit par un Etat membre conduit à porter atteinte à l’indépendance des juges, de fermer l’accès à la question préjudicielle (En ce sens, R. Tinière, précité). Le mécanisme ne pouvant être activé que « par une instance, chargée d’appliquer le droit de l’Union, qui répond, notamment, à ce critère d’indépendance » (Cf. CJUE, GC, 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, Aff. n°C-64/16, § 54). Le scénario des sanctions politiques a été exclu (puisque la Hongrie a bloqué toute sanction à l’égard de la Pologne et que la décision finale des Etats membres doit se prendre à l’unanimité). On a pensé, au surplus de ces sanctions juridictionnelles, à mettre en avant l’option budgétaire à travers les négociations autour du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, à l’issue desquelles l’allocation des fonds structurels européens serait notamment déterminée. Cette dernière pourrait dépendre, en contrepartie, de l’obligation de respecter les valeurs communes de l’UE (la Pologne étant notamment le plus gros bénéficiaire des fonds européens, soit 100 milliards d’euros entre les fonds structurels et la PAC entre 2014 et 2020). L’Union doit se montrer intransigeante sur ses valeurs sous peine de voir le spectre du populisme hanter l’Europe tout entière (Voir, en ce sens, en Autriche, Bulgarie, Roumanie, Italie, Slovaquie, République Tchèque, …). Cette nouvelle donne politique pourrait, sinon, redessiner le paysage politique de la plupart des États membres de l’Union tout en menaçant cette dernière de paralysie, voire de désagrégation (Cf. J. Rupnik, « La démocratie illibérale en Europe centrale », Esprit 2017, n°6, p. 69). Reste que la mise en application de cette logique est très difficile à faire respecter en témoigne le cas Polonais le plus difficile à gérer ces dernières années.
Le cas Polonais et les difficultés d’application (1)
794-1 • C’est d’abord par une action combinée de la Cour de justice et de la Commission européenne que les remises en cause de l’Etat de droit et les changements affectant l’impartialité de la justice en Pologne ont été contestés. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur le droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union (art. 19-1 al. 2 TUE) pour en déduire que les États membres n’avaient pas le droit d’adopter une mesure nationale susceptible de porter atteinte à l’indépendance des juges nationaux (CJUE, 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses contre Tribunal de Contas, Aff. n°C-64/16). Leur action s’est d’abord matérialisée par la voie des questions préjudicielles posées par les magistrats polonais à la CJUE. Depuis 2018, près d’une quarantaine de questions ont été posées à la Cour de justice dont beaucoup sont encore en cours d’examen. Dans les arrêts préjudiciels rendus, le juge de l’Union a pu mettre en cause l’indépendance de la Cour suprême allant même jusqu’à inciter les juges nationaux à appliquer directement le droit de l’Union en ignorant les règles nationales contraires au droit de l’Union (Voir, notamment, CJUE, GC, 19 novembre 2019, A. K. et autres contre Krajowa Rada Sądownictwa et CP et DO contre Sąd Najwyższy, Aff. jointes n°C‑585/18, n°C‑624/18 et n°C‑625/18 ; CJUE, GC, 2 mars 2021, A.B. et autres contre Krajowa Rada Sądownictwa, Aff. n°C-824/18). La Commission a, ensuite, agi aussi par la voie des recours en manquement. Des arrêts ont respectivement souligné les manquements concernant les règles sur l’âge de départ à la retraite des juges (CJUE, GC, 24 juin 2019, Commission contre Pologne, Aff. n°C-619/18 et CJUE, GC, 5 novembre 2019, Commission contre Pologne, Aff. n° C-192/18) ou le statut de la chambre disciplinaire (CJUE, GC, 15 juillet 2021 Commission contre Pologne, Aff. n°C-791/19). Le juge de l’Union a, aussi au titre de la prise de mesures provisoires, ordonné à la Pologne de suspendre immédiatement l’application du nouveau régime disciplinaire institué (CJUE, ord., 14 juillet 2021, Commission contre Pologne, Aff. n°C-204/21 R). Sans suite à l’ordonnance, la Pologne a été condamnée à une astreinte journalière d’un million d’euros. Saisi par le 1er ministre, le tribunal constitutionnel polonais a estimé, en réaction, que trois articles du traité (art. 1, art. 4, § 3 et art. 19 TUE) tels qu’interprétés par la Cour de justice étaient inconstitutionnels remettant ainsi en cause la primauté du droit de l’Union (Décision du 7 octobre 2021, K 3/214), voir F. Reverchon, « Le nouvel arrêt du Tribunal constitutionnel polonais sur l’application du droit européen : quelles conséquences juridiques ? », https://blog.juspoliticum.com, 19 octobre 2021 ; S. Platon, « Comment comprendre la décision du Tribunal constitutionnel polonais ? », https://legrandcontinent.eu, 13 octobre 2021).
Le cas Polonais et les difficultés d’application (2)
794-2 • Le juge européen qui a été saisi d’un nombre important de requêtes qui a rendu 3 arrêts importants qui viennent directement soutenir la jurisprudence du juge de l’Union en soulignant les violations au droit au procès équitable et au droit à un tribunal établi par la loi (art. 6-1 ConvEDH) (CourEDH, 7 mai 2021, Xero Flor w Polsce sp.z o.o. contre Pologne, req. n° 4907/18 ; CourEDH, 29 juin 2021, Broda et Bojara contre Pologne, req. n°26691/18 et n°27367/18 ; CourEDH, 22 juillet 2021, Reczkowicz contre Pologne, req. n° 43447/19). Le combat pour l’Etat de droit ne fait certainement que commencer. Le 24 novembre 2021, le Tribunal constitutionnel polonais a jugé, en réactions aux condamnations du juge européen, qu’une partie de la ConvEDH était incompatible avec la Constitution polonaise. Cette décision intervient alors que, du côté de l’Union européenne, la Commission européenne a suspendu l’approbation du plan de relance post-covid polonais. Le 19 novembre, la Commission a également envoyé une lettre au gouvernement polonais, prélude au lancement d’une procédure pouvant aboutir à une suspension des fonds européens en application du règlement sur la conditionnalité budgétaire. Depuis l’adoption d’un règlement 2020/2092 du 16 décembre 2020, la Commission peut proposer au Conseil de prendre, à la majorité qualifiée, des mesures appropriées (par exemple, des suspensions ou interruptions de paiement) lorsqu’il est établi que des violations des principes de l’État de droit dans un État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union, d’une manière suffisamment directe. Un recours en annulation a, cependant, été introduit par la Hongrie et la Pologne contre ce règlement le 11 mars 2021.
3 – Des juges ordinaires à la compétence pleine et entière pour appliquer les droits et libertés de l’Union
795 • On peut parler d’une liberté pleine et entière mais le juge de l’Union encadre au plus près cette liberté, le juge national est libre que dans la mesure où il permet d’assurer l’application pleine et entière du droit de l’Union. On peut parler à cet égard de « droit national instrumentalisé » ou de droit qui « n’est plus tout à fait du droit national ». Mais, au final, c’est la raison ou la finalité de l’exercice qui prédomine, celle qui tient au fait qu’il ne s’agit pas seulement d’assurer la primauté et l’application générale du droit de l’Union de façon abstraites mais bien de renforcer, de manière concrète, la place et les droits fondamentaux des justiciables dans l’ordre juridique et sous l’égide de l’Union européenne.
i/ Un principe d’auto-organisation pour appliquer les droits et libertés de l’Union
796 • Si le juge national est considéré comme le juge de droit commun du droit de l’Union, cela n’implique pas que les Etats membres soient soumis à des règles d’organisation et de procédure fixées au niveau du droit de l’Union. Au contraire, les traités et la jurisprudence européenne prévoient que toute voie de droit prévue dans l’ordre juridique national doit pouvoir être utilisée pour assurer le respect des règles d’effet direct du droit de l’Union dans les mêmes conditions de recevabilité et de procédure que s’il s’agissait d’assurer le respect du droit national. C’est le principe de l’autonomie procédurale et institutionnelle des Etats membres en vertu duquel les juges nationaux ont été investi du rôle primordial de garantie de l’application des règles du droit de l’Union et du contrôle de leur respect, leur mission s’exerçant alors au sein de l’ordre juridique national. La CJUE n’a pas été chargée de ce contrôle, tout du moins pas de manière principale. C’est donc une « subsidiarité juridictionnelle », caractérisée par une compétence de droit commun au profit du juge national et une compétence subsidiaire du juge de l’Union, qui a été instituée (D. Simon, « La subsidiarité juridictionnelle : notion-gadget ou concept opératoire ? », RAE 1998, p. 84 ; J. Dupont-Lassalle, « La « subsidiarité juridictionnelle », instrument de l’intégration communautaire ? », Droit et Société 2012, n°80, p. 47). Si le principe n’a pas été défini par les traités et n’a pas eu de consécration textuelle, il est inhérent au système mis en place et sous-jacent à certaines dispositions qui expliquent que « toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux Etats membres » (art. 4-1 TUE) ou qui amènent à respecter « les fonctions essentielles de l’Etat, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale » (art. 4-2 TUE) ou encore, qui veulent que, « en vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les Etats membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux Etats membres » (art. 5-2 TUE). C’est le juge de l’Union, à défaut de dispositions précises définissant le principe, qui a été amené à consacrer le principe même s’il ne l’a pas identifié précisément, qu’il l’a établi avec beaucoup de réticences et qu’il a été amené à rapidement l’encadrer.
La définition du principe d’autonomie procédurale et institutionnelle
797 • L’autonomie procédurale et institutionnelle se définit traditionnellement à travers deux aspects. L’autonomie institutionnelle signifie que les Etats membres ne sont pas tenus de créer des juridictions spécifiques pour connaitre du droit de l’Union. L’autonomie procédurale, quant à elle, signifie qu’ils ne sont pas tenus d’instituer des voies de droit spécifiques pour traiter du droit de l’Union. La Cour a précisé, dès 1968, qu’elle ne limitait pas « le pouvoir des juridictions nationales compétentes d’appliquer, parmi les divers procédés de l’ordre juridique interne, ceux qui sont appropriés pour sauvegarder les droits substantiels conférés par le droit communautaire » (Cf. A propos de l’application de l’ancien art. 95 Traité CEE sur l’interdiction des impositions intérieures discriminatoires : CJCE, 3 avril 1968, Firma Molkerei-Zentrale Westfalen/Lippe GmbH contre Hauptzollamt Paderborn, Aff. n°28-67,Rec. CJCE, p. 228 ; CJCE, 4 avril 1968, Firma Gebrüder Lück contre Hauptzollamt Köln-Rheinau, Aff. n°34-67, Rec. CJCE, p. 370, point 3 du dispositif). Elle a précisé, de même, que les juridictions nationales avaient « l’obligation de sauvegarder les droits conférés » par les dispositions communautaires, tout comme il appartenait « à l’ordre juridique national de déterminer la juridiction compétente pour assurer cette mission » (CJCE, 19 décembre 1968, Société par actions Salgoil contre Ministère du commerce extérieur de la République italienne, Aff. n°13/68, Rec. CJCE, p. 675, § 3 du dispositif à propos des anciens articles 31 et 32 Traité CEE sur l’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives). L’expression même d’ « autonomie procédurale et institutionnelle » a ensuite été consacré en doctrine (J. Rideau, « Le rôle des États membres dans l’application du droit communautaire », AFDI 1972, p. 885) avant, non sans certaines réticences, d’être néanmoins reprise à son tour par le juge de l’Union dans les arrêts « Rewe » et « Comet » en 1976 dans lesquels la Cour énonce qu’« en l’absence de réglementation communautaire[…], il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit communautaire […] » (CJCE, 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz eG et Rewe-Zentral AG contre Landwirtschaftskammerfür das Saarland, Aff. n°33-76, Rec. CJCE, p. 1989, §5 et Comet BV contre Produktschap voor Siergewassen, Aff. n°45-76, Rec. CJCE, p. 2043, § 13). Il appartient ainsi au juges nationaux de tirer les conséquences des principes d’effet direct et de primauté du droit de l’Union par le biais des instruments juridictionnels disponibles dans leur ordre juridique. Ils sont les seuls juges des moyens ou des outils les plus adéquats à employer pour exercer leur fonction de juge de droit commun des droits et libertés de l’Union.
L’étendue du principe d’autonomie procédurale et institutionnelle (1)
798 • Le principe a, aujourd’hui, été repris à de nombreuses reprises par le juge de l’Union et l’étendue des prérogatives des juges nationaux a pu être précisée par ce dernier, le plus souvent sur sollicitation des juridictions nationales elles-mêmes. L’autonomie s’applique ainsi clairement pour déterminer la juridiction compétente dans une matière donnée ou régler la recevabilité et les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (CJUE, 30 septembre 2003, Gerhard Köbler contre Republik Österreich, Aff. n°C‑224/01, Rec. CJCE, I, p. 10239, § 47; CJUE, 16 juillet 2009, Mono Car Styling, en liquidation contre Dervis Odemis e.a., Aff. n°C‑12/08, Rec. CJUE, I, p. 6653, § 48 ; CJUE, 18 mars 2010,Rosalba Alassini contre Telecom Italia SpA, Aff. n°C‑317/08, Rec. CJUE, I, p.2213, § 47 ; CJUE, 27 juin 2013, ET Agrokonsulting-04-Velko Stoyanov contre Izpalnitelen direktor na Darzhaven fond «Zemedelie» – Razplashtatelna agentsia, Aff. C-93/12, §35). Il en est de même pour la détermination de la qualité et de l’intérêt du justiciable (CJUE, 19 mars 2015, E.ON Földgáz Trade Zrt contre Magyar Energetikai és Közmű-szabályozási Hivatal, Aff. n°C-510/13, §50), la détermination des délais de recours et des causes de forclusion (CJUE, 17 juin 2004, Recheio – Cash & Carry SA contre Fazenda Pública/Registo Nacional de Pessoas Colectivas, Aff. n°C‑30/02, Rec. CJUE, I, p. 6051, §20 ; CJUE, 8 juillet 2010, Susanne Bulicke contre Deutsche Büro Service GmbH, Aff. n°C-246/09, §36, Rec. CJUE, p. 7003) la question de l’autorité de chose jugée (CJUE, 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti & C. SpA contre Comune di Bari e.a., Aff. n°C‑213/13, §54 ; CJUE, 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen GmbH contre Land Nordrhein-Westfalen, Aff. n°C-505/14, § 40) ou encore la mise en œuvre du relevé d’office (CJUE, 30 mai 2013, Dirk Frederik Asbeek Brusse et Katarina de Man Garabito contre Jahani BV, Aff. n°C-488/11, §42).
