ARRÊT DE LA COUR
9 octobre 2001 (1)
«Annulation – Directive 98/44/CE – Protection juridique des inventions biotechnologiques – Base juridique – Article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE), article 235 du traité CE (devenu article 308 CE) ou articles 130 et 130 F du traité CE (devenus articles 157 CE et 163 CE) – Subsidiarité – Sécurité juridique – Obligations de droit international des États membres – Droits fondamentaux – Dignité de la personne humaine – Principe de collégialité pour les projets législatifs de la Commission»
Dans l’affaire C-377/98,
Royaume des Pays-Bas, représenté par MM. M. A. Fierstra et I. van der Steen, en qualité d’agents,
soutenu par
République italienne, représentée par M. U. Leanza, en qualité d’agent, assisté de M. P. G. Ferri, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,
et par
Royaume de Norvège, représenté par M. H. W. Longva, en qualité d’agent,
contre
Parlement européen, représenté par M. J. Schoo et Mme E. Vandenbosch, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
et
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. R. Gosalbo Bono et G. Houttuin et Mme A. Lo Monaco, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
soutenus par
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme K. Banks et M. P. van Nuffel, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
ayant pour objet l’annulation de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques (JO L 213, p. 13),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, P. Jann, Mmes F. Macken et N. Colneric, MM. S. von Bahr, présidents de chambre, C. Gulmann, D. A. O. Edward, A. La Pergola, J.-P. Puissochet (rapporteur), L. Sevón, M. Wathelet, V. Skouris et J. N. Cunha Rodrigues, juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,
vu le rapport d’audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l’audience du 13 février 2001, au cours de laquelle le royaume des Pays-Bas a été représenté par Mme J. van Bakel, en qualité d’agent, la République italienne par M. D. Del Gaizo, avvocato dello Stato, le royaume de Norvège par M. H. Seland, en qualité d’agent, le Parlement européen par M. J. Schoo et Mme E. Vandenbosch, le Conseil par M. G. Houttuin et Mme A. Lo Monaco et la Commission par Mme K. Banks et M. P. van Nuffel,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juin 2001,
rend le présent
Arrêt
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 octobre 1998, le royaume des Pays-Bas a, en vertu de l’article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), demandé l’annulation de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques (JO L 213, p. 13, ci-après la «directive»).
2. Adoptée sur le fondement de l’article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE), la directive a pour objet de mettre à la charge des États membres la protection, dans le respect de leurs engagements internationaux, des inventions biotechnologiques au moyen de leur droit national des brevets.
3. À cet effet, la directive précise notamment ce qui, parmi les inventions portant sur les végétaux, les animaux et le corps humain, peut ou ne peut pas faire l’objet de la délivrance d’un brevet.
4. Le requérant indique à titre liminaire qu’il agit à la demande expresse du Parlement des Pays-Bas, compte tenu de l’opposition qui s’y est manifestée à l’égard des manipulations génétiques portant sur des animaux et des plantes et de la délivrance de brevets sur les produits de procédés biotechnologiques susceptibles de favoriser de telles manipulations.
5. Par ordonnance du président de la Cour du 28 avril 1999, la Commission des Communautés européennes a été admise à intervenir à l’appui des conclusions du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne. Par ordonnances du président de la Cour du 3 mai 1999, la République italienne et le royaume de Norvège ont été admis à intervenir à l’appui des conclusions du royaume des Pays-Bas.
Sur la recevabilité de l’intervention du royaume de Norvège
6. Le Parlement et le Conseil font valoir que le mémoire déposé le 19 mars 1999 par le royaume de Norvège se borne à attirer l’attention de la Cour sur certains problèmes que pourrait poser la mise en oeuvre de la directive dans le cadre de l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’«accord EEE»), sans reprendre à son compte les conclusions de la requête ni demander l’annulation de la directive. Il n’aurait donc pas le caractère d’une intervention au soutien des conclusions du royaume des Pays-Bas et ne serait dès lors pas recevable.
7. À cet égard, l’article 37 du statut CE de la Cour de justice dispose que les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties.
