Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 TFUE et 21 TFUE ainsi que de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JO L 180, p. 22).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant une ressortissante lituanienne, Mme Malgožata Runevič-Vardyn, et son époux, un ressortissant polonais, M. Łukasz Paweł Wardyn, à la Vilniaus miesto savivaldybės administracija («municipalité de Vilnius»), au Lietuvos Respublikos teisingumo ministerija («ministère de la Justice de la République de Lituanie»), à la Valstybinė lietuvių kalbos komisija («commission nationale de la langue lituanienne») et au Vilniaus miesto savivaldybės administracijos Teisės departamento Civilinės metrikacijos skyrius (service de l’état civil du département juridique de la municipalité de Vilnius, ci-après le «service de l’état civil de Vilnius»), quant au refus de ce dernier de modifier les noms de famille et les prénoms des requérants au principal tels qu’ils figurent sur les actes d’état civil qu’il leur a délivrés.
Le cadre juridique
La réglementation de l’Union
3 Les douzième et seizième considérants de la directive 2000/43 énoncent:
«(12) Pour assurer le développement de sociétés démocratiques et tolérantes permettant la participation de tous les individus quelle que soit leur race ou leur origine ethnique, une action spécifique dans le domaine de la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique doit aller au-delà de l’accès aux activités salariées et non salariées et s’étendre à des domaines tels que l’éducation, la protection sociale, y compris la sécurité sociale et les soins de santé, les avantages sociaux, l’accès aux biens et services et la fourniture de biens et services.
[…]
(16) Il importe de protéger toutes les personnes physiques contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique. […]»
4 Aux termes de son article 1er, la directive 2000/43 «a pour objet d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».
5 L’article 2, paragraphes 1 et 2, sous b), de cette directive dispose:
«1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’, l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l’origine ethnique.
2. Aux fins du paragraphe 1:
[…]
b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires.»
6 L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive définit le champ d’application de celle-ci comme suit:
«Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:
a) les conditions d’accès à l’emploi aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion;
b) l’accès à tous les types et à tous les niveaux d’orientation professionnelle, de formation professionnelle, de perfectionnement et de formation de reconversion, y compris l’acquisition d’une expérience pratique;
c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;
d) l’affiliation à et l’engagement dans une organisation de travailleurs ou d’employeurs ou à toute organisation dont les membres exercent une profession donnée, y compris les avantages procurés par ce type d’organisations;
e) la protection sociale, y compris la sécurité sociale et les soins de santé;
f) les avantages sociaux;
g) l’éducation;
h) l’accès aux biens et services et la fourniture de biens et services, à la disposition du public, y compris en matière de logement.»
La réglementation nationale
La Constitution
7 L’article 14 de la Constitution lituanienne dispose que la langue officielle est le lituanien.
Le code civil
8 L’article 2.20, paragraphe 1, du code civil lituanien (ci-après le «code civil») énonce que «toute personne jouit d’un droit au nom. Ce droit au nom englobe le droit à un nom de famille, à un ou plusieurs prénoms et à un pseudonyme».
9 L’article 3.31 du code civil dispose:
«Chacun des époux a le droit de conserver le nom de famille qu’il portait jusqu’à son mariage, de choisir le nom de famille de son conjoint comme nom de famille porté en commun ou de choisir de porter un double nom formé par l’adjonction du nom de son conjoint à son propre nom.»
10 L’article 3.281 du code civil prévoit que les actes d’état civil sont enregistrés, reconstitués, modifiés, complétés ou corrigés conformément aux règles régissant l’état civil promulguées par le ministre de la Justice.
11 L’article 3.282 du code civil dispose que «les mentions figurant sur les actes d’état civil doivent être effectuées en lituanien. Le prénom, le nom de famille et les toponymes sont rédigés conformément aux règles de la langue lituanienne».
Les règles régissant l’état civil
12 Le point 11 du décret n° IR-294 du ministre de la Justice, du 22 juillet 2008, relatif à la confirmation des règles régissant l’état civil (Žin., 2008, n° 88-3541), dispose que les mentions des actes d’état civil sont rédigées en lituanien.
Les règles relatives aux cartes d’identité et aux passeports
13 La loi n° IX-577, du 6 novembre 2001, relative aux cartes d’identité (Žin., 2001, n° 97-3417), telle que modifiée (Žin., 2008, n° 76-3007), et la loi n° IX-590, du 8 novembre 2001, relative aux passeports (Žin., 2001, n° 99-3524), telle que modifiée (Žin., 2008, n° 87-3466), disposent que les données figurant sur la carte d’identité et sur le passeport doivent être inscrites en caractères lituaniens.
14 Le décret n° I‑1031 du Conseil suprême lituanien, du 31 janvier 1991, relatif à l’inscription des noms de famille et des prénoms sur les passeports de citoyens de la République de Lituanie (Žin., 1991, n° 5-132), prévoit, à ses points 1 à 3:
«1. L’inscription sur un passeport de citoyen de la République de Lituanie des noms de famille et des prénoms s’effectue en caractères lituaniens conformément aux mentions en lituanien figurant sur le passeport ou tout autre titre d’identité détenu par l’intéressé(e) sur la base duquel un passeport lui est délivré.
2. L’inscription sur un passeport de citoyen de la République de Lituanie des noms de famille et des prénoms de personnes d’origine non lituanienne s’effectue en caractères lituaniens. À la demande écrite de l’intéressé et selon des modalités établies, son prénom et son nom de famille sont transcrits:
a) soit phonétiquement et sans appliquer de règles de grammaire (c’est-à-dire sans aucune désinence lituanienne);
b) soit phonétiquement et en appliquant la grammaire (c’est-à-dire en accolant des désinences lituaniennes).