L’étendue du principe d’autonomie procédurale et institutionnelle (2)
799 • L’autonomie concerne des domaines de plus en plus nombreux et variés du droit de l’Union (droit fiscal, droit de la concurrence, droit de l’environnement, asile et immigration, …) à partir du moment où cela concerne des recours qui assurent la sauvegarde de droits de l’Union. Les procédures visées peuvent être aussi de nature administrative et non pas juridictionnelle (CJCE, 3 février 2000, Charalampos Dounias contre Ypourgio Oikonomikon, Aff. n°C-228/98, § 67, à propos d’une disposition nationale qui prévoit que les contestations relatives à la perception de taxes grevant les produits importés sont résolues dans le cadre d’une procédure administrative). Il faut aussi parler, enfin, des pouvoirs reconnus au juge national lorsqu’il utilise la procédure de renvoi préjudiciel. Le juge national est seul maitre du litige pendant devant lui (en dehors des rares hypothèses où il est tenu de saisir la CJUE) que ce soit pour poser ou non la question ou quant au choix et à la forme de la question. La CJUE est, de plus, dans l’obligation de répondre aux questions posées quels que soient les problèmes procéduraux (compétence juridictionnelle ou recevabilité de la requête) susceptibles d’être soulevés devant la juridiction qui a décidé le renvoi.
ii/ Un principe d’auto-organisation contrôlé et encadré par la Cour de justice
Un principe d’autonomie procédurale et institutionnelle subordonné aux évolutions du droit de l’Union
800 • Les particuliers qui veulent obtenir devant les juridictions nationales la reconnaissance des droits et libertés qu’ils tiennent de l’Union seront placés dans des situations différentes selon l’Etat dans lequel ils agiront en justice. C’est la raison pour laquelle les autorités européennes se sont toujours montrées réticentes quant à laisser les États membres entièrement libres de leurs choix, veillant à la réalisation du droit de l’Union. Les règles nationales n’étant pas identiques en matière de procédure juridictionnelle, le contrôle du juge national peut parfois nuire à l’uniformité d’application du droit de l’Union et, par conséquent, à l’effectivité de la protection des droits que les justiciables tirent de ce même droit. Preuve de ces réticences, la consécration tardive de l’expression même « d’autonomie procédurale des États membres » qui a d’abord eu pendant longtemps seulement les faveurs de la doctrine ou des avocats généraux sans réellement être consacré par la Cour. Si on tient compte, de même, du premier état de la jurisprudence dans les années 1970, le renvoi effectué par la Cour de justice aux procédures nationales est d’emblée présenté comme conditionnel. Les Etats membres sont autonomes au niveau institutionnel et procédural qu’en l’absence d’intervention législative européenne en la matière (CJCE, 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz eG et Rewe-Zentral AG contre Landwirtschaftskammerfür das Saarland, Aff. n°33-76 préc., §5 et Comet BV contre Produktschap voor Siergewassen, Aff. n°45-76, préc., § 13). Si nécessaire le droit de l’Union peut contraindre à la mise en place de juridictions ou à l’institution de voies de droit spécifiques. C’est, par exemple, le droit de l’Union qui a provoqué la création de juridictions ou d’autorités nationales chargées d’appliquer le droit de l’Union de la concurrence.
Le principe de l’autonomie procédurale et institutionnelle et les atteintes portées par les textes législatifs de l’Union
801 • S’agissant des textes législatifs, on peut aussi citer l’exemple significatif des directives sur les voies de recours en matière de marchés publics qui ont eu des incidences sur les règles mêmes du contentieux administratif interne (Cf., par ex., la directive 89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 (JO L 395 du 30 décembre 1989, p. 33-35) portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux qui prévoyait que les instances de recours pouvaient prendre des mesures contraignantes avant même l’attribution des marchés ; F. Boyenga-Bofala, « L’impact des directives-recours sur l’organisation des voies de droit internes et les modalités d’exercice par le juge administratif français de son office », RTDE 2002, p. 499). Le législateur français a été amené à donner des pouvoirs tout à fait nouveaux aux juges compétents qu’il soit judiciaire ou administratif (Loi n° 92-10 du 4 janvier 1992 (JO, 7 janvier 1992, p. 327) relative aux recours en matière de passation de certains contrats et marchés de fournitures et de travaux et loi n° 93-1416 du 29 décembre 1993 (JO, 1er janvier 1994, p. 10) relative aux recours en matière de passation de certains contrats de fournitures et de travaux dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications). Il a, par exemple, pour le juge judiciaire, remis en cause le principe d’autonomie de la volonté des parties et de la liberté contractuelle (art. 1102 du Code civil) pour permettre à des tiers de s’immiscer dans la formation du contrat. Pour le juge administratif, il a, par l’introduction d’une nouvelle procédure originale de référé, le référé précontractuel (articles L. 551-1 à L. 551-12 CJA et R. 551-1 à R. 551-6 CJA ; pour les contrats de droit privé, articles 1441-1 CPCiv et 1441-2 CPCiv), investi le juge, avant la conclusion d’un contrat, d’un pouvoir d’injonction tout à fait contraire alors aux traditionnels pouvoirs que s’octroyait le juge. Ce nouveau pouvoir se généralisant par la suite dans tout le contentieux sous l’influence du législateur comme du juge (voir art. L. 911 et suivants CJA tel qu’issu de la loi n°95-125 du 8 février 1995 (JO, 9 février 1995, p. 2175) relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative et, pour l’injonction prétorienne, par ex., : CE, 28 avril 2003, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires, req. n°237717 ; CE, 28 avril 2003, Fédération française des courtiers d’assurances et de réassurance et autres, req. n°233343). Le référé contractuel est venu, par la suite, compléter le dispositif, le juge y disposant de pouvoirs importants : l’annulation du contrat, sa résiliation, la réduction de sa durée et une pénalité financière, par exemple en cas de violation du délai de suspension de signature appelé communément délai de « standstill » (transposé de la directive « recours » n° 2007/66/CE Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 (JO n° L 335 du 20 décembre 2007, p. 31) par l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 (JO, 8 mai 2009, p. 7796) relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique ; Cf. articles L. 551-13 à L. 551-23 CJA et R. 551-7 à R. 551-10 CJA ; pour les contrats de droit privé, article 1441-3 CPCiv).
Le principe de l’autonomie procédurale et institutionnelle et le cas particulier de l’introduction de l’action de groupe en droit français (1)
802 • C’est sous l’action conjuguée de la Cour de justice et de la Commission européenne que l’Union, témoignant de cette tendance à vouloir protéger davantage les particuliers et « victimes » du droit de l’Union, a incité les Etats membres à se doter d’une action en groupe indispensable pour indemniser les victimes de préjudices de masse. Etablie sur le modèle de la « class action » à l’américaine, elle permet d’obtenir, par une seule et même action en justice, la réparation de dommages individuels causés par l’activité illicite du même professionnel à un groupe de consommateurs placés dans une situation similaire ou identique. C’est d’abord la Cour de justice qui a mis en avant le fait que tout citoyen ou toute entreprise ayant subi des dommages du fait d’une infraction aux règles européennes sur les ententes et les abus de position dominante devait pouvoir demander réparation à celui qui a causé les dommages (CJCE, 20 septembre 2001, Courage Ltd contre Bernard Crehan et Bernard Crehan contre Courage Ltd et autres, Aff. n°C-453/99, Rec. CJCE, I, p. 6297, §26 et 27 ; CJCE, 13 juillet 2006, Vincenzo Manfredi contre Lloyd Adriatico Assicurazioni SpA, Antonio Cannito contre Fondiaria Sai SpA et Nicolò Tricarico et Pasqualina Murgolo contre Assitalia SpA, Aff. jointes C-295/04 à C-298/04, Rec. CJCE, I, p. 06619, §60 et 90). En 2005, la Commission a ouvert un débat au sein de l’Union en adoptant un Livre vert du 19 décembre 2005 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante (COM (2005) 672 final) pour faciliter l’introduction d’actions en dommages et intérêts par les entreprises et les particuliers.
Le principe de l’autonomie procédurale et institutionnelle et le cas particulier de l’introduction de l’action de groupe en droit français (2)
803 • A la suite du Livre vert, un Livre blanc sur le même sujet fut adopté le 2 avril 2008 (COM (2008) 165 final). Le Livre blanc formulait des propositions visant à accroître l’efficacité des demandes d’indemnisation des victimes, tout en garantissant le respect des systèmes et traditions juridiques européens. Les deux premiers livres des autorités européennes ont été accompagné d’un 2nd Livre Blanc sur les recours collectifs pour les consommateurs, publié le 27 novembre 2008 (COM (2008) 794 final). Ces documents ont été suivis de consultations publiques sur les actions collectives en droit de la concurrence (qui s’est terminée le 15 juillet 2008), ou en matière de santé et de consommation (qui s’est terminée le 30 septembre 2011). C’est enfin, toujours la Cour de justice qui est alors encore venue encourager un tel type de recours en affirmant le droit au recours des associations de protection de l’environnement qui ne saurait être limité par des règles procédurales CJUE, 12 mai 2011, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, Landesverband Nordrhein-Westfalen eV contre Bezirksregierung Arnsberg, Aff. n°C-115/09, §50). C’est dans une recommandation du 11 juin 2013, enfin, que la Commission a recommandé la mise en place de mécanisme de recours collectifs dans les Etats membres avant le 26 juillet 2015 et une action européenne, peut-être plus contraignante (Recommandation n°2013/396/UE relative aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation).
Le principe de l’autonomie procédurale et institutionnelle et le cas particulier de l’introduction de l’action de groupe en droit français (3)
804 • Même si cette recommandation n’obligeait pas les Etats membres et que le législateur français était jusqu’alors plutôt opposé à l’ouverture d’actions collectives, le droit français s’est mis en conformité avec les principes énoncés lorsque des préjudices résultent de la vente de biens ou de la fourniture de services ou de pratiques anticoncurrentielles au sens du droit interne ou du droit de l’UE (loi n°2014-344 du 17 mars 2014 (JO, 18 mars 2014, p. 5400) relative à la consommation dites « loi Hamon » et art. L. 423-1 et suivants Code de la consommation et décret n°2014-1081 du 24 septembre 2014 (JO, 26 septembre 2014, p. 15643) relatif à l’action de groupe en matière de consommation). Les actions de groupe ont, par la suite, été étendues en matière de santé (loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 (JO, 27 janvier 2016, texte n°1) de modernisation de notre système de santé, dite loi « Santé »(art. 184) et décret n° 2016-1249 du 26 septembre 2016 (JO, 27 septembre 2016, texte n° 5) relatif à l’action de groupe en matière de santé) ainsi qu’en matière de lutte contre la discrimination, d’environnement ou de protection des données personnelles (loi n°2016-547 du 18 novembre 2016 (JO, 19 novembre 2016, texte n°1) de modernisation de la justice du XXIème siècle). C’est un cadre commun qui est désormais défini (en dehors des actions de groupe « Consommation » qui demeurent régies par le Code de la consommation) pour les actions devant le juge judiciaire et le juge administratif (où des actions collectives de deux types peuvent être présentées : l’action de groupe et l’action en reconnaissance de droits, leurs modalités pratiques ont été précisées par le décret n° 2017-888 du 6 mai 2017( JORF n°0109 du 10 mai 2017, texte n°110) relatif à l’action de groupe et à l’action en reconnaissance de droits ; Cf. : B. Javaux, « Les actions de groupe en France : régimes juridiques et perspectives », D. 2016, p. 122 et M.-C. de Montecler, « L’action de groupe est en marche », AJDA 2017, p. 965).
Un juge de l’Union qui exige du juge national une véritable mise en conformité de l’ordre juridique interne avec le droit de l’Union
805 • La CJUE a été amené à définir la nature exacte des obligations qui pèsent sur le juge national lui en l’obligeant d’abord à déclarer inapplicable, au minimum, toute norme nationale incompatible (CJCE, 4 avril 1968, Firma Gebrüder Lück contre Hauptzollamt Köln-Rheinau, Aff. n°34/67, Rec. CJCE, p. 359). Elle a ensuite imposé une « prohibition de plein droit » dans l’application de la prescription nationale devenue incompatible (CJUE, 13 juillet 1972,Commission des Communautés européennes contre République italienne, Aff. n°48/71, Rec. CJCE, p. 529, §7) avant d’obliger le juge national à laisser « au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel » (CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances de l’État contre Société anonyme Simmenthal, Aff. n°106/77, Rec. CJCE, p. 629, §26). L’incompatibilité avec le droit de l’Union d’une norme de droit national postérieure n’a pas pour effet de rendre celle-ci inexistante et le juge national n’a pas l’obligation de prononcer la nullité de la norme nationale devenue incompatible. Mais le droit de l’Union se substitue alors à l’acte litigieux, les juges nationaux étant, d’une certaine manière, contraints d’écarter l’application des dispositions internes contraires au droit de l’Union sans égard au caractère directement applicable ou non de ce dernier (CJCE, 19 décembre 2009, Krzysztof Filipiak contre Dyrektor Izby Skarbowej w Poznaniu, Aff. n°C-314/08, Rec. CJCE, I, p. 11049, §81 à 83).