8. Le mémoire déposé par le gouvernement norvégien a pour objet, ainsi qu’il est dit dans sa conclusion, de signaler que «[p]lusieurs des questions soulevées par le gouvernement des Pays-Bas dans son recours en annulation de la directive 98/44 pourraient être pertinentes pour déterminer si la directive relève de l’accord EEE ainsi que pour la mise en oeuvre de la directive dans le cadre de l’accord EEE» et d’inviter la Cour «à tenir dûment compte des arguments exposés» par le gouvernement norvégien à cet égard.
9. Même si, littéralement, l’objet ainsi décrit semble différent de celui que peut valablement poursuivre un mémoire en intervention, il est clair que l’intention du gouvernement norvégien n’était pas d’ajouter des conclusions nouvelles à celles qu’a présentées le requérant ni de demander à la Cour de trancher des questions distinctes, mais bien de contribuer, en apportant au litige un éclairage complémentaire, au succès de l’action du gouvernement néerlandais.
10. Cette analyse se trouve confirmée par la circonstance que tous les arguments que contient le mémoire du gouvernement norvégien constituent la reprise, et sur certains points le développement, de considérations figurant dans la requête du royaume des Pays-Bas.
11. Il y a donc lieu de considérer que, perçu globalement et dans son contexte, le mémoire déposé par le royaume de Norvège constitue une intervention recevable au soutien des conclusions du requérant.
Sur les moyens de la requête
12. Le requérant articule six moyens, tirés respectivement du choix erroné de l’article 100 A du traité comme base juridique de la directive, de la violation du principe de subsidiarité, de la violation du principe de sécurité juridique, de la violation d’obligations de droit international, de la violation du droit fondamental au respect de la dignité de la personne humaine et de la violation des formes substantielles quant à l’adoption de la proposition de la Commission.
Sur le premier moyen
13. Le requérant soutient que la directive ne relève pas des mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur et a été adoptée à tort sur le fondement de l’article 100 A du traité.
14. En effet, en premier lieu, les divergences entre les législations et pratiques des États membres et le risque de leur accentuation, que signalent les cinquième et sixième considérants de la directive, en précisant qu’ils sont de nature à créer des obstacles aux échanges, n’existeraient pas ou ne porteraient que sur des points secondaires ne justifiant pas une mesure d’harmonisation.
15. À cet égard, il y a lieu de rappeler que le recours à l’article 100 A du traité comme base juridique est possible en vue de prévenir l’apparition d’obstacles futurs aux échanges résultant de l’évolution hétérogène des législations nationales pour autant que l’apparition de tels obstacles est vraisemblable et que la mesure en cause a pour objet leur prévention (arrêts du 13 juillet 1995, Espagne/Conseil, C-350/92, Rec. p. I-1985, point 35, et du 5 octobre 2000, Allemagne/Parlement et Conseil, C-376/98, Rec. p. I-8419, point 86).
16. Or, d’une part, les exemples fournis par le Parlement et le Conseil suffisent à établir que, même si les dispositions législatives nationales pertinentes préexistant à la directive sont le plus souvent reprises de la convention sur la délivrance des brevets européens signée à Munich le 5 octobre 1973 (ci-après la «CBE»), les interprétations divergentes qu’autorisent ces dispositions en ce qui concerne la brevetabilité des inventions biotechnologiques sont susceptibles d’entraîner des écarts de pratique et de jurisprudence néfastes au bon fonctionnement du marché intérieur.
17. En outre, au risque d’évolutions divergentes s’ajoute le fait que, sur plusieurs points particuliers comme la brevetabilité des variétés végétales et celle du corps humain, des écarts perceptibles et aux conséquences considérables étaient déjà apparus entre certains droits nationaux au moment où la directive a été adoptée.
18. D’autre part, en obligeant les États membres à protéger les inventions biotechnologiques au moyen de leur droit national des brevets, la directive a effectivement pour objet de prévenir des atteintes à l’unicité du marché intérieur qui pourraient résulter du fait que les États membres décident unilatéralement d’accorder ou de refuser une telle protection.
19. Le requérant soutient toutefois, en second lieu, que, si l’application par les États membres des dispositions pertinentes du droit international laissait place à des incertitudes juridiques, celles-ci auraient dû être levées non par une mesure communautaire d’harmonisation, mais par une renégociation des instruments juridiques internationaux comme la CBE, afin de parvenir à une clarification de leurs règles.