3. Le prénom et le nom de famille de quiconque ayant possédé la nationalité d’un autre État peuvent être inscrits conformément aux mentions figurant sur le passeport de citoyen délivré par ledit autre État ou sur tout autre document qui en tient lieu.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Mme Runevič-Vardyn, la requérante au principal, née le 20 mars 1977 à Vilnius, est une ressortissante lituanienne. Selon les informations fournies à la Cour, elle fait partie de la minorité polonaise de la République de Lituanie, mais ne possède pas la nationalité polonaise.
16 Elle déclare que ses parents lui ont donné le prénom polonais «Małgorzata» et le nom de famille de son père, «Runiewicz».
17 Selon la décision de renvoi, le certificat de naissance de la requérante au principal, délivré le 14 juin 1977, indique que le prénom et le nom de famille de cette dernière ont été enregistrés sous leur forme lituanienne, à savoir «Malgožata Runevič». Le même prénom et le même nom de famille figurent sur un nouveau certificat de naissance remis à la requérante au principal le 9 septembre 2003 par le service de l’état civil de Vilnius ainsi que sur le passeport lituanien qui lui a été délivré par les autorités compétentes le 7 août 2002.
18 Selon les observations des requérants au principal, le certificat de naissance du 14 juin 1977 était rédigé en caractères cyrilliques, alors que celui en date du 9 septembre 2003 employait l’alphabet latin, le prénom et le nom de famille de la requérante au principal y figurant sous la forme «Malgožata Runevič».
19 La requérante au principal fait également valoir qu’un certificat de naissance polonais lui a été remis le 31 juillet 2006 par le service d’état civil de la ville de Varsovie. Sur ce certificat polonais, son prénom et son nom de famille y seraient mentionnés selon les règles de graphie polonaises, à savoir «Małgorzata Runiewicz». Les requérants au principal constatent que les autorités compétentes polonaises ont également délivré un certificat de mariage où leurs noms de famille et leurs prénoms sont transcrits conformément aux règles de graphie polonaises.
20 Après avoir résidé et travaillé en Pologne durant un certain temps, la requérante au principal a, le 7 juillet 2007, épousé le requérant au principal. Sur le certificat de mariage, émanant du service de l’état civil de Vilnius, «Łukasz Paweł Wardyn» est transcrit sous la forme «Lukasz Pawel Wardyn» − l’alphabet latin étant utilisé sans modification diacritique −, alors que le nom de l’épouse figure sous la forme «Malgožata Runevič-Vardyn» − ceci signifiant que seuls les caractères lituaniens, qui ne connaissent pas la lettre «W», ont été utilisés, y compris pour l’adjonction du nom de famille de son conjoint à son propre nom.
21 Il ressort du dossier soumis à la Cour que les requérants au principal résident actuellement, avec leur fils, en Belgique.
22 Le 16 août 2007, la requérante au principal a présenté au service de l’état civil de Vilnius une demande tendant à ce que son prénom et son nom de famille, tels qu’ils figurent sur son certificat de naissance, à savoir «Malgožata Runevič», soient modifiés en «Małgorzata Runiewicz» et à ce que son prénom et son nom de famille, tels qu’ils figurent sur son certificat de mariage, à savoir «Malgožata Runevič-Vardyn», soient modifiés en «Małgorzata Runiewicz-Wardyn».
23 Dans sa réponse du 19 septembre 2007, le service de l’état civil de Vilnius a informé la requérante au principal que, en vertu de la réglementation nationale applicable, il n’est pas possible de modifier les mentions figurant sur les actes d’état civil en cause.
24 Un recours a été formé par les requérants au principal devant la juridiction de renvoi.
25 Dans sa décision, la juridiction de renvoi se réfère aux différents arguments avancés par les requérants au principal au soutien de ce recours. À l’égard du requérant, elle constate que, selon lui, le refus des autorités lituaniennes de transcrire, dans le certificat de mariage, ses prénoms sous une forme respectant les règles de graphie polonaises constitue une discrimination à l’encontre d’un citoyen de l’Union qui a conclu un mariage dans un État autre que son État d’origine. Si le mariage avait eu lieu en Pologne, ses prénoms auraient été enregistrés dans le certificat de mariage en utilisant la même graphie que celle qui figure dans son certificat de naissance. La lettre «W» n’existant pas officiellement dans l’alphabet lituanien, le requérant au principal se demande pourquoi la graphie originale de son nom de famille a été conservée par les autorités lituaniennes tandis que celle de ses prénoms a été modifiée.
26 La juridiction de renvoi constate également que le service de l’état civil de Vilnius et les autres parties intéressées se sont opposés à la demande des requérants au principal tendant à ce qu’ils soient tenus de modifier les mentions figurant dans les actes d’état civil.
27 Il ressort de la décision de renvoi que la Cour constitutionnelle a, le 21 octobre 1999, rendu une décision relative à la compatibilité avec la Constitution de la décision du 31 janvier 1991 du Conseil suprême relative à la rédaction des prénoms et noms de famille dans les passeports des citoyens lituaniens. Cette juridiction a déclaré que, sur un passeport, le prénom et le nom de famille d’une personne doivent être rédigés selon les règles de graphie de la langue officielle nationale afin de ne pas mettre en cause le statut constitutionnel de cette langue.
28 Estimant qu’il ne lui est pas possible d’apporter une réponse claire aux questions soulevées par le litige dont il est saisi au regard, notamment, des articles 18 TFUE et 21 TFUE ainsi que de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43, le Vilniaus miesto 1 apylinkės teismas a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Compte tenu des dispositions de la directive 2000/43 […], l’article 2, paragraphe 2, sous b), de ladite directive doit-il être interprété en ce sens qu’il interdit aux États membres d’exercer des discriminations indirectes à l’encontre des personnes en raison de leur appartenance ethnique lorsqu’une réglementation nationale prévoit que leurs prénoms et noms de famille ne peuvent être rédigés dans les actes d’état civil qu’en utilisant les caractères de la langue nationale?