Un principe d’autonomie procédurale et institutionnelle encadré par les principes d’équivalence et d’effectivité (1)
806 • C’est la Cour de justice qui a été amené à définir des règles de plus en plus précises encadrant l’office du juge national en mettant en place deux principes fondateurs. Elle a d’abord affirmé le principe d’équivalence qui veut que les recours fondés sur le droit de l’Union ne puissent être moins favorable que les recours similaires de droit interne (Voir, par ex., CJCE, 5 mars 1980, H. Ferwerda BV tegen Produktschap voor Vee en Vlees, Aff. n°C-265/78, Rec. CJCE, p. 617, §12 ; CJUE, 29 octobre 2009, Virginie Pontin contre T-Comalux SA, Aff. n°C‑63/08, Rec. CJUE, I, p. 10467, §45 ; CJUE, 19 juillet 2012, Littlewoods Retail Ltd e.a. contre Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs, Aff. n°C-591/10, §31). Elle a, ensuite, précisé que les règles nationales ne pouvaient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par les normes de l’Union (Voir, par ex., CJCE, 9 novembre 1983, Administration des financés de l’Etat italien contre SpA San Giorgio, Rec. CJCE, p. 3595, §12 ; CJUE, 15 avril 2010, Friedrich G. Barth contre Bundesministerium für Wissenschaft und Forschung, Aff. n°C-542/08, Rec. CJUE, I, p. 3189; CJUE, 18 décembre 2014, Commission européenne contre Royaume-Uni, Aff. n°C-640/13, §32). On parle alors de principe d’effectivité. Les deux principes ainsi définis ne sont apparus que tardivement dans la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE, 10 juillet 1997,Rosalba Palmisani contre Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), Rec. CJCE, I, p. 4048, §28 et §32) mais ils font l’objet dorénavant d’un rappel constant et sont traités la plupart du temps dans le même considérant (Cf. P. Girerd, « Les principes d’équivalence et d’effectivité : encadrement ou désencadrement de l’autonomie procédurale des Etats membres ? », RTDE 2002, p. 75). Ils sont la déclinaison d’un objectif identique tourné vers la sauvegarde des droits issus des normes de l’Union même si les deux principes ne se situent pas sur le même plan dans la mesure où le principe d’équivalence concerne la jouissance d’un droit (à un traitement équivalent) alors que le principe d’effectivité concerne plutôt l’exercice d’un droit (qui ne doit pas être entravé) (Cf., en ce sens, C. Blumann, « Le juge national, gardien menotté de lac protection juridictionnelle effective en droit communautaire », JCP 2007, G, n°175).
Un principe d’autonomie procédurale et institutionnelle encadré par les principes d’équivalence et d’effectivité (2)
807 • Pour que le principe d’équivalence soit respecté, il faut que la règle litigieuse s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables (CJUE, 1er décembre 1998, B.S. Levez contre T.H. Jennings (Harlow Pools) Ltd, Aff. n°C‑326/96, Rec. CJCE, I, p. 7835, § 41; CJCE, 16 mai 2000, Shirley Preston e.a. contre Wolverhampton Healthcare NHS Trust e.a. et Dorothy Fletcher e.a. contre Midland Bank plc, Aff. n°C‑78/98, Rec. CJCE, I, p. 3201, § 55 ; CJUE, 8 juillet 2010, Susanne Bulicke contre Deutsche Büro Service GmbH, Aff. n°C-246/09, § 26). Il appartient au juge national, qui a une connaissance directe des modalités procédurales applicables, de vérifier la similitude des recours concernés sous l’angle de leur objet, de leur cause et de leurs éléments essentiels (par ex., CJUE, 27 juin 2013, ET Agrokonsulting-04-Velko Stoyanov contre Izpalnitelen direktor na Darzhaven fond « Zemedelie » – Razplashtatelna agentsia, Aff. n°C-93/12, §39 ; CJUE, 30 juin 2016, Silvia Georgiana Câmpean v Serviciul Fiscal Municipal Medias, Aff. n°C-200/14, §51). Quant à la vérification du principe d’effectivité, celui-ci impose au juge national de prendre en considération la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure et de ses particularités devant les diverses instances nationales (CJCE, 7 juin 2007, J. van der Weerd et autres, H. de Rooy sr. et H. de Rooy jr., Maatschap H. en J. van ’t Oever et autres et B. J. van Middendorp contre Minister van Landbouw, Natuur en Voedselkwaliteit, Aff. jointes C‑222/05 à C‑225/05, Rec. CJCE, I, p. 4233, §33 ; CJCE, 21 février 2008, Tele2 Telecommunication GmbH contre Telekom-Control-Kommission, Aff. n°C-426/05, Rec. CJCE, p. 685, §55 ; CJCE, 3 octobre 2013, Soledad Duarte Hueros / Autociba SA, Automóviles Citroen España SA, Aff. n°C-32/12, §34).
iii/ Une finalité précise donnée au contrôle et à l’encadrement de la Cour de justice : la protection maximale des droits fondamentaux
808 • Le juge de l’Union a pu aussi imposer des principes généraux du droit (PGD), le plus souvent identifiés comme étant commun à la plupart des systèmes juridiques et nationaux et internationaux. Ces PGD, qui ont une portée institutionnelle et procédurale, peuvent porter directement atteinte au principe d’autonomie protégeant le juge national. Le juge de l’Union a, par exemple, développé l’application du principe de protection juridictionnelle effective pour inviter le juge national à remplir sa mission mais aussi pour pallier aux insuffisances juridictionnelles de l’ordre juridique communautaire, les personnes privées ne pouvant agir contre les Etats devant le juge de l’Union. L’ensemble est destiné à offrir une protection maximale aux justiciables notamment dans l’exercice des droits fondamentaux.
L’obligation, pour le juge national, de tirer toutes les conséquences des principes de primauté et d’effet direct pour les justiciables : le principe de réparation
809 • Les principes de primauté et d’effet direct impliquent que les juridictions nationales aient, au même titre que les autorités nationales, l’obligation de prendre toutes les mesures pour faciliter la réalisation du plein effet du droit de l’Union. La Cour de justice a très tôt mis en avant le fait que les dispositions des traités engendraient des droits que les « juridictions nationales doivent sauvegarder » (CJCE, 30 avril 1974, Giuseppe Sacchi, Aff. n°155/73, Rec. CJCE, p. 409, §18) et rappelle, de façon constante, à tout juge national, l’obligation, « d’appliquer intégralement le droit de l’Union directement applicable et de protéger les droits que celui‑ci confère aux particuliers » (CJUE, 8 septembre 2010, Winner Wetten GmbH contre Bürgermeisterin der Stadt Bergheim, Aff. n°C-409/06, Rec. CJUE, p. 8015, §55 ; CJUE, 4 octobre 2012, Hristo Byankov contre Glaven sekretar na Ministerstvo na vatreshnite raboti, Aff. n°C-249/11, §63). Tout juge national doit garantir la réparation des dommages nées d’une violation du droit de l’Union. Ce dernier permet ainsi aux justiciables, surtout en leur qualité de contribuables, de s’opposer au paiement de certaines taxes en arguant d’une des quatre libertés fondamentales consacrées par le Traité de Rome. Les Etats membres se doivent alors de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union (CJCE, 27 février 1980, Hans Just I/S contre Ministère danois des impôts et accises, Aff. n°68/79, §27 ; CJUE, 12 décembre 2013, Test Claimants in the Franked Investment Income Group Litigation contre Commissioners of Inland Revenue et Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs, Aff. n° C-362/12, §30 ; CJUE, 6 octobre 2015, Dragos Constantin Târsia contre Statul român et Serviciul public comunitar regim permise de conducere si înmatriculare a autovehiculelor, Aff. n°C‑69/14, § 24 ; CJUE, 30 juin 2016, Silvia Georgiana Câmpean v Serviciul Fiscal Municipal Medias, anciennement Administratia Finantelor Publice a Municipiului Medias and Administratia Fondului pentru Mediu, Aff. n°C-200/14, §37). La répétition de l’indu conduit ainsi le juge national à tirer les conséquences de l’invalidité de son propre droit et à ordonner en conséquence la restitution de ce qui a été perçu par les administrations nationales de façon incompatible avec une norme de l’Union. Le juge national est ainsi tenu de définir l’étendue de la responsabilité de son propre Etat et de l’obligation corrélative de restitution, la majorité des actions étant intentées à l’encontre de l’administration des douanes (Code des douanes) ou de l’administration fiscale (Livres des procédures fiscales).
L’obligation, pour le juge national, de tirer toutes les conséquences des principes de primauté et d’effet direct pour les justiciables : le principe de responsabilité de l’Etat
810 • La Cour de justice a également reconnu le principe de responsabilité de l’Etat pour tous les dommages ayant été causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union. Cette responsabilité a été considéré comme inhérente au système mis en place, elle peut résulter des actes du législateur (CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA contre Bundesrepublik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte : Factortame Ltd et autres, Aff. n°C-46/93 et C-48/93, Rec. CJCE, I, p. 1029, §36) ou même des juridictions internes (CJCE, 30 septembre 2003, Gerhard Köbler contre Republik Österreich, Aff. n°C-224/01, §33 à 36). Elle n’est pas applicable si tous les éléments de l’affaire se retrouvent à l’intérieur de l’Etat sans lien de rattachement avec le droit de l’Union (CJUE, 15 novembre 2016, Fernand Ullens de Schooten contre État belge, Aff. n°C-268/15, §54 et suivants). Il faut trois conditions pour engager la responsabilité : la règle de droit violée doit avoir pour objet de conférer des droits aux particuliers, la violation doit être suffisamment caractérisée et un lien de causalité direct doit exister entre la violation de l’obligation qui incombe à l’Etat et le préjudice subi par les particuliers (CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA contre Bundesrepublik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte: Factortame Ltd et autres précité, § 66 ; CJCE, 23 mai 1996, The Queen contre Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte: Hedley Lomas (Ireland) Ltd, Aff. n°C-5/94, Rec. CJCE, I, p. 2553, §25 ; CJCE, 8 octobre 1996, Erich Dillenkofer, Christian Erdmann, Hans-Jürgen Schulte, Anke Heuer, Werner, Ursula et Trosten Knor contre Bundesrepublik Deutschland, Aff. jointes C-178/94, C-179/94, C-188/94, C-189/94 et C-190/94, Rec. CJUE, I, p. 4845, §21 ; CJCE, 24 mars 2009, Danske Slagterier contre Bundesrepublik Deutschland, Aff. C-445/06, §20 ; CJUE, 14 mars 2013, Jutta Leth contre Republik Österreich, Land Niederösterreich, Aff. n° C-420/11, §41 et 42 ; CJUE, 10 juillet 2014, Ewaen Fred Ogieriakhi contre Minister for Justice and Equality e.a., Aff. n°C-244/13, §50).
L’obligation de garantir une protection juridictionnelle effective : une obligation non reconnue dans les textes
811 • C’est à travers la technique des PGD que la Cour de justice, en s’appuyant sur les textes de droit primaire et de droit dérivé ou sur la ConvEDH (articles 6 et 13 ConvEDH) et les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, a reconnu le droit à une protection juridictionnelle effective, droit qu’on ne trouve reconnu dans aucun texte primaire du droit de l’Union, tout au moins en tant qu’affirmation d’un principe fondamental (CJCE, 15 mai 1986, Marguerite Johnston contre Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary, Aff. n° 222/84, Rec. CJCE, p. 1651, §2 ; CJCE, 22 septembre 1998, Belinda Jane Coote contre Granada Hospitality Ltd, Aff. n°C-185/97, Rec. CJCE, I, p. 5199, § 21 ; CJUE, 18 mars 2010, Rosalba Alassini et Lucia Anna Giorgia Iacono contre Telecom Italia SpA, Filomena Califano contre Wind SpA, Aff. jointes n°C-317/08 à C-320/08, § 62 ; CJUE, 20 mai 2010, Scott SA et Kimberly Clark SAS contre Ville d’Orléans, Aff. n°C-210/09, §25 ; CJUE, 14 octobre 2010, Günter Fuß contre Stadt Halle, Aff. n°C-243/09, § 66 ; CJUE, 28 février 2013, Oscar Orlando Arango Jaramillo e.a. contre Banque européenne d’investissement, Aff. n°C‑334/12 RX-II, § 40 ; CJUE, 4 juin 2013, ZZ contre Secretary of State for the Home Department, Aff. n°C-300/11, §53 et suivants ; CJUE, 27 juin 2013, ET Agrokonsulting-04-Velko Stoyanov contre Izpalnitelen direktor na Darzhaven fond «Zemedelie» – Razplashtatelna agentsia, Aff. n°C-93/12, §59).). Cette protection doit valoir tant sur le plan de la désignation des juridictions compétentes pour connaître des actions fondées sur le droit de l’Union qu’en ce qui concerne la définition des modalités procédurales relatives à de telles actions.
L’obligation de garantir une protection juridictionnelle effective : un recours effectif devant un juge national et un droit à un égal accès au juge
812 • Elle exige d’abord que toute personne puisse exercer un recours effectif devant un juge national contre les actes qu’elle estime contraire au droit de l’Union, l’existence d’une voie de recours juridictionnelle étant « essentielle pour assurer au particulier la protection effective de son droit » (CJCE, 15 octobre 1987, Union nationale des entraîneurs et cadres techniques professionnels du football (Unectef) contre Georges Heylens et autres, Aff. n°222/86, Rec. CJCE, p. 4097, §14) mais aussi un droit à un égal accès au juge qui implique, par exemple, d’interdire le versement d’un dépôt de garantie par les seuls ressortissants étrangers (CJCE, 1er juillet 1993, Anthony Hubbard (Testamentvollstrecker) v Peter Hamburger, Aff. n°C-20/92, Rec. CJCE, I, p. 3777, §9 ; CJCE, 26 septembre 1996, Data Delecta Aktiebolag et Ronny Forsberg contre MSL Dynamics Ltd., Aff. n°C-43/95, §13). La Charte s’insère dans ce mouvement tout en le complétant. L’article 47 CDFUE prévoit ainsi que « toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi ». La cause doit ainsi être entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, le tout, par un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi. La Charte est opposable juridiquement (art. 6-1 TUE) et le juge de l’Union est compétent pour contrôler le respect de la Charte dès lors qu’il est chargé d’assurer « le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités » (article 19 TUE). La référence à l’article permet de renforcer la protection juridictionnelle effective (Cf. CJCE, 13 mars 2007, Unibet (London) Ltd et Unibet (International) Ltd contre Justitiekanslern, Aff. n°C-432/05, Rec. CJCE, I, p. 2271, §37). L’article 51 CDFUE dispose aussi que « toute limitation de l’exercice des droits et libertés qu’elle reconnaît doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel de ces droits et libertés, être proportionnée, nécessaire et répondre effectivement à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ». Finalement, à partir du moment où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, « leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ». A noter, pour terminer, que l’article 19-1 TFUE, disposition nouvelle du traité UE issu du traité de Lisbonne, apporte des garanties complémentaires au « droit au juge » puisqu’il élargit l’apport jurisprudentiel. Selon cet article, « les Etats membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ».