20. Cet argument n’est pas fondé. En effet, l’objet d’une mesure d’harmonisation est de réduire les obstacles au fonctionnement du marché intérieur que constituent des différences de situation entre les États membres, d’où que celles-ci proviennent. Si les divergences résultent d’une interprétation non concordante, ou risquant de le devenir, de notions figurant dans des instruments juridiques internationaux auxquels sont parties les États membres, rien n’interdit en principe de recourir à l’adoption d’une directive comme moyen d’assurer une interprétation commune aux États membres de pareilles notions.
21. En outre, il n’apparaît pas, en l’espèce, qu’une telle façon de procéder ait été incompatible avec le respect par les États membres de leurs engagements au titre de la CBE ou impropre à réaliser l’objectif d’uniformisation des conditions de brevetabilité des inventions biotechnologiques.
22. Rien, par conséquent, n’interdisait au législateur communautaire d’avoir recours à la voie de l’harmonisation par directive de préférence à une autre approche, plus indirecte et plus aléatoire, consistant à rechercher une modification du texte de la CBE.
23. En troisième lieu, selon le requérant, la directive outrepasserait ce qui peut normalement relever d’une mesure de rapprochement des législations des États membres étant donné que, en réalité, elle créerait un titre de propriété d’un type nouveau, distinct à plusieurs égards des titres relevant du droit existant des brevets. En particulier, outre qu’elle concernerait des produits jusque-là exclus de la brevetabilité dans certains États membres comme le royaume des Pays-Bas, la directive se distinguerait du droit existant des brevets en ce que la protection qu’elle prévoit s’appliquerait, en vertu de ses articles 8 et 9, non seulement à des matières biologiques déterminées, mais également aux matières biologiques obtenues à partir de celles-ci par reproduction ou multiplication, et en ce que le droit du titulaire du brevet serait limité, vis-à-vis des agriculteurs, en vertu de son article 11.
24. Ainsi que la Cour l’a déjà indiqué au point 59 de son avis 1/94, du 15 novembre 1994 (Rec. p. I-5267), la Communauté dispose, en matière de propriété intellectuelle, d’une compétence d’harmonisation des législations nationales au titre des articles 100 du traité CE (devenu article 94 CE) et 100 A du traité et peut se fonder sur l’article 235 du traité CE (devenu article 308 CE) pour créer des titres nouveaux qui viennent se superposer aux titres nationaux, comme elle l’a fait avec le règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO L 11, p. 1).
25. Or, les brevets dont la directive prévoit la délivrance sont des brevets nationaux, délivrés conformément aux procédures applicables dans les États membres et qui tirentleur force protectrice du droit national. La directive n’ayant ni pour objet ni pour effet de créer un brevet communautaire, elle n’instaure pas un titre nouveau qui supposerait le recours à la base juridique de l’article 235 du traité. Cette constatation n’est pas affectée par le fait que les inventions envisagées n’étaient jusqu’alors pas brevetables dans certains États membres – ce qui justifiait précisément une harmonisation – ni par la circonstance que la directive introduit certaines précisions et prévoit certaines dérogations au droit applicable en matière de brevets en ce qui concerne la portée de la protection assurée.
26. Enfin, en quatrième lieu, le gouvernement italien considère, dans son intervention au soutien du requérant, que c’est sur le fondement des articles 130 et 130 F du traité CE (devenus articles 157 CE et 163 CE), et non sur celui de l’article 100 A du traité, qu’aurait dû être adoptée la directive, celle-ci ayant selon lui pour principal objectif, ainsi que le montreraient ses trois premiers considérants, de soutenir le développement industriel de la Communauté et la recherche scientifique dans le secteur du génie génétique.
27. C’est en fonction de l’objet principal d’un acte qu’il convient de déterminer la base juridique sur le fondement de laquelle il doit être adopté (voir arrêt du 17 mars 1993, Commission/Conseil, C-155/91, Rec. p. I-939, points 19 à 21). S’il est, à cet égard, constant que la directive poursuit l’objectif de favoriser la recherche et le développement dans le domaine du génie génétique dans la Communauté européenne, la façon dont elle y contribue consiste à lever les obstacles d’ordre juridique que constituent, dans le marché intérieur, les différences législatives et jurisprudentielles entre États membres susceptibles d’entraver et de déséquilibrer les activités de recherche et de développement dans ce domaine.