2) Compte tenu des dispositions de la directive 2000/43 […], l’article 2, paragraphe 2, sous b), de ladite directive doit-il être interprété en ce sens qu’il interdit aux États membres d’exercer des discriminations indirectes à l’encontre des personnes en raison de leur appartenance ethnique lorsqu’une réglementation nationale prévoit que les prénoms et noms de famille des personnes d’une autre origine nationale ou nationalité sont rédigés dans les actes d’état civil en caractères latins, sans utiliser de signes diacritiques, de ligatures, ou d’autres modifications apportées aux lettres de l’alphabet latin, employés dans d’autres langues?
3) Compte tenu de l’article [21], paragraphe 1, [TFUE], qui prévoit que tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres et de l’article [18], premier alinéa, [TFUE], qui interdit d’exercer une discrimination en raison de la nationalité, convient-il d’interpréter ces dispositions en ce sens qu’elles interdisent aux États membres de prévoir dans leur législation que les prénoms et noms de famille ne peuvent être rédigés dans les actes d’état civil qu’en utilisant les caractères de la langue nationale?
4) Compte tenu de l’article [21], paragraphe 1, [TFUE], qui prévoit que tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres et de l’article [18], premier alinéa, [TFUE], qui interdit d’exercer une discrimination en raison de la nationalité, convient-il d’interpréter ces dispositions en ce sens qu’elles interdisent aux États membres de prévoir dans leur législation que les prénoms et noms de famille des personnes d’une autre origine nationale ou nationalité soient rédigés dans les actes d’état civil en caractères latins, sans utiliser de signes diacritiques, de ligatures, ou d’autres modifications apportées aux lettres de l’alphabet latin, employés dans d’autres langues?»
Sur la recevabilité des deuxième et quatrième questions préjudicielles
29 Il y a lieu, à titre liminaire, de constater que le gouvernement lituanien propose à la Cour de rejeter les deuxième et quatrième questions préjudicielles comme étant irrecevables. Selon ce gouvernement, la juridiction de renvoi est saisie d’un recours relatif aux deux demandes de la requérante au principal portant sur ses certificats de naissance et de mariage et non d’un recours du requérant au principal relatif à son certificat de mariage. Dans ces circonstances, les questions relatives à la transcription des prénoms du requérant au principal ne seraient pas liées à un problème concret que la juridiction de renvoi est appelée à résoudre. La Cour devrait, dès lors, refuser de statuer sur ces questions, l’interprétation du droit de l’Union ainsi sollicitée n’ayant aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.
30 Il convient, à cet égard, de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C‑415/93, Rec. p. I‑4921, point 59, et du 12 octobre 2010, Rosenbladt, C‑45/09, non encore publié au Recueil, point 32).
31 Par ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour, l’article 267 TFUE institue une procédure non contentieuse, qui revêt le caractère d’un incident soulevé au cours d’un litige pendant devant la juridiction nationale, les parties au principal étant seulement invitées à se faire entendre dans le cadre juridique tracé par ladite juridiction. Dans ce contexte, la Cour a relevé que, par l’expression «parties en cause», l’article 23, paragraphe 1, du statut de la Cour de justice vise celles qui ont cette qualité dans le litige pendant devant la juridiction nationale (voir, notamment, arrêt du 1er mars 1973, Bollmann, 62/72, Rec. p. 269, point 4, ainsi que ordonnance du 12 septembre 2007, Satakunnan Markkinapörssi et Satamedia, C‑73/07, Rec. p. I‑7075, point 11).
32 Il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que le recours qui lui est soumis a été formé par les deux requérants au principal et non par la seule requérante au principal et que lesdits requérants ont suggéré à la juridiction de renvoi la possibilité de poser des questions à la Cour. Ces questions visaient tant le refus de modification du nom de famille et du prénom de la requérante au principal que la modification de la transcription des prénoms du requérant au principal tels qu’ils figurent dans les documents d’état civil qui leur ont été délivrés par les autorités compétentes lituaniennes. Les questions préjudicielles posées par cette juridiction dans l’exercice de la compétence exclusive qui lui est conférée par l’article 267 TFUE ainsi que le raisonnement exposé dans sa décision de renvoi visent la situation des deux requérants au principal.
33 Certes, au regard de la mission conférée à la Cour par l’article 267 TFUE, celle-ci a estimé ne pas pouvoir statuer sur une question posée par une juridiction nationale, lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de la validité d’une règle du droit de l’Union, demandées par la juridiction nationale, n’ont aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal (voir, notamment, arrêt du 26 octobre 1995, Furlanis, C‑143/94, Rec. p. I‑3633, point 12).
34 Toutefois, compte tenu des informations contenues dans la décision de renvoi, notamment celles figurant au point 26 du présent arrêt, et de la définition par le juge de renvoi de l’objet et de l’étendue du litige pendant devant lui, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation des règles du droit de l’Union demandée par celui-ci n’a aucun rapport avec la réalité et l’objet dudit litige.
35 En conséquence, les deuxième et quatrième questions posées doivent être considérées comme étant recevables.
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
36 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43 s’oppose à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, en application d’une réglementation nationale prévoyant que les noms de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale, de modifier la transcription du nom de famille et du prénom d’une personne, de sorte que ceux-ci doivent être transcrits en utilisant uniquement les caractères de la langue nationale, sans les signes diacritiques, les ligatures, ou toutes autres modifications apportées aux lettres de l’alphabet latin, employés dans d’autres langues.