L’obligation de garantir une protection juridictionnelle effective : l’objectif visant à apprécier la légalité d’une décision nationale par rapport au droit de l’Union et l’exigence de communication des motifs de la décision
813 • Au final, la protection ainsi consacrée par voie jurisprudentielle et législative doit permettre au juge national de vérifier la légalité d’une décision nationale par rapport au droit de l’Union (CJCE, 7 mai 1991, Irène Vlassopoulou contre Ministerium für Justiz, Bundes- und Europaangelegenheiten Baden-Württemberg, Aff. n°C-340/89, Rec. CJCE, I, p. 2357, §22 et CJCE, 13 mars 2007, Unibet (London) Ltd et Unibet (International) Ltd contre Justitiekanslern, Aff. n°C-432/05 précité, §58 et 61) ou d’exiger de l’autorité nationale compétente la communication des motifs de sa décision, les exigences de l’Union dépassant largement ici le champ des procédures contentieuses (CJCE, 15 octobre 1987, Union nationale des entraîneurs et cadres techniques professionnels du football (Unectef) contre Georges Heylens et autres, Aff. n°222/86 précité, §14 à 17). Cette dernière obligation ne concerne cependant, compte tenu de sa finalité, que les décisions individuelles prises à l’encontre des particuliers et non les actes nationaux de portée générale (CJCE, 17 juin 1997, Sodemare SA, Anni Azzurri Holding SpA et Anni Azzurri Rezzato Srl contre Regione Lombardia, Aff. n°C-70/95, Rec. CJCE, I, p. 3395, §19). Pour permettre de défendre les droits des particuliers dans les meilleures conditions possibles, la Cour de justice exige qu’ils puissent « connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique » (CJUE, 17 mars 2011, Josep Peñarroja Fa, Aff. jointes n°C‑372/09 et C‑373/09, Rec. CJUE, I, p.1785, § 63 ; CJUE, 17 novembre 2011, Hristo Gaydarov contre Director na Glavna direktsia « Ohranitelna politsia » pri Ministerstvo na vatreshnite raboti, Aff. n°C‑430/10, Rec. CJUE, I, p. 11637, § 41 ; CJUE, 4 juin 2013, ZZ contre Secretary of State for the Home Department, Aff. n°C-300/11 précité, §53 ).
L’obligation de garantir une protection juridictionnelle effective : la nécessaire possibilité de renvoi préjudiciel en cas de difficultés d’interprétation du droit de l’Union
814 • La protection impose aussi au juge national de pouvoir saisir, en toutes circonstances, la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel s’il rencontre des difficultés d’interprétation de ce droit (CJCE, 16 décembre 1981, Pasquale Foglia contre Mariella Novello, Aff. n°244/80, Rec. CJCE, p. 3045, §26). La Cour de justice a même bouleversé la hiérarchie des tribunaux dans l’ordre juridique français en jugeant qu’un tribunal pouvait la saisir par le mécanisme du renvoi préjudiciel, même lorsque le droit national « lie les juridictions ne statuant pas en dernière instance à des appréciations portées en droit par la juridiction supérieure » (CJCE 16 janv. 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf contre Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel, Aff. n°166/73, Rec. CJCE, p. 33). A noter cependant que, selon le droit de l’Union, le principe de protection juridictionnelle effective vise le droit d’accès seulement à un tribunal et ne vise pas le double degré de juridiction, mais seulement à un tribunal (CJUE, 28 juillet 2011, Brahim Samba Diouf contre Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, Aff. n°C-69/10, Rec. CJUE, p. 7151, § 69 ; CJUE, 17 juillet 2014, Juan Carlos Sánchez Morcillo et María del Carmen Abril García contre Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA, Aff. C-169/14, § 36 ; CJUE, 26 janvier 2017, Banco Primus SA contre Jesús Gutiérrez García, Aff. n°C-421/14, § 48).
L’obligation de garantir une protection juridictionnelle effective : la possibilité de mettre en place une protection juridictionnelle provisoire
815 • Le dernier élément lié à la protection juridictionnelle effective pour les justiciables est lié à la reconnaissance par la Cour de justice d’une protection juridictionnelle provisoire. Le droit national ne peut s’opposer à ce que le juge national accorde des mesures provisoires pour garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à venir (Cf. R. Mehdi, « Le droit communautaire et les pouvoirs du juge national de l’urgence », RTDE 1996, p. 77). Le juge national peut ainsi surseoir à appliquer des textes pour lesquels il n’y a pas, normalement, de sursis à exécution, par exemple des actes de valeurs législative en écartant la disposition du droit national interdisant, dans le cas donné, le sursis à exécution (CJCE, 19 juin 1990, The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte : Factortame Ltd e.a., Aff. n°C-213/89, Rec. CJCE, I, p. 2433 ; CJCE, 11 janvier 2001, Siples Srl, en liquidation contre Ministero delle Finanze et Servizio della Riscossione dei Tributi – Concessione Provincia di Genova – San Paolo Riscossioni Genova SpA, Aff. C-226/99, Rec. CJCE, p. 277, §19 ; CJUE, 15 janvier 2013, Jozef Križan e.a. contre Slovenská inšpekcia životného prostredia, Aff. n°C-416/10, §107). Le juge national a ainsi normalement l’obligation d’accorder le sursis à exécution d’une loi alors que ce pouvoir ne lui est pas reconnu en droit français. La Cour de justice a, cependant, jugé expressément que l’octroi de mesures provisoires pour suspendre l’application de dispositions nationales jusqu’à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur la conformité de celles-ci avec le droit de l’Union est régi par les critères fixés par le droit national (CJCE, 13 mars 2007, Unibet (London) Ltd et Unibet (International) Ltd contre Justitiekanslern, Aff. n°C-432/05, précité, § 81). Le sursis ou la mesure provisoire peut aussi concerner l’exécution d’un acte administratif dans la mesure où cet acte a été fait sur la base d’un règlement européen dont la validité est contestée au regard des traités (CJCE 21 févr. 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen AG contre Hauptzollamt Itzehoe et Zuckerfabrik Soest GmbH contre Hauptzollamt Paderborn, Aff. jointes n°C-143/88 et C-92/89, Rec. CJCE, I, p. 415, §25 à 33) ou s’analyser en une mesure provisoire « positive » pour protéger les intérêts des justiciables pendant la durée de l’instance préjudicielle. Une autorisation peut ainsi être accordée provisoirement alors qu’initialement refusée par les autorités nationales (CJCE, 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft mbH et autres contre Bundesamt für Ernährung und Forstwirtschaft, Aff. n°C-465/93, Rec. CJCE, I, p. 3761, §30 à propos de l’octroi d’une licence provisoire d’importation à un importateur qui se l’était vu refuser par l’administration sur le fondement d’un texte communautaire).
iv/ Un principe de protection juridictionnelle effective mis en place pour pallier aux insuffisances de l’ordre juridictionnel de l’Union
Un principe invocable devant la CJUE
816 • Si le principe de protection juridictionnelle effective est invoqué par le juge de l’Union pour inviter le juge national à remplir sa mission de juge de droit commun de l’application du droit de l’Union, il vise aussi à pallier les insuffisances dans l’ordre juridique de l’Union quant aux recours possibles pour les particuliers pour faire respecter les droits fondamentaux. Le juge européen des droits de l’homme a pu lui-même constaté l’accès « restreint » des particuliers à la CJCE (CourEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi contre Irlande, req. n°45036/98, §162) et jugé « la protection des droits fondamentaux offerte par le droit communautaire […] équivalente […] à celle assurée par le mécanisme de la Convention» (§165) que dans la mesure où c’est « essentiellement par l’intermédiaire des juridictions nationales que le système communautaire fournit aux particuliers un recours leur permettant de faire constater qu’un Etat membre ou un autre individu a enfreint le droit communautaire » (§164). La doctrine ne manque pas de constater ou dénoncer le manque dans la protection offerte par le système juridique de l’Union (L. Guilloud, « Le droit au juge dans l’Union européenne : passe, impair et manque », RDP 2012, p. 1699, qui souligne l’extension du champ d’application du renvoi préjudiciel et du recours en annulation [« passe »], les ambiguïtés du traité de Lisbonne quant au recours en annulation des particuliers [« impair »] et l’absence de réforme du recours en responsabilité extra-contractuelle de l’Union européenne [« manque »] ; voir aussi L. Fromont et A. Van Waeyenberge, « La protection juridictionnelle effective en Europe ou l’Histoire d’une procession d’Echternach » CDE 2015, n°1, p. 113 ou L. Guilloud, « Le droit au juge dans l’Union européenne », RDLF 2012, chron. n°7). De manière générale, les lacunes du système juridique de l’Union concernent la non compétence de la CJUE en matière de dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune et en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base (article 275 TFUE). C’est le cas aussi dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, rebaptisée « espace de liberté, de sécurité et de justice » dans le Traité de Lisbonne, « pour vérifier la validité ou la proportionnalité d’opérations menées par la police ou d’autres services répressifs dans un État membre, ni pour statuer sur l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure » (art. 276 TFUE). Appliqué initialement aux recours portés devant le juge national, le principe de protection juridictionnelle effective a pu également être invoqué devant la CJUE alors que l’accès au juge de l’Union est précisément défini et encadré par la jurisprudence (CJCE, 3 septembre 2008, Yassin Abdullah Kadi et Al Barakaat International Foundation contre Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, Aff. jointes n°C-402/05 P et n°C-415/05 P, Rec. CJCE, I, p. 6351, §335). Le traité FUE a institué, notamment par ses articles 263 et 277 TFUE, d’une part, et 267 TFUE, d’autre part, un « système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes de l’Union, en le confiant au juge de l’Union » (CJUE, 19 décembre 2013, Telefonica SA contre Commission européenne, Aff. n°C-274/12 P, §57).
Une compétence initiale du Parlement européen pour les recours en annulation jugée irrecevable
817 • Le Parlement européen n’était pas mentionné, à l’origine, par le traité de Rome dans les institutions susceptibles de formuler un recours en annulation. C’est seulement dans les cas où les recours étaient attribués expressément aux « institutions » de l’Union que la Cour de justice a reconnu au Parlement le droit d’agir devant la Cour. Elle a, ainsi, accepté la recevabilité des recours en carence du Parlement fondés sur l’article 265 du TFUE (CJCE, 22 mai 1985, Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes, Aff. n°13/83, Rec. CJCE, p. 1513 ou CJCE, 12 juillet 1988, Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes, Aff. n°377/87, Rec. CJCE, p. 4017) et des interventions à des litiges fondés sur l’article 40 (ancien art. 37) du protocole n°3 fixant le statut de la Cour (CJCE, 29 octobre 1980, SA Roquette Frères contre Conseil des Communautés européennes, Aff. n°138/79, Rec. CJCE, p. 3333 ou CJCE, 29 octobre1980, Maizena GmbH contre Conseil des Communautés européennes, Aff. n°139/79, Rec. CJCE, p. 3393). Dans les cas où le droit au recours ne concernait que le Conseil de l’Union et la Commission européenne, la Cour a, dans un 1er temps, rejeté l’analogie en faveur du Parlement en déclarant irrecevable un recours en annulation du Parlement fondé sur l’article 263 TFUE (ex-art. 230 TCE, ex-art. 173 CEE) (CJCE, 27 septembre 1988, Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes, Aff. n°302/87, Rec. CJCE, p. 5615). La Cour a, cependant, dans un 2nd temps, réviser sa jurisprudence pour reconnaitre au Parlement européen le pouvoir d’intenter des recours en annulation dans la limite où le recours vise à la défense de ses prérogatives (CJCE, 22 mai 1990, Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes, Aff. n°C-70/88, Rec. CJCE, I, p. 2041). Il y avait là une approche assez entreprenante de la Cour qui s’inscrivait dans la logique de la reconnaissance précédente aux particuliers du droit de former un recours contre ses actes (CJCE, 23 avril 1986, Parti écologiste « Les Verts » contre Parlement européen, Aff. n°294/83, Rec. CJCE, p. 1339). Le droit de saisir la Cour d’un recours en annulation a ensuite été consacrée par le traité de Maastricht et par le traité de Nice qui a placé le Parlement européen au rang de requérant privilégié au même titre que les autres institutions (art. 263 TFUE).
Un accès nouveau et large du Parlement européen au recours en annulation pour une protection plus forte des équilibres et des droits fondamentaux : la décision « Parlement contre Conseil de l’Union » (1)
818 • Ce pouvoir de saisine est très important parce qu’il permet au Parlement européen de devenir un nouvel acteur institutionnel dans l’agencement des pouvoirs au sein de l’Union et la protection des droits fondamentaux. L’apport de l’action du Parlement (et de la Cour de justice en conséquence) est particulièrement révélateur quant aux corrections effectuées concernant les réticences politiques des Etats membres dans la mise en œuvre du système Schengen. Si l’idée d’une « Europe-forteresse » semble l’emporter et si les Etats membres semblent succomber à la tentation sécuritaire, ces derniers doivent, néanmoins, compter avec l’action du Parlement s’appuyant, notamment et justement, sur l’activité de la Cour de justice dans une optique de protection des droits fondamentaux. Il faut ainsi citer l’arrêt « Parlement européen contre Conseil de l’Union européenne » pris dans le domaine déjà très sensible à l’époque de l’espace de circulation européen (CJUE, 5 septembre 2012, Parlement européen contre Conseil de l’Union européenne, Aff. n°C-355/10). Le recours introduit par le Parlement tendait, en l’espèce, à l’annulation de la décision du Conseil 2010/252/UE du 26 avril 2010, visant à compléter le Code Frontières Schengen (Décision du Conseil de l’Union 2010/252/UE visant à compléter le Code frontières Schengen en ce qui concerne la surveillance des frontières extérieures maritimes dans le cadre de la coopération opérationnelle coordonnée par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’UE (JOUE L 111 du 4 mai 2010, p. 11)) et, plus précisément, la surveillance des frontières extérieures maritimes dans le cadre de la coopération opérationnelle coordonnée par Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne.