28. Le rapprochement des législations des États membres ne constitue donc pas un objectif incident ou auxiliaire de la directive, mais correspond à son essence même. Le fait qu’elle poursuive également un objectif relevant des articles 130 et 130 F du traité n’est pas de nature, dans ces conditions, à rendre inapproprié le recours à l’article 100 A du traité comme base juridique de la directive (voir, par analogie, arrêt du 29 mars 1990, Grèce/Conseil, C-62/88, Rec. p. I-1527, points 18 à 20).
29. Il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que la directive a été adoptée sur le fondement de l’article 100 A du traité et que le premier moyen doit, dès lors, être rejeté.
Sur le deuxième moyen
30. Le requérant soutient que la directive méconnaît le principe de subsidiarité énoncé à l’article 3 B du traité CE (devenu article 5 CE) et, subsidiairement, qu’elle ne comporte pas une motivation suffisante pour prouver que cette exigence a été prise en compte.
31. Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 3 B, deuxième alinéa, du traité, la Communauté n’intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.
32. L’objectif recherché par la directive, consistant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur en prévenant, voire en éliminant, des divergences entre les législations et pratiques des différents États membres dans le domaine de la protection des inventions biotechnologiques, n’aurait pas pu être atteint par une action entreprise au niveau des seuls États membres. L’étendue de cette protection ayant des effets immédiats sur le commerce et, par conséquent, sur le commerce intracommunautaire, il est par ailleurs patent que l’objectif en question pouvait, en raison des dimensions et des effets de l’action envisagée, être mieux réalisé au niveau communautaire.
33. Quant à la justification du respect de la subsidiarité, elle est implicitement mais nécessairement rapportée par les cinquième, sixième et septième considérants de la directive qui constatent que, en l’absence d’une intervention communautaire, l’évolution des législations et pratiques nationales fait obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur. La directive apparaît ainsi suffisamment motivée sur ce point.
34. Le deuxième moyen doit, dès lors, être rejeté.
Sur le troisième moyen
35. Selon le requérant, la directive, au lieu de contribuer à lever les incertitudes juridiques signalées dans ses considérants, tend à les aggraver, violant ainsi le principe de sécurité juridique. En effet, d’une part, elle laisserait aux autorités nationales des compétences discrétionnaires pour la mise en oeuvre de notions formulées en termes généraux et équivoques, comme celles de l’ordre public et des bonnes moeurs figurant à son article 6. D’autre part, coexisteraient dans la directive des dispositions peu claires et qui ont entre elles des rapports ambigus, en particulier en ce qui concerne la brevetabilité des variétés végétales, abordée à l’article 4, paragraphes 1 et 2, aux articles 8 et 9, ainsi qu’aux trente et unième et trente-deuxième considérants de la directive.
36. Il convient d’examiner séparément chacun des deux griefs précis développés par le requérant à l’appui de son argumentation relative à la violation du principe de sécurité juridique.
37. S’agissant, en premier lieu, de l’article 6 de la directive, qui exclut de la brevetabilité les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, il est constant que cette disposition laisse aux autorités administratives et aux juridictions des États membres une large marge de manoeuvre dans la mise en oeuvre de ce critère d’exclusion.
38. Toutefois, cette marge de manoeuvre est nécessaire pour tenir compte des difficultés particulières que peut susciter l’exploitation de certains brevets dans le contexte social et culturel que connaît chaque État membre, contexte que les autorités nationales, législatives, administratives et juridictionnelles sont mieux à même d’appréhender que les autorités communautaires. Une telle clause, permettant de ne pas délivrer de brevets en cas de menace pour l’ordre public ou les bonnes moeurs, est d’ailleurs classique en droit des brevets et figure, notamment, dans les instruments juridiques internationaux pertinents comme la CBE.
39. En outre, la marge de manoeuvre laissée aux États membres n’est pas discrétionnaire puisque la directive encadre ces notions, d’une part, en précisant que la simple interdiction par une disposition légale ou réglementaire ne rend pas l’exploitation commerciale d’une invention contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs et, d’autre part, en citant quatre exemples de procédés et d’utilisations qui ne sont pas brevetables. Ainsi, le législateur communautaire fournit un guide pour l’utilisation des notions en cause qui n’existe pas autrement dans le droit général des brevets.