37 Les gouvernements lituanien, tchèque, estonien, polonais et slovaque ainsi que la Commission européenne soutiennent que les règles nationales relatives à l’établissement des actes d’état civil ne relèvent pas du champ d’application de la directive 2000/43 tel que décrit à l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci. Aucune démonstration n’aurait été effectuée par la requérante au principal quant au fait qu’un inconvénient concret a été subi en raison d’une appartenance raciale ou ethnique dans un domaine tombant dans le champ d’application matériel de la directive 2000/43.
38 En revanche, les requérants au principal soulignent que le champ d’application de la directive 2000/43 est très vaste et englobe une large part des domaines de la vie sociale. Ainsi, il serait nécessaire de présenter une pièce d’identité et divers types de documents, attestations ou diplômes pour pouvoir jouir de certains droits prévus à cette directive, avoir la possibilité d’utiliser des biens et des services et fournir publiquement des biens et des services couverts par l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci.
39 Il convient, à titre liminaire, de rappeler que la directive 2000/43 a pour objet, conformément à son article 1er, d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.
40 Selon le seizième considérant de cette directive, il importe de protéger toutes les personnes physiques contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique.
41 En ce qui concerne le champ d’application matériel de la directive 2000/43, il ressort du douzième considérant de celle-ci que, pour assurer le développement de sociétés démocratiques et tolérantes permettant la participation de tous les individus quelle que soit leur race ou leur origine ethnique, une action spécifique dans le domaine de la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique doit aller au-delà de l’accès aux activités salariées et non salariées et s’étendre à des domaines tels que ceux énumérés à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.
42 Cette dernière disposition prévoit que, dans les limites des compétences conférées à la Communauté, devenue entre-temps l’Union européenne, ladite directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne les domaines énumérés exhaustivement à cette disposition et reproduites au point 6 du présent arrêt.
43 Il convient de relever dans ces circonstances que, eu égard à l’objet de la directive 2000/43 et à la nature des droits qu’elle vise à protéger ainsi qu’au fait que cette directive n’est que l’expression, dans le domaine considéré, du principe d’égalité qui est l’un des principes généraux du droit de l’Union, reconnu à l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le champ d’application de ladite directive ne peut être défini de manière restrictive.
44 Il ne s’ensuit pas pour autant qu’une réglementation nationale relative à la transcription des noms de famille et des prénoms dans les actes d’état civil doit être considérée comme relevant du champ d’application de la directive 2000/43.
45 S’il est vrai que l’article 3, paragraphe 1, sous h), de la directive 2000/43 fait référence, de manière générale, à l’accès aux biens et aux services ainsi qu’à la fourniture de biens et de services, à la disposition du public, il ne saurait être considéré, ainsi que M. l’avocat général l’a fait valoir au point 58 de ses conclusions, qu’une telle réglementation nationale relève de la notion de «service» au sens de cette disposition.
46 Il convient par ailleurs de rappeler que les travaux préparatoires relatifs à la directive 2000/43, qui a été adoptée par le Conseil de l’Union européenne statuant à l’unanimité, conformément à l’article 13 CE, indiquent que le Conseil n’a pas voulu prendre en compte une proposition de modification du Parlement européen selon laquelle «l’exercice de ses fonctions par quelque organisme ou autorité publique que ce soit, y compris le maintien de l’ordre, le contrôle de l’immigration et le système juridique et pénal» serait inclus dans la liste des activités énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive et entrant, de ce fait, dans le champ d’application de cette dernière.
47 Par conséquent, si, ainsi qu’il ressort du point 43 du présent arrêt, le champ d’application de la directive 2000/43 tel qu’il est défini à l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci ne doit pas être interprété de manière restrictive, il ne couvre pas une réglementation nationale telle que celle en cause au principal relative à la transcription des noms de famille et des prénoms dans les actes d’état civil.
48 Dans ces conditions, il y a lieu de constater qu’une réglementation nationale prévoyant que les noms de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale concerne une situation qui ne relève pas du champ d’application de la directive 2000/43.
Sur les troisième et quatrième questions
49 Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 18 TFUE et 21 TFUE s’opposent à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, en application d’une réglementation nationale prévoyant que les noms de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale, de modifier la transcription du nom de famille et du prénom d’une personne de sorte que ceux-ci doivent être transcrits en utilisant uniquement les caractères de la langue nationale, sans les signes diacritiques, les ligatures, ou toutes autres modifications apportées aux lettres de l’alphabet latin, employés dans d’autres langues.
50 Trois éléments distincts de l’affaire au principal sont visés par ces questions:
– la demande de la requérante au principal visant à ce que son nom de jeune fille et son prénom soient transcrits dans ses certificats de naissance et de mariage sous une forme respectant les règles de graphie polonaises, ceci impliquant l’usage des signes diacritiques employés par cette dernière langue;
– les demandes des requérants au principal visant à ce que le nom de famille du requérant au principal, adjoint au nom de jeune fille de la requérante au principal et figurant dans le certificat de mariage, soit transcrit sous une forme respectant les règles de graphie polonaises, et
– la demande du requérant au principal visant à ce que ses prénoms soient transcrits dans ledit certificat sous une forme respectant les règles de graphie polonaises.
Observations liminaires sur les dispositions du droit de l’Union applicables
51 À titre liminaire, il convient d’examiner si, contrairement à ce que font valoir notamment les gouvernements lituanien et tchèque, la situation de la requérante au principal, à l’égard des documents d’état civil délivrés par les autorités compétentes lituaniennes, qui font l’objet du litige au principal, relève du champ d’application du droit de l’Union et, en particulier, des dispositions du traité relatives à la citoyenneté de l’Union.