Un accès nouveau et large du Parlement européen au recours en annulation pour une protection plus forte des équilibres et des droits fondamentaux : la décision « Parlement contre Conseil de l’Union » (2)
819 • Pour le Parlement, la décision du Conseil de l’Union excède les limites de ses compétences d’exécution. Les dispositions de la décision attaquée auraient dû être adoptées selon la procédure législative ordinaire, et non selon la procédure dite de comitologie alors employée par le Conseil de l’Union. Le Conseil de l’Union soutenait l’idée que le Parlement ne pouvait exercer son droit au recours parce qu’il n’avait pas exercé son droit à s’opposer à la décision attaquée dans le cadre de la procédure de réglementation avec contrôle suivie pour son adoption, dans laquelle il est stipulé in fine que, si le Parlement européen ne s’est pas opposé aux mesures proposées, celles-ci sont arrêtées (§33 de la décision). Pour le Conseil, le rôle du Parlement se limite au contrôle de la légalité formelle de l’acte et non à une appréciation politique. L’argument n’est pas retenu par la Cour de justice qui fait la distinction nette entre le « contrôle préalable » que l’institution est amenée à exercer durant la procédure décisionnelle, et le « contrôle juridictionnel » que l’institution doit pouvoir exercer une fois la décision adoptée. En confirmant la possibilité du contrôle juridictionnel opéré par le Parlement dans un domaine aussi sensible que celui de l’espace de libre circulation européen, elle permet à ce dernier de jouer, ainsi, de manière pleine et entière son rôle de protecteur des droits et libertés fondamentaux de l’Union confirmant le lien étroit entre la destinée du Parlement européen et la progression de la démocratie dans l’Union.
Un accès initial restreint des justiciables au recours en annulation : l’affectation directe et individuelle du requérant
820 • La Cour de justice s’est montrée audacieuse lorsque, dans le silence des textes, elle a accordé le droit d’exercer un recours en annulation au Parlement (CJCE, 22 mai 1990, Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes, Aff. n°C-70/88 précité) ou lorsqu’elle a admis que le recours en annulation pouvait être dirigé contre les actes du Parlement européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers (CJCE, 23 avril 1986, Parti écologiste « Les Verts » contre Parlement européen, Aff. n°294/83 précité). Par contre, elle a toujours rejeté toute extension jurisprudentielle et entendu restrictivement les conditions de recevabilité du recours en annulation à l’égard des personnes physiques ou morales, requérants « ordinaires » ou « non privilégiés » contre un acte dont ils n’étaient pas destinataires. Une double condition a été posée dès l’origine, l’acte attaqué devant affecter directement et individuellement le requérant (ancien article 230 al.4 TCE). Si le lien direct a été interprété relativement souplement par la Cour (Il est de jurisprudence constante que la condition de l’affectation directe est remplie si l’acte produit directement des effets sur la situation juridique du requérant et que l’acte ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires qui sont chargés de la mise en œuvre : CJCE, 13 mars 1971, NV International Fruit Company et autres contre Commission des Communautés européennes, Aff. jointe n°41 à 44/70, Rec. CJCE, p. 411, §25), la condition de l’intérêt individuel a fait l’objet d’une jurisprudence beaucoup plus restrictive. Celle-ci a été inaugurée dans le célèbre arrêt « Plaumann » (CJUE, 15 juillet 1963, Plaumann & Co. contre Commission de la Communauté économique européenne, Aff. n°C-25/62, Rec. CJCE, p. 199 ; voir aussi, CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores contre Conseil de l’UE, Aff. n°C‑50/00 P, Rec. CJCE, I, p. 6677, § 36) qui dispose que « les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire ». La condition s’est révélé très difficile à satisfaire lorsque l’acte attaqué est de nature réglementaire et qu’il ne comporte pas de mesures d’exécution susceptibles d’être attaquées.
Un accès contemporain plus large des justiciables au recours en annulation : la suppression de la condition de l’intérêt individuel
821 • Le TPICE a pu constater que, dans le cadre d’un recours en annulation d’un justiciable, l’irrecevabilité était inéluctable que ce soit à travers le recours en annulation contre un acte de portée générale ou que ce soit parce que l’acte de l’Union ne nécessite pas de mesures d’exécution, le requérant étant alors dans l’impossibilité d’introduire une requête devant le juge national. La seule solution était alors pour le requérant de violer la réglementation communautaire afin qu’un procès devant un juge national puisse avoir lieu et qu’il puisse bénéficier d’un renvoi préjudiciel lui permettant de contester cet acte. Pour éviter cela, le Tribunal a assoupli sa jurisprudence (TPICE 3 mai 2002, Jégo-Quéré & Cie SA contre Commission des Communautés européennes, Aff. n°T-177/01, Rec. CJCE, II, p. 2365, §25 et suivants). La CJCE a, par contre, désavoué cette jurisprudence du TPICE en maintenant la jurisprudence traditionnelle selon laquelle aucune personne ne peut agir en annulation contre un règlement communautaire, sauf si ce règlement concerne individuellement certaines personnes physiques ou morales et revêt dès lors, à leur égard, un caractère décisionnel (CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores contre Conseil de l’Union européenne, Aff. n°C-50/00 P, §32 et suivants). Le traité de Lisbonne, qui avait notamment pour objectif de renforcer la protection juridictionnelle des particuliers et de simplifier les sources du droit de l’Union, est cependant venu, dans l’intérêt de chacun, supprimé l’exigence d’intérêt individuel dans ce cadre en prévoyant qu’il suffirait alors que de tels « actes réglementaires qui ne comportent pas de mesures d’exécution » concernent directement le requérant (article 263, alinéa 4 TFUE). Mais l’expression « d’actes réglementaires » alors retenu a apporté une certaine confusion. Le nouveau traité distingue seulement trois types d’actes selon leur nature : les actes législatifs adoptés par la procédure législative et qui peuvent prendre la forme de règlements, directives ou décisions (article 289 TFUE), les actes délégués adoptés par la Commission qui sont des actes non législatifs de portée générale (article 290 TFUE) et les actes d’exécution de la compétence de la Commission ou du Conseil (article 291 TFUE) sans évoquer d’actes réglementaires à proprement parler (seul le Traité constitutionnel mentionnait une hiérarchie entre actes législatifs et actes réglementaires dans ses articles I-33 à I-37). Les actes délégués et les actes d’exécution pouvant être pris sous la forme de règlements.
Un accès contemporain finalement limité des justiciables au recours en annulation : une interprétation restrictive de la notion d’ « acte réglementaire »
822 • C’est le juge de l’Union qui a été amené à se prononcer sur les conditions nouvelles de l’article 263 alinéa 4 TUE : d’abord le TPIUE, pour qui « la notion « d’acte réglementaire » […] doit être comprise comme visant tout acte de portée générale à l’exception des actes législatifs », (TPIUE, ord., 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a. contre Parlement et Conseil, Aff. n°T-18/10 RII-INTP, §56 ; TPIUE, 25 octobre 2011, Microban International Ltd et Microban (Europe) Ltd contre Commission européenne, Aff. n°T-262/10, §21 ; TPIUE, 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes, SA et autres contre Agence européenne des produits chimiques (ECHA), Aff. n°T-93/10, §55) puis, ensuite, la Cour de justice, qui a confirmé sur pourvoi (CJUE, GC, 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami et autres contre Parlement européen et Conseil de l’UE, Aff. n°C-583/11, §51 à 61). L’interprétation retenue est restreinte dans le sens où la notion d’acte réglementaire couvre uniquement un acte de portée générale non législatif et qu’il faut recourir au critère de la procédure ayant mené à l’adoption de l’acte pour savoir si l’acte est de nature réglementaire ou législative. Il ne faut pas tenir compte de la distinction entre règlement, directive et décision. Les actes élaborés selon les différents types de procédures législatives, sont donc des actes législatifs et, à ce titre, exclus de l’amélioration prévue pour les particuliers au nouvel article 263 TFUE. Les actes réglementaires sont ceux, quant à eux, qui sont adoptés dans le cadre de compétences d’exécution, catégorie à laquelle appartiennent les actes réglementaires. A partir de là, on applique l’ouverture du nouvel art. 263 al. 4 dès lors que l’acte en question ne comporte pas de mesure d’exécution.
Un accès contemporain finalement limité des justiciables au recours en annulation : une interprétation restrictive de la notion « d’affectation directe » et de « l’absence de mesures d’exécution »
823 • S’il existe une mesure d’exécution, quelle qu’elle soit, cela suffit à écarter l’application de l’article mentionnée. Il en a été jugé ainsi à propos de « l’affaire des raffineurs de sucre de canne » dont les recours en annulation contre des règlements d’exécution de la Commission ont été déclarés irrecevables (CJUE, 28 avril 2015, T & L Sugars Ltd et Sidul Açúcares Unipessoal Lda contre Commission européenne, Aff. n°C-456/13). La CJUE y précise la double condition d’être directement concerné et celle relative à l’absence de mesures d’exécution subordonnant la qualité pour agir des particuliers contre ces actes. La Cour constate d’abord, de façon classique, que la condition de l’affectation directe n’est pas remplie dans la mesure où les requérantes n’ont pas la qualité des producteurs de sucre et ne sont pas directement affectées dans leur situation juridique par les normes en question (§ 37). Quant à la condition relative à l’absence de mesures d’exécution, la Cour précise que les règlements d’exécution ne produisent d’effets juridiques à l’égard des deux entreprises demanderesses que par l’intermédiaire d’actes administratifs nationaux pris par les autorités nationales (§ 40) (les autorités nationales devaient en effet déterminer, après avoir identifié les demandeurs, la véracité, l’exhaustivité et l’exactitude de leur demande pour décider de l’acceptation ou du rejet de la délivrance des certificats et certificats à l’importation demandés). Comme peut le relever, en conséquence, Georgieva Tsvetanka, « la simple intervention d’une autorité administrative nationale dans le processus de mise en œuvre d’un acte réglementaire suffit pour que la condition tenant à l’absence de mesures d’exécution ne soit pas remplie » (G. Tsvetanka, « L’affaire des raffineurs de sucre de canne : un recours en annulation raffiné, mais sucré ? », Journal d’actualité des droits européens 2015, http://jade.u-bordeaux.fr). C’est contraire à l’interprétation classique de la jurisprudence qui veut que « tout acte adopté par l’autorité nationale du seul fait que la prise de cet acte lui incombe ne constitue pas une mesure d’exécution au sens de l’article 263 al. 4 TFUE » (§ 30 des conclusions contraires en ce sens de l’Avocat général Cruz Villalón) et selon laquelle « il est important de tenir compte, concrètement et dans chaque cas, de la nature, mais également de la forme et de l’intensité, de la collaboration requise des autorités nationales » (Ibid. ; Cf. CJCE 11 janvier 1985, SA Piraiki-Patraiki et autres contre Commission des Communautés européennes, Aff. n°C-11/82 qui retient une définition matérielle de l’affectation directe en observant que le fait pour deux entreprise requérantes d’avoir conclu des contrats avant l’adoption de la décision litigieuse « les caractérise par rapport à toute autre personne concernée par cette décision, en ce que l’exécution de leur contrat a été empêchée, en tout ou partie, par l’adoption de la décision », §19). Partant, la condition de l’absence de mesures d’exécution ne peut qu’être difficilement atteinte, la voie ouverte par le Traité de Lisbonne à l’article 263, alinéa 4, demeurant finalement, pour le moment, plutôt fermée aux requérants ordinaires directement concernés par un acte réglementaire comportant des mesures d’exécution.
4 – Un renvoi préjudiciel au juge de l’Union pour une recherche complète de l’Etat de droit
i/ Les réticences initiales affichées par les juridictions nationales
La mise en place de la théorie de « l’acte clair » (1)
824 • Dans le cadre de l’Union européenne, le dialogue des juges s’appuie en premier lieu sur la pratique du renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE. C’est une coopération entre les juges nationaux et la Cour de justice qui est ainsi organisée, il n’y a pas de subordination des juges nationaux à une Cour fédérale. Le but est d’éviter les risques de divergences ou de contrariétés à propos de l’interprétation ou de l’appréciation de la légalité des actes européens. Si les traités européens ont toujours prévu une obligation de renvoi, ce dernier repose néanmoins sur la bonne volonté des juges internes, il n’y a pas de hiérarchie organique avec la CJUE ni de moyens de sanction. Le mécanisme a ainsi été considéré, pendant de nombreuses années, comme un moyen de contrainte pour les juges nationaux français qui se sont reconnus un pouvoir d’interprétation des textes de l’Union en ne procédant au renvoi préjudiciel qu’en cas de difficulté sérieuse. C’est le Conseil d’Etat qui a ainsi reconnu la théorie de « l’acte clair » par laquelle il peut, lui-même, interpréter une norme européenne à partir du moment où cette interprétation n’engendre pas de difficulté réelle, que la norme est suffisamment claire, que sa signification apparait avec netteté et évidence et donc qu’il n’existe aucun doute (CE, 19 juin 1964, Société des pétroles Shell-Berre, req. n°47007, Rec. CE, p. 344, RDP 1964, p. 1019, concl. N. Questiaux) avant que celle-ci ne soit aussi utilisée par la Cour de cassation (Cass., crim., 29 juin 1966, n° de pourvoi : 64-93745, Bull. crim., n°184 ; Cass., crim., 5 janvier 1967, Lapeyre, n° de pourvoi : 65-93.567, Bull. crim., n°8).