40. Enfin, une directive ne saurait être considérée comme contraire au principe de sécurité juridique lorsqu’elle renvoie, pour les conditions de sa mise en oeuvre, à des notions connues du droit des États membres en en précisant, comme en l’espèce, la portée et les limites et qu’elle tient compte, pour ce faire, de la spécificité de la matière considérée.
41. L’article 6 de la directive n’est donc pas de nature à aggraver la situation d’insécurité juridique combattue par cet acte.
42. S’agissant, en second lieu, de la brevetabilité des variétés végétales, l’examen des dispositions évoquées dans la requête ne permet pas de conclure à leur incohérence.
43. En effet, ainsi que l’ont expliqué dans leur défense le Parlement et le Conseil, l’article 4 de la directive dispose qu’un brevet ne peut être accordé pour une variété végétale mais peut l’être pour une invention dont la faisabilité technique n’est pas limitée à une variété végétale déterminée.
44. Cette distinction est explicitée par les vingt-neuvième à trente-deuxième considérants de la directive, desquels il ressort que, en elles-mêmes, les variétés végétales relèvent de la législation relative à la protection des obtentions végétales, mais que la protection des obtentions ne s’applique qu’à des variétés, lesquelles sont caractérisées par l’intégralité de leur génome. Pour des ensembles végétaux d’un rang taxinomique supérieur à la variété, caractérisés par un gène déterminé et non par l’intégralité de leur génome, il n’y a pas de risque de conflit entre la législation sur les obtentions et la législation sur le brevet. Ainsi, des inventions qui incorporent seulement un gène et concernent un ensemble plus large qu’une seule variété végétale peuvent être brevetées.
45. Il en résulte qu’une modification génétique d’une variété végétale déterminée n’est pas brevetable, mais qu’une modification d’une portée plus grande, portant par exemple sur une espèce, peut l’être.
46. Quant aux articles 8 et 9 de la directive, ils ne portent pas sur le principe de la brevetabilité mais sur l’étendue de la protection conférée par le brevet. Selon ces dispositions, la protection s’applique à toute matière biologique obtenue par reproduction ou multiplication à partir de la matière biologique contenant l’information brevetée. La protection accordée par le brevet peut donc s’étendre à une variété végétale, sans pour autant que celle-ci soit brevetable.
47. L’article 12 de la directive vise enfin à régler, par un système de licence obligatoire, les cas où l’exploitation d’un brevet délivré pour une invention biotechnologique porterait atteinte à un droit d’obtention végétale antérieur, et vice versa.
48. Ainsi, les deux griefs avancés par le requérant pour établir l’insécurité juridique qui résulterait de la directive ne sont pas de nature à justifier l’annulation de celle-ci.
49. Le troisième moyen doit, dès lors, être rejeté.
Sur le quatrième moyen
50. Le requérant fait valoir que les obligations que crée la directive dans le chef des États membres sont incompatibles avec celles qui résultent de leurs engagements internationaux, alors même que, selon les dispositions de son article 1er, paragraphe 2, la directive n’affecte pas les obligations qui découlent des conventions internationales. La directive violerait en particulier l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’«accord ADPIC» – en langue anglaise «TRIPs» -), qui figure à l’annexe IC de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (ci-après l’«accord OMC»), approuvé au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 336, p. 1), l’accord sur les obstacles techniques au commerce (ci-après l’«accord OTC»), qui figure à l’annexe IA de l’accord OMC, la CBE et la convention sur la diversité biologique signée à Rio de Janeiro le 5 juin 1992 (ci-après la «CDB»), approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 93/626/CEE du Conseil, du 25 octobre 1993 (JO L 309, p. 1).
51. À titre principal, le Parlement et le Conseil exposent que la CBE ne crée pas d’obligations pour la Communauté, qui n’y est pas partie. S’agissant des trois autres instruments juridiques internationaux invoqués, le Conseil fait valoir que la légalité d’un acte communautaire ne pourrait être mise en cause pour violation d’accords internationaux auxquels la Communauté est partie que si les dispositions de ces accords avaient un effet direct. Or tel ne serait pas le cas en l’espèce.