52 S’agissant du certificat de naissance, le gouvernement lituanien souligne notamment qu’il s’agit d’un acte d’état civil délivré pour la première fois le 14 juin 1977, à savoir bien avant l’adhésion de la République de Lituanie à l’Union. De surcroît, il s’agirait d’un acte délivré à un ressortissant lituanien par les autorités compétentes de cet État membre. La situation de la requérante au principal à l’égard de son certificat de naissance constituerait donc une situation purement interne. Par conséquent, la demande de modification de ce certificat formée par la requérante au principal ne relèverait pas, ni ratione temporis ni ratione materiæ, du champ d’application du droit de l’Union et notamment des dispositions relatives à la citoyenneté de l’Union.
53 S’agissant de l’application ratione temporis de ces dernières dispositions au cas d’espèce, il convient de relever que l’affaire au principal ne concerne pas la reconnaissance de droits trouvant leur origine dans le droit de l’Union prétendument acquis avant l’adhésion de la République de Lituanie et l’entrée en vigueur à son égard des dispositions relatives à la citoyenneté de l’Union. Cette affaire est relative à une allégation de traitement discriminatoire actuel ou d’une restriction actuelle à l’égard d’un citoyen de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2002, D’Hoop, C‑224/98, Rec. p. I‑6191, point 24).
54 En effet, la requérante au principal demande non pas que son certificat de naissance soit modifié avec effets rétroactifs, mais que, afin de faciliter sa libre circulation en tant que citoyenne de l’Union – la requérante au principal ayant, à la suite de son mariage avec un ressortissant polonais, établi sa résidence en Belgique où elle a donné naissance à son fils, qui a la double nationalité lituanienne et polonaise –, les autorités compétentes lituaniennes lui délivrent un certificat de naissance dans lequel son nom de jeune fille et son prénom seraient transcrits sous une forme respectant les règles de graphie polonaises.
55 La Cour a déjà relevé que les dispositions relatives à la citoyenneté de l’Union sont applicables dès leur entrée en vigueur. Il y a dès lors lieu de considérer qu’elles doivent être appliquées aux effets actuels de situations nées antérieurement (arrêt D’Hoop, précité, point 25).
56 Il s’ensuit que la discrimination ou la restriction alléguée par la requérante au principal quant au refus de modification de la transcription de son nom de jeune fille et de son prénom sur son certificat de naissance peut, en principe, être appréciée au regard des dispositions des articles 18 TFUE et 21 TFUE.
57 La question de l’application ratione temporis des dispositions relatives à la citoyenneté de l’Union ne se pose pas en ce qui concerne la demande de modification du certificat de mariage des requérants au principal délivré le 7 juillet 2007.
58 Quant à la question de savoir si la demande de modification des certificats de naissance et de mariage de la requérante au principal correspond à une situation purement interne ne relevant pas du champ d’application du droit de l’Union, dès lors qu’il s’agit d’actes d’état civil qui lui sont délivrés par les autorités compétentes de son État membre d’origine, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du point 54 du présent arrêt, la requérante au principal, qui a exercé le droit de libre circulation et de séjour qui lui est conféré directement par l’article 21 TFUE, souhaite que ces certificats soient modifiés afin de lui faciliter l’exercice dudit droit. Elle fonde sa demande, notamment, sur l’article 21 TFUE en relevant les inconvénients causés par le fait d’exercer les droits conférés par ces dispositions en devant utiliser des documents d’état civil dans lesquels son nom de famille et son prénom n’apparaissent pas dans leur forme polonaise et ne reflètent pas, de ce fait, la nature de sa relation avec le requérant au principal ni même avec son fils.
59 Il convient, à cet égard, de rappeler que l’article 20 TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le statut de citoyen de l’Union (voir, notamment, arrêts D’Hoop, précité, point 27, et du 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, C-34/09, non encore publié au Recueil, point 40). La requérante au principal, qui possède la nationalité d’un État membre de l’Union, bénéficie de ce statut.
60 Reconnaissant l’importance qu’attache le droit primaire au statut de citoyen de l’Union, la Cour a relevé à plusieurs reprises que ce statut a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (voir arrêts du 17 septembre 2002, Baumbast et R, C‑413/99, Rec. p. I‑7091, point 82; du 2 mars 2010, Rottmann, C‑135/08, non encore publié au Recueil, points 43 et 56, ainsi que Ruiz Zambrano, précité, point 41).
61 Ce statut permet à ceux parmi ces ressortissants se trouvant dans la même situation d’obtenir dans le domaine d’application ratione materiæ du traité, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (voir, notamment, arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, Rec. p. I‑6193, point 31).
62 Parmi les situations relevant du domaine d’application ratione materiæ du droit de l’Union figurent celles relatives à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité, notamment celles relevant de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres telle que conférée par l’article 21 TFUE (voir arrêts précités Grzelczyk, point 33, et D’Hoop, point 29).
63 Si, en l’état actuel du droit de l’Union, les règles régissant la transcription dans les actes d’état civil du nom de famille et du prénom d’une personne relèvent de la compétence des États membres, ces derniers doivent, néanmoins, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (voir, en ce sens, arrêts du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C‑148/02, Rec. p. I‑11613, points 25 et 26; du 14 octobre 2008, Grunkin et Paul, C‑353/06, Rec. p. I‑7639, point 16, ainsi que du 22 décembre 2010, Sayn-Wittgenstein, C‑208/09, non encore publié au Recueil, points 38 et 39).
64 Dans l’affaire au principal, il est constant que les requérants au principal ont tous deux, en leur qualité de citoyens de l’Union, exercé leur liberté de circuler et de séjourner dans des États membres autres que leurs États membres d’origine.
65 L’article 21 TFUE comportant non seulement le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres mais également, ainsi qu’il ressort des points 61 et 62 du présent arrêt et ainsi que la Commission l’a fait valoir dans ses observations, une interdiction de toute discrimination exercée en raison de la nationalité, il convient d’examiner au regard de cette disposition le refus, par les autorités d’un État membre, de modifier des actes d’état civil dans des circonstances telles que celles en cause au principal.
Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation
66 Il convient de relever, à titre liminaire, que le prénom et le nom de famille d’une personne sont un élément constitutif de son identité et de sa vie privée, dont la protection est consacrée par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Même si l’article 8 de cette convention ne le mentionne pas explicitement, le prénom et le nom de famille d’une personne n’en concernent pas moins la vie privée et familiale de celle-ci en tant que moyen d’identification personnelle et de rattachement à une famille (voir, notamment, arrêt Sayn-Wittgenstein, précité, point 52 et jurisprudence citée).
67 Dans la mesure où un citoyen de l’Union doit se voir reconnaître dans tous les États membres le même traitement juridique que celui qui est accordé aux ressortissants de ces États membres se trouvant dans la même situation, il serait incompatible avec le droit à la libre circulation qu’il puisse se voir appliquer dans l’État membre dont il est ressortissant un traitement moins favorable que celui dont il bénéficierait s’il n’avait pas fait usage des facilités ouvertes par le traité en matière de circulation (arrêt D’Hoop, précité, point 30).
68 En effet, la Cour a déjà relevé qu’une réglementation nationale qui désavantage certains ressortissants nationaux du seul fait qu’ils ont exercé leur liberté de circuler et de séjourner dans un autre État membre constitue une restriction aux libertés reconnues par l’article 21, paragraphe 1, TFUE à tout citoyen de l’Union (voir, notamment, arrêts précités Grunkin et Paul, point 21, ainsi que Sayn-Wittgentstein, point 53).
69 S’agissant, en premier lieu, de la demande de la requérante au principal de modifier son prénom et son nom de jeune fille dans les certificats de naissance et de mariage délivrés par le service de l’état civil de Vilnius, il convient de relever que, lorsqu’un citoyen de l’Union se déplace dans un autre État membre et se marie par la suite avec un ressortissant de cet autre État, le fait que le nom de famille de ce citoyen, porté préalablement à son mariage, et le prénom de celui-ci ne peuvent être modifiés et transcrits dans les actes d’état civil de l’État membre d’origine de ce dernier que dans les caractères de la langue de ce dernier État membre ne saurait constituer un traitement moins favorable que celui dont il bénéficie avant de faire usage des facilités ouvertes par le traité en matière de libre circulation des personnes.
70 Partant, l’absence d’un tel droit n’est pas susceptible de dissuader le citoyen de l’Union d’exercer les droits de circulation reconnus par l’article 21 TFUE et, dans cette mesure, ne constitue pas une restriction. En effet, dans l’ensemble des documents qui ont été délivrés à la requérante au principal par les autorités compétentes lituaniennes et qui font l’objet du recours au principal, le prénom et le nom de jeune fille enregistrés à la naissance sont transcrits de manière uniforme, de sorte qu’il n’existe pas de restriction à l’exercice desdits droits.
71 Il s’ensuit que l’article 21 TFUE ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, en application d’une réglementation nationale prévoyant que les noms de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale, de modifier le nom de famille de l’un de ses ressortissants porté préalablement à son mariage et le prénom de celui-ci, lorsque ceux-ci ont été enregistrés à la naissance, conformément à ladite réglementation.
72 S’agissant, en deuxième lieu, des demandes de modification des requérants au principal concernant l’adjonction dans le certificat de mariage du nom de famille du conjoint au nom de jeune fille de la requérante au principal, il convient de rappeler que cette adjonction a été effectuée à la demande expresse des requérants au principal, conformément à la réglementation lituanienne en vigueur.
73 De nombreuses actions de la vie quotidienne, dans le domaine tant public que privé, exigent de rapporter la preuve de sa propre identité et, d’ailleurs, s’agissant d’une famille, la preuve de la nature des liens familiaux existant entre les différents membres de celle-ci. En effet, un couple de citoyens de l’Union tel que celui au principal, résidant et travaillant dans un État membre autre que leurs États membres d’origine, doit, conformément aux dispositions de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, L 197, p. 34, ainsi que JO 2007, L 204, p. 28), être en mesure de prouver la relation qui existe entre eux.
74 Certes, les diverses manières d’orthographier le prénom et le nom de jeune fille de la requérante au principal, dans les documents d’état civil délivrés par les autorités lituaniennes et polonaises, résultent d’un choix délibéré de sa part et ne constituent pas, en tant que telles, une restriction à son droit de libre circulation et de séjour. Cependant, il ne saurait être exclu que la circonstance que, dans le certificat de mariage, le nom de famille de son conjoint soit adjoint à son nom de jeune fille dans une forme qui ne correspond pas au nom de famille de celui-ci tel qu’il est enregistré dans l’État membre d’origine de ce dernier ni d’ailleurs tel qu’il est transcrit, pour le requérant au principal, dans le même certificat de mariage pourrait être de nature à engendrer, pour les intéressés, des inconvénients.
75 En effet, de tels inconvénients pourraient naître de la divergence de transcription du même nom de famille appliqué à deux personnes du même couple (voir, en ce sens, arrêts précités Garcia Avello, point 36, ainsi que Sayn-Wittgenstein, points 55 et 66).
76 Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour, afin de constituer une restriction aux libertés reconnues par l’article 21 TFUE, le refus de modification du nom de famille commun aux requérants au principal en vertu de la réglementation nationale en cause doit être de nature à engendrer pour les intéressés de «sérieux inconvénients» d’ordre administratif, professionnel et privé (voir, en ce sens, arrêts précités Garcia Avello, point 36; Grunkin et Paul, points 23 à 28, ainsi que Sayn-Wittgenstein, points 67, 69 et 70).