La mise en place de la théorie de « l’acte clair » (2)
825 • On a pu parfois parler d’abus dans l’utilisation de la théorie notamment quand la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est abstenu de procéder à un renvoi dans des hypothèses où la question relative au droit de l’Union n’avait pas été tranchée et de surcroit n’était pas claire (Cf. Par ex., Cass., crim., 18 octobre 1988, Desolière, n° de pourvoi : 87-90.364, Bull. crim.n°352 à propos du périmètre du monopole des pharmaciens d’officine ou Cass., crim., n° de pourvoi : 90-87686, Bull. crim. n° 133 à propos du repos dominical et sa compatibilité avec les dispositions du traité CE). Le Conseil d’Etat a pu, de même, abuser de la théorie en déclarant par cinq fois, les dispositions communautaires claires au cour d’un même litige pour déjouer voire annihiler la compétence interprétative de la Cour de justice (CE, Ass., 12 octobre 1979, Syndicat des importateurs de vêtements et produits artisanaux, req. n°08788, Rec. CE, p. 373, RTDE 1979, p. 730, concl. J. Massot, AJDA 1980, p. 83, chron. Y. Robineau et M.-A. Feffer) ou en considérant comme « claires » des dispositions qui ne l’étaient que pour lui, les parties comme les commissaires du gouvernement ou rapporteurs publics émettant de sérieux doutes à ce sujet (On a pu parler, à cet égard, d’un « nationalisme outrancier, poussant à l’obscuration » Cf. H. Labayle, « Le Conseil d’Etat et le renvoi préjudiciel à la CJCE », AJDA 1983, p. 155) ou d’un certain « chauvinisme jurisprudentiel » (P. Daillier, M. Forteau et A. Pellet, Droit international public, Paris, LGDJ, 2009, 8ème éd., p. 261).
Une théorie pas incompatible avec le droit de l’Union
826 • Lorsqu’il a fallu analyser les abus des juridictions nationales dans l’utilisation de la théorie de l’acte clair, certains ont pu les qualifier comme étant « la nécessité d’un apprentissage des subtilités de la coopération juridictionnelle » (D. Simon, « La contribution de la Cour de cassation à la construction juridique européenne : Europe du droit, Europe des juges. Avant-propos », Rapport annuel 2006 de la Cour de cassation, Paris, La Documentation française 2007, p. 79 et J.-F. Couzinet, « Le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et le renvoi préjudiciel » Mélanges Isaac, Toulouse, PUSS, 2004, t. 2, p. 803). Dans l’absolu, la théorie de l’acte clair n’est pas incompatible avec le droit de l’Union dans la mesure où la Cour de justice admet que le renvoi ne s’impose que lorsqu’il existe un doute raisonnable sur le sens d’une norme de droit de l’Union, l’absence de doute amenant à dissoudre naturellement l’obligation (CJCE, 6 octobre 1982, Srl CILFIT et Lanificio di Gavardo SpA contre Ministère de la santé, Aff. n° C-283/81, Rec. CJCE, p. 3415, § 21). Mais elle adopte une conception beaucoup plus stricte de la notion de doute ou de difficulté sérieuse sur le sens ou la portée du droit de l’Union. La Cour de justice ne permet l’utilisation de la théorie que lorsque les termes de l’acte ne laissent place à aucune équivoque ou lorsqu’il existe une jurisprudence permettant sans aucun doute d’interpréter l’acte ou d’en affirmer la légalité (application de la règle du précédent). Le Conseil d’Etat estime, quant à lui, que l’obligation de poser la question préjudicielle ne s’impose que lorsque le juge national n’est pas parvenu de lui-même à l’interprétation de l’acte ou à la conclusion de sa légalité, même lorsque cette conclusion nécessite un effort d’interprétation. Certains ont pu ainsi parler de « différence de degré dans l’utilisation » plutôt qu’une « différence de nature » sur la possibilité de recourir à la théorie (A. Pécheul, « Renvoi devant la cour de justice de l’Union européenne », Jurisclasseur administratif, Fasc. 38, 2017) ou d’une « divergence quantitative d’appréciation » (S. Platon, « La pratique du Conseil d’Etat en matière de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne », AJDA 2015, p. 260).
ii/ Une pratique contemporaine des juridictions nationales beaucoup plus ouverte
Des juridictions nationales qui donnent une portée très large au mécanisme
827 • Un véritable « dialogue des juges » est parvenu à s’instaurer. Il y a une progression croissante du nombre de questions préjudicielles posées par des juges qui, on le rappelle, n’y sont pas obligées. Il n’y a plus aucune réserve sur la pratique de ces questions préjudicielles qui font l’objet d’un usage beaucoup plus régulier que ce soit pour l’interprétation des dispositions des traités constitutifs (par ex., pour le traité CEE : CE, sect., 28 juin 1974, Charmasson, Rec. CE, p. 376, RTDE 1975, p. 105, concl. R. Denoix de Saint-Marc ; Cass., com., 20 janvier 1987, n° de pourvoi : 85-10727, Bull. IV, n°21), des règlements (par ex., CE, sect., 10 juillet 1970, Synacomex, Rec. CE, p. 477, AJDA 1971, concl. N. Questiaux ; Cass., crim., 3 octobre 1994, n° de pourvoi : 93-80109, Bull. crim. n°309), des directives (par ex., CE, plénière, 13 décembre 1991, Société anonyme Satan, req. n°61379 ; Cass., soc., 28 mars 1995, n° de pourvoi : 90-41231, Bull. soc. n°618) ou encore de la Charte des droits fondamentaux (Cass., soc., 29 mai 2013, n° de pourvoi : 11-22376 à propos de l’article 31 de la Charte et l’interprétation de la notion de travailleur). La portée la plus large étant donnée, par la jurisprudence, aux actes susceptibles de renvoi. Il existe toujours des illustrations de la théorie de l’acte clair (par ex : Cass, 1ère civ., 19 décembre 1995, Banque africaine de développement, n° 93- 20424 ; CE, 21 novembre 2007, Commune de Sausheim, req. n°280969 ; CE, 4 mars 2009, Société fiduciaire nationale d’expertise comptable, req. n°310979 ; CE, 6 novembre 2009, Société Mosanto SAS, req. n°313605 ; CE, 1er août 2013, Association générale des producteurs de maïs, req. n°358103) ou de la règle du précédent jurisprudentiel à propos d’arrêts précédemment rendus par la Cour de justice (CE, 9 novembre 2015, M. A. B., req. n°386296 ; CE, 11 décembre 2015, FranceAgriMer contre Société Fléchard, req. n°380102 ; CE, 26 février 2016, Syndicat mixte de chauffage urbain de la Défense (SICUDEF) contre Société de climatisation interurbaine de la Défense, req. n°386483). Les juridictions nationales sollicitent aussi souvent la Cour de justice pour qu’elle procède à certaines qualifications. On peut citer, à titre d’exemple, le renvoi à la Cour de justice pour savoir si un dispositif de soutien à l’énergie éolienne devait être regardé comme une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat (CE, 28 mai 2014, Association Vent de colère ! Fédération nationale et autres, req. n°324852, AJDA 2014, p. 1784, note O. Mamoudy, RFDA 2014, p. 783, concl. C. Legras).
Des juridictions nationales qui reconnaissent les effets attachés à l’exercice du mécanisme : le cas des réponses du juge de l’Union dépassant la question posée
828 • La Cour de justice a développé une conception assez large du mécanisme au nom de l’interprétation uniforme du droit de l’Union. Elle n’a jamais hésité à reformuler, restreindre ou élargir les questions posées par les juridictions nationales. Le Conseil d’Etat a longtemps refusé les effets attribués aux réponses alors apportées par la Cour lorsque celles-ci allaient au-delà de la question posée. Les appréciations faites qui n’entrent pas dans les limites de la question posée par le juge ne pouvant s’imposer avec l’autorité de la chose jugée (CE, sect., 26 juillet 1985, Office national interprofessionnel des céréales contre Maïseries de la Beauce, req. n°42204, Rec. CE, p. 233, AJDA 1985, p. 615, concl. B. Genevois) avant de céder en 2006 à travers un arrêt de principe. Le juge accepte dorénavant d’appliquer l’intégralité de la réponse même si les réponses de la Cour de justice dépassent le champ de la question posée (CE, Ass., 11 décembre 2006, Société De Groot En Slot Allium B.V. et Société Bejo Zaden B.V., req. n°234560, Rec. CE, p. 512, RTDE 2007, p. 473, note F. Dieu, D. 2007, p. 994, note O. Steck, AJDA 2007, p. 136, chron. C. Landais et F. Lenica, RFDA 2007, p. 372, concl. F. Séners). De même, la méconnaissance par une juridiction nationale de l’obligation de renvoi peut permettre à la Commission de déclencher la procédure de manquement et, ainsi, de saisir de la Cour de justice pour qu’elle engage la responsabilité de l’Etat membre concerné pour violation caractérisée du droit de l’Union (CJCE, 30 septembre 2003, Gerhard Köbler contre Republik Österreich, Aff. n°C-224/01, Rec. CJCE, I, p. 10239 ; CJCE, 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo SpA contre Italie, Aff. n°C-173/03, Rec. CJCE, I, p. 5177).
Des juridictions nationales qui reconnaissent les effets attachés à l’exercice du mécanisme : la responsabilité de l’Etat si méconnaissance de l’obligation de renvoi
829 • Le Conseil d’Etat, alors qu’il refusait jusque-là d’engager la responsabilité de l’Etat en raison du contenu même d’une décision de justice administrative (CE, Ass., 29 décembre 1978, Darmont, req. n°96004, Rec. CE, p. 542), est finalement revenu sur sa jurisprudence dans le cas où le contenu même d’une décision de justice est entaché d’une violation manifeste du droit de l’Union ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (CE, 18 juin 2008, Gestas, req. n°295831, RFDA 2008, p. 755, concl. S. de Salins et p. 1178, note D. Pouyaud). Par contre, il est nécessaire qu’une faute lourde existe pour engager la responsabilité de l’Etat dans ce cas, ce qui n’équivaut pas à la « violation suffisamment caractérisée » exigée par la Cour de justice (Voir, en ce sens S. Platon, « La pratique du Conseil d’Etat en matière de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne », AJDA 2015, p. 260). Cela reste en retrait par rapport à la reconnaissance de la responsabilité pour faute simple de l’Etat du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice administrative (CE, Ass., 28 juin 2002 Ministre de la justice contre Magiera, req. n°239575). Si on peut avoir des doutes sur une telle mise en jeu de la responsabilité par le Conseil d’Etat et si l’on connait les réticences de la Commission à engager une action en manquement pour un défaut des juridictions nationales, il faut noter que la carence d’une juridiction à poser une question préjudicielle à la Cour de justice peut être sanctionnée par la CourEDH. Elle peut, en effet, empêcher la mise en œuvre de la protection des droits fondamentaux au niveau de l’Union et, à ce titre, ne pas assurer une protection équivalente à celle assurée par la ConvEDH (Cf. CourEDH, 6 décembre 2012, Michaud contre France, req. n°12323/11 où le Conseil d’Etat s’était abstenu d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité de directives relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux aux droits fondamentaux, notamment par rapport au respect de la vie privée, alors que ces directives imposaient aux avocats, au même titre que les experts comptables et les commissaires aux comptes, de déclarer leurs soupçons relatifs aux éventuelles activités de blanchiment menées par leurs clients, la Cour jugeant néanmoins que l’obligation ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel et au droit au respect de la vie privée).
Une Commission prête aujourd’hui à engager une action en manquement pour défaut de renvoi préjudiciel par les juridictions nationales : l’arrêt « Commission contre France »
830 • Jusqu’à maintenant la Commission avait toujours été réticente à mettre en cause les Etats pour défaut de renvoi de questions préjudicielles. Pour autant, le juge de l’Union, sur une action de la Commission, a, récemment, pour la première fois, dans une affaire fiscale, mis en cause une juridiction nationale, qui plus est le Conseil d’Etat, pour manquement autonome à ses obligations lui incombant en vertu du droit de l’Union (CJUE, 4 octobre 2018, Commission européenne contre France, Aff. n°C-416/17, AJDA 2018, p. 2280, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser, D. 2019, p. 240, note P.-A. Cazau, RFDA 2019, p. 139, note A. Iliopoulou-Penot, RTDE 2019, p. 474, chron. L. Coutron). Si cette subite évolution peut se justifier par une certaine jurisprudence (la Cour ayant déjà indiqué que l’un des critères devant être pris en considération lors de l’examen de la responsabilité d’un Etat membre du fait d’une juridiction suprême tient à « l’inexécution, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel en vertu de l’article [267], troisième alinéa [TFUE] » (CJCE, GC, 30 septembre 2003, Gérard Köbler / Republik Österreich, Aff. n°C-224/01, §55)), le juge de l’Union s’était jusque-là toujours abstenue de constater une telle violation. On trouve à l’origine de l’affaire un arrêt de la CJUE déclarant incompatible avec le droit de l’Union le mécanisme français de prévention de la double imposition dans le cas des sociétés mères-filles (CJUE 15 septembre 2011, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique contre Accor SA, Aff. n°C-310/09). A la suite de cette décision, le Conseil d’Etat a rendu plusieurs arrêts qui ont provoqué des plaintes devant la Commission (CE, 10 décembre 2012, Société Rhodia, req. n°317074 ; CE, 10 décembre 2012, Société Accor, req. n°317075). La France refusant d’accéder à l’avis de la Commission lui enjoignant d’adopter certaines mesures, l’institution a introduit un recours en manquement en soutenant que le Conseil d’Etat aurait dû procéder à un renvoi préjudiciel avant de fixer les modalités de remboursement du précompte mobilier « dès lors qu’une question relative à l’interprétation du traité FUE est soulevée devant elle » (§ 108) et qu’il « n’existe aucun recours juridictionnel contre la décision d’une juridiction nationale » (§ 108). Un manquement pouvant être constaté « quel que soit l’organe de cet Etat dont l’action ou l’inaction est à l’origine du manquement, même s’il s’agit d’une institution constitutionnellement indépendante » (§ 107).
iii/ Un dialogue qui arrive à maturité
La reconnaissance du principe de sécurité juridique par le juge administratif : l’arrêt « KPMG »
831 • Les juges de l’Union et des Etats membres tendent désormais vers des objectifs communs : garantir l’application effective des règles de l’Union européenne et faire disparaître les règles nationales incompatibles tout en poursuivant l’intégration juridique. Dans de nombreux domaines, même lorsqu’il ne statue que sur le fondement des principes ou de textes de droit interne, le juge administratif français prend en compte la jurisprudence de la CJUE. C’est d’un dialogue avec la CJUE que procède, par exemple, la reconnaissance par le juge administratif français du principe de sécurité juridique. Reconnu en 1962 par la Cour de justice comme une règle de droit à respecter dans l’application du Traité (CJCE, 6 avril 1962, Kledingverkoopbedrijf de Geus en Uitdenbogerd contre Robert Bosch, Aff. n°13/61, Rec. CJCE, p. 89), le principe a ensuite été vu comme une « exigence fondamentale » (CJCE, 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries Ltd contre Commission des Communautés européennes, Aff. 48/69, Rec. CJCE, p. 619). Le Conseil d’Etat a longtemps limité l’application d’un tel principe dans l’ordre juridique national aux seuls litiges régis par le droit de l’Union (CE, 19 juin 1992, FDSEA des Côtes du Nord, req. n°65 432, Rec. CE, p. 51) avant qu’il ne reconnaisse, de façon générale, l’application du principe à tous les litiges en ce qu’il implique, notamment, d’édicter des mesures transitoires lorsqu’un changement de réglementation est susceptible de porter une atteinte excessive à des situations contractuelles en cours et qui ont été légalement formées. Le principe étant érigé en principe général du droit (CE, Ass., 24 mars 2006, , Société KPMG, Société Ernst & Young Audit, req. n°288460, Rec. CE, p. 154, AJDA 2006, p. 1028, chron. C. Landais et F. Lenica, p. 841, tribune B. Mathieu et p. 897, tribune F. Melleray, RFDA 2006, p. 463, concl. Y. Aguila et p. 483, note F. Moderne, RDP 2006, p. 1169, note J.-P. Camby, RDP 2007, p. 285, note J.-M. Woehrling ; CE, sect., 13 décembre 2006, Madame Lacroix, req. n°287845, Rec. CE, p. 541, concl. M. Guyomar, AJDA 2007, p. 358, chron. F. Lenica et J. Boucher, RFDA 2007, p. 6, concl. M. Guyomar et p. 275, note G. Eveillard, RDP 2007, p. 590, chron. C. Guettier).