52. Il est constant que, en principe, la légalité d’un acte communautaire ne dépend pas de sa conformité à une convention internationale à laquelle la Communauté n’est pas partie, telle la CBE. Sa légalité ne saurait davantage être appréciée au regard d’instruments de droit international qui, comme l’accord OMC et les accords ADPIC et OTC qui en font partie, ne figurent pas en principe, compte tenu de leur nature et de leur économie, parmi les normes au regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes des institutions communautaires (arrêt du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil, C-149/96, Rec.p. I-8395, point 47).
53. Mais pareille exclusion ne saurait être appliquée à la CDB qui, à la différence de l’accord OMC, n’est pas strictement fondée sur le principe de la réciprocité et des avantages mutuels (voir arrêt Portugal/Conseil, précité, points 42 à 46).
54. À supposer que, comme le Conseil le soutient, la CDB contienne des dispositions dépourvues d’effet direct, en ce sens qu’elles ne créeraient pas de droits que les particuliers pourraient invoquer directement en justice, cette circonstance ne constituerait pas un obstacle au contrôle par le juge du respect des obligations qui s’imposent à la Communauté en tant que partie à cet accord (voir arrêt du 16 juin 1998, Racke, C-162/96, Rec. p. I-3655, points 45, 47 et 51).
55. En outre, et en tout état de cause, le moyen de la requête doit être compris comme étant dirigé non pas tant contre une violation directe par la Communauté de ses engagements internationaux que contre l’obligation qui serait faite aux États membres, par la directive, de violer leurs propres obligations de droit international, alors que la directive est supposée, selon ses propres termes, ne pas affecter ces obligations.
56. Pour cette raison au moins, le moyen est recevable.57. Au fond, le requérant expose, en premier lieu, que l’article 27, paragraphe 3, sous b), de l’accord ADPIC laisse aux États parties la possibilité de ne pas accorder de brevets pour les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes, alors que la directive prive les États membres de cette possibilité.
58. Il suffit, à cet égard, de constater que, si la directive prive en effet les États membres, du choix que l’accord ADPIC offre aux parties à cet accord quant à la brevetabilité des végétaux et des animaux, l’option retenue à l’article 4 de la directive est en elle-même compatible avec l’accord qui, en outre, n’interdit pas à certains États parties d’adopter une position commune en vue de son application. Effectuer en commun un choix offert par un acte international auquel les États membres sont parties constitue une opération qui trouve sa place dans le cadre du rapprochement des législations prévu par l’article 100 A du traité.
59. En deuxième lieu, la directive contiendrait des règlements techniques au sens de l’accord OTC qui auraient dû être notifiés au secrétariat de l’Organisation mondiale du commerce.
60. Il est, en tout état de cause, établi que la directive ne contient aucun règlement technique au sens de l’accord OTC, un tel règlement étant défini par l’annexe I de l’accord OTC comme un document qui énonce les caractéristiques d’un produit ou les procédés et méthodes de fabrication s’y rapportant. Il n’est dès lors même pas nécessaire de se prononcer sur le point de savoir dans quelle mesure la protection juridique des inventions biotechnologiques pourrait entrer dans le champ d’application de l’accord OTC.
61. Le requérant fait valoir, en troisième lieu, que l’article 6, paragraphe 1, de la directive, qui exclut de la brevetabilité les inventions «dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs», serait incompatible avec l’article 53 de la CBE, qui exclut de la brevetabilité les inventions «dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs». La différence des termes employés affecterait, en violation de l’article 1er, paragraphe 2 de la directive, les obligations que la CBE impose aux États membres.
62. Toutefois, le requérant n’indique en aucune manière en quoi la rédaction légèrement différente utilisée sur ce point par la directive, et inspirée du libellé de l’article 27, paragraphe 3, de l’accord ADPIC, imposerait aux États membres, pour se conformer à leurs obligations au titre de la directive, de violer leurs obligations au titre de la CBE. À défaut d’exemples concrets fournis en sens contraire, il semble raisonnable de penser que la contrariété à l’ordre public ou aux bonnes moeurs sera pareillement constatée pour une même invention, que l’on prenne pour référence sa publication, sa mise en oeuvre ou son exploitation commerciale.
63. En quatrième et dernier lieu, le requérant et plus encore le gouvernement norvégien qui intervient à son soutien font valoir que l’objet même de la directive, qui est de rendre brevetables les inventions biotechnologiques dans tous les États membres, irait à l’encontre de la répartition équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, qui est l’un des objectifs de la CDB.