77 Il appartient dès lors à la juridiction de renvoi de déterminer s’il existe un risque concret, pour une famille telle que celle des requérants au principal, en raison du refus opposé par les autorités compétentes de transformer, dans la graphie du nom de famille de l’un des membres de cette famille, la lettre «V» en «W», de devoir dissiper des doutes quant à leur identité ainsi qu’à l’authenticité des documents qu’ils présentent. Si, dans les circonstances de l’affaire au principal, ledit refus implique la possibilité que soit mise en cause la véracité des informations contenues dans ces documents et que soient mises en doute l’identité de cette famille et la relation qui existe entre ses membres, cela pourrait avoir des conséquences importantes en ce qui concerne, entre autres, l’exercice du droit de séjour conféré directement par l’article 21 TFUE (voir également, en ce sens, arrêts précités Garcia Avello, point 36, et Sayn-Wittgenstein, points 55 et 66 à 70).
78 Par conséquent, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si le refus des autorités compétentes d’un État membre de modifier, en application de la réglementation nationale, le certificat de mariage d’un couple de citoyens de l’Union afin que le nom de famille commun aux deux conjoints soit transcrit, d’une part, de façon uniforme et, d’autre part, dans une forme fidèle aux règles de graphie de l’État membre d’origine du conjoint dont le nom de famille est en cause est de nature à engendrer pour les intéressés de sérieux inconvénients d’ordre administratif, professionnel et privé. Si tel est le cas, il s’agit d’une restriction aux libertés reconnues par l’article 21 TFUE à tout citoyen de l’Union.
79 En ce qui concerne, en troisième lieu, la demande du requérant au principal visant à ce que ses prénoms soient transcrits dans le certificat de mariage délivré par le service de l’état civil de Vilnius sous une forme respectant les règles de graphie polonaises, à savoir «Łukasz Paweł», il convient de rappeler que ces prénoms ont été transcrits dans ledit certificat de mariage sous la forme «Lukasz Pawel». La divergence entre les transcriptions susmentionnées consisterait en l’omission des signes diacritiques non employés dans la langue lituanienne.
80 À cet égard, le requérant au principal et le gouvernement polonais font valoir que toute modification, par les autorités d’un État membre, de l’orthographe originale du prénom ou du nom de famille d’une personne figurant sur les actes d’état civil délivrés par les autorités de l’État membre d’origine de celle-ci peut avoir des conséquences préjudiciables, que la modification consiste en une nouvelle transcription du prénom et/ou du nom de famille en cause ou qu’elle ne résulte que de la suppression des signes diacritiques de ceux-ci. En effet, la prononciation du prénom et/ou du nom de famille pourrait en être affectée, de même que la suppression d’un signe diacritique serait susceptible, dans certains cas, de créer un autre nom.
81 Toutefois, ainsi que l’a fait valoir M. l’avocat général au point 96 de ses conclusions, les signes diacritiques sont souvent omis dans de nombreuses actions de la vie quotidienne pour des raisons d’ordre technique, telles que celles liées notamment aux contraintes objectives inhérentes à certains systèmes informatiques. En outre, pour une personne qui ne maîtrise pas une langue étrangère, la signification des signes diacritiques est souvent méconnue et elle ne les remarque même pas. Il est donc peu probable que l’omission de tels signes puisse, à elle seule, engendrer pour la personne concernée de réels et sérieux inconvénients au sens de la jurisprudence citée au point 76 du présent arrêt de nature à faire naître des doutes quant à l’identité ainsi qu’à l’authenticité des documents présentés par celle-ci ou à la véracité des données contenues dans ceux-ci.
82 Il s’ensuit que le refus des autorités compétentes d’un État membre, en vertu de la réglementation nationale applicable, de modifier le certificat de mariage d’un citoyen de l’Union ressortissant d’un autre État membre afin que les prénoms dudit citoyen soient transcrits dans ce certificat avec des signes diacritiques tels qu’ils ont été transcrits dans les actes d’état civil délivrés par son État membre d’origine et sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale de ce dernier État ne constitue pas, dans une situation telle que celle en cause au principal, une restriction aux libertés reconnues par l’article 21 TFUE à tout citoyen de l’Union.
Sur l’existence d’une justification à une restriction à la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union
83 Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi conclut que le refus de modification du nom de famille commun aux requérants au principal constitue une restriction à l’article 21 TFUE, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, une restriction à la libre circulation des personnes ne peut être justifiée que si elle se fonde sur des considérations objectives et est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (voir, notamment, arrêts précités Grunkin et Paul, point 29, ainsi que Sayn-Wittgenstein, point 81).
84 Selon plusieurs des gouvernements ayant présenté des observations à la Cour, il est légitime pour un État membre de veiller à la protection de la langue officielle nationale, aux fins de sauvegarder l’unité nationale et de préserver la cohésion sociale. Le gouvernement lituanien souligne, en particulier, que la langue lituanienne constitue une valeur constitutionnelle qui préserve l’identité de la nation, contribue à l’intégration des citoyens, assure l’expression de la souveraineté nationale, l’indivisibilité de l’État, ainsi que le bon fonctionnement des services de l’État et des collectivités territoriales.
85 À cet égard, il convient de relever que les dispositions du droit de l’Union ne s’opposent pas à l’adoption d’une politique qui vise la défense et la promotion de la langue d’un État membre qui est tout à la fois la langue nationale et la première langue officielle (voir arrêt du 28 novembre 1989, Groener, C‑379/87, Rec. p. 3967, point 19).
86 En effet, aux termes de l’article 3, paragraphe 3, quatrième alinéa, TUE ainsi que de l’article 22 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique. Conformément à l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union respecte également l’identité nationale de ses États membres, dont fait aussi partie la protection de la langue officielle nationale de l’État.