La reconnaissance du principe de sécurité juridique par le juge administratif : la remise en cause potentielle du principe de légalité formelle des actes (1)
832 • Il y a aujourd’hui un mouvement général de redéfinition des conditions d’appréciation de la validité des actes administratifs devant le juge administratif pour satisfaire au principe de sécurité juridique qui, au lieu d’instaurer un équilibre avec le principe de légalité, fait pencher la balance davantage vers le premier nommé (Cf. le dossier « Légalité et sécurité juridique, un équilibre rompu ? », AJDA 2019, p. 1086 et les articles, notamment de F. Poulet, « Sécurité juridique et fermeture du prétoire », AJDA 2019, p. 1088 et suiv. et O. Mamoudy, « Sécurité juridique et hiérarchisation des illégalités dans le contentieux de l’excès de pouvoir », AJDA 2019, p. 1108 et suiv.). Ce mouvement a été initialement lancé, dans les années 2000, par l’arrêt « AC ! » (CE, Ass., 11 mai 2004, AC !, req. n°255886, AJDA 2004, p. 1183, chron. C. Landais et F. Lenica, p. 1049, tribune J.-C. Bonichot, RFDA 2004, p. 438, note J.-H. Stahl et A. Courrèges et p. 454, concl. C. Devys, Justice et Cassation 2007, p. 15, étude J. Arrighi de Casanova) qui laisse la possibilité au juge de moduler dans le temps les effets d’une décision contentieuse (voir, par ex., J. Rebellato, « La modulation dans le temps des règles jurisprudentielles nouvelles », JCP 2015, A, n°2187) et qui enclenche la possibilité d’une réflexion pour le juge sur la gravité de l’irrégularité affectant l’acte et des possibilités d’y remédier sans forcément l’annuler. Cela touche d’abord la légalité formelle de l’acte. C’est la jurisprudence « Danthony » (CE, Ass., 23 décembre 2011, Danthony et autres, req. n°335033, Rec. CE, p. 649 ; AJDA 2012, p. 1609, tribune B. Seiller, RFDA 2012, p. 284, concl. G. Dumortier et CE, sect., 23 décembre 2011, Danthony et autres, req. n°335477, Rec. CE, p. 737, AJDA 2012, p. 195, chron. X. Domino et A. Bretonneau, p. 1484, étude C. Mialot, D. 2013, p. 324, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot, RFDA 2012, p. 284, concl. G. Dumortier, p. 296, note P. Cassia, p. 423, étude R. Hostiou) et, à sa suite, la décision « SNETAP-FSU » (CE, 27 avril 2012, Syndicat national de l’enseignement technique agricole [SNETAP-FSU], req. n°348637) qui ont, ensuite, affirmé, au niveau de la légalité formelle de l’acte, que toute irrégularité affectant la procédure d’élaboration d’un acte administratif n’entraîne pas systématiquement et nécessairement son annulation. Le juge n’annule plus désormais systématiquement et procède à un examen in concreto de la situation qui lui est soumise.
La reconnaissance du principe de sécurité juridique par le juge administratif : la remise en cause potentielle du principe de légalité formelle des actes (2)
833 • Il faut, ensuite, évoquer, la jurisprudence « Czabaj » (CE, ass., 13 juillet 2016, Czabaj, req. n°387763, AJDA 2016, p. 1629, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, RFDA 2016, p. 927, concl. O. Henrard) faisant en sorte que les actes individuels non notifiés ou mal notifiés ne peuvent plus être attaqués indéfiniment. Il est fixé un délai raisonnable d’un an au-delà duquel il est impossible d’exercer un recours juridictionnel contre l’acte laissant, de la sorte, un champ d’action conséquent au juge. Cette solution a été étendue au contentieux fiscal et à l’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) (CE, sect., 31 mars 2017, Ministre des finances et des comptes publics, req. n°389842), aux recours formés contre un titre exécutoire (CE 9 mars 2018, Communauté d’agglomération du pays ajaccien, req. n°401386, AJDA 2018, p. 1790, note D. Connil), aux recours en responsabilité fondés sur l’illégalité fautive d’une décision à objet purement pécuniaire (CE 9 mars 2018, Communauté de communes du pays roussillonnais, req. n°405355, AJDA 2018, p.1790, note D. Connil), aux recours formés contre une autorisation d’urbanisme (CE 9 novembre 2018, M. B. C. contre Commune de Saint-Germain-en-Laye, req. n°409872, RDI 2019, p. 120, obs. P. Soler-Couteaux) ou encore aux recours exercés contre une décision implicite de rejet (CE 18 mars 2019, Mme A. B. contre Préfet du Val de Marne, req. n°417270). La décision « Fédération des finances de la CFDT » constitue la suite logique de cette évolution parce qu’elle vient limiter strictement dans le temps l’opérance des vices de forme et de procédure lors de la contestation d’un acte réglementaire devant le juge administratif (CE, Ass., 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, req n°414583, AJDA 2018, p. 1206, chron. S. Roussel et C. Nicolas, RFDA 2018, p. 649, concl. A. Bretonneau). Ces derniers ne pouvant plus être invoqués dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision refusant d’abroger l’acte ou par voie d’exception. Si cette évolution, au final, fait débat (voir, P. Delvolvé, « La limitation dans le temps de l’invocation des vices de forme et de procédure affectant les actes réglementaires – Des arguments pour ? », RFDA 2018, p. 665 et suiv. et D. de Béchillon, « La limitation dans le temps de l’invocation des vices de forme et de procédure affectant les actes réglementaires – Contre », RFDA 2018, p. 662 et suiv.), elle profite, en tout cas, en grande partie, à l’administration plus qu’au justiciable.
La reconnaissance du principe de protection de la confiance légitime
834 • Le dialogue a permis, de même, à ce que le Conseil d’Etat contrôle dorénavant le respect du principe de protection de la confiance légitime (CE, Ass., 11 juillet 2001, Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, req. n°219494, Rec. CE, p. 340, RFDA 2002, p. 33, concl. F. Séners, et p. 43, note L. Dubouis ; CE, 30 mars 2007, Société Enel, req. no289687, Rec. CE, p. 133 ; CE, 10 avril 2009, Association le maintien de l’élevage en Bretagne, n° 310184, Rec. CE, p. 159). Celui-ci a été reconnu par la Cour de justice comme faisant partie de l’ordre juridique communautaire (CJCE, 3 mai 1978,Gesellschaft mbH in Firma August Töpfer & Co. contre Commission des Communautés européennes, Aff. n°112/77, Rec. CJCE, p. 1019), puis comme s’inscrivant parmi les principes fondamentaux de la Communauté (CJCE, 5 mai 1981, Firma Anton Dürbeck contre Hauptzollamt Frankfurt am Main-Flughafen, Aff. n°112/80, Rec. CJCE, p. 1095) ou dans les principes généraux du droit (CJCE, 26 avril 1988, Hauptzollamt Hamburg-Jonas contre Krücken, Aff. n°316/86, Rec. CJCE, p. 2213). A noter que le principe ne trouve à s’appliquer dans l’ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par ce droit (Voir, par ex., CE, 16 mars 1998, Association des élèves et parents d’élèves et professeurs des classes préparatoires vétérinaires et Poujol, req. n°190768, Rec. CE, p. 85 ; CE, 12 avril 2012, Syndicat national des producteurs d’énergie photovoltaïque, req. n°337528 ; CE, 3 décembre 2012, Société Ecomotion France e.a., req. n°354444).
La contribution des impératifs communautaires à la modernisation de l’office et du renforcement de l’office du juge national
835 • De nombreuses techniques destinées à assurer l’équilibre des intérêts en présence dans le procès ont été développées. On peut citer, à titre d’exemple, la reconnaissance par le Conseil d’Etat, à l’occasion d’un litige concernant la mise en œuvre du droit de l’Union, du pouvoir de préciser d’office, et non à la demande des parties, les conséquences nécessaires de l’annulation qu’il prononce (CE, Ass., 29 juin 2001, Vassilikiotis, req. n°213229, Rec. CE, p. 303, concl. F. Lamy ; CE, 3 décembre 2010, Société SMP technologie et association de tireurs et autres, req. n°332540, Rec. CE, p. 615). Le juge pouvant déterminer le contenu des dispositions réglementaires qui devront être adoptées (CE, 28 avril 2003, Fédération française des courtiers d’assurance et de réassurance et autres, req. n°233343 et n°233474, Rec. CE, p. 704 et p. 856) ou laisser à l’administration le choix entre différentes mesures permettant de rétablir la légalité (CE, 27 juillet 2001, Titran, req. n°222509, Rec. CE, p. 441, AJDA 2001, p. 1046, chron. M. Guyomar et P. Collin). Il y a aussi le pouvoir de moduler les effets dans le temps de ces mêmes annulations (CE Ass., 11 mai 2004, Association AC !, req. n°255886, précité) ou celui de moduler dans le temps des effets d’un revirement de jurisprudence (CE, Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, req. n°291545, Rec. CE, p. 360). L’influence du droit de l’Union a aussi été notable, sur ce point, devant le juge judiciaire (Voir, en ce sens, B. Le Baut-Ferrarese, « L’opposabilité du droit de l’Union européenne à l’Etat devant la Cour de cassation », in J.-S. Bergé et G. Canivet (dir.), La pratique du droit de l’Union Européenne par le juge judiciaire, Paris, Dalloz, 2016, p. 9 et suiv.).
iv/ Une volonté d’utiliser l’intégralité des règles du renvoi préjudiciel sans arrières pensées
Une absence de renvois en raison d’une légitimité nouvelle à s’approprier les logiques de raisonnement du juge de l’Union : l’exemple de « la bonification d’ancienneté des pensions de retraite des fonctionnaires »
836 • Dans le cadre du régime de retraite des fonctionnaires et sur la question de l’égalité de traitement, le Conseil d’Etat s’est d’abord aligné sur les exigences européennes (CJCE 29 novembre 2001, Joseph Griesmar contre Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et Ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’Etat et de la Décentralisation, Aff. n°C-366/99, Rec. CJCE, p. 9383) en reconnaissant l’incompatibilité du système des pensions (CE, 29 juillet 2002, Griesmar, req. n°141112). Il créé, en effet, une discrimination injustifiée en raison du sexe, dès lors que les hommes qui s’étaient arrêtés de travailler pour assumer l’éducation de leurs enfants ne pouvaient bénéficier de la bonification d’ancienneté au même titre que les femmes. Mais la réforme opérée a été incomplète puisque l’avantage de la bonification d’ancienneté (un an par enfant) ainsi que la possibilité de retraite anticipée avec jouissance immédiate de la pension sont restés en effet subordonnés au respect de la condition d’avoir suspendu ou interrompu son activité professionnelle de manière continue pendant au moins deux mois. Le Conseil d’Etat ayant refusé à plusieurs reprises de poser en ce sens une question préjudicielle à la Cour, c’est la Cour administrative d’appel de Lyon qui s’en est chargé (CAA Lyon, 3 juillet 2013, M. A., req. n° 12LY02596, AJDA 2013, p. 1365, obs. M.-C. Montecler). Le juge de l’Union a confirmé l’existence d’une discrimination indirecte. La condition des deux mois d’interruption, d’apparence neutre, bénéficiant principalement aux femmes dont le congé maternité entraîne automatiquement une interruption d’activité de deux mois minimum, ce dont ne peuvent se prévaloir les hommes (CJUE 17 juill. 2014, Maurice Leone et Blandine Leone contre Garde des Sceaux, ministre de la Justice et Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, Aff. n°C-173/13, §79). Cela n’a pas empêché le Conseil d’Etat de continuer dans sa voie (appuyé en cela par le Conseil constitutionnel qui a validé la réforme : CC, n°2003-483 DC, 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites, JO, 22 août 2003, p. 14343, Rec. CC, p. 430). Ce dernier estimant que si le régime opère en effet une discrimination indirecte en raison du sexe, elle n’en était pas moins justifiée. Tant la bonification que le régime de retraite anticipée poursuivent un objectif légitime de politique sociale, les statistiques démontrant que les femmes fonctionnaires connaissent une progression de carrière moindre que leurs homologues masculins et que le système transitoire ainsi établi offre « dans une mesure jugée possible […] une compensation partielle et forfaitaire des retards et préjudices de carrière manifestes qui les ont pénalisées » (CE, Ass., 27 mars 2015, Quintanel, req. n° 372426, Rec. CE, p. 119, AJDA 2015, p. 1761, note G. Alberton, D. 2015, p. 807, obs. G. Poissonnier, RFDA 2015, p. 550, concl. B. Dacosta).