64. Toutefois, les risques qu’évoquent le requérant et cet intervenant sont exprimés en termes hypothétiques et ne résultent pas directement des dispositions de la directive mais, tout au plus, de l’utilisation qui serait susceptible d’en être faite.
65. On ne peut en effet tenir pour établi, à défaut d’une démonstration qui manque en l’espèce, que le simple fait de protéger par brevet des inventions biotechnologiques aura pour conséquence, selon ce qui est soutenu, de priver les pays en développement de la capacité de contrôler leurs ressources biologiques et d’avoir recours à leurs connaissances traditionnelles, pas plus que de favoriser la monoculture ou de décourager les efforts nationaux et internationaux de conservation de la biodiversité.
66. En outre, si l’article 1er de la CDB énonce comme objectif le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques, notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert approprié des techniques pertinentes, il précise que ceci doit être réalisé compte tenu de tous les droits sur ces ressources et techniques. Aucune stipulation de la CDB n’impose en particulier de faire figurer la prise en compte des intérêts des pays dont la ressource génétique serait originaire ou l’existence de mesures de transfert de techniques parmi les conditions de délivrance d’un brevet portant sur des inventions biotechnologiques.
67. S’agissant enfin de l’obstacle que la directive pourrait constituer, dans le cadre de la coopération internationale nécessaire pour réaliser les objectifs de la CDB, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive, les États membres ont le devoir d’appliquer celle-ci en conformité avec les engagements qu’ils ont souscrits en ce qui concerne, notamment, la diversité biologique.
68. Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté.
Sur le cinquième moyen
69. Selon le requérant, la brevetabilité d’éléments isolés du corps humain, qui découle de l’article 5, paragraphe 2, de la directive, équivaudrait à une instrumentalisation de la matière vivante humaine, attentatoire à la dignité de l’être humain. En outre, l’absence de clause imposant une vérification du consentement du donneur ou du receveur de produits obtenus par des moyens biotechnologiques menacerait le droit des personnes à disposer d’elles-mêmes.
70. Il appartient à la Cour, dans son contrôle de la conformité des actes des institutions aux principes généraux du droit communautaire, de veiller au respect du droit fondamental à la dignité humaine et à l’intégrité de la personne.
71. S’agissant du respect dû à la dignité humaine, il est en principe assuré par l’article 5, paragraphe 1, de la directive qui interdit que le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, puisse constituer une invention brevetable.
72. En ce qui concerne les éléments du corps humain, ils ne sont en eux-mêmes pas davantage brevetables et leur découverte ne peut faire l’objet d’une protection. Seules peuvent faire l’objet d’une demande de brevet les inventions qui associent un élément naturel à un procédé technique permettant de l’isoler ou de le produire en vue d’une application industrielle.
73. Ainsi, comme il est dit aux vingtième et vingt et unième considérants de la directive, un élément du corps humain peut faire partie d’un produit susceptible d’obtenir la protection du brevet mais il ne peut, dans son environnement naturel, faire l’objet d’aucune appropriation.
74. Cette distinction s’applique au cas de travaux portant sur la séquence ou la séquence partielle des gènes humains. Le résultat de tels travaux ne peut donner lieu à la délivrance d’un brevet que si la demande est accompagnée, d’une part, d’une description de la méthode originale de séquençage qui a permis l’invention et, d’autre part, d’un exposé de l’application industrielle sur laquelle doivent déboucher les travaux, ainsi que le précise l’article 5, paragraphe 3, de la directive. À défaut d’une telle application, on aurait en effet affaire non pas à une invention, mais à la découverte d’une séquence d’ADN qui ne serait, en tant que telle, pas brevetable.
75. Ainsi, la protection envisagée par la directive ne porte que sur le résultat d’un travail inventif, scientifique ou technique, et ne s’étend à des données biologiques existant à l’état naturel dans l’être humain que dans la mesure nécessaire à la réalisation et à l’exploitation d’une application industrielle particulière.
76. Une sécurité additionnelle est apportée par l’article 6 de la directive qui cite comme contraires à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, et exclus à ce titre de la brevetabilité, les procédés de clonage des êtres humains, les procédés de modification de l’identité génétique germinale de l’être humain et les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales. Le trente-huitième considérant de la directive précise que cette liste n’est pas exhaustive et que tous les procédés dont l’application porte atteinte à la dignité humaine doivent être également exclus de la brevetabilité.