87 Il s’ensuit que l’objectif poursuivi par une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, visant à protéger la langue officielle nationale par l’imposition des règles de graphie prévues par cette langue, constitue, en principe, un objectif légitime susceptible de justifier des restrictions aux droits de libre circulation et de séjour prévus à l’article 21 TFUE et peut être prise en compte lors de la mise en balance d’intérêts légitimes avec lesdits droits reconnus par le droit de l’Union.
88 Des mesures restrictives d’une liberté fondamentale, telle que celle prévue à l’article 21 TFUE, ne peuvent, toutefois, être justifiées par des considérations objectives que si elles sont nécessaires pour la protection des intérêts qu’elles visent à garantir et seulement dans la mesure où ces objectifs ne peuvent être atteints par des mesures moins restrictives (voir arrêt Sayn-Wittgenstein, précité, point 90 et jurisprudence citée).
89 Ainsi qu’il ressort du point 66 du présent arrêt, le nom de famille d’une personne est un élément constitutif de son identité et de sa vie privée, dont la protection est consacrée par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
90 De surcroît, a été reconnue, dans le cadre du droit de l’Union, l’importance d’assurer la protection de la vie familiale des citoyens de l’Union afin d’éliminer les obstacles à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité (voir arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri, C‑482/01 et C‑493/01, Rec. p. I‑5257, point 98).
91 S’il est établi que le refus de modification du nom de famille commun au couple de citoyens de l’Union en cause au principal provoque de sérieux inconvénients d’ordre administratif, professionnel et privé à leur égard et/ou à l’égard de leur famille, il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer si un tel refus respecte un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d’une part, le droit des requérants au principal au respect de leur vie privée et familiale ainsi que, d’autre part, la protection légitime par l’État membre concerné de sa langue officielle nationale et de ses traditions.
92 S’agissant de la transformation, dans le certificat de mariage, du nom de famille polonais «Wardyn» en «Vardyn», le caractère disproportionné du refus opposé par le service de l’état civil de Vilnius à des demandes de modification introduites par les requérants au principal à cet égard pourrait éventuellement ressortir du fait que ce service a transcrit ledit nom, en ce qui concerne le requérant au principal, dans le même certificat en respectant les règles de graphie polonaises en cause.
93 Il convient par ailleurs de constater que, selon les informations fournies à la Cour, les noms de famille des ressortissants des autres États membres peuvent, en Lituanie, être transcrits en utilisant des lettres de l’alphabet latin qui n’existent pas dans l’alphabet lituanien. La circonstance que, dans le certificat de mariage, le nom de famille du requérant au principal débute par la lettre «W», qui n’existe pas dans l’alphabet lituanien, en constitue d’ailleurs la preuve.
94 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions posées que l’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens que:
– il ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, en application d’une réglementation nationale prévoyant que le nom de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale, de modifier dans les certificats de naissance et de mariage de l’un de ses ressortissants le nom de famille et le prénom de celui-ci selon les règles de graphie d’un autre État membre;
– il ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, dans des circonstances telles que celles en cause au principal et en application de cette même réglementation, de modifier le nom de famille commun à un couple marié de citoyens de l’Union, tel qu’il figure dans les actes d’état civil délivrés par l’État membre d’origine de l’un de ces citoyens, sous une forme respectant les règles de graphie de ce dernier État, à condition que ce refus ne provoque pas, pour lesdits citoyens de l’Union, de sérieux inconvénients d’ordre administratif, professionnel et privé, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer. Si tel s’avère être le cas, il appartient également à cette juridiction de vérifier si le refus de modification est nécessaire à la protection des intérêts que la réglementation nationale vise à garantir et est proportionné à l’objectif légitimement poursuivi;
– il ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, dans des circonstances telles que celles en cause au principal et en application de cette même réglementation, de modifier le certificat de mariage d’un citoyen de l’Union ressortissant d’un autre État membre afin que les prénoms dudit citoyen soient transcrits dans ce certificat avec des signes diacritiques tels qu’ils ont été transcrits dans les actes d’état civil délivrés par son État membre d’origine et sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale de ce dernier État.
Sur les dépens
95 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
1) Une réglementation nationale prévoyant que les noms de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale concerne une situation qui ne relève pas du champ d’application de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique.
2) L’article 21 TFUE doit être interprété en ce sens que:
– il ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, en application d’une réglementation nationale prévoyant que le nom de famille et les prénoms d’une personne ne peuvent être transcrits dans les actes d’état civil de cet État que sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale, de modifier dans les certificats de naissance et de mariage de l’un de ses ressortissants le nom de famille et le prénom de celui-ci selon les règles de graphie d’un autre État membre;
– il ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, dans des circonstances telles que celles en cause au principal et en application de cette même réglementation, de modifier le nom de famille commun à un couple marié de citoyens de l’Union, tel qu’il figure dans les actes d’état civil délivrés par l’État membre d’origine de l’un de ces citoyens, sous une forme respectant les règles de graphie de ce dernier État, à condition que ce refus ne provoque pas, pour lesdits citoyens de l’Union, de sérieux inconvénients d’ordre administratif, professionnel et privé, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer. Si tel s’avère être le cas, il appartient également à cette juridiction de vérifier si le refus de modification est nécessaire à la protection des intérêts que la réglementation nationale vise à garantir et est proportionné à l’objectif légitimement poursuivi;
– il ne s’oppose pas à ce que les autorités compétentes d’un État membre refusent, dans des circonstances telles que celles en cause au principal et en application de cette même réglementation, de modifier le certificat de mariage d’un citoyen de l’Union ressortissant d’un autre État membre afin que les prénoms dudit citoyen soient transcrits dans ce certificat avec des signes diacritiques tels qu’ils ont été transcrits dans les actes d’état civil délivrés par son État membre d’origine et sous une forme respectant les règles de graphie de la langue officielle nationale de ce dernier État.