Des renvois préjudiciels destinés dorénavant à maximiser la portée du droit de l’Union : l’exemple de la jurisprudence « Arcelor » et le contrôle des actes réglementaires transposant des directives
837 • Il faut citer en premier lieu la jurisprudence « Arcelor » (CE, Ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, req. n°287110, Rec. CE, p. 55, concl. M. Guyomar, RFDA 2007, p. 384, concl. M. Guyomar, AJDA 2007, p. 577, chron. F. Lenica et J. Boucher et p. 1097, tribune P. Cassia, D. 2007, p. 2272, note M. Verpeaux, RTDE 2007, p. 378, note P. Cassia) par laquelle le Conseil d’Etat a précisé les modalités du contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires de transposition des dispositions inconditionnelles et précises des directives européennes. Si une disposition constitutionnelle est invoquée devant le juge administratif, celui-ci doit rechercher s’il existe une règle ou un PGD de l’Union qui, eu égard à sa nature et à sa portée et tel qu’il est interprété par le juge de l’Union, garantit, par son application, l’effectivité du respect de la disposition constitutionnelle invoquée. Si la réponse est positive, le juge administratif doit rechercher, pour s’assurer de la constitutionnalité du décret, si la directive, que ce décret transpose, est conforme à cette règle ou à ce PGD de l’Union. Dans ce cas, s’il y a difficulté sérieuse, il doit saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle en appréciation de validité. En revanche, s’il n’existe pas de règle ou de PGD de l’Union garantissant l’effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d’examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées. En agissant ainsi le Conseil d’Etat transfère un litige mettant en cause la constitutionnalité d’un décret sur le terrain du droit de l’Union ce qui, même si la supériorité de la Constitution est préservée, maximise la portée du droit de l’Union. Il en a fait une application probante dans une affaire où était en cause le principe de précaution (CE, 3 octobre 2016, Confédération paysanne, req. n° 388649, Rec. CE, p.400, RTDE 2017, p. 322, chron. D. Ritleng, AJDA 2017, p. 288, note F. Tarlet et G. Léonard). A noter que, même si la logique amènerait à l’évidence à aligner le traitement contentieux des règlements européens sur celui des directives, le juge administratif a préféré laisser ouverte la question de la limitation du contrôle de constitutionnalité d’un acte administratif d’exécution d’un règlement de l’Union au cas d’absence d’un principe équivalent en droit de l’Union (CE, 30 janvier 2017, La Cimade e.a., req. n°394686, AJDA 2017, p. 821, concl. X. Domino). Le rapporteur avait pourtant clairement préconisé d’appliquer la logique Arcelor.
Des renvois préjudiciels destinés à maximiser la portée du droit de l’Union : l’exemple de la jurisprudence « Jacob » et la question des « discriminations à rebours » (1)
838 • La fixation des impôts directs ne relève pas de la compétence de l’Union mais le législateur européen peut être amener à régler des difficultés liées au caractère transnational de certaines opérations par le biais de directives. Lors de la transposition de ces dernières, le législateur français a parfois souhaité étendre les dispositions prises au-delà des situations transnationales pour les intégrer aux situations purement internes. Le but étant d’éviter des discriminations à rebours qui permettent de traiter moins bien, au regard des quatre libertés du droit de l’Union, les nationaux que les ressortissants des autres Etats membres. Dans cette hypothèse, la question s’est posée de savoir si des contribuables n’entrant pas dans le champ d’une directive européenne étaient néanmoins fondés à en invoquer les dispositions dans un cadre strictement interne. Le Conseil d’Etat a d’abord refusé que les directives puissent être invoquées pour écarter, dans un litige relatif à une situation purement interne où elles ne sont pas applicables, une loi dont la lettre ne permet pas une interprétation conforme. Le moyen tiré de la méconnaissance, par la loi nationale, d’une directive est inopérant dans le cadre d’un litige relatif à une situation purement interne (CE, 17 janvier 2007, Banque fédérative du crédit mutuel, req. n°262967, Rec. CE, tables, p. 775, BDCF 2007, n° 43, concl. C. Vérot ; CE, 17 juin 2011, SARL Méditerranée Automobiles, req. n°324392; CE, 30 janvier 2013, Société Ambulances de France, req. n°346683, Rec. CE, tables, p. 562 et 565, RDF 2013, 7 mars, n°10, concl. C. Legras, note O. Fouquet, BDCF 2013 n° 42, concl. C. Legras ; CE, 3 décembre 2014, Ministre délégué chargé du budget contre Joulin, req. n° 367822, Rec. CE, tables, p. 635, 816 et 829). Devant ce refus persistant, les contribuables ont déplacé la question de la conformité de la loi à la directive sur le terrain constitutionnel. L’argumentation a été développée la première fois dans l’affaire « Technicolor » (CE, 15 décembre 2014, Société Technicolor, req. n°380942, Rec. CE, p. 387, BDCF 2015, n° 28, concl. E. Crépey) où le Conseil d’Etat a consacré la nécessité de lire la disposition fiscale de la même façon dans toutes les situations, purement internes comme internationales. Aucune rupture d’égalité n’intervenant, la QPC perdait tout caractère sérieux et ne pouvait de ce fait être transmise ce qui permettait de neutraliser un éventuel conflit entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité. Il fallait, toutefois, la réunion de conditions particulières pour parvenir à un tel résultat (absence d’incompatibilité frontale entre les textes, « clarté » de la directive, …).
Des renvois préjudiciels destinés à maximiser la portée du droit de l’Union : l’exemple de la jurisprudence « Jacob » et la question des « discriminations à rebours » (2)
839 • Le juge va encore aller plus loin à travers la décision Société Métro holding France (CE, 12 novembre 2014, Société Métro holding France, n° 367256, Rec. CE, tables, p. 647 et p. 849, DF 2015, n° 49, comm. 717, concl. B. Bohnert) en reconnaissant que, dans le cas où la loi est bien contraire aux dispositions de la directive, il peut en résulter une situation inégalitaire propre à justifier le renvoi d’une QPC au juge constitutionnel (le Conseil constitutionnel a effectivement conclu à une rupture du principe d’égalité : CC, n°2015-520 QPC, 3 février 2016, Société Metro Holding France SA venant aux droits de la société CRFP Cash, JO, 5 février 2016, texte n° 76). Pour autant, cela n’est possible que pour autant que l’interprétation du droit de l’Union ne pose pas de difficulté sérieuse. Dans le cas contraire, le Conseil d’Etat doit nécessairement poser une question préjudicielle à la Cour de Luxembourg. C’est le dernier acte de sa jurisprudence. Dans la logique de la solution visant à dire pour droit que le caractère prioritaire d’une QPC ne saurait mettre en cause la faculté, voire le devoir du juge national de lui poser à n’importe quel moment de la procédure une question préjudicielle (CJUE 22 juin 2010, Aziz Melki et Selim Abdeli, Aff. jointes n° C-188/10 et C-189/10, Rec. CJUE, p. 5667), l’Assemblée du contentieux a jugé, dans l’affaire « Jacob », que, lorsque l’appréciation du caractère sérieux d’une QPC dépend de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union présentant une difficulté sérieuse, le Conseil d’Etat doit saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle et rejeter la QPC. L’auteur de celle-ci sera cependant en droit de la poser à nouveau après la décision du juge de l’Union (CE, Ass., 31 mai 2016, Jacob, req. n°393881, Rec. CE, p. 91, concl. E. Cortot-Boucher, AJDA 2016, p. 1392, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, RFDA 2016, p. 989, concl. E. Cortot-Boucher, p. 1003, note H. Labayle et R. Mehdi, RTDE 2017, p. 39, étude A. Jauréguiberry, p. 314, chron. D. Ritleng ; CE, 27 juin 2016, Société APSIS, n° 398585, AJDA 2016, p. 2444, note V. Barbé).
Des renvois préjudiciels pour orienter ou faire évoluer la jurisprudence de la Cour : l’exemple de la décision « Mme Chupin et autres » et le « droit au déréférencement » (1)
840 • A l’origine, le Conseil d’Etat avait plutôt un rôle passif dans la transmission de la question préjudicielle se contentant d’une interrogation sur la portée d’une disposition du droit de l’Union ou d’une jurisprudence de la Cour de justice. Il a peu à peu dépassé ce rôle passif pour un rôle plus actif l’amenant à poser des questions de plus en plus détaillées à la Cour tout en donnant, parfois, un avis sur la réponse qui pourrait être apportée par le juge de l’Union. C’est notamment à l’occasion de la mise en œuvre du « droit au déréférencement » consacré par l’arrêt « Google Spain » (CJUE, GC, 13 mai 2014, Google Spain contre Agencia Española de Protección de Datos Mario Costeja Gonzalez, Aff. n°C-131/12) que le Conseil d’Etat a pu illustrer cette pratique. Par cet arrêt, la CJUE a déduit de la directive du 24 octobre 1995 sur le traitement des données à caractère personnel (Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, JOCE n° L 281, p. 313) un droit, à l’origine, improprement surnommé « droit à l’oubli » (I.-G. Badescu, « Le droit à l’oubli numérique », RUE 2017, p. 153 et suiv.). En réalité, le juge de l’Union a ajusté, dans l’arrêt en cause, les contours de la directive au plus près des caractéristiques particulières des moteurs de recherche et a édicté, par voie prétorienne, des nouvelles obligations dérivées de la directive les concernant. Le texte de la directive, en lui-même, confère aux personnes physiques des droits d’opposition au traitement de leurs données personnelles et de rectification des données traitées (art. 12 et 14). Le juge de l’Union a traduit ces droits en ce qu’on a précédemment appeler un « droit au déréférencement ». Ce dernier permet d’exiger d’un moteur de recherche qu’il supprime, de la liste des résultats affichées à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne. Ce droit peut être exercé quand le surcroît de publicité induit par le référencement porte à la vie privée une atteinte disproportionnée à la finalité du traitement, qui est de permettre l’accessibilité raisonnée des données en ligne.
Des renvois préjudiciels pour orienter ou faire évoluer la jurisprudence de la Cour : l’exemple de la décision « Mme Chupin et autres » et le « droit au déréférencement » (2)
841 • Saisie par quatre particuliers du refus de la CNIL d’enjoindre à la société Google de déréférencer des liens les concernant, l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a posé à la Cour de justice une série de questions préjudicielles portant sur la mise en œuvre de ce « droit au déréférencement » dans la mesure où les données personnelles soumises au contrôle du Conseil d’Etat n’étaient pas, au regard de la directive, du même type que celles en cause dans l’arrêt Google Spain (CE, 24 février 2017, Mme Chupin et autres, req. n°391000, n°393769, n°399999 et n°401258, AJDA 2017, p. 740, chron. G. Odinet et S. Roussel, DA 2017, n°6, juin, n°28, comm. A. Bretonneau, RFDA 2017, p. 535, concl. A. Bretonneau, D. 2017, p. 500, obs. M.-C. de Montecler, Dalloz IP/IT 2017, p. 479, obs. O. Henrard, RTDE 2017, p.803, chron. A. Bouveresse, Europe 2017, mai, repère n°1, D. Simon). Les faits différaient de l’arrêt Google Spain dans la mesure où les données traitées dans les affaires soumises au Conseil d’Etat, relevaient des données considérées comme « sensibles » alors que, dans l’arrêt Google Spain, les informations, comme leur traitement, étaient parfaitement licites et, de surcroît, non sensibles (la saisine du Conseil d’Etat concernait précisément : l’ex-directrice de cabinet d’un maire, qui se plaignait que la recherche sur Google menait à un photomontage insinuant qu’existait entre elle et l’édile une relation intime ; un ancien responsable de l’église de scientologie, qui souhaitait voir disparaître le lien vers un article relatif au suicide d’une adepte ; un ancien collaborateur d’un haut responsable du Parti républicain, demandant le déréférencement d’articles de presse sur sa mise en examen dans le cadre de l’affaire du financement de ce parti ; une personne condamnée pour agressions sexuelles sur mineurs, à propos de chroniques judiciaires relatant son procès).
Des renvois préjudiciels pour orienter ou faire évoluer la jurisprudence de la Cour : l’exemple de la décision « Mme Chupin et autres » et le « droit au déréférencement » (3)
842 • La saisine de la CJUE n’apparaissait pas forcément nécessaire dans la mesure où si un droit au déréférencement est conféré pour des données « non sensibles », il est logique quelque part qu’il le soit aussi pour des données « sensibles » voire « illicites ou incomplètes » et dans la mesure où le risque d’approche contraire du Conseil d’Etat n’apparaissait pas démesuré (la directive a, entre temps et en effet été abrogée avec l’entrée en vigueur du Règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données). Cela n’a pas découragé le juge administratif suprême qui a profité de la mise en place de ces questions préjudicielles pour entamer un dialogue nouveau avec la CJUE. Le Conseil d’Etat a d’abord posé huit questions préjudicielles au degré de précisions très avancée. L’habitude était plutôt de poser une question centrale dont les conséquences étaient ensuite déclinées à chaque cas de figure, le but étant d’incarner le plus possible les questions posées avec des cas concrets et d’obliger la Cour à tirer précisément les conséquences de sa jurisprudence pour chaque cas (Voir, en ce sens, G. Odinet et S. Roussel, « Renvoi préjudiciel : le dialogue des juges décomplexé », AJDA 2017, p. 740). Le Conseil d’Etat a ensuite fait connaitre sa position à la Cour de justice en marquant clairement sa réticence à suivre l’approche particulièrement large retenue par la Cour, à la faveur d’une protection renforcée des données personnelles, qui assimile les exploitants de moteur de recherche à des responsables autonomes du traitement des données. Il relève ainsi expressément qu’un tel positionnement « a des conséquences excessives qui s’attacheraient au fait de faire peser une telle interdiction [de traitement des données sensibles] sur l’exploitant d’un moteur de recherche […] » (Voir, en ce sens, A. Bouveresse, « La parfaite maîtrise, par le Conseil d’Etat, de son statut de juridiction européenne de droit commun », RTDE 2017, p. 803 et suiv.).
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