77. Il résulte de ces dispositions que, s’agissant de la matière vivante d’origine humaine, la directive encadre le droit des brevets de façon suffisamment rigoureuse pour que le corps humain demeure effectivement indisponible et inaliénable et qu’ainsi la dignité humaine soit sauvegardée.
78. La seconde branche du moyen met en cause le droit à l’intégrité de la personne, pour autant qu’il comprend, dans le cadre de la médecine et de la biologie, le consentement libre et éclairé du donneur et du receveur.
79. Force est toutefois de constater que l’invocation de ce droit fondamental est inopérante à l’encontre d’une directive qui porte seulement sur la délivrance des brevets et dont le champ d’application ne s’étend par conséquent pas aux opérations antérieures et postérieures à cette délivrance, qu’il s’agisse de la recherche ou de l’utilisation des produits brevetés.
80. L’octroi d’un brevet ne préjuge pas des limitations ou interdictions légales s’appliquant à la recherche de produits brevetables ou à l’exploitation de produits brevetés, ainsi qu’il est rappelé au quatorzième considérant de la directive. L’objet de la directive n’est pas de se substituer aux dispositions restrictives garantissant, au-delà du champ d’application de la directive, le respect de certaines normes éthiques au nombre desquelles figure le droit des personnes à disposer d’elles-mêmes par un consentement éclairé.
81. Le cinquième moyen doit, dès lors, être rejeté.
Sur le sixième moyen
82. Le requérant expose enfin que la directive serait entachée d’une violation des formes substantielles en ce qu’elle ne contiendrait aucune mention permettant de s’assurer que la proposition de la Commission a bien été adoptée par une délibération collégiale et sur la base d’un texte établi dans les langues officielles.
83. Le Conseil estime que ce moyen est irrecevable dans la mesure où le requérant ne précise pas s’il vise la proposition initiale ou la proposition modifiée de la Commission et où il ne fournit aucun élément à l’appui de son moyen.
84. Il y a toutefois lieu de considérer, dès lors que la directive vise, dans son préambule, «la proposition de la Commission» en renvoyant en note de bas de page aux éditions du 8 octobre 1996 et du 11 octobre 1997 du Journal officiel des Communautés européennes, que le moyen concerne tant la proposition de directive 96/C 296/03 présentée par la Commission le 25 janvier 1996 (JO 1996, C 296, p. 4), que la proposition modifiée de directive 97/C 311/05 présentée par la Commission le 29 août 1997 (JO 1997, C 311, p. 12). Le moyen est en outre suffisamment précis pour permettre à la Cour d’en comprendre la portée.
85. La Commission ayant fourni, dans son intervention, des indications permettant d’établir que le principe de collégialité et le régime linguistique applicable à ses délibérations avaient été respectés, le requérant a précisé que son moyen n’était pas tiré d’une violation du principe de collégialité lui-même, mais d’une absence de justification apparente, dans le texte de la directive, quant au respect de ce principe.86. À cet égard, l’obligation de motivation des directives qui résulte de l’article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) n’a pas pour portée d’imposer que les visas des propositions et avis, mentionnés par le même article, comportent le rappel des circonstances de fait permettant d’établir que chacune des institutions intervenant dans la procédure législative a respecté ses règles de procédure.
87. Ce n’est, en outre, que dans le cas où un doute sérieux existerait sur la régularité de la procédure préalable à son intervention qu’une institution serait fondée à s’en enquérir. Or, il n’est ni démontré ni même allégué que le Parlement ou le Conseil aurait, en l’espèce, eu des raisons valables de penser que la délibération de la Commission sur sa proposition était irrégulière.
88. Le sixième moyen doit, dès lors, être rejeté, ainsi que la requête dans son ensemble.
Sur les dépens
89. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation du royaume des Pays-Bas et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
90. En application de l’article 69, paragraphe 4, premier et deuxième alinéas, du même règlement, la République italienne, le royaume de Norvège et la Commission, qui sont intervenus au litige, supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) Le royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.
3) La République italienne, le royaume de Norvège et la Commission des Communautés européennes supporteront chacun leurs propres dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 octobre 2